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Le paradoxe du menteur, qui vient d’être présenté, est comme beaucoup d’autres paradoxes, très important pour la recherche des vérités. Le chapitre 4 a rappelé son importance dans les preuves d’incomplétude des principes mathématiques.
À la fin du , la recherche de principes généraux pour toutes les mathématiques est devenue une question centrale. La théorie des ensembles de Cantor et les progrès de la logique mathématique ont fait espérer une théorie mathématique générale et complète. Il s’agissait de trouver un nombre fini d’axiomes à partir desquels on aurait pu prouver toutes les vérités sur tous les êtres mathématiques concevables. Cependant la théorie de Cantor a des aspects paradoxaux et la fiabilité des raisonnements généraux sur les ensembles laissait une place au doute. Frege, parmi d’autres logiciens a développé des méthodes formelles qui permettaient de formuler avec précision tous les énoncés mathématiques sur les ensembles et tous les axiomes qui semblaient naturels pour fixer la signification des notions fondamentales.
La méthode formaliste de Frege lui a permis d’éviter tous les sophismes, mais il est tombé sur un paradoxe. Russell lui a prouvé que ses axiomes, pourtant naturels, conduisent à une contradiction. Cette preuve a été présentée dans le chapitre 3.
Sans les méthodes formelles, on ne peut pas espérer répondre au problème de la fiabilité ou de la cohérence des principes mathématiques. Il faut être précis, comme Frege, sur ce qu’on prend comme axiomes et sur ce qu’on admet comme règle de déduction, pour pouvoir alors prouver que les principes sont cohérents. On ne peut pas le faire pour les principes naturels parce qu’ils sont incohérents. Bien naïf est celui qui n’a pas compris qu’on peut toujours tout prouver, à la fois une chose et son contraire, il suffit de quelques phrases bien tournées. Mais il n’est souvent pas difficile de se protéger contre cette absurdité de la raison naturelle. Pour les raisonnements courants, il suffit en général de préciser un peu les significations. Si on rencontre un paradoxe, on sait alors qu’on a besoin d’une théorie plus prudente quant au choix de ses principes. On est conduit à développer une théorie formelle avec des axiomes et des règles clairement explicitées.
Le programme de Hilbert.
Le paradoxe de Russell, comme de nombreux autres paradoxes ensemblistes, se pose à propos de grands ensembles, tels que l’ensemble de tous les ensembles, l’ensemble de tous les ensembles qui ne sont pas dans eux-mêmes, l’ensemble de tous les ordinaux, et quelques autres. Cette situation avait jeté un soupçon sur les découvertes de Cantor. Certains mathématiciens restaient sceptiques quant à la signification et à la portée de ses théorèmes. Mais d’autres plus audacieux ont compris que Cantor avait livré les clés d’un paradis parce qu’il a donné les moyens de raisonner avec justesse sur tous les ensembles concevables et que cela permettait de développer des théories beaucoup plus puissantes que tout ce qui avait été conçu jusque là.
Les paradoxes de la théorie des ensembles ne remettaient pas en question la vérité des principes élémentaires, tels que ceux des théories des nombres entiers. Tant qu’on se limite aux nombres entiers, l’évidence des principes n’est pas contestable. Les théories sont des ensembles de formules et peuvent être définies avec des principes semblables à ceux qui sont utilisés en arithmétique. Dans les deux cas, on peut raisonner comme si l’on parlait de suites finies de signes graphiques. Hilbert faisait remarquer que les nombres peuvent être identifiés à des suites de barres par exemple : 1=/, 2=//, 3=///, 4=////… Les formules peuvent de même être identifiées à des suites de lettres, ou symboles. Les ensembles de nombres ou de formules sont des systèmes formels. Tant qu’on se limite aux systèmes formels et à quelques autres ensembles que l’on peut construire à partir d’eux, les mathématiques sont finitaires.
On peut formaliser la théorie de Cantor, c’est-à-dire définir avec précision un ensemble de formules prouvables à partir d’axiomes. On obtient ainsi un ensemble finitaire de formules destinées à dire des vérités sur tous les ensembles, et pas seulement ceux qui peuvent être identifiés à des ensembles finitaires déjà construits. Pour développer la théorie générale des ensembles sans tomber dans des contradictions, on est conduit à étudier un ensemble finitaire. On peut alors espérer prouver avec des méthodes finitaires que la théorie est cohérente. Cela place les mathématiques finitaires au cœur de toutes les mathématiques, parce que si on a prouvé qu’une théorie est cohérente on a établi du même coup l’existence mathématique des êtres qu’elle définit. La fiabilité des méthodes générales peut ainsi être prouvée avec des méthodes finitaires.
Hilbert a espéré trouver une théorie finitaire telle que toutes les questions mathématiques y reçoivent une réponse. Cet espoir était justifié en partie, parce que la cohérence de toute théorie est une question finitaire. Gödel a prouvé que ce programme complet de Hilbert n’est pas réalisable. Quelles que soient les théories finitaires que l’on se donne, elles seront toujours insuffisantes pour prouver toutes les vérités. Gödel a aussi prouvé un second théorème d’incomplétude qui a été mal interprété. Il dit qu’en général une théorie mathématique ne peut pas prouver sa propre cohérence. L’interprétation erronée consiste à en conclure que les méthodes finitaires ne suffisent pas pour prouver la cohérence des théories finitaires et qu’il faut abandonner à la fois le programme de Hilbert et la croyance en la prééminence des méthodes élémentaires.
Les sections suivantes prouveront que le programme de Hilbert est réalisable, pourvu qu’on abandonne l’espoir de complétude, qu’on demande seulement des preuves de cohérence, qu’on fasse attention dans le développement de l’ontologie des ensembles et des fonctions, et qu’on fasse confiance à la capacité de la raison à connaître les ensembles infinis, au moins quand ils sont définis avec des moyens élémentaires. Ce programme est considéré ici comme une forme moderne du programme de Leibniz, selon lequel il faut prouver la vérité des principes.
Les preuves de cohérence par la théorie des modèles.
On peut prouver la cohérence d’une théorie T en construisant un modèle de T, c’est-à-dire un ensemble de formules atomiques telles que tous les axiomes de T sont vrais pour elles. L’ensemble des vérités atomiques de l’arithmétique élémentaire permet par exemple de prouver la cohérence des théories arithmétiques.
Une théorie T est cohérente lorsqu’on ne peut pas déduire de contradiction à partir de ses axiomes. Si T a un modèle, tous les axiomes et toutes leurs conséquences logiques sont vrais dans ce modèle. Une contradiction est fausse dans tous les modèles. Elle ne peut donc pas être une conséquence des axiomes. Une théorie qui a un modèle est donc nécessairement cohérente. Le théorème de complétude de la logique du premier ordre montre qu’inversement une théorie cohérente a toujours un modèle.
La construction d’un modèle peut être donnée avec un langage et un raisonnement naturels parce qu’elle est souvent très élémentaire. On peut être aussi sûr de la validité de ces constructions qu’on l’est de la validité de tous les principes élémentaires de raisonnement. Il est cependant souhaitable de formaliser les preuves naturelles. Il ne s’agit pas toujours de les rendre plus sûres, parce que certains raisonnements naturels peuvent être plus fiables que les calculs formalisés, étant plus compréhensibles. On peut se tromper dans les options de formalisation, mais, on ne se trompe pas si on applique avec attention des principes élémentaires et naturels sur des questions simples. Formaliser des preuves naturelles présente un intérêt plus pour montrer la justesse et l’efficacité de la formalisation que pour montrer la justesse des preuves elles-mêmes.
Les théories formalisées permettent de dépasser les limites des raisonnements naturels et de formaliser des preuves difficiles. Pour formaliser des preuves de cohérence par la théorie des modèles on a besoin d’une théorie T des ensembles. Pour que ces preuves soient valables, il faut que T soit elle-même cohérente. On est donc conduit à chercher une preuve de la cohérence de T. Nous présenterons à la fin de ce chapitre la preuve de Gödel que sous des conditions générales, une théorie T ne permet pas de formaliser la preuve de la cohérence de T. Nous montrerons que cette improuvabilité a une racine ontologique. T ne contient jamais les bons ensembles qui permettent de formaliser la preuve de sa cohérence.
Nous donnerons d’abord une preuve naturelle de la cohérence de l’arithmétique formelle AF. L’ontologie de l’arithmétique formelle n’est pas adaptée à la formalisation de cette preuve, mais celle de Finitaire1 oui.
Nous montrerons que la théorie Finitaire1 permet de formaliser la preuve naturelle de la cohérence de l’arithmétique formelle. L’ontologie de Finitaire1 est limitée mais elle est cependant très riche. Elle permet de définir beaucoup plus d’ensembles que l’arithmétique formelle, qui est déjà elle-même très riche. Finitaire1 met à profit des méthodes élémentaires et cependant très puissantes et très générales pour construire et connaître des ensembles infinis.
On donnera ensuite une preuve de la cohérence de Finitaire1 et on complétera son ontologie pour définir une théorie Finitaire2 qui permet de formaliser la preuve de la cohérence de Finitaire1.
La preuve de la cohérence de Finitaire2 sera laissée en exercice, mais arrivé à ce point le lecteur devrait être convaincu qu’elle ne pose pas de difficultés de principe. Il suffit de se donner une ontologie adaptée à ce but.
La méthode qui vient d’être exposée rencontre l’objection suivante. On prouve la cohérence d’une théorie T avec une théorie T+ plus compliquée que T. Il se pourrait que T soit incohérente, que T+ le soit également et qu’elle permette quand même de prouver que T est cohérente. Ces preuves de cohérence ne prouveraient donc rien du tout.
Cette objection n’est ici pas valable. Avant de définir Finitaire1, on sait déjà que l’arithmétique formelle est cohérente et on sait le prouver. Le rôle de Finitaire1 est seulement de traduire une preuve naturelle dans un langage formalisé. Si ses axiomes avaient été mal choisis, Finitaire1 pourrait être incohérente, mais cela n’enlèverait rien à la valeur de la preuve de la cohérence de l’arithmétique formelle, cela montrerait seulement les difficultés de la formalisation des preuves naturelles.
Comme on sait que Finitaire1 et d’autres théories finitaires élargies sont cohérentes, on peut s’en servir pour prouver la cohérence d’autres théories. Nous prouverons que les méthodes finitaires sont en un sens toujours suffisantes, au sens où si une théorie est cohérente alors elle a un modèle finitaire. C’est une conséquence, ou plus exactement une reformulation, du théorème de complétude de Gödel. Mais on ne peut pas déduire de ce théorème l’existence d’une théorie finitaire complète, au sens où elle suffirait pour toutes les preuves de cohérence.
Les preuves formelles de cohérence sont assez élémentaires. Il suffit de définir avec précision à la fois un modèle et l’ensemble des axiomes de la théorie, et d’appliquer quelques règles logiques simples. Le théorème de cohérence est une conséquence triviale des définitions. C’est en accord avec l’intuition que ces théories sont évidemment cohérentes. La trivialité de la conclusion veut quand même dire ici qu’il faudrait y passer quelques dizaines de pages si l’on voulait expliciter formellement toutes les étapes. Mais la rédaction complète de ces preuves formelles ne pose pas d’autres difficultés que le caractère mécanique et répétitif de leurs nombreuses étapes. Même pour une théorie aussi élémentaire que celle des nombres entiers, la construction d’un modèle est assez compliquée, mais elle ne met en jeu que des étapes élémentaires, pour lesquelles la validité des méthodes de construction est difficilement contestable, sauf si l’on prétend que l’esprit humain est incapable de connaître les nombres entiers.
La seule véritable difficulté de ces preuves formelles consiste à choisir une ontologie adaptée à leur but.
Approfondissement sur les suites numériques/Définitions avancées
L'objectif de cette leçon est de présenter les suites numériques et leurs premières propriétés. En particulier, la première propriété à laquelle on va s'intéresser est la variation des suites (croissance, décroissance), intuitivement il s'agit de savoir si la suite augmente ou non.
Dans un second temps, on va poser les définitions de suite bornée, minorée et majorée, ce qui correspond à savoir si la suite va dépasser un certain seuil donné. Ces notions sont fondamentales pour poursuivre l'étude des suites numériques comme nous le verrons dans la leçon suivante sur la convergence des suites.
Définition d’une suite numérique.
Généralement, une suite formula_1 peut être définie :
On peut aussi la citer extensivement sous la forme :
On note formula_9, ou encore formula_10, l'ensemble des suites numériques.
On peut alors définir des opérations algébriques sur cet ensemble de manière naturelle, par exemple la somme de deux suites revient à additionner chaque terme de la suite.
Variations d’une suite.
Dans cette partie, on donne les premières définitions permettant d'étudier les variations d'une suite, ainsi que différentes méthodes d'étude.
Définitions.
Une suite numérique est dite monotone si elle est monotone (croissante ou décroissante) en tant que fonction (de formula_16 dans formula_17). Plus précisément :
Un cas particulier de variation est donné par les suites constantes :
Méthode.
Pour savoir si une suite est monotone, il est souvent efficace d'étudier :
<br>
Suite bornée.
Une suite numérique est dite bornée si elle est bornée en tant que fonction (de formula_16 dans formula_17). Plus précisément :
Dérivation/Annexe/Interprétations de la dérivation
La fonction dérivée d'une fonction réelle de la variable réelle a, outre son interprétation géométrique naturelle (elle donne en chaque point du graphe la pente de la tangente), d'autres interprétations.
Interprétation mécanique.
Soit formula_1 l'équation horaire d’un point matériel selon l’axe formula_2 en fonction du temps formula_3. La limite formula_4 est notée formula_5 et la fonction dérivée formula_6 est la vitesse du point, à l'instant formula_3, selon l’axe formula_2. L'accélération à l'instant formula_3, selon ce même axe, est la dérivée seconde formula_10. La loi fondamentale de la dynamique newtonienne s'exprime selon
formula_11,
où formula_12 est la masse de la particule considérée et formula_13 la composante, selon l’axe formula_2, de la force qui s'exerce sur la particule, qui peut dépendre de formula_15. On obtient des équations différentielles que l’on ne sait résoudre analytiquement que pour des forces formula_13 assez simples.
Interprétation chimique.
On considère un échantillon de matériau radio-actif qui contient formula_17 atomes à l'instant formula_3. La loi fondamentale qui régit l'évolution temporelle du phénomène de désintégration est la suivante : le taux de variation instantanée du nombre d'atomes est une constante négative, dont la valeur absolue est notée formula_19 (elle varie selon la nature de l'atome). La variation instantanée du nombre d'atomes est la dérivée formula_20 et le taux de variation est formula_21. On a donc pour loi de variation temporelle :
formula_22.
On obtient encore une équation différentielle ; le lecteur peut vérifier que si formula_23 est le nombre d'atomes initial à formula_24, au temps formula_3 il n'en restera plus que formula_26.
Équation différentielle/Équation différentielle du premier ordre
Ce chapitre ne traitera que des équations différentielles du premier ordre "non linéaires".
Pour la résolution des équations différentielles linéaires du premier ordre, voir le chapitre 4 de cette leçon.
Topologie
Topologie générale/Espace topologique
Dans cette partie, on définit la notion de topologie sur un ensemble et d'espace topologique. On donne par ailleurs quelques exemples fondamentaux.
Introduction.
De la même manière qu'en générale, les notions de groupes, d'anneaux et de corps généralisent ce que nous savons de l'addition des réels à des structures plus abstraites, voire exotiques, la structure d'espace topologique permet de généraliser celle d'espace euclidien à des objets mathématiques de nature totalement différente (espace de nombres, espaces fonctionnels…) L'intuition géométrique joue un grand rôle en topologie, bien qu’il faille toujours se méfier des dessins (dont la pertinence est limitée quand il s'agit de représenter des espaces de dimension infinie).
On définit donc la structure de base de la topologie : l'espace topologique, défini comme la donnée d’un ensemble formula_1, et d’une topologie sur formula_1, c'est-à-dire un ensemble de sous-ensembles de formula_1 vérifiant certaines propriétés, dont les éléments sont appelés ouverts. Intuitivement, un ouvert correspond à un ensemble qui ne contient pas sa « frontière ».
Définitions fondamentales.
Il est important de noter qu'une partie de formula_1 qui n’est pas ouverte, n’est pas fermée pour autant (et inversement). De plus, ces deux propriétés ne sont pas incompatibles : une partie de formula_1 peut être à la fois ouverte et fermée. Par exemple :
On montrera en exercice qu'il est possible de définir une topologie avec la donnée des voisinages, si cette donnée vérifie les quatre propriétés ci-dessus et une cinquième, plus compliquée.
Topologie générale/Espace métrique
La notion d'espace métrique est historiquement la première structure topologique, bien que formellement, la notion d'espace topologique, plus vaste mais plus abstraite, soit traitée prioritairement dans cet exposé de topologie. La définition d’un espace métrique est proche de l'intuition, puisque les propriétés topologiques de ces espaces ne sont pas directement définis à partir d’un ensemble d'ouverts, appelé topologique, mais à partir d’une application nommée distance, ou métrique, qui permet de donner un rôle plus important à l'intuition géométrique.
Boules.
On trouve parfois la notation formula_1 pour la boule fermée, cette notation est ambigüe car elle peut aussi s'interpréter comme la fermeture de la boule ouverte. Ces deux interprétations ne concordent pas en générale, par exemple pour la distance discrète on a formula_2 et formula_3. Cette notation abusive est utilisée car elle n'est pas gênante dans les espaces vectoriels pour lesquelles les deux notations concordent.
Topologie.
D'après le corollaire 2, les boules ouvertes de formula_4 constituent une base d'une (unique) topologie sur formula_5.
On assimile souvent un espace métrique à son espace topologique. Tout espace métrique est séparé et même parfaitement normal.
Les ouverts de cette topologie sont, par définition, les réunions de boules ouvertes. Le corollaire 1 ci-dessus en donne une caractérisation.
Les boules ouvertes sont évidemment des ouverts, et l'on démontre facilement (exercice) que les boules fermées sont des fermés. Par conséquent, l'adhérence de formula_6 est incluse dans formula_7 et l'intérieur de formula_7 contient formula_6 (exercice).
Dans un espace vectoriel normé, pour tout formula_10, ces inclusions sont des égalités (exercice).
Considérer par exemple (exercice) les boules et la topologie associées à une distance discrète.