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JURITEXT000047636346
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 13 avril 2023, 21/15167
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2023-04-13
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/15167
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 21/15167 No Portalis 352J-W-B7F-CVWY7 No MINUTE : Assignation du :29 juillet 2021 JUGEMENT rendu le 13 avril 2023 DEMANDERESSE Société ENERGY BEVERAGES LLC[Adresse 1][Localité 4] (ETATS-UNIS) représentée par Me Géraldine ARBANT de l'AARPI BIRD & BIRD AARPI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R255 DÉFENDEUR Monsieur [C] [U][Adresse 2][Localité 3] (MOLDAVIE) Défaillant COMPOSITION DU TRIBUNAL Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeElodie GUENNEC, Vice-présidenteMalik CHAPUIS, Juge, assistés de Caroline REBOUL, Greffière DEBATS A l'audience du 16 janvier 2023 tenue en audience publique avis a été donné à l'avocat que la décision serait rendue le 30 mars 2023.Le délibéré a été prorogé au 13 avril 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeRéputé contradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE 1. La société Energy Beverages LLC. est une société de droit américain, initialement dénommée Legacy Energy Brands LLC., filiale de la société Monster Beverage Corporation. 2. En l'an 2000, la société Coca-Cola a souhaité créer et développer une nouvelle marque de boissons énergisantes sous la marque "BURN". En 2015, la société Monster Beverage Corporation a acquis la propriété du portefeuille de la marque "BURN" et l'a transférée à sa filiale, la société Energy Beverages LLC. 3. Ce portefeuille comprend notamment : - La marque verbale de l'Union européenne "BURN" déposée le 31 octobre 2003, renouvelée et enregistrée sous le no3501244 en classe 32 pour désigner notamment les "boissons non alcooliques, notamment boissons sans alcool, boissons énergétiques et boissons pour sportifs" ; - La marque verbale de l'Union européenne "BURN" déposée le 5 octobre 2016 et enregistrée sous le no15894661 en classe 5 pour désigner notamment les "suppléments alimentaires minéraux, préparations de vitamines, vitamines et minéraux, compléments alimentaires, diététiques et nutritionnels". 4. M. [C] [U] est, quant à lui, titulaire de la marque verbale internationale désignant la France "BURN" déposée le 29 décembre 2017 et enregistrée sous le no1398120 en classe 34 pour désigner notamment le "tabac" et les "articles pour fumeurs, allumettes". 5. La société Energy Beverages LLC. précise que M. [U] avait également déposé une demande de marque semi-figurative internationale "BURN", enregistrée sous le no1351639, pour désigner, en classe 34, les produits: "cigarettes, filtres à cigarettes, cigarettes contenant des succédanés du tabac, autres qu'à usage médical, papier à cigarettes, tabac" qui ne désignait pas la France mais reprenait l'image de la flamme associée aux marques "BURN" appartenant à la société. 6. N'ayant pu s'opposer à l'enregistrement de la marque internationale désignant la France à temps, la société Energy Beverages LLC. a adressé, vainement, plusieurs courriers de mise en demeure à M. [U] et à Mme [T], sa mandataire. 7. Par un acte d'huissier de justice du 10 décembre 2019, la société Energy Beverages LLC. a fait assigner M. [C] [U] devant le tribunal judiciaire de Nanterre, afin d'obtenir l'annulation de la partie française de la marque internationale. 8. Aux termes de son assignation, la société Energy Beverages LLC. demande au tribunal judiciaire, au visa des articles L. 711-2, L. 711-4, L. 714-3, L. 717-1 du code de la propriété intellectuelle, des articles 9§2 c) et 17.1 du règlement UE 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne, des dispositions du code de procédure civile en ses articles 699 et 700, de : - prononcer la nullité totale de la partie française de la marque internationale "BURN" enregistrée sous le no1398120 en ce que: - cette marque est dépourvue de caractère distinctif pour désigner l'ensemble des produits suivants désignés en classe 34, à savoir " tabac, articles pour fumeurs, allumettes ", en application des articles L. 711-2 et L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle; - elle porte atteinte aux marques de renommée "BURN" no3501244 et no15984661 dont elle est titulaire en application des articles L. 711-4 et L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle et de l'article 9§2 c) du règlement UE 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque européenne ; - ordonner le transfert de la décision à intervenir pour transcription sur le registre national des marques de l'INPI et auprès de l'OMPI sur présentation d'une copie exécutoire du jugement ; - condamner M. [U] à lui verser la somme de 20.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens dont distraction au profit de Me Géraldine Arbant, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. 9. Par un jugement rendu le 29 juillet 2021, le tribunal judiciaire de Nanterre s'est déclaré incompétent au profit du tribunal judiciaire de Paris pour connaître de l'action en nullité. 10. La société Energy Beverages LLC. a constitué avocat devant le tribunal judiciaire de Paris le 6 janvier 2022. L'assignation a été délivrée à M. [U], l'autorité étrangère ayant exécuté la demande le 23 décembre 2021. La société Energy Beverages LLC. a reçu avec le retour de signification une demande "d'assistance juridique" transmise au service d'entraide civile internationale du Ministère de la justice le 11 février 2022. 11. Bien que régulièrement assigné par la remise de l'assignation auprès de son avocat, Me Vasile Lungu, M. [C] [U] n'a pas constitué avocat. 12. L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 avril 2022 et l'affaire a été appelée pour plaidoirie à l'audience du 16 janvier 2023. 13. Dûment autorisée à l'audience par le tribunal, la société Energy Beverages LLC. a, par une note en délibéré adressée par voie électronique le 23 janvier 2023, justifié avoir adressé au Ministère de la justice, en France, le retour de signification de l'assignation à M. [U] comportant "assistance juridique" en date du 11 février 2022, ainsi que la réponse du Ministère de la justice, à cette même date, indiquant qu'il ne s'agit que d'un retour des autorités moldaves attestant de la remise de l'acte à son destinataire directement à l'autorité judiciaire compétente en application de la convention de La Haye du 15 novembre 1965 à laquelle la République de Moldavie a adhéré. Il n'est pas fait référence, dans ces échanges, à l'application d'une convention conclue entre la France et la Moldavie concernant l'assistance judiciaire, étant rappelé que la République de Moldavie n'a pas adhéré à la convention de La Haye du 25 octobre 1980 tendant à faciliter l'accès international à la justice qui prévoit, en son chapitre Ier, les modalités d'application de l'assistance judiciaire pour les ressortissants des Etats contractants. MOTIFS 14. En application de l'article 472 du code de procédure civile, "si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond.Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée." Sur la nullité de la marque verbale internationale "BURN " désignant la France enregistrée sous le no1398120 Moyens des parties : 15. Au soutien de sa demande de nullité de la partie française de la marque internationale "BURN" no 1 398 120 dont M. [U] est titulaire, la société Energy Beverages LLC. invoque le défaut de caractère distinctif de la marque, moyen de nullité absolue, ainsi qu'une atteinte à la renommée de ses marques de l'Union Européenne, moyen de nullité relative. 16. Invoquant en premier lieu les dispositions de l'article L. 711-2 b) du code de la propriété intellectuelle, la société Energy Beverages LLC. souligne que le terme "BURN" est compris du public français comme signifiant " brûler " ou " mettre le feu ", si bien que ce signe verbal utilisé pour désigner des produits du tabac ou des allumettes est descriptif, ce qui justifie le prononcé de sa nullité. Elle souligne que l'enregistrement a d'ailleurs été refusé dans plusieurs pays pour ce motif. 17. La société Energy Beverages LLC. ajoute sur le fondement de l'article L. 711-4 a) du code de la propriété intellectuelle, qu'elle est titulaire d'une marque de renommée, tant et si bien que sa seule évocation par le signe litigieux suffit à justifier le prononcé de la nullité. Elle se prévaut, pour établir la renommée de ses marques, des investissements majeurs qu'elle a réalisés depuis l'an 2000, en particulier à destination d'un public âgé de 18 à 34 ans, de sa présence dans des évènements sportifs (F1, JO2014, snowboard, skateurs) et culturels (DJ, festivals de musique) dans le monde, de la visibilité de ses marques par la publicité, de sa présence sur les réseaux sociaux et internet et de la politique de merchandising et de produits dérivés. Elle ajoute que le volume des ventes qu'elle réalise, en particulier en Union Européenne et qui ne fait qu'augmenter, étaye sa renommée. Elle conclut qu'en utilisant un signe identique à sa marque de renommée, M. [U] en tire indûment profit, en se plaçant dans son sillage, ce qui lui occasionne un préjudice, les consommateurs étant amenés à rattacher la marque "BURN" aux produits qu'elle vend. 18. Appréciation du tribunal 19. Il résulte des dispositions de l'article 4§1 de l'Arrangement de Madrid signé le 14 avril 1891 concernant l'enregistrement international des marques, modifié le 28 septembre 1979, qu'à partir de son enregistrement au Bureau international, la protection de la marque dans chacun des pays contractants intéressés est la même que si elle y avait été directement déposée. Ainsi, tout enregistrement international produit, dans chaque pays désigné, les effets d'une marque nationale. 20. La marque internationale désignant la France dont M. [U] est titulaire a été déposée le 29 décembre 2017 en classe 34. Le tribunal judiciaire est donc compétent pour connaître de la demande de nullité formée à titre principal, le dépôt de la marque litigieuse étant antérieur à l'entrée en vigueur, le 11 décembre 2019, de l'ordonnance no2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits et de services. 21. La validité de cette marque doit par ailleurs s'apprécier au regard de la loi en vigueur à la date de son dépôt. Aux termes de l'article L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de la loi no92-597 applicable au présent litige, "L'enregistrement d'une marque est déclaré nul par décision de justice ou par décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle, en application de l'article L. 411-4, si la marque ne répond pas aux conditions énoncées aux articles L. 711-2, L. 711-3, L. 715-4 et L. 715-9." 22. Il importe, à titre liminaire, de rappeler que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé, en vertu des dispositions de l'article 31 du code de procédure civile. 23. En application de cette disposition, un opérateur économique ne justifie d'un intérêt légitime à demander l'annulation d'une marque que lorsque, étant détenteur d'un droit sur un signe identique ou similaire à cette marque, sa demande tend à lever une entrave à l'utilisation du signe pour les besoins de son activité économique ou lorsque, poursuivi en contrefaçon d'une marque, il agit en annulation de celle-ci (Com. 7 décembre 2022 - no 20-21.102). 24. Au cas d'espèce, la société Energy Beverages LLC. est bien titulaire de deux marques identiques et antérieures à celle dont la nullité est demandée. Si les parties ne sont pas directement concurrentes, puisqu'elles n'exercent pas leurs activités dans un même secteur, la société Energy Beverages LLC. invoque toutefois une atteinte à ses droits antérieurs en vertu de la renommée de son signe, si bien qu'il y a lieu, à ce stade, de retenir qu'elle a intérêt à agir en nullité. 25. S'agissant de l'atteinte alléguée à la renommée de la marque, l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de la loi du 4 janvier 1991 applicable au présent litige, dispose que "Ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs et notamment: a) à une marque antérieure enregistrée ou notoirement connue au sens de l'article 6bis de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle [...]" 26. L'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de l'ordonnance no2008-1301 du 11 décembre 2008 applicable au présent litige, dispose que "la reproduction ou l'imitation d'une marque jouissant d'une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l'enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.Les dispositions de l'alinéa précédent sont applicables à la reproduction ou l'imitation d'une marque notoirement connue au sens de l'article 6 bis de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle précitée." 27. Il est toutefois admis, sur le fondement combiné de ces deux textes, qu'une marque portant atteinte à une marque de renommée peut être annulée (Cass. com., 7 juin 2016, no 14-16.885). 28. Par ailleurs, l'article 4§3 de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques, qui a codifié la directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, précise qu' "Une marque est également refusée à l'enregistrement ou, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle si elle est identique ou analogue à une marque communautaire antérieure au sens du paragraphe 2 et si elle est destinée à être enregistrée ou a été enregistrée pour des produits ou des services qui ne sont pas comparables à ceux pour lesquels la marque communautaire antérieure est enregistrée, lorsque la marque communautaire antérieure jouit d'une renommée dans la Communauté et que l'usage de la marque postérieure sans juste motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque communautaire antérieure ou qu'il leur porterait préjudice." 29. De même, l'article 9§2 c) du règlement UE 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque européenne dispose que "Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque: [...]c) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans l'Union et que l'usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l'Union européenne ou leur porte préjudice. [...]" 30. S'agissant de la définition de la marque de renommée, la Cour de Justice de l'Union Européenne, dans son arrêt du 14 septembre 1999 General Motors Corporation contre Yplon SA, a dit pour droit que " [...] pour bénéficier d'une protection élargie à des produits ou à des services non similaires, une marque enregistrée doit être connue d'une partie significative du public concerné par les produits ou services couverts par elle. Dans le territoire Benelux, il suffit qu'elle soit connue d'une partie significative du public concerné dans une partie substantielle de ce territoire, laquelle peut correspondre, le cas échéant, à une partie de l'un des pays le composant." 31. Une marque est ainsi considérée comme renommée lorsqu'elle est connue d'une fraction significative du public concerné par les produits visés à l'enregistrement et qu'elle exerce un pouvoir d'attraction propre indépendant des produits ou services qu'elle désigne, ces conditions devant être réunies au moment des atteintes alléguées. Sont notamment pris en compte l'ancienneté de la marque, son succès commercial, l'étendue géographique de son usage et l'importance du budgetpublicitaire qui lui est consacré, son référencement dans la presse et sur internet, l'existence de sondages ou enquêtes de notoriété attestant de sa connaissance par le consommateur, des opérations de partenariat ou de mécénat ou encore éventuellement, de précédentes décisions de justice. Ces critères ne sont pas cumulatifs mais appréciés dans leur globalité et le titulaire d'une marque enregistrée peut, aux fins d'établir le caractère distinctif particulier et la renommée de celle-ci, se prévaloir de preuves de son utilisation sous une forme différente en tant que partie d'une autre marque enregistrée et renommée, à condition que le public concerné continue à percevoir les produits en cause comme provenant de la même entreprise (CJCE 6 oct 2009, PAGO international/ Tirolmilchregistrierte genossenschaft, C-301/07, point 25, TUE 5 mai 2015, Spa Monopole/OHMI-[Localité 5] International T 131/12, point 33). 32. Il appartient à celui qui invoque la renommée de sa marque, de la démontrer, au jour du dépôt du signe postérieur (Cass. Com., 8 février 2017, no14-28.232), c'est à dire, en l'espèce, en 2017. 33. L'atteinte portée à la renommée, selon la jurisprudence de la CJUE, suppose ensuite "que le public concerné établisse un lien entre les marques en litige, alors même qu'il ne les confond pas, et que l'existence de ce lien doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce et selon divers critères tirés du degré de similitude entre les marques, de la nature des produits et services visés à leur enregistrement, de l'intensité de la renommée et du caractère distinctif de la marque antérieure ainsi que du risque de confusion". (Com., 7 juin 2016, pourvoi no 14-16.885) 34. La protection ne suppose donc la démonstration d'un lien entre la marque antérieure et le signe contesté et non celui d'un risque de confusion. Ce lien résulte d'un « certain degré de similitude entre les marques antérieure et postérieure, en raison duquel le public concerné effectue un rapprochement entre ces deux marques, [?] alors même qu'il ne les confond pas » (CJCE, 10 juill. 2003, aff. C-408/01, Adidas). Le lien est donc établi si « la marque postérieure évoque la marque antérieure renommée dans l'esprit du consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé [?] » (CJUE, 27 nov. 2008, aff. C-252/07, Intel Corporation). 35. En l'espèce, la société Energy Beverages LLC justifie de la titularité des deux marques suivantes:- La marque verbale de l'Union européenne "BURN" déposée le 31 octobre 2003, renouvelée et enregistrée sous le no3501244 en classe 32 pour désigner notamment les "boissons non alcooliques, notamment boissons sans alcool, boissons énergétiques et boissons pour sportifs";- La marque verbale de l'Union européenne "BURN" déposée le 5 octobre 2016 et enregistrée sous le no15894661 en classe 5 pour désigner notamment les "suppléments alimentaires minéraux, préparations de vitamines, vitamines et minéraux, compléments alimentaires, diététiques et nutritionnels".La marque litigieuse "BURN" a été déposée le 29 décembre 2017, date à laquelle doit être appréciée la renommée des marques dont est titulaire la société Energy Beverages LLC. 36. Pour ce faire, la société Energy Beverages LLC. produit aux débats un certain nombre d'éléments permettant d'étayer le succès commercial de sa marque auprès de son public cible, à savoir les jeunes adultes âgés de 18 à 34 ans. 37. Elle verse notamment aux débats une "déclaration de témoin" de M. [V] C. [D], président directeur général de la société Monster Beverage, dont la société Energy Beverage est une filiale, datée du 19 mars 2019, en pièce no13. Si cette attestation n'est pas régulière en la forme au sens de l'article 202 du code de procédure civile, les informations qu'elle contient sont, pour la plupart d'entre elles, étayées par d'autres pièces versées aux débats. 38. Il y est ainsi fait référence à la vente des produits, dont la part de marché augmente au fil des années. M. [D] déclare: "En 2017, ma Société a vendu environ 211 millions de canettes de boissons énergisantes BURN [dans le monde], ce qui s'est traduit par des ventes mondiales de plus de 66,9 millions de dollars américains, [...] plus de 76 millions de canettes de boissons énergisantes BURN dans l'Union européenne, ce qui s'est traduit par un chiffre d'affaires de plus de 28 millions de dollars américains, [...] et plus de 2,2 millions de canettes de boissons énergisantes BURN en France, pour un chiffre d'affaires supérieur à 587 000 dollars américains." Si ces données déclaratives ne sont pas corroborées par des documents comptables, la société Energiy Beverage LLC. produit aux débats en pièce no30 de nombreuses factures de commercialisation des boissons BURN dans l'Union Européenne (au Danemark, en Hongrie, en République Tchèque, en Espagne, en Pologne, en Estonie), pendant la période litigieuse, dont les données financières sont grisées. Parmi elles, figurent des factures de livraison en France (datées du 16 janvier 2016, du 12 mars 2016 , du 16 avril 2016, du 28 mai 2016 et du 13 août 2016, période précédant l'année 2017 et le dépôt de la marque litigieuse) portant sur 864.000 cannettes de boissons. La société Energy Beverage produit également des factures de commercialisation de produits dérivés, notamment pour des stickers, en France, en 2017. 39. La société Energy Beverage LLC. établit en outre, au moyen de photographies de rayons et points de vente notamment, que ses produits BURN sont largement proposés à la vente depuis les canaux de la grande distribution (super et hypermarchés) jusqu'aux épiceries et stations services de proximité. 40. M. [D] indique ensuite dans sa déclaration, à nouveau sans l'étayer par des pièces financières, que "D'octobre 2015 à septembre 2018, [s]a Société a dépensé environ 1,2 million de dollars américain en ventes et marketing en France". La société demanderesse démontre toutefois les démarches promotionnelles, que ce soit par des clips vidéos dont plusieurs sont produits et concernent les années 2000 ou par une présence sur les réseaux sociaux, la société justifiant à ce titre au moyen d'une capture d'écran de la page Facebook de BURN® (https://www.facebook.com/BurnEnergy/), créée en 2010, que le compte de la marque est actuellement suivi par plus de 2,9 millions d'abonnés. 41. Enfin, la société rapporte la preuve de son activité de sponsoring de festivals de musique internationaux et nationaux, d'événements sportifs (de Formule 1 entre 2012 et 2014, pour les jeux Olympiques de Sotchi en 2014, puis pour des compétitions de snowboard et de skateboard), d'athlètes, d'événements et compétitions de danse (hip-hop "Battle school, clubs de musique, DJs). 42. Au regard de l'ensemble de ce faisceau d'éléments, le tribunal estime que la société Energy Beverage LLC. démontre le succès commercial de ses marques, sa connaissance par une partie significative du public concerné dans une partie suffisante de l'Union Européenne. Leur renommée, à l'égard du public pertinent, est ainsi prouvée. 43. Or, la marque dont est titulaire M. [U] est identique, sur les plans visuels, phonétiques et conceptuels, à celles dont la société Energy Beverage LLC. est titulaire. Le public cible, à savoir le jeune public 18-34 ans est également particulièrement concerné par le tabagisme et les produits du tabac, classe de produits dans laquelle la marque de M. [U] est enregistrée (classe 34). De ce fait, ce consommateur pertinent, raisonnablement attentif et avisé, pourra tout à fait faire un lien entre les deux marques "BURN". M. [U] tire ainsi profit de la renommée et du pouvoir d'attraction de la marque de la société Energy Beverage, qui peut par ailleurs s'en trouver avilisée, le marché qu'elle investit, jeune et sportif, n'étant pas compatible avec les produits du tabac vantés par M. [U]. 44. La société Energy Beverage est donc bien fondée à poursuivre la nullité de la marque BURN dont est titulaire M. [U]. 45. Au surplus, la société Energy Beverage LLC. évoque le caractère descriptif pour les produits et services pour lesquels elle est enregistrée, qui doit s'apprécier au jour de son dépôt et au regard de l'impression d'ensemble qu'elle procure. 46. L'article L. 711 -1 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de la loi no91-7 du 4 janvier 1991 applicable au présent litige, définit la marque de produits ou de services comme "un signe servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale de ceux d'autres personnes physiques ou morales. Ce signe doit pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l'objet de la protection conférée à son titulaire". 47. Cet article doit être interprété à la lumière des dispositions de l'article 3 de la directive CE no 2008/95 du 22 octobre 1995 alors en vigueur, selon lesquelles "Sont refusés à l'enregistrement ou sont susceptibles d'être déclarés nuls s'ils sont enregistrés:a) les signes qui ne peuvent constituer une marque;b) les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif;c) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l'époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d'autres caractéristiques de ceux-ci; d) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d'indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce; e)les signes constitués exclusivement: i) par la forme imposée par la nature même du produit, ii) par la forme du produit nécessaire à l'obtention d'un résultat technique,iii) par la forme qui donne une valeur substantielle au produit;f) les marques qui sont contraires à l'ordre public ou aux bonnes moeurs; g) les marques qui sont de nature à tromper le public, par exemple sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service. [...]" 48. L'article L.711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de la loi no91-7 du 4 janvier 1991 applicable au présent litige, ajoute que :"Le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie à l'égard des produits ou services désignés.Sont dépourvus de caractère distinctif :a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation de service ;c) Les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.Le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c, être acquis par l'usage." 49. Or, en l'espèce, le mot "BURN" dont est exclusivement composée la marque déposée par M. [U] pour désigner le "tabac" et les "articles pour fumeurs, allumettes", est un verbe anglais qui se traduit par "brûler" en langue française. Il est facilement compris par une très grande partie du public français et décrit une caractéristique mise en avant des produits de la classe 34 dans laquelle la marque est enregistrée, qu'il s'agisse d'articles pour fumeur, qui nécessitent d'être brûlés pour remplir leur fonction, que des allumettes, dont l'extrêmité s'enflamme par friction. 50. En conséquence, il apparaît que le terme " BURN " est, en tout état de cause, descriptif pour désigner des produits du tabac, articles pour fumeurs ou allumettes. 51. Au regard de l'ensemble de ces considérations, il y a lieu de prononcer la nullité de la partie française de la marque internationale détenue par M. [U] et enregistrée en classe 34. Sur les demandes annexes 52. Succombant, M. [U] sera tenu aux dépens de l'instance dont distraction au profit de Me Géraldine Arbant, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. 53. Supportant les dépens, il sera condamné à payer à la société Energy Beverages LLC. la somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 54. Compte-tenu de la nature de l'affaire, il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision. PAR CES MOTIFS Le Tribunal, après débats en audience publique, par jugement réputé contradictoire, rendu en premier ressort par mise à disposition au greffe, PRONONCE la nullité de la partie française de la marque verbale internationale " BURN " désignant la France déposée le 29 décembre 2017 et enregistrée sous le no1398120 en classe 34 pour désigner notamment le " tabac " et les " articles pour fumeurs, allumettes " dont est titulaire M. [C] [U] ; DIT que la présente décision, une fois passée en force de chose jugée, sera transmise à l'INPI pour sa transcription sur le registre national des marques ainsi qu'à l'OMPI en vue de son inscription au Registre international des marques, à l'initiative de la partie la plus diligente ; CONDAMNE M. [C] [U] aux entiers dépens de la présente instance dont distraction au profit de Me Géraldine Arbant, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ; CONDAMNE M. [C] [U] à verser à la société Energy Beverages LLC la somme de 4.000 euros (quatre mille euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile; DIT n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision. Fait et jugé à Paris le 13 avril 2023 LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
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JURITEXT000047636347
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 20 avril 2023, 21/14626
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2023-04-20
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/14626
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 21/14626 No Portalis 352J-W-B7F-CVIBI No MINUTE : Incident ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETATrendue le 20 avril 2023DEMANDERESSE S.A.S.U. CAMPBELL SCIENTIFIC FRANCE (anciennement COROBOR SYSTEMS)[Adresse 7][Localité 11] représentée par Me Camille PECNARD du CABINET LAVOIX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E1626 DÉFENDEURS Monsieur [E] [N][Adresse 9][Localité 12] représenté par Me Sarah LEVY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0471 Monsieur [J] [L][Adresse 3][Localité 12] Monsieur [T] [A][Adresse 5][Localité 6] Monsieur [W] [R][Adresse 19][Localité 13] (ROUMANIE) S.A.S. EVOLUTIO SERVICES[Adresse 5][Localité 6] Société SC SKYLIGHT DEV SRL-D[Adresse 19][Localité 13] (ROUMANIE) représentés par Me Stéphane PERRIN de la SELARL DELSOL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0513 Monsieur [C] [S][Adresse 4] [Localité 18] (THAÏLANDE) Société [C] [S] CONSULTING LIMITED[Adresse 20], [Localité 15], HONG KONG représentés par Me Emmanuelle HOFFMAN de la SELARL HOFFMAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0610 MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeassistée de Caroline REBOUL, Greffière DÉBATS A l'audience du 13 février 2023, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 16 mars 2023. Le délibéré a été prorogé en dernier lieu au 20 avril 2023. ORDONNANCE Prononcée publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE : 1. La société Corobor Systems, devenue Campbell Scientific France à la suite de sa cession au groupe américain Campbell Scientific Inc., conçoit, développe et commercialise, depuis 1992, époque de sa création par M. [J] [L], des systèmes d'information pour la météorologie, en particulier pour les centres météorologiques, les aéroports et les forces armées. 2. La société Campbell expose avoir conçu un logiciel dénommé "Messir" se présentant sous la forme de 8 modules distincts mais complémentaires (Messir-Comm, Messir-Wis, Messir-Vision, Messir-Aero, Messir-Clim, Messir-Média, Messir-Sat et Messir-Neo), commercialisés exclusivement en "mode projet". Le code source du logiciel Messir a fait l'objet d'un dépôt auprès de l'Agence pour la Protection des Programmes le 16 octobre 2020. 3. Le 26 mai 2020, la société Campbell a été victime d'une intrusion frauduleuse dans ses systèmes d'information, du vol et de la suppression de ses données. Cet incident est survenu le soir-même de la mise à pied conservatoire de l'un de ses salariés, M. [E] [N]. 4. Une plainte contre X a été déposée entre les mains du procureur de la République le 29 mai 2020 du chef d'accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données. 5. Après le licenciement de M. [N], en juin 2020, la société Campbell a été autorisée par le délégataire du président du tribunal judiciaire de Créteil à faire diligenter au domicile de M. [E] [N] des opérations de constat sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile. Ces opérations ont, selon la requérante, permis de mettre en évidence la commercialisation par M. [E] [N], M. [J] [L], M. [T] [A], la société de droit français Evolutio Services, M. [C] [S], la société de droit hongkongais [C] [S] Consulting Limited, M. [W] [R] et la société de droit roumain Skylight Dev Srl-d, d'une suite logicielle contrefaisant selon elle le logiciel Messir. 6. Le 26 octobre 2020, la société Campbell Scientific France a déposé une nouvelle plainte entre les mains du procureur de la République du chef de vol, abus de confiance, recel et complicité de ces délits, ainsi que du chef de contrefaçon commise en bande organisée, visant l'ensemble des défendeurs à savoir M. [E] [N], M. [J] [L], M. [T] [A], la société Evolutio Services, M. [C] [S], la société [C] [S] Consulting Limited, M. [W] [R] et la société Skylight Dev Srl-d. 7. Par une ordonnance du 10 décembre 2020, le président du tribunal de Créteil a rejeté la demande de rétractation présentée par M. [N]. 8. C'est dans ce contexte que, par actes d'huissier des 15, 19, 22, 27 octobre, et 25 novembre 2021, la société Campbell a fait assigner M. [N], M. [L], M. [A], la société Evolutio Services, M. [C] [S], la société [C] [S] Consulting Ltd, M. [R] et la société Skylight Dev, devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de logiciel aux fins d'obtenir l'arrêt des actes de contrefaçon, de concurrence déloyale et de parasitisme commis selon elle par les défendeurs ensemble, ainsi que la réparation du préjudice subi. 9. Par des conclusions d'incident notifiées électroniquement les 13,14 juin et 04 août 2022, MM. [L],[A] et [R] et les sociétés Evolutio Services et Skylight Dev, de première part, M. [S] et la société [C] [S], de deuxième part, et M. [N], de troisième part, demandent au juge de la mise en état, in limine litis, de déclarer nulle l'assignation qui leur a été délivrée à la requête de la société Campbell Scientific France (ex Corobor Systems), et de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale engagée par cette société et référencée sous le numéro de Parquet 20 371 000 172. MM. [L],[A] et [R] et les sociétés Evolutio Services et Skylight Dev demandent également au juge de la mise en état de déclarer la société Corobor Systems irrecevable à agir à l'encontre, faute de démontrer sa qualité de cessionnaire des droits de la société Evolutio Services. 10. Par des cnclusions d'incident no2 notifiées par la voie électronique le 23 novembre 2022, M. [N] depande au juge de la mise en état de : - PRONONCER in limine litis la nullité de l'assignation délivrée par la société Corrobor Systems à M. [N] ; Subsidiairement, - ORDONNER le sursis à statuer de la présente instance jusqu'à l'issue de l'enquête préliminaire enregistrée sous le no 20 317 000 172 actuellement entre les mains du procureur de la République de Créteil ; A titre infiniment subsidiaire, - DEBOUTER la société Corobor Systems de la demande d'expertise judiciaire formulée par voie de conclusions d'incident notifiées le 17 octobre 2022 ; En tout état de cause, - CONDAMNER la société Corobor Systems à verser à M. [N] la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; - CONDAMNER la société Corobor Systems aux entiers dépens. 11. Par des conclusions d'incident no2 notifiées par la voie électronique le 22 novembre 2022, M. [S] et la société [C] [S] demandent au juge de la mise en état de : - In limine litis, DÉCLARER nulle l'assignation délivrée le 19 octobre 2021 par la société Corobor Systems ; - SURSEOIR À STATUER dans l'attente de l'issue de la procédure pénale engagée par la société Corobor Systems référencée sous le numéro de Parquet 20 371 000 172 ; - ORDONNER l'exécution provisoire de l'ordonnance à intervenir ; - CONDAMNER la société Corobor Systems à verser à M. [C] [S] et à la société [C] [S] Consulting la somme de 3.000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; - CONDAMNER la société Corobor aux entiers dépens sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile. 12. Par des conclusions d'incident notifiées électroniquement le 22 novembre 2022, MM. [L],[A] et [R] et les sociétés Evolutio Services et Skylight Dev, demandent au juge de la mise en état de : - PRONONCER la nullité de l'assignation délivrée le 19 octobre 2021 à MM. [L], [A], [R], les sociétés Evolutio Services Skylight Dev Srl-d, à la requête de la société Corobor Systems en toutes fins qu'elle comporte ; A titre subsidiaire, - ORDONNER qu'il sera sursis à statuer sur la présente instance jusqu'à l'issue de l'enquête préliminaire no20 317 000 172 pendante entre les mains du Procureur de la République de Créteil, visant MM. [L], [A], [R], les sociétés Evolutio Services et Skylight Dev Srl-d ; A titre très subsidiaire, - DEBOUTER la société Corobor Systems de la demande d'expertise judiciaire formée aux termes des conclusions d'incident du 17 octobre 2022 ; A titre infiniment subsidiaire, - DECLARER la société Corobor Systems irrecevable à agir à l'encontre de MM. [L], [A], [R], les sociétés Evolutio Services Skylight Dev Srl-d, sur le fondement de la prétendue contrefaçon des logiciels Messir-clim, Messir-media, Messir-sat, Messir-net et Messir-vision, faute de démontrer sa qualité de cessionnaire des droits de la société Evolutio Services ; En tout état de cause, - DEBOUTER la société Corobor Systems de ses demandes plus amples ou contraires; - CONDAMNER la société Corobor Systems à verser à MM. [L], [A], [R], les sociétés Evolutio Services Skylight Dev Srl-d, chacun, la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, - CONDAMNER la société Corobor Systems aux entiers dépens de l'incident dont distraction au profit de Me Stéphane Perrin. 13. Dans ses conclusions d'incident no2 notifiées électroniquement le 9 janvier 2023, la société Campbell Scientific France demande au juge de la mise en état de : - REJETER les demandes de nullité de l'assignation ; - REJETER les demandes de sursis à statuer ; - JUGER que la société Corobor est recevable à agir à l'encontre des défendeurs, en particulier M. [T] [A] et la société Evolutio Services ; - DEBOUTER les défendeurs de toutes leurs demandes, fins et prétentions ; A titre subsidiaire, - RENVOYER la fin de non-recevoir soulevée par les défendeurs [L], [A], [R], les Sociétés Evolutio Services et Skylight Dev Srl-d devant la formation de jugement afin qu'elle soit examinée sur le fond avec le reste de l'entier litige ; - ORDONNER la mise en place d'un cercle de confidentialité, Et dans ce cadre : - ORDONNER une mesure d'expertise et désigner pour y procéder M. [G] [P], [Adresse 10], Port. [XXXXXXXX02], Email : [Courriel 14], Avec pour mission de : * Se faire remettre par Maître [B] [M], huissier de justice salariée à [Localité 17], la clé annexée au procès-verbal de constat du 2 juillet 2020 ; * Se faire remettre par l'avocat constitué de la société Campbell Scientific France une copie des codes source et objet des Logiciels Messir ; - Réunir un cercle de confidentialité constitué d'un avocat constitué, pour chaque partie (et ses collaborateurs ou salariés informés des obligations découlant de l'article L. 153-2 du code de commerce) ; - Recueillir les explications des avocats des parties et se faire remettre toute pièce qui s'avèrerait nécessaire à l'exécution de sa mission ; - Procéder à l'examen et à la comparaison technique des codes remis par la société Campbell Scientific France et ceux présents sur la clé USB annexée au procès-verbal ; - Dresser un rapport de ses constatations ; - DIRE que les opérations ci-dessous décrites se dérouleront dans un cadre confidentiel sous la direction de l'expert désigné et que les personnes présentes, à l'exception de l'expert, signeront un accord de confidentialité ; - DIRE que l'expert fera deux copies de l'intégralité des documents saisis, qui lui seront remis et qu'il conservera pendant toute la durée de la procédure actuellement pendante entre les parties; - DIRE que l'expert devra rendre son rapport au greffe de la juridiction dans un délai de 6 mois suivant la consignation ; - DIRE que le rapport rédigé par l'expert à l'issue de sa mission ne sera divulgué qu'aux avocats des parties ainsi qu'au magistrat chargé de l'affaire ; - RAPPELER que l'obligation de confidentialité perdure à l'issue de la présente procédure ; - DIRE que l'expert pourra se faire assister, dans l'accomplissement de sa mission par tout sapiteur de son choix qui interviendra sous son contrôle et sa responsabilité et pourra prendre l'initiative de recueillir l'avis d'un autre technicien dans une spécialité différente de la sienne ; - FIXER la provision sur les frais d'expertise qui devra être consignée à part égales par chacune des parties, dans un délai de 15 jours à compter de la décision à intervenir et que la part non payée par l'une des parties pourra être payée par une autre dans un délai complémentaire de 15 jours à compter de l'expiration du premier délai précité ; - DIRE que faute de consignation de la totalité de la provision demandée dans les délais impartis, la mesure d'expertise ordonnée sera déclarée caduque et privée d'effet ; En tout état de cause, - JUGER qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire de la décision à intervenir ; - CONDAMNER les défendeurs à payer in solidum à la société Campbell Scientific France la somme de 20.000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile ; - CONDAMNER les défendeurs à payer in solidum à la société Campbell Scientific France l'ensemble des frais de justice qui seront recouvrés par Maître Camille Pecnard du Cabinet Lavoix, en application de l'article 699 du code de procédure civile. 14. L'incident a été plaidé à l'audience du 13 février 2023 au cours de laquelle les parties ont développé les termes de leurs conclusions.MOTIFS DE LA DÉCISION 1o) Sur la nullité de l'assignation Moyens des parties 15. Les défendeurs soutiennent être dans l'incapacité d'identifier le logiciel sur lequel des droits sont revendiqués et soulignent que l'assignation entretient un certain flou de ce chef. Les défendeurs ajoutent que ni l'assignation, ni des conclusions ultérieures ne décrivent l'originalité du logiciel, ni ne dévoilent le code source de ce logiciel, les plaçant ainsi dans l'impossibilité de se défendre et de déterminer ce qui leur est précisément reproché. Les défendeurs font valoir que la description des fonctionnalités du logiciel Messir ne vaut en aucun cas description de son originalité, ainsi que le souligne de manière univoque, selon eux, la jurisprudence qu'ils versent aux débats. 16. La société Campbell Scientific France conclut quant à elle à la validité de son assignation. Elle rappelle les descriptions de la suite logicielle Messir qui y figure, tandis que la jurisprudence versée aux débats par les demandeurs à l'incident ne concerne que des affaires au fond (la caractérisation de l'originalité étant une condition du bien fondé de l'action) et non des ordonnances de juges de la mise en état ayant prononcé l'annulation d'une assignation. A titre subsidiaire, la société Campbell Scientific France propose la communication du logiciel dans le cadre d'un cercle de confidentialité. Appréciation du juge de la mise en état 17. Aux termes de l'article 789 du code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour: 1o Statuer sur les exceptions de procédure. Selon l'article 56 du même code, l'assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d'huissier de justice et celles énoncées à l'article 54 : (...) 2o Un exposé des moyens en fait et en droit. Les articles 114 et 115 précisent qu'aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public. La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public. La nullité est couverte par la régularisation ultérieure de l'acte si aucune forclusion n'est intervenue et si la régularisation ne laisse subsister aucun grief. 18. Ces dispositions sont constamment interprétées comme imposant au demandeur de décrire avec précision l'oeuvre sur laquelle des droits sont revendiqués et ce, afin de permettre au défendeur d'organiser utilement sa défense et en particulier de contester l'originalité alléguée (en caractérisant l'absence d'apport intellectuel de son auteur) et la contrefaçon elle-même (en démontrant qu'il n'utilise pas le logiciel objet de la demande). 19. En l'occurrence, la société Campbell décrit le logiciel sur lequel elle revendique des droits d'auteur, comme une suite offrant aux utilisateurs des fonctionnalités différentes mais liées, dont elle expose l'architecture globale par un shéma figurant en page 12 de son assignation, et chacune des fonctionnalités offertes en pages 8 à 11 de son assignation. La demanderesse précise encore dans son assignation que le code source, pour partie commun aux différents éléments de la suite logicielle, est écrit en langage C++ et que l'interface graphique de chaque module est similaire et conçue pour permettre une prise en main facile et intuitive par les utilisateurs, tout en permettant le traitement d'une quantité très importante de données. 20. Force est de constater que ces éléments permettent aux défendeurs de connaître l'objet de la demande (en particulier la forme visible du logiciel) et ainsi d'organiser leur défense, de sorte que la nullité n'est pas encourue, ce d'autant moins que la société Campbell Scientific France offre de communiquer la totalité de la forme programmée de son logiciel dans le cadre d'un cercle de confidentialité. Au surplus, ainsi que le rappelle à juste titre la société Campbell Scientific France, la caractérisation de l'originalité est une condition de fond de l'action en contrefaçon. La demande d'annulation de l'assignation est donc rejetée. 2o) Sur le sursis à statuer Moyens des parties 21. Les défendeurs soutiennent que les enquêtes préliminaires actuellement en cours auront nécessairement un impact, direct et déterminant, sur la présente affaire, ce qui justifie selon eux de prononcer un sursis à statuer jusqu'à l'issue de cette enquête. 22. La société Campbell Scientific France s'oppose pour sa part au sursis sollicité. Elle rappelle avoir déposé des plaintes simples, de sorte que les conditions d'un sursis obligatoire ne sont pas remplies. Elle ajoute que la demande de sursis ne vise qu'à retarder exagérément l'avancement de l'affaire. Appréciation du juge de la mise en état 23. Selon l'article 4 alinéa 3 du code de procédure pénale, l'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction prévue par l'article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique. Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement. La mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil. 24. La mise en mouvement de l'action publique s'entend de la saisine d'une juridiction (d'instruction ou de jugement). Tel n'est pas le cas ici puisque les deux plaintes font toujours l'objet d'une (simple) enquête préliminaire. Les conditions du sursis obligatoire au sens de l'article 4 du code de procédure pénale ne sont donc pas réunies. 25. Un tel sursis n'apparaît pas davantage motivé par l'intérêt d'une bonne administration de la justice ici. La demande de sursis à statuer est donc rejetée. 3o) Sur la fin de non-recevoir Moyens des parties 26. M. [A] et la société Evolutio revendiquent la qualité de co-auteur des logiciels de M. [A] et soutiennent que la cession de ses droits n'est pas valablement intervenue, les droits de propriété intellectelle ayant fait l'objet d'une clause de cession générale, en violation des dispositions de l'article L.131-3 du code de la propriété intellectuelle. 27. La société Campbell Scientific France sollicite le renvoi de cette fin de non-recevoir au fond et, subsidiairement, soutient que les dispositions de l'article L.131-3 du code de la propriété intellectuelle ne s'appliquent pas au contrat passé entre la société Evolution et la société Corobor. Appréciation du juge de la mise en état 28. Selon l'article L. 131-2 du code de la propriété intellectuelle (dans sa version en vigueur depuis le 01 octobre 2016), "Les contrats de représentation, d'édition et de production audiovisuelle définis au présent titre doivent être constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d'exécution. Les contrats par lesquels sont transmis des droits d'auteur doivent être constatés par écrit. Dans tous les autres cas, les dispositions des articles 1359 à 1362 du code civil sont applicables." 29. L'article L. 131-3 de ce même code prévoit que "La transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée. Lorsque des circonstances spéciales l'exigent, le contrat peut être valablement conclu par échange de télégrammes, à condition que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité conformément aux termes du premier alinéa du présent article. Les cessions portant sur les droits d'adaptation audiovisuelle doivent faire l'objet d'un contrat écrit sur un document distinct du contrat relatif à l'édition proprement dite de l'oeuvre imprimée. Le bénéficiaire de la cession s'engage par ce contrat à rechercher une exploitation du droit cédé conformément aux usages de la profession et à verser à l'auteur, en cas d'adaptation, une rémunération proportionnelle aux recettes perçues."30. Ces dispositions sont constamment interprétées en ce sens que l'article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle, qui ne vise que les contrats énumérés à l'article L. 131-2, alinéa 1er, à savoir les contrats de représentation, d'édition et de production audiovisuelle, ne s'applique pas aux autres contrats : Cass. Civ. 1ère, 21 novembre 2006, pourvoi no 05-19.294. 31. La transmission des droits d'auteur est bien constatée par écrit ici, tandis que les dispositions de l'article L. 131-3, qui ne s'appliquent qu'à la cession des droits de l'auteur (entre M. [A] et la société Evolutio) ne s'appliquent pas au contrat conclu entre les sociétés Evolutio et Corobor. Il en résulte que la cession de droits d'auteur, constatée par écrit, doit être considérée comme étant valable, de sorte que les demandes de la société Campbell Scientific France dirigées contre M. [A] et la société Evolutio sont recevables. 4o) Sur la mesure d'expertise Moyens des parties 32. La société Campbell Scientific France sollicite l'organisation d'une mesure d'expertise dans le cadre d'un cercle de confidentialité aux fins de comparaison de la suite logicielle Messir avec le logiciel saisi au domicile de M. [N]. 33. Les défendeurs s'opposent à la mesure d'expertise qu'ils estiment inutile, les opérations de constat étant selon eux suffisantes pour établir la preuve de la prétendue contrefaçon. Appréciation du juge de la mise en état 34. Selon l'article 232 du code de procédure civile, "Le juge peut commettre toute personne de son choix pour l'éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d'un technicien." 35. La solution du litige commande ici de désigner un expert informatique afin de comparer, dans un cadre confidentiel, les codes sources des logiciels en cause, d'une part la suite "Messir" conçue par la société demanderesse, selon la version déposée auprès de l'APP le 16 octobre 2020, et d'autre part le logiciel saisi par Me [M] le 2 juillet 2020 au domicile de M. [N], à l'époque salarié de la société Campbell Scientific France. 36. Les dépens seront réservés, de même que les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS, LE JUGE DE LA MISE EN ÉTAT, REJETTE l'exception de procédure tirée de la nullité de l'assignation délivrée aux défendeurs à la requête de la société Campbell Scientific France ; REJETTE la demande de sursis à statuer ; ECARTE la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société Campbell Scientific à l'encontre de M. [A] et de la société Evolutio ; ORDONNE une mesure d'expertise et désigne pour y procéder :M. [K] [X]expert inscrit sur la liste dressée par la Cour d'appel de Paris, [Adresse 8]tel : [XXXXXXXX01], [Courriel 16], Avec pour mission de : * Se faire remettre par Maître [B] [M], huissier de justice salariée à [Localité 17], la clé annexée au procès-verbal de constat du 2 juillet 2020 ; * Se faire remettre par l'avocat constitué de la société Campbell Scientific France une copie des codes source et objet des Logiciels Messir tels que déposés auprès de l'APP le 16 octobre 2020; * Réunir un cercle de confidentialité comprenant :- l'avocat constitué de chaque partie (et ses collaborateurs ou salariés informés des obligations découlant de l'article L. 153-2 du code de commerce),- les défendeurs personnes physiques ainsi qu'un représentant (personne physique) de chaque personne morale défenderesse (également informé des obligations découlant de l'article L. 153-2 du code de commerce ); * Recueillir les explications des avocats des parties et se faire remettre toute pièce qui s'avèrerait nécessaire à l'exécution de sa mission ; * Procéder à l'examen et à la comparaison technique des codes remis par la société Campbell Scientific France et ceux présents sur la clé USB annexée au procès-verbal, en s'attachant à décrire les ressemblances ; * Dresser un rapport de ses constatations ; DIT que les opérations ci-dessous décrites se dérouleront dans un cadre confidentiel sous la direction de l'expert désigné et que les personnes présentes, à l'exception de l'expert, signeront un accord de confidentialité ; DIT que l'expert fera deux copies de l'intégralité des documents saisis, qui lui seront remis et qu'il conservera pendant toute la durée de la procédure actuellement pendante entre les parties; DIT que l'expert devra rendre son rapport au greffe de la juridiction dans un délai de 6 mois suivant la consignation ; DIT que le rapport rédigé par l'expert à l'issue de sa mission ne sera divulgué qu'aux avocats des parties ainsi qu'au magistrat chargé de l'affaire ; RAPPELLE que l'obligation de confidentialité perdure à l'issue de la présente procédure ; DIT que l'expert pourra se faire assister, dans l'accomplissement de sa mission par tout sapiteur de son choix qui interviendra sous son contrôle et sa responsabilité et pourra prendre l'initiative de recueillir l'avis d'un autre technicien dans une spécialité différente de la sienne ; FIXE à la somme de 5.000 euros (cinq mille euros) la provision à valoir sur les frais d'expertise qui devra être consignée à la Régie du Tribunal par la société Campbell Scientific France, dans un délai de 20 jours à compter de la présente décision ;DIT que faute de consignation de la totalité de la provision demandée dans les délais impartis, la mesure d'expertise ordonnée sera déclarée caduque ; RÉSERVE les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de plein droit ; RENVOIE l'affaire à l'audience de mise en état dématérialisée du 28 novembre 2023 à 10h00 ; Faite et rendue à Paris le 20 avril 2023. LA GREFFIÈRE LA JUGE DE LA MISE EN ETAT
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JURITEXT000047636348
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 20 avril 2023, 19/11540
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2023-04-20
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Tribunal judiciaire de Paris
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19/11540
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 19/11540 No Portalis 352J-W-B7D-CQZ3P No MINUTE : Assignation du :04 octobre 2019 JUGEMENT rendu le 20 avril 2023 DEMANDERESSE S.A.S. ETABLISSEMENTS EMILY[Adresse 2][Localité 1] représentée par Me François GREFFE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0617 DÉFENDERESSE Société ROBERT INTERNATIONAL[Adresse 5][Adresse 3] (BELGIQUE) représentée par Me Guillaume HENRY de l'AARPI SZLEPER HENRY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0017 COMPOSITION DU TRIBUNAL Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeElodie GUENNEC, Vice-présidenteMalik CHAPUIS, Juge, assistés de Caroline REBOUL, Greffière DEBATS A l'audience du 08 novembre 2022 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 16 février 2023. Le délibéré a été prorogé en dernier lieu au 20 avril 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort 1. La société Etablissements Emily, fondée le 3 janvier 1974, a pour principale activité la fabrication, la vente et la réparation de matériel agricole. 2. Elle est à ce titre titulaire du brevet européen EP 3 033 938 (ci-après EP 938), déposé le 17 décembre 2015 et délivré le 2 août 2017, intitulé "Dérouleuse pailleuse" et désignant notamment la France. Les revendications de ce brevet désignent en substance une machine agricole destinée à automatiser le paillage du foin ou autre fourrage, à savoir le fait de déchiqueter une botte de fourrage avant d'en projeter les fibres sur le sol, et le déroulage, entendu comme le fait de dérouler une botte de foin cylindrique au sol. 3. La société de droit belge Robert International a pour activité principale la fabrication et la commercialisation de matériel agricole. Elle fabrique et commercialise à ce titre une machine dite "dérouleuse-pailleuse". 4. A l'occasion du [Localité 6] international de l'élevage pour toutes les productions animales (ci-après le salon SPACE) qui s'est tenu [Localité 4] du 10 au 13 septembre 2019, la société Emily a constaté que la société Robert International exposait et proposait la vente une machine "dérouleuse-pailleuse". 5. Estimant que cette machine reproduisait les revendications 1, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 14, 15, 16 et 17 de son brevet EP 938, la société Emily a sollicité, sur requête du 11 septembre 2019, l'autorisation de faire procéder à une saisie-descriptive de la machine exposée au salon SPACE. Conformément à une ordonnance du juge délégué par le président du tribunal de grande instance de Paris du 11 septembre 2019, les opérations de saisie ont été diligentées le 12 septembre 2019. 6. C'est dans ce contexte que, par acte du 4 octobre 2019, la société Etablissements Emily a assigné la société Robert International devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de brevet. 7. Une seconde saisie-contrefaçon a été ordonnée par le président de la 3ème section de la 3ème chambre de ce tribunal saisie du litige, le 8 avril 2021, sollicitée par une requête du même jour. Suivant cette ordonnance, des opérations de saisie-contrefaçon se sont déroulées le 14 avril 2021 au siège de l'EARL Costil. 8. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 mai 2021, la société Etablissements Emily demande au tribunal de : -débouter la société Robert International de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'encontre de la société Etablissements Emily,-condamner la société Robert International à payer à la société Etablissements Emily la somme provisionnelle de 200 000 euros au titre de la contrefaçon des revendications 1, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 14, 15, 16 et 17du brevet EP 3 033 938.B1 du 2 août 2017 qui a pour titre « Dérouleuse-Pailleuse » ,-ordonner à la société Robert International de lui communiquer sous astreinte de 500 euros par jour de retard le nombre de machines contrefaisantes DRB200 avec option pailleur KP qu'elle aura fabriquées et vendues, avec facture à l'appui, ainsi que le numéro de série de chacune de ces machines,-subsidiairement, condamner la société Robert International à lui payer la somme de 200 000 euros sur en réparation de son préjudice causé par des actes de concurrence parasitaire,-condamner la société Robert International à lui payer la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice causé par des « agissements de concurrence parasitaire »,-ordonner la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux au choix de la société Etablissements Emily aux frais de la société Robert International dont le coût de chacune de ces publications ne saurait être inférieur à 10 000 euros H.T.,-interdire sous astreinte de 30 000 euros par infraction constatée à la société Robert International de poursuivre la fabrication et la commercialisation du modèle contrefaisant,-ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,-condamner la société Robert International à lui payer la somme de 30 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,-condamner la société ETABLISSEMENTS EMILY aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître François GREFFE, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, 9. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 novembre 2021, la société Robert International demande au tribunal de : -prononcer la nullité des revendications 1, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 14, 15, 16 et 17 de la partie française du brevet EMILY EP 938 pour défaut d'activité inventive, -dire qu'une fois le jugement définitif, il sera inscrit sur les registres de l'INPI par la partie la plus diligente ;-subsidiairement, annuler les procès-verbaux de saisie-contrefaçon du 12 septembre 2019 et du 14 avril 2021, et débouter la société Emily de ses demandes,-débouter la société EMILY de toutes ses demandes,-condamner la société Emily à lui payer la somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens dont distraction au profit de Maître Guillaume Henry, avocat. 9. Il est renvoyé aux dernières écritures des parties et à leurs observations à l'audience pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions qui y sont contenus. 10. L'ordonnance de clôture est datée du 14 avril 2022, l'affaire a été plaidée le 8 novembre 2022 et la décision rendue par mise à disposition au greffe le 20 avril 2023. SUR CE 1. Présentation du brevet EP 3 033 938 11. L'invention porte sur une machine agricole nommée « dérouleuse-pailleuse » présentant deux fonctions alternatives. La première est de déchiqueter, afin de projeter au sol, une botte de fourrage cylindrique, parallélépipédique, pour former une litière pour les animaux de ferme : le « paillage ». La seconde est de dérouler une botte cylindrique sur le sol ou dans des mangeoires pour servir d'alimentation aux animaux, comme des bovins : le « déroulage » (page 1, §1 à §4). 12. Le brevet enseigne que l'état de la technique connait déjà des machines mono-fonctions, dérouleuses ou pailleuses, mais également des machines bi-fonctions alliant les fonctions de paillage et de déroulage. Ces dernières machines reposent alors sur un « bras articulé » positionnant un rotor actif déchiquetant la paille afin de paillage, mais pouvant être escamoté en étant passif pour permettre le déroulage. Les deux fonctions sont alors toujours positionnées du même coté de la machine (page 1, §5 à §10). 13. Le brevet cherche « à concevoir une machine capable d'améliorer l'efficacité du paillage et d'améliorer l'efficacité du déroulage » (§11), en rappelant qu'une machine sans bras antérieur est moins coûteuse et simple à réaliser (§5, §13 et §17) et que le bras articulé d'un unique côté peut causer des bourrages en position « paillage », sauf à l'écarter ce qui réduit l'efficacité du paillage (§8 et §99). 14. Le moyen technique proposé par le brevet est une machine positionnant les opérations de paillage et de déroulage de deux côtés différents. Celle-ci est décrite comme constituée d'un « moyen d'appui » destiné à réceptionner la botte, pouvant la dérouler dans deux sens par un « moyen d'entrainement » soit vers un « organe de paillage », soit vers un « moyen de retenue » permettant son déroulage (§11).15. La figure 6 décrit ainsi l'appareil fonctionnant en « dérouleuse ». La botte de paille montée sur un châssis pourvu d'un attelage mécanique constituant le moyen d'entrainement de la botte par la gauche ou par la droite (§25 à §29). En position de dérouleuse, la botte se déroule par la droite sans tomber en raison de la partie incurvée et montante (§14). 16. La figure 4 décrit l'appareil fonctionnant en « pailleuse ». La botte est alors positionnée sur la partie gauche de la machine puis entraînée par le moyen d'entraînement vers un organe de paillage (F2) comprenant un arbre moteur entouré d'un cylindre portant en périphérie des couteaux actionné par un engrenage extérieur relié au moyen d'entrainement. L'organe de paillage est surmonté d'un rouleau pour servir de butée à l'encontre de la botte et d'un volet permettant d'orienter précisément le lieu du paillage (§18 à §23, §79 et §80). 17. Le brevet comporte 19 revendications, seules sont opposées les revendications 1, 4 à 8, 11, et 14 à 17 reproduite dans la motivation ci-après. 2. La validité du brevet EP 3 033 938 Moyens des parties 18. La société Robert International soutient que l'état de la technique exclut toute activité inventive s'agissant des revendications en litige, en particulier au regard de deux antériorités les brevets FR 2 849 985 (FR 985) et NZ 196 268 (NZ 268). Elle considère que le problème technique à résoudre tenant au bourrage par la proximité de l'outil de paillage inactif pendant le déroulage était connu de l'homme du métier en raison du convoyeur décrit dans le brevet FR 985 et du mécanisme permettant un déroulage dans les deux sens opposés du brevet NZ 268. Elle considère que l'homme du métier est un ingénieur spécialisé dans le domaine des machines agricoles qui connait la dérouleuse-pailleuse par des connaissances approfondies en mécanique, moyens de commande hydrauliques, électriques ou électroniques ou similaires. S'agissant de la revendication 1, elle explique qu'il ne fait pas débat que cinq de ses six caractéristiques existent dans le brevet FR 985. Elle estime que la caractéristique 5 tenant au déplacement de la botte dans deux sens opposés, débattue, est déduite de manière évidente par l'homme du métier qui comprend qu'il faut éloigner le mécanisme de paillage de la nappe déroulée d'une part, et connait la possibilité de dérouler une botte vers la gauche ou la droite d'autre part ; éléments qu'elle qualifie de mesure d'exécution et de juxtaposition de moyens connus. Elle exclut à ce titre la qualification d'invention ayant vaincu un préjugé technique alors que l'intérêt de celle-ci, selon son argument, est d'offrir à l'utilisateur le choix de retourner la botte à 180 degrés alors qu'elle ne peut être déroulée que dans un sens unique. Elle qualifie les autres revendications objets de la demande de nullité de dépendantes de la revendication 1 et précise qu'elles sont dépourvues d'activité inventive selon détail ci-après. S'agissant de la revendication 4, la société Robert International estime que le brevet FR 985 de même qu'un autre brevet (FR 2 522 472) et une machine Warzee DE 551 commercialisée en juin 2014 prévoient un « déflecteur réglable » comparable au « volet » permettant de diriger la trajectoire de la paille prévu par le brevet. S'agissant de la revendication 5, elle estime que la conception du rouleau servant de butée à la paille lors du paillage était évidente pour l'homme du métier car le poids de la botte risque d'endommager l'organe de paillage et en raison de deux antériorités : une barre sur une machine Altec en 2011 et une grille prévue par un brevet FR 2 561 490 du 20 mars 1984. S'agissant des revendications 6 et 8, elle considère que les axes des engrenages reliés mécaniquement à l'organe de paillage d'une part, et l'existence d'un tel engrenage sur le flanc opposé, d'autre part, sont dépourvus d'activité inventive alors que ces équipements sont nécessairement reliés à un porte-outil comme le prévoit le brevet FR 2 561 490 du 20 mars 1984 et le brevet FR 972 602 du 17 mars 2011.S'agissant de la revendication 7, elle expose que l'attelage mécanique sur l'un ou l'autre des flancs est le lien entre la dérouleuse-pailleuse et le porte-outil est banal et présent sur plusieurs antériorités (les brevets FR 2 759 537 du 20 février 1997 et FR 2 771 896 ainsi qu'une machine AGRAM). S'agissant de la revendication 11, elle dit que deux brevets FR 972 602 du 17 mars 2011 et FR 2 522 472 du 5 mars 1982 prévoient déjà réciproquement un cylindre portant en série « de préférence des dents escamotables » et des « herses (...) constituées par des profilés de section polygonale sur les faces desquels sont fixés des couteaux intercalés d'une herse par rapport à l'autre ». S'agissant de la revendication 14, elle soutient que l'existence de deux moteurs distincts pour faire fonctionner respectivement l'organe de paillage et le moyen d'entrainement apparait déjà dans une antériorité FR 2 771 896 qui précise, comme le brevet en litige, que le moteur peut être hydraulique. S'agissant des revendications 15 et 16, elle expose que l'association d'un porte-outil destiné à être porté par un engin de levage, et son moyen : les deux engrenages associés à ceux de l'engin de levage sont également connus de l'art antérieur par un brevet FR 3 008 273 déposé par la société Emily le 10 juillet 2013. S'agissant de la revendication 17, elle considère que le moyen d'accrochage prévu est banal et peut être déduit de façon évidente par l'homme du métier. 19. La société Etablissements Emily soutient que le problème technique à résoudre ne se limite pas à éviter le bourrage lors du déroulage mais à optimiser le déroulage et le paillage en évitant le bourrage tout en réduisant le coût. Elle revendique une approche problème-solution en se fondant sur les directives de l'INPI qu'elle estime méconnues par le raisonnement de la société Robert International qu'elle dit, à tort, fondé sur la contribution de l'inventeur. Elle considère que l'homme du métier est « le concepteur de dérouleuse-pailleuse dans le domaine agricole ». Elle considère que le brevet FR 985 décrit une machine pourvue d'un « mur » du côté où la botte n'est pas déroulée permettant de la maintenir ce qui exclut, selon son argument, que l'homme du métier comprenne l'opportunité d'un équipement pouvant fonctionner dans les deux sens en combinant les brevets FR 985 et NZ 268. Elle qualifie de préjugé technique vaincu la caractéristique tenant à dérouler et pailler de deux côtés différents. Elle conclut pas s'agissant des autres revendications. Appréciation du tribunal 20. Aux termes de l'article 138 de la Convention sur le brevet européen « (1)sous réserve de l'article 139, le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un État contractant, que si : a) l'objet du brevet européen n'est pas brevetable en vertu des articles 52 à 57 ; (?)(2) Si les motifs de nullité n'affectent le brevet européen qu'en partie, celui-ci est limité par une modification correspondante des revendications et est déclaré partiellement nul (...). ». 21. Selon l'article 52 de la Convention sur le brevet européen « les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle (?) ». 22. Selon l'article 56 de la même Convention « une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique. Si l'état de la technique comprend également des documents visés à l'article 54, paragraphe 3, ils ne sont pas pris en considération pour l'appréciation de l'activité inventive ». 23. Aussi, pour apprécier l'activité inventive d'un brevet, il convient de déterminer d'une part, l'état de la technique le plus proche, d'autre part le problème technique objectif à résoudre et enfin d'examiner si l'invention revendiquée, en partant de l'état de la technique le plus proche et du problème technique objectif, aurait été évidente pour l'homme du métier. 24. L'homme du métier est celui du domaine technique où se pose le problème que l'invention, objet du brevet, se propose de résoudre (Cass. Com., 20 novembre 2012, pourvoi no11-18.440). 25. Au cas présent, l'homme du métier est un ingénieur concepteur de matériel agricole disposant de connaissances en mécanique et électronique. Il dispose à ce titre d'une connaissance du fonctionnement d'un moteur hydraulique ainsi que de ses accessoires et composants. Il connait les problématiques posées par les opérations de déroulage et de paillage, en particulier s'agissant du bourrage de fourrage. 26.1 Il est rappelé à titre liminaire que le brevet se propose de résoudre un problème d'efficacité des activités de paillage et de déroulage en éloignant le bras articulé présent en l'état de la technique du côté opposé à l'emplacement de déroulage. Il est toutefois établi par les éléments de la cause, explicités à l'audience, que les fonctions de déroulage et de paillage ne peuvent être actionnées qu'alternativement, en retournant la botte fourrage afin qu'elle se déroule dans un sens contraire à celui de son enroulement, à la façon d'un « tapis ». La revendication 1 27. La revendication 1 est ainsi rédigée par le brevet EP 938 : « dérouleuse-pailleuse (300) destinée à, soit pailler une botte de fourrage cylindrique (Bo) ou parallélépipédique (Bp) pour former une litière, soit s'agissant d'une botte cylindrique (Bo) la dérouler sur le sol, dans des mangeoires ou, pour servir d'alimentation à des animaux, tels que des bovins, la dérouleuse-pailleuse (300) comprenant :-un organe de paillage (400),-un moyen d'appui destiné à réceptionner une botte (Bo, Bp),-un moyen d'entraînement (320) de la botte (Bo, Bp) conçu pour la déplacer en direction de l'organe de paillage (400) afin qu'elle puisse être déchiquetée par ledit organe de paillage en 55 fonctionnement,caractérisée en ce que le moyen d'entraînement (320) est pourvu de moyens de déplacement (330) conçus pour déplacer la botte (Bo, Bp) suivant deux sens, de directions opposées (F1, F5), l'un vers l'organe de paillage (400) pour pailler ladite botte et l'autre, à l'opposé de l'organe de paillage (400), pour la dérouler, la dérouleuse-pailleuse (300) incluant un moyen de retenue de la botte (Bo) évitant qu'elle ne soit déchargée pendant son déroulage ». 28. En l'espèce, l'état de la technique débattu par les parties repose sur deux brevets. Le brevet néo-zélandais NZ 268 « Improvement in and/or relating to bale off loaders » décrit un chargeur de bottes de fourrage monté sur un châssis permettant par un arbre d'entraînement de dérouler le foin des deux côtés de l'appareil selon le choix de l'utilisateur. Le mécanisme décrit est de préférence constitué de chaînes portant des lames ou des piques et actionné par un moteur hydraulique. 29. Le brevet FR 985 est intitulé « dérouleuse à balles à paillage à homogénéité automatique et améliorée ». Il prévoit un mécanisme de dérouleuse de bottes de fourrage par un entraînement hydraulique du convoyeur et/ou du rotor. Il a pour objet de réguler par ce mécanisme la quantité de paille pour éviter au conducteur d'engin de le vérifier en se retournant ce qui cause des problèmes de sécurité. Les lignes 5 à 9 précisent explicitement qu'un régulateur permet à la paille d'être « moins compact, sans formation de paquet ». 30. Le brevet EP 938 en litige mentionne explicitement que la problématique de bourrage au moment du déroulage est connue de l'art antérieur et indique à son paragraphe 8 « on peut, certes, augmenter la longueur des bras pour les surélever dans sa position haute, mais on accroît la largeur de la machine dans la position basse de travail du rotor et celui-ci devient trop éloigné de la botte pour pailler correctement ». 31. En l'état de la technique, l'homme du métier savait donc que pendant le déroulage l'éloignement de l'organe de paillage en position passive permet d'éviter le bourrage. En outre, il savait qu'il était possible de concevoir en position active lors du paillage une régulation au moyen d'un moteur hydraulique, et que le déroulage d'un coté et de l'autre de l'équipement était possible par de tels moyens. 32. Le brevet a un objet plus large d'améliorer l'efficacité du déroulage et du paillage ce qui inclut cette problématique de bourrage identifiée par le brevet. Elle comporte également un objectif de réduction des coûts, qu'il estime accompli par la répartition des activités de paillage et de déroulage de part et d'autre de la machine ce que la société Etablissements Emily qualifie de préjugé technique vaincu par la revendication en litige. 33. En réponse à cet argument, il est constaté que la botte de fourrage se déroule nécessairement dans un seul sens, contraire à celui de son enroulement, à la façon d'un « tapis ». Le positionnement de l'organe de paillage et de l'espace de déroulage sur deux côtés différents de la machine impose à l'utilisateur de retourner la botte à 180 degrés pour utiliser l'autre fonction de la machine plutôt que de retourner la machine portant la botte elle-même. La qualification de préjugé technique vaincu par la revendication 1 ne peut donc être retenue au cas présent par le tribunal. 34. En partant de la dérouleuse-pailleuse divulguée par le document EP 985, l'homme du métier, ayant une expérience dans la conception de matériel agricole disposant de connaissances en mécanique, cherchant à résoudre le problème lié à l'efficacité du déroulage et du paillage, en particulier en éloignant l'organe de paillage de l'emplacement de déroulage et à réduire le coût d'un tel dispositif, serait parvenu à la revendication 1 du brevet EP 938, en combinant ce document EP 985 avec le document NZ 268, qui enseigne que la botte peut être déroulée d'un côté de l'outil comme de l'autre au choix de l'utilisateur. 34.1 Il s'ensuit que les caractéristiques de la revendication 1 du brevet EP 938 découlent de l'état de la technique. 34.2 La partie française du brevet EP 938, pris en sa revendication 1, dépourvue d'activité inventive, et en ses revendications dépendantes 4 à 8, 11, et 14 à 17 qui souffrent de la même insuffisance, encourentt donc la nullité. 35. Il ressort de ces circonstances que la revendication 1 du brevet est annulée pour défaut d'activité inventive. La revendication 4 36. La revendication 4 est ainsi rédigée par le brevet EP 938 : « dérouleuse-pailleuse (300) selon l'une quelconque des revendications précédentes, caractérisée en ce qu'elle comporte deux flancs (Fc1 et Fc2) et en ce qu'un volet (340) est monté de manière articulée entre les deux flancs (Fc1, Fc2), ledit volet étant disposé au-dessus de l'organe de paillage (400) pour faire ricocher les fibres arrachées par l'organe de paillage (400) afin de les diriger suivant une trajectoire (F4) choisie ». 37. L'état de la technique issu d'un brevet FR 2 522 472 et d'une machine Warzee DE 551, dont il n'est pas contesté qu'elle est antérieure au brevet en litige, permet de constater l'existence d'un déflecteur amovible permettant de diriger le fourrage projeté. 38. L'homme du métier pouvant dès lors, de manière évidente, concevoir l'invention revendiquée comportant deux flancs et un volet articulé déterminant une trajectoire pour les fibres arrachées par l'organe de paillage. 39. Il ressort de ces circonstances que la revendication 4 du brevet est annulée pour défaut d'activité inventive. La revendication 5 40. La revendication 5 est ainsi rédigée par le brevet EP 938 : « dérouleuse-pailleuse (300) selon la revendication 4, caractérisée en ce qu'un rouleau (350) est disposé entre les deux flancs (Fc1, Fc2) et au-dessus de l'organe de paillage (400), pour servir de butée à l'encontre de ladite botte alors qu'elle est déplacée par le moyen d'entraînement (320) en direction de l'organe de paillage (400) ». 41. Il est établi par la société Robert International que l'état de la technique est constitué par une demande de brevet antérieure FR 2 561 490 qui prévoit un mécanisme de retenue de la botte afin qu'elle ne soit pas entraînée tout entière par son poids dans le mécanisme de paillage. En outre, un catalogue du fabricant Altec démontre sur une de ses machines qu'une barre est positionnée de façon similaire et aux mêmes fins en l'absence d'argument contraire. 42. L'homme du métier pouvait ainsi de façon évidente inventer un moyen comparable constitué d'un rouleau afin de ne pas encombrer l'organe de paillage. 43. Il ressort de ces circonstances que la revendication 5 du brevet est annulée pour défaut d'activité inventive. Les revendications 6 et 8 44. La revendication 6 est ainsi rédigée par le brevet EP 938 : « dérouleuse-pailleuse (300) selon l'une quelconque des revendications 4 ou 5, caractérisée en ce que les axes de deux engrenages (Eg4, Eg5) ressortent au travers du premier flanc (Fc1), les deux engrenages (Eg4, Eg5) étant reliés mécaniquement, au moyen d'entraînement (320) de la botte (Bo, Bp) et à l'organe de paillage (400), pour les faire fonctionner ». 45. La revendication 8 est ainsi rédigée par le brevet EP 938 : « dérouleuse-pailleuse (300) selon l'une quelconque des revendications 4 à 7, caractérisée en ce que l'axe d'un engrenage (Eg6) ressort du second flanc (Fc2), ledit engrenage étant relié mécaniquement au moyen d'entraînement (320) de la botte (Bo, Bp), pour le faire fonctionner ». 46. L'état antérieur est constitué à tout le moins par deux brevets FR 2 561 490 et FR 972 602 qui prévoient déjà des engrenages reliés au moteur hydraulique principal d'une dérouleuse. 47. L'homme du métier pouvait donc déduire de ces antériorités les engrenages de flancs reliés mécaniquement au moyen d'entraînement de la botte et de l'organe de paillage. Ces caractéristiques apparaissent au surplus banales au regard des autres antériorités précités aux points antérieurs du jugement qui prévoient des mécanismes similaires. 48. Il ressort de ces circonstances que les revendications 6 et 8 du brevet sont annulées pour défaut d'activité inventive. La revendication 7 49. La revendication 7 est ainsi rédigée par le brevet EP 938 : « dérouleuse-pailleuse (300) selon l'une quelconque des revendications 4 à 6, caractérisée en ce qu'elle dispose d'un attelage mécanique sur l'un ou sur ses deux flancs (Fc1, Fc2) ». 50. Ainsi qu'il précède des différents brevets cités comme antériorités au présent jugement mais également des brevets FR 2 759 537 du 20 février 1997 et FR 2 771 896 du 5 décembre 1997 citées en défense, l'existence d'un attelage pouvant être attaché de part et d'autre de la machine est nécessaire afin de la retourner dans le sens souhaité par l'utilisateur. 51. L'homme du métier pouvait ainsi de façon évidente déduire cette composante de l'invention qui apparaît au surplus banale. 52. Il ressort de ces circonstances que la revendication 7 du brevet est annulée pour défaut d'activité inventive. La revendication 11 53. La revendication 11 est ainsi rédigée par le brevet EP 938 : « dérouleuse-pailleuse (300) selon l'une quelconque des revendications 9 ou 10, caractérisée en ce que l'organe de paillage (400) comprend un arbre moteur (Am) entouré d'un cylindre portant en périphérie des 35 couteaux (Ct) et qui, pendant leur rotation, peuvent grignoter la périphérie de la botte (Bo, Bp) pour la défragmenter, un engrenage (Eg5, Eg7) étant monté de manière coaxiale à une extrémité ou aux deux extrémités de l'axe dudit arbre moteur (Am) ». 54. Il est établi par la société Robert International que la de brevet FR 972 602 du 17 mars 2011 prévoit déjà un mécanisme cylindrique sur lequel sont positionnés des doigts constitué de préférence de dents escamotables. De la même manière, la demande de brevet FR 2 522 472 du 5 mars 1982 prévoit dans sa revendication 3 des « herses (...) constituées par des profilés de section polygonale sur les faces desquels sont fixés des couteaux intercalés d'une herse par rapport à l'autre ». 55. L'homme de métier était donc placé dans une situation où l'outil de paillage connu de l'art antérieur était constitué d'un mécanisme motorisé cylindrique sur lequel étaient positionnés des composants agrippant et déchiquetant le fourrage, le plus souvent des couteaux. Il pouvait de façon évidente déduire un mécanisme similaire, même coaxial, au cas de la dérouleuse-pailleuse du brevet EP 938. 56. Il ressort de ces circonstances que la revendication 11 du brevet est annulée pour défaut d'activité inventive. La revendication 14 57. La revendication 14 est ainsi rédigée par le brevet EP 938 : « dérouleuse-pailleuse (300) selon l'une quelconque des revendications 1 à 5 et 7, caractérisée en ce que l'organe de paillage (400), le moyen d'entraînement (320), sont reliés respectivement à deux moteurs et préférentiellement des moteurs hydrauliques ». 58. L'état de la technique est constitué au cas présent par un brevet FR 2 771 896 du 5 décembre 1997 qui décrit bien l'existence de deux moteurs distincts : l'un pour son « organe rotatif » (de paillage) et l'autre pour son « transporteur » qui équivaut au moyen d'entrainement du brevet litigieux. L'utilisation d'un moteur hydraulique est également prévue par l'antériorité. 59. Dans ces conditions, l'homme du métier pouvait de façon évidente prévoir l'utilisation de tels composants sur la dérouleuse-pailleuse en litige, leur disposition relevant de simples moyens d'exécution. 60. Il ressort de ces circonstances que la revendication 14 du brevet est annulée pour défaut d'activité inventive. Les revendications 15 et 16 61. La revendication 15 est ainsi rédigée par le brevet EP 938 : « dérouleuse-pailleuse (300) selon l'une quelconque des revendications 1 à 13, caractérisée en ce qu'elle est associée à un porte-outil (100) destiné à être porté par un engin de levage pour la déplacer, la faire fonctionner ». 62. La revendication 16 est ainsi rédigée par le brevet EP 938 : « dérouleuse-pailleuse (300) selon la revendication 15, caractérisée en ce que le porte-outil (100) comprend au moins deux engrenages (Eg1, Eg2 ; Eg3) conçus et disposés de manière à coopérer avec les engrenages (Eg4-Eg7) portés par ladite dérouleuse-pailleuse ». 63. L'état de la technique est issu, comme le rappelle la société Robert International, d'un brevet FR 3 008 273 déposé par la société Emily le 29 juillet 2013. Ce brevet prévoit déjà l'existence d'un porte-outil pour déplacer l'équipement, alors de déroulage, comme le prévoit la revendication 15. 64. L'homme du métier pouvait donc déduire de façon évidente que la dérouleuse-pailleuse puisse être montée sur un porte-outil afin d'être transportée. 65. De la même manière, ce brevet prévoit un porte-outil pouvant accoupler d'autres types d'accessoires, par exemple une dérouleuse-pailleuse. Dans ce cas, il rappelle que « l'organe de paillage comprend en principe un rotor ou une turbine ou des disques. Il faut encore préciser que plusieurs moteurs et leur engrenages correspondants peuvent équiper le porte-outil pour mettre en oeuvre plusieurs fonctions dont est capable l'accessoire accouplé ». 66. L'homme du métier pouvait donc de façon évidente prévoir l'existence de deux engrenages distincts sur le porte-outil afin qu'ils correspondent à ceux du mécanisme de la dérouleuse-pailleuse. 67. Il ressort de ces circonstances que les revendications 15 et 16 du brevet sont annulées pour défaut d'activité inventive. La revendication 17 68. La revendication 17 est ainsi rédigée par le brevet EP 938 : « dérouleuse-pailleuse (300) selon l'une quelconque des revendications 1 à 14, caractérisée en ce qu'elle est pourvue d'un moyen d'accrochage destiné à permettre sa suspension par un convoyeur aérien capable de la déplacer ». 69. L'antériorité constituée par le brevet déposé le 29 juillet 2013 FR 3 008 27, prévoit également un mécanisme d'accrochage et de coiffes destinés à lever le porte outil au moyen de crochets rigidifiés et pour atteler la dérouleuse (lignes 23 à 29). 70. L'homme du métier pouvait ainsi prévoir de part cette antériorité et la banalité du mécanisme, de façon évidente, un moyen d'accrochage générique destiné à permettre la suspension de la machine par un convoyeur aérien. 71. Il ressort de ces circonstances que la revendication 17 du brevet est annulée pour défaut d'activité inventive. -o0o- 72. Il résulte de l'annulation des revendications litigieuses que la demande en paiement présentée par la société Etablissements Emily au titre de la contrefaçon est infondée. De la même manière, les conditions des autres mesures de réparation tenant au droit d'information et à la publication de la décision ne sont pas réunies. 73. Ces demandes sont rejetées. 3. Sur la concurrence parasitaire Moyens des parties 74. La société Emily soutient que la société Robert International commercialise des machines similaires aux siennes, en particulier ses produits Pro-Sweep, Repouss'net et Duo-Mix. Elle considère cet état de fait démontré par le catalogue de la société Robert International qui reproduit en outre, selon son argument, son texte et ses illustrations, ses conditions de vente, le positionnement de son logo et ses schémas de présentation de produits. Elle qualifie ces agissements d'actes de concurrence parasitaire. 75. La société Robert International expose que les formes des équipements dénoncés par la société Etablissements Emily ressemblent à celles de tous les acteurs du marché car elles sont imposées par leur fonction technique. S'agissant de sa balayeuse, elle considère que la société Emily a copié sa forme antérieure à sa machine, et non l'inverse. Elle estime, que la société Etablissements Emily ne rapporte pas la preuve d'avoir créé le format des bons de commande qu'elle invoque, ni leur originalité, ni leur antériorité par rapport aux siens. Elle considère en tout état de cause que ces bons de commande sont banals et ne peuvent être imités. Appréciation du tribunal 76. Aux termes de l'article 1240 du Code civil « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». 77. Il appartient au demandeur à l'action en parasitisme de démontrer que la personne à qui il l'oppose s'est immiscée dans son sillage afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire.78. Les trois équipements commercialisés par la société Robert International ressemblent à ceux de la société Etablissements Emily par l'aspect extérieur de leur conception technique et esthétique et leur format. 79. Comme le souligne la société Robert International, de nombreux équipements similaires sont commercialisés par d'autres sociétés, vraisemblablement car leur forme est imposée par leur fonction technique. 80. De la même manière, les bons de commande des deux sociétés sont ressemblants par les catégories écrites à remplir par le client, l'utilisation de logos pour sélectionner les équipements achetés et l'agencement visuel des diverses catégories. 81. Il est toutefois manifeste que ces bons de commandes sont parfaitement banals par leurs catégories et l'agencement de leurs divers éléments graphiques, en particulier le logo de la société vendeuse en haut à gauche du document et l'existence d'une case à cocher adjacente à une représentation miniature de la machine acquise. 82. La société Etablissements Emily ne démontre donc pas les agissements et la faute dont elle se prévaut, ni son préjudice. 83. La demande est rejetée. 84. Il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes de nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon, présentées à titre subsidiaire. 4. Les demandes accessoires 85. La procédure de saisie-contrefaçon étant dérogatoire au droit commun, l'annulation du titre sur lequel elle était fondée entraîne l'annulation du procès-verbal de saisie (Com., 28 septembre 2022, pourvoi no 20-16.874). 86. La demanderesse, partie perdante, est condamnée à payer à la société Robert International la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; somme appréciée en équité en l'absence de justificatif ou d'accord des parties sur le montant des frais devant être payés par la partie perdante ou condamnée aux dépens. PAR CES MOTIFSLE TRIBUNAL Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, PRONONCE LA NULLITÉ des revendications 1, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 14, 15, 16 et 17 de la partie française du brevet européen EP 3 033 938, DIT que la présente décision, une fois passée en force de chose jugée, sera transmise à l'INPI à l'initiative de la partie la plus diligence aux fins d'inscription au registre des brevets, ANNULE les procès-verbaux de saisie-contrefaçon du 12 septembre 2019 et du 14 avril 2021, REJETTE le surplus, CONDAMNE la société Etablissements Emily à payer à la société Robert International la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, CONDAMNE la société Etablissements Emily aux dépens dont distraction au profit de Maître Guillaume Henry, avocat. Fait et jugé à Paris le 20 avril 2023 LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
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JURITEXT000047636349
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 11 mai 2023, 21/06001
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2023-05-11
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/06001
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 21/06001 No Portalis 352J-W-B7F-CUKL6 No MINUTE : Assignation du :26 avril 2021 JUGEMENT rendu le 11 mai 2023 DEMANDEUR Monsieur [I] [O][Adresse 3][Localité 1] représenté par Me Jean-David COHEN de l'AARPI JAD & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #G0673 & Me Florence COTTIN-PERREAU du Cabinet FCP AVOCAT, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant DÉFENDERESSE Etablissement public CENTRE CULTUREL ARC EN CIEL THEATRE DE [Localité 4] [Adresse 2][Localité 4] représentée par Me Marie-Hélène VIGNES de la SELARL ARTWORK AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B696 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation DEBATS A l'audience du 27 février 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 11 mai 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE : 1. M. [I] [O] se présente comme photographe-auteur spécialisé dans le spectacle vivant. 2. Le Centre culturel Arc-En-Ciel, Théâtre De [Localité 4] (ci-après " le théâtre de [Localité 4] ") est une régie dotée de la personnalité morale et de l'autonomie financière qui exploite le théâtre municipal de la ville de [Localité 4]. Pour annoncer la saison 2020-2021, le théâtre de [Localité 4] a utilisé une photographie réalisée par M. [O] du spectacle CAR/MEN de [M] [Z], en l'imprimant sur une bâche installée au mois de septembre 2020 sur un mur du théâtre. 3. Estimant que cet usage avait été réalisé en violation de ses droits d'auteur, M. [O] a mis en demeure le théâtre de [Localité 4], par une lettre recommandée du 7 septembre 2020, de démonter la bâche et de lui verser la somme de 7.000 euros en réparation du préjudice subi. 4. Par une lettre du 16 septembre 2020, le théâtre de [Localité 4] a indiqué avoir pensé la photographie libre de droits et adressé des preuves du démontage en cours ; il a proposé une indemnisation de 1.500 euros, que M. [O] a jugé insuffisante. 5. C'est dans ce contexte que M. [O] a fait assigner le théâtre de [Localité 4] par acte du 26 avril 2021 devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de ses droits d'auteur. Par mesure d'administration judiciaire du 15 juin 2022, le juge de la mise en état a renvoyé au fond les fins de non-recevoir soulevées par le théâtre de [Localité 4], tirées du défaut de titularité et d'originalité de la photographie litigieuse en application de l'article 789 6o du code de procédure civile. 6. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 5 septembre 2022, M. [I] [O] demande au tribunal de : - Recevoir son action comme légitime et fondée ; A titre principal, - Condamner l'Établissement public local Centre culturel arc-en-ciel, théâtre de [Localité 4] à payer à M. [I] [O] la somme de 4.000,00 euros x 2 soit la somme de 8.000,00 euros en indemnisation de l'atteinte à ses droits patrimoniaux ; - Condamner l'Établissement public local Centre culturel arc-en-ciel, théâtre de [Localité 4] à payer à M. [I] [O] la somme de 2.000,00 euros x 2 soit la somme de 4.000,00 euros en indemnisation de l'atteinte à son droit moral ; - Débouter l'Établissement public local Centre culturel arc-en-ciel, théâtre de [Localité 4] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ; A titre subsidiaire, - Condamner l'Établissement public local Centre culturel arc-en-ciel, théâtre de [Localité 4] à payer à M. [I] [O] la somme de 4.000,00 euros à titre de l'enrichissement injustifié dont il a bénéficié ; En toute hypothèse, - Condamner l'Établissement public local Centre culturel arc-en-ciel, théâtre de [Localité 4] à payer à M. [O] la somme de 5.000,00 euros ; - Condamner aux entiers dépens, distraits au profit de Maître Jean-David Cohen, Avocat sur son affirmation de droit. 7. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 10 octobre 2022, le théâtre de [Localité 4] demande au tribunal de : - Dire l'Établissement public local Centre culturel arc-en-ciel, théâtre de [Localité 4] recevable et bien fondé en ses demandes, fins et conclusions ; À titre principal, - Déclarer et juger que M. [O] échoue à démontrer l'originalité de la photographie revendiquée à l'appui de son action en contrefaçon de droits d'auteur ; En conséquence, - Déclarer et juger M. [O] irrecevable en son action en contrefaçon de droits d'auteur; - Débouter M. [O] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions; À titre subsidiaire, - Déclarer et juger que M. [I] [O] n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, du quantum du gain manqué qu'il revendique au titre de l'atteinte alléguée à son droit patrimonial; - Fixer ce gain manqué conformément aux usages revendiqués par le demandeur, soit à la somme de 246 euros ; - Déclarer et juger que M. [I] [O] n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, des atteintes au droit moral alléguées; - Le débouter purement et simplement de ses prétentions au titre du droit moral; Très subsidiairement, - Fixer le préjudice de M. [I] [O] au titre des atteintes alléguées au droit moral à la somme de 246 euros, conformément aux usages revendiqués par le demandeur ; - Débouter M. [I] [O] de ses demandes au titre de l'enrichissement injustifié ; En tout état de cause, - Condamner M. [I] [O] à lui payer la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; - Condamner M. [I] [O] aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL Artwork Avocats, agissant par Me Marie-Hélène Vignes. 8. L'instruction de l'affaire a été close par une ordonnance du 18 octobre 2022 et renvoyée à l'audience du 27 février 2023. MOTIFS DE LA DÉCISION 1o) Sur la protection de la photographie litigieuse par le droit d'auteur Moyens des parties 9. Le théâtre de [Localité 4] conclut à l'inéligibilité de la photographie litigieuse à la protection par le droit d'auteur, motif tiré de son défaut d'originalité. Il indique à ce titre que la prise de vue porte sur une scène conçue, décorée et mise en scène par un tiers. Il fait valoir en outre que le moment auquel est pris la photographie est banal car il s'agit du seul moment où tous les interprètes du spectacle étaient présents sur scène, prenant la pose et étant immobiles. Il soutient que le cadrage est banal en ce que la photographie est prise de face, au centre de la scène. Il fait valoir que les choix d'exposition et de distance focale ont été dictés par des considérations techniques justifiées par la restitution d'une image nette et fidèle. Il souligne que le recadrage a consisté à gommer la partie inférieure de la photographie correspondant à l'espace spectateur et rétrécir les côtés droit et gauche de l'image pour qu'elle épouse le cadre de la scène. 10. Pour conclure à l'originalité de sa photographie, M. [O] fait quant à lui valoir que le choix du moment de la prise de vue lui est très personnel. Il indique qu'il a voulu montrer la symétrie de la scène et l'agencement parfait des pièces d'un jeu d'échec et indique avoir choisi de se placer face à la scène et utilisé un zoom 24/70 réglé à 41 mm pour garder la rectitude de la scène. Il ajoute avoir travaillé en mode manuel avec une vitesse de vue de 1/80e permettant de figer le mouvement des danseurs et une ouverture de 6,3 m pour la netteté des danseurs. Il explique avoir choisi un recadrage panoramique lors du travail d'édition pour augmenter l'horizontalité du plateau de danse, choix qui ressort selon lui d'un parti-pris et non de considérations techniques. Il fait valoir que sa technique consistant à travailler en mode manuel, debout et à main levée pour accompagner corporellement le déclenchement pour obtenir une image nette dans une faible lumière à vitesse réduite lui est très personnelle. Appréciation du tribunal 11. Conformément à l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. Selon l'article L.112-1 du même code, ce droit appartient à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination. 12. Selon l'article L. 112-2, 9o du même code, sont considérées comme oeuvres de l'esprit les oeuvres photographiques et celles réalisées à l'aide de techniques analogues à la photographie. 13. Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une oeuvre sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. Néanmoins, lorsque l'originalité d'une oeuvre de l'esprit est contestée, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il allègue. Seul l'auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole. 14. En outre, selon l'article 6 "Protection des photographies" de la directive 93/98 du 29 octobre 1993, relative à l'harmonisation de la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins, "Les photographies qui sont originales en ce sens qu'elles sont une création intellectuelle propre à leur auteur sont protégées conformément à l'article 1er. Aucun autre critère ne s'applique pour déterminer si elles peuvent bénéficier de la protection. Les États membres peuvent prévoir la protection d'autres photographies". 15. Interprétant cette disposition, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 1er décembre 2011, aff. C-145/10, [V] [R] contre Standard VerlagsGmbH ea) a dit pour droit qu'une photographie est susceptible de protection par le droit d'auteur à condition qu'elle soit une création intellectuelle de son auteur, ce qui est le cas si l'auteur a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l'oeuvre en effectuant des choix libres et créatifs et ce, de plusieurs manières et à différents moments lors de sa réalisation. Ainsi, au stade de la phase préparatoire, l'auteur pourra choisir la mise en scène, la pose de la personne à photographier ou l'éclairage. Lors de la prise de la photographie de portrait, il pourra choisir le cadrage, l'angle de prise de vue ou encore l'atmosphère créée. Enfin, lors du tirage du cliché, l'auteur pourra choisir parmi diverses techniques de développement qui existent celle qu'il souhaite adopter, ou encore procéder, le cas échéant, à l'emploi de logiciels. À travers ces différents choix, l'auteur d'une photographie de portrait est ainsi en mesure d'imprimer sa " touche personnelle " (point 92 de la décision) à l'oeuvre créée. 16. En l'espèce, le tribunal observe que s'agissant d'un cliché pris lors d'un spectacle de danse, M. [O] n'a eu la maîtrise ni de la mise en scène, ni des décors, ni des costumes ou de la lumière. 17. En outre, la photographie litigieuse a été prise "sur le vif" de sorte que M. [O] n'a pas eu la maîtrise de la pose et de l'expression des danseurs à l'instant de la prise de vue. 18. De plus, si M. [O] fait état de choix techniques non contestés, il n'établit pas être allé au-delà du savoir-faire technique du photographe quant à la sélection et au réglage du matériel (choix du mode manuel, de l'objectif, de la vitesse et de l'ouverture) ; en effet, le cadrage apparaît ici dicté par le cadre scénique et l'emplacement des danseurs, tandis que le recadrage n'apparait pas empreint d'un parti-pris esthétique personnel mais se révéle banal, de même que le choix d'une représentation nette, comme tend à le montrer la photographie du spectacle réalisée par un autre photographe et versée aux débat par le théâtre de [Localité 4]. 19. Ainsi, les explications de M. [O] sont insuffisantes à conférer à la photographie litigieuse les qualités propres à révéler le parti-pris esthétique et le choix d'une composition arbitraire témoignant d'une approche personnelle de photographe. 20. Il en résulte que la photographie litigieuse n'apparaît pas protégeable par le droit d'auteur, de sorte que les demandes de M. [O] fondées sur la contrefaçon ne peuvent qu'être rejetées. 2o) Sur la demande subsidiaire de M. [O] fondée sur l'enrichissement injustifié Moyens des parties 21. M. [O] fait valoir à titre subsidiaire qu'en exploitant pendant deux semaines sa photographie sans le rémunérer, le théâtre de [Localité 4] a bénéficié d'un enrichissement injustifié. Il sollicite en conséquence sa condamnation à l'indemniser à hauteur de 4000 euros. 22. Le théâtre de [Localité 4] conclut au rejet de cette demande au motif qu'elle se heurte à l'existence de l'action en contrefaçon qui tend aux mêmes fins ainsi qu'à l'obstacle de droit fondé sur l'absence d'originalité de la photographie litigieuse. Appréciation du tribunal 23. L'article 1303 du code civil dispose qu' "En dehors des cas de gestion d'affaires et de paiement de l'indu, celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement". L'article1303-1 du même code prévoit que "L'enrichissement est injustifié lorsqu'il ne procède ni de l'accomplissement d'une obligation par l'appauvri ni de son intention libérale". L'article1303-3 précise que "l'appauvri n'a pas d'action sur ce fondement lorsqu'une autre action lui est ouverte ou se heurte à un obstacle de droit, tel que la prescription." 24. En l'espèce, M. [O] n'est pas fondé à invoquer à l'encontre du théâtre de [Localité 4] un enrichissement injustifié alors que lui était ouverte l'action en responsabilité délictuelle fondée sur les agissements parasitaires. 25. En tout état de cause, M. [O] ne démontre pas l'existence d'un tel enrichissement injustifié dès lors que le théâtre de [Localité 4] établit avoir conclu avec le producteur du spectacle, la société Quartier Libre Productions, un contrat de cession de droits d'exploitation du spectacle CAR/MEN aux termes duquel ce producteur s'est engagé, moyennant le paiement d'une contrepartie financière, outre la fourniture du spectacle, à lui remettre également des photographies libres de droit pour la publicité de ce spectacle. 26. M. [O] est en conséquence débouté de sa demande d'indemnisation fondée sur l'enrichissement injustifié. 27. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, M. [O] supportera les dépens et sera condamné à payer au théâtre de [Localité 4] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. 28. En application des articles 514 et suivants du code de procédure civile, l'exécution provisoire est de droit et aucun motif ne commande de l'écarter au cas présent. PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL, REJETTE la demande principale de M. [I] [O] fondée sur la contrefaçon de droit d'auteur ; REJETTE la demande subsidiaire de M. [I] [O] fondée sur l'enrichissement injustifié ; CONDAMNE M. [I] [O] aux dépens et autorise Me Marie-Hélène VIGNES à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ; CONDAMNE M. [I] [O] à payer au Centre culturel Arc-En-Ciel, Théâtre de [Localité 4] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; RAPPELLE que la présente décision est de plein droit exécutoire. Fait et jugé à Paris le 11 mai 2023 LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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Tribunal judiciaire de Paris, 11 mai 2023, 19/14230
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2023-05-11
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Tribunal judiciaire de Paris
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 19/14230 No Portalis 352J-W-B7D-CRIIA No MINUTE : Assignation du :05 décembre 2019 JUGEMENT rendu le 11 mai 2023 DEMANDERESSES SYNDICAT DU PIMENT D'[Localité 8] AOP[Adresse 3][Localité 8] INSTITUT NATIONAL DE L'ORIGINE ET DE LA QUALITE (INAO)[Adresse 1][Localité 5] représentés par Me Emmanuel BAUD du PARTNERSHIPS JONES DAY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0001 DÉFENDERESSES Madame [P], [D], [B] [F] [Adresse 7][Localité 6] représentée par Me Nadine GHORAYEB, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E1536 S.E.L.A.S. GUERIN & ASSOCIES ès qualité de mandataire judiciaire concernant Mme [F][Adresse 2][Localité 4] Défaillante COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation DEBATS A l'audience du 07 mars 2023 tenue en audience publique, et par bulletin RPVA, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 11 mai 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeRéputé contradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE : 1. L'Institut National de l'Origine et de la Qualité (ci-après INAO), est un établissement public administratif dont le siège est à [Localité 9], chargé de la mise en oeuvre des dispositions législatives et réglementaires relatives aux signes d'identification de la qualité et de l'origine. Ses attributions, définies à l'article L. 642-5 du code rural et de la pêche maritime, comprennent notamment la défense de ces signes. 2. Le Syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] regroupe les producteurs, transformateurs et conditionneurs de piment d'[Localité 8] ; il a obtenu en 2000 (décret du 29 mai 2000 relatif à l'appellation d'origine contrôlée "Piment d'[Localité 8]" ou "Piment d'[Localité 8]-[Localité 8] Biperra") l'inscription du piment d'[Localité 8] comme appellation d'origine contrôlée. En 2002 (règlement no 1495/2002 de la commission du 21 août 2002), le piment d'[Localité 8] a été inscrit au «Registre des appellations d'origine protégées et des indications géographiques protégées» prévu au règlement (CEE) no 2081/92 du Conseil relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agri coles et des denrées alimentaires. 3. Le syndicat assure en outre la gestion, la promotion et la défense de l'appellation Piment d'[Localité 8]. Il est reconnu "organisme de défense et de gestion" de cette appellation et contribue à ce titre en vertu de l'article L642-22 du code rural et de la pêche maritime à la mission d'intérêt général de protection du nom de cette appellation.4. Mme [P] ([S]) [F], retraitée depuis janvier 2021, exploitait depuis 2001 sous la forme d'une entreprise individuelle et sous le nom commercial "Biperduna", une activité agricole à [Localité 6] (64), de production de piment, ses parcelles étant identifiées pour la production d'AOP Piment d'[Localité 8]. Le bénéfice de l'AOP Piment d'[Localité 8] n'a pas été attribué à Mme [F] pour la saison 2018-2019. Elle a obtenu un nouveau certificat AOP pour la période du 1er octobre 2020 au 30 septembre 2023. 5. Par un jugement du 7 janvier 2019, le tribunal de grande instance de Bayonne a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de Mme [F] et désigné la SELAS Guerin & associés en qualité de mandataire judiciaire. Un plan de redresseemnt a été arrêté par jugement du 6 janvier 2020, prévoyant un apurement du passif sur dix ans et désigné la SELAS Guerin & associés en qualité de commissaire à l'exécution du plan. 6. Estimant que l'utilisation par Mme [F] du nom de domaine <www.piment-[Localité 8].info> pour la vente de piments et en particulier, en 2018, d'autres piments que ceux bénéficiant de l'AOP portait atteinte à l'appellation Piment d'[Localité 8], l'INAO a mis en demeure l'entreprise Biperduna, par une lettre du 6 mars 2018, de modifier son nom de domaine et de retirer de son site internet l'usage des signes de l'AOP "Piment d'[Localité 8]" et AB Agriculture Biologique. 7. Cette lettre étant restée sans réponse, l'INAO, auquel s'est joint le Syndicat du piment d'[Localité 8], ont de nouveau mis en demeure Mme [F] le 7 juin 2018 puis le 14 mai 2019. 8. Par actes d'huissier du 5 décembre 2019, l'INAO et le Syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] ont fait assigner Mme [F] devant le tribunal judiciaire de Paris, ainsi que la SELAS Guerin & associés, afin d'obtenir des mesures d'interdiction à son encontre. 9. Bien que régulièrement citée à une personne présente (Mme [E]), la Selas Guerin & associés n'a pas constitué avocat. 10. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 avril 2022, l'INAO et le Syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] demandent au tribunal, de : - Dire qu'ils sont recevables et bien fondé en leur action ; - Dire que le jugement à intervenir opposable à la SELAS Guérin & Associés ; En conséquence, - Dire que la réservation du nom de domaine www.piment-[Localité 8].info, son usage et l'usage du terme "[Localité 8]", associé à des mentions comme "type" ou "variété", à quelque titre que ce soit, en lien avec des piments n'ayant pas droit à l'AOP "Piment d'[Localité 8]" ou un site Internet présentant de tels produits par Mme [P] [F] portent atteinte à l'AOP "Piment d'[Localité 8]" ou "Piment d'[Localité 8]-[Localité 8] Biperra" ; - Ordonner à Mme [P] [F], dans un délai de 10 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par infraction constatée, le tribunal se réservant le droit de liquider l'astreinte directement, de faire publier pendant un délai de deux mois, à compter de la signification du jugement, le résumé suivant du jugement à intervenir en page d'accueil du site "piment basque" qu'elle qu'en soit l'adresse URL, et notamment "piment-basque.info", dans un encart clairement lisible intitulé "publication judiciaire" : "Par jugement du [date] 2022, rendu à la demande de l'INAO et du Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP, le Tribunal judiciaire de Paris a reconnu Madame [P] [F] exerçant sous le nom commercial Biperduna responsable d'actes d'atteinte à l'AOP "Piment d'[Localité 8]" du fait de la réservation et l'usage du nom de domaine "piment-[Localité 8].info", notamment en rapport avec des produits non éligibles à l'AOP » ; - Ordonner à Mme [P] [F] de procéder à la radiation du nom de domaine www.piment- [Localité 8].info dans un délai de 10 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, le Tribunal se réservant le droit de liquider l'astreinte directement ; - Autoriser en tant que de besoin les Demandeurs à transmettre le jugement à intervenir à toute unité d'enregistrement de noms de domaine aux fins de faire procéer à la radiation du nom de domaine www.piment-[Localité 8].info/ en lieu et place de Mme [P] [F] ; - Dire que le tribunal sera compétent pour connaîre de la liquidation des astreintes qu'il aura ordonnés, conformément aux dispositions de l'article L.131-3 du code des procéures civiles d'exécution et que ces astreintes seront au bénéfice de l'ensemble des Demandeurs ; - Condamner Mme [P] [F] à payer aux Demandeurs la somme globale de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procéure civile ; - Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant tout recours et sans constitution de garantie ; - Condamner Mme [P] [F] aux entiers déens, dont distraction au profit de Me Emmanuel Baud, avocat au barreau de Paris, en application de l'article 699 du code de procédure civile. 11. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 juin 2022, Mme [P] [F] demande au tribunal, de : - Dire qu'elle est autorisée à utiliser le terme [Localité 8], puisqu'elle a désormais le droit d'utiliser cette AOP ; - Débouter l'Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO) et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de l'ensemble de leurs demandes ; - Débouter l'Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO) et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande de « Dire et juger que la réservation du nom de domaine www.piment-[Localité 8].info son usage et l'usage du terme « [Localité 8] », associé à des mentions comme « type » ou « variété », à quelque titre que ce soit, en lien avec des piments n'ayant pas droit à l'AOP « Piment d'[Localité 8] » ou un site Internet présentant de tels produits par Madame [F] portent atteinte à l'AOP « Piment d'[Localité 8] » ou « Piment d'[Localité 8]-[Localité 8] Biperra » Mme [P] [F] n'exploitant plus ce nom de domaine, exploité par la société Biperduna leur demande est sans objet ; - Débouter l'Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO) et Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande de « Ordonner à Madame [F], dans un délai de 10 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par infraction constatée, le Tribunal se réservant le droit de liquider l'astreinte directement, de faire publier pendant un délai de deux mois, à compter de la signification du jugement, le résumé suivant du jugement à intervenir en page d'accueil du site « piment basque » qu'elle qu'en soit l'adresse URL, et notamment « piment-basque.info », dans un encart clairement lisible intitulé « publication judiciaire» : « Par jugement du [date] 2022, rendu à la demande de l'INAO et du Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP, le Tribunal judiciaire de Paris a reconnu Madame [F] exerçant sous le nom commercial Biperduna responsable d'actes d'atteinte à l'AOP « Piment d'[Localité 8] » du fait de la réservation et l'usage du nom de domaine « piment-[Localité 8].info », notamment en rapport avec des produits non éligibles à l'AOP », Mme [P] [F] n'exploitant plus ce nom de domaine, exploité par la société Biperduna leur demandes est sans objet et irrecevable ; - Débouter l'Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO) et Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande concernant leur demande de radiation du site www.piment- [Localité 8].info/ dans un délai de 10 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 1.000 euros par jours de retard, cette demande étant sans objet ; toute unité d'enregistrement de noms de domaine aux fins de faire procéder à la radiation du nom de domaine www.piment-[Localité 8].info/ en lieu et place de Mme [F]. » ces demandes étant sans objet puisque Mme [P] [F] est retraitée et le nom de domaine exploité par la société Biperduna ; - Débouter l'Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO) et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande «Dire et juger que le Tribunal sera compétent pour connaître de la liquidation des astreintes qu'il aura ordonnées, conformément aux dispositions de l'article L.131-3 du Code des procédures civiles d'exécution et que ces astreintes seront au bénéfice de l'ensemble desDemandeurs ; - Débouter l'Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO) et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande de condamnation sous astreinte ; - Débouter l'Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO) et Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de publication du jugement et le dispositif à intervenir sur leurs propres sites Internet et à leur seule discrétion ; - Débouter l'Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO) et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande de condamnation de Mme [P] [F] à leur verser la somme de 10.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ; - Accorder les délais les plus larges possibles à Mme [P] [F] sur une période de 24 mois ; - Débouter l'Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO) et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande d'exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant tout recours et sans constitution de garantie ; - Débouter l'Institut National de l'Origine et de la Qualité (INAO) et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leurs demandes de condamnations aux dépens. 12. L'instruction de l'affaire a été close par une ordonnance du 4 octobre 2022 et renvoyée à l'audience du 7 mars 2023. MOTIFS DE LA DÉCISION 1/ Sur la recevabilité de l'action 13. L'article L. 622-21 du code de commerce, applicable au redressement judiciaire par renvoi de l'article L. 631-14 du même code, dispose que le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant notamment à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent. Selon l'article L. 622-17 du code de commerce, les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance. 14. La règle de l'arrêt des poursuites individuelles, consécutive à l'ouverture d'une procédure collective constitue une fin de non-recevoir pouvant être proposée en tout état de cause dont le caractère d'ordre public impose au juge de la relever d'office. Sont soumises à la règle de l'arrêt des poursuites individuelles les actions tendant, sous couvert de l'exécution d'une obligation de faire, à obtenir le paiement d'une somme d'argent pour une cause antérieure à l'ouverture de la procédure. 15. Les créances nouvelles, nées après l'arrêté d'un plan de redressement du débiteur remis à la tête de ses biens, sont soumises au droit commun (Com. 26 oct. 2022, no 21-13.474, publié au Bulletin). En effet, à compter du jugement arrêtant le plan, il est mis fin à la période d'observation (article L. 626-1 du code de commerce) et le droit commun reprend en principe son empire. Concernant le « passif nouveau», né après l'adoption du plan, la loi de 1985 était muette ; la Cour de cassation en a déduit que « Les créances nées après le jugement arrêtant le plan de continuation de l'entreprise ne sont pas soumises aux dispositions de l'article 40 de la loi du 15 janvier 1985 », (devenu l'article L. 621-32du code de commerce : Cass. Com. 3 avril 1990, pourvoi no 88-19807, Bull. 1990, IV, no 113), et qu'« elles ne sont pas davantage soumises au régime des créances antérieures au jugement d'ouverture de la procédure collective » (Cass. Com. 17 septembre 2002, pourvoi no 99-15480). 16. En l'occurence, les demandes soumises par l'INAO et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] visent à obtenir la condamnation, sous astreinte, de Mme [F] à procéder à la radiation du nom de domaine <www.piment-[Localité 8].info> et à publier sur le site auquel renvoie ce nom de domaine le jugement à intervenir, à titre de réparation des atteintes qu'ils estiment avoir été portées à l'AOP piment d'[Localité 8]. 17. Ce faisant, l'action des demandeurs, en ce qu'elle poursuit la fixation d'une astreinte provisoire pour contraindre à l'exécution d'obligations de faire qu'ils entendent voir mettre à la charge de Mme [F] par la présente décision, n'est pas soumise à l'arrêt des poursuites individuelles, dès lors que la créance poursuivie a son fait générateur dans la présente décision, postérieure au jugement arrêtant le plan de redressement, ce dont il résulte qu'elle est une créance de droit commun et que les deamndes sont recevables. 2 / Sur les atteintes à l'AOP Piment d'[Localité 8] Moyens des parties 18. L'INAO et le le Syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] font valoir que Mme [F] a porté atteinte à l'AOP piment d'[Localité 8] ou piment d'[Localité 8]-[Localité 8] Biperra par la réservation du nom de domaine <www.piment-[Localité 8].info>, reprenant la dénomination exacte de l'AOP, qu'elle ne pouvait s'approprier, par l'exploitation de ce site pour vendre des produits ne bénéficiant pas de l'AOP et par l'usage du terme « [Localité 8] », associé à des mentions comme « type » ou « variété ». 19. Mme [F] fait quant à elle valoir qu'elle a réservé le nom de domaine litigieux de bonne foi et qu'il n'existe plus, ayant demandé sa radiation. Elle affirme avoir utilisé dès le début de l'année 2020 le nom de domaine <www.piment-basque.info> et fait imprimer de nouvelles étiquettes avec ce nom de domaine, et invoque pour preuve un constat d'huissier du 11 janvier 2021. Elle ajoute que les mentions du site internet invoquées par les demandeurs comme portant atteinte à l'AOP ont été supprimées et qu'en tout état de cause aucune atteinte passée ne peut lui être reprochées dès lors qu'elle justifie avoir été adhérente du syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8], lui donnant le droit d'utiliser des étiquettes mentionnant l'AOP et qu'elle a obtenu le renouvellement de sa certification avant son départ à la retraite. Appréciation du tribunal 20. L'article L 722-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que «Toute atteinte portée à une indication géographique en violation de la protection qui lui est accordée par le droit de l'Union européenne ou la législation nationale constitue une contrefaçon engageant la responsabilité de son auteur. Pour l'application du présent chapitre, on entend par "indication géographique": (...) c) Les appellations d'origine et les indications géographiques protégées en vertu du droit de l'Union européenne; Sont interdits la production, l'offre, la vente, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation, le transbordement, l'utilisation ou la détention à ces fins de biens dont la présentation porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à une indication géographique.» 21. Les appellations d'origine protégée sont régies par le Règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil no1151/2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires (lequel a succédé aux règlements (CE) no 510/2006 du Conseil du 20 mars 2006 et (CEE) no 2081/92 du Conseil du 14 juillet 1992), pour les produits faisant partie du champ d'application de ce règlement (article 2). L'article 12.1 du règlement no1151/2012 dispose que "Les appellations d'origine protégées et les indications géographiques protégées peuvent être utilisées par tout opérateur commercialisant un produit conforme au cahier des charges correspondant." 22. L'article 13.1 du Règlement prévoit également que "1. Les dénominations enregistrées sont protégées contre : a) toute utilisation commerciale directe ou indirecte d'une dénomination enregistrée à l'égard des produits non couverts par l'enregistrement, lorsque ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination ou lorsque cette utilisation permet de profiter de la réputation de la dénomination protégée, y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu'ingrédients; b) toute usurpation, imitation ou évocation, même si l'origine véritable des produits ou des services est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d'une expression telle que «genre», «type», «méthode», «façon», «imitation», ou d'une expression similaire, y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu'ingrédients; c) toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l'origine, la nature ou les qualités essentielles du produit qui figure sur le conditionnement ou l'emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit concerné, ainsi que contre l'utilisation pour le conditionnement d'un récipient de nature à créer une impression erronée sur l'origine du produit; d) toute autre pratique susceptible d'induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit." 23. Les considérants 18 et 29 du règlement no 1151/2012 énoncent que « (18) En ce qui concerne la protection des appellations d'origine et des indications géographiques, les objectifs spécifiques sont de garantir un revenu équitable pour les agriculteurs et les producteurs au vu des qualités et des caractéristiques d'un produit déterminé ou de son mode de production et de fournir des informations claires sur les produits possédant des caractéristiques spécifiques liées à l'origine géographique, de manière à permettre aux consommateurs de prendre leur décision d'achat en meilleure connaissance de cause.[...] (29) Il y a lieu d'octroyer une protection aux dénominations incluses dans le registre, l'objectif étant de garantir leur bonne utilisation et de prévenir des pratiques pouvant induire le consommateur en erreur [...] » 24. Il est en l'occurrence constant que le piment d'[Localité 8] a été inscrit : - par le règlement no1495/2002 du 21 août 2002 (ayant modifié le règlement no2400/96 de la commission, du 17 décembre 1996), au «Registre des appellations d'origine protégées et des indications géographiques protégées» prévu au règlement (CEE) no 2081/92 du Conseil relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, - par le décret du 29 mai 2000 en qualité d'appellation d'origine contrôlée "Piment d'[Localité 8]" ou "Piment d'[Localité 8]-[Localité 8] Biperra". 25. Mme [F] a été habilitée à utiliser l'AOP piment d'[Localité 8] pour sa production de piments. Le renouvellement de cette habilitation lui a toutefois été refusé par l'organisme certificateur, la société Certisud, par une lettre du 20 mai 2019, lui notifiant en conséquence l'interdiction de faire usage de l'AOP piment d'[Localité 8] dans le cadre de ses activités. Elle affirme avoir été de nouveau habilitée à utiliser l'AOP piment d'[Localité 8] pour la saison 2020/2021 , ce qui n'est pas contesté par les demandeurs. Par une lettre du 10 mars 2021, Mme [F] a notifié son retrait de la filière de l'AOP piment d'[Localité 8]. 26. Ainsi, en l'absence d'habilitation, Mme [F] ne pouvait utiliser à compter du 20 mai 2019 jusqu'à la saison 2020/2021 sous quelque forme que ce soit et dans quelque but que ce soit, la mention de l'AOP piment d'[Localité 8] pour la production concernée, ni après son retrait de la filière notifié le 10 mars 2021. 27. Il ressort néanmoins du procès-verbal du 30 septembre 2019, que Mme [F] a exploité le nom de domaine <www.piment-[Localité 8].info> pour promouvoir son activité et offrir à la vente sur ce site des produits comparables au piment d'[Localité 8], s'agissant de piments basques. En outre, Mme [F] a entretenu la confusion entre piment d'[Localité 8] et piment basque de nature à induire le consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé en erreur sur la véritable origine de ses produits. C'est ce qui ressort en particulier de la capture d'écran no29 du constat du 30 septembre 2019 sur laquelle ses produits sont présentés dans les termes suivants: "notre piment d'[Localité 8] aop, Gorria", "ce piment d'[Localité 8] gorria" ou encore "A Biperduna depuis 2001, pour la production du piment d'[Localité 8] aop (...)". En outre, la capture d'écran no45 du procès verbal du 30 septembre 2019 est une page du site internet qui fait la présentation du piment basque Gorria sur laquelle est indiqué : "Pour produire du piment d'[Localité 8] il faut utiliser la variété : piment basque Gorria". 28. Par ces agissements, violant les dispositions précitées et en particulier l'article 13.1 d du règlement no 1151/2012, Mme [F] a, alors qu'elle avait perdu son habilitation, tiré profit de la réputation découlant de la qualité des produits bénéficiant de l'AOP piment d'[Localité 8] et induit les consommateurs en erreur. 29. En outre, le site internet présentait à cette date également à la vente une "poudre de piment variété gorria type [Localité 8]" alors que l'article 13.1 b du règlement no 1151/2012 interdit d'utiliser l'AOP avec les expressions «genre», «type», «méthode», «façon», «imitation», ou une expression similaire. 30. Il est ainsi établi que Mme [F] a violé l'article 13 du règlement UE no 1151/2012 en faisant une exploitation commerciale de l'AOP piment d'[Localité 8] pour offrir à la vente des produits comparables aux produits couverts par l'AOP piment d'[Localité 8], en faisant usage de l'AOP piment d'[Localité 8] en l'accompagnant de l'expression "variété", qui est similaire à "genre" ou "type" et en donnant une indication fallacieuse sur l'origine de ses produits en affirmant produire du piment d'[Localité 8]. 31. Il est également établi, par le procès-verbal de constat du 30 mars 2022, que Mme [F] a réservé le nom de domaine <www.piment-[Localité 8].info> , le 23 décembre 2005, ce qui est confirmé par la capture d'écran no51 du procès-verbal du 30 septembre 2019 relative aux mentions légales du site internet concerné qui indique "le site www.piment-[Localité 8].info est la propriété de [S] [F] en sa totalité, ainsi que l'ensemble des droits y afférant". 32. La réservation d'un nom de domaine qui est la reprise de l'appellation d'origine protégée, à laquelle est ajoutée le terme "info", est de nature à induire le consommateur en erreur en laissant entendre qu'il s'agit d'un site d'information générale relative à l'AOP piment d'[Localité 8], alors que tel n'est pas le cas puisque Mme [F] n'est que l'un des producteurs éventuellement agréé à faire usage du signe dès lors que le leur production respecte le cahier des charges élaboré par le syndicat et homologué par les autorités administratives compétentes. 33. Force est ainsi de constater que la réservation de ce nom de domaine constitue un usage privatif contraire au principe d'usage collectif de l'AOP qui appartient à tous les producteurs habilités d'une région considérée et qu'un tel signe ne saurait être monopolisé par un seul opérateur (qu'il bénéficie ou non d'un agrément). 34. Le tribunal relève en outre que Mme [F] était infomée dès le 6 mars 2018 de la nécessité de modifier le nom de domaine de son site internet. 3/ Sur les mesures de réparation Moyens des parties 35. L'INAO et le Syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] sollicitent qu'il soit enjoint sous astreinte à Mme [F] de procéder à la radiation du nom de domaine "www.piment-[Localité 8].info" et à la publication sur le site internet "www.piment-basque.info" d'un résumé du jugement. Ils font valoir que le départ à la retraite de Mme [F] et la cessation des actes dont il est fait grief ne font pas obstacle à leurs demandes. Ils ajoutent que Mme [F] est toujours titulaire du nom de domaine litigieux qui redirige l'internaute vers le site internet "piment-basque.info" et invoquent à titre de preuve un constat d'huissier établi le 30 mars 2022. 36. Mme [F] fait valoir que les demandes de l'INAO et du syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] sont sans objet dans la mesure où elle est à la retraite depuis le début de l'année 2021 et que l'exploitation du site internet et des produits qui y sont commercialisés sont désormais le fait de l'EARL Biperduna. Elle ajoute, constat d'huissier à l'appui, qu'elle n'utilisait plus le nom de domaine <www.piment-basque.info> depuis le début de l'année 2020 et avait modifié les étiquettes pour y supprimer toute référence à ce nom de domaine. Appréciation du tribunal 37. Il ressort du procès verbal de constat d'huissier en date du 30 mars 2022 qu'à cette date une recherche avec les mots clés "piment-[Localité 8].info" opérée dans le moteur de recherches Google faisait apparaître en premier résultat l'entreprise Biperduna et que l'activation du lien renvoyait sur une page présentant l'URL <www.piment-basque.info>. En outre, la recherche du propriétaire du nom de domaine désignait "[S] [F]". Ainsi, le lien piment-[Localité 8].info était encore actif à cette date. 38. Il y a donc lieu de faire droit à la demande de radiation du nom de domaine <www.piment-[Localité 8].info> selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision. 39. L'article 13.3 du Règlement no1151/2012 prévoit que "lesÉtats membres prennent les mesures administratives ou judiciaires appropriées pour prévenir ou arrêter l'utilisation illégale visée au paragraphe 1 d'appellations d'origine protégées ou d'indications géographiques protégées qui sont produites ou commercialisées sur leur territoire. (...)" 40. Aux termes de l'article L. 722-7 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle, "La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise. Les mesures mentionnées aux deux premiers alinéas sont ordonnées aux frais de l'auteur de la contrefaçon". 41. Si la publication judiciaire apparaît nécessaire et proportionnée pour réparer le préjudice causé par l'atteinte à l'AOP piment d'[Localité 8] et par la confusion créée dans l'esprit des consommateurs, il ne peut être fait droit à la demande de condamnation de Mme [F] à la publication du présent jugement sur le site internet accessible à l'adresse <www.piment-basque.info> du présent jugement, dès lors que ce site est désormais exploité par l'EARL Biperduna, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 22 septembre 2020 et à laquelle Mme [F] a cédé en janvier et septembre 2021 la majeure partie de ses parcelles dans le cadre de son départ à la retraite en janvier 2021. La demande de publication de l'INAO et du Syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] est par conséquent rejetée, étant rappelé que les décisions de justice étant publiques, la victime peut faire procéder à ses propres frais à toute mesure de publicité de la condamnation prononcée à son bénéfice, sous réserve de l'abus (Cass. Com., 18 octobre 2017, pourvoi no 15-27.136). 42. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure, Mme [F] sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à l'INAO et au syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8], la somme de 1.000 euros chacun par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 43. Nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, l'exécution provisoire sera ordonnée conformément aux dispositions de 515 du code de procédure civile dans sa version applicable au litige eu égard à la date de l'assignation ( antérieure au décret no2019-1333 du 11 décembre 2019). PAR CES MOTIFS Le tribunal, statuant publiquement par jugement réputé contradictoire, mis à disposition au greffe, et en premier ressort, ORDONNE à Mme [P] ([S]) [F] de procéder à la radiation du nom de domaine <www.piment-[Localité 8].info>, en justifiant auprès de l'INAO et du syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] de l'effectivité de ses démarches auprès des personnes concernées, et ce dans un délai de 30 jours à compter de la signification du présent jugement, puis sous astreinte de 200 euros par jour, qui courra pendant au maximum 180 jours ; ce délai de 30 jours étant le délai total pour que la suppression du nom de domaine soit effective, et non le délai pour engager les démarches nécessaires ; AUTORISE l'INAO et le syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8], à défaut de radiation effective de ces noms de domaine dans un délai de 60 jours, à notifier le présent jugement à l'AFNIC ou toute autre unité d'enregistrement compétente, aux fins d'y procéder aux lieu et place de Mme [P] ([S]) [F] ; REJETTE les autres demandes de l'INAO et du syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] ; CONDAMNE Mme [P] [F] aux dépens, et autorise Me Emmanuel Baud, avocat au barreau de Paris, à recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ; CONDAMNE Mme [P] [F] à payer à l'INAO et au syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] la somme globale de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procéure civile ; ORDONNE l'exécution provisoire du jugement. Fait et jugé à Paris le 11 mai 2023. LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000047636351
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 11 mai 2023, 22/11181
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2023-05-11
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Tribunal judiciaire de Paris
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22/11181
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 19/14230 No Portalis 352J-W-B7D-CRIIA No MINUTE : Assignation du :05 décembre 2019 JUGEMENT rendu le 11 mai 2023 DEMANDERESSES SYNDICAT DU PIMENT D'[Localité 8] AOP[Adresse 3][Localité 8] [9][Adresse 1][Localité 5] représentés par Me Emmanuel BAUD du PARTNERSHIPS JONES DAY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0001 DÉFENDERESSES Madame [C], [H], [D] [P] [Adresse 7][Localité 6] représentée par Me Nadine GHORAYEB, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E1536 S.E.L.A.S. GUERIN & ASSOCIES ès qualité de mandataire judiciaire concernant Mme [P][Adresse 2][Localité 4] Défaillante COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation DEBATS A l'audience du 07 mars 2023 tenue en audience publique, et par bulletin RPVA, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 11 mai 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeRéputé contradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE : 1. L'Institut National de l'Origine et de la Qualité (ci-après INAO), est un établissement public administratif dont le siège est à [Adresse 10], chargé de la mise en oeuvre des dispositions législatives et réglementaires relatives aux signes d'identification de la qualité et de l'origine. Ses attributions, définies à l'article L. 642-5 du code rural et de la pêche maritime, comprennent notamment la défense de ces signes. 2. Le Syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] regroupe les producteurs, transformateurs et conditionneurs de piment d'espelette ; il a obtenu en 2000 (décret du 29 mai 2000 relatif à l'appellation d'origine contrôlée "Piment d'Espelette" ou "Piment d'[Localité 8]-Ezpeletako Biperra") l'inscription du piment d'espelette comme appellation d'origine contrôlée. En 2002 (règlement no 1495/2002 de la commission du 21 août 2002), le piment d'espelette a été inscrit au «Registre des appellations d'origine protégées et des indications géographiques protégées» prévu au règlement (CEE) no 2081/92 du Conseil relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agri coles et des denrées alimentaires. 3. Le syndicat assure en outre la gestion, la promotion et la défense de l'appellation Piment d'[Localité 8]. Il est reconnu "organisme de défense et de gestion" de cette appellation et contribue à ce titre en vertu de l'article L642-22 du code rural et de la pêche maritime à la mission d'intérêt général de protection du nom de cette appellation.4. Mme [C] ([S]) [P], retraitée depuis janvier 2021, exploitait depuis 2001 sous la forme d'une entreprise individuelle et sous le nom commercial "Biperduna", une activité agricole à [Localité 6] (64), de production de piment, ses parcelles étant identifiées pour la production d'AOP Piment d'[Localité 8]. Le bénéfice de l'AOP Piment d'[Localité 8] n'a pas été attribué à Mme [P] pour la saison 2018-2019. Elle a obtenu un nouveau certificat AOP pour la période du 1er octobre 2020 au 30 septembre 2023. 5. Par un jugement du 7 janvier 2019, le tribunal de grande instance de Bayonne a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de Mme [P] et désigné la SELAS Guerin & associés en qualité de mandataire judiciaire. Un plan de redresseemnt a été arrêté par jugement du 6 janvier 2020, prévoyant un apurement du passif sur dix ans et désigné la SELAS Guerin & associés en qualité de commissaire à l'exécution du plan. 6. Estimant que l'utilisation par Mme [P] du nom de domaine <www.piment-espelette.info> pour la vente de piments et en particulier, en 2018, d'autres piments que ceux bénéficiant de l'AOP portait atteinte à l'appellation Piment d'[Localité 8], l'INAO a mis en demeure l'entreprise Biperduna, par une lettre du 6 mars 2018, de modifier son nom de domaine et de retirer de son site internet l'usage des signes de l'AOP "Piment d'[Localité 8]" et AB Agriculture Biologique. 7. Cette lettre étant restée sans réponse, l'INAO, auquel s'est joint le Syndicat du piment d'[Localité 8], ont de nouveau mis en demeure Mme [P] le 7 juin 2018 puis le 14 mai 2019. 8. Par actes d'huissier du 5 décembre 2019, l'INAO et le Syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] ont fait assigner Mme [P] devant le tribunal judiciaire de Paris, ainsi que la SELAS Guerin & associés, afin d'obtenir des mesures d'interdiction à son encontre. 9. Bien que régulièrement citée à une personne présente (Mme [R]), la Selas Guerin & associés n'a pas constitué avocat. 10. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 avril 2022, l'INAO et le Syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] demandent au tribunal, de : - Dire qu'ils sont recevables et bien fondé en leur action ; - Dire que le jugement à intervenir opposable à la SELAS Guérin & Associés ; En conséquence, - Dire que la réservation du nom de domaine www.piment-espelette.info, son usage et l'usage du terme "Espelette", associé à des mentions comme "type" ou "variété", à quelque titre que ce soit, en lien avec des piments n'ayant pas droit à l'AOP "Piment d'[Localité 8]" ou un site Internet présentant de tels produits par Mme [C] [P] portent atteinte à l'AOP "Piment d'[Localité 8]" ou "Piment d'[Localité 8]-Ezpeletako Biperra" ; - Ordonner à Mme [C] [P], dans un délai de 10 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par infraction constatée, le tribunal se réservant le droit de liquider l'astreinte directement, de faire publier pendant un délai de deux mois, à compter de la signification du jugement, le résumé suivant du jugement à intervenir en page d'accueil du site "piment basque" qu'elle qu'en soit l'adresse URL, et notamment "piment-basque.info", dans un encart clairement lisible intitulé "publication judiciaire" : "Par jugement du [date] 2022, rendu à la demande de l'INAO et du Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP, le Tribunal judiciaire de Paris a reconnu Madame [C] [P] exerçant sous le nom commercial Biperduna responsable d'actes d'atteinte à l'AOP "Piment d'[Localité 8]" du fait de la réservation et l'usage du nom de domaine "piment-espelette.info", notamment en rapport avec des produits non éligibles à l'AOP » ; - Ordonner à Mme [C] [P] de procéder à la radiation du nom de domaine www.piment- espelette.info dans un délai de 10 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, le Tribunal se réservant le droit de liquider l'astreinte directement ; - Autoriser en tant que de besoin les Demandeurs à transmettre le jugement à intervenir à toute unité d'enregistrement de noms de domaine aux fins de faire procéer à la radiation du nom de domaine www.piment-espelette.info/ en lieu et place de Mme [C] [P] ; - Dire que le tribunal sera compétent pour connaîre de la liquidation des astreintes qu'il aura ordonnés, conformément aux dispositions de l'article L.131-3 du code des procéures civiles d'exécution et que ces astreintes seront au bénéfice de l'ensemble des Demandeurs ; - Condamner Mme [C] [P] à payer aux Demandeurs la somme globale de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procéure civile ; - Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant tout recours et sans constitution de garantie ; - Condamner Mme [C] [P] aux entiers déens, dont distraction au profit de Me Emmanuel Baud, avocat au barreau de Paris, en application de l'article 699 du code de procédure civile. 11. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 juin 2022, Mme [C] [P] demande au tribunal, de : - Dire qu'elle est autorisée à utiliser le terme [Localité 8], puisqu'elle a désormais le droit d'utiliser cette AOP ; - Débouter l'[9] et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de l'ensemble de leurs demandes ; - Débouter l'[9] et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande de « Dire et juger que la réservation du nom de domaine www.piment-espelette.info son usage et l'usage du terme « Espelette », associé à des mentions comme « type » ou « variété », à quelque titre que ce soit, en lien avec des piments n'ayant pas droit à l'AOP « Piment d'Espelette » ou un site Internet présentant de tels produits par Madame [P] portent atteinte à l'AOP « Piment d'[Localité 8] » ou « Piment d'Espelette-Ezpeletako Biperra » Mme [C] [P] n'exploitant plus ce nom de domaine, exploité par la société Biperduna leur demande est sans objet ; - Débouter l'[9] et Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande de « Ordonner à Madame [P], dans un délai de 10 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par infraction constatée, le Tribunal se réservant le droit de liquider l'astreinte directement, de faire publier pendant un délai de deux mois, à compter de la signification du jugement, le résumé suivant du jugement à intervenir en page d'accueil du site « piment basque » qu'elle qu'en soit l'adresse URL, et notamment « piment-basque.info », dans un encart clairement lisible intitulé « publication judiciaire» : « Par jugement du [date] 2022, rendu à la demande de l'INAO et du Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP, le Tribunal judiciaire de Paris a reconnu Madame [P] exerçant sous le nom commercial Biperduna responsable d'actes d'atteinte à l'AOP « Piment d'[Localité 8] » du fait de la réservation et l'usage du nom de domaine « piment-espelette.info », notamment en rapport avec des produits non éligibles à l'AOP », Mme [C] [P] n'exploitant plus ce nom de domaine, exploité par la société Biperduna leur demandes est sans objet et irrecevable ; - Débouter l'[9] et Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande concernant leur demande de radiation du site www.piment- espelette.info/ dans un délai de 10 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 1.000 euros par jours de retard, cette demande étant sans objet ; toute unité d'enregistrement de noms de domaine aux fins de faire procéder à la radiation du nom de domaine www.piment-espelette.info/ en lieu et place de Mme [P]. » ces demandes étant sans objet puisque Mme [C] [P] est retraitée et le nom de domaine exploité par la société Biperduna ; - Débouter l'[9] et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande «Dire et juger que le Tribunal sera compétent pour connaître de la liquidation des astreintes qu'il aura ordonnées, conformément aux dispositions de l'article L.131-3 du Code des procédures civiles d'exécution et que ces astreintes seront au bénéfice de l'ensemble desDemandeurs ; - Débouter l'[9] et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande de condamnation sous astreinte ; - Débouter l'[9] et Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de publication du jugement et le dispositif à intervenir sur leurs propres sites Internet et à leur seule discrétion ; - Débouter l'[9] et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande de condamnation de Mme [C] [P] à leur verser la somme de 10.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ; - Accorder les délais les plus larges possibles à Mme [C] [P] sur une période de 24 mois ; - Débouter l'[9] et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leur demande d'exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant tout recours et sans constitution de garantie ; - Débouter l'[9] et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] AOP de leurs demandes de condamnations aux dépens. 12. L'instruction de l'affaire a été close par une ordonnance du 4 octobre 2022 et renvoyée à l'audience du 7 mars 2023. MOTIFS DE LA DÉCISION 1/ Sur la recevabilité de l'action 13. L'article L. 622-21 du code de commerce, applicable au redressement judiciaire par renvoi de l'article L. 631-14 du même code, dispose que le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant notamment à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent. Selon l'article L. 622-17 du code de commerce, les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance. 14. La règle de l'arrêt des poursuites individuelles, consécutive à l'ouverture d'une procédure collective constitue une fin de non-recevoir pouvant être proposée en tout état de cause dont le caractère d'ordre public impose au juge de la relever d'office. Sont soumises à la règle de l'arrêt des poursuites individuelles les actions tendant, sous couvert de l'exécution d'une obligation de faire, à obtenir le paiement d'une somme d'argent pour une cause antérieure à l'ouverture de la procédure. 15. Les créances nouvelles, nées après l'arrêté d'un plan de redressement du débiteur remis à la tête de ses biens, sont soumises au droit commun (Com. 26 oct. 2022, no 21-13.474, publié au Bulletin). En effet, à compter du jugement arrêtant le plan, il est mis fin à la période d'observation (article L. 626-1 du code de commerce) et le droit commun reprend en principe son empire. Concernant le « passif nouveau», né après l'adoption du plan, la loi de 1985 était muette ; la Cour de cassation en a déduit que « Les créances nées après le jugement arrêtant le plan de continuation de l'entreprise ne sont pas soumises aux dispositions de l'article 40 de la loi du 15 janvier 1985 », (devenu l'article L. 621-32du code de commerce : Cass. Com. 3 avril 1990, pourvoi no 88-19807, Bull. 1990, IV, no 113), et qu'« elles ne sont pas davantage soumises au régime des créances antérieures au jugement d'ouverture de la procédure collective » (Cass. Com. 17 septembre 2002, pourvoi no 99-15480). 16. En l'occurence, les demandes soumises par l'INAO et le Syndicat du Piment d'[Localité 8] visent à obtenir la condamnation, sous astreinte, de Mme [P] à procéder à la radiation du nom de domaine <www.piment-espelette.info> et à publier sur le site auquel renvoie ce nom de domaine le jugement à intervenir, à titre de réparation des atteintes qu'ils estiment avoir été portées à l'AOP piment d'[Localité 8]. 17. Ce faisant, l'action des demandeurs, en ce qu'elle poursuit la fixation d'une astreinte provisoire pour contraindre à l'exécution d'obligations de faire qu'ils entendent voir mettre à la charge de Mme [P] par la présente décision, n'est pas soumise à l'arrêt des poursuites individuelles, dès lors que la créance poursuivie a son fait générateur dans la présente décision, postérieure au jugement arrêtant le plan de redressement, ce dont il résulte qu'elle est une créance de droit commun et que les deamndes sont recevables. 2 / Sur les atteintes à l'AOP [Adresse 11] Moyens des parties 18. L'INAO et le le Syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] font valoir que Mme [P] a porté atteinte à l'AOP piment d'Espelette ou piment d'Espelette-Ezpeletako Biperra par la réservation du nom de domaine <www.piment-espelette.info>, reprenant la dénomination exacte de l'AOP, qu'elle ne pouvait s'approprier, par l'exploitation de ce site pour vendre des produits ne bénéficiant pas de l'AOP et par l'usage du terme « [Localité 8] », associé à des mentions comme « type » ou « variété ». 19. Mme [P] fait quant à elle valoir qu'elle a réservé le nom de domaine litigieux de bonne foi et qu'il n'existe plus, ayant demandé sa radiation. Elle affirme avoir utilisé dès le début de l'année 2020 le nom de domaine <www.piment-basque.info> et fait imprimer de nouvelles étiquettes avec ce nom de domaine, et invoque pour preuve un constat d'huissier du 11 janvier 2021. Elle ajoute que les mentions du site internet invoquées par les demandeurs comme portant atteinte à l'AOP ont été supprimées et qu'en tout état de cause aucune atteinte passée ne peut lui être reprochées dès lors qu'elle justifie avoir été adhérente du syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8], lui donnant le droit d'utiliser des étiquettes mentionnant l'AOP et qu'elle a obtenu le renouvellement de sa certification avant son départ à la retraite. Appréciation du tribunal 20. L'article L 722-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que «Toute atteinte portée à une indication géographique en violation de la protection qui lui est accordée par le droit de l'Union européenne ou la législation nationale constitue une contrefaçon engageant la responsabilité de son auteur. Pour l'application du présent chapitre, on entend par "indication géographique": (...) c) Les appellations d'origine et les indications géographiques protégées en vertu du droit de l'Union européenne; Sont interdits la production, l'offre, la vente, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation, le transbordement, l'utilisation ou la détention à ces fins de biens dont la présentation porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à une indication géographique.» 21. Les appellations d'origine protégée sont régies par le Règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil no1151/2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires (lequel a succédé aux règlements (CE) no 510/2006 du Conseil du 20 mars 2006 et (CEE) no 2081/92 du Conseil du 14 juillet 1992), pour les produits faisant partie du champ d'application de ce règlement (article 2). L'article 12.1 du règlement no1151/2012 dispose que "Les appellations d'origine protégées et les indications géographiques protégées peuvent être utilisées par tout opérateur commercialisant un produit conforme au cahier des charges correspondant." 22. L'article 13.1 du Règlement prévoit également que "1. Les dénominations enregistrées sont protégées contre : a) toute utilisation commerciale directe ou indirecte d'une dénomination enregistrée à l'égard des produits non couverts par l'enregistrement, lorsque ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination ou lorsque cette utilisation permet de profiter de la réputation de la dénomination protégée, y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu'ingrédients; b) toute usurpation, imitation ou évocation, même si l'origine véritable des produits ou des services est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d'une expression telle que «genre», «type», «méthode», «façon», «imitation», ou d'une expression similaire, y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu'ingrédients; c) toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l'origine, la nature ou les qualités essentielles du produit qui figure sur le conditionnement ou l'emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit concerné, ainsi que contre l'utilisation pour le conditionnement d'un récipient de nature à créer une impression erronée sur l'origine du produit; d) toute autre pratique susceptible d'induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit." 23. Les considérants 18 et 29 du règlement no 1151/2012 énoncent que « (18) En ce qui concerne la protection des appellations d'origine et des indications géographiques, les objectifs spécifiques sont de garantir un revenu équitable pour les agriculteurs et les producteurs au vu des qualités et des caractéristiques d'un produit déterminé ou de son mode de production et de fournir des informations claires sur les produits possédant des caractéristiques spécifiques liées à l'origine géographique, de manière à permettre aux consommateurs de prendre leur décision d'achat en meilleure connaissance de cause.[...] (29) Il y a lieu d'octroyer une protection aux dénominations incluses dans le registre, l'objectif étant de garantir leur bonne utilisation et de prévenir des pratiques pouvant induire le consommateur en erreur [...] » 24. Il est en l'occurrence constant que le piment d'espelette a été inscrit : - par le règlement no1495/2002 du 21 août 2002 (ayant modifié le règlement no2400/96 de la commission, du 17 décembre 1996), au «Registre des appellations d'origine protégées et des indications géographiques protégées» prévu au règlement (CEE) no 2081/92 du Conseil relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, - par le décret du 29 mai 2000 en qualité d'appellation d'origine contrôlée "Piment d'Espelette" ou "[Adresse 12]". 25. Mme [P] a été habilitée à utiliser l'AOP piment d'[Localité 8] pour sa production de piments. Le renouvellement de cette habilitation lui a toutefois été refusé par l'organisme certificateur, la société Certisud, par une lettre du 20 mai 2019, lui notifiant en conséquence l'interdiction de faire usage de l'AOP piment d'[Localité 8] dans le cadre de ses activités. Elle affirme avoir été de nouveau habilitée à utiliser l'AOP piment d'[Localité 8] pour la saison 2020/2021 , ce qui n'est pas contesté par les demandeurs. Par une lettre du 10 mars 2021, Mme [P] a notifié son retrait de la filière de l'AOP piment d'[Localité 8]. 26. Ainsi, en l'absence d'habilitation, Mme [P] ne pouvait utiliser à compter du 20 mai 2019 jusqu'à la saison 2020/2021 sous quelque forme que ce soit et dans quelque but que ce soit, la mention de l'AOP piment d'[Localité 8] pour la production concernée, ni après son retrait de la filière notifié le 10 mars 2021. 27. Il ressort néanmoins du procès-verbal du 30 septembre 2019, que Mme [P] a exploité le nom de domaine <www.piment-espelette.info> pour promouvoir son activité et offrir à la vente sur ce site des produits comparables au piment d'[Localité 8], s'agissant de piments basques. En outre, Mme [P] a entretenu la confusion entre piment d'[Localité 8] et piment basque de nature à induire le consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé en erreur sur la véritable origine de ses produits. C'est ce qui ressort en particulier de la capture d'écran no29 du constat du 30 septembre 2019 sur laquelle ses produits sont présentés dans les termes suivants: "notre piment d'espelette aop, Gorria", "ce piment d'espelette gorria" ou encore "A Biperduna depuis 2001, pour la production du piment d'espelette aop (...)". En outre, la capture d'écran no45 du procès verbal du 30 septembre 2019 est une page du site internet qui fait la présentation du piment basque Gorria sur laquelle est indiqué : "Pour produire du piment d'[Localité 8] il faut utiliser la variété : piment basque Gorria". 28. Par ces agissements, violant les dispositions précitées et en particulier l'article 13.1 d du règlement no 1151/2012, Mme [P] a, alors qu'elle avait perdu son habilitation, tiré profit de la réputation découlant de la qualité des produits bénéficiant de l'AOP piment d'[Localité 8] et induit les consommateurs en erreur. 29. En outre, le site internet présentait à cette date également à la vente une "poudre de piment variété gorria type espelette" alors que l'article 13.1 b du règlement no 1151/2012 interdit d'utiliser l'AOP avec les expressions «genre», «type», «méthode», «façon», «imitation», ou une expression similaire. 30. Il est ainsi établi que Mme [P] a violé l'article 13 du règlement UE no 1151/2012 en faisant une exploitation commerciale de l'AOP piment d'[Localité 8] pour offrir à la vente des produits comparables aux produits couverts par l'AOP piment d'[Localité 8], en faisant usage de l'AOP piment d'[Localité 8] en l'accompagnant de l'expression "variété", qui est similaire à "genre" ou "type" et en donnant une indication fallacieuse sur l'origine de ses produits en affirmant produire du piment d'[Localité 8]. 31. Il est également établi, par le procès-verbal de constat du 30 mars 2022, que Mme [P] a réservé le nom de domaine <www.piment-espelette.info> , le 23 décembre 2005, ce qui est confirmé par la capture d'écran no51 du procès-verbal du 30 septembre 2019 relative aux mentions légales du site internet concerné qui indique "le site www.piment-espelette.info est la propriété de [S] [P] en sa totalité, ainsi que l'ensemble des droits y afférant". 32. La réservation d'un nom de domaine qui est la reprise de l'appellation d'origine protégée, à laquelle est ajoutée le terme "info", est de nature à induire le consommateur en erreur en laissant entendre qu'il s'agit d'un site d'information générale relative à l'AOP piment d'[Localité 8], alors que tel n'est pas le cas puisque Mme [P] n'est que l'un des producteurs éventuellement agréé à faire usage du signe dès lors que le leur production respecte le cahier des charges élaboré par le syndicat et homologué par les autorités administratives compétentes. 33. Force est ainsi de constater que la réservation de ce nom de domaine constitue un usage privatif contraire au principe d'usage collectif de l'AOP qui appartient à tous les producteurs habilités d'une région considérée et qu'un tel signe ne saurait être monopolisé par un seul opérateur (qu'il bénéficie ou non d'un agrément). 34. Le tribunal relève en outre que Mme [P] était infomée dès le 6 mars 2018 de la nécessité de modifier le nom de domaine de son site internet. 3/ Sur les mesures de réparation Moyens des parties 35. L'INAO et le Syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] sollicitent qu'il soit enjoint sous astreinte à Mme [P] de procéder à la radiation du nom de domaine "www.piment-espelette.info" et à la publication sur le site internet "www.piment-basque.info" d'un résumé du jugement. Ils font valoir que le départ à la retraite de Mme [P] et la cessation des actes dont il est fait grief ne font pas obstacle à leurs demandes. Ils ajoutent que Mme [P] est toujours titulaire du nom de domaine litigieux qui redirige l'internaute vers le site internet "piment-basque.info" et invoquent à titre de preuve un constat d'huissier établi le 30 mars 2022. 36. Mme [P] fait valoir que les demandes de l'INAO et du syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] sont sans objet dans la mesure où elle est à la retraite depuis le début de l'année 2021 et que l'exploitation du site internet et des produits qui y sont commercialisés sont désormais le fait de l'EARL Biperduna. Elle ajoute, constat d'huissier à l'appui, qu'elle n'utilisait plus le nom de domaine <www.piment-basque.info> depuis le début de l'année 2020 et avait modifié les étiquettes pour y supprimer toute référence à ce nom de domaine. Appréciation du tribunal 37. Il ressort du procès verbal de constat d'huissier en date du 30 mars 2022 qu'à cette date une recherche avec les mots clés "piment-espelette.info" opérée dans le moteur de recherches Google faisait apparaître en premier résultat l'entreprise Biperduna et que l'activation du lien renvoyait sur une page présentant l'URL <www.piment-basque.info>. En outre, la recherche du propriétaire du nom de domaine désignait "[S] [P]". Ainsi, le lien piment-espelette.info était encore actif à cette date. 38. Il y a donc lieu de faire droit à la demande de radiation du nom de domaine <www.piment-espelette.info> selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision. 39. L'article 13.3 du Règlement no1151/2012 prévoit que "lesÉtats membres prennent les mesures administratives ou judiciaires appropriées pour prévenir ou arrêter l'utilisation illégale visée au paragraphe 1 d'appellations d'origine protégées ou d'indications géographiques protégées qui sont produites ou commercialisées sur leur territoire. (...)" 40. Aux termes de l'article L. 722-7 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle, "La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise. Les mesures mentionnées aux deux premiers alinéas sont ordonnées aux frais de l'auteur de la contrefaçon". 41. Si la publication judiciaire apparaît nécessaire et proportionnée pour réparer le préjudice causé par l'atteinte à l'AOP piment d'[Localité 8] et par la confusion créée dans l'esprit des consommateurs, il ne peut être fait droit à la demande de condamnation de Mme [P] à la publication du présent jugement sur le site internet accessible à l'adresse <www.piment-basque.info> du présent jugement, dès lors que ce site est désormais exploité par l'EARL Biperduna, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 22 septembre 2020 et à laquelle Mme [P] a cédé en janvier et septembre 2021 la majeure partie de ses parcelles dans le cadre de son départ à la retraite en janvier 2021. La demande de publication de l'INAO et du Syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] est par conséquent rejetée, étant rappelé que les décisions de justice étant publiques, la victime peut faire procéder à ses propres frais à toute mesure de publicité de la condamnation prononcée à son bénéfice, sous réserve de l'abus (Cass. Com., 18 octobre 2017, pourvoi no 15-27.136). 42. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure, Mme [P] sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à l'INAO et au syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8], la somme de 1.000 euros chacun par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 43. Nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, l'exécution provisoire sera ordonnée conformément aux dispositions de 515 du code de procédure civile dans sa version applicable au litige eu égard à la date de l'assignation ( antérieure au décret no2019-1333 du 11 décembre 2019). PAR CES MOTIFS Le tribunal, statuant publiquement par jugement réputé contradictoire, mis à disposition au greffe, et en premier ressort, ORDONNE à Mme [C] ([S]) [P] de procéder à la radiation du nom de domaine <www.piment-espelette.info>, en justifiant auprès de l'INAO et du syndicat de l'AOP Piment d'espelette de l'effectivité de ses démarches auprès des personnes concernées, et ce dans un délai de 30 jours à compter de la signification du présent jugement, puis sous astreinte de 200 euros par jour, qui courra pendant au maximum 180 jours ; ce délai de 30 jours étant le délai total pour que la suppression du nom de domaine soit effective, et non le délai pour engager les démarches nécessaires ; AUTORISE l'INAO et le syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8], à défaut de radiation effective de ces noms de domaine dans un délai de 60 jours, à notifier le présent jugement à l'AFNIC ou toute autre unité d'enregistrement compétente, aux fins d'y procéder aux lieu et place de Mme [C] ([S]) [P] ; REJETTE les autres demandes de l'INAO et du syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] ; CONDAMNE Mme [C] [P] aux dépens, et autorise Me Emmanuel Baud, avocat au barreau de Paris, à recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ; CONDAMNE Mme [C] [P] à payer à l'INAO et au syndicat de l'AOP Piment d'[Localité 8] la somme globale de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procéure civile ; ORDONNE l'exécution provisoire du jugement. Fait et jugé à Paris le 11 mai 2023. LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000047636352
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 7 avril 2023, 23/52183
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2023-04-07
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Tribunal judiciaire de Paris
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23/52183
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CT0760
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS No RG 23/52183 - No Portalis 352J-W-B7H-CZHAQ No:1/MC Assignation du :02 Mars 2023 J U G E M E N Trendu le 07 avril 2023 En état de référé (article 487 du code de procédure civile) par le Tribunal judiciaire de PARIS, composé de : Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeElodie GUENNEC, vice-présidenteArthur COURILLON-HAVY, juge Assisté de Marion COBOS, Greffier, dans l'instance opposant : Société LENOVO DEUTSCHLAND GmbHMeitnerstrabe 970563STUTTGART - ALLEMAGNE Société LENOVO UNITED STATES Inc.[Adresse 4][Adresse 6]ETATS UNIS D'AMERIQUE représentées par Maître Sabine AGE de la SELARL VERON & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS - #P0512, et par Maître Amandine METIER de la SELARL VERON & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS - #P512 à : S.A. VANTIVA[Adresse 3][Localité 2] S.A.S. THOMSON LICENSING[Adresse 5][Adresse 5][Localité 1] représentées par Maître Raphaëlle DEQUIRÉ-PORTIER de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocat au barreau de PARIS - #T0003 DÉBATS A l'audience du 20 Mars 2023, tenue publiquement, par le tribunal. EXPOSÉ DU LITIGE : 1. La norme HEVC (High Efficiency Video Coding), est une norme de codage et de compression de vidéos destinée à améliorer leur débit de transmission sur le réseau. Cette norme est élaborée sous l'égide de l'Union Internationale des Télécommunication (IUT). 2. Le 5 février 2017, la société de droit français Thomson Licensing a déclaré auprès de l'IUT certains des brevets détenus par sa mère, la société Technicolor, devenue Vantiva, spécialisée dans la conception et la fabrication de systèmes de transmission d'images, comme essentiels à la norme HEVC. En contrepartie de cette déclaration, la société Technicolor a l'obligation d'octroyer à toute personne intéressée par l'utilisation de cette technologie une licence à des conditions RAND (Reasonable And Non Discriminatory). 3. Par un contrat du 30 juillet 2018, la société Thomson Licensing a cédé la quasi totalité de ces brevets essentiels à la société de droit américain InterDigital VC Holdings. 4. Le groupe Lenovo conçoit et fabrique des système informatiques tels que des ordinateurs, des téléphones, des serveurs ou encore des téléviseurs connectés. La société Lenovo Deutschland GmbH est sa filiale représentant le groupe en Allemagne, tandis que la société Lenovo United States Inc. est celle en charge de la négociation des licences avec la société Interdigital VC Holdings, qui ont d'abord concerné les brevets essentiels aux normes de télécommunication 3G et 4G, avant de s'étendre en 2018 aux brevets essentiels à la norme HEVC. 5. Ces négociations n'ayant pas abouti à la conclusion d'un accord de licence, la société InterDigital a fait assigner en 2019 les sociétés Lenovo devant la High Court of England and Wales en contrefaçon de ses brevets essentiels aux normes de télécommunication 3G et 4G, d'une part, puis en Allemagne (devant les Landgericht de Manheim et de Munich) en contrefaçon de 3 brevets essentiels à la norme HEVC. 6. Après avoir vainement sollicité la production des licences comparables portant sur ces brevets auprès, tant des sociétés Interdigital que Vantiva et Thomson Licencing, et redoutant que les juridictions allemandes n'ordonnent pas la production forcée de ces pièces par la société InterDigital, les sociétés Lenovo ont sollicité et obtenu l'autorisation de faire citer en référé,devant le délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris siégeant à l'audience du 20 mars 2023 à 10 heures, les sociétés de droit français Vantiva et Thomson Licensing aux fins d'obtenir, aux visas des articles L.615-17 du code de la propriété intellectuelle et 834 et 835 du code de procédure civile, qu'il leur soit enjoint, sous astreinte, de communiquer les accords de licence portant sur les brevets déclarés comme essentiels à la norme HEVC, en particulier ceux conclus avec les sociétés Sony et LG Electronics. 7. Aux termes de leurs assignations délivrées le 2 mars 2023 dont elles ont développé et complété les termes à l'audience du 20 mars 2023, les sociétés Lenovo demandent au juge des référés de : - Ordonner à la société Vantiva et la société Thomson Licensing la communication aux sociétés Lenovo Deutschland GmbH et Lenovo United States Inc. des accords de licence conclus par elles avec les sociétés Sony et LG Electroniques sur les brevets déclarés essentiels à la norme HEVC qu'elles détenaient (notamment les brevets européens EP 2 449 782, EP 2 452 498 et EP 3 267 684) antérieurement à leur cession à la société InterDigital, sous astreinte de 100 000 € par jour de retard à compter du prononcé de l'ordonnance ; - Ordonner à la société Thomson Licensing et à la société Vantiva la communication aux sociétés Lenovo Deutschland GmbH et Lenovo United States Inc. de tout autre accord de licence conclu par elles sur leur portefeuille de brevets déclarés essentiels à la norme HEVC antérieurement à sa cession à la société InterDigital, en particulier de la licence concédée début 2016 sur le portefeuille HEVC mentionnée dans son document de référence 2015 (pièce Vantiva no4, page 2) sous astreinte de 100 000 € par jour de retard à compter du prononcé de l'ordonnance ; - Dire que les extraits de ces accords éligibles à une protection au titre du secret des affaires seront communiqués dans le cadre d'un cercle de confidentialité comprenant les conseils français et allemands et à deux représentants de chacune des sociétés Lenovo Deutschland GmbH et Lenovo United States Inc. dans la procédure les opposant à la société InterDigital devant le Landgericht de Mannheim, sous couvert de la signature par ces derniers d'un engagement de confidentialité ; - Dire que les pièces communiquées pourront être utilisées dans le cadre de la procédure opposant les sociétés Lenovo Deutschland GmbH et Lenovo United States Inc. à la société InterDigital en Allemagne, sous couvert de la protection des informations confidentielles qui y seront contenues ; - Condamner solidairement la société Thomson Licensing et la société Vantiva à verser aux sociétés Lenovo Deutschland GmbH et Lenovo United States Inc. la somme de 30 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civil ; - Condamner solidairement la société Thomson Licensing et la société Vantiva aux entiers dépens et dire qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile. 8. Aux termes de leurs conclusions notifiées le 19 mars 2023 et développées oralement à l'audience, les sociétés Vantiva et Thomson Licensing demandent quant à elles au juge des référés de: In limine litis : ? Se Déclarer incompétent au profit des juridictions allemandes compétentes; ? À titre subsidiaire, se déclarer incompétent au profit du président du tribunal de commerce de Paris ; À titre principal : ? Déclarer la société Lenovo Deutschland GmbH et la société Lenovo United States Inc. irrecevables en leur demande à l'encontre de la société Vantiva ; ? Débouter la société Lenovo Deutschland GmbH et la société Lenovo United States Inc. de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions : À titre subsidiaire : ? Débouter la société Lenovo Deutschland GmbH et la société Lenovo United States Inc. de leurs demandes d'astreinte ; À titre infiniment subsidiaire, ? Juger que l'astreinte commencera à courir 15 jours ouvrés après la signification de l'ordonnance à intervenir et ramener son montant à de plus justes proportions ; À titre reconventionnel : ? Condamner les sociétés Lenovo Deutschland GmbH et Lenovo United States Inc. à payer aux sociétés Vantiva et Thomson Licensing la somme de 500.000 euros au titre de la procédure abusive ; En tout état de cause : ? Condamner solidairement les sociétés Lenovo Deutschland GmbH et Lenovo United States Inc. à payer aux sociétés Vantiva et Thomson Licensing la somme de 90.000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile ; ? Condamner les sociétés Lenovo Deutschland GmbH et Lenovo United States Inc. aux entiers dépens de la présente instance, dont distraction au profit de Maître Raphaëlle Dequiré-Portier, en application de l'article 699 du code de procédure civile. 9. A l'audience du 20 mars 2023, l'affaire a été immédiatement renvoyée en état de référé devant la formation collégiale de la juridiction siégeant le même jour, conformément aux dispositions de l'article 487 du code de procédure civile. MOTIFS DE LA DÉCISION Moyens des parties 10. Les sociétés Vantiva et Thomson Licensing rappellent que c'est l'article 35 du Règlement dit de Bruxelles 1 bis qui fixe la compétence spéciale du juge des référés et que ce texte exclut la compétence au juge français pour connaître ici des demandes des sociétés Lenovo. Elles soutiennent en effet que des mesures d'instruction ne peuvent être obtenues au visa de ce texte que dans l'hypothèse d'un risque de dépérissement des preuves, c'est à dire un risque imminent de destruction. Elles soulignent à cet égard que les licences se trouvent entre les mains des sociétés InterDigital et qu'aucun risque de dépérissement de ces pièces n'existe. Les sociétés Vantiva et Thomson Licensing font également valoir que les pièces, quoique demandées à des sociétés établies en France, sont en réalité destinées à être produites devant des juridictions allemandes dans des litiges concernant la contrefaçon de parties allemandes de brevets, ce qui est contraire à la loi de blocage de 1968, comme d'ailleurs au droit de l'Union. Elles ajoutent que les présentes demandes ne visent qu'à contourner les règles applicables en matière de communication de pièces devant les juridictions allemandes, l'essentiel de leurs pièces visant à convaincre le tribunal de que ces juridictions refuseront leurs demandes, ce qui n'est selon elles pas acceptable. 11. Les sociétés Lenovo rappellent quant à elles que leurs demandes sont fondées sur l'article 4 du Règlement dit de Bruxelles 1 bis et le domicile des défenderesses, en l'occurrence situé en France. Elles contestent que cette disposition ne concernerait que le fond, s'agissant selon elles d'une règle générale protectrice du défendeur. Au visa de l'article 35 du même Règlement, elles concluent de la même manière à la compétence du présent tribunal en raison du risque de déperdition des preuves tenant au fait que la cession est intervenue il y a près de 5 ans désormais. 12. S'agissant des mesures sollicitées, elles rappellent que le débat porte sur la question de savoir si la société InterDigital a mené des négociations RAND, ce qu'elle ne peut savoir sans connaître les licences que lui ont cédées les défenderesses ici attraites. Elles ajoutent que la décision rendue récemment en Grande Bretagne a mis en évidence le comportement "non RAND" des sociétés InterDigital, tandis qu'il est selon elle hautement probable que les juges allemands saisis des actions en contrefaçon rejettent leurs demandes de production forcée de ces licences, ou ne fassent droit à leurs demandes en ce sens qu'après avoir ordonné des mesures provisoires. Les soiciétés Lenovo soulignent en outre que les sociétés Vantiva et Thomson Licensing continuent de percevoir un pourcentage sur les licences de leur ancien portefeuille de sorte qu'elles n'ont pas la qualité de tiers au litige ici. Les sociétés Lenovo précisent que les secrets d'affaires des sociétés défenderesses peuvent aisément être protégés par les règles du code de commerce relatives à ces secrets. 13. Les sociétés Vantiva et Thomson Licensing soutiennent que les sociétés Lenovo peuvent parfaitement obtenir les pièces qu'elles sollicitent ici auprès des tribunaux allemands ainsi que le démontre selon elle le témoignage de l'avocat allemand des sociétés InterDigital qu'elles versent aux débats. Elles ahoutent, qu'ainsi que les sociétés Lenovo le savent parfaitement, par un accord passé en 2019, il a été mis un terme au partage du produit des licences concernant le portefeuille de brevets essentiels à la norme HEVC. En droit, les sociétés Vantiva et Thomson Licensing font valoir que ni les dispositions de l'article 834, ni même celles des articles 138 et suivants du code de procédure civile, ne leur permettent d'obtenir les pièces dont elles sollicitent ici la production forcée. Appréciation du tribunal 14. Selon l'article 4 du Règlement no 1215/2012 du parlement européen et du conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, "1. Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre." 15. En outre, aux termes de l'article 35 de la section 10 "Mesures provisoires et conservatoires"de ce même Règlement "Les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d'un État membre peuvent être demandées aux juridictions de cet État, même si les juridictions d'un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond." 16. Interprétant les dispositions identiques de la Convention signée à Bruxelles le 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (article 24), la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE, 28 avril 2005, Aff. C-104/03, St. Paul Dairy Industries NV contre Unibel Exser BVBA) a dit pour droit que ne relève pas de la notion de «mesures provisoires ou conservatoires» une mesure ordonnant l'audition d'un témoin dans le but de permettre au demandeur d'évaluer l'opportunité d'une action éventuelle, de déterminer le fondement d'une telle action et d'apprécier la pertinence des moyens pouvant être invoqués dans ce cadre. 17. Aux points 12 à 17 de sa décision, la Cour a rappelé que l'article 24 instaurait une compétence dérogatoire dont l'objectif était d'éviter aux parties un préjudice résultant de la longueur des délais inhérente à toute procédure internationale, de sorte que conformément à cette finalité, par «mesures provisoires ou conservatoires» au sens de cette disposition, il y avait lieu d'entendre les mesures qui, dans les matières relevant du champ d'application de la convention, sont destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond (arrêts du 26 mars 1992, Reichert et Kockler, C-261/90, point 34, et arrêt du 17 novembre 1998, Van Uden, C-391/95, point 37). Elle a également rappelé que, de façon générale, le juge devait subordonner son autorisation à toutes les conditions qui garantissent le caractère provisoire ou conservatoire de la mesure qu'il ordonne (arrêts du 21 mai 1980, [V], 125/79, point 15, et Van Uden, précité, point 38). La Cour a ensuite précisé qu'une mesure d'instruction telle que l'audition d'un témoin pour évaluer l'opportunité d'une action éventuelle au fond ne répondait pas à l'objectif de l'article 24. 18. Tirant les conséquences de ces décisions, la Cour de cassation a jugé que c'est à bon droit, et sans avoir à déterminer la juridiction compétente pour connaître du fond, qu'une cour d'appel se déclare compétente pour ordonner, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, avant tout procès, une mesure d'expertise devant être exécutée en France et destinée à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige opposant une société allemande et une société française liées par un contrat comportant une clause d'attribution de compétence aux juridictions allemandes. (Cass. Civ. 1ère , 14 mars 2018, pourvoi no 16-19.731, Bull. 2018, I, no 52) ; elle a également jugé que prive sa décision de base légale au regard de l'article 35 du règlement 1215/2012 et de l'article 145 du code de procédure civile, la cour d'appel qui ne recherche pas si une demande visant à obtenir la communication de documents en possession des parties adverses n'avait pas pour objet de prémunir la partie requérante contre un risque de dépérissement d'éléments de preuve dont la conservation pouvait commander la solution du litige. (Cass. Civ.1ère , 27 janvier 2021, pourvoi no 19-16.917) 19. Il apparaît probable ici que les sociétés Vantiva et Thomson Licencing ne conserveront pas indéfiniment les licences portant sur les brevets essentiels à la norme HEVC dont la production forcée est ici sollicitée, de sorte qu'un risque de dépérissement des preuves pourrait éventuellement être invoqué. Force est toutefois de constater que la société InterDigital, désormais titulaire de ces brevets a vocation à conserver ces documents de sorte qu'un risque de dépérissement de ces mêmes preuves la concernant n'apparaît pas concevable. 20. Il en résulte que les conditions d'application de l'article 35 du Règlement no 1215/2012 ne sont pas réunies ici, en l'absence de risque de dépérissement des preuves qui se trouvent nécessairement entre les mains de la société InterDigital. 21. Néanmoins, les défenderesses étant établies en France, les juridictions françaises apparaissent compétentes pour connaître des demandes dirigées contre elles, conformément aux dispositions de l'article 4 du Règlement no1215/2012 précité, ainsi que le soutiennent à juste titre les sociétés Lenovo. 22. Il est en outre rappelé que selon l'article L. 615-17 du code de la propriété intellectuelle "Les actions civiles et les demandes relatives aux brevets d'invention, y compris dans les cas prévus à l'article L. 611-7 ou lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux judiciaires, déterminés par voie réglementaire, à l'exception des recours formés contre les actes administratifs du ministre chargé de la propriété industrielle qui relèvent de la juridiction administrative. (...)" 23. Cette disposition est constamment interprétée comme réservant aux tribunaux judiciaires, et en particulier celui de [Localité 7], toute demande impliquant l'examen de l'existence ou de la maconnaissance d'un droit de brevet (Cass. Com., 16 février 2016, pourvoi no 14-24.295, Bull. 2016, IV, no 30). 24. Il n'est pas douteux que la demande nécessite ici l'examen de la méconnaissance d'un droit de brevet, et au cas particulier des brevets déclarés comme essentiels par leur titulaire auprès de l'organisme de normalisation, et de l'obligation qui est attachée à ces brevets pour leurs titulaires d'octroyer une licence "RAND". Cette demande relève bien du tribunal judiciaire de Paris et non du tribunal de commerce. 25. Les exceptions d'incompétences, interne et internationale, de la juridiction sont donc écartées. Les demandes des sociétés Lenovo doivent ainsi être examinées au regard des dispositions du code de procédure civile. 26. Il résulte ainsi de l'article 834 du code de procédure civile que, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend (Toutes les emphases sont le fait du tribunal). 27. Cette disposition ne pose aucune exigence relative à la notion de différend justifiant l'intervention du juge des référés. Elle ne précise notamment pas qu'il doit s'agir d'un différend entre les parties. La Cour de cassation a néanmoins jugé récemment que le différend au sens de ce texte devait concerner les mêmes parties, au fond et en référé (Cass. Civ. 2ème , 8 septembre 2022, pourvoi no 20-18.953, non publié, rendu sur avis contraire de l'avocat général et contraire à Cass. Soc., 25 mars 1985, pourvoi no83-12.714, Bull. 1985, V, no 204). 28. Les règles relatives à la communication des pièces résultent en outre, en principe, des articles 138 à 145 du code de procédure civile, aux termes desquels, avant un procès, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. Au cours d'un procès, le juge (saisi), s'il estime cette demande fondée, ordonne la délivrance ou la production de l'acte ou de la pièce, en original, en copie ou en extrait selon le cas, dans les conditions et sous les garanties qu'il fixe, au besoin à peine d'astreinte. 29. Les demandes ne pouvent ainsi prospérer au visa de ces dispositions de droit interne qui exigent que le différend concerne les mêmes parties, conformément aux dispositions de l'article 834 du code de procédure civile tel qu'interprété en dernier lieu par la Cour de cassation. Les demandes ne pourraient davantage prospérer en application du droit commun de la production de pièces qui, soit attribuent compétence au juge saisi de l'affaire (article 139 du code de procédure civile), soit exigent qu'une action soit envisageable au fond (en France). Il n'est toutefois pas soutenu ici qu'il pourrait être envisagé par les sociétés Lenovo d'agir au fond en France contre les sociétés Vantiva et Thomson Licensing, y compris en présence de la société InterDigital. 30. Ainsi d'ailleurs qu'elles l'admettent, la demande des sociétés Lenovo vise en réalité à contourner les règles du code de procédure civile allemand (article 142 de la Zivil Prozess Ordnung) selon lesquelles le tribunal peut ordonner à une partie ou à un tiers de présenter les documents et autres documents en leur possession auxquels une partie s'est référée ("Das Gericht kann anordnen, dass eine Partei oder ein Drifter die in irhem oder seinem Besitz befindlichen Urkunden und sonstigen Unterlagen, auf die sich eine Partei bezogen hat vorlegt"). 31. Ces dispositions sont interprétées par les tribunaux allemands comme prohibant toute procédure de "discovery avant procès des documents qui est courante aux Etats-Unis" et fixant comme condition préalable à la communication forcée d'une pièce "la présentation d'une déclaration concluante se référant à des faits concrets relatifs aux documents à produire (...) et expliquant pourquoi ils contiennent des informations décisives" (traduction de la lettre de Mme [I] [X] du 17 mars 2023, p. 8, pièce Gide no6 bis). 32. Il apparaît ainsi effectivement possible que les sociétés Lenovo ne parviennent pas à démontrer en quoi des pièces qu'elles ne connaissent pas pourraient contenir des "informations décisives", en l'état de surcroît de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qui, par un arrêt du 16 juillet 2015 (aff. C-170/13, Huawei Technologies Co. Ltd contre ZTE Corp.,ZTE Deutschland GmbH) a énoncé au point 64 in fine de sa décision que "le titulaire du BEN est mieux placé que le contrefacteur allégué pour examiner si son offre respecte la condition de non-discrimination." (pour en déduire la manière dont il convient d'apprécier l'existence ou non d'un abus de position dominante de la part du titulaire de brevets essentiels), ce qui peut paraître paradoxal, le titulaire de BEN étant, non seulement le mieux placé, mais surtout le seul, à pouvoir communiquer les éléments concernant les licences comparables qui pourraient permettre d'exclure un comportement discriminatoire et non équitable. 33. La recherche en France par les sociétés Lenovo de ces pièces déterminantes, et que le titulaire du BEN devrait en toute logique être contraint à produire s'il ne le faisait pas spontanément, est ainsi compréhensible. Ces considérations ne permettent néanmoins pas d'écarter les règles, internes comme internationales, qui régissent l'obtention des preuves dans les procès. 34. En tout état de cause, aux termes de l'article 1 bis de la Loi no 68-678 du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères, "Sous réserve des traités ou accords internationaux et des lois et règlements en vigueur, il est interdit à toute personne de demander, de rechercher ou de communiquer, par écrit, oralement ou sous toute autre forme, des documents ou renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique tendant à la constitution de preuves en vue de procédures judiciaires ou administratives étrangères ou dans le cadre de celles-ci." ce qui est bien le cas ici. 35. Il doit donc être dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes des sociétés Lenovo. 36. Les sociétés Vantiva et Thomson Licensing, qui ne caractérisent pas autre chose qu'une mauvaise appréciation de leurs droits par les sociétés Lenovo, seront déboutées de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive. 37. En revanche, parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, les sociétés Lenovo seront condamnées aux dépens, ainsi qu'à payer aux société Vantiva et Thomson Licensing la somme de 50.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 38. Il sera rappelé que conformément aux dispositions de l'article 514-1, troisième alinéa, du code de procédure civile, le juge ne peut écarter l'exécution provisoire de droit lorsqu'il statue en référé. PAR CES MOTIFS, Le tribunal, Ecarte les exceptions de procédure tirées de l'incompétence du tribunal judiciaire de Paris ; Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes des sociétés Lenovo ; Rejette la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive présentée par les sociétés Vantiva et Thomson Licensing ; Condamne in solidum les sociétés Lenovo Deutschland GmbH et Lenovo United States Inc. aux dépens et autorise Maître Raphaëlle Dequiré-Portier à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ; Condamne in solidum les sociétés Lenovo Deutschland GmbH et Lenovo United States Inc. À payer aux sociétés Vantiva et Thomson Licensing la somme de 50.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; Rappelle que l'exécution provisoire de la présente décision ne peut être écartée. Fait à Paris le 07 avril 2023. Le Greffier, Le Président, Marion COBOS Nathalie SABOTIER
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JURITEXT000047636353
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 12 avril 2023, 23/50949
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2023-04-12
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Tribunal judiciaire de Paris
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23/50949
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CT0760
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x
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS No RG 23/50949 - No Portalis 352J-W-B7G-CYMAI No : 2/MM Assignation du :25 Novembre 2022 ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ rendue le 12 avril 2023 par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal, Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier. DEMANDEUR Monsieur [Y] [M] FTDA SPADA [Adresse 3] [Localité 4].domicilié : chez SCP Lemonnier Delion Gaymard Rispal - société civile professionnelle d'avocats[Adresse 2][Localité 8] représenté par Maître Marie DELION de la SCP SCP LDGR, avocats au barreau de PARIS - #P0516 DEFENDERESSES S.A. ÉDITIONS ALBIN MICHEL[Adresse 1][Localité 9] représentée par Maître Christophe BIGOT de , avocats au barreau de PARIS - #W0010 Association NEW DISSIDENTS FOUNDATION[Adresse 5][Localité 6] représentée par Maître Jérémie DAZZA de la SELEURL JEREMIE DAZZA, avocats au barreau de PARIS - #C1912, Me Thibaut ROUFFIAC, avocat au barreau de PARIS - #D2438 S.A.S. LA NOUVELLE AGENCE[Adresse 7][Localité 8] représentée par Me Lorenzo VALENTIN, avocat au barreau de PARIS - #D1498 DÉBATS A l'audience du 06 Mars 2023, tenue publiquement, présidée par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe, assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier, Nous, Président, Après avoir entendu les conseils des parties, EXPOSÉ DU LITIGE : 1. M. [Y] [M] est un ancien militaire de l'armée russe ayant participé à l'invasion de l'Ukraine en février 2022 et qui, après avoir été blessé et rapatrié en Russie, y a fait paraître sur Internet un témoignage intitulé "ZOV" (l'appel), selon la mention peinte sur les chars russes ayant envahi l'Ukraine. Ayant appris que des poursuites étaient engagées contre lui, il a quitté la Russie pour la France, dont il a sollicité la protection dans le cadre d'une demande d'asile, craignant des persécutions dans son pays d'origine. 2. Lors de son arrivée en France, il a, par un acte sous seing privé du 6 septembre 2022, cédé à titre gratuit à l'association New Dissidents Foundation, représenteé par M. [L] [S], l'intégralité de ses droits d'auteur portant sur son témoignage autobiographique intitulé "ZOV" et ce, dans toutes les langues sauf le russe. 3. Par un contrat du 12 septembre 2022, l'association New Dissidents Foundation a conclu avec la société Albin Michel un contrat de cession de droits en contrepartie de la publication sous forme imprimée et électronique de l'oeuvre intitulée "ZOV" par [Y] [M]. 4. L'ouvrage est paru en France en novembre 2022. 5. Invoquant la nullité du contrat de cession de droits passé avec l'association New Dissidents Foundation, M. [Y] [M] l'a faite assigner, par actes d'huissier du 25 novembre 2022, ainsi que la société Albin Michel et la société Nouvelle Agence, son agent, devant le délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris, afin d'obtenir le placement sous séquestre de l'ensemble des recettes générées par l'ouvrage "ZOV" entre les mains de l'éditeur, dans l'attente de la décision qui interviendra au fond sur la validité du contrat du 6 septembre 2022. 6. A l'audience du 6 mars 2023, M. [Y] [M] demande au juge des référés, au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile et 1961 du code civil, de : - JUGER l'exception de nullité non fondée et rejeter comme non fondés l'ensemble des moyens soulevés en défense par l'association New Dissidents Foundation comme non fondés et l'a débouté de toutes ses demandes; - JUGER la demande de M. [Y] [M] recevable et bien fondée ; En conséquence, à titre conservatoire, en attente que soit tranché par le tribunal judiciaire le litige au fond : - ORDONNER le séquestre conservatoire pour le compte de qui il appartiendra de toutes sommes à provenir de l'exécution du contrat signé le 26 septembre 2022 entre la société d'édition Albin Michel et l'association New Dissidents Fondation concernant la publication en langue française dans le monde entier du récit de [Y] [M] intitulé « ZOV » dont notamment à ce titre la somme de 90.000 euros prévue au titre du contrat comme avance non remboursable et l'ensemble les redevances d'auteur dues par l'éditeur Albin Michel tant à l'association New Dissidents Fondation qu'à son agent La Nouvelle Agence partie au contrat signé le 26 septembre 2022 ; - ORDONNER le séquestre des sommes ci-dessus entre les mains de l'éditeur Albin Michel, s'il en accepte la charge ; A défaut d'acceptation du séquestre de la part de la société d'édition Albin Michel : - ORDONNER le dépôt à fins de séquestre judiciaire conservatoire pour le compte de qui il appartiendra par la société Albin Michel de toutes sommes dues en exécution du contrat signé par Albin Michel avec l'association New Dissident Fondation le 26 septembre 2022 -dont notamment à ce titre la somme de 90.000 euros prévue au titre du contrat comme avance non remboursable- entre les mains du Bâtonnier séquestre de l'ordre des avocats du barreau de Paris sur le compte CARPA séquestre ouvert à la CARPA ; En tout état de cause, - DIRE qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [Y] [M] les frais irrépétibles qu'il a été contraint d'exposer en justice aux fins de défendre ses intérêts ; En conséquence, - CONDAMNER l'association New Dissidents Fondation au paiement de la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; - CONDAMNER l'association New Dissidents Fondation aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Marie Delion avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile. 7. Les sociétés Albin Michel et Nouvelle Agence déclarent s'associer à la demande de séquestre entre les mains de l'éditeur et concluent au rejet de toutes les demandes de l'association New Dissidents Foundation. 8. L'association New Dissidents Foundation demande quant à elle au juge des référés de : - Prononcer la nullité de l'assignation délivrée par M. [Y] [M] ; A défaut, rejeter l'ensemble des demandes de M. [Y] [M] ; A titre subsidiaire, condamner la société Editions Albin Michel à cesser toute commercialisation de l'oeuvre « ZOV» et à rappeler tous les ouvrages en cours de commercialisation; - Assortir la condamnation d'une astreinte de 1.000 euros par jour et par ouvrage, courant un mois à compter de la signification de l'ordonnance à venir ; En tout état de cause, - Condamner M. [Y] [M] à payer une somme d'un euro à l'association New Dissidents Foundation, à titre de provision, à valoir sur les dommages et intérêts dus pour réparer les injures et diffamations proférées à l'encontre de la partie concluante ; - Condamner M. [Y] [M] à payer une somme de 3.000 euros à l'association New Dissidents Foundation, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; - Condamner M. [Y] [M] aux entiers dépens. MOTIFS DE LA DÉCISION 9. Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties visées ci-dessus pour l'exposé de leurs différents moyens. 1o) Sur la nullité de l'assignation 10. Aux termes de l'article 54 du code de procédure civile, "La demande initiale est formée par assignation ou par requête remise ou adressée au greffe de la juridiction. La requête peut être formée conjointement par les parties. A peine de nullité, la demande initiale mentionne : (...) 3o a) Pour les personnes physiques, les nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance de chacun des demandeurs ;" 11. Cette mention est, ainsi que le souligne à juste titre la défenderesse, destinée à garantir que la partie gagnante pourra régulièrement signifier la présente décision au demandeur, dès lors qu'il est constamment jugé que l'élection de domicile en procédure écrite cesse avec le prononcé de la décision, y compris lorsque le demandeur réside à l'étranger (Cass. Civ. 2ème, 13 novembre 1996, pourvoi no94-19.913, Bull. 1996, II, no249 ; Cass. Civ.2ème, 17 mars 1986, pourvoi no84-13.920, Bull. 1986, II, no39). 12. Certes, il résulte de l'article 682 du code de procédure civile que "La notification d'un jugement est valablement faite au domicile élu en France par la partie demeurant à l'étranger." 13. Toutefois, en l'absence d'allégation de ce qu'il existerait entre lui-même et son avocat une convention d'élection de domicile plus large que celle, légale, applicable à tous les litiges dans lesquels la constitution d'avocat est obligatoire, il existe un risque que la signification de l'ordonnance ne puisse être régulièrement faite au cabinet de l'avocat (Cass. Civ 2ème, 2 décembre 2010, pourvoi no 09-65.987, Bull. 2010, II, no 195 : L'élection de domicile imposée par l'article 855 du code de procédure civile n'emporte pas pouvoir pour la personne chez laquelle domicile a été élu de recevoir la signification du jugement destinée à la partie elle-même. Dès lors, la signification à une partie demeurant à l'étranger du jugement d'un tribunal de commerce n'est pas valablement faite au cabinet de son avocat en France.). 14. Aussi, il pourrait résulter du non respect de la formalité prévue à l'article 54 du code de procédure civile la caractérisation de l'existence d'un grief. 15. Ceci étant, il apparaît que la nullité encourue par l'assignation est couverte par l'indication dans ses dernières écritures de l'adresse déclarée par M. [Y] [M] dans le cadre de l'instruction de sa demande d'asile : FTDA SPADA [Adresse 3] [Localité 4]. 16. Le moyen tiré de la nullité de l'assignation est donc écarté. 2o) Sur les mesures sollicitées 17. Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. 18. Il existe bien un différend ici puisque M. [Y] [M] a fait assigner les mêmes défendeurs (Cass. Civ. 2ème , 8 septembre 2022, pourvoi no 20-18.953) devant le tribunal statuant au fond, à jour fixe à l'audience du 18 avril 2023, aux fins d'obtenir la nullité du contrat dont il sollicite ici la suspension au moyen du séquestre des redevances de droits d'auteur entre les mains de l'éditeur. 19. En outre, la condition d'urgence est réalisée toutes les fois où un retard dans la prescription de la mesure sollicitée serait préjudiciable aux intérêts du demandeur, ce qui nécessite une mise en balance des intérêts du demandeur et du défendeur. 20. En l'occurence, M. [M] invoque différents moyens de nullité de la convention signée le 6 septembre 2022, dont le fait qu'elle n'a pas été régularisée devant un notaire, alors même qu'elle est stipulée à titre gratuit et qu'il s'agit dans ce cas d'un don. 21. En effet, aux termes de l'article 931 du code civil, tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité. Deux dérogations à ce formalisme sont admises en jurisprudence, la première tenant aux dons manuels, qui imposent la tradition (c'est-à-dire la remise physique) de la chose donnée, la seconde tenant aux donations déguisées ou indirectes, dont les conditions de forme suivent celles de l'acte dont elles empruntent l'apparence. Le code de la propriété intellectuelle ne déroge pas à cette condition formelle des donations, et prévoit seulement, s'agissant des droits d'auteur, que leur cession doit être constatée par écrit (article L.132-7). 22. Or le contrat du 6 septembre 2022 emporte explicitement cession "gratuite" de droits d'auteur (article 1.2 du contrat). Il s'agit donc d'une donation, non dissimulée, et portant sur des droits incorporels, comme tels insusceptibles de remise physique. 23. Il est donc possible que cet acte conclu sous seing privé soit nul, de sorte que le retard dans la suspension du versement des redevances au cédant des droits d'auteur serait fortement préjudiciable aux intérêts de M. [M]. 24. En tant qu'auteur de l'oeuvre "ZOV", ce qui n'est pas contesté, M. [M] a un intérêt évident à solliciter la prescription des mesures. 25. Il apparaît encore que c'est avec la France que ce contrat a les liens de rattachement les plus étroits s'agissant d'un contrat conclu en France, en langue russe et en langue française, par une association de droit français et une personne physique de nationalité russe ayant fui la Russie pour solliciter la protection de la France. La loi française apparaît donc applicable conformément aux dispositions du Règlement no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), pris en son article 4 "Loi applicable à défaut de choix" (ce qui est le cas ici), paragraphe 4 (aucun des paragraphes précédents n'étant applicable à la présente situtation). 26. Il est donc fait droit aux demandes selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision. 27. La demande reconventionnelle de l'association New Dissidents Foundation aux fins d'interdiction de distribution et de rappel des circuits commerciaux de l'ouvrage "ZOV" ne peut qu'être rejetée, dès lors qu'il est loisible à l'auteur, en cas d'annulation de la cession du 6 septembre 2022 dont la société Albin Michel tient ses droits, de confirmer la cession de ses droits à cette société. Il doit de la même manière être dit n'y avoir lieu à référé sur la demande reconventionnelle aux fins de condamnation de M. [M] en paiement d'une provision pour "diffamation", les termes de l'assignation n'étant ni excessifs ni injurieux vis à vis de l'association New Dissidents Foundation, se bornant à évoquer la situation de vulnérabilité de l'auteur lorsqu'il a consenti à la cession gratuite de ses droits, au surplus dans des conditions de forme contestables, ainsi qu'il vient d'être vu. 28. Il doit donc être dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes reconventionnelles. 29. Il n'apparaît pas inéquitable ici de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens et de dire n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS, Le juge des référés, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort , Ecarte l'exception de procédure tirée de la nullité de l'assignation délivrée à la requête de M. [M] le 25 novembre 2022 ; ORDONNE le séquestre provisoire jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue au fond dans le litige opposant les mêmes parties (RG no23/2616), entre les mains de la société Albin Michel, et pour le compte de qui il appartiendra, de toutes sommes à provenir de l'exécution du contrat signé le 26 septembre 2022 entre la société d'édition Albin Michel et l'association New Dissidents Fondation, concernant la publication en langue française dans le monde entier du récit de [Y] [M] intitulé « ZOV », dont notamment la somme de 90.000 euros prévue au titre du contrat comme avance non remboursable et l'ensemble les redevances d'auteur dues par l'éditeur Albin Michel, tant à l'association New Dissidents Fondation qu'à son agent La Nouvelle Agence partie au contrat signé le 26 septembre 2022 ; Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes reconventionnelles de l'association New Dissidents Foundation ; Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; Rappelle qu'en application de l'article 514-1 du code de procédure civile, l'exécution provisoire de la présente décision ne peut être écartée. Fait à Paris le 12 avril 2023. Le Greffier, Le Président, Minas MAKRIS Nathalie SABOTIER
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JURITEXT000047670101
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ARRET
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Cour d'appel de Nouméa, 30 juillet 2020, 19/000211
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2020-07-30
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Cour d'appel de Nouméa
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Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
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19/000211
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01
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NOUMEA
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No de minute : 150 COUR D'APPEL DE NOUMÉA Arrêt du 30 juillet 2020 Chambre civile Numéro R.G. : No RG 19/00021 - No Portalis DBWF-V-B7C-PS6 Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 novembre 2018 par la Commission d'indemnisation des victimes de dommages d'une infraction de NOUMEA (RG no : 16/3516) Saisine de la cour : 26 décembre 2018 APPELANT Mme [Z] [N]née le [Date naissance 1] 1994 à [Localité 5]demeurant [Adresse 6]Elisant domicile au cabinet de Me Samuel BERNARD - [Adresse 3]Représentée par Me Samuel BERNARD de la SELARL D'AVOCAT SAMUEL BERNARD, avocat au barreau de NOUMEA INTIMÉ FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS, pris en la personne de son représentant légal en exercice[Adresse 2]Représenté par Me Anne-laure VERKEYN de la SELARL CABINET D'AVOCATS BOISSERY-DI LUCCIO-VERKEYN, avocat au barreau de NOUMEA LE MINISTERE PUBLIC auquel le dossier a été communiqué et qui a conclu COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 22 juin 2020, en audience publique, devant la cour composée de : M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,M. Charles TELLIER, Conseiller,qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Philippe ALLARD. Greffier lors des débats : M. Petelo GOGOGreffier lors de la mise à disposition : M. Petelo GOGO ARRÊT :- contradictoire,- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire. *************************************** RAPPEL DE LA PROCEDURE Par arrêt pénal du 9 décembre 2015, la cour d'assises de Nouvelle-Calédonie a notamment déclaré :- [S] [G] coupable d'avoir à [Localité 4] le 12 août 2012 commis des violences sur la personne de [B] [N], lesdites violences ayant entraîné, sans intention de la donner, la mort de [B] [N], avec cette circonstance que les faits ont été commis avec usage d'une arme,- [R] [G] coupable d'avoir à [Localité 4] le 12 août 2012, par aide ou assistance, facilité la préparation ou la consommation des coups mortels avec arme sur la personne de [B] [N], avec cette circonstance que les faits ont été commis avec usage d'une arme par [S] [G],et les ont condamnés aux peines prévues par la loi. Par arrêt civil du 9 décembre 2015, cette même juridiction a :- déclaré recevables les interventions de [I] [JZ], [E] [N], [Y] [N], [O] [JZ], [X] [N], [W] [N], [T] [N], [J] [N], [P] [N], [F] [N], [H] [N], [L] [N], [K] [N] veuve [JZ], [V] [G], [M] [N], [C] [N] et [A] [N], parties civiles,- rejeté le partage de responsabilité sollicité par les conseils de [S] [G] et [R] [G],- condamné solidairement [S] [G] et [R] [G] à verser, au titre de leur préjudice moral, les sommes suivantes :200.000 FCFP à [I] [JZ]200.000 FCFP à [E] [N]800.000 FCFP à [Y] [N]800.000 FCFP à [O] [JZ]200.000 FCFP à [X] [N]200.000 FCFP à [W] [N]800.000 FCFP à [T] [N]400.000 FCFP à [J] [N]400.000 FCFP à [P] [N]400.000 FCFP à [F] [N] 400.000 FCFP à [H] [N] 400.000 FCFP à [L] [N] 400.000 FCFP à [K] [N] veuve [JZ]200.000 FCFP à [V] [G]400.000 FCFP à [M] [N]400.000 FCFP à [C] [N]200.000 FCFP à [A] [N]. Par requête déposée le 1er décembre 2016, [Z] [N] a saisi la commission d'indemnisation des victimes d'infractions de Nouméa. Le Fonds de garantie s'est opposé à la demande d'indemnisation au motif que le défunt avait commis une faute de nature à exclure le droit à indemnisation de ses ayants droit en allant, la veille des coups mortels, dans un contexte de tensions anciennes, menacer de mort les membres du clan [G]. Par jugement du 15 novembre 2018, la commission d'indemnisation a :- déclaré recevable la demande d'indemnisation présentée par [Z] [N],- débouté [Z] [N] de sa demande d'indemnisation,- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,- laissé les dépens à la charge de la direction générale des finances publiques. Les premiers juges ont retenu qu'il existait un lien de causalité entre les menaces de mort proférées la veille par le défunt et l'altercation au cours de laquelle [B] [N] avait été mortellement blessé. DECLARATION D'APPEL Selon requête déposée le 26 décembre 2018, [Z] [N] a interjeté appel de cette décision. Aux termes de son mémoire ampliatif d'appel déposé le 22 janvier 2019, [Z] [N] demande à la cour de :- infirmer le jugement déféré ;- lui allouer une somme de 800.000 F CFP au titre de son préjudice moral ;- à titre subsidiaire, opérer un partage de responsabilité à hauteur de 50 % qui sera appliqué aux demandes indemnitaires formulées par les ayants droit. A cet effet, il fait valoir en substance :- que le défunt n'a commis aucune faute de nature à expliquer ou à justifier les coups de feu portés par les condamnés ;- qu'en tout état de cause, la faute de la victime n'apparaît aucunement la cause exclusive du dommage, [B] [N] ayant été la victime d'une réaction injustifiée et au minimum disproportionnée de l'auteur des coups de feu. Selon conclusions déposées le 5 juin 2019, le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions rétorque :- qu'il existe un lien de causalité entre les menaces de mort proférées par le clan [N] et le dommage survenu le lendemain ;- que l'éventuelle disproportion entre le fait dommageable et la faute de la victime était indifférente ;- qu'en conséquence, le comportement de la victime constituait une faute de nature à exclure le droit à indemnisation de ses ayants droit. En conséquence, il demande à la cour de :- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;à titre subsidiaire, réduire par moitié le droit à indemnisation ;- condamner [Z] [N] à payer au fonds intimé la somme de 150.000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;- statuer ce que de droit sur les dépens. Dans des conclusions datées du 13 décembre 2019, le ministère public s'en rapporte à justice. La clôture de la procédure est intervenue le 18 mars 2020. SUR CE, LA COUR, Il résulte de l'article 706-3 du code de procédure pénale que la réparation du dommage causé par les faits présentant le caractère matériel d'une infraction peut être refusée ou son montant réduit en raison de la faute de la victime en relation de causalité directe et certaine avec le dommage. Il est incontestable que le préjudice d'affection allégué résulte de faits qui présentaient le caractère matériel d'une infraction. Selon les termes de l'ordonnance de mise en accusation devant la cour d'assises du 13 août 2014, l'information, et plus particulièrement une commission rogatoire exécutée par la section des recherches de la gendarmerie, a établi que le 11 août 2012, soit la veille de l'altercation entre les membres des clans [N] et [G] au cours de laquelle [B] [N] a perdu la vie, [B] [N], accompagné de membres de son clan, s'était présenté au domicile de [R] [G] et l'avait insulté et menacé de revenir le tuer et brûler sa maison. Cet incident s'était produit dans un contexte de vives tensions entre les deux clans, en lien avec la désignation du nouveau chef de la tribu de Coula (audition de [U] [D]). Le 12 août, huit membres du clan [G], sous l'impulsion de [R] [G] qui étaient porteurs de deux armes, se sont déplacés au domicile d'[H] [N], soeur du défunt, chez laquelle celui-ci était hébergé, pour s'expliquer avec [B] [N]. C'est lors d'un épisode ultérieur de cette équipée, alors que [B] [N] était venu, avec d'autres membres de sa famille, armé d'une tige de canne à sucre, à la rencontre du véhicule utilisé par [R] [G] et ses proches, que le coup de feu mortel a été tiré. En prenant l'initiative de se déplacer au domicile de [R] [G] pour le menacer de brûler sa maison et de le tuer et en alimentant un antagonisme ancien, [B] [N] a joué un rôle moteur dans le déclenchement des évènements qui ont conduit à l'altercation au cours de laquelle il a perdu la vie en ce que l'équipée menée le 12 août par [R] [G] était une réponse à ses menaces. [B] [N] a encore eu un rôle éminent dans le déclenchement et le déroulement de la dernière altercation. En effet, les membres du clan [G] quittaient le marché de [Localité 4] lorsqu'il est arrivé, en bloquant le passage du véhicule de ses rivaux, puis il s'est dirigé vers [U] [D] pour le frapper avec la canne à sucre. [U] [D] était à terre lorsque [S] [G] a tiré en direction de [B] [N]. Selon [S] [G], cette agression de son oncle l'avait mis hors de lui et il s'était alors emparé du fusil. Le drame a été le paroxysme d'une crise aiguë, qui continuera à se développer après le 12 août 2012 en prenant la forme de représailles à l'encontre du clan [G] et que [B] [N] avait délibérément envenimée. Il en résulte qu'il existe un lien de causalité direct et certain entre le comportement agressif adopté par [B] [N] les 11 et 12 août 2012 et le drame. La gravité de cette faute est telle que les mécanismes de la solidarité nationale ne sauraient être mobilisés en faveur de ses ayants droit. Il y a lieu à exclusion du droit à indemnisation de ses ayants droit, et non à une simple réduction. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la requête de [Z] [N]. PAR CES MOTIFS : La cour, Confirme la décision entreprise ; Déboute le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; Vu l'article R 50-21 du code de procédure pénale, Condamne [Z] [N] aux dépens d'appel. Le greffier,Le président.
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JURITEXT000047670102
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ARRET
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Cour d'appel de Nouméa, 30 juillet 2020, 19/000341
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2020-07-30
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Cour d'appel de Nouméa
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Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
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19/000341
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01
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NOUMEA
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No de minute : 141 COUR D'APPEL DE NOUMÉA Arrêt du 30 juillet 2020 Chambre civile Numéro R.G. : No RG 19/00034 - No Portalis DBWF-V-B7D-PUA Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 novembre 2018 par la Commission d'indemnisation des victimes de dommages d'une infraction de [Localité 4] (RG no : 16/3522) Saisine de la cour : 26 décembre 2018 APPELANT Mme [F] [Y] VEUVE [FN]née le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 3]Elisant domicile à la selarl d'avocat [V] [T] - [Adresse 5]Représentée par Me Samuel BERNARD de la SELARL D'AVOCAT SAMUEL BERNARD, avocat au barreau de NOUMEA INTIMÉ FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS, pris en la personne de son représentant légal en exercice[Adresse 2]Représenté par Me Anne-Laure VERKEYN de la SELARL CABINET D'AVOCATS BOISSERY-DI LUCCIO-VERKEYN, avocat au barreau de NOUMEA LE MINISTERE PUBLIC auquel le dossier a été communiqué et qui a conclu COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 22 juin 2020, en audience publique, devant la cour composée de : M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,M. Charles TELLIER, Conseiller,qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Philippe ALLARD. Greffier lors des débats : M. Petelo GOGOGreffier lors de la mise à disposition : M. Petelo GOGO ARRÊT :- contradictoire,- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire. *************************************** RAPPEL DE LA PROCEDURE Par arrêt pénal du 9 décembre 2015, la cour d'assises de Nouvelle-Calédonie a notamment déclaré :- [E] [L] coupable d'avoir à [Localité 3] le 12 août 2012 commis des violences sur la personne de [C] [Y], lesdites violences ayant entraîné, sans intention de la donner, la mort de [C] [Y], avec cette circonstance que les faits ont été commis avec usage d'une arme,- [M] [L] coupable d'avoir à [Localité 3] le 12 août 2012, par aide ou assistance, facilité la préparation ou la consommation des coups mortels avec arme sur la personne de [C] [Y], avec cette circonstance que les faits ont été commis avec usage d'une arme par [E] [L],et les ont condamnés aux peines prévues par la loi. Par arrêt civil du 9 décembre 2015, cette même juridiction a :- déclaré recevables les interventions de [J] [FN], [W] [Y], [H] [Y], [D] [FN], [N] [Y], [B] [Y], [Z] [Y], [U] [Y], [P] [Y], [KN] [Y], [R] [Y], [G] [Y], [F] [Y] veuve [FN], [I] [L], [O] [Y], [S] [Y] et [A] [Y], parties civiles,- rejeté le partage de responsabilité sollicité par les conseils de [E] [L] et [M] [L],- condamné solidairement [E] [L] et [M] [L] à verser, au titre de leur préjudice moral, les sommes suivantes :200.000 FCFP à [J] [FN]200.000 FCFP à [W] [Y]800.000 FCFP à [H] [Y]800.000 FCFP à [D] [FN]200.000 FCFP à [N] [Y]200.000 FCFP à [B] [Y]800.000 FCFP à [Z] [Y]400.000 FCFP à [U] [Y]400.000 FCFP à [P] [Y]400.000 FCFP à [KN] [Y] 400.000 FCFP à [R] [Y] 400.000 FCFP à [G] [Y] 400.000 FCFP à [F] [Y] veuve [FN]200.000 FCFP à [I] [L]400.000 FCFP à [O] [Y]400.000 FCFP à [S] [Y]200.000 FCFP à [A] [Y]. Par requête déposée le 1er décembre 2016, [F] [Y] veuve [FN] a saisi la commission d'indemnisation des victimes d'infractions de Nouméa. Le Fonds de garantie s'est opposé à la demande d'indemnisation au motif que le défunt avait commis une faute de nature à exclure le droit à indemnisation de ses ayants droit en allant, la veille des coups mortels, dans un contexte de tensions anciennes, menacer de mort les membres du clan [L]. Par jugement du 15 novembre 2018, la commission d'indemnisation a :- déclaré recevable la demande d'indemnisation présentée par [F] [Y] veuve [FN],- débouté [F] [Y] veuve [FN] de sa demande d'indemnisation,- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,- laissé les dépens à la charge de la direction générale des finances publiques. Les premiers juges ont retenu qu'il existait un lien de causalité entre les menaces de mort proférées la veille par le défunt et l'altercation au cours de laquelle [C] [Y] avait été mortellement blessé. DECLARATION D'APPEL Selon requête déposée le 26 décembre 2018, [F] [Y] veuve [FN] a interjeté appel de cette décision. Aux termes de son mémoire ampliatif d'appel déposé le 22 janvier 2019, [F] [Y] veuve [FN] demande à la cour de :- infirmer le jugement déféré ;- lui allouer une somme de 400.000 F CFP au titre de son préjudice moral ;- à titre subsidiaire, opérer un partage de responsabilité à hauteur de 50 % qui sera appliqué aux demandes indemnitaires formulées par les ayants droit. A cet effet, il fait valoir en substance :- que le défunt n'a commis aucune faute de nature à expliquer ou à justifier les coups de feu portés par les condamnés ;- qu'en tout état de cause, la faute de la victime n'apparaît aucunement la cause exclusive du dommage, [C] [Y] ayant été la victime d'une réaction injustifiée et au minimum disproportionnée de l'auteur des coups de feu. Selon conclusions déposées le 5 juin 2019, le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions rétorque :- qu'il existe un lien de causalité entre les menaces de mort proférées par le clan [Y] et le dommage survenu le lendemain ;- que l'éventuelle disproportion entre le fait dommageable et la faute de la victime était indifférente ;- qu'en conséquence, le comportement de la victime constituait une faute de nature à exclure le droit à indemnisation de ses ayants droit. En conséquence, il demande à la cour de :- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;à titre subsidiaire, réduire par moitié le droit à indemnisation ;- condamner [F] [Y] veuve [FN] à payer au fonds intimé la somme de 150.000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;- statuer ce que de droit sur les dépens. Dans des conclusions datées du 13 décembre 2019, le ministère public s'en rapporte à justice. La clôture de la procédure est intervenue le 18 mars 2020. SUR CE, LA COUR, Il résulte de l'article 706-3 du code de procédure pénale que la réparation du dommage causé par les faits présentant le caractère matériel d'une infraction peut être refusée ou son montant réduit en raison de la faute de la victime en relation de causalité directe et certaine avec le dommage. Il est incontestable que le préjudice d'affection allégué résulte de faits qui présentaient le caractère matériel d'une infraction. Selon les termes de l'ordonnance de mise en accusation devant la cour d'assises du 13 août 2014, l'information, et plus particulièrement une commission rogatoire exécutée par la section des recherches de la gendarmerie, a établi que le 11 août 2012, soit la veille de l'altercation entre les membres des clans [Y] et [L] au cours de laquelle [C] [Y] a perdu la vie, [C] [Y], accompagné de membres de son clan, s'était présenté au domicile de [M] [L] et l'avait insulté et menacé de revenir le tuer et brûler sa maison. Cet incident s'était produit dans un contexte de vives tensions entre les deux clans, en lien avec la désignation du nouveau chef de la tribu de Coula (audition de [K] [X]). Le 12 août, huit membres du clan [L], sous l'impulsion de [M] [L] qui étaient porteurs de deux armes, se sont déplacés au domicile d'[R] [Y], soeur du défunt, chez laquelle celui-ci était hébergé, pour s'expliquer avec [C] [Y]. C'est lors d'un épisode ultérieur de cette équipée, alors que [C] [Y] était venu, avec d'autres membres de sa famille, armé d'une tige de canne à sucre, à la rencontre du véhicule utilisé par [M] [L] et ses proches, que le coup de feu mortel a été tiré. En prenant l'initiative de se déplacer au domicile de [M] [L] pour le menacer de brûler sa maison et de le tuer et en alimentant un antagonisme ancien, [C] [Y] a joué un rôle moteur dans le déclenchement des évènements qui ont conduit à l'altercation au cours de laquelle il a perdu la vie en ce que l'équipée menée le 12 août par [M] [L] était une réponse à ses menaces. [C] [Y] a encore eu un rôle éminent dans le déclenchement et le déroulement de la dernière altercation. En effet, les membres du clan [L] quittaient le marché de [Localité 3] lorsqu'il est arrivé, en bloquant le passage du véhicule de ses rivaux, puis il s'est dirigé vers [K] [X] pour le frapper avec la canne à sucre. [K] [X] était à terre lorsque [E] [L] a tiré en direction de [C] [Y]. Selon [E] [L], cette agression de son oncle l'avait mis hors de lui et il s'était alors emparé du fusil. Le drame a été le paroxysme d'une crise aiguë, qui continuera à se développer après le 12 août 2012 en prenant la forme de représailles à l'encontre du clan [L] et que [C] [Y] avait délibérément envenimée. Il en résulte qu'il existe un lien de causalité direct et certain entre le comportement agressif adopté par [C] [Y] les 11 et 12 août 2012 et le drame. La gravité de cette faute est telle que les mécanismes de la solidarité nationale ne sauraient être mobilisés en faveur de ses ayants droit. Il y a lieu à exclusion du droit à indemnisation de ses ayants droit, et non à une simple réduction. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la requête de [F] [Y] veuve [FN]. PAR CES MOTIFS : La cour, Confirme la décision entreprise ; Déboute le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; Condamne [F] [Y] veuve [FN] aux dépens d'appel. Le greffier,Le président.
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JURITEXT000047878955
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 27 février 2023, 23/51411
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2023-02-27
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Tribunal judiciaire de Paris
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23/51411
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CT0196
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x
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS No RG 23/51411 - No Portalis 352J-W-B7H-CZAJC No : 1/MC Assignation du 08 Février 2023 ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ rendue le 27 février 2023 par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal, Assistée de Marion COBOS, Greffier. DEMANDERESSES S.A.S. THE JOKERS FILMS[Adresse 1][Localité 5] Société ATRIUM PRODUCTIONS KFTVàci ùt 91, 1139BUDAPEST / HONGRIE représentées par Maître Nicolas BRAULT de la SARL WATRIN BRAULT AVOCATS - WBA, avocats au barreau de PARIS - #T06 DEFENDERESSES S.A.S. SOFINERGIE 5 FCM[Adresse 2][Localité 6] S.A. ORANGE STUDIO[Adresse 2][Localité 6] représentées par Maître Quentin RENAUD de l'AARPI SQUAIR, avocats au barreau de PARIS - #R041 S.A.R.L. PARADIS FILMS [Adresse 3][Localité 4] représentée par Me Luc TAMNGA, avocat au barreau de PARIS - #C1779 DÉBATS A l'audience du 14 Février 2023, tenue publiquement, présidée par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe, assistée de Marion COBOS, Greffier, Après avoir entendu les conseils des parties comparantes, EXPOSÉ DU LITIGE : 1. [U] [I] est le réalisateur d'un film de long métrage intitulé "The Host", produit, notamment, par la société de droit coréen Chungeorahm Film. Ce film a été présenté au public en 2006, en particulier lors du festival international du film de [Localité 7]. 2. Dans ce cadre, les sociétés Interclick, agissant pour le compte de la société Chungeorahm Film, et Ocean Films Distribution ont, le 22 mai 2006, conclu un accord récapitulant les principaux termes ("deal memo") de la cession des droits d'exploitation du film "The Host" en France pour une durée de 15 ans, outre 5 années supplémentaires si l'investissement de la société Ocean Films Distribution n'était pas récupéré à ce premier terme. 3. Ce deal memo a été confirmé dans les mêmes termes par un contrat du 6 juin 2006 passé entre les sociétés Freeway, substituée à la société Interclick, et Ocean Films Distribution. Ce contrat a été publié au RCA le 16 novembre 2016. 4. Le 29 juillet 2010, la société Ocean Films Distribution a été placée en redressement judiciaire et, par un jugement du 6 octobre 2011, le tribunal de commerce a arrêté le plan de cession des actifs de cette société en faveur de la société Sofinergie 5, moyennant le versement par cette dernière de la somme de 335.000 euros. Les termes de cette cession ont été confirmés par un acte sous seing privé du 9 décembre 2011 comportant en annexe la liste des films du catalogue cédés (laquelle comprend le film "The Host"). Par un accord du 13 novembre 2012, la société Sofinergie 5 a confié l'exploitation cinématographique du film "The Host" à la société Paradis Films. 5. Le 20 février 2020, la société Paradis Films a sollicité auprès la société Chungeorahm Film la transmission du matériel lui permettant l'exploitation de l'oeuvre dans le cadre du dispositif "Lycéens et apprentis au cinéma", ce que la société Chungeorahm a accepté, par un courriel du 3 mars 2020, confirmé le 17 mars suivant, mais ensuite refusé par une lettre du 27 mai 2020, indiquant que le matériel d'exploitation serait remis au "nouveau distributeur avec lequel il sera contracté l'année prochaine". 6. Par une lettre du 22 août 2020, la société Chungeorahm a alors notifié à la société Sofinergie 5 la rupture du contrat qui la liait à la société Freeway, ce qui entraînait selon elle la "caducité" de la sous-licence consentie par cette dernière pour l'exploitation du film en France. Par la même lettre, la société Chungeorahm déclarait accepter que le contrat du 6 juin 2006 se poursuive jusqu'à son terme prévu en 2021 (15 ans), à l'exclusion de la clause de prorogation de 5 ans, toute prorogation nécessitant un nouveau contrat sous réserve d'une réponse de la société Sofinergie 5 sous 15 jours. 7. N'ayant reçu aucune réponse de la société Sofinergie 5, la société Chungeorahm lui a, par une lettre du 8 septembre 2020, notifié la résiliation à effet immédiat de la sous-licence consentie par la société Freeway. 8. C'est dans ce contexte que, par actes d'huissier du 30 novembre 2020, la société Paradis Films a fait assigner en référé les sociétés Chungeorahm Film et Freeway devant le président du tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir qu'il leur soit enjoint de lui remettre le matériel d'exploitation du film en exécution du contrat du 6 juin 2006. 9. Par une ordonnance du 3 mars 2021, le président du tribunal de commerce a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes en raison notamment de la nécessité d'interpréter le contrat du 6 juin 2006 ce qui excède la compétence du juge des référés. 10. Par un contrat du 17 décembre 2021, la société Atrium Productions, agissant pour le compte de la société Chungeorahm Film, a cédé à la société The Jokers Films le droit d'exploiter le film "The Host" en France et dans tous les territoires francophones. Ce contrat a été inscrit au RCA le 30 septembre 2022. Des échanges ont suivi entre les sociétés Paradis Films et Chungeorahm aux termes desquels elles se faisaient mutuellement défense d'exploiter le film "The Host" en France. 11. C'est en cet état que, dûment autorisées au visa de l'article 485 du code de procédure civile par une ordonnance du 6 février 2023, les sociétés The Jokers Films et Atrium Productions ont fait assigner le 08 février 2023 les sociétés Sofinergie 5, Orange Studio, et Paradis Films, devant le délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris siégeant à l'audience du 14 février à 11 heures, afin qu'il soit fait défense, sous astreinte, à ces sociétés d'exploiter le film "The Host". 12. Aux termes de leurs assignations, dont elles ont confirmé les termes à l'audience, les sociétés The Jokers Films et Atrium Productions demandent au juge des référés de : ? SE DÉCLARER matériellement compétent pour connaître du litige ; ? JUGER qu'est établie, avec l'évidence requise en référé, la violation manifestement illicite des droits de distribution opposables sur le film « The Host » revendiqués par la société The Jokers Films, qu'elle détient de la société Atrium, et le dommage imminent à l'approche de la sortie en salle du film, de la poursuite de son exploitation par les sociétés Paradis Films, Sofinergie 5 et Orange Studio, en l'absence de droits de distribution opposables sur ledit film ; En conséquence : ? INTERDIRE, sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir, aux sociétés Paradis Films, Sofinergie 5 et Orange Studio de procéder, directement ou indirectement, par tous moyens et sur tout support quel qu'il soit, à toute exploitation du film « The Host » ; ? INTERDIRE, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, aux sociétés Paradis Films, Sofinergie 5 et Orange Studio d'assurer, directement ou indirectement, la promotion du film « The Host», par tous moyens et sur tout support que ce soit ; ? ORDONNER la publication de l'ordonnance à intervenir au registre public du cinéma et de l'audiovisuel, aux frais in solidum des sociétés Paradis Films, Sofinergie 5 et Orange Studio, frais qui pourront être avancés par la société The Jokers Films, sur simple présentation de factures proforma ; ? CONDAMNER in solidum les sociétés Paradis Films, Sofinergie 5 et Orange Studio à payer à la société The Jokers Films la somme provisionnelle de 20.000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice ; ? ORDONNER aux sociétés Paradis Films, Sofinergie 5 et Orange Studio de communiquer au conseil de la société The Jokers Films, sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard à s'exécuter passé un délai de 48 heures à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir, les relevés d'exploitation du Film «The Host» et justificatifs correspondants, pour la période du 22 novembre 2021 au 31 janvier 2023, afin de leur permettre d'avoir une vision claire et précise des exploitations du Film et des recettes y afférentes et de prendre la mesure des montants susceptibles d'avoir été détournés pour en solliciter le cas échéant paiement devant le juge du fond ; ? ORDONNER aux sociétés Paradis Films, Sofinergie 5 et Orange Studio de communiquer au conseil de la société The Jokers Films, sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard à s'exécuter passé la signification de l'ordonnance à intervenir, l'ensemble des éléments permettant d'apprécier dans quelles conditions la Cinémathèque a obtenu le DCP du Film, dès lors qu'il n'a jamais été vendu à Paradis Films par la société Chungeorahm Film ; ? SE RÉSERVER la liquidation des astreintes ; En tout état de cause : ? CONDAMNER les sociétés Paradis Films, Sofinergie 5 et Orange Studio in solidum à payer aux sociétés The Jokers Films et Atrium la somme provisionnelle de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens. 13. Les sociétés Sofinergie 5 et Orange Studio demandent quant à elles au juge des référés de : A titre principal, - DIRE que les demandes des sociétés The Jokers Films et Atrium Productions excèdent la compétence du juge des référés, - DÉBOUTER les sociétés The Jokers Films et Atrium Productions de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions, A titre subsidiaire, - INTERDIRE aux sociétés The Jokers Films et Atrium Productions de procéder à toute exploitation du film « The Host » en salles, par diffusion télévisuelle et en vidéo à la demande en France, et dans les territoires francophones, sous astreinte de 10.000 € par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir, - ORDONNER à The Jokers de cesser toute communication sur le film « The Host », tant dans les médias grand public que dans ceux destinés aux professionnels de l'audiovisuel, sous astreinte de 10.000 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ; - ORDONNER à The Jokers de cesser toutes actions commerciales, publicitaires ou promotionnelles relatives au le film « The Host », de quelque nature que ce soit, sous astreinte de 10.000 € par jour à compter de la signification de la décision à intervenir; - ORDONNER à The Jokers de communiquer à Sofinergie 5 Fcm, dans les huit jours de la décision à intervenir, un état de l'ensemble de toutes les exploitations cinématographiques, télévisuelles, vidéographiques et en ligne du film « The Host », auxquelles The Jokers a procédé, faisant apparaître l'ensemble des recettes perçues ou à recevoir par The Jokers, En tout état de cause, - CONDAMNER solidairement les sociétés The Jokers Films et Atrium Productions à verser à Sofinergie 5 Fcm et Orange Studio la somme de 10.000 € au titre des frais irrépétibles, en application de l'article 700 du code de procédure civile, - CONDAMNER solidairement les sociétés The Jokers Films et Atrium Productions aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Quentin Renaud, conformément à l'article 699 du code de procédure civile. 14. La société Paradis Films demande pour sa part au juge des référés de : A titre principal, - DÉBOUTER les sociétés The Jokers Films et Atrium Productions de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions, - JUGER que les demandes des sociétés The Jokers Films et Atrium Productions excèdent la compétence du juge des référés, A titre subsidiaire, - INTERDIRE aux sociétés The Jokers Films et Atrium Productions de procéder à toute exploitation du film « The Host en salles, programmées et futures, qu'il s'agisse de projections publiques ou privées, payantes ou gratuites, par diffusion télévisuelle et en vidéo à la demande en France, et dans les territoires francophones, sous astreinte de 10.000 € par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir ; -ORDONNER à The Jokers Films de cesser toute communication sur le film « The Host », tant dans les médias grand public que dans ceux destinés aux professionnels de l'audiovisuel, sous astreinte de 10.000 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ; - ORDONNER à The Jokers Films de cesser toutes actions commerciales, publicitaires ou promotionnelles relatives au le film « The Host », de quelque nature que ce soit, sous astreinte de 10.000 € par jour à compter de la signification de la décision à intervenir ; - ORDONNER aux sociétés The Jokers Films et Atrium Productions : (ii) l'interdiction de la projection du film « The Host » prévue le 26 février 2023 au Rex dans le cadre de l'événement « [I] [U] Day » (iii) l'interdiction pour The Jokers Films de poursuivre toute communication publique, relative à la distribution du film « The Host », dans le cadre de cet événement ou de l'ensemble de ses communications relatives à des projections cinématographiques (iv) de communiquer dans les huit jours de la décision à intervenir les décomptes d'exploitations et les accords conclus visant toute exploitation cinématographique programmée par The Jokers Films faisant apparaître l'ensemble des recettes perçues ou à recevoir, En toutes hypothèses, - CONDAMNER solidairement les sociétés The Jokers Films et Atrium Productions à verser à PARADIS FILMS la somme de 10.000 € au titre des frais irrépétibles, en application de l'article 700 du code de procédure civile - CONDAMNER solidairement les sociétés The Jokers Films et Atrium Productions aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Luc Tamnga, conformément à l'article 699 du code de procédure civile. MOTIFS DE LA DÉCISION Moyens des parties 15. Les sociétés demanderesses soutiennent que la poursuite d'exploitation du film "The Host" par les défenderesses constitue un trouble manifestement illicite, les sociétés Paradis Films, Sofinergie 5 et Orange Studio ne détenant plus aucun droit sur le film, tandis que la cession consentie à la société The Jokers Films leur est selon elles parfaitement opposable. Elles soutiennent d'abord que seule la société Ocean Films Distribution aurait pu se prévaloir de la prorogation de la durée d'exploitation, puisque c'est elle qui a versé le minimum garanti visé par la clause contractuelle. Elles ajoutent que la fin des droits de la société Sofinergie 5 a dûment été notifiée à cette société, tandis que leurs contrats n'ont jamais fait l'objet d'une publication au RCA, de sorte qu'ils sont inopposables aux tiers, dont elles-mêmes. 16. Les sociétés Sofinergie 5 et Orange Studio contestent d'abord l'absence de mise en cause des sociétés Freeway et Chungeorahm, alors même que les demanderesses se prévalent ici de leur contrat et de la résiliation anticipée prononcée par la société Chungeorahm, pour conclure à la validité de leur propre contrat. Les sociétés Sofinergie 5 et Orange Studio rappellent ensuite que la société Sofinergie 5 s'est trouvée, par l'effet de la cession du 9 décembre 2011 dûment autorisée par le tribunal de commerce, subrogée dans l'ensemble des droits (et obligations) de la société Ocean Films Distribution. Elles en déduisent que la société Sofinergie 5 est parfaitement en droit de revendiquer la prorogation du délai d'exploitation, prévue aussi bien par le deal memo que par le contrat de 2006. 17. Les sociétés Sofinergie 5 et Orange Studio soutiennent surtout que la position adoptée par les sociétés The Jokers Films et Atrium Productions commande de se livrer à une interprétation du contrat de 2006, aux fins d'apprécier la validité de la résiliation notifiée en septembre 2020 par la société Chungeorahm à la société Sofinergie 5, ce qui excède la compétence du juge des référés, ainsi d'ailleurs que l'avait soutenu avec succès la société Chungeorahm en 2021 devant le président du tribunal de commerce. 18. S'agissant de la publication au RCA de leurs contrats, les sociétés Sofinergie 5 et Orange Studio font valoir que, parfaitement informées de leurs droits par la société Chungeorahm Film elle-même, ce qui est au demeurant rappelé dans leur contrat et sa publication au RCA, les demanderesses sont particulièrement mal fondées à soulever ici un tel moyen. 19. La société Paradis Films conclut de la même manière à l'impossibilité pour le juge des référés de se prononcer sur les demandes des sociétés The Jokers Films et Atrium Productions, qui nécessitent selon elle la présence des sociétés Chungeorahm et Freeway, aux fins d'apprécier la validité d'un acte juridique (la résiliation du contrat du 6 juin 2006 fondée sur la nullité de la prorogation consentie par la société Freeway en violation de la cession qui lui avait été consentie par la société Chungeorahm), ce qui en tout état de cause échappe à la compétence du juge des référés. La société Paradis Films rappelle que cette résiliation, unilatérale et anticipée (avant même l'expiration du premier délai de 15 ans), est intervenue en violation des dispositions du contrat du 6 juin 2006 et, qu'à ce titre, elle est nulle et, à tout le moins, lui est inopposable. Appréciation du juge des référés 20. Aux termes des articles 834, 835 et 836 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. Il peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. Les pouvoirs du président du tribunal judiciaire s'étendent à toutes les matières où il n'existe pas de procédure particulière de référé. 21. Les dispositions des articles 834 et 835 alinéa 2 précités sont constamment interprétées comme excluant la compétence du juge des référés pour interpréter un contrat, fût-ce par référence à une évidente commune intention des parties (Cass. Civ. 1ère, 4 juillet 2006, pourvoi no 05-11.591, Bull. 2006, I, no 337 ; Cass. Civ. 3ème, 25 novembre 1992, pourvoi no 90-21.364, Bull. 1992, III, no 310). 22. Force est en l'occurrence de constater que, sous le couvert d'un trouble manifestement illicite (l'exploitation sans droits d'un film), les sociétés The Jokers Films et Atrium Productions demandent en réalité au juge des référés de constater la résiliation du contrat sur lequel est fondé l'exploitation du film par les sociétés défenderessesses (le contrat du 6 juin 2006) et la validité corrélative de leur propre contrat. 23. Comme le relèvent à juste titre les sociétés défenderesses, cette demande se heurte tout à la fois à une contestation sérieuse et à l'impossibilité pour le juge des référés de se livrer à l'interprétation d'un contrat. 24. Il résulte en effet en l'occurrence, aussi bien du "deal memo" du 22 mai 2006, que du contrat du 6 juin 2006, que la société Freeway a cédé à la société Ocean Films Distribution, moyennant le versement d'une avance récupérable de 425.000 dollars US (article 3 du contrat du 6 juin 2006), les droits d'exploitation du film de long métrage "The Host" dans tous les territoires francophones (article 2.1 annexe A du contrat), pour une durée de 15 ans suivant la remise du matériel d'exploitation, ce terme pouvant être "automatiquement prolongé pour une durée supplémentaire de 5 ans dans le cas où à la fin du premier terme de 15 ans le licencié n'aurait pas récupéré l'avance définie au paragraphe 3 ci-dessous" (traduction de l'article 2.2 de ce contrat). 25. Il est d'abord relevé que le contrat initial conclu entre les sociétés Chungeorahm Film et Freeway (ou Interclick), et sur lequel repose la "caducité" des droits de la société Freeway, et par suite, celle de la société Ocean Films Distribution, n'est pas versé aux débats. 26. Seule est versée aux débats (par la société Paradis Films) une annexe 29 à un accord du 1er février 2004, signée le 17 mai 2006 par les sociétés Interclick et Freeway, laquelle comporte un article 4 (cité par la société Chungeorahm dans sa lettre du 22 aot 2020) aux termes duquel "La durée du présent accord commence à compter de l'exécution des présentes et expire 15 ans après la livraison du matériel. Le terme est soumis à une période de prolongation de 5 ans par accord mutuel du concédant et du licencié." Il ne résulte nullement de cette clause que la société Freeway ne pouvait consentir de prolongation pour 5 années supplémentaires de le cession initiale de 15 ans. Cette clause prévoit même l'inverse "par accord mutuel du concédant et du licencié". 27. Un tel accord mutuel du concédant et du licencié (Freeway et Ocean Films Distribution) est bien intervenu ici, aucun élément ne corroborant l'interprétation faite par les demanderesses selon laquelle cette clause doit s'interpréter comme signifiant que la prorogation de 5 ans doit être accordée par la société Chungeorahm Film, ni cette clause, ni d'ailleurs le reste de l'annexe 29 ne précisant les modalités d'un tel accord de la société Chungeorahm (doit-il être exprès ? Préalable au contrat ? Ou intervenir au terme de la première période de 15 ans ?). 28. Ainsi que le relèvent à juste titre les sociétés défenderesses, de l'interprétation de cet article 4 de l'annexe 29 au contrat du 1er février 2004, laquelle s'insère dans un ensemble contractuel complexe, dépend l'appréciation de l'existence d'une obligation non sérieusement contestable comme au demeurant d'un éventuel trouble manifestement illicite. 29. Cette interprétation ne peut conduire ici, avec l'évidence requise en référé, à la validité de la résiliation prononcée par la société Chungeorahm Films par lettre du 8 septembre 2020. Il doit donc être dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes des sociétés The Jokers Films et Atrium Productions. 30. Parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, les sociétés The Jokers Films et Atrium Productions seront condamnées in solidum aux dépens, ainsi qu'à payer, sous la même solidarité imparfaite, aux sociétés Sofinergie 5 et Orange Studio d'une part, la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que la même somme sur le même fondement à la société Paradis Films. 31. Il est rappelé que, selon l'article 514-1 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du Décret no2019-1333 du 11 décembre 2019, le juge ne peut écarter l'exécution provisoire de droit lorsqu'il statue en référé. PAR CES MOTIFS, Le juge des référés, statuant publiquement par ordonnance rendue contradictoirement et en premier ressort, Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes des sociétés The Joker Films et Atrium Productions ; Condamne in solidum les sociétés The Joker Films et Atrium Productions aux dépens et autorise Maîtres Quentin Renaud et Luc Tamnga à recouvrer directement ceux dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ; Condamne in solidum les sociétés The Joker Films et Atrium Productions à payer à la société Paradis Films la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et la même somme sur le même fondement aux sociétés Orange Studio et Soferimage 5 ; Rappelle que la présente décision est de plein droit assortie de l'exécution provisoire. Fait à Paris le 27 février 2023 Le Greffier, Le Président, Marion COBOS Nathalie SABOTIER
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JURITEXT000047878956
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 14 juin 2023, 19/10207
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2023-06-14
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Tribunal judiciaire de Paris
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19/10207
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 19/10207 - No Portalis 352J-W-B7D-CQTHG No MINUTE : Assignation du :09 août 2019 JUGEMENT rendu le 14 juin 2023 DEMANDEURS S.A.S. WAFF[Adresse 2][Localité 4] Monsieur [O] [P]intervenant volontaire[Adresse 2][Localité 4] représentés par Maître Matthieu DHENNE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1957 DÉFENDERESSES Société DECATHLON SEanciennement dénommée DECATHLON SA[Adresse 1][Localité 3] S.A.S. DECATHLON FRANCE[Adresse 1][Localité 3] représentées par Maître Michel-Paul ESCANDE de la SELEURL CABINET M-P ESCANDE, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0266 COMPOSITION DU TRIBUNAL Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjointLinda BOUDOUR, jugeArthur COURILLON-HAVY, juge assistés de Lorine MILLE, greffière, DÉBATS A l'audience du 24 novembre 2022 tenue en audience publique devant Jean-Christophe GAYET et Linda BOUDOUR, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir donné lecture du rapport, puis entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 22 mars 2023, puis prorogé en dernier lieu au 14 juin 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort ___________________________ EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. La PSCV, désormais dénommée société par actions simplifiée (ci-après SAS) Waff, fondée le 21 juin 2001 et immatriculée le même jour au registre du commerce et des sociétés (RCS) de Melun, a pour activité le développement et la commercialisation de tous produits et en particulier de coussin gonflable. 2. M. [O] [P] est le président de la SAS Waff et se présente comme l'inventeur du coussin gonflable commercialisé par sa société. Il est titulaire du brevet français FR 2 825 249 (ci-après FR 249), déposé le 1er juin 2001 et délivré le 26 septembre 2003 intitulé siège gonflable. 3. Le 28 mai 2002, la SAS Waff a déposé un brevet européen EP 1 262 125 (ci-après EP 125), sous priorité du brevet français précité, délivré le 5 avril 2006, intitulé siège gonflable. 4. Ces brevets portent sur un siège gonflable de forme annulaire, constitué d'une chambre toroïdale pouvant être remplie d'air lui donnant l'aspect d'une bouée. L'espace laissé par l'axe de révolution du tore est comblé perpendiculairement par deux parois planes placées de chaque côté, en surface de l'espace axial. L'aspect symétrique du coussin permet de s'y assoir ou de s'y tenir sur chaque face alternativement. 5. La société européenne Décathlon (ci-après Décathlon SE), immatriculée au RCS de Lille le 16 novembre 1984, a pour activité la vente au détail d'articles de sport et d'équipement de la personne, la vente au détail d'armes de chasse, de tir sportif et leurs munitions. La SAS Décathlon France, immatriculée au RCS de Lille le 23 octobre 2007, a pour activité, notamment, la fabrication, le négoce en gros, demi-gros et détail de tous articles et services utiles aux sportifs et à leur famille et l'équipement de la personne de façon générale. 6. La SAS Waff et M. [P] indiquent avoir découvert, en mai 2019, que les sociétés Décathlon commercialisaient un coussin intitulé Gym Pillow Mini, sous la marque "Domyos", lequel reproduirait les caractéristiques des brevets EP 125 et FR 249. 7. Le 9 juillet 2019, à la suite de deux requêtes du même jour, la SAS Waff a été autorisée à faire procéder à des mesures de saisie-contrefaçon dans les locaux des sociétés Décathlon SA (devenue Décathlon SE) et Décathlon France. 8. Les opérations de saisie-contrefaçon ont été réalisées le 17 juillet 2019 au sein du siège social des sociétés Décathlon à [Localité 3] ainsi que dans un magasin attenant. 9. C'est dans ces conditions que la SAS Waff a, par courrier du 25 juillet 2019, mis en demeure les sociétés Décathlon de cesser les actes de contrefaçon allégués. 10. Estimant que ses demandes n'avaient pas été satisfaites, la SAS Waff a, par acte d'huissier du 9 août 2019, fait assigner les sociétés Décathlon SA et Décathlon France devant le tribunal judiciaire de Paris, en contrefaçon de la partie française du brevet no EP 1 262 125. 11. M. [P] est intervenu volontairement à l'instance par conclusions du 15 juin 2021. 12. Par conclusions séparées du 10 septembre 2020, les sociétés Décathlon ont soulevé la nullité de l'assignation évoquée, puis s'en sont désistées le 13 octobre 2020. Par ordonnance du 20 novembre 2020, le juge de la mise en état a pris acte de ce désistement et condamné les sociétés Décathlon pour procédure abusive, considérant que cet incident poursuivait un objectif dilatoire. Les sociétés Décathlon ont interjeté appel de cette décision le 9 décembre 2020. Aux termes d'un arrêt du 23 novembre 2021, la cour d'appel de Paris a toutefois confirmé l'ordonnance dans la totalité de ses dispositions. 13. L'instruction a été close par ordonnance du 17 février 2022 et l'affaire fixée à l'audience du 24 novembre 2022 pour être plaidée. PRÉTENTIONS DES PARTIES 14. Dans ses dernières conclusions au fond, notifiées par voie électronique le 3 mars 2022, la SAS Waff et M. [P] demandent au tribunal, au visa des articles L.611-10, L.614-12, L.615-5, L.615-7, L.613-25, R.615-2 du code de la propriété intellectuelle, 1240 du code civil, 32-1, 699, et 700 du code de procédure civile et de l'ordonnance no 45-2592 du 2 novembre 1945, de : - débouter les sociétés Décathlon S.E. et Décathlon France de toutes leurs demandes- Dire et juger que la partie française du brevet no EP 1 262 125 est contrefaite par le coussin Gym Pillow Mini de marque Domyos importé et commercialisé par les sociétés Décathlon S.E. et Décathlon France- dire et juger que le brevet no FR 2 825 249 est contrefait par le coussin Gym Pillow Mini de marque Domyos importé et commercialisé par les sociétés Décathlon S.E. et Décathlon France- dire et juger que le brevet no EP 1 262 125 implique une activité inventive- dire et juger que la description du brevet no EP 1 262 125 est suffisante pour réaliser l'invention- en conséquence, débouter les sociétés Décathlon S.E. et Décathlon France de leur demande d'annulation du brevet no EP 1 262 125- dire et juger que le brevet no FR 2 825 249 implique une activité inventive- dire et juger que la description du no FR 2 825 249 est suffisante pour réaliser l'invention- en conséquence, débouter les sociétés Décathlon S.E. et Décathlon France de leur demande d'annulation du brevet no FR 2 825 249- dire et juger que le procès-verbal de constat dressé par Maître [U] [F] le 9 décembre 2019 est nul, car l'huissier ne se contente pas de faire des constatations purement matérielles, exclusives, de tout avis- en conséquence, annuler ledit procès-verbal- dire et juger que le procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé par Maître [G] [W] le 17 juillet 2019 est valable- dire et juger que le procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé par Maître [J] [E] le 17 juillet 2019 est valable- en conséquence, débouter les sociétés Décathlon S.E. et Décathlon France de leurs demandes d'annulation desdits procès-verbaux- débouter les sociétés Décathlon S.E. et Décathlon France de leur demande en vue de faire condamner la SAS Waff pour abus de procédure-en conséquence :- interdire, et ce de manière permanente et définitive, aux sociétés Décathlon S.E. et Décathlon France la poursuite de tels actes de contrefaçon et ce sous astreinte de 10 000 € (dix mille euros) par infraction constatée, et 50 000 € (cinquante mille euros) par jour de retard, lesdites astreintes devant être liquidées par le tribunal- condamner in solidum les sociétés Décathlon S.E. et Décathlon France pour les faits de contrefaçon qu'elles ont commis à payer une indemnité provisionnelle à parfaire de 435 000 € (quatre-cent-trente-cinq-mille euros) à la SAS Waff en raison de la contrefaçon de son brevet noEP 1 262 125 et de 435 000 € (quatre-cent-trente-cinq-mille euros) à Monsieur [P] en raison de la contrefaçon de son brevet no FR 2 825 249- condamner in solidum les sociétés Décathlon S.E. et Décathlon France pour les faits de parasitisme qu'elles ont commis à payer une indemnité provisionnelle à parfaire de 300 000 € (trois-cent-mille euros) à la SAS Waff- ordonner la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux au choix de la SAS Waff et de Monsieur [P] aux frais des sociétés Décathlon S.E. et Décathlon France avancés par celles-ci à hauteur de 20 000 € (vingt mille euros) HT par insertion- ordonner, à titre principal, sous astreinte de 10 000 € (dix mille euros) par jour de retard passé un délai de 30 jours après la signification du jugement à intervenir, la production de tous documents ou informations détenues par les sociétés Décathlon S.E. et Décathlon France utiles pour déterminer l'origine et les réseaux de distribution des produits contrefaisants et concernant l'exploitation en France ainsi que les bénéfices réalisés, et notamment :> les nom et adresse des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs des produits contrefaisants et de tous les produits de même forme, ainsi que des grossistes destinataires et des détaillants> les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées, ainsi que le prix obtenu pour ces produits> la marge brute réalisée pour ces produits ; sous la certification d'un expert-comptable ou d'un commissaire aux comptes, détaillant les éléments retenus dans le calcul de la marge brute, et renvoyer l'affaire à telle audience qui plaira au tribunal, afin de permettre à la SAS Waff et à Monsieur [P] de conclure sur le montant total des dommages et intérêts en réparation des actes de contrefaçon- ordonner, à titre subsidiaire, une mesure d'expertise pour une détermination précise de l'origine et de l'étendue du préjudice subi par la SAS Waff et par Monsieur [P]- désigner pour y procéder tel expert agréé qu'il plaira au tribunal, avec pour mission de se faire communiquer par les sociétés Décathlon S.E. et Décathlon France :> les éléments permettant de déterminer la provenance des produits contrefaisants> les chiffres d'affaires des ventes des produits contrefaisants qu'elle a réalisés jusqu'à la date à laquelle l'expert les réclamera et depuis le cinquième anniversaire précédant l'assignation introductive de cette instance> les documents utiles permettant d'évaluer la marge brute qu'elle a réalisée sur la vente des produits contrefaisants> analyser lesdits chiffres et documents pour donner les éléments ou critères permettant ensuite à la juridiction du fond d'évaluer le préjudice subi par la SAS Waff et Monsieur [P] à raison de ces ventes illicites> rapporter toute autre constatation utile à l'examen des prétentions des parties> mettre en temps utile, aux termes des opérations d'expertise, les parties en mesure de faire valoir leurs observations, qui seront annexées à son rapport- ordonner une réouverture des débats lorsque la SAS Waff et Monsieur [P] détiendront l'ensemble des éléments résultants de l'exercice du droit d'information ou de l'expertise pour permettre aux parties de conclure à nouveau sur l'indemnisation- en tout état de cause :- condamner in solidum les sociétés Décathlon S.E. et Décathlon France à payer 135 386 € (cent-trente-cinq-mille-trois-cent-quatre-vingt-six euros) à la SAS Waff au titre de l'article 700 du CPC- condamner les sociétés Décathlon S.E. et Décathlon France aux entiers dépens dans les modalités prévues à l'article 699 du CPC- condamner les sociétés Décathlon S.E. et Décathlon France à une amende civile 1 € (un euro) symbolique pour abus de procédure, en raison des manoeuvres dilatoires usées durant la présente instance - ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir. 15. Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 mars 2022, les sociétés Décathlon SE et Décathlon France demandent au tribunal de :1) sur le brevet Waff EP 1 262 125 :a) juger que les revendications 4 et 5 du brevet Waff déposé le 28 mai 2002 sous le no02291294.3 et délivré le 5 avril 2006 sous le no EP 1 262 125 décrivent insuffisamment l'invention et sont elles-mêmes en tout état de cause dépourvues d'activité inventiveb) juger que le brevet Waff déposé le 28 mai 2002 sous le no02291294.3 et délivré le 5 avril 2006 sous le no EP 1 262 125 est dépourvue d'activité inventivec) en conséquence, annuler les revendications 1, 2, 3, 4, 5 et 6 du brevet Waff déposé le 28 mai 2002 sous le no 02291294.3 et délivré le 5 avril 2006 sous le no EP 1 262 1252) sur le brevet [P] FR 01 07263 :a) juger que le brevet [P] déposé le 1er juin 2001 sous le no 2 825 249 et délivré le 26 septembre 2003 sous le no FR 01 07263 est nul pour insuffisance de descriptionb) juger que le brevet [P] FR 01 07263 déposé le 1er juin 2001 sous le no 2 825 249 et délivré le 26 septembre 2003 sous le no FR 01 07263 est nul pour défaut de nouveautéc)juger que le brevet [P] déposé le 1er juin 2001 sous le no 2 825 249 et délivré le 26 septembre 2003 sous le no FR 01 07263 est nul pour défaut d'activité inventived) en conséquence, annuler la revendication 1, 2, 3, 4, 5 et 6 du brevet [P] déposé le 1er juin 2001 sous le no 2 825 249 et délivré le 26 septembre 2003 sous le no FR 01 07263 pour défaut d'activité inventive, défaut de nouveauté et insuffisance de description3) sur le procès-verbal de Maître [G] [W] du 17 juillet 2019 :a) juger que les constatations de Maître [G] [W], huissier de Justice à [Localité 6], relatées au sein du procès-verbal de saisie-contrefaçon qu'il a dressé le 17 juillet 2019 au siège de la société Décathlon SA (devenue Décathlon SE) sont inexactes et incomplètesb) qu'il résulte de son procès-verbal qu'il n'a pas dirigé les opérations de saisie-contrefaçon et a repris les remarques de Monsieur [K], conseil en propriété industrielle de la SAS Waff, sans les vérifierd) en conséquence, annuler le procès-verbal de Maître [G] [W] du 17 juillet 2019 qui comporte des erreurs matérielles graves4) sur le procès-verbal de Maître [E] du 17 juillet 2019 :a)juger que les constatations de Maître [E], huissier de Justice à [Localité 6], relatées au sein du procès-verbal de saisie-contrefaçon qu'il a dressé le 17 juillet 2019 au siège de la société Décathlon SAS ne permettent pas aux concluantes de vérifier les constatations personnelles de l'huissierb) en conséquence, annuler le procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé par Maître [E], huissier de justice à [Localité 6], au siège de la société Décathlon SAS le 17 juillet 20195) sur le procès-verbal de Maître [F] en date du 3 décembre 2019 :a) juger que le procès-verbal de Maître [F] en date du 3 décembre 2019 est valableb) en conséquence, débouter la demande en annulation du procès-verbal de Maître [F] en date du 3 décembre 20196) sur la matérialité de la contrefaçon :a) juger que le coussin Gym Pillow Mini Domyos de Décathlon ne contrefait pas le brevet [P] FR 01 07263 dont la délivrance a été publiée le 26 septembre 2003b) juger que le coussin Gym Pillow Mini Domyos de Décathlon ne contrefait pas le brevet Waff EP 1 262 125 dont la délivrance a été publiée le 5 avril 2006c) juger que les sociétés Décathlon SA (devenue Décathlon SE) et Décathlon SAS n'ont pas commis de faits distincts de ceux qui leur sont reprochés au titre de la contrefaçon de brevet et que les demandes de la société Waff et de Monsieur [P] au titre de la concurrence déloyale et/ou parasitaire est infondéed) débouter la société Waff et Monsieur [P] de leurs demandes de ces chefs7) sur la matérialité de la concurrence parasitaire :a) juger que les sociétés Décathlon n'ont commis aucun fait de concurrence parasitaire vis-à-vis de la société Waffb) débouter la société Waff de sa demande de ce chefA titre subsidiaire,8) sur l'indemnisation du préjudice subi au titre de la contrefaçon et de la concurrence parasitaire :a) juger que la société Waff et Monsieur [P] sollicitent une double réparation du préjudice qu'ils invoquentb) juger que la société Waff et Monsieur [P] ne justifient absolument pas le montant de leurs différentes demandes indemnitaires, basées sur des faits commis sur le territoire françaisc) débouter la société Waff et Monsieur [P] de leurs demandes indemnitairesd) par conséquent, débouter la société Waff et Monsieur [P] de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentionsEn tout état de cause,a) débouter la société Waff et Monsieur [P] de toutes leurs demandes indemnitaires portant sur la vente de produits Gym Pillow Mini en dehors du territoire françaisb) débouter la société Waff et Monsieur [P] de leur demande en condamnation pour procédure abusivec) débouter la société Waff et Monsieur [P] de toutes demandes d'information et d'expertised) condamner la société Waff et Monsieur [P] à payer aux sociétés Décathlon la somme totale de 60 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civilee) condamner la société Waff et Monsieur [P] aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les procès-verbaux de constat que les sociétés Décathlon ont fait dresser les 2 et 3 décembre 2019, dont distraction au profit de la SELARL M-P Escande conformément aux articles 699 et suivants du code de procédure civile. MOTIFS DU JUGEMENT I - Présentation des brevets FR 249 et EP 125 I.1 - Le brevet FR 249 16. Le brevet FR 249, déposé le 1er juin 2001 et délivré le 26 septembre 2003, décrit un siège gonflable dont l'effet technique principal est une stabilité améliorée et dont l'utilisation serait facile, adaptée à différentes utilisations de repos et de loisir, et permettant d'être produit à faible coût (pièce Waff et [P] no4). 17. Le brevet présente l'art antérieur comme constitué par le document US 4 687 452 qui décrit un siège gonfable flottant comportant un ballast à eau afin d'en améliorer la stabilité. L'invention propose de résoudre, notamment, le problème technique de la nécessité de disposer d'eau à proximité du lieu d'utilisation et de vider l'eau contenue dans le siège gonflable après utilisation, tout en assurant la stabilité du siège gonflable (même pièce no4). 18. Ce brevet se compose d'une revendication principale et de cinq revendications dépendantes : "1 : Siège gonflable comprenant un corps annulaire (2) formant une chambre toroïdale (3), comprenant une extrémité axiale supérieure (8) et une extrémité axiale inférieure (9), la chambre toroïdale (3) pouvant être remplie d'air, le siège comprenant en outre deux parois planes (10, 11) s'étendant perpendiculairement à l'axe de révolution (4) du corps annulaire (2), une chambre centrale (12) coaxiale au corps annulaire (2) étant formée par une portion intérieure (6) du corps annulaire (2) et par lesdites deux parois planes (10, 11) fixées sur la portion intérieure (6) du corps annulaire (2), caractérisé par le fait que les parois planes (10, 11) sont situées axialement à distance des extrémités axiales supérieure et inférieure (8, 9) du corps annulaire (2) de façon à laisser libre des espaces (13, 14) à proximité des extrémités axiales supérieure et inférieure (8, 9) du corps annulaire (2). 2 : Siège selon la revendication 1, caractérisé par le fait que les parois planes (10, 11) sont symétriques par rapport à un plan équatorial du corps annulaire (2). 3 : Siège selon l'une quelconque des revendications 1 ou 2, caractérisé par le fait que les parois planes (10, 11) définissent avec la portion intérieure (6) du corps annulaire (2), une chambre centrale (12) pouvant être remplie d'air au moyen d'une valve. 4 : Siège selon l'une quelconque des revendications précédentes, caractérisé par le fait que le rayon (r) du cercle section de la chambre toroïdale (3) est compris entre 25% du rayon (R) du cercle de révolution de la chambre toroïdale (3), et 85% du rayon (R) du cercle de révolution de la chambre toroïdale (3). 5 : Siège selon l'une quelconque des revendications précédentes, caractérisé par le fait que la distance axiale (d) entre une extrémité axiale (8, 9) du corps annulaire (2) et la paroi plane (10, 11) adjacente est comprise entre 25% du rayon (R) du cercle de révolution de la chambre toroïdale (3), et 85% du rayon (R) du cercle de révolution de la chambre toroïdale (3). 6 : Siège selon l'une quelconque des revendications précédentes, caractérisé par le fait que les différentes parois sont thermosoudées entre elles. I.2 - Le brevet EP 125 19. Le brevet EP 125, déposé le 28 mai 2002 et délivré le 5 avril 2006, revendique la priorité du brevet FR 249 du 1er juin 2001. Il concerne également un siège gonflable destiné à répondre au problème technique d'amélioration de la stabilité, de facilité d'utilisation, d'adaptation à différentes utilisations et d'obtention à faible coût (pièce de la SAS Waff et de M. [P] no5). 20. Ce brevet se compose d'une revendication principale et de cinq revendications dépendantes : "1 : Siège gonflable comprenant un corps annulaire (2) formant une chambre toroïdale (3), comprenant une extrémité axiale supérieure (8) et une extrémité axiale inférieure (9), la chambre toroïdale (3) pouvant être remplie d'air, le siège comprenant en, outre deux parois planes (10, 11) s'étendant perpendiculairement à l'axe de révolution (4) du corps annulaire (2), une chambre centrale (12) coaxiale au corps annulaire (2) étant formée par une portion intérieure (6) du corps annulaire (2) et par lesdites deux parois planes (10, 11) fixées sur la portion intérieure (6) du corps annulaire (2), les parois planes (10, 11) étant situées axialement à distance des extrémités axiales supérieure et inférieure (8, 9) du corps annulaire (2) de façon à laisser libre des espaces (13, 14) à proximité des extrémités axiales supérieure et inférieure (8, 9) du corps annulaire (2), la distance entre la paroi plane inférieure (11) et l'extrémité inférieure du corps annulaire délimitant un espace libre, caractérisé en ce que la distance axiale (d) entre l'extrémité axiale inférieure (9) du corps annulaire (2) et la paroi plane inférieure (11) est supérieure à 25% du rayon (R) du cercle de révolution de la chambre toroïdale (3), cet espace libre présentant un volume suffisant pour qu'un mouvement de l'utilisateur initialement assis sur le siège s'accompagne d'une augmentation du volume de l'espace libre ainsi ménagé et d'une dépression correspondante dans l'espace libre, laquelle dépression tend à plaquer le siège sur la surface sur laquelle il est posé. 2 : Siège selon la revendication 1, caractérisé par le fait que les parois planes (10, 11) sont symétriques par rapport à un plan équatorial du corps annulaire (2). 3 : Siège selon l'une quelconque des revendications 1 ou 2, caractérisé par le fait que les parois planes (10, 11) définissent avec la portion intérieure (6) du corps annulaire (2), une chambre centrale (12) pouvant être remplie d'air au moyen d'une valve. 4 : Siège selon l'une quelconque des revendications précédentes, caractérisé par le fait que le rayon (r) du cercle section de la chambre toroïdale (3) est compris entre 25% du rayon (R) du cercle de révolution de la chambre toroïdale (3), et 85% du rayon (R) du cercle de révolution de la chambre toroïdale (3). 5 : Siège selon l'une quelconque des revendications précédentes, caractérisé par le fait que la distance axiale (d) entre une extrémité axiale (8, 9) du corps annulaire (2) et la paroi plane (10, 11) adjacente est comprise entre 25% du rayon (R) du cercle de révolution de la chambre toroïdale (3), et 85% du rayon (R) du cercle de révolution de la chambre toroïdale (3). 6 : Siège selon l'une quelconque des revendications précédentes, caractérisé par le fait que les différentes parois sont thermosoudées entre elles. 21. Les brevets FR249 et EP125 sont accompagnés de la même figure suivante :II - Sur la définition de l'homme du métier Moyens des parties 22. La SAS Waff et M. [P] définissent l'homme du métier comme "le spécialiste des coussins gonflables" (leurs conclusions page 122). 23. Les sociétés Décathlon SE et Décathlon France définissent l'homme du métier comme "concerné par les coussins gonflables, qui recherche à obtenir une solution technique au problème de stabilité" (leurs conclusions page 16). Réponse du tribunal 24. L'homme du métier est celui du domaine technique où se pose le problème que l'invention, objet du brevet, se propose de résoudre (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 20 novembre 2012, pourvoi no11-18.440). 25. En l'occurrence, les brevets FR 249 et EP 125 ont pour objet un "siège gonflable" (pièces de demandeurs no4 et 5, pièces des défenderesses no4 et 6) en sorte que l'homme du métier se définit comme un spécialiste des sièges gonflables. III - Sur la validité du brevet FR 249 III.1 - S'agissant de la validité du brevet FR 249 au regard de sa description Moyens des parties 26. Les sociétés Décathlon SE et Décathlon France soutiennent que le brevet FR 249 doit être annulé pour insuffisance de description de ses revendications 1, 2 et 4 à 6, qui ne permettent pas à l'homme du métier de parvenir à réaliser l'invention. Selon elles, l'homme du métier ne pourrait pas reproduire l'effet ventouse qui solutionnerait le problème technique de stabilité du coussin, du fait de l'absence de précision de la distance à appliquer entre les extrémités axiales supérieure, inférieure et les parois planes. Elles soutiennent qu'à défaut de précision des dimensions du siège, l'invention est dénuée de tout effet technique. Elles affirment que c'est également ce qu'a conclu l'examinateur de l'Office européen des brevets (OEB) lorsqu'il a étudié la recevabilité de la demande de brevet EP125, identique au brevet FR249. Elles ajoutent qu'à défaut pour les revendications de préciser à quel niveau le coussin doit être gonflé, sa mise en oeuvre est rendue impossible pour l'homme du métier. 27. La SAS Waff et M. [P] répondent que la lecture des revendications 1, 2 et 4 à 6 du brevet FR 249 à la lumière de la description introductive et des figures permet facilement à l'homme du métier de réaliser l'invention, notamment parce que la description explique que l'espace délimité par les deux parois planes permet de créer une dépression et de plaquer le siège sur le sol ou une surface liquide. Réponse du tribunal 28. Aux termes de l'alinéa 1 de l'article L.612-5 du code de la propriété intellectuelle, "l'invention doit être exposée dans la demande de brevet de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter". 29. Selon l'article L.612-6 du même code, "les revendications définissent l'objet de la protection demandée. Elles doivent être claires et concises et se fonder sur la description". 30. L'article L.613-25 du même code prévoit que "le brevet est déclaré nul par décision de justice : [?] b) S'il n'expose pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter". 31. L'exigence de suffisance de description est satisfaite, dès lors que l'homme du métier, avec l'aide de ses connaissances et par des opérations matérielles ne revêtant pas de difficultés excessives, est en mesure de reproduire l'invention (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 5 juillet 2017, no15-20.554). 32. En outre, l'homme du métier peut s'aider de la description et des dessins pour reproduire l'invention (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 20 mars 2007, pourvoi no05-12.626). 33. Au cas présent, il n'est pas contesté par les demandeurs que la revendication 1 du brevet FR 249 ne comporte pas de précision relativement à la distance que doit appliquer l'homme du métier entre les extrémités axiales et les parois planes pour produire la dépression d'air à l'origine de l'effet stabilisant du siège gonflable. 34. Toutefois, l'homme du métier comprend, à la lecture de la description, que "la distance axiale entre une extrémité axiale du corps annulaire et la paroi plane adjacente est comprise entre 25% du rayon du cercle de révolution de la chambre toroïdale et 85% du rayon du cercle de révolution de la chambre toroïdale" (page 2 du brevet FR 249, lignes 16 à 19), ce qui lui permet d'obtenir "une assise confortable et un siège stable, tout en permettant la création, dans l'espace libre à proximité de l'extrémité axiale inférieure du corps annulaire, d'une dépression suffisante pour améliorer la stabilité du siège gonflable" (page 2 du brevet FR 249, lignes 19 à 22). 35. De plus, ces précisions sont l'objet de la revendication 4 précitée de ce brevet. 36. Le résultat technique recherché est donc clairement identifiable et peut être facilement reproduit par l'homme du métier qui dispose des proportions optimales à donner au siège pour améliorer sa stabilité. 37. De même, s'agissant de la revendication 2 du brevet FR 249, la description précise que la symétrie revendiquée permet au siège gonfable d'être utilisé "indifféremment en utilisant une première paroi plane comme assise ou la seconde paroi plane" (page 2 du brevet FR 249 lignes 5 à 7). Il s'en déduit, sans difficulté excessive pour l'homme du métier, que le siège gonflable peut être utilisé d'un côté ou de l'autre. 38. S'agissant des revendications 4 et 5 du brevet FR 249, la lecture de la description et de la figure permet à l'homme du métier de comprendre que le siège doit être gonflé de façon à "obtenir une structure d'ensemble du siège gonflable plus rigide, [et] pouvoir adapter le confort souhaité de l'assise centrale du siège gonflable" (page 2, lignes 10 à 12). L'homme du métier en déduit, sans difficulté excessive, à quel niveau il doit gonfler le siège pour obtenir l'effet technique de stabilisation recherché. 39. Comme pour la revendication 1, l'homme du métier comprend, également, que les rapports de distance revendiqués ont pour objet d'obtenir "une assise confortable et un siège stable, tout en permettant la création, dans l'espace libre à proximité de l'extrémité axiale inférieure du corps annulaire, d'une dépression suffisante pour améliorer la stabilité du siège gonflable" à la lecture de la description (page 2 du brevet FR 249, lignes 19 à 22). 40. S'agissant de la revendication 6, selon laquelle "les différentes parois sont thermosoudées entre elles", son libellé permet à lui seul d'en déterminer le résultat technique, à savoir la solidarité entre l'ensemble des pièces du siège gonfable. 41. Ainsi, grâce aux revendications et en s'aidant de la description et de la figure, l'homme du métier avec ses connaissances générales peut, sans difficulté excessive, exécuter l'invention, qui est suffisamment décrite. 42. Le moyen d'insuffisance de description du brevet FR 249 sera, en conséquence, écarté. III.2 - S'agissant de la validité du brevet FR 249 au regard de sa nouveauté III.2.1 - Présentation de l'art antérieur 43. Le brevet présente l'art antérieur comme constitué par le document US 4,687,452 (ci-après US 452 Hull), brevet américain déposé le 21 juillet 1986. Il est intitulé "siège portable flottant gonflable à gaz" et comporte une revendication principale et neuf revendications dépendantes (pièces Waff et [P] no10, Décathlon no9-1 et 9-2). 44. La revendication 1 de ce document , seule invoquée, est rédigée comme suit, d'après la traduction libre et non contestée des sociétés Décathlon (leur pièce no9-2) : "1. Un siège portable, flottant, gonflable au gaz pour supporter une personne sur l'eau, ledit siège comprenant :- une première chambre de flotteur gonflable inférieure, de forme généralement annulaire, définissant un compartiment pour ladite personne et adaptée pour fournir une flottabilité lorsqu'elle est gonflée et placée dans l'eau ; - un compartiment de lest d'eau à l'intérieur de ladite chambre de flotteur inférieure- une deuxième chambre de flotteur gonflable supérieure, de forme généralement annulaire, montée sur le dessus de ladite première chambre de flotteur, formée avec un segment ouvert sur un côté arrière de celle-ci et formant des accoudoirs sur les côtés opposés dudit segment ouvert- un coussin de siège gonflable séparément adapté pour être monté de manière amovible sur ladite chambre de flotteur inférieure adjacente audit segment ouvert de ladite chambre de flotteur supérieure, ledit coussin de siège pouvant être utilisé comme un coussin lorsqu'il est détaché de ladite chambre de flotteur- un dossier de siège gonflable vertical faisant saillie vers le haut de ladite première chambre flottante, monté dans ledit segment ouvert et fixé à ladite première chambre flottante et - des moyens de fixation pour fixer de manière détachable ledit coussin de siège en place sur ladite chambre de flotteur inférieure adjacente audit segment ouvert de ladite chambre de flotteur supérieure". 45. Ce brevet comprend six figures, parmi lesquelles la figure 3 est invoquée : 46. Les sociétés Décathlon opposent également le document US 6,217,401 (ci-après US 401 Peterson), brevet américain déposé le 15 mai 2000. Il est intitulé "véhicule tractable gonflable" et comporte une revendication principale et neuf revendications dépendantes (leurs pièces no10-1 et 10-2). 47. La revendication 1 de ce document, seule invoquée, est rédigée comme suit, d'après la traduction libre et non contestée des sociétés Décathlon SE et Décathlon France (leur pièce no10-2) :"1. Véhicule tractable gonflable, comprenant : - un élément de corps gonflable comprenant un fond, une paroi extérieure, un sommet et une paroi intérieure définissant une cavité au centre ayant un diamètre intérieur- une coque de corps flexible disposée pour couvrir le fond, la paroi extérieure, le sommet et la paroi intérieure de l'élément de corps, la coque ayant une ouverture d'extrémité disposée de manière lâche à une partie inférieure de la paroi intérieure- un siège comprenant un fond, une paroi extérieure et un sommet, le siège étant dimensionné pour s'adapter à l'intérieur de la cavité de l'élément de corps de telle sorte que la paroi extérieure du siège s'engage dans l'enveloppe corporelle disposée sur la paroi intérieure de l'élément de corps au-dessus de l'ouverture d'extrémité et tire l'enveloppe corporelle tendue lorsque le siège est inséré dans la cavité". 48. Ce brevet comprend cinq figures, parmi lesquelles les figures 3, 4 et 5 sont invoquées : III.2.2 - Sur le défaut de nouveauté au regard du brevet US 452 Hull Moyens des parties 49. Les sociétés Décathlon SE et Décathlon France estiment que la revendication 1 du brevet FR 249, seule revendication principale, n'est pas nouvelle, car toutes ses caractéristiques se retrouvent à la lecture du brevet US 452 Hull : l'invention est un siège comprenant deux parois planes s'étendant perpendiculairement à l'axe de révolution du corps annulaire, une chambre centrale coaxiale au corps annulaire étant formée par une portion intérieure du corps annulaire et par lesdites deux parois planes fixées sur la portion intérieure du corps annulaire. Elles précisent que ces deux parois planes sont situées axialement à distance des extrémités axiales supérieure et inférieure du corps annulaire et laissent libre des espaces à proximité des extrémités axiales supérieure et inférieur du corps annulaire. Elles s'appuient sur l'examen opéré par l'OEB de la demande de brevet EP 125, pour relever que la description du brevet US 452 Hull indique qu'il est possible d'introduire de l'eau dans le compartiment central, mais que cela n'est pas nécessaire, tout comme l'indique également la description du brevet FR 249. 50. La SAS Waff et M. [P] répliquent que le brevet US 452 Hull décrit un siège constitué de plusieurs parties, dont la chambre centrale ne forme pas l'assise, mais une simple structure distincte du siège qui assure une fonction de stabilisation, à la différence de la revendication 1 du brevet FR 249. Ils exposent que l'invention du brevet US 452 Hull consiste à prévoir une chambre de ballast à une extrémité inférieure de la chambre de flottaison, le ballast étant situé aussi bas que possible pour être réellement efficace. Ils considèrent qu'il n'existe aucun espace entre la paroi inférieure et l'extrémité axiale inférieure. Selon eux, l'invention objet de la revendication 1 du brevet FR 249, en ce que les deux parois planes sont situées à distance axialement des extrémités du corps annulaire, de façon à laisser libres des espaces à proximité des extrémités axiales et en ce que le brevet US 452 Hull exige qu'un ballast soit rempli d'eau pour que le coussin soit équilibré, l'en distingue. Réponse du tribunal 51. Selon l'alinéa 1er de l'article L.611-10 du code de la propriété intellectuelle, "sont brevetables, dans tous les domaines technologiques, les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle". 52. Aux termes des alinéas 1 et 2 de l'article L.611-11 du même code "une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique.L'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen". 53. Il résulte de ces textes que pour être comprise dans l'état de la technique et être privée de nouveauté, l'invention doit s'y retrouver tout entière, dans une seule antériorité au caractère certain avec les éléments qui la constituent dans la même forme, le même agencement, le même fonctionnement en vue du même résultat technique (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 12 mars 1996, no94-15.283 et jurisprudence constante depuis). Pas de nouveauté revendication 1 à 4 et 6 car divulgué par figure 3 US Hull distance est existante et mise ne oeuvre de la chambre toroïdale est comprise entre , nouveau pour 5 54. En l'espèce, le siège décrit par le brevet US 452 Hull est constitué de plusieurs parties : une chambre inférieure de forme annulaire, un compartiment pouvant être rempli d'eau, une deuxième chambre de forme annulaire formée avec un segment ouvert et comprenant des accoudoirs sur les côtés, un coussin et un dossier de siège. 55. La revendication 1 du brevet FR 249 est caractérisé en ce que "les parois planes (10, 11) sont situées axialement à distance des extrémités axiales supérieure et inférieure (8, 9) du corps annulaire (2) de façon à laisser libre des espaces (13, 14) à proximité des extrémités axiales supérieure et inférieure (8, 9) du corps annulaire (2)". 56. Or, il ressort de la figure 3 du brevet US 452 Hull (pièce Décathlon no9-1) et de sa description, selon la traduction non contestée produite par les sociétés Décathlon (leur pièce no9-2) que la partie inférieure du siège gonflable, dite chambre de ballastage d'eau, est constituée d'un corps annulaire et comporte des parois supérieure et inférieure pour fermer les extrémités de la chambre de flottaison inférieure. 57. Toutefois, contrairement à ce que soutiennent la SAS Waff et M. [P], la figure 3 du brevet US 452 Hull suggère que les parois supérieure et inférieure sont planes et qu'elles se situent à distance des extrémités axiales supérieure et inférieure du corps annulaire. Cette caractéristique apparaît également sur la figure 1 du document US 452 Hull sur laquelle est représentée "une structure de paroi de fond flexible (16)" située à distance de l'extrémité axiale supérieure du corps annulaire inférieur. Il en résulte que des espaces à proximité des extrémités axiales supérieure et inférieure du corps annulaire sont divulgués. 58. Dès lors, ce document décrit l'ensemble des caractéristiques de la revendication 1 du brevet FR 249. 59. La revendication 2 du brevet FR 249 est également divulguée par le document US 452 Hull, les parois planes étant symétriques par rapport à un plan équatorial du corps annulaire, représentés sur les figures 2, 3 et 4 (pièce Décathlon no9-1). 60. La revendication 3 du brevet FR 249 est divulguée par le document US 452 Hull qui mentionne que "les parois de fond supérieure et inférieure définissent entre elles un espace de lestage qui peut être complètement ou partiellement rempli d'eau par l'intermédiaire d'une vanne de commande", ces parois étant "fixées au tour des préimètres extérieures avec un joint étanche à la surface intérieure de la chambre de flottaison inférieure" (pièce Décathlon no9-2). Il s'en déduit que ces parois de fond forment une chambre centrale, laquelle, si elle peut être remplie d'eau au moyen d'une vanne, peut être remplie d'air au moyen d'une valve. 61. Le document US 452 Hull ne mentionne aucune indication relative à la proportion du rayon du cercle de section de la chambre toroïdale par rapport à celui du cercle de révolution de cette chambre, objet de la revendication 4 du brevet FR 249. 62. A cet égard, les sociétés Décathlon affirment que le rayon du cercle de section de la chambre toroïdale est nécessairement compris entre 25% et 85% du rayon du cercle de révolution de la chambre toroïdale. Elles ne développent, toutefois, aucune démonstration au soutien de cette affirmation, se référant aux observations de l'Office européen des brevets (leurs pièces no8 et 13), lesquelles ne la contiennent pas. 63. Il en va de même de la revendication 5 du brevet FR 249 pour laquelle les sociétés Décathlon prétendent que la distance entre les extrémités axiales du corps annulaire et la paroi plane adjacente est nécessairement comprise entre 15% et 85% du rayon du cercle de révolution de la chambre toroïdale, sans que cette affirmation ne soit étayée. 64. A l'inverse, le document US 452 Hull enseigne que "les poignées peuvent être formées de matières plastiques moulées avec des bases ovales, thermosoudées ou fixées d'une autre manière aux surface supérieures de la chambre de flottaison", en sorte que la revendication 6 du FR 249 est également divulguée. 65. En conséquence, les revendications 1 à 3 et 6 du brevet FR 249 seront annulées pour défaut de nouveauté. III.2.3 - Sur le défaut de nouveauté au regard du brevet US 401 Peterson Moyens des parties 66. Les sociétés Décathlon SE et Décathlon France avancent que la description et la figure 4 du document US 401 Peterson divulgue toutes les caractéristiques de la revendication 1 du brevet FR 249, en ce qu'elles présentent un siège comprenant deux parois planes s'étendant perpendiculairement à l'axe de révolution du corps annulaire ; une chambre centrale coaxiale au corps annulaire étant formée par une portion intérieure du corps annulaire et par les dites deux parois planes fixées sur la portion intérieure du corps annulaire ; les deux parois planes intérieures viennent se placer au centre du siège et sont situées axialement à distance des extrémités axiales supérieure et inférieur du corps annulaire, laissant libre des espaces à proximité des extrémités axiales supérieure et inférieur du corps annulaire. 67. La SAS Waff et M. [P] objectent que le domaine technique du brevet US 401 Peterson est trop éloigné de celui des sièges gonflables pour constituer une antériorité opposable au brevet FR 249. Ils en tirent que l'homme du métier souhaitant obtenir l'invention du brevet litigieux ne consultera pas un document relatif à une bouée gonflable tractable pour résoudre le problème technique de la stabilité d'un siège gonfable. Réponse du tribunal 68. En application des articles L.611-10 et L.611-11 du code de la propriété intellectuelle précités, il est rappelé que pour être comprise dans l'état de la technique et être privée de nouveauté, l'invention doit se retrouver tout entière, dans une seule antériorité au caractère certain avec les éléments qui la constituent dans la même forme, le même agencement, le même fonctionnement en vue du même résultat technique. 69. Le brevet US 401 Peterson divulgue une bouée gonflable dont le résultat technique est de "fournir un véhicule gonflable tractable simple, efficace et pratique dont la coque est fixée à l'élément de corps sans l'utilisation de fermetures à glissière" (pièce Décathlon no10-2). 70. Le résultat technique de ce brevet se distingue, de ce fait, de celui du brevet FR 249 ayant pour objet un siège gonflable dont l'effet technique principal est une stabilité améliorée et dont l'utilisation serait facile, adaptée à différentes utilisations de repos et de loisir, et permettant d'être produit à faible coût (pièce de la SAS Waff et de M. [P] no4). 71. De plus, contrairement à l'une des caractéristiques de la revendication 1 du brevet FR 249, aucune des informations du brevet US 401 Peterson ne décrit d'espace libre entre l'extrémité axiale inférieure et la paroi plane inférieure de la bouée, outre que ses figures 4 et 5 montrent que sa surface inférieure est plane. La revendication 1 de ce brevet mentionne, au contraire, que le véhicule tractable gonflable comprend "une coque de corps flexible disposée pour couvrir le fond (...) de l'élément de corps". 72. Ainsi, n'ayant ni le même fonctionnement, ni les mêmes propriétés et ne répondant pas au même problème technique, l'invention du document US 401 Peterson ne constitue pas une antériorité de la revendication 1 du brevet FR 249 et ne la prive donc pas de nouveauté, non plus que, par voie de conséquence, les revendications dépendantes 2 à 6 de ce brevet. III.3 - S'agissant de la validité du brevet FR 249 au regard de son activité inventiveMoyens des parties 73. Les sociétés Décathlon SE et Décathlon France font valoir que les caractéristiques structurelles et fonctionnelles du brevet FR 249 étaient déjà connues de l'homme du métier grâce aux brevets US 452 Hull, US 401 Peterson et US 674 Ando et divulgaient un tore caractérisé par une chambre interne dont les extrémités supérieure et inférieure sont situées axialement à distance des extrémités supérieure et inférieure du tore et dont la forme toroïdale permet de dégager un espace libre inférieur générant un espace de décompression assurant la stabilité du siège gonflable. 74. La SAS Waff et M. [P] contestent que les caractéristiques structurelles et fonctionnelles du brevet FR 249 se retrouvent dans les documents opposés. Ils estiment, notamment, que ce brevet se distingue des antériorités invoquées, y compris dans leur combinaison, en ce que les parois planes sont situées axialement à distance des extrémités axiales supérieure et inférieure du corps annulaire, de façon à laisser libre des espaces à proximité des extrémités axiales supérieure et inférieure du corps annulaire pour produire l'effet technique de stabilisation par décompression. Réponse du tribunal 75. L'article L.611-14 du code de la propriété intellectuelle dispose qu'une invention est considérée comme impliquant une activité inventive "si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique (?)". 76. L'élément ou les éléments de l'art antérieur ne sont destructeurs d'activité inventive que si, pris isolément ou associés entre eux selon une combinaison raisonnablement accessible à l'homme du métier, ils lui permettaient à l'évidence d'apporter au problème résolu par l'invention la même solution que celle-ci (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 15 novembre 1994, no93-12.917 et jurisprudence constante depuis). 77. En conséquence de l'annulation, pour défaut de nouveauté, des revendications 1 à 3 et 6 du brevet FR 249, seules seront analysées l'activité inventive des revendications 4 et 5 de ce brevet. 78. Au titre du défaut d'activité inventive, les sociétés Décathlon, outre les deux documents précédents, invoquent le document US 3,712,674 (ci-après US 674 Ando), brevet américain déposé le 19 avril 1971. Il est intitulé "chaise gonflable" ("inflatable chair") et comporte une revendication principale et six revendications dépendantes (pièces Décathlon no15-1 et 15-2). 79. Elles se prévalent, notamment, des lignes 13 à 24 de la description de ce brevet, ainsi libellées d'après la traduction libre et non contestée des sociétés Décathlon (leur pièce no15-2) : "lorsque la chaise est occupée, et que le poids est ainsi exercé sur la partie siège 2, un effet de ventouse se produit entre la partie gonflée 3 et le sol, de sorte que même lorsque le poids de l'occupant est exercé contre la partie dossier 1a de la partie 1, la chaise ne bascule pas". 80. Ce brevet comprend trois figures, parmi lesquelles la figure 1 est invoquée :81. Le problème technique que propose de résoudre le brevet FR 249 est celui d'obtenir un siège gonflable facile d'utilisation, gonflable manuellement, adapté à différentes utilisations, possédant une stabilité améliorée et, l'ensemble, à faible coût (conclusions Waff et [P] page 156). 82. Or, ainsi qu'il a été analysé au titre de la nouveauté du brevet FR 249, le document US 452 Hull divulgue un corps annulaire, ou tore, dont le centre est fermé par deux parois supérieure et inférieure planes, situées à distance des extrémités axiales supérieure et inférieure du corps annulaire, symétriques par rapport à un plan équatorial du corps annulaire, définissant à l'intérieur du corps annulaire une chambre centrale pouvant être remplie d'air au moyen d'une valve et dont les différentes parois sont thermosoudées entre elles. 83. Le document US 674 Ando divulgue dans sa revendication 1 une "section constituant un élément d'engagement au sol qui, lorsqu'il est gonflé, a la forme d'un tore creux, ayant un diamètre extérieur supérieur au diamètre" de la section du siège qui lui est supérieure, selon sa traduction non contesté (pièce Décathlon no15-2). Ainsi, selon ce document, le résultat technique de la stabilité du siège gonflable est obtenu, dès lors que le tore creux a un diamètre supérieur à celui du siège situé en son centre. 84. La combinaison de l'enseignement de ce document et des caractéristiques du document US 452 Hull aboutissent à concevoir, pour l'homme du métier doté de ses connaissances générales, un corps annulaire, ou tore creux, dont le siège situé au centre est constitué de deux parois supérieure et inférieure planes fermant cet espace, lesquelles sont situées à distance des extrémités axiales supérieure et inférieure du corps annulaire, afin d'obtenir l'effet de dépression permettant la stabilisation du siège. 85. Toutefois, la circonstance que les revendications 4 et 5 du brevet FR 249 caractérisent que ce résultat technique est obtenu, pour le siège gonflable objet de l'invention, par des rapports de proportion compris entre 25% et 85% du cercle de révolution de la chambre toroïdale, tant pour le rayon du cercle de section de la chambre toroïdale que pour la distance axiale entre une extrémité axiale du corps annulaire et la paroi plane adjacente, n'a pas pour effet de les priver de caractère inventif. 86. En effet, d'abord, aucune proportion de distance n'est décrite dans les documents opposés. 87. Ensuite, la lecture de la figure 3 du document US 452 Hull, compte tenu de la très faible distance qui sépare les parois planes de la chambre centrale des extrémités axiales du corps annulaire, n'invite pas l'homme du métier doté de ses connaissances générales, à en déduire que cette distance est propre à contribuer à un résultat technique. 88. Concernant le véhicule présenté par le brevet US 401 Peterson, sa forme diffère de l'invention du brevet FR 249. En effet, dans le silence de la description et des revendications du brevet US 401 Peterson à ce sujet, il apparaît, à l'étude de ses figures et notamment de ses figures 4 et 5, que la surface inférieure de la bouée est parfaitement plane et que contrairement au siège du brevet FR 249, aucun espace libre n'existe entre l'extrémité axiale inférieure et la paroi plane inférieure. 89. Le brevet US 401 Peterson ne présente donc pas les mêmes caractéristiques structurelles que le brevet FR 249 et n'invite pas l'homme du métier doté de ses connaissances générales à prévoir une distance minimale ou maximale entre les parois planes de la chambre centrale et les extrémités axiales du corps annulaire. 90. Il en va de même du document US 674 Ando qui enseigne que l'effet de stabilisation est obtenu dès lors que le tore creux inférieur est d'un diamètre supérieur au siège qui lui est supérieur. Ce document, dont la structure se distingue de celui du brevet FR 249 en ce qu'il est constitué de plusieurs corps annulaires, précise qu'en raison de cette séparation structurelle "les déplacements de poids n'auront pour effet que d'amener la section 3 (le tore inférieur) à s'agripper plus fermement au sol et à améliorer la stabilité de la chaise" (pièce Décathlon no15-2). Cette description, associée à la figure 3 de ce document, n'invite en rien l'homme du métier doté de ses connaissances générales, à prévoir des distances minimale ou maximale entre les deux tores que sont le siège et celui servant au résultat technique de l'effet ventouse. 91. La combinaison de ces documents ne divulgue pas plus les proportions caractérisantes des revendications 4 et 5 du brevet FR 249. Si l'effet ventouse est connu de l'homme du métier doté de ses connaissances générales, il ne découle pas, toutefois, tant à la lecture de ces documents que grâce à ses connaissances générales, les valeurs précises permettant d'obtenir ce résultat, lequel, selon les propres conclusions des sociétés Décathlon (pages 42 à 44), peut être obtenu en deça de 25% ou au-delà de 85% des distances caractérisantes. 92. En conséquence, le moyen tiré du défaut d'activité inventive des revendications 4 et 5 du brevet 249 sera rejeté. IV - Sur la validité du brevet EP 125 Moyens des parties 93. Au soutien de leur demande de nullité des revendications 1 à 6 du brevet EP 125 pour défaut d'activité inventive, les sociétés Décathlon SE et Décathlon France développent les mêmes moyens et arguments que ceux analysés au titre de la validité du brevet FR 249 (leurs conclusions pages 32 à 45). Elles ajoutent que la revendication 1 du brevet EP 125, en l'absence de toute indication de valeur maximale, confère à cette revendication une portée qui va au-delà de l'existence de son résultat technique, dans la mesure où, si la chambre centrale est trop large et la dépression trop profonde, l'air présent dans la partie inférieure du coussin sera totalement chassé lors de la pression d'un corps et l'effet ventouse sera absent. 94. La SAS Waff et M. [P] font valoir que le brevet EP 125 présente une activité inventive dans la mesure où il résoud un problème technique ancien auquel aucune autre invention n'avait apporté de solution, ce que son succès commercial confirme. Ils développent que ce brevet ne revendique pas l'effet ventouse invoqué en défense et qu'aucun des trois documents opposés ne permet à l'homme du métier de parvenir à l'invention parce qu'ils ne contiennent aucune suggestion en ce sens. Réponse du tribunal 95. L'article 52 de la convention de Munich du 5 octobre 1973 sur le brevet européen dispose que "les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle". 96. L'article 56 de cette convention précise que "une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique. Si l'état de la technique comprend également des documents visés à l'article 54, paragraphe 3, ils ne sont pas pris en considération pour l'appréciation de l'activité inventive". 97. Le brevet EP 125 revendique la priorité du brevet FR 249. 98. La revendication 1 du brevet EP 125 mentionne que le siège est "caractérisé en ce que la distance axiale (d) du corps annulaire et la paroi plane inférieure est supérieure à 25% du rayon (R) du cercle de révolution de la chambre toroïdale, cet espace libre présentant un volume suffisant pour qu'un mouvement de l'utilisateur initialement assis sur le siège s'accompagne d'une augmentation du volume de l'espace libre ainsi ménagé et d'une dépression correspondante dans l'espace libre, laquelle dépression tend à plaquer le siège sur la surface sur laquelle il est posé" (pièce Waff et [P] no5). 99. Cette rédaction consiste à intégrer dans la revendication 1 du brevet EP 125, une partie de la revendication 5 du brevet FR 249 et à décrire l'effet de stabilisation qui en résulte, contrairement à ce que soutiennent la SAS Waff et M. [P]. 100. Or, il n'est pas contesté que ce résultat technique ne peut être obtenu sans qu'un volume d'air minimal ne réside dans l'espace libre situé entre la paroi plane inférieure du centre du corps annulaire et l'extrémité axiale inférieure du corps annulaire. 101. Toutefois, contrairement à ce qu'invoquent les sociétés Décathlon, la revendication 1 de ce brevet précise non seulement que la distance entre la paroi plane du centre du corps annulaire et l'extrémité axiale de ce corps doit être supérieure à 25% du rayon du cercle de révolution de la chambre toroïdale, mais également que "cet espace libre présent[e] un volume suffisant" pour obtenir le résultat technique décrit, ce dont il se déduit que cette distance doit comporter un maximum que l'homme du métier doté de ses connaissances générales est en mesure de mettre en oeuvre. 102. De plus, ainsi qu'il a été démontré au titre de l'activité inventive du brevet FR 249, les documents US 452 Hull, US 401 Peterson et US 674 Ando ne divulguent ni isolément, ni dans leur combinaison, le fait que la distance entre la paroi plane du centre du corps annulaire et l'extrémité axiale de ce corps doit être supérieure à 25% du rayon du cercle de révolution de la chambre toroïdale, dès lors qu'elle peut être inférieure pour mettre en oeuvre les inventions objets de ces documents. 103. Ainsi, la revendication 1 du brevet EP 125 n'est pas dépourvue d'activité inventive s'agissant des rapports de distance entre la paroi plane du centre du corps annulaire et l'extrémité axiale de ce corps. Les revendications 2, 3, 4, 5 et 6 du brevet EP 125 étant dépendantes de la revendication 1 du brevet EP 125, elles ne sont pas, non plus, dépourvues d'activité inventive. 104. La demande d'annulation du brevet EP 125 sera, en conséquence, rejetée. V - Sur la validité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon 105. Les sociétés Décathlon SE et Décathlon France sollicitent la nullité des deux procès-verbaux de saisie-contrefaçon dressés le 17 juillet 2019, le premier au siège social de la société Décathlon France et le second dans le magasin Décathlon situé à la même adresse, [Adresse 1], qui seront analysés successivement. V.1 - S'agissant de la validité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 17 juillet 2019 au siège social de la SA Décathlon France Moyens des parties 106. Les sociétés Décathlon SE et Décathlon France concluent à l'annulation du procès-verbal dressé le 17 juillet 2019 suite à la saisie-contrefaçon opérée au siège social de la SA Décathlon France, au motif que, contrairement à ce qui est indiqué au titre des modalités de remise de l'acte, le procès-verbal n'a pas pu être remis au saisi le 17 juillet 2019 à 10h25, cette date et cette heure correspondant à celles du début des opérations de saisie-contrefaçon, alors, selon eux, que la rédaction d'un procès-verbal de saisie-contrefaçon ne peut être daté qu'au moyen de la "fiche de tournée", celle annexée à ce procès-verbal étant datée du 19 juillet 2019. 107. La SAS Waff et M. [P] considèrent que le procès-verbal est valable, la fiche de tournée indiquant la date du 19 juillet 2019, date à laquelle le procès-verbal a été remis au saisi, dans la mesure où il ne pouvait être rédigé sur place. Ils soulignent que si les défenderesses considéraient que le procès-verbal était un faux, elles auraient dû engager une procédure en inscription de faux, ce qu'elles n'ont pas fait et ce qui constitue la preuve que leur argumentation est infondée. Réponse du tribunal 108. Conformément à l'article 114 du code de procédure civile, "aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public". 109. En application de l'article 648 du code de procédure civile, "tout acte d'huissier de justice indique, indépendamment des mentions prescrites par ailleurs :1. Sa date ;2. a) Si le requérant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ;b) Si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente légalement.3. Les nom, prénoms, demeure et signature de l'huissier de justice ;4. Si l'acte doit être signifié, les nom et domicile du destinataire, ou, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social.Ces mentions sont prescrites à peine de nullité". 110. Toutefois, les dispositions précitées de l'article 648 du code de procédure civile sont sans application lorsque la contestation porte non pas sur l'irrégularité ou l'omission d'une des mentions exigées, mais sur sa véracité (en ce sens Cour de cassation, 2ème chambre civile, 3 février 1977, Dalloz 1977 IR 229). 111. La nullité sanctionnant l'absence de date sur un acte d'huissier de justice est une nullité de forme qui ne peut être prononcée qu'à charge pour celui qui l'invoque de prouver le grief que lui cause cette irrégularité (en ce sens Cour de cassation, 2ème chambre civile, 12 décembre 1990, no89-18.876). 112. Au cas présent, il résulte du procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé le 17 juillet 2019 au siège de la SA Décathlon France que la mention "l'an deux mille dix neuf et le dix sept juillet à 10h25" critiquée est portée à la suite du titre de ce procès-verbal (pièce Waff et [P] no17 page 5), ainsi qu'à la suite du titre "modalités de remise de l'acte" (même pièce page 15), tandis que la dénonciation de ce procès-verbal a été opérée par l'huissier instrumentaire le 19 juillet 2019, ainsi qu'il résulte de la fiche de signification (même pièce page 18). 113. Ainsi, la mention de la date de ce procès-verbal de saisie-contrefaçon ne fait pas défaut, non plus que celle de sa signification à la SA Décathlon France. 114. La circonstance que la date figurant sous le titre "modalités de remise de l'acte" soit celle de la saisie-contrefaçon et non de sa signification ne relève, dès lors, pas des nullités de forme, mais de la force probante de l'acte. 115. Au surplus, la SA Décathlon France ne fait état d'aucun grief au soutien de sa demande de nullité, laquelle sera, en conséquence, rejetée. V.2 - S'agissant de la validité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 17 juillet 2019 au magasin Décathlon de [Localité 3] Moyens des parties 116. Les sociétés Décathlon SE et Décathlon France demandent l'annulation du procès-verbal du 17 juillet 2019 dressé suite aux opérations de saisie-contrefaçon réalisées au magasin Décathlon de [Localité 3], au premier motif que le coussin argué de contrefaçon présente des différences avec le siège breveté : il n'est pas un tore, par définition circulaire, mais un carré ; il ne comprend pas de parois planes internes, ses parois internes étant arrondies ; la mesure du rayon (R) du cercle de révolution de la chambre toroïdale est inexacte, de même que celle de la distance axiale (d) entre le corps annulaire et la paroi plane inférieure. Elles ajoutent que l'huissier n'a pas dirigé seul les opérations comme il aurait dû le faire et qu'il n'a pas vérifié lui-même les éléments matériels inscrits dans le procès-verbal, qui ont été dictés par le conseil en propriété industrielle assistant l'huissier. 117. La SAS Waff et M. [P] objectent que la distinction faite entre ses propres constatations et celles du conseil en propriété industrielle prouvent que l'huissier ne lui a jamais confié la conduite des opérations, ce conseil en propriété industrielle n'ayant assisté l'huissier que pour des aspects à propos desquels ce dernier n'avait pas les compétences techniques requises et l'huissier ayant systématiquement distingué entre ses propres constatations et les dires de cet expert. Ils considèrent que la circonstance que le procès-verbal serait "manifestement faux" aux dires des défenderesses ne peut être établie que par une procédure en inscription de faux qu'elles n'ont pas initiée. Réponse du tribunal 118. L'article L.615-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que "la contrefaçon peut être prouvée par tous moyens.A cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d'experts désignés par le demandeur, en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle des produits ou procédés prétendus contrefaisants ainsi que de tout document s'y rapportant. L'ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux produits ou procédés prétendus contrefaisants en l'absence de ces derniers.La juridiction peut ordonner, aux mêmes fins probatoires, la description détaillée ou la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour fabriquer ou distribuer les produits ou pour mettre en oeuvre les procédés prétendus contrefaisants (?)" 119. En application de l'article 1er de l'ordonnance no45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers, dans sa version applicable au procès-verbal du 17 juillet 2019, les huissiers de justice "peuvent, commis par justice ou à la requête de particuliers, effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. Sauf en matière pénale où elles ont valeur de simples renseignements, ces constatations font foi jusqu'à preuve contraire". 120. Il résulte du premier de ces textes que l'huissier peut être assisté d'un expert désigné par le demandeur pour l'aider dans la description de l'objet argué de contrefaçon, l'huissier devant néanmoins veiller, dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon, à bien faire apparaître l'origine de ses constatations, en séparant ses constatations personnelles des observations d'un expert ou encore des informations provenant d'une documentation technique (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 21 mars 2000, no97-18.914). 121. Le fait que le conseil en propriété industrielle de la partie saisissante ait, à l'initiative de celle-ci, établi un rapport décrivant les caractéristiques du produit incriminé ne fait pas obstacle à sa désignation ultérieure, sur la demande du saisissant, en qualité d'expert pour assister l'huissier dans le cadre d'une saisie-contrefaçon de brevet, sa mission n'étant pas soumise au devoir d'impartialité et ne constituant pas une expertise au sens des articles 232 et suivants du code de procédure civile (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 27 mars 2019, no18-15.005). 122. Il résulte du second de ces textes que les constatations qu'a fait l'huissier de justice ont force probante jusqu'à preuve contraire et que leur contestation ne relève pas de la procédure d'inscription de faux (en ce sens Cour de cassation, 2ème chambre civile, 6 juin 2013, no12-17.771). 123. En premier lieu, les moyens soulevés par les sociétés Décathlon au soutien de l'annulation du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 17 juillet 2019 dans le magasin Décathlon de [Localité 3] portant sur la forme du coussin Gym Pillow Mini argué de contrefaçon ou l'inexactitude des constatations de l'huissier sont inopérants à ce titre et, constituant une défense au fond, ne sauraient avoir de portée qu'au titre de la force probante de cet acte. 124. En second lieu, il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon litigieux que l'huissier a pris le soin de mentionner chaque action effectuée par le conseil en propriété industrielle choisi pour l'assister de manière distincte de ses propres constatations, mentionnant, par exemple : "je constate alors que Monsieur [K] gonfle un exemplaire en soufflant dans la valve et découpe un autre exemplaire en deux, dans la longueur", "je constate ensuite que Monsieur [K] [C] pointe à l'aide d'un stylo l'axe de symétrie au milieu du coussin", "sur la partie inférieure, Monsieur [K] matérialise à l'aide d'un stylo le centre de la partie centrale et la demi-largeur de la chambre en forme de tore", "Monsieur [K] [C] appuie ensuite le coussin contre un mur pour simuler l'utilisation effectuée par un utilisateur" (pièce Waff et [P] no16). Il ressort également de ces mentions que le conseil en propriété industrielle n'est intervenu que pour assister l'huissier dans l'exercice de sa mission. 125. De même, l'huissier a indiqué : "je constate que ce coussin gonflable comporte (?)", "je note que les deux parois sont perpendiculaires (?)", "je constate alors que la distance entre l'extrémité supérieure du coussin (?)" (même pièce). Il ressort des termes utilisés par l'huissier, qu'il a constaté lui-même l'apparence extérieure du coussin. 126. De plus, l'huissier précise qu'il a constaté lui-même les mesures du coussin qui sont inscrites dans son procès-verbal : "je constate alors que la distance entre l'axe de symétrie et le milieu de la chambre toroïdale est de 10,50 centimètres à l'aide d'une règle", "je relève que la distance entre la paroi inférieure et l'extrémité inférieure de la chambre est de 2,80 centimètres toujours à l'aide de cette même règle" (même pièce). 127. Ainsi, l'huissier a veillé à mentionner de manière distincte ses propres constatations des observations de l'expert qui l'assistait au cours des opérations de saisie-contrefaçon du 17 juillet 2019, il a constaté par lui-même les éléments matériels inscrits dans le procès-verbal litigieux en sorte qu'il avait, seul, la direction des opérations de saisie-contrefaçon. 128. La demande des sociétés Décathlon en nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 17 juillet 2019 au magasin Décathlon de [Localité 3] seront, en conséquence, rejetées. VI - Sur la validité du procès-verbal de constat d'huissier du 3 décembre 2019 Moyens des parties 129. La SAS Waff et M. [P] concluent à l'annulation du procès-verbal d'huissier de justice du 3 décembre 2019 produit par les défenderesses, au motif que l'huissier a fait procéder à une véritable expertise guidée par les instructions de celles-ci, effectuant des mesures constituant des opérations intellectuelles, alors qu'il aurait dû s'en tenir à des constatations purement matérielles exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. Ils contestent l'origine du coussin objet du constat, affirmant qu'aucun constat d'achat n'a été fait au préalable. 130. Les sociétés Décathlon SE et Décathlon France affirment que l'huissier, qui a effectué un constat d'achat, n'a opéré aucune déduction quant à la signification des mesures qu'il a prises sur le coussin, ces mesures constituant de simples constatations matérielles. Réponse du tribunal 131. Selon l'alinéa 2 de l'article 1er de l'ordonnance no45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers de justice, dans sa rédaction applicable au constat du 3 décembre 2019, les huissiers de justice "peuvent, commis par justice ou à la requête de particuliers, effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter". 132. En vertu de ce texte, l'huissier de justice doit se borner à faire des constatations purement matérielles et ne peut pas s'engager activement pour obtenir une preuve objet de son constat (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 20 mars 2014, no12-18.518). 133. En l'espèce, concernant l'origine du coussin objet du constat, l'huissier indique clairement en page 1 du constat du 3 décembre 2019 "que pour la sauvegarde de ses droits, la requérante me demande de dresser diverses constatations sur le coussin gonflable Gym Pillow Mini dont l'achat a été constaté au magasin Décathlon de [Adresse 5] par acte de mon ministère du 2/12/2019" (pièce Décathlon no3.1, page 1), outre que ce constat d'achat est produit en pièce no2.1 par les défenderesses. L'origine du coussin objet du constat n'est donc pas inconnue. 134. En revanche, en indiquant qu'il a gonflé le coussin d'une certaine façon, appuyé le coussin contre un mur, dégonflé légèrement le coussin, appuyé fortement sur le mètre pour faire une mesure, l'huissier s'est engagé activement pour l'obtention d'une situation qu'il a ensuite constatée. 135. En agissant ainsi, l'huissier a outrepassé les pouvoirs qu'il détenait du texte précité en n'effectuant pas seulement des constatations purement matérielles. 136. En conséquence, le procès-verbal de constat de Me [U] [F], huissier de justice, du 3 décembre 2019 sera annulé. VII - Sur la contrefaçon des brevets FR 249 et EP 125 Moyens des parties 137. La SAS Waff et M. [P] soutiennent que le coussin Gym Pillow Mini commercialisé par les défenderesses reproduit toutes les caractéristiques des revendications 1 de leurs brevets FR 249 et EP 125, ce coussin constituant, selon eux, un siège gonflable formant une chambre toroïdale pouvant être remplie d'air et comportant deux parois planes situées axialement à distance des extrémités axiales supérieure et inférieure. Ils en tirent la conclusion que les autres revendications de leurs brevets sont également contrefaites du fait de la reproduction des caractéristiques des revendications 1 desdits brevets. 138. Les sociétés Décathlon SA et Décathlon France opposent que le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 17 juillet 2019 ne permet pas d'établir de manière certaine la matérialité de la contrefaçon, notamment parce que l'huissier a commis une erreur quant à la constatation de la forme du coussin litigieux, en ce qu'il ne peut pas comporter une chambre en forme de tore à base carrée, une telle forme n'existant pas. Elles invoquent, également, que contrairement à ce que l'huissier a constaté, les parois de la chambre centrale ne sont pas planes mais arrondies. Elles contestent l'exactitude des mesures prises par l'huissier, qui ne correspondent pas, selon elles, à la réalité. Réponse du tribunal 139. L'article L.613-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que "sont interdites, à défaut de consentement du propriétaire du brevet :a) La fabrication, l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, l'importation, l'exportation, le transbordement, ou la détention aux fins précitées du produit objet du brevet ;b) L'utilisation d'un procédé objet du brevet ou, lorsque le tiers sait ou lorsque les circonstances rendent évident que l'utilisation du procédé est interdite sans le consentement du propriétaire du brevet, l'offre de son utilisation sur le territoire français ;c) L'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, l'importation, l'exportation, le transbordement ou la détention aux fins précitées du produit obtenu directement par le procédé objet du brevet". 140. Selon l'article 9 du code de procédure civile, "il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention". 141. Il sera précisé liminairement qu'en conséquence de l'annulation pour défaut de nouveauté des revendications 1, 2, 3 et 6 du brevet FR 249, seule sera analysée la demande de la SAS Waff et M. [P] en contrefaçon des revendications 4 et 5 du brevet FR 249 et du brevet EP 125. 142. S'agissant du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 17 juillet 2019 au magasin Décathlon de [Localité 3], il mentionne que le cousin litigieux comporte "un corps avec une chambre en forme de tore à base carrée" (pièce Waff et [P] no16). 143. Or, un tore est un volume créé par un cercle qui tourne autour d'un axe situé dans son plan et qui ne passe pas par son centre. Son usage le plus répandu est probablement le bracelet. 144. Dès lors, une chambre en forme de tore ne peut qu'avoir une forme circulaire et non une base carrée, outre qu'un volume à base carrée est un cube, fût-il évidé en son centre. 145. Par ailleurs, toutes les photographies du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 17 juillet 2019 au magasin Décathlon de [Localité 3] établissent que le coussin Gym Pillow Mini litigieux n'a pas une forme circulaire, mais une forme cubique avec des coins arrondis. L'huissier ne peut donc pas affirmer, sans incohérence, qu'il est constitué d'une "chambre en forme de tore à base carrée". 146. De plus, la forme cubique du coussin a une conséquence sur la mesure de la distance entre l'axe de symétrie et le milieu de la chambre extérieure. En effet, l'huissier a mentionné sur le procès-verbal de saisie-contrefaçon avoir constaté que "la distance entre l'axe de symétrie et le milieu de la chambre toroïdale est de 10,50 centimètres à l'aide d'une règle" (même pièce no16). Cependant, la distance entre l'axe de symétrie et le milieu de la chambre du coussin litigieux ne peut pas être constante, du fait que la chambre n'est pas en forme de tore mais de forme cubique. Ainsi, la valeur de cette distance entre l'axe de symétrie et le milieu de la chambre extérieure varie selon que la mesure est prise sur un axe horizontal ou un axe diagonal : la mesure prise sur la diagonale du cube est supérieure à celle prise sur l'axe horizontal. En conséquence, il est erroné d'affirmer de façon générale que le milieu de la chambre toroïdale est de 10,50 centimètres, alors que cette mesure ne correspond qu'à la distance entre l'axe de symétrie et le milieu de la chambre, mesurée sur l'axe horizontal du cube et non sur son axe diagonal. Les constatations de l'huissier relatives à la distance entre l'axe de symétrie et le milieu de la chambre sont donc dénuées de force probante. 147. Ensuite, l'huissier indique que les parois supérieure et inférieure centrales "sont planes par rapport aux côtés arrondis de la partie périphérique" (même pièce). Cependant, il ressort de la quasi-totalité des photographies de ce procès-verbal, que ces parois supérieures et inférieures ne sont pas planes, mais légèrement bombées. L'huissier instrumentaire se contredit donc, de sorte que la constatation relative à la forme des parois inférieure et supérieure est dénuée de force probante. 148. De même, puisque les parois ne sont pas planes, mais bombées, c'est-à-dire formant un arc de cercle, elles ne peuvent pas être perpendiculaires à l'axe de symétrie du coussin, un axe étant une ligne droite, contrairement à ce que l'huissier a inscrit dans son procès-verbal de saisie-contrefaçon. 149. En conséquence, la mesure de la distance entre la paroi inférieure et l'extrémité inférieure de la chambre en est affectée. Ainsi, le procès-verbal de saisie-contrefaçon rapporte que l'huissier "relève que la distance entre la paroi inférieure et l'extrémité inférieure de la chambre est de 2,80 cm toujours à l'aide de cette même règle" (même pièce no16). Néanmoins, comme le relèvent les sociétés Décathlon et comme il est visible sur la quatorzième photographie de ce procès-verbal, la mesure est prise à partir de l'extrémité de la partie centrale du coussin litigieux, à proximité de la thermosoudure avec sa chambre cubique extérieure, cette partie formant un creux par rapport à l'arc de cercle de la paroi centrale de ce coussin. Il en résulte que si la mesure avait été prise à partir du centre de la paroi inférieure centrale, c'est-à-dire au plus haut de l'arc de cercle de cette paroi, la distance aurait moindre que celle constatée. 150. En outre, l'observation de la règle sur la quatorzième photographie du même procès-verbal de saisie-contrefaçon laisse apparaître que cette distance entre la paroi inférieure et l'extrémité inférieure de la chambre n'est pas de 2,80 cm, mais de 2,50 cm. En effet, cette photographie montre le centimètre utilisé par l'huissier accolé à une planche bleue destinée à matérialiser l'extrémité axiale inférieure de la chambre cubique du coussin litigieux et la mesure de 2,80 cm correspond à la hauteur incluant l'épaisseur de cette planche bleue, tandis que la valeur de cette mesure devait être relevée à l'extrémité inférieure de cette planche dont l'épaisseur devait être exclue de la mesure. Ainsi, cette mesure constatée par l'huissier est dénuée de force probante en ce qu'elle est contredite par la quatorzième photographie du procès-verbal. 151. Pour être reproduite, les revendications 4 et 5 du brevet FR 249 et la revendication 1 du brevet EP 125 impliquent que le coussin litigieux comprenne au moins un corps annulaire formant une chambre toroïdale comprenant deux parois planes s'étendant perpendiculairement à son axe de révolution et si la distance entre son extrémité axiale inférieure et sa paroi plane inférieure est supérieure à 25% du rayon du cercle de révolution de sa chambre toroïdale. 152. Or, il résulte des observations précédentes que le coussin Gym Pillow Mini litigieux, qui a une forme cubique, n'est pas un corps annulaire formant une chambre toroïdale, de même que ses parois ne sont pas planes et ne peuvent donc pas être perpendiculaires à l'axe de révolution. Enfin, la preuve n'est pas rapportée que la distance entre l'extrémité axiale inférieure du coussin Gym Pillow Mini litigieux et sa paroi plane inférieure est supérieure à 25% du rayon du cercle de révolution de sa chambre, qui n'est d'ailleurs pas une chambre toroïdale. 153. Pour toutes ces raisons, le coussin Gym Pillow Mini litigieux ne reproduit pas les revendications 4 et 5 du brevet FR 249 et 1 du brevet EP 125. Il en résulte que les moyens tirées de la contrefaçon des revendications dépendantes du brevet EP 125 par la seule reproduction des caractéristiques de la revendication 1 de ce brevet sont inopérants. 154. En conséquence, la SAS Waff et M. [P] seront déboutés de l'ensemble de leurs demandes en contrefaçon des revendications 4 et 5 du brevet FR 249 et du brevet EP 125 et, par suite, de leurs demandes en réparation y afférentes. VIII - Sur la demande en parasitisme Moyens des parties 155. La SAS Waff et M. [P] prétendent qu'en commercialisant le coussin Gym Pillow Mini, les défenderesses ont commis un ensemble d'actes, indépendants de la contrefaçon, qui leur ont permis de profiter des investissements de la SAS Waff et de s'immiscer dans son sillage sans bourse délier. Selon eux, ces actes consistent à commercialiser un coussin dont la similarité visuelle avec le coussin de la société Waff est indéniable et dont la dénomination Gym Pillow Mini est similaire au produit Waff Mini qu'elle vend. Ils reprochent également aux défenderesses de commercialiser le coussin litigieux dans un packaging qui rappelle les publications sur les réseaux sociaux de célèbres sportifs où le coussin de la société Waff apparaît et d'avoir utilisé les mêmes éléments de langage que la société Waff, notamment le terme "proprioception". 156. Les sociétés Décathlon SE et Décathlon France invoquent que les demandeurs n'apportent aucune preuve d'investissements que la SAS WAFF aurait consacré à la commercialisation de son coussin. Elles considèrent qu'ainsi, en l'absence de toute démonstration des investissements économiques liés au développement intellectuel, commercial et promotionnel qui auraient été détourné, ils sont infondés à agir en parasitisme. Elles ajoutent que les demandeurs ne démontrent aucune faute, en l'absence de ressemblance visuelle entre le coussin Gym Pillow Mini litigieux et le siège gonflable commercialisé par la SAS Waff. Réponse du tribunal 157. Aux termes de l'article 1240 du code civil, "tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer". 158. Conformément à l'article 9 du code de procédure civile, "il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention". 159. Le parasitisme, qui n'exige pas de risque de confusion, consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale économique et financière, 10 juillet 2018, pourvoi no16-23.694). 160. En l'occurrence, la société Waff et M. [P] ne font qu'alléguer les investissements, qu'ils disent représenter plusieurs millions d'euros, que la société Waff aurait prétendument engagés pour promouvoir son siège gonflable, notamment en payant des sportifs professionnels pour qu'ils publient des photos et vidéos d'eux utilisant ce siège gonflable sur les réseaux sociaux. En effet, aucune pièce ne corrobore ces allégations de partenariat rémunéré conclu avec ces sportifs ou un quelconque autre investissement réalisé par la société Waff. 161. De plus, la commercialisation d'un coussin gonflable d'un aspect visuel distinct, sur l'emballage duquel figure le terme "Mini" ou celui de "proprioception" sur le site internet des défenderesses, lesquels ne sont pas appropriables, n'est pas constitutif d'une quelconque faute commise par les sociétés Décathlon SE ou Décathlon France. 162. En conséquence, la SAS Waff et M. [P] seront déboutés de leur demande en parasitisme. IX - Sur la demande d'amende civile Moyens des parties 163. La SAS Waff et M. [P] réclament la condamnation des défenderesses à une amende civile symbolique compte tenu de leur attitude générale au cours de la procédure. 164. Les sociétés Décathlon SE et Décathlon France répondent que s'agissant de l'aspect procédural de l'affaire, la cour d'appel de Paris y a statué par arrêt du 23 novembre 2021. Réponse du tribunal 165. L'article 1240 du code civil prévoit que "tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer". 166. En application de l'article 32-1 du code de procédure civile, "celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 € sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés". 167. Toutefois, l'amende civile ne saurait être mise en oeuvre que de la propre initiative du tribunal saisi, les parties ne pouvant avoir aucun intérêt au prononcé d'une amende civile à l'encontre de l'adversaire. 168. Les circonstances de l'espèce ne justifiant pas la condamnation des défenderesses à une amende civile, la demande de la SAS Waff et de M. [P] à ce titre ne peut qu'être rejetée. X - Sur les autres demandes X.1 - S'agissant des dépens 169. Selon l'article 695 du code de procédure civile, les dépens afférents aux instances, actes et procédures d'exécution comprennent, notamment, les débours tarifés et les émoluments des officiers publics ou ministériels. 170. En application de cette disposition les frais d'un expert non désigné à cet effet par décision de justice ne sont pas inclus dans les dépens (en ce sens Cour de cassation, 2ème chambre civile, 12 janvier 2017, no16-10.123). 171. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie. 172. L'article 699 du même code prévoit que "les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.La partie contre laquelle le recouvrement est poursuivi peut toutefois déduire, par compensation légale, le montant de sa créance de dépens". 173. La SAS Waff et M. [P], qui succombent à l'instance, seront condamnés aux dépens avec distraction au profit de l'avocat des sociétés Décathlon. 174. En revanche, le procès-verbal de constat du 3 décembre 2019 dressé par Me [U] [F] étant annulé et celui du 2 décembre 2019 n'étant pas imposé par les dispositions procédurales et n'ayant pas été préalablement autorisé par décision de justice, la demande des sociétés Décathlon d'en inclure les frais dans les dépens sera rejetée. X.2 - S'agissant des frais non compris dans les dépens 175. L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation. 176. La SAS Waff et M. [P], condamnés aux dépens, seront condamnés à payer 40 000 euros aux sociétés Décathlon au titre des frais qu'elle ont exposées et non compris dans les dépens. 177. La demande de la SAS Waff et M. [P] à ce titre sera, en conséquence, rejetée. X.3 - S'agissant de l'exécution provisoire 178. Selon l'article 515 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable à la date de l'assignation, "hors les cas où elle est de droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d'office, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi.Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation". 179. L'exécution provisoire sera ordonnée, étant nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, en raison de son ancienneté. PAR CES MOTIFS Le tribunal, DÉBOUTE les sociétés Décathlon SE et Décathlon France de leur demande d'annulation des brevets FR 2 825 249 et EP 1 262 125 pour insuffisance de description ; ANNULE les revendications 1, 2, 3 et 6 du brevet français FR 2 825 249 pour défaut de nouveauté ; DÉBOUTE les sociétés Décathlon SE et Décathlon France de leur demande d'annulation des revencations 4 et 5 du brevet français FR 2 825 249 pour défaut d'activité inventive ; DÉBOUTE les sociétés Décathlon SE et Décathlon France de leur demande d'annulation de la partie française du brevet européen EP 1 262 125 pour défaut d'activité inventive ; DÉBOUTE les société Décathlon SE et Décathlon France de leur demande d'annulation des procès-verbaux de saisie contrefaçon du 17 juillet 2019 ; ANNULE le procès-verbal de constat du 3 décembre 2019 dressé par Me [U] [F] ; DÉBOUTE la SAS Waff et M. [O] [P] de leurs demandes en contrefaçon des revendications 4 et 5 du brevet FR 249 et du brevet EP 1 262 125 ; DÉBOUTE la SAS Waff et M. [O] [P] de leur demande en parasitisme ; DÉBOUTE la SAS Waff et M. [O] [P] de leur demande de condamnation des sociétés Décathlon SE et Décathlon France au paiement d'une amende civile ; DÉBOUTE les sociétés Décathlon SE et Décathlon France de leur demande d'inclure les frais de constats d'huissier des 2 et 3 décembre 2019 dans les dépens ; DÉBOUTE la SAS Waff et M. [O] [P] de leur demande en application de l'article 700 du code de procédure civile ; CONDAMNE la SAS Waff et M. [O] [P] aux dépens, avec droit pour Maître Michel-Paul Escande, avocat au barreau de Paris, de recouvrer ceux dont il a fait l'avance sans recevoir provision ; CONDAMNE la SAS Waff et M. [O] [P] à payer la somme totale de 40 000 euros aux sociétés Décathlon SE et Décathlon France, en application de l'article 700 du code de procédure civile ; ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision. Fait et jugé à Paris le 14 juin 2023 La greffière Le Président
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JURITEXT000047878957
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 17 mai 2023, 19/07139
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2023-05-17
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Tribunal judiciaire de Paris
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19/07139
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 19/07139 - No Portalis 352J-W-B7D-CQC7L No MINUTE : Assignation du :28 mai 2019, 16 et 28 avril 2021 JUGEMENT rendu le 17 mai 2023 DEMANDEURS Monsieur [E] [GU][Adresse 10][Localité 19] S.A.R.L. PRODUCTIONS ALLELUIA - [E] [GU][Adresse 10][Localité 19] S.A.R.L. TEME-EDITIONS PHONOGRAPHIQUES[Adresse 10][Localité 19] Madame [S] [Y] épouse [TB] intervenante volontaire[Adresse 21][Localité 20] Madame [LL] [OA] épouse [X] intervenante volontaire[Adresse 13][Localité 4] Monsieur [Z] [A]intervenant volontaire[Adresse 1][Localité 9] Madame [H] [A] épouse [V]intervenante volontaire[Adresse 2][Localité 9] Monsieur [WL] [A]intervenant volontaire[Adresse 24][Localité 12] Monsieur [ZA] [UI]intervenant volontaire[Adresse 11][Localité 16] représentés par Maître Corinne POURRINET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0096 DÉFENDEURS S.A.R.L. KCRAFT & CO[Adresse 5][Localité 18] représentée par Maître Sébastien HAAS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2251 S.A. FRANCE TELEVISIONS[Adresse 14][Localité 18] représentée par Maître Juan ZEDJAOUI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0631 Madame [H] [C][Adresse 6][Localité 15] défaillant Monsieur [G] [W][Adresse 8][Localité 17] défaillant Monsieur [WL] [TS][Adresse 3][Localité 15] défaillant COMPOSITION DU TRIBUNAL Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjointLinda BOUDOUR, jugeArhtur COURILLON-HAVY, juge assistés de Lorine MILLE, greffière, DÉBATS A l'audience du 18 janvier 2023 tenue en audience publique devant Jean-Christophe GAYET et Linda BOUDOUR, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir donné lecture du rapport, puis entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 19 avril 2023, puis prorogé au 17 mai 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeRéputé contradictoireEn premier ressort ___________________________ EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. M. [E] [GU] est l'exécuteur testamentaire des droits d'auteur et droits voisins de [ZA] [KE] dit [N]. 2. La société à responsabilité limitée (SARL) Productions Alléluia-[E] [GU], immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) de Paris le 20 décembre 1965 exerce une activité d'enregistrement sonore et d'édition musicale. 3. La SARL Teme-Éditions Phonographiques, immatriculée au RCS de Paris le 25 juin 1986 a pour activité l'acquisition et l'exploitation d'oeuvres musicales et artistiques. 4. La SARL Kcraft & Co produit et distribue des films et documentaires. 5. La société par actions (SA) France Télévisions est éditrice et productrice de chaînes télévisées généralistes. 6. Courant 2017, la SARL Kcraft & Co a souhaité produire un documentaire consacré à [ZA] [N] et exploitant les oeuvres dont M. [E] [GU] se prétend titulaire, alors que celui-ci s'était opposé à leur usage. Le documentaire, réalisé par M. [WL] [TS] et incluant une composition musicale de M. [AZ] [K], a été diffusé le 26 octobre 2018 sur la chaîne France 3, éditée par la SA France Télévisions. 7. Les 9 et 16 novembre 2018, M. [E] [GU], la société Productions Alléluia-[E] [GU] et la société Teme-Éditions Phonographiques ont mis en demeure les sociétés Kcraft & Co et France Télévisions de cesser la diffusion et l'exploitation du documentaire. 8. La SARL Kcraft & Co s'est opposée à la mise en demeure en contestant la titularité des droits des requérants. 9. Par actes d'huissier du 28 mai 2019, M. [E] [GU], la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et la société Teme-Éditions Phonographiques ont fait assigner les sociétés Kcraft & Co et France Télévisions et M. [TS] devant ce tribunal en contrefaçon de droits d'auteur. 10. Par assignations du 16 mars et du 28 avril 2021 enregistrées sous le numéro RG 21/6288, M. [E] [GU], la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et la société Teme-Éditions Phonographiques ont fait assigner Mme [H] [C] et M. [G] [W], en leurs qualités d'ayants droit des coauteurs des oeuvres litigieuses. Cette procédure a été jointe à la présente affaire par décision du juge de la mise en état du 27 mai 2021. 11. Par conclusions du 26 mai 2021, Mme [S] [Y], Mme [LL] [OA], M. [Z] [A], Mme [H] [A], M. [WL] [A] et M. [ZA] [UI], en leurs qualités d'ayants droit des coauteurs des oeuvres litigieuses, sont intervenus volontairement à la procédure, au soutien des prétentions des requérants. 12. M. [WL] [TS], assigné en personne par acte d'huissier du 28 mai 2019 n'a pas constitué avocat. 13. M. [G] [W], assigné en personne par acte d'huissier du 28 avril 2021 n'a pas constitué avocat. 14. Mme [H] [C], assignée par remise d'une copie de l'acte à l'étude de l'huissier le 16 mars 2021, après la vérification de son domicile et de l'absence de l'intéressée, n'a pas constitué avocat. 15. L'instruction a été close par ordonnance du 29 septembre 2022 et l'affaire fixée à l'audience du 18 janvier 2023 pour être plaidée. PRÉTENTIONS DES PARTIES 16. Dans leurs dernières conclusions au fond, notifiées par voie électronique le 29 juin 2022, M. [E] [GU] et les sociétés Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques ont demandé au tribunal, au visa des articles L.113-2, L.113-4, L.121-1, L.122-1, L.122-4, L.123-1, L.131-3, L.132-24, L.212-1, L.212-2, L.215-1, L.335-3 et L.335-4 du code de la propriété intellectuelle et de l'article 9 du code civil et au bénéfice de l'exécution provisoire, de :- les déclarer recevables en leurs demandes, nonobstant l'absence de mise en cause de [AZ] [K] dans la présente instance- les déclarer recevables en leurs demandes sur le fondement des dispositions de l'article L.113-3 du code de la propriété intellectuelle- déclarer la société Productions Alléluia-[E] [GU] recevable en ses demandes, celle-ci justifiant de sa qualité d'éditeur et de ses droits, y compris d'adaptation audiovisuelle, sur les oeuvres musicales objet du présent litige intitulées : "Ma France", "Ma môme", "Deux enfants au soleil", "Nuit & brouillard", "Les yeux d'Elsa", "C'est beau la vie", "La fête aux copains", "Au bout de mon âge", "Nous dormirons ensemble", "Que serais-je sans toi ?", "Excusez-moi", "On ne voit pas le temps passer", "Hourrah", "400 enfants noirs", "Potemkine", "Tu es venu", "C'est si peu dire que je t'aime", "La Montagne", "A Santiago", "La délaissée", "Les demoiselles de magasin", "Ce qu'on est bien mon amour", "La matinée", "Un jour un jour", "J'entends, j'entends", "Le bilan", "Epilogue"- déclarer la société Productions Alléluia-[E] [GU] recevable en ses demandes, nonobstant son adhésion à la SACEM- déclarer la société Teme-Éditions Phonographiques recevable en ses demandes, celle-ci justifiant de sa qualité de producteur des vidéogrammes "[N] 85", "Star 90", et "[N] 95",- déclarer M. [E] [GU] recevable à agir au titre de l'exercice du droit moral d'auteur et d'artiste interprète de [ZA] [N]- déclarer que la société Kcraft & Co a porté atteinte aux droits exclusif de la société Productions Alléluia-[E] [GU], en procédant sans autorisation à l'adaptation audiovisuelle et à l'incorporation des 27 oeuvres musicales de [ZA] [N] ci-après listées, dont elle est l'éditeur, dans l'oeuvre documentaire intitulée "[ZA] [N], porteur d'espoir" : "Ma France", "Ma môme", "Deux enfants au soleil", "Nuit & brouillard", "Les yeux d'Elsa", "C'est beau la vie", "La fête aux copains", "Au bout de mon âge", "Nous dormirons ensemble", "Que serais-je sans toi ?", "Excusez-moi", "On ne voit pas le temps passer", "Hourrah", "400 enfants noirs", "Potemkine", "Tu es venu", "C'est si peu dire que je t'aime", "La Montagne", "A Santiago", "La délaissée", "Les demoiselles de magasin", "Ce qu'on est bien mon amour", "La matinée", "Un jour un jour", "J'entends, j'entends", "Le bilan", "Epilogue"- condamner en conséquence la société Kcraft & Co à verser à la société Productions Alléluia-[E] [GU] 150 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice- faire interdiction à la société Kcraft &Co de diffuser ou d'autoriser toute diffusion du documentaire litigieux tant qu'il intègrera les adaptations audiovisuelles illicites desdites oeuvres, sous astreinte du paiement de 1000 € par diffusion constatée ou par jour de mise à disposition en replay ou en vidéo à la demande du documentaire litigieux- déclarer que la société Kcraft & Co a porté atteinte aux droits exclusif de la société Teme-Éditions Phonographiques, en reproduisant sans autorisation des extraits des enregistrements ci-après listés, dont elle est le producteur, dans l'oeuvre documentaire intitulée "[ZA] [N], porteur d'espoir" :> sept extraits du vidéogramme reproduisant l'émission "[N] 85" représentant [ZA] [N] en interview ou des vues d'Antraigues> un extrait de l'émission "Star 90" (1:45:34 à 1:45:54)> un extrait de la captation audiovisuelle de [ZA] [N] interprétant l'oeuvre musicale "Epilogue" tiré de l'émission "[N] 95" (1:50:05 à 1:51:05)- condamner en conséquence la société Kcraft & Co à verser à la société Teme-Éditions Phonographiques 112 500 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice- faire interdiction à la société Kcraft & Co de diffuser ou d'autoriser toute diffusion du documentaire litigieux tant qu'il intègrera lesdits enregistrements, sous astreinte du paiement de 1000 € par diffusion constatée ou par jour de mise à disposition en replay ou en vidéo à la demande du documentaire litigieux- dire que les adaptations audiovisuelles de reproductions partielles des oeuvres de [ZA] [N] et leur incorporation dans le documentaire litigieux portent atteinte au droit moral de [ZA] [N],- condamner en conséquence la société Kcraft & Co à verser à M. [E] [GU] 15 000 € en réparation du préjudice moral que ces atteintes lui ont causé es qualités de titulaire du droit moral sur les oeuvres de [ZA] [N]- dire que la reproduction de nombreux extraits d'enregistrements sonores des interprétations chantées de [ZA] [N] associés à des images pour les illustrer, ainsi que de nombreux extraits de captations audiovisuelles de ses interprétations, portent atteinte au droit moral de [ZA] [N] en tant qu'artiste- condamner la société Kcraft & Co à verser à M. [E] [GU] 15000 € en réparation du préjudice moral que ces atteintes lui ont causé es qualités de titulaire du droit moral sur les prestations d'artiste de [ZA] [N]- dire que la société Kcraft & Co a porté atteinte au droit à l'image de M. [E] [GU] en reproduisant sans autorisation trois photographies et un extrait d'une captation audiovisuelle le représentant- condamner la société Kcraft & Co à verser à M. [E] [GU] 5000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice- ordonner à la société Kcraft & Co de supprimer les photographies représentant M. [E] [GU] dans le documentaire litigieux au plus tard dans le mois suivant le jugement à intervenir, ce sous astreinte du paiement de 1000 € par diffusion constatée ou par jour de mise à disposition en replay ou en vidéo à la demande du documentaire non modifié- déclarer le jugement à intervenir commun à M. [WL] [TS] et à la société France Télévisions conformément aux dispositions de l'article 331 du code de procédure civile- condamner la société la société Kcraft & Co à verser à chacun des requérants 5000 € HT, soit une somme totale de 15 000 € HT, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile- condamner la société Kcraft & Co aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Corinne Pourrinet en application de l'article 699 du code de procédure civile. 17. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 juin 2022, la SARL Kcraft & Co a conclu, au visa de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, des articles L.113-3, L.113-7, L.121-1, L.121-3, L.122-4, L.122-5, L.131-3, L.132-23, L.132-24, L.211-3, L.212-2, L.213-1, L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, des articles 699 et 700 du code de procédure civile, des articles 9, 102, 1240 du code civil à :- avant toute défense au fond, sur les fins de non-recevoir :> prononcer les demandes de M. [E] [GU] et des sociétés les Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Editions Phonographiques irrecevables pour défaut de droit d'agir faute d'avoir mis en cause le coauteur du documentaire "[ZA] [N]", M. [AZ] [K] compositeur de la musique originale> prononcer les demandes de M. [E] [GU] au titre de la violation du droit moral de [ZA] [N] sur les oeuvres "Les Yeux d'Elsa", irrecevables pour défaut de droit d'agir faute d'avoir mis en cause les ayants droit de M. [I] [OA] en leur qualité d'ayant droit de [MC] [EW]> prononcer les demandes de la société Productions Alléluia-[E] [GU] au titre de la violation des droits d'adaptation des oeuvres musicales "Ma France", "Ma môme", "Deux enfants au soleil", "Nuit & brouillard", "C'est beau la vie", "La fête aux copains", "Au bout de mon âge", "Nous dormirons ensemble", "Que serais-je sans toi ?", "Excusez-moi", "On ne voit pas le temps passer", "Hourrah", "400 enfants noirs", "Potemkine", "La Délaissée", "Tu es venu", "C'est si peu dire que je t'aime", "La Montagne", "A Santiago", "Les demoiselles de magasin", "Ce qu'on est bien mon amour", "La matinée", "Un jour un jour", "J'entends, j'entends", et "Le bilan" irrecevables pour défaut de droit d'agir à défaut de démontrer sa qualité de titulaire des droits d'adaptation sur lesdites oeuvres> prononcer les demandes de la société Productions Alléluia-[E] [GU] au titre de la violation des droits de reproduction et de représentation des oeuvres musicales "Ma France", "Ma môme", "Deux enfants au soleil", "Nuit & brouillard", "Les yeux d'Elsa", "C'est beau la vie", "La fête aux copains", "Au bout de mon âge", "Nous dormirons ensemble", "Que serais-je sans toi ?", "Excusez-moi", "On ne voit pas le temps passer", "Hourrah", "400 enfants noirs", "Potemkine", "La Délaissée", "Tu es venu", "C'est si peu dire que je t'aime", "La Montagne", "A Santiago", "Les demoiselles de magasin", "Ce qu'on est bien mon amour", "La matinée", "Un jour un jour", "J'entends, j'entends", "Le bilan" et "Epilogue" irrecevables pour défaut de droit d'agir du fait de son adhésion à la SACEM et donc de l'apport à cette dernière des droits de reproduction et de représentation sur lesdites oeuvres> prononcer les demandes de la société Teme-Editions Phonographiques au titre des enregistrements "Star 90" et "[N] 95" irrecevables pour défaut de droit d'agir à défaut de démontrer sa qualité de producteur desdits enregistrements> prononcer les demandes de M. [E] [GU] au titre du droit moral d'auteur et d'artiste-interprète de [ZA] [N] irrecevables pour défaut du droit d'agir à défaut de démontrer une prorogation de sa mission d'exécuteur testamentaire- au fond, sur les demandes de la société Productions Alléluia-[E] [GU], débouter la société Productions Alléluia-[E] [GU] de l'intégralité de ses demandes tendant à voir la société Kcraft & Co condamnée au titre de l'incorporation des oeuvres musicales "Ma France", "Ma môme", "Deux enfants au soleil", "Nuit & brouillard", "Les yeux d'Elsa", "C'est beau la vie", "La fête aux copains", "Au bout de mon âge", "Nous dormirons ensemble", "Que serais-je sans toi ?", "Excusez-moi", "On ne voit pas le temps passer", "Hourrah", "400 enfants noirs", "Potemkine", "La Délaissée", "Tu es venu", "C'est si peu dire que je t'aime", "La Montagne", "A Santiago", "Les demoiselles de magasin", "Ce qu'on est bien mon amour", "La matinée", "Un jour un jour", "J'entends, j'entends", "Le bilan" et "Epilogue" dans le documentaire "[ZA] [N]", cette incorporation ne constituant pas une adaptation audiovisuelle desdites oeuvres, mais une reproduction couverte par l'apport réalisé à la SACEM par les ayants droit et le contrat général de représentation conclu entre la société France Télévisions et la SACEM/SDRM- à titre subsidiaire, débouter la société Productions Alléluia-[E] [GU] de ses demandes tendant à voir la société Kcraft & Co condamnée au titre de l'incorporation des oeuvres musicales "Ma France", "Ma môme", "Deux enfants au soleil", "Nuit & brouillard", "Les yeux d'Elsa", "C'est beau la vie", "La fête aux copains", "Au bout de mon âge", "Nous dormirons ensemble", "Que serais-je sans toi ?", "Excusez-moi", "On ne voit pas le temps passer", "Hourrah", "400 enfants noirs", "Potemkine", "La Délaissée", "Tu es venu", "C'est si peu dire que je t'aime", "La Montagne", "A Santiago", "Les demoiselles de magasin", "Ce qu'on est bien mon amour", "La matinée", "Un jour un jour", "J'entends, j'entends", "Le bilan" et "Epilogue" dans le documentaire "[ZA] [N]", cette incorporation étant couverte par le droit de citation prévu à l'article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle- à titre infiniment subsidiaire, ramener le préjudice de la société Productions Alléluia-[E] [GU] au titre de la prétendue violation de son droit exclusif d'autoriser l'adaptation audiovisuelle à de plus justes proportions- au fond, sur les demandes de la société Teme-Editions Phonographiques :> prendre acte du désistement de la société Teme-Editions Phonographiques au titre de ses demandes relatives à l'incorporation des enregistrements "Que ferais-je sans toi ?", "[N] 80" et "Banquet républicain"> débouter la société Teme-Editions Phonographiques de l'intégralité de ses demandes tendant à voir la société Kcraft & Co condamnée au titre de l'incorporation des extraits de l'enregistrement de "[N] 85" et, à titre subsidiaire dans l'hypothèse dans laquelle la société Teme-Editions Phonographiques serait déclarée recevable, de l'incorporation des extraits des enregistrements de "[N] 80", "Star 90" et "[N] 95", ces incorporations constituant des courtes citations échappant au monopole de la société Teme-Editions Phonographiques dans le respect de l'article L.211-3 du code de la propriété intellectuelle- à titre subsidiaire, ramener le préjudice de la société Teme-Editions Phonographiques au titre de la prétendue violation de ses droits voisins à de plus justes proportions- au fond, sur les demandes de M. [E] [GU]> débouter M. [E] [GU] de l'intégralité de ses demandes tendant à voir la société Kcraft condamnée au titre du droit moral d'auteur comme d'artiste de [ZA] [N] du fait de l'absence de démonstration d'une quelconque violation du droit moral et du fait de l'abus de droit constitué par ses demandes> débouter M. [GU] de ses demandes tendant à voir la société Kcraft & Co condamnée au titre d'une prétendue violation de son droit à l'image- à titre infiniment subsidiaire, débouter M. [GU] et les sociétés Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Editions Phonographiques de l'intégralité de leurs demandes en raison du juste équilibre à trouver entre les droits de M. [GU] et des sociétés Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Editions Phonographiques d'une part, et les droits fondamentaux de liberté d'expression des coauteurs du documentaire et de droit à l'information du public- à titre reconventionnel, condamner solidairement M. [GU] et les sociétés Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Editions Phonographiques à verser à la société Kcraft & Co 150 000 euros en réparation de son préjudice du fait de leurs agissements fautifs.- en toutes hypothèses :> débouter M. [GU] et les sociétés Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Editions Phonographiques de l'intégralité de leurs demandes> débouter M. [GU] et les sociétés Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Editions Phonographiques de leurs demandes relatives à l'interdiction de diffusion sous astreinte et à l'article 700 du code de procédure civile> condamner solidairement M. [GU] et les sociétés Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Editions Phonographiques à verser à la société Kcraft & Co 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens. 18. Selon ses écritures signifiées par voie électronique le 17 mai 2022, la SA France Télévisions demande au tribunal, au visa des article 1032, 1842, 1843 du code civil, des articles L.113-3, L.131-3 et L.215-1 du code de la propriété intellectuelle, des articles 31 et 122 du code de procédure civile, de :- déclarer la société Productions Alléluia-[E] [GU] irrecevable dans ses demandes en contrefaçon des droits d'auteur attachés aux chansons suivantes de [ZA] [N] : "Ma France", "Ma môme", "Deux enfants au soleil", "Nuit & brouillard", "Les yeux d'Elsa", "C'est beau la vie", "La fête aux copains", "Au bout de mon âge", "Nous dormirons ensemble", "Que serais-je sans toi ?", "Excusez-moi", "On ne voit pas le temps passer", "Hourrah", "400 enfants noirs", "Potemkine", "La Délaissée", "Tu es venu", "C'est si peu dire que je t'aime", "La Montagne", "A Santiago", "Les demoiselles de magasin", "Ce qu'on est bien mon amour", "La matinée", "Un jour un jour", "J'entends, j'entends", "Le bilan" et "Epilogue"- déclarer la société Teme-Editions Phonographiques irrecevable dans ses demandes en contrefaçon des droits d'auteur et des droits voisins attachés aux supports et oeuvres suivants : le phonogramme intitulé "Que serais-je sans toi ?" produit en 1980, le vidéogramme intitulé "[N] 80", le vidéogramme intitulé "[N] 85", le vidéogramme intégré dans l'émission télévisée "[N] 95", l'émission télévisée "Star 90", le film d'un banquet républicain tenu en 1997- déclarer M. [E] [GU] irrecevable dans ses demandes en contrefaçon des droits moraux d'auteur et des droits voisins attachés aux interprétations de [ZA] [N] reproduites dans le documentaire "[ZA] [N], porteur d'espoir" produit par la société Kcraft & Co, et aux chansons suivantes : "Ma môme", "Deux enfants au soleil", "Les yeux d'Elsa", "C'est beau la vie", "La fête aux copains", "Au bout de mon âge", "Nous dormirons ensemble", "Que serais-je sans toi ?", "Excusez-moi", "On ne voit pas le temps passer", "Hourrah", "400 enfants noirs", "Potemkine", "C'est si peu dire que je t'aime", "La Délaissée", "Ce qu'on est bien mon amour", "La matinée", "Un jour un jour", "J'entends, j'entends" et "Epilogue"- déclarer que la société France Télévisions s'associe aux demandes formées par la société Kcraft & Co à l'encontre de M. [E] [GU], la société Productions Alléluia-[E] [GU] et la société Teme-Editions Phonographiques- débouter M. [E] [GU], la société Productions Alléluia-[E] [GU] et la société Teme-Editions Phonographiques de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions- condamner solidairement M. [E] [GU], la société Productions Alléluia-[E] [GU] et la société Teme-Editions Phonographiques - et à titre subsidiaire, la société Kcraft & Co - à payer à la société France Télévisions 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de la présente instance, qui pourront être recouvrés par Maître Juan-Carlos Zedjaoui. MOTIFS DU JUGEMENT I - Sur la recevabilité des demandes de M. [GU] Moyens des parties 19. La SA France Télévisions soutient que l'action de M. [GU] est irrecevable, sa qualité d'exécuteur testamentaire ayant expiré faute de prorogation et celle fondée sur la seule divulgation des oeuvres posthumes étant inapplicable, faute de divulgation de toute oeuvre dans le documentaire litigieux. Elle ajoute que M. [GU] n'ayant pas été investi des droits moraux d'artiste-interprète de [ZA] [N], il ne saurait s'appuyer valablement sur le mandat de négociation que lui ont confié les héritiers. Elle excipe, également, de l'irrecevabilité de ses demandes au titre d'une atteinte au droit moral faute d'identifier les extraits d'enregistrements sonores et de captations audiovisuelles les fondant. 20. La SARL Kcraft & Co conclut dans les mêmes termes et précise que le testament olographe du 21 août 2007 de [ZA] [N] a investi sa veuve, Mme [R] [GD], de l'exercice des droits patrimoniaux et moraux des droits d'auteur et droits voisins de [ZA] [N], du fait de l'expiration de la mission d'exécuteur testamentaire de M. [GU]. 21. M. [E] [GU] et les SARL Productions Alleluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques opposent que l'action du premier n'est pas fondée sur sa qualité d'exécuteur testamentaire de droit commun, mais en tant qu'exécuteur artistique et titulaire de l'exercice du droit moral de [ZA] [N] ainsi qu'en tant que mandataire exclusif de ses héritiers. Ils précisent que tant le testament authentique du 27 janvier 2003 que le testament olographe du 21 août 2007 le désignent pour l'ensemble des droits d'auteur et droits voisins et pour l'ensemble des oeuvres de [ZA] [N], de même que le mandat que lui ont confié les héritières. Réponse du tribunal I.1 - S'agissant de la qualité à agir de M. [GU] 22. L'article 31 du code de procédure civile prévoit que "l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé". 23. L'article 122 du même code dispose que "constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée". 24. En application de l'article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle, le droit au respect du nom, de la qualité et de l'oeuvre d'un auteur est transmissible à cause de mort à ses héritiers et son exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires. 25. Selon l'article L.121-2 du même code, "l'auteur a seul le droit de divulguer son oeuvre. Sous réserve des dispositions de l'article L.132-24, il détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci.Après sa mort, le droit de divulgation de ses oeuvres posthumes est exercé leur vie durant par le ou les exécuteurs testamentaires désignés par l'auteur. A leur défaut, ou après leur décès, et sauf volonté contraire de l'auteur, ce droit est exercé dans l'ordre suivant : par les descendants, par le conjoint contre lequel n'existe pas un jugement passé en force de chose jugée de séparation de corps ou qui n'a pas contracté un nouveau mariage, par les héritiers autres que les descendants qui recueillent tout ou partie de la succession et par les légataires universels ou donataires de l'universalité des biens à venir.Ce droit peut s'exercer même après l'expiration du droit exclusif d'exploitation déterminé à l'article L.123-1". 26. L'article 1014 du code civil prévoit que "tout legs pur et simple donnera au légataire, du jour du décès du testateur, un droit à la chose léguée, droit transmissible à ses héritiers ou ayants cause". 27. Aux termes de l'article 1032 du code civil, "la mission de l'exécuteur testamentaire prend fin au plus tard deux ans après l'ouverture du testament sauf prorogation par le juge". 28. À l'exclusion du droit de divulgation, le droit moral de l'auteur est régi par les règles ordinaires de la dévolution successorale et celles de la validité des testaments (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 11 janvier 1989, no87-11.976 ; même chambre, 28 mai 2015, no14-14.506). 29. Au cas présent, il résulte d'une attestation notariée (pièce des demandeurs no2) que par testament authentique du 27 janvier 2003, [ZA] [N] a institué M. [GU] en tant qu'exécuteur testamentaire en ces termes : "je désigne pour exécuteur testamentaire (exécuteur artistique) Monsieur [E] [GU] pour tous les aspects liés à mon Droit d'auteur et tous droits voisins en particulier le droit de divulgation. J'investis également Monsieur [E] [GU] de l'exercice des attributs de mon droit moral d'auteur sur l'ensemble de mes oeuvres. Je lui confère mission de faire assurer partout et en toutes circonstances le respect de mon nom, de ma qualité et de mes oeuvres et de divulguer, au moment où il le jugera opportun et selon les modes qu'il avisera, les oeuvres que je laisserais achévées à mon décès (...)". La même attestation mentionne qu'aux "termes du testament sus relaté, ainsi que d'un testament olographe en date du 21 août 2007, il a été précisé que toutes les prérogatives conférées par les présentes à Monsieur [E] [GU] seront exercées, à défaut de celui-ci ou à son décès, par "mon épouse [R], à défaut de celui-ci ou à son décès par [JN] [P], à défaut successivement mes nièces ([J] [KE], [BL] [T], [NJ] [F]) par ordre d'âge (la plus âgée d'abord)".30. Ainsi, [ZA] [N] a institué M. [E] [GU] en qualité d'exécuteur testamentaire de son droit moral d'auteur, y compris celui portant sur son droit d'artiste-interprète, dès lors que le testament vise "tous les aspects" du droit d'auteur et "tous droits voisins". 31. Toutefois, les termes de ce testament instituent, par la mention "J'investis également Monsieur [E] [GU] de l'exercice des attributs de mon droit moral d'auteur sur l'ensemble de mes oeuvres", M. [GU], comme légataire du droit moral de [ZA] [N]. 32. Dès lors, M. [E] [GU] est recevable en ses demandes, peu important qu'il les ait improprement fondées sur sa qualité d'exécuteur testamentaire du droit moral d'artiste et artiste-interprète de [ZA] [N], non sur sa qualité de légataire de ce droit. I.2 - S'agissant du caractère indistinct des demandes de M. [GU] 33. Il résulte de l'article 768 du code de procédure civile que les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. 34. La SA France Télévisions expose dans la partie discussion de ses conclusions (page 16) que "le demandeur invoque une atteinte au droit moral résultant de "nombreux extraits" d'enregistrements sonores et de captations audiovisuelles sans pour autant prendre le soin d'identifier les extraits en cause, ce qui prive le Tribunal de la possibilité de se prononcer sur ses demandes" et demande dans le dispositif de "déclarer M. [E] [GU] irrecevable dans ses demandes en contrefaçon des droits moraux d'auteur et des droits voisins attachés aux interprétations de [ZA] [N]". 35. Toutefois, d'une part, la société France Télévisions ne vise aucune disposition au soutien de son allégation, d'autre part, il résulte des conclusions de M. [GU] qu'il vise à plusieurs reprises les extraits du documentaire litigieux qu'il argue de contrefaçon par atteinte au droit moraux d'auteur et d'artiste-interprète de [ZA] [N], notamment page 31 quarante-sept extraits des chansons litigieuses avec le minutage correspondant dans le documentaire litigieux, page 32 dix-neuf extraits minutés associés à des images et page 34 vingt-sept extraits minutés. 36. Par conséquent, la demande des sociétés France Télévisions et Kcraft & Co tendant à voir M. [GU] déclaré irrecevable à agir au titre du droit moral d'auteur et d'artiste-interprète de [ZA] [N] sera rejetée. II - Sur le défaut de mise en cause des coauteurs Moyens des parties 37. La société Kcraft & Co reproche aux demandeurs de n'avoir pas mis en cause le compositeur des musiques du documentaire litigieux alors qu'ils ont mis en cause le réalisateur afin de lui rendre le jugement commun, non plus que les ayants droit du coauteur de la composition de la chanson "Les yeux d'Elsa", arguée de contrefaçon. 38. La SA France Télévisions estime que le statut d'ayants droit de plusieurs des coauteurs des chansons de [ZA] [N] n'est pas établi par les demandeurs, rendant les demandes au titre des chansons concernées irrecevables. 39. M. [E] [GU] et les SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques assurent, d'une part, que la mise en cause du compositeur de la musique du documentaire litigieux n'est pas nécessaire, dès lors que leurs demandes ne sont pas dirigées contre lui, mais exclusivement contre l'exploitant et le diffuseur d'une oeuvre de collaboration seconde, d'autre part, que l'ensemble des ayants droit des oeuvres de collaboration de [ZA] [N] ont bien été mis en cause. Réponse du tribunal 40. L'article L.113-3 du code de la propriété intellectuelle prévoit que "l'oeuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs.Les coauteurs doivent exercer leurs droits d'un commun accord.En cas de désaccord, il appartient à la juridiction civile de statuer.Lorsque la participation de chacun des coauteurs relève de genres différents, chacun peut, sauf convention contraire, exploiter séparément sa contribution personnelle, sans toutefois porter préjudice à l'exploitation de l'oeuvre commune". II.1 - S'agissant du défaut de mise en cause du coauteur du documentaire litigieux 41. La recevabilité de l'action engagée par l'auteur de l'oeuvre première et dirigée exclusivement à l'encontre de l'exploitant d'une oeuvre de collaboration arguée de contrefaçon n'est pas subordonnée à la mise en cause de l'ensemble des coauteurs de celle-ci (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 11 décembre 2013, pourvoi no12-25.974). 42. Il s'en déduit que l'absence de mise en cause de M. [AZ] [K], dont il n'est pas contesté qu'il est coauteur du documentaire litigieux pour en avoir composé la musique, est sans incidence sur la recevabilité des demandes, dès lors qu'aucune demande n'est dirigée contre lui. 43. Ce moyen sera, en conséquence, écarté. II.2 - S'agissant du défaut de mise en cause des ayants droit des coauteurs des chansons de [ZA] [N] 44. Il résulte de l'article L.113-3 du code de la propriété intellectuelle que la recevabilité de la demande d'un coauteur agissant en justice pour la défense de ses droits patrimoniaux est subordonnée à la mise en cause des coauteurs de l'oeuvre (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 5 décembre 1995, no93-13.559). 45. Toutefois, c'est seulement lorsque l'action a été engagée par le coauteur d'une oeuvre de collaboration pour la défense de ses droits patrimoniaux qu'est exigée, à peine d'irrecevabilité, la mise en cause des autres auteurs de l'oeuvre (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 4 octobre 1988, no86-19.272, pour une application plus récente de ce principe Cour de cassation, 1ère chambre civile, 22 mars 2012, no10-18.491). 46. S'agissant de la défense de ses droits moraux, un coauteur peut agir seul, mais à la condition que sa contribution puisse être individualisée (en ce sens Cour de cassation, 1re chambre civile, 21 mars 2018, no17-14.728). 47. S'agissant des demandes au titre des droits moraux et patrimoniaux des chansons de [ZA] [N] dont la recevabilité est contestée, les demandeurs versent aux débats :- la déclaration de succession de feu [KV] [Y], coauteur de la chanson "Ma môme", de laquelle il ressort que Mme [S] [Y] épouse [TB] en est la seule héritière (pièce des demandeurs no44)- une attestation de notoriété du 8 octobre 2004 suite au décès de [M] [A], coauteur des chansons "La fête aux copains" et "Potemkine", de laquelle il ressort que viennent à sa succession : sa veuve, Mme [XT] [IB], et ses enfants, Mme [H] [A] et MM. [Z] et [WL] [A] (pièce des demandeurs no47)- un courrier du 16 octobre 2020 du notaire en charge de la succession de feue [HK] [D], dite [FM], coauteure de la chanson "C'est beau la vie", duquel il ressort qu'elle détenait des droits dans la succession de feue [U] [B], coauteure de la même chanson et une attestation de notoriété du 28 septembre 2020 suite au décès de [HK] [D] de laquelle il ressort que Mme [H] [C] en est la seule héritière (pièces des demandeurs no48 et 49)- un acte de notoriété du 17 octobre 2005 suite au décès de [O] [MT], veuve de [MC] [OA], dont il n'est pas contesté qu'il est le coauteur de la chanson "Les yeux d'Elsa", de laquelle il ressort que viennent à sa succession ses deux enfants, Mme [LL] [OA] épouse [X] et [I] [OA], lui-même décédé le [Date décès 7] 2021, selon un extrait d'un site internet non précisé (pièces des demandeurs no55 et 58)- un testament olographe du 2 juin 2001 de [O] [MT] mentionnant que "par ailleurs, il est bon de noter qu'elle seule [i.e. Mme [LL] [OA] épouse [X]] est susceptible, à l'avenir, d'assurer la suite de son défunt père auprès des sociétés d'auteurs et éditeurs et vérifier la bonne exécution des contrats passés dans ce domaine"(pièce des demandeurs no57)- un courrier du 10 juin 2022 de Mme [LL] [OA] épouse [X] transmettant à M. [GU] deux des pièces précitées et mentionnant qu'elle est "seule gestionnaire des droits de son père" (pièce des demandeurs no59). 48. Ainsi, la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] justifie suffisamment que les droits de feu [KV] [Y] au titre de la chanson "Ma môme" ont été dévolus à Mme [Y] qui est dans la cause. 49. En revanche, elle ne justifie pas de la mise en cause de Mme [XT] [IB] au titre des droits patrimoniaux des chansons "La fête aux copains" et "Potemkine" ou que Mme [H] [A] et MM. [Z] et [WL] [A] en aient hérité. 50. De même, elle ne justifie pas que Mme [H] [C] serait seule héritière des droits de feue [U] [B], la mention selon laquelle [HK] [D] détiendrait des droits dans la succession de celle-ci étant insuffisante à cet égard. La mise en cause de l'ensemble des ayants droit de feue [U] [B] n'est, de ce fait, pas démontrée. 51. Il ne résulte pas, non plus, des pièces produites que [I] [OA] serait décédé sans succession et le testament olographe du 2 juin 2001 de [O] [MT] est insuffisant à démontrer qu'elle a pu transmettre à Mme [LL] [OA] épouse [X] l'ensemble des droits patrimoniaux de son défunt mari en l'absence de disposition particulière à la succession de celui-ci. La seule intervention de Mme [LL] [OA] épouse [X] au soutien de l'action de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] au titre des droits patrimoniaux de la chanson "Les yeux d'Elsa" est, dès lors, insuffisante à établir l'intervention de l'ensemble des ayants droit de [MC] [OA] dit [EW]. 52. En conséquence, la SARL Production Alléluia-[E] [GU] sera déclarée irrecevable en ses demandes au titre des droits patrimoniaux des chansons "La fête aux copains", "Potemkine", "C'est beau la vie" et "Les yeux d'Elsa". 53. Par ailleurs, il n'est pas contesté que les demandes de M. [GU] se fondent exclusivement sur le droit moral de [ZA] [N]. 54. À cet égard, s'agissant de la chanson "Les yeux d'Elsa", les contrats de cession et d'édition produits aux débats mentionnent "poème d'[L] - musique [ZA] [N] & [MC] [EW]", en sorte que la contribution de [ZA] [N] à sa composition musicale n'est pas séparable de celle de [MC] [OA] dit [EW], outre que cette contribution n'est pas explicitée par M. [GU] (pièces des demandeurs 5.23 à 5.23 ter). 55. Dès lors, de même que pour les droits patrimoniaux relatifs à cette oeuvre, les demandeurs ne démontrent pas que le seul attrait à l'instance de Mme [LL] [OA] suffit à établir l'intervention de l'ensemble des ayants droit de [MC] [OA] dit [EW]. 56. S'agissant des droits moraux des chansons "La fête aux copains"et "Potemkine", les contrats de cession et d'édition produits mentionnent "paroles de [M] [A] musique de [ZA] [N]". La contribution de [ZA] [N] à ces chansons est, de ce fait, séparable de celle de [M] [A]. 57. Ainsi, la circonstance que la mise en cause de Mme [XT] [IB] ou les droits de Mme [H] [A] et MM. [Z] et [WL] [A] au titre des droits moraux des chansons "La fête aux copains" et "Potemkine" ne soit pas établis est sans incidence sur la recevabilité des demandes de M. [GU] à ce titre. 58. En conséquence, M. [GU] sera déclaré irrecevable à agir au titre du droit moral de la chanson "Les yeux d'Elsa" et le surplus de la fin de non-recevoir des sociétés Kcraft & Co et France Télévisions relative à la titularité des droits moraux de [ZA] [N] exercés par M. [GU] sera rejetée. III - Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de titularité de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] sur les droits patrimoniaux d'auteur des chansons litigieuses Moyens des parties 59. La SA France Télévisions considère que la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] n'est pas titulaire des droits patrimoniaux d'auteur de quatorze des vingt-sept chansons de [ZA] [N] dans la mesure où les contrats de cession et d'édition de ces chansons sont antérieurs à la date de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Elle ajoute que la cession de fonds de commerce intervenue en 2013 et alléguée par les demandeurs n'est pas versée aux débats et concerne un fonds de commerce de production audiovisuelle, non d'édition musicale, outre que ce moyen n'est pas soumis à la prescription quinquennale. Par ailleurs, selon elle, la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] ne justifie pas s'être fait céder les droits d'adaptation audiovisuelle des vingt-sept chansons qu'elle revendique, rendant ses demandes à ce titre irrecevables. 60. La SARL Kcraft & Co conclut qu'au regard des pièces versées, la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] est recevable à exciper de sa qualité d'éditeur, mais qu'à l'exception des oeuvres "Épilogue" et "Les yeux d'Elsa", elle ne justifie d'aucune cession du droit d'adaptation audiovisuelle, alors que cette demanderesse prétend que l'incorporation des oeuvres musicales dans le documentaire litigieux constitue une adaptation audiovisuelle illicite. 61. M. [E] [GU] et les SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques répondent que les contrats de cession et d'édition conclus antérieurement à l'immatriculation de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] lui ont été apportés lors de l'acquisition d'un fonds de commerce du 28 juin 2013. Ils avancent que les défenderesses ne sont pas recevables à discuter de la capacité de cette requérante à conclure ces contrats qui n'ont jamais été contestés par les auteurs concernés ou leurs ayants droit, outre qu'elles ne sont plus recevables à le faire plus de cinquante-cinq ans après leur conclusion. Ils objectent que les contrats de cession produits incluent le droit d'adaptation audiovisuelle, dont le caractère distinct n'a été imposé qu'à compter du 1er janvier 1986, les deux contrats postérieurs le prévoyant. Réponse du tribunal III.1 - S'agissant de la cession des droits patrimoniaux d'auteur des chansons litigieuses à la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] 62. L'article 1842 du code civil prévoit que "les sociétés autres que les sociétés en participation visées au chapitre III jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation.Jusqu'à l'immatriculation, les rapports entre les associés sont régis par le contrat de société et par les principes généraux du droit applicable aux contrats et obligations". 63. Selon l'article L.210-6 du code de commerce, "les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. La transformation régulière d'une société n'entraîne pas la création d'une personne morale nouvelle. Il en est de même de la prorogation.Les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société". 64. En l'occurrence, la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] verse aux débats une attestation notariée du 28 juin 2013 de laquelle il ressort que cette société a acquis de M. [GU] "un fonds de commerce de production audiovisuelle connu sous le nom de Productions musicales Alléluia [E] [GU] exploité à [Localité 25] (...)" (pièce des demandeurs no36). Ce fonds de commerce inclut "l'intégralité des contrats d'édition conclus par le cédant relatés dans le catalogue éditorial ci-annexé (...)" (pièce des demandeurs no50). Elle produit également les quatorze contrats de cession conclus par [ZA] [N] et ses coauteurs avec "les Productions Alléluia ([E] [GU])" portant sur les chansons "Ma môme", "Deux enfants au soleil", "Nuit et brouillard", "C'est beau la vie", "La fête aux copains", "Au bout de mon âge", "Nous dormirons ensemble", "Que serai-je sans toi ?", "On ne voit pas le temps passer", "Hourrah", "400 enfants noirs", "C'est si peu dire que je t'aime", "La montagne", "J'entends, j'entends" (pièces des demandeurs no5.1 à 5.13). 65. La SARL Productions Alléluia-[E] [GU] justifie, par ces pièces, qu'elle est titulaire des droits patrimoniaux d'auteur des quatorze chansons litigieuses et, par conséquent, recevable à agir en contrefaçon de ces droits. III.2 - S'agissant des droits d'adaption audiovisuelle des vingt-sept chansons litigieuses 66. L'article 31 de la loi no57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, applicable aux contrats conclus entre le 15 mars 1957 et le 31 décembre 1985, prévoit que "les contrats de représentation et d'édition définis au III de la présente loi doivent être constaés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d'exécution.Dans tous les autres cas, les dispositions des articles 1341 à 1348 du code civil sont applicables.La transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et à la durée.Lorsque des circonstances spéciales l'exigent, le contrat peut être valablement conclu par échange de télégrammes, à condition que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité conformément aux termes du troisième alinéa du présent article". 67. Ce même article 31 de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, dans sa rédaction issue de la loi no85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d'auteur et aux droits d'artiste-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle, applicable aux contrats conclus entre le 1er janvier 1986 et le 3 juillet 1992 dispose que "les contrats de représentation, d'édition et de production audiovisuelle définis au III de la présente loi doivent être constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d'exécution.Dans tous les autres cas, les dispositions des articles 1341 à 1348 du code civil sont applicables.La transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et à la durée.Lorsque des circonstances spéciales l'exigent, le contrat peut être valablement conclu par échange de télégrammes, à condition que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité conformément aux termes du troisième alinéa du présent article.Les cessions portant sur les droits d'adaptation audiovisuelle doivent faire l'objet d'un contrat écrit sur un document distinct du contrat relatif à l'édition proprement dite de l'oeuvre imprimée.Le bénéficiaire de la cession s'engage par ce contrat à rechercher une exploitaion du droit cédé conformément aux usages de la profession et à verser à l'auteur, en cas d'adaptation, une rémunération proportionnelle aux recettes perçues". 68. Sans avoir à prouver son titre, toute personne qui exploite une oeuvre a qualité et intérêt pour poursuivre en contrefaçon un tiers qui ne revendique aucun droit sur elle ; en outre, le principe d'interprétation stricte qui gouverne les cessions de droits d'auteur ne concerne que les rapports de l'auteur et du cessionnaire (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 19 octobre 2004, no02-16.057). 69. En l'occurrence, les chansons "Ma France", "Ma môme", "Deux enfants au soleil", "Nuit & brouillard", "C'est beau la vie", "La fête aux copains", "Au bout de mon âge", "Nous dormirons ensemble", "Que serais-je sans toi ?", "Excusez-moi", "On ne voit pas le temps passer", "Hourrah", "400 enfants noirs", "Potemkine", "La Délaissée", "Tu es venu", "C'est si peu dire que je t'aime", "La Montagne", "A Santiago", "Les demoiselles de magasin", "Ce qu'on est bien mon amour", "La matinée", "Un jour un jour", "J'entends, j'entends", "Les yeux d'Elsa", "Le bilan" et "Epilogue" ont fait l'objet de contrats d'édition et de cession de droits patrimoniaux d'auteur conclus entre le 15 novembre 1960 et le 15 octobre 2001 au profit de la société Productions Alléluia ([E] [GU]), aux droits de laquelle vient la SARL productions Alléluia-[E] [GU] (pièces des demandeurs no5.1 à 5.21). 70. La demande fondée sur l'absence de titularité des droits d'adaption audiovisuelle des vingt-sept chansons litigieuses sera, en conséquence, rejetée. IV - Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] faute de titularité des droits d'adaptation Moyens des parties 71. La SA France Télévisions estime que l'adhésion de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] à la société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) a pour conséquence de la rendre irrecevable à agir au titre des droits qu'elle y a apportés, tandis que sa propre adhésion l'autorise à utiliser les oeuvres appartenant au répertoire de la SACEM. Elle ajoute qu'en l'absence de toute transformation des chansons utilisées pour illustrer le documentaire litigieux, la qualification d'adaptation audiovisuelle de leur insertion, même partielle, est exclue. 72. La SARL Kcraft & Co soutient, également, que l'adhésion de cette demanderesse à la SACEM ne lui permet pas de s'opposer à la reproduction des oeuvres musicales dans le documentaire litigieux, dès lors que ces oeuvres n'ont subi aucune modification. Elle argue que la rémunération de cette demanderesse et des ayants droit de [ZA] [N] est intervenue étant donné qu'elle a procédé à la déclaration des oeuvres reproduite à la SACEM. 73. M. [E] [GU] et les SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques considèrent que l'adhésion à la SACEM de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] n'inclut pas le droit d'adaption audiovisuelle et que l'incorporation dans une oeuvre composite, tel le documentaire litigieux, des vingt-sept chansons litigieuses relève de ce droit, dès lors qu'elles ne font pas l'objet d'une simple reproduction, mais d'une mise en image constituant une véritable adaptation. Ils font valoir que le législateur a fait de l'incorporation de l'oeuvre première dans l'oeuvre seconde un cas particulier supposant un accord de l'auteur ou de ses ayants droit ne relevant pas du droit de reproduction mécanique apporté à la SACEM, outre que le producteur de l'oeuvre audiovisuelle étant tiers au contrat conclu entre la SACEM et les éditeurs de services de télévision, il ne saurait produire d'effet à l'égard de la SARL Kcraft & Co. Réponse du tribunal 74. Aux termes de l'article L.113-4 du code de la propriété intellectuelle, "l'oeuvre composite est la propriété de l'auteur qui l'a réalisée, sous réserve des droits de l'auteur de l'oeuvre préexistante". 75. En application de l'article L.321-1 du code de la propriété intellectuelle, "les organismes de gestion collective sont des personnes morales constituées sous toute forme juridique dont l'objet principal consiste à gérer le droit d'auteur ou les droits voisins de celui-ci pour le compte de plusieurs titulaires de ces droits, tels que définis aux livres Ier et II du présent code, à leur profit collectif, soit en vertu de dispositions légales, soit en exécution d'un contrat". 76. Il ressort de l'article 1er des statuts de la SACEM que "tout auteur, auteur-réalisateur ou compositeur admis à adhérer aux présents Statuts fait apport à la société, du fait même de cette adhésion, en tous pays et pour la durée de la société, du droit d'autoriser ou d'interdire l'exécution ou la représentation publique de ses oeuvres, dès que créées" et de l'article 2 que "du fait même de leur adhésion aux présents Statuts, les Membres de la société lui apportent, à titre exclusif et pour tous pays, le droit d'autoriser ou d'interdire la reproduction mécanique de leurs oeuvres telles que définies à l'article 1er ci-dessus, par tous moyens connus ou à découvrir". 77. En l'espèce, il n'est pas contesté et il ressort des vingt-sept contrats de cession des droits patrimoniaux d'auteur des vingt-sept chansons litigieuses que les droits de reproduction et de représentation en ont été apportés à la SACEM (pièces des demandeurs no5.1 à 5.23). 78. Il est également constant que la SA France Télévisions dispose d'un contrat général de représentation et de reproduction conclu le 15 juin 2012 avec la SACEM qui stipule que cette dernière l'autorise à utiliser "les oeuvres appartenant au répertoire de la SACEM (...) pour les besoins de la réalisation et de la diffusion des programmes compris dans les Services (...)" lesquels sont définis au paragraphe 2 du préambule comme désignant "les services de télévision France 2, France 3, (...)" (sa pièce no2). 79. Les demandeurs ne contestent pas plus que les différentes incorportations des vingt-sept chansons litigieuses de [ZA] [N] dans le documentaire "[ZA] [N]", diffusé le 26 octobre 2018 sur la chaîne France 3, l'ont été sans que lesdites chansons aient été altérées dans leurs paroles ou leurs musiques. 80. Or, l'incorporation de ces chansons, même de manière partielle, sans modification, en constitue une reproduction de chacune d'elle, non une adaptation, au contraire de ce que soutiennent les demandeurs. 81. Par ailleurs, il ressort de la déclaration effectuée par la SARL Kcraft & Co le 2 décembre 2018 que les redevances dues au titre des droits de reproduction d'auteur ont été réglées, peu important à cet égard que le règlement ait été opéré au titre du contrat liant la SA France Télévisions à la SACEM (sa pièce no13). 82. Dès lors, ces reproductions incorporées au documentaire litigieux ont été opérées avec l'accord de la SACEM et ne nécessitaient pas l'accord préalable de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU]. 83. En conséquence, les demandes de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] fondées sur les droits patrimoniaux d'auteur des vingt-sept chansons de [ZA] [N] litigieuses seront rejetées. V - Sur la recevabilité des demandes de la SARL Teme-Éditions Phonographiques Moyens des parties 84. La SA France Télévisions avance que la SARL Teme-Éditions Phonographiques est irrecevable à agir au titre du phonogramme "Que serai-je sans toi ?" et des vidéogrammes qu'elle argue de contrefaçon, faute de reproduction du vidéogramme "[N] 80", faute de démontrer sa qualité de productrice des vidéogrammes "[N] 95", pour lequel le contrat produit ne permet pas l'identifier, et "Star 90", le droit acquis par cette défenderesse ne concernant que les séquences constituant le pendant de l'album "[ZA] [N] 91", non le reste de l'émission. 85. La SARL Kcraft & Co reprend ces mêmes moyens, exposant qu'elle a acquis le droit de reproduction des images du vidéogramme "[N] 80" auprès de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), ceux de reproduction du vidéogramme "Star 90" auprès de la société qui les détient, l'extrait utilisé échappant aux droits acquis par la SARL Teme-Éditions Phonographiques et que cette dernière ne justifie pas que l'extrait utilisé dans le documentaire litigieux serait celui du vidéogramme "[N] 95" sur lequel elle détient des droits. 86. M. [E] [GU] et les SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques répliquent que cette dernière justifie, par un contrat de coproduction, de ses droits sur le vidéogramme "[N] 85" reproduit dans le documentaire litigieux ainsi qu'il ressort des mentions du générique, par un autre contrat de coproduction, de ses droits sur le vidéogramme "Star 90", sans distinction entre les parties plateau et les interprétations des chansons de [ZA] [N], par un accord de cession, de ses droits sur le vidéogramme "[N] 95", utilisé par la SARL Kcraft & Co selon le conducteur de droits qu'elle a elle-même versé aux débats. Réponse du tribunal 87. Aux termes de l'article L.215-1 du même code, "le producteur de vidéogrammes est la personne, physique ou morale, qui a l'initiative et la responsabilité de la première fixation d'une séquence d'images sonorisée ou non". 88. A titre liminaire, il sera relevé que la SARL Teme-Éditions Phonographiques fonde des demandes sur un vidéogramme intitulé "[N] 85", tandis que la SA France Télévisions oppose une fin de non-recevoir tirée de l'absence de droit que cette société détiendrait sur un vidéogramme "[N] 80". 89. De même, la SA France Télévisions maintient que les demandes de la SARL Teme-Éditions Phonographiques fondées sur le phonogramme "Que serais-je sans toi ?" sont irrecevables, alors que cette dernière a renoncé à cette demande (conclusions des demandeurs pages 22 et 35). 90. Ces moyens sont, dès lors, sans portée. 91. S'agissant des demandes de la SARL Teme-Éditions Phonographiques au titre des droits patrimoniaux du vidéogramme "Star 90" dont la recevabilité est contestée, celle-ci verse aux débats un contrat de coproduction avec la société Productions DMD du 16 juin 1992, dont la partie droite est tronquée, mentionnant en son article 3 que "la société Teme se voit reconnaître, sans limitation de temps et d'espace, le droit d'exploiter (...) de faire exploiter, en exclusivité et librement, sur tous supports (...), sous toutes formes (...) tout ou partie du film reproduisant l'interprétation par l'artiste des oeuvres composant l'album "[N] 91" (...) Par ailleurs la société Teme pourra, librement et sans restriction aucune, inclure le film vidéo, en tout ou partie, dans toute oeuvre audiovisuelle, de quelque durée que ce soit, que (...) ait trait ou non à l'artiste" (pièce des demandeurs no9). 92. Il en résulte qu'en application de ce contrat la SARL Teme-Éditions Phonographiques ne s'est vue attribuée que les droits d'exploitation portant sur "l'interprétation par l'artiste des oeuvres composant l'album "[N] 91" et seulement des droits de reproduction sur les autres parties du vidéogramme. 93. Or, il n'est pas contesté que le documentaire litigieux reproduit un extrait de vingt secondes du vidéogramme "Star 90" montrant [ZA] [N] arrivant sur le plateau de l'émission (conclusions des demandeurs page 35 et de la SARL Kcraft & Co page 20). Cet extrait n'est, de ce fait, pas inclus dans les droits d'exploitation acquis pas la SARL Teme-Éditions Phonographiques, mais dans ceux de la société Productions DMD. 94. En conséquence, la demande de la SARL Teme-Éditions Phonographiques fondée sur des droits d'exploitation sur les parties du vidéogramme "Star 90" autres que portant sur l'interprétation par [ZA] [N] des oeuvres composant l'album "[N] 91" sera rejetée. 95. S'agissant des demandes de la SARL Teme-Éditions Phonographiques au titre des droits patrimoniaux du vidéogramme "[N] 95" dont la recevabilité est contestée, celle-ci verse aux débats un contrat du 19 septembre 1994 avec la société Productions DMD intitulé "accord de cession de droits", signé des représentants des parties, mentionnant en objet que "la société DMD a souhaité produire une émission spéciale intitulée "[N] 95" (ci-après dénommée oeuvre dérivée) incluant "l'oeuvre primaire". Cette émission sera diffusée le 14 novembre sur France 2. (...) Teme donne son accord pour que l'oeuvre primaire soit incluse dans l'oeuvre dérivée. Cet accord est donné pour une diffusion unique de l'oeuvre dérivée, programmée le 14 octobre sur France 2 (...)" (pièce des demandeurs no10bis). 96. La SARL Teme-Éditions Phonographiques démontre par cette pièce qu'elle détient des droits d'exploitation d'une oeuvre primaire reproduite dans le vidéogramme "[N] 95". 97. Toutefois, cette oeuvre primaire n'est pas précisée dans le contrat du 19 septembre 1994 versé aux débats et la SARL Teme-Éditions Phonographiques n'appuie pas ses prétentions sur la contrefaçon de cette oeuvre primaire. 98. De plus, ni ce contrat du 19 septembre 1994, ni aucune pièce, n'établit que la SARL Teme-Éditions Phonographiques se soit vue attribuée les droits d'exploitation du vidéogramme "[N] 95". 99. Ainsi, la seule constatation que cette demanderesse détiendrait des droits sur une oeuvre primaire reproduite dans le vidéogramme "[N] 95" est insuffisante à justifier ses demandes sur le fondement de droits qu'elle détiendrait sur le vidéogramme "[N] 95" en lui-même. 100. En conséquence, la demande de la SARL Teme-Éditions Phonographiques sur le fondement du vidéogramme "[N] 95" sera rejetée. VI - Sur l'atteinte aux droit moraux d'auteur et d'artiste-interprète Moyens des parties 101. M. [E] [GU] et les SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques reprochent à la SARL Kcraft & Co d'avoir inclus les chansons litigieuses dans le documentaire litigieux sans l'accord préalable du titulaire des droits moraux d'auteur et d'artiste-interprète, en particulier faute d'autorisation pour la reproduction du phonogramme "Que serai-je sans toi ?", d'avoir porté atteinte à l'intégrité des chansons de [ZA] [N] en les exploitant par extraits, en dénaturant ainsi le sens, ou associées à des images étrangères à leur interprétation par l'auteur, ce qu'il avait toujours refusé. Ils estiment que l'atteinte au droit moral d'artiste-interprète est constituée par le caractère biographique du documentaire, auquel [ZA] [N] s'était toujours refusé. Ils contestent que la liberté d'expression ou de création artistique du réalisateur du documentaire litigieux puisse prévaloir sur la volonté de [ZA] [N] de s'opposer à toute biographie. 102. La SARL Kcraft & Co réfute toute atteinte aux droits moraux d'auteur et d'artiste-interprète estimant, au contraire que la volonté de [ZA] [N] était de voir son oeuvre diffusée au plus grand nombre, participant à de nombreuses émissions de radio et de télévision dans lesquelles il a dévoilé sa vie et expliqué son oeuvre. Elle assure avoir obtenu le droit de reproduire le phonogramme "Que serai-je sans toi ?" par sa déclaration à la SACEM et que M. [GU] ne démontre pas que son utilisation constituerait une atteinte au droit moral de l'artiste. Elle avance que M. [GU] a autorisé une publication biographique contredisant ses conclusions et que son action n'est fondée que sur sa volonté de faire échec à toute concurrence à son propre documentaire. Elle invoque, subsidiairement, qu'à supposer établie l'atteinte aux droits moraux d'auteur, l'utilisation des oeuvres et enregistrements étaient nécessaires tant à la liberté de création du réalisateur du documentaire litigieux qu'au droit à l'information du public. 103. La SA France Télévision s'associe à ces moyens en défense, en particulier relativement à la volonté de [ZA] [N] quant à la diffusion de son oeuvre, et abonde dans le sens d'une invocation des droits moraux par M. [GU] pour des motifs étrangers à cette volonté. Elle ajoute que l'opposition de celui-ci à toute diffusion d'un documentaire consacré à un artiste majeur est de nature à entraver sa mission de service public. Réponse du tribunal 104. En application du premier alinéa de l'article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle, "l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre". 105. L'article L.212-2 du même dispose de même que "l'artiste-interprète a le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation". 106. Au cas présent, s'agissant de l'atteinte au droit moral d'auteur de [ZA] [N] en raison de l'association de ses chansons à des visuels qui y sont étrangers et de leur reproduction sous forme d'extraits, M. [GU] n'établit pas que [ZA] [N] se soit opposé de son vivant au principe d'associer ses chansons à des images, non plus qu'à leur diffusion sous forme d'extraits. Il ne démontre pas, non plus, en quoi les images choisies par la SARL Kcraft & Co pour illustrer les chansons litigieuses les dénatureraient. 107. S'agissant de la reproduction du phonogramme "Que serai-je sans toi ?", la SARL Kcraft & Co établit qu'elle a été déclarée à la SACEM (sa pièce no13) et cette seule reproduction ne saurait constituer, par elle-même, une atteinte au droit moral de l'auteur dont M. [GU] est titulaire. 108. S'agissant de l'atteinte au droit moral d'artiste-interprète de [ZA] [N] en raison de son opposition à toute biographie, M. [GU] verse aux débats plusieurs pièces en ce sens. Ainsi, lors d'une interview au magazine Téléstar : "pourquoi refusez-vous que l'on écrive votre biographie ? Tout ce qu'il y a à retenir de moi, on le trouve dans mes textes. Le reste, c'est de l'anecdote. S'il en sort une, ce sera contre ma volonté" (pièce no40), "j'ai appris, en lisant ‘le Nouvel Obs', qu'une biographie de moi allait sortir. Elle a été écrite sans mon approbation (...) Je suis sollicité depuis plus de vingt ans par des éditeurs, des écrivains, des journalistes, et j'ai toujours refusé de répondre à ces demandes (...)" (pièce no42). 109. Pour autant, la SARL Kcraft & Co démontre qu'une biographie de [ZA] [N] a été publiée dans un numéro hors série du journal L'Humanité avec l'autorisation de M. [GU] (sa pièce no28), qu'une biographie a été publiée aux éditions Le Cherche Midi avec la contribution de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] (sa pièce no29 et la pièce no43 des demandeurs), que douze biographies ont paru entre 2008 et 2015 (sa pièces no24) et que [ZA] [N] a participé à de nombreuses émissions de télévisions, jusqu'au 5 janvier 2002 à tout le moins (pièce des demandeurs no40), au cours desquelles il n'est pas contesté qu'il a évoqué des épisodes de sa vie personnelle, en particulier de sa jeunesse pendant la deuxième guerre mondiale. 110. Il en résulte que le documentaire "[ZA] [N]" produit par la SARL Kcraft & Co, dont le visionnage opéré par le tribunal a permis de constater le caractère biographique illustré par des chansons de l'auteur et des témoignages de certains de ses proches, ne constitue pas une atteinte au droit moral d'auteur ou d'artiste-interprète de [ZA] [N]. 111. En conséquence, les demandes de M. [GU] au titre de l'atteinte aux droits moraux d'auteur et d'artiste-interprète de [ZA] [N] seront rejetées. VII - Sur la contrefaçon du vidéogramme "[N] 85" Moyens des parties 112. M. [E] [GU] et les SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques prétendent que la SARL Kcraft & Co a reproduit sans autorisation des extraits du vidéogramme "[N] 85" sur lequel la SARL Teme-Éditions Phonographiques détient des droits, sans que cette reproduction, qui dépasse trois minutes, puisse constituer une courte citation. 113. La SARL Kcraft & Co excipe d'un droit de citation, la reproduction du vidéogramme "[N] 85" consistant en sept courts extraits pour un total de trois minutes d'une émission de quatre-vingt dix minutes, contestant le minutage opéré par les demandeurs et assurant que ces citations servent d'illustrations et d'informations aux séquences concernées. 114. La SA France Télévisions ne répond pas à cette demande. Réponse du tribunal 115. En application de l'alinéa 2 de l'article L.215-1 du code de la propriété intellectuelle, "l'autorisation du producteur de vidéogrammes est requise avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l'échange ou le louage, ou communication au public de son vidéogramme". 116. Aux termes de l'article L.211-3 du même code, "les bénéficiaires des droits ouverts au présent titre ne peuvent interdire : (...) 3o Sous réserve d'éléments suffisants d'identification de la source : a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées (...)" 117. En premier lieu, si les demandeurs ont maintenu dans leur dispositif une demande de condamnation de la SARL Kcraft & Co aux droits que la SARL Teme-Éditions Phonographiques détiendraient sur "des vues d'Antraigues", ils ont renoncé à cette demande dans la partie discussion (leurs conclusions pages 24 et 35). 118. Cette demande n'étant soutenue par aucun moyen, elle sera rejetée. 119. En second lieu, s'agissant du vidéogramme "[N] 85", il ressort du documentaire litigieux que les cinq extraits d'interviews de ce vidéogramme (référencés 00:11:26, 00:14:58, 01:11:01, 01:38:42 et 01:41:32 dans les conclusions des demandeurs page 35 et leur pièce no6) n'ont pas pour objet d'apporter une critique, une polémique, un élément pédagogique, scientifique ou d'information relativement à l'oeuvre elle-même, c'est-à-dire le vidéogramme "[N] 85" en lui-même, mais se rapportent à plus globalement soit aux chansons qu'ils illustrent, soit à la vie de [ZA] [N], en sorte qu'ils ne répondent pas à la finalité de la courte citation autorisée. 120. La SARL Kcraft & Co et la SA France Télévisions ne contestant pas que ces cinq extraits du vidéogramme "[N] 85" ont été reproduits sans l'autorisation de la SARL Teme-Éditions Phonographiques qui en détient les droits patrimoniaux d'auteur, ils en constituent une contrefaçon. VIII - Sur les mesures réparatrices de la contrefaçon Moyens des parties 121. M. [E] [GU] et les SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques réclament l'indemnisation des extraits contrefaisants et l'interdiction de diffusion du documentaire tant qu'il intégrera ces extraits. 122. La SARL Kcraft & Co estime que l'étendue du préjudice allégué n'est pas démontrée compte tenu de la brève durée des extraits reproduits. 123. La SA France Télévisions ne répond pas à cette demande. Réponse du tribunal 124. En application de l'article L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, "pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1o Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;3o Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits.Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée". 125. L'article L.331-1-4 du même code ajoute que "en cas de condamnation civile pour contrefaçon, atteinte à un droit voisin du droit d'auteur ou aux droits du producteur de bases de données, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les objets réalisés ou fabriqués portant atteinte à ces droits, les supports utilisés pour recueillir les données extraites illégalement de la base de données et les matériaux ou instruments ayant principalement servi à leur réalisation ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée. La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise.Les mesures mentionnées aux deux premiers alinéas sont ordonnées aux frais de l'auteur de l'atteinte aux droits.La juridiction peut également ordonner la confiscation de tout ou partie des recettes procurées par la contrefaçon, l'atteinte à un droit voisin du droit d'auteur ou aux droits du producteur de bases de données, qui seront remises à la partie lésée ou à ses ayants droit". 126. En l'espèce, la durée totale des cinq extraits contrefaisant du vidéogramme "[N] 85" reproduits dans le documentaire litigieux sont d'une durée totale de trois minutes et dix-neuf secondes. 127. Ces faits justifient la condamnation de la SARL Kcraft & Co à verser à la SARL Teme-Éditions Phonographiques 3000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la contrefaçon de ses droits patrimoniaux d'auteur. 128. Ils justifient, également, qu'interdiction soit faite à la SARL Kcraft & Co de diffuser ou d'autoriser toute diffusion du documentaire litigieux incluant ces cinq extraits du vidéogramme "[N] 85" sous astreinte dans les termes du dispositif. IX - Sur la violation du droit à l'image de M. [GU] Moyens des parties 129. M. [E] [GU] et les SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques font grief à la SARL Kcraft & Co d'avoir reproduit dans le documentaire litigieux trois photographies et un extrait audiovisuel représentant M. [GU] sans son autorisation, portant ainsi atteinte à son droit à l'image. 130. La SARL Kcraft & Co conteste toute atteinte au droit à l'image de M. [GU], les photographies et l'extrait reproduit dans le documentaire litigieux ayant fait l'objet antérieurement d'une diffusion, ont fait l'objet de versement de droits de reproduction et constituent une illustration du contenu auxquels ils se rattachent participant de sa liberté d'expression et d'information. 131. La SA France Télévisions ne répond pas à cette demande. Réponse du tribunal 132. L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 prévoit que "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui". 133. L'article 10 de la même Convention dispose que "1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire". 134. L'article 9 du code civil pose en principe que "chacun a droit au respect de sa vie privée". 135. Il s'en déduit que la seule constatation de l'atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation (en ce sens Cour de cassation, 1re chambre civile, 5 novembre 1996, no94-14.798). 136. Toutefois, les droits au respect de la vie privée et à la liberté d'expression, revêtant, eu égard aux articles 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil, une identique valeur normative, font ainsi devoir au juge saisi de rechercher leur équilibre et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime (en ce sens Cour de cassation, 1re chambre civile, 9 juillet 2003, no00-20.289). 137. Le droit à l'information du public peut légitimer l'atteinte portée au droit à l'image de la personne représentée dès lors qu'il est nécessaire soit d'informer le public sur un événement d'actualité, soit de contribuer à un débat d'intérêt général, à la condition que l'image en cause présente un lien pertinent avec le sujet à illustrer, et sous réserve du respect de la dignité de la personne humaine (en ce sens Cour de cassation, 2ème chambre civile, 4 novembre 2004, no03-15.397). 138. De même, le juge doit rechercher un juste équilibre entre la liberté d'expression permettant celle de création et la protection des droits d'auteur (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 22 juin 2017, no15-28.467 et 16-11.759), ce dont il se déduit, également, une recherche de cet équilibre avec le droit au respect de la vie privée. 139. En l'occurrence, M. [GU] vise :- une photographie le représentant en studio, en compagnie de [ZA] [N] à l'époque de leur recontre en 1959- une photographie le représentant en studio, dix ans plus tard, en compagnie de [ZA] [N] et deux autres personnes- une photographie le représentant prise au siège du journal L'Humanité à l'occasion de la sortie du DVD "[N] 85", en compagnie de [ZA] [N] et deux autres personnes- un extrait audiovisuel le représentant aux côtés de [ZA] [N] lors d'un repas républicain donné à [Localité 22] en 1997. 140. Il établit que, par courriel du 21 janvier 2020, il s'est opposé à la reproduction d'une photographie le représentant aux côtés de [ZA] [N] à l'occasion de la parution d'une biographie de l'auteur et artiste aux éditions Le Cherche Midi (sa pièce no43). 141. La SARL Kcraft & Co ne conteste pas que ces photographies et cet extrait de vidéogramme ont été reproduits dans le documentaire litigieux sans avoir recueilli l'autorisation de M. [GU]. 142. Elle prouve que :- la photographie prise en 1959 représentant M. [GU] aux côtés de [ZA] [N] est diffusée sur internet sur le site <[023].souvenir.monsite-orange.fr> (sa pièce no21)- le droit de reproduction de la photographie le représentant en 1969 a été acquis auprès de l'association Mémoires d'Humanité (sa pièce no22)- le droit de reproduction de la photographie le représentant prise au siège du journal L'Humanité à l'occasion de la sortie du DVD "[N] 85" a été acquis auprès de la société Parisienne de photographie (sa pièce no23)- le droit de reproduction de l'extrait du banquet républicain d'Antraigues a été acquis auprès de la société France Télévisions Distribution et a été diffusé en 1997 sur la chaîne France 3 (sa pièce no18 et conclusions des demandeurs pages 5 et 24). 143. Ainsi, seules deux photographies et l'extrait de vidéogramme litigieux ont fait l'objet d'une diffusion publique antérieure. 144. Pour autant, il n'est pas contesté que l'image de M. [GU] n'a pas été fixée par surprise ou contre son gré lors des photographies ou du reportage ayant donné lieu au vidéogramme du banquet républicain de 1997. Ces fixations de l'image de M. [GU], prises dans un cadre professionnel ou lors d'événements publics, ne sont pas de nature à porter atteinte à sa dignité. 145. De même, il est constant que M. [GU] a joué un rôle important dans la carrière de [ZA] [N] dont il a été proche tout au long de sa vie, ce que son institution comme exécuteur testamentaire et légataire à titre particulier des droits moraux de [ZA] [N] confirme. L'évocation de la contribution de M. [GU] à la carrière de [ZA] [N] était, de ce fait, nécessaire à la réalisation du documentaire litigieux et justifie la reproduction de trois photographies et d'un extrait de vidéogramme le représentant aux côtés de l'artiste à différents moments de sa carrière. 146. Par ailleurs, il est également constant que [ZA] [N] est un chanteur français majeur de la deuxième moitié du 20ème siècle, en sorte que le choix de lui consacrer un documentaire biographique diffusé le 26 octobre 2018, relève tant de la liberté de création que de celle d'information du public. 147. Dès lors, l'atteinte au droit à l'image de M. [GU] se trouve légitimé et ses demandes à ce titre seront rejetées. X - Sur le caractère abusif de l'action et le dénigrement Moyens des parties 148. La SARL Kcraft & Co estime que le comportement des demandeurs lui a causé un préjudice d'image et de notoriété conséquent, faisant pression sur les ayants droit de [ZA] [N] pour les dissuader de participer au documentaire et la dénigrant auprès de ses partenaires commerciaux dans le seul but d'éliminer une oeuvre concurrente au projet de documentaire de M. [GU]. 149. La SA France Télévisions soutient qu'en l'absence d'atteinte aux droits moraux de [ZA] [N], l'action de M. [GU] se fonde sur des motifs étrangers aux volontés de l'auteur et ne tend qu'à lui réserver un monopole en vue de la production de son propre film, caractérisant un abus de son droit à agir. 150. M. [E] [GU] et les SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques invoquent exercer leurs droits à la défense de la mémoire et des oeuvres de [ZA] [N] excluant tout caractère abusif de leur action. Réponse du tribunal 151. L'article 1240 du code civil prévoit que "tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer". 152. En application de l'article 32-1 du code de procédure civile, "celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 € sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés". 153. Le droit d'agir en justice participe des libertés fondamentales de toute personne. Il dégénère en abus constitutif d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil lorsqu'il est exercé en connaissance de l'absence totale de mérite de l'action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l'autre partie à se défendre contre une action que rien ne justifie sinon la volonté d'obtenir ce que l'on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté (en ce sens Cour de cassation, 3ème chambre civile, 10 octobre 2012, no11-15.473). 154. Même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre, peut constituer un acte de dénigrement. Cependant, lorsque l'information en cause se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, cette divulgation relève du droit à la liberté d'expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait, dès lors, être regardée comme fautive, sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 11 juillet 2018, no17-21.457 et chambre commerciale, 26 septembre 2018, no17-15.502). 155. En l'espèce, au titre du dénigrement, la SARL Kcraft & Co appuie ses prétentions sur :- un courriel de l'Institut national de l'audiovisuel du 23 avril 2020 en réponse à M. [GU], duquel il résulte que le directeur juridique de cet institut reconnaît une erreur dans une autorisation donnée relativement au vidéogramme "[N] 80" (pièce des demandeurs no27)- le courrier de mise en demeure adressé à la SA France Télévisions par l'avocat des demandeurs le 16 novembre 2018, mentionnant la mise en demeure précédente par courrier du 9 novembre de la SARL Kcraft & Co (pièces des demandeurs no18 et 19). 156. Toutefois, ces pièces reprennent les moyens et arguments développés par les demandeurs et ne comportent aucun qualificatif inutilement péjoratif à l'endroit de la SARL Kcraft & Co. 157. Elle ne produit aucune pièce tendant à démontrer que M. [GU] aurait fait pression sur les proches de [ZA] [N] pour les dissuader de participer au documentaire litigieux. 158. Sa demande en réparation sur le fondement du dénigrement, sera, en conséquence rejetée.159. Par ailleurs, la seule circonstance qu'une partie des demandes présentées par M. [GU] et les SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et Teme-Éditions Phonographiques soient admises exclut tout abus. 160. La demande à ce titre de la SARL Kcraft & Co sera, en conséquence, rejetée. XI - Sur les dispositions finales XI.1 - S'agissant des dépens 161. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie. 162. Selon l'article 699 du même code, "les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.La partie contre laquelle le recouvrement est poursuivi peut toutefois déduire, par compensation légale, le montant de sa créance de dépens". 163. M. [GU], la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et la SARL Kcraft & Co étant parties perdantes, les dépens seront partagés par moitié entre elles, avec droit pour l'avocat de la SARL Teme-Éditions Phonographiques de recouvrer ceux dont il a fait l'avance sans recevoir provision. XI.2 - S'agissant de l'article 700 du code de procédure civile 164. L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation. 165. En équité la SARL Kcraft & Co, partie condamnée aux dépens, sera dispensée de condamnation à ce titre. 166. En équité, les demandes à ce titre de M. [GU], de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] et de la SA France Télévisions seront rejetées. XI.3 - S'agissant de l'exécution provisoire 167. Aux termes de l'article 515 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable à la date de l'assignation, "hors les cas où elle est de droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d'office, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi.Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation". 168. Eu égard aux termes du jugement, l'exécution provisoire, nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, sera ordonnée. PAR CES MOTIFS Le tribunal, DÉCLARE M. [E] [GU] irrecevable à agir au titre du droit moral de la chanson "Les yeux d'Elsa"; REJETTE le surplus des demandes des sociétés France Télévisions et Kcraft & Co tendant à voir M. [GU] déclaré irrecevable à agir au titre des droits moraux d'artiste et d'artiste-interprète de [ZA] [N] ; REJETTE la demande de la SARL Kcraft & Co fondée sur le défaut de mise en cause du coauteur de la musique du documentaire litigieux; REJETTE la demande des sociétés France Télévisions et Kcraft & Co fondée sur l'absence de titularité de la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] sur les droits d'adaption audiovisuelle des vingt-sept chansons litigieuses ; DÉCLARE la SARL Productions Alléluia-[E] [GU] irrecevable à agir au titre des droits patrimoniaux d'auteur des vingt-sept chansons litigeuses dont [ZA] [N] est auteur ou coauteur ; DÉCLARE la SARL Teme-Éditions Phonographiques irrecevable à invoquer des droits d'exploitation sur les parties du vidéogramme "Star 90" autres que portant sur l'interprétation par [ZA] [N] des oeuvres composant l'album "[N] 91" et en ses demandes sur le fondement du vidéogramme "[N] 95" ; CONDAMNE la SARL Kcraft & Co à payer trois mille euros (3000 €) à la SARL Teme-Éditions Phonographiques à titre de dommages et intérêts en réparation de la contrefaçon des droits patrimoniaux d'auteur du vidéogramme "[N] 85" ; INTERDIT à la SARL Kcraft & Co de diffuser ou d'autoriser toute diffusion du documentaire "[ZA] [N]" incluant les cinq extraits du vidéogramme "[N] 85" litigieux dans le délai de deux mois suivant le présent jugement puis sous astreinte de deux cents euros (200 €) par jour de retard qui courra au maximum pendant cent quatre-vingt jours ; DÉBOUTE M. [E] [GU] de ses demandes en contrefaçon des droits moraux d'auteur et d'artiste-interprète de [ZA] [N], de ses demandes relatives à l'atteinte à son image et en application de l'article 700 du code de procédure civile ; DÉBOUTE la SARL Teme-Éditions Phonographiques de ses demandes en contrefaçons du vidéogramme "des vues d'Antraigues" et en application de l'article 700 du code de procédure civile ; DÉBOUTE la SARL Kcraft & Co de ses demandes en réparation au titre du dénigrement et de l'abus de procédure et en application de l'article 700 du code de procédure civile ; DÉBOUTE la SA France Télévisions de ses demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile ; DÉCLARE le jugement commun à M. [WL] [TS] ; CONDAMNE M. [E] [GU] et la SARL Productions Alléluia-[E] [GU], d'une part et la SARL Kcraft & Co, d'autre part, à la moitié des dépens avec droits pour Maître Corinne Pourrinet, avocat au barreau de Paris, de recouvrer ceux dont elle a fait l'avance sans recevoir provision; ORDONNE l'exécution provisoire. Fait et jugé à Paris le 17 mai 2023 La greffière Le président
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JURITEXT000047878958
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Tribunal judiciaire de Paris, 31 mai 2023, 20/09854
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2023-05-31
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/09854
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 20/09854 - No Portalis 352J-W-B7E-CS6RW No MINUTE : Assignation du :09 octobre 2020 JUGEMENT rendu le 31 Mai 2023 DEMANDERESSE Madame [P] [V][Adresse 7][Localité 1] (GRECE) représentée par Maître Pierre LAUTIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0925 DÉFENDEURS Monsieur [K] [U][Adresse 2] [Localité 5] Société. KWAIDAN[Adresse 3][Localité 4] représentés par Maître Delphine LEFAUCHEUX de la SELARL KOHN ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0233 COMPOSITION DU TRIBUNAL Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjointLinda BOUDOUR, jugeArhtur COURILLON-HAVY, juge assistés de Lorine MILLE, greffière, en présence de Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré-affectation, DÉBATS A l'audience du 16 novembre 2022 tenue en audience publique devant Jean-Christophe GAYET et Linda BOUDOUR, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir donné lecture du rapport, puis entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 08 mars 2023 et prorogé en dernier lieu au 31 mai 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort ___________________________ EXPOSE DU LITIGE Madame [P] [V] se présente comme auteure-compositrice-interprète spécialisée dans la musique électronique. La SARL KWAIDAN, dont Monsieur [K] [U] est le gérant, a pour activité la production d'enregistrements sonores et l'édition musicale. La SARL THE PERFECT KISS, dont la SARL KWAIDAN était l'associé unique, avait pour activité l'édition musicale. Par décision de l'assemblée générale extraordinaire du 26 novembre 2018, la société KWAIDAN a décidé sa dissolution sans liquidation, entrainant la transmission universelle de son patrimoine à son profit. Le 7 juillet 2004, la société KWAIDAN et Madame [P] [V] ont conclu un contrat de préférence éditoriale, renouvelable par tacite reconduction, par lequel cette dernière lui a accordé un droit de préférence exclusif pour le monde entier sur les oeuvres créées pendant un an. Le 28 novembre 2005, la société KWAIDAN et Madame [P] [V] ont conclu un contrat de cession et d'édition d'oeuvre musicale portant sur les oeuvres et les titres « get a life », « before the night ends », « afissos », « ballade », « right shot », « call me liar », « melted torch », « how do you feel » et « pick up yours pieces ». Le 12 septembre 2006, la société THE PERFECT KISS et Madame [P] [V] ont conclu un contrat de cession et d'édition d'oeuvre musicale portant sur ces mêmes 11 oeuvres et titres. Le 1er octobre 2006, la société THE PERFECT KISS et Madame [P] [V] ont conclu un contrat de cession du droit d'adaptation audiovisuelle portant sur l'oeuvre musicale intitulée « keep on going ». Le 19 avril 2007, la société THE PERFECT KISS et Madame [P] [V] ont conclu un contrat d'enregistrement exclusif par lequel cette dernière lui concède l'exclusivité de ses interprétations pour le monde entier pour notamment la réalisation d'un album inédit studio ferme, avec deux options de contrats exclusives, successives et distinctes portant sur la réalisation de deux albums inédits studio supplémentaires. Le 1er mars 2012, la société KWAIDAN et Madame [P] [V] ont conclu un contrat d'enregistrement exclusif portant sur l'album « I U Need » composé de 11 titres inédits. Le 22 février 2012, la société KWAIDAN et Madame [P] [V] ont conclu un pacte de préférence par lequel cette dernière lui confère un droit de préférence ou de première option sur l'édition et l'exploitation de ses oeuvres de variétés (chanson et/ou musique) écrites et composées par elle seule, avec un ou plusieurs collaborateurs pour une durée de trois ans. Reprochant à la société KWAIDAN des manquements à ses obligations contractuelles, Madame [P] [V] l'a, par courrier de son conseil du 19 décembre 2019, mis en demeure de régulariser la situation et de l'indemniser de ses préjudices matériel et moral. Par courrier de son conseil du 20 février 2020, la société KWAIDAN a contesté les manquements reprochés et indiqué rejeter les demandes indemnitaires de Madame [P] [V]. C'est dans ces circonstances que par actes d'huissier du 9 octobre 2020, Madame [P] [V] a fait assigner la société KWAIDAN et Monsieur [K] [U] devant le tribunal judiciaire de PARIS en résiliation judiciaire des contrats et réparation de ses préjudices. Par ordonnance sur incident du 21 mai 2021, le juge de la mise en état a déclaré le tribunal judiciaire de PARIS incompétent au profit du conseil de prud'hommes de PARIS pour connaître des demandes en paiement des cachets formées par Madame [P] [V] en vertu du contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012. L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 juin 2022. L'ensemble des parties ayant constitué avocat, le jugement est contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile. PRETENTIONS DES PARTIES Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 avril 2022, Madame [P] [V] demande au tribunal, au visa des articles 1844-5 et 2224 du code civil, de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, des articles L. 131-2, L. 131-3, L. 132-4, L. 132-13 et L. 132-14 du code de la propriété intellectuelle, de : « - CONSTATER l'imputabilité des fautes de la société THE PERFECT KISS à la société KWAIDAN ; - CONSTATER que Monsieur [K] [U] et la société KWAIDAN ont violé le contrat d'enregistrement exclusif en date du 1er mars 2012 conclu avec Madame [P] [V] ; - CONSTATER que Monsieur [K] [U] et la société KWAIDAN ont violé le pacte de préférence éditoriale en date du 22 février 2012 conclu avec Madame [P] [V] ; - CONSTATER que Monsieur [K] [U] et la société KWAIDAN ont porté atteinte aux droits d'auteur ainsi qu'aux droits voisins de Madame [P] [V] ; Par conséquent, - ORDONNER la résiliation du contrat enregistrement conclu entre la société KWAIDAN et Madame [P] [V] le 1er mars 2012 ; - ORDONNER la résiliation du pacte de préférence éditoriale conclu entre la société KWAIDAN et Madame [P] [V] le 22 février 2012 ; - ORDONNER la résiliation des contrats de cession et d'édition conclus en application du pacte de préférence éditoriale conclu entre la société KWAIDAN et Madame [P] [V] ; - ORDONNER la résiliation du contrat de cession et d'édition portant sur l'album « GETALIFE » conclu entre Madame [P] [V] et la société THE PERFECT KISS en date du 12 septembre 2006 ; - ORDONNER la résiliation du contrat de cession et d'édition portant sur le titre « Keep on going » conclu le 1er octobre 2006 entre Madame [P] [V] et la société THE PERFECT KISS, aujourd'hui dissoute et dont le patrimoine a été transmis à la société KWAIDAN ; - ORDONNER la résiliation du contrat d'enregistrement exclusif conclu le 19 avril 2007 entre Madame [P] [V] et la société THE PERFECT KISS, aujourd'hui dissoute et dont le patrimoine a été transmis à la société KWAIDAN ; - ORDONNER à la société KWAIDAN de communiquer à Madame [P] [V] l'ensemble des relevés d'exploitation et de publishing détaillés portant sur l'exploitation de l'album « I U NEED » ; - ORDONNER à la société KWAIDAN de communiquer l'ensemble des contrats de licence, de synchronisation et tout accord de distribution conclus à partir des titres de l'album « I U NEED » ; - ORDONNER à la société KWAIDAN de communiquer à Madame [P] [V] l'ensemble des relevés d'exploitation et d'édition détaillés pour l'album « GETALIFE » ; - ORDONNER à la société KWAIDAN de communiquer à Madame [P] [V] l'ensemble des contrats de licence et de synchronisation conclus à partir du titre « KEEP ON GOING » et des titres de l'album « GETALIFE » ; - ORDONNER à la société KWAIDAN de communiquer l'ensemble des subventions perçues par les sociétés civiles des producteurs phonographiques ; - ORDONNER à la société KWAIDAN de restituer à Madame [P] [V] l'ensemble des droits portant sur les enregistrements de l'album « I U NEED » ; - ORDONNER à la société KWAIDAN de restituer à Madame [P] [V] l'ensemble des droits portant sur les éditions des titres de l'album « I U NEED » ; - ORDONNER à la société KWAIDAN de restituer à Madame [P] [V] l'ensemble des droits portant sur les enregistrements de l'album « GETALIFE » et du titre « Keep on going » ; - ORDONNER à la société KWAIDAN de restituer à Madame [P] [V] l'ensemble des droits portant sur les éditions des titres de l'album « GETALIFE » ; - ORDONNER à la société THE PERFECT KISS le versement des sommes dues au titre de l'exploitation de l'album « GETALIFE » et du titre « Keep on going » ; - ORDONNER à la société KWAIDAN le versement de l'ensemble des royalties qui sont dues au titre de l'exploitation de l'album « I U NEED » à Madame [P] [V] ; - ORDONNER à la société KWAIDAN de suspendre toute procédure de mainlevée concernant l'avance de 3 000 euros consentie par la société KWAIDAN à Madame [P] [V] ; - ORDONNER à la société KWAIDAN de restituer à Madame [P] [V] la somme de 1.079,74 euros ainsi que les 83,87 euros de frais représentant les montant perçus au titre de la procédure de mainlevée auprès de la SACEM par la société KWAIDAN ; - ORDONNER à la société KWAIDAN de communiquer à Madame [P] [V] l'ensemble des relevés d'exploitation détaillés concernant l'exploitation de l'EP « OXYTOCIN » ; - ORDONNER à la société KWAIDAN le versement de l'ensemble des royalties qui sont dues au titre de l'exploitation de l'EP « OXYTOCIN » à Madame [P] [V] ; - ORDONNER à la société KWAIDAN de communiquer à Madame [P] [V] l'ensemble des contrats de licence, de synchronisation et tout accord de distribution conclus à partir des titres issus de l'EP « OXYTOCIN » ; - ORDONNER à la société KWAIDAN de restituer à Madame [P] [V] l'ensemble des masters concernant l'album « GETALIFE » - ORDONNER à la société KWAIDAN de restituer à Madame [P] [V] l'ensemble des masters concernant l'EP « OXYTOCIN » et de cesser toute commercialisation et distribution des titres de cet album desquels elle n'a jamais concédé aucun droit à la société KWAIDAN ; - ORDONNER à la société KWAIDAN de contacter l'ensemble de ses distributeurs et partenaires afin que ces derniers cessent de commercialiser l'EP « OXYTOCIN » commercialisé illicitement ; - CONDAMNER Monsieur [K] [U] et la société KWAIDAN à payer à Madame [P] [V] la somme de 55.000 (cinquante-cinq mille) euros à titre de réparation du préjudice matériel généré par les agissements de la société THE PERFECT KISS ; - CONDAMNER Monsieur [K] [U] et la société KWAIDAN à payer à Madame [P] [V] la somme de 80.000 (quatre-vingt mille) euros à titre de réparation du préjudice matériel subi par cette dernière ; - CONDAMNER Monsieur [K] [U] et la société KWAIDAN à payer à Madame [P] [V] la somme de 100.000 (cent mille) euros à titre de réparation du préjudice moral subi par cette dernière ; - CONDAMNER également Monsieur [K] [U] et la société KWAIDAN à payer à Madame [P] [V] la somme de 7.000 (sept mille) euros au titre des frais irrépétibles engendrés par la présente instance en application de l'article 700 du code de procédure civile ; - Les condamner aux entiers dépens de la présente instance ; - Assortir la présente décision de l'exécution provisoire ». Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 juin 2022, la société KWAIDAN et Monsieur [K] [U] demandent au tribunal, au visa des articles L. 131-2, L. 132-4, L. 121-2, L. 132-13 du code de la propriété intellectuelle, de l'article 32-1 du code de procédure civile, de l'article 111 de l'ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539, de l'article 5.5 du règlement intérieur national, de l'article 2.2.1 du protocole de procédure civile conclu le 11 juillet 2012 entre le tribunal de grande instance de Paris et l'ordre des avocats du barreau de Paris, de : « - REJETER toutes les pièces de la demanderesse qui ne sont pas traduites en français, ou dont les passages dont elle entend se prévaloir ne sont pas traduits en français ; - PRONONCER la résiliation du contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012 aux torts exclusifs de Madame [P] [V], qui a notifié brutalement à la société KWAIDAN, le 25 mai 2016, sa décision unilatérale de cesser toute collaboration avec elle, et ce, sans aucun motif légitime ; - JUGER qu'aucun manquement ne peut être reproché à la société KWAIDAN, tant au titre de l'exécution du contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012 qu'au titre du pacte de préférence éditoriale conclu entre la société KWAIDAN et Madame [P] [V] ; - JUGER qu'aucun manquement ne peut être reproché à la société PERFECT KISS, aux droits de laquelle est venue la société KWAIDAN à compter de 2018, tant au titre de l'exécution des obligations résultant du contrat d'enregistrement exclusif du 19 avril 2007 qu'au titre des contrats de cession et d'édition des 12 septembre et 1er octobre 2006 conclus entre la société THE PERFECT KISS, aux droits de laquelle est venue la société KWAIDAN et Madame [P] [V] ; En conséquence, - DEBOUTER Madame [P] [V] de l'ensemble de l'ensemble de ses demandes ; A titre reconventionnel : - CONDAMNER Madame [P] [V] à payer à la société KWAIDAN et à Monsieur [K] [U], pour chacun d'eux, la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ; - CONDAMNER Madame [P] [V] à payer à la société KWAIDAN : ? la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice matériel et moral subi du fait de la résiliation abusive, à ses torts exclusifs, du contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012, d'une part, ? et, d'autre part, au titre des violations répétées par Madame [P] [V] de l'exclusivité concédée à la société KWAIDAN en application du contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012 ; A titre très subsidiaire, et si par impossible le tribunal rentrait en voie de condamnation à l'encontre de la société KWAIDAN et/ou Monsieur [K] [U], - ECARTER l'exécution provisoire de droit, incompatible avec la nature de l'affaire et susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives ; En tout état de cause : - CONDAMNER Madame [P] [V] à payer à la société KWAIDAN la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à Monsieur [K] [U], la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; - La CONDAMNER aux entiers dépens ». MOTIFS DE LA DÉCISION Sur la demande de rejet des pièces non traduites Conformément à l'article 768 du code de procédure civile, les écritures des parties doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. Dans le dispositif de leurs dernières conclusions, la société KWAIDAN et Monsieur [K] [U] demandent au tribunal de « rejeter toutes les pièces de la demanderesse qui ne sont pas traduites en français ou dont les passages dont elle entend se prévaloir ne sont pas traduits en français ». Or, les pièces dont s'agit ne sont identifiées ni dans le dispositif ni dans la partie discussion des conclusions des défendeurs tandis que la demanderesse produit 137 pièces, et il n'appartient pas au tribunal de palier leur carence. Leur demande sera en conséquence rejetée. Sur les demandes de résiliation judiciaire Madame [P] [V] soutient avoir la qualité de coproducteur de l'album « I U NEED » au sens de l'article L. 213-1 du code de la propriété intellectuelle en ce qu'elle a supporté une partie des coûts, et qu'étant coproductrice la société KWAIDAN avait alors à son égard une obligation d'information des subventions perçues et des dépenses exposées au titre du contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012, obligation qu'elle n'a pas exécutée, de sorte que ce contrat doit être résilié judiciairement. Elle expose que la société KWAIDAN a également manqué à ses obligations relatives au pacte de préférence éditoriale du 22 février 2012 en ce qu'elle n'a pas correctement déposé les titres de l'album « I U NEED » auprès de la SACEM et des organismes de gestion collective étrangers et n'a pas vérifié que la répartition des redevances était correcte. Elle conclut que ces manquements justifient la résiliation judiciaire du pacte de préférence éditoriale du 22 février 2012. Elle ajoute que la résiliation judiciaire du contrat de préférence éditoriale du pacte de préférence du 22 février 2012 doit entraîner la résiliation judiciaire des contrats de cession et d'édition conclus en application de ce pacte dès lors qu'ils sont interdépendants. Elle fait ensuite valoir que la société THE PERFECT KISS, aux droits de laquelle vient la société KWAIDAN, ne lui a jamais adressé les relevés et la rémunération due pour l'exploitation et l'édition du titre « Keep on going » et des titres de l'album « GETALIFE », et que ces manquements justifient la résiliation judiciaire du contrat de cession et d'édition d'oeuvre musicale du 12 septembre 2006, du contrat de cession du droit d'adaptation audiovisuelle du 1er octobre 2006 et du contrat d'enregistrement exclusif du 19 avril 2007. Madame [P] [V] soutient en outre que la société KWAIDAN a exploité illégalement l'extended play (ci-après l'EP) intitulé « OXYTOCIN » en l'absence de tout contrat d'enregistrement et d'édition et dit n'avoir perçu aucune rémunération de cette exploitation qu'elle estime contraire à la loi. La société KWAIDAN, qui conteste avoir inexécuté ses obligations résultant du contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012 et du pacte de préférence éditoriale du 22 février 2012, fait valoir que la demanderesse n'établit pas ses allégations. Elle soutient également qu'aucun manquement ne peut être reproché à la société THE PERFECT KISS, dont elle vient aux droits, qu'il s'agisse du contrat de cession et d'édition d'oeuvre musicale du 12 septembre 2006, du contrat de cession du droit d'adaptation audiovisuelle du 1er octobre 2006 ou du contrat d'enregistrement exclusif du 19 avril 2007, et souligne qu'avant le courrier de mise en demeure du 27 février 2020 adressée par son conseil, la demanderesse n'a jamais formulé de réclamation sur les conditions d'exécution de ces trois contrats. S'agissant de l'EP « OXYTOCIN », la société KWAIDAN fait valoir que son exploitation relève du contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012. SUR CE, Selon l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi. L'article 1147 du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. Aux termes de l'article 1184 dudit code, dans sa rédaction applicable au présent litige, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances. L'article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 132-1 du code de la propriété intellectuelle, le contrat d'édition est le contrat par lequel l'auteur d'une oeuvre de l'esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l'oeuvre ou de la réaliser ou faire réaliser sous une forme numérique, à charge pour elle d'en assurer la publication et la diffusion. L'article L. 132-13 du même code dispose que l'éditeur est tenu de rendre compte. L'auteur pourra, à défaut de modalités spéciales prévues au contrat, exiger au moins une fois l'an la production par l'éditeur d'un état mentionnant le nombre d'exemplaires fabriqués en cours d'exercice et précisant la date et l'importance des tirages et le nombre des exemplaires en stock. Sauf usage ou conventions contraires, cet état mentionnera également le nombre des exemplaires vendus par l'éditeur, celui des exemplaires inutilisables ou détruits par cas fortuit ou force majeure, ainsi que le montant des redevances dues ou versées à l'auteur. Selon l'article 132-14 dudit code, l'éditeur est tenu de fournir à l'auteur toutes les justifications propres à établir l'exactitude de ses comptes. Faute par l'éditeur de fournir les justifications nécessaires, il y sera contraint par le juge. En application de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. Sur le contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012 En l'espèce, l'article 11 « cession de droits » du contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012 (pièce demanderesse no7) stipule : « 1. Il est rappelé que le PRODUCTEUR assurera seul le financement de tous les enregistrements objet des présentes, et sera réputé seul producteur au sens de l'article L. 213-1 et L. 215-1 du code de la propriété intellectuelle.2. L'ARTISTE cède au PRODUCTEUR la pleine et entière propriété des exécutions et/ou interprétations prévues aux présentes, sans restriction ni réserve, et avec tous les droits présents et futurs s'y attachant ». L'article 3.1 du contrat précise que « 1. Le présent contrat est un contrat de travail à durée déterminée d'usage qui a pour terme la réalisation de son objet, conformément aux articles L. 1242-2 3o et D. 1242-1 du code du travail, permettant le recours au contrat de travail à durée déterminée dans le secteur d'usage de l'édition phonographique ». L'article 6.1 du contrat prévoit que « le PRODUCTEUR sera en outre seul bénéficiaire de toute subvention ou aide publique ou privée relative à la production des enregistrements en sa qualité de producteur exclusif des enregistrements objet des présentes ». Au regard des stipulations précitées du contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012, Madame [P] [V], qui allègue avoir supporté une partie des coûts d'enregistrement et de production de l'album « I U NEED » et participé au financement de la production du vidéoclip « ANTIVIRUS » sans toutefois en rapporter la preuve en dépit des contestations de la société KWAIDAN, n'est pas fondée à revendiquer la qualité de coproducteur au sens de l'article L. 213-1 du code de la propriété intellectuelle, de sorte que la société KWAIDAN n'était pas tenue à son égard d'une obligation d'information des subventions perçues de la société civile des producteurs phonographiques (SCPP) et de la société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF). En revanche, l'article 6.2 du contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012 stipule que « le PRODUCTEUR remettra à l'ARTISTE un état récapitulatif des dépenses et des recettes prises en compte pour le calcul du bénéfice d'exploitation. L'ARTISTE pourra consulter les justificatifs de dépenses et de recettes au siège social du PRODUCTEUR, qui tiendra à cet effet une comptabilité séparée, une fois par semestre ». Toutefois, bien que la société KWAIDAN ne justifie pas avoir remis à Madame [P] [V] l'état récapitulatif des dépenses prévu au contrat, force est de constater que ce manquement n'est pas suffisamment grave pour justifier une résiliation judiciaire du contrat, étant observé qu'il ne s'agit pas d'une obligation essentielle du contrat et que Madame [P] [V] ne démontre pas au demeurant avoir demandé à consulter au siège social les justificatifs des dépenses tandis que le contrat l'y autorisait. Au regard de tout de ce qui précède, Madame [P] [V] sera en conséquence déboutée de sa demande de résiliation judiciaire du contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012. Le contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012 n'étant pas résilié et Madame [P] [V] n'ayant pas la qualité de coproductrice, ses demandes subséquentes tendant à voir « ordonner à la société KWAIDAN de lui restituer l'ensemble des droits portant sur les enregistrements et les éditions des titres de l'album ‘‘I U NEED'' et de lui communiquer l'ensemble des subventions perçues par les sociétés civiles des producteurs phonographiques » seront également rejetées. Madame [P] [V], qui affirme que les montants mentionnés sur les relevés d'exploitation des titres de l'album « I U NEED » communiqués par la société KWAIDAN sont erronés sans toutefois en rapporter la preuve, sera déboutée de sa demande tendant à voir « ordonner à la société KWAIDAN le versement de l'ensemble des royalties qui sont dues au titre de l'exploitation de l'album ‘‘I U NEED'' » dès lors qu'il est prématuré d'affirmer que l'état des comptes est inexact. A cet égard, la communication des pièces justificatives afférentes sera ordonnée. Quant à la demande reconventionnelle en résiliation judiciaire de ce même contrat aux torts de la demanderesse pour « résiliation abusive », contrairement à ce qu'affirme la société KWAIDAN dans ses écritures Madame [P] [V] n'a pas résilié unilatéralement le contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012 par courriel du 25 mai 2012 dès lors qu'elle écrit seulement « j'ai beaucoup réfléchi ce temps-ci à [Localité 6] et je sens que je ne peux plus continuer notre collaboration. J'apprécierais si on pourrait trouver une solution/accord mutuel – le plus souple » (pièce défendeurs no21) et ne vise aucun contrat en particulier. La société KWAIDAN sera en conséquence déboutée tant de sa demande reconventionnelle en résiliation judiciaire du contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012 que de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour résiliation abusive de ce contrat. Sur le pacte de préférence éditoriale du 22 février 2012 Madame [P] [V], qui allègue le manquement de la société KWAIDAN à ses obligations contractuelles du pacte de préférence éditoriale du 22 février 2012 en ce qu'elle n'a pas correctement déposé les titres de l'album « I U NEED », sorti le 5 mars 2012, auprès de la société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique (ci-après SACEM) et des organismes de gestion collective étrangers et n'a pas vérifié que la répartition des redevances était correcte, se borne à produire les courriels qu'elle a adressés à la SACEM en novembre et décembre 2017 pour l'informer de ses deux concerts à Chypre des 11 novembre et 16 décembre 2017 (sa pièce no25). Elle produit également les courriels qu'elle a adressés à la SACEM en janvier 2018 pour solliciter la vérification de ses contrats d'édition par son service juridique, courriels auxquels la SACEM l'a, en réponse, invitée à prendre contact avec son éditeur la société KWAIDAN (sa pièce no27). Or, Madame [P] [V] n'invoque aucun courrier ou courriel adressé à la société KWAIDAN à cet égard. Les courriels adressés à la SACEM ne permettant pas à eux seuls d'établir les manquements qu'elle allègue dont la charge de la preuve lui incombe, sa demande de résiliation judiciaire du pacte de préférence éditoriale du 22 février 2012 ne peut qu'être rejetée. Ledit pacte n'étant pas résilié, sa demande subséquente de résiliation judiciaire « des contrats de cession et d'édition conclus en application du pacte de préférence éditoriale » du 22 février 2012 sera également rejetée, étant par ailleurs souligné que les contrats dont s'agit ne sont aucunement identifiés dans ses conclusions. Sur le contrat de cession et d'édition d'oeuvre musicale du 12 septembre 2006, le contrat de cession du droit d'adaptation audiovisuelle du 1er octobre 2006 et le contrat d'enregistrement exclusif du 19 avril 2007 En l'espèce, Madame [P] [V] justifie des obligations de reddition de comptes et de paiement des redevances dont elle sollicite l'exécution par la production des trois contrats suivants conclus avec la société THE PERFECT KISS aux droits de laquelle vient la société KWAIDAN : - le contrat de cession et d'édition d'oeuvre musicale du 12 septembre 2006 portant sur les titres de l'album « GETALIFE » (sa pièce no4) ; - le contrat de cession du droit d'adaptation audiovisuelle du 1er octobre 2006 portant sur le titre « Keep on going » (sa pièce no5) ;- le contrat d'enregistrement exclusif du 19 avril 2007 portant sur les titres de l'album « GETALIFE » (sa pièce no6). Par ailleurs, la société KWAIDAN produit elle-même en pièce no66 le courrier de mise en demeure du 27 février 2020 adressé à la société THE PERFECT KISS par le conseil de Madame [P] [V] aux termes duquel elle sollicite notamment les relevés d'exploitation des titres de l'album « GETALIFE » et le versement des royalties qui lui sont dues. L'absence de reddition de comptes, obligation légale et essentielle des trois contrats susvisés, et le non-paiement des redevances dues, obligation contractuelle essentielle dont la défenderesse n'établit pas l'exécution spontanée ou faisant suite à la mise en demeure, constituent des manquements qui justifient à eux seuls la résiliation de ces trois contrats, sans que les autres griefs invoqués à cette fin par Madame [P] [V] n'aient à être examinés. Le moyen de la société KWAIDAN tiré de l'absence de réclamation de Madame [P] [V] durant plusieurs années est inopérant dès lors que son silence ne dispensait pas la société THE PERFECT KISS, dont elle vient aux droits, d'exécuter ses obligations légales et contractuelles. Les trois contrats susvisés étant résiliés, Madame [P] [V] est fondée à solliciter la restitution des masters des titres de l'album « GETALIFE ». En revanche, il n'y a pas lieu d'« ordonner la restitution de l'ensemble des droits portant sur l'enregistrement et les éditions » du titre ‘‘Keep on going'' et des titres de l'album ‘‘GETALIFE'' » telle que sollicitée par Madame [P] [V] dans le dispositif de ses conclusions, celle-ci étant surabondante dès lors que les trois contrats sont résiliés. Il sera fait droit à sa demande de communication de l'ensemble des relevés année par année de l'exploitation et de l'édition du titre « Keep on going » et des titres de l'album « GETALIFE », ainsi que des contrats de licence et de synchronisation y afférents. La société KWAIDAN, venant aux droits de la société THE PERFECT KISS, sera condamnée à payer à Madame [P] [V] les redevances dues sur la base des relevés année par année de l'exploitation et de l'édition du titre « Keep on going » et des titres de l'album « GETALIFE » dont la communication sera ordonnée. Par ailleurs, l'absence de reddition de comptes et de paiement des redevances dues, et plus généralement l'absence d'information relative à une exploitation effective et suivie du titre « Keep on going » et des titres de l'album « GETALIFE », ont nécessairement causé un préjudice moral à Madame [P] [V] qui sera réparé par l'allocation de la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts. La société KWAIDAN sera également condamnée à lui payer la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel résultant du retard dans l'exécution de l'obligation de paiement des redevances. Madame [P] [V], qui procède par voie d'affirmations dans ses écritures quant aux « grandes pertes financières » prétendument subies dont elle ne rapporte pas la preuve, sera déboutée du surplus de ses demandes indemnitaires au titre du préjudice matériel. Sur les demandes relatives à l'EP « OXYTOCIN » Conformément à l'article 768 du code de procédure civile, les écritures des parties doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. Si Madame [P] [V] reproche à la société KWAIDAN d'avoir exploité l'EP intitulé « OXYTOCIN » sorti en mai 2016 en l'absence de tout contrat d'enregistrement et d'édition et de ne lui avoir versé aucune rémunération, force est de constater qu'elle se borne à exposer des moyens en fait et à arguer que cette exploitation est « illégale » et « contraire à la loi ». Dans la partie discussion de ses conclusions, elle n'invoque aucun fondement textuel et n'expose aucun moyen en droit au soutien de ses prétentions relatives à l'EP « OXYTOCIN ». Elle se contente dans le dispositif de demander au tribunal de « constater que Monsieur [K] [U] et la société KWAIDAN ont porté atteinte aux droits d'auteur ainsi qu'aux droits voisins de Madame [P] [V] ». Or, à supposer que la demanderesse invoque une atteinte à des droits d'auteur ou droits voisins, la nature et l'étendue de ses droits sur chacun des titres de l'EP « OXYTOCIN » – qui n'ont pas été versés aux débats – ne sont pas identifiées et sont dès lors inconnues, étant précisé que le tribunal ne peut palier sa carence à cet égard. Au regard de tout ce qui précède, les demandes de Madame [P] [V] relatives à l'EP « OXYTOCIN » ne peuvent qu'être rejetées. Sur la responsabilité personnelle de M. [U] Madame [P] [V] soutient que Monsieur [K] [U], qui a une grande expérience des pratiques et usages de la profession dans le secteur musical, connaissait les obligations légales pesant sur lui en sa qualité de producteur et d'éditeur de musique et que le manquement à ses obligations contractuelles constitue une faute intentionnelle d'une particulière gravité manifestement incompatible avec l'objet social de la société KWAIDAN. Monsieur [K] [U] répond que la demanderesse tient à tout prix à voir sa responsabilité personnelle engagée contre toute logique juridique. SUR CE, L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Selon l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. La responsabilité personnelle d'un dirigeant à l'égard des tiers ne peut être retenue que s'il a commis une faute séparable de ses fonctions. Il en est ainsi lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales (Cass. com., 7 juillet 2004, no02-17.729 ; 31 mars 2015, no13-19.432). Outre qu'elle ne caractérise pas une faute de Monsieur [K] [U] séparable de ses fonctions de gérant de la société KWAIDAN, Madame [P] [V] ne démontre pas davantage que les deux autres conditions de la responsabilité civile extracontractuelle sont réunies, à savoir un préjudice et un lien de causalité. L'ensemble des demandes formées à son encontre seront par conséquent rejetées. Sur la procédure de mainlevée auprès de la SACEM Conformément à l'article 768 du code de procédure civile, les écritures des parties doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. En l'espèce, les prétentions suivantes sont énoncées au dispositif des conclusions de Madame [P] [V] : « - ORDONNER à la société KWAIDAN de suspendre toute procédure de mainlevée concernant l'avance de 3000 euros consentie par la société KWAIDAN à Madame [P] [V] ;- ORDONNER à la société KWAIDAN de restituer à Madame [P] [V] la somme de 1079,74 euros ainsi que les 83,87 euros de frais représentant les montant perçus au titre de la procédure de mainlevée auprès de la SACEM par la société KWAIDAN ». Or, dans la partie discussion de ses conclusions, la demanderesse n'invoque aucun fondement textuel et n'expose aucun moyen en droit au soutien de ses prétentions. Seul son bordereau de pièces mentionne une pièce no20 intitulée « copie des échanges de mails entre Madame [P] [V] et Madame [M] [N], juriste à la SACEM, en date du 20 mars 2020 concernant la mainlevée partielle demandée par la société KWAIDAN ». Contrairement à ce qui est annoncé dans le bordereau, cette pièce no20 n'est pas « des échanges de mails » mais uniquement un courriel de la SACEM du 20 mars 2020 rédigé en ces termes : « Nous portons à votre connaissance que nous a été signifiée en date du 18 mars 2020 par la société KWAIDAN, une cession de créance consentie par vous, sur l'ensemble des droits d'auteur vous revenant de la Sacem pour un montant de 3.000,00 €. A ce montant, vient s'ajouter celui de 83,87 € relatif aux frais de signification de ladite cession. Nous serons donc dans l'obligation d'appliquer cette cession sur les droits d'auteur vous revenant lors de nos prochaines répartitions ». Cette pièce no20 ne permet pas à elle seule de faire droit à ses prétentions. Il n'est aucunement fait état d'une procédure de mainlevée. Par ailleurs, Madame [P] [V] ne donne aucune explication sur la cession de créance qu'elle a consentie et les droits d'auteur dont s'agit ne sont pas identifiés. Au regard de tout ce qui précède, ses demandes relatives à la « procédure de mainlevée » auprès de la SACEM ne peuvent qu'être rejetées. Sur les demandes indemnitaires reconventionnelles Sur la violation alléguée de l'exclusivité du contrat d'enregistrement du 1er mars 2012 La société KWAIDAN soutient que Madame [P] [V] a violé l'exclusivité stipulée au contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012 en collaborant au titre « Do it » avec [E] [L] sorti commercialement en 2013, en collaborant aux titres « Love is gone » et « Fist » avec [W] [I] et en collaborant aux titres « White Holy » et « Big Fish Fight » avec [X] [C] sortis commercialement en 2015, lui causant ainsi un préjudice. Madame [P] [V], qui conteste tout manquement à son obligation d'exclusivité, fait valoir que la société KWAIDAN ne précise pas les dates exactes d'enregistrement des titres litigieux et que ceux-ci sont postérieurs à la durée d'exclusivité de 18 mois stipulée au contrat. SUR CE, Selon l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi. L'article 1147 du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. En application de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. L'article 2 du contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012 stipule : « [?] Pendant toute la durée du présent contrat telle que définie à l'article 3 ci-après, l'ARTISTE s'interdit formellement et irrévocablement de procéder à des enregistrements d'oeuvres musicales pour toute autre personne physique ou morale que ce soit sous son nom, son nom d'Artiste, un pseudonyme, anonymement ou en Groupe, sans l'engagement préalable écrit du PRODUCTEUR ». L'article 3 du contrat précise que « 1. [?] les enregistrements en studio du LP1 (intitulé « I U Need » et comportant 11 titres inédits) ont été réalisés antérieurement à la date de signature des présentes.2. L'exclusivité concédée par l'ARTISTE au PRODUCTEUR aux termes des présentes cessera à l'issue d'un délai de 18 (dix-huit) mois à compter de la date de sortie commerciale du LP1 publié par le PRODUCTEUR en exécution des présentes. En tout état de cause, le présent contrat est conclu pour une durée minimum de 18 (dix-huit) mois à compter de sa signature.3. En conséquence, l'ARTISTE ne pourra en aucun cas autoriser la fixation, la reproduction, l'exploitation et la diffusion, par un tiers aux présentes, de nouveaux enregistrements de ses interprétations quelles qu'en soient la nature ou la destination, avant l'expiration de la période d'exclusivité sus-définie.4. La sortie commerciale en France du LP1 interviendra le 5 mars 2012 ». En l'espèce, tandis que la charge de la preuve lui incombe, la société KWAIDAN, qui procède par voie d'affirmation dans ses écritures, se borne à produire trois captures écrans de playlists (ses pièces no62-1, 62-2, 62-3) contestées par Madame [P] [V], dont l'origine est inconnue et mentionnant uniquement les années 2013, 2015 et 2016. Il n'est aucunement démontré que les titres litigieux « Do it », « Love is gone », « Fist », « White Holy » et « Big Fish Fight » ont été enregistrés durant la période du 5 mars 2012 au 5 septembre 2013, de sorte que le manquement allégué à l'obligation d'exclusivité d'une durée de 18 mois stipulée aux articles 2 et 3 du contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012 n'est pas établi. Sa demande indemnitaire reconventionnelle ne peut dès lors qu'être rejetée. Sur la procédure abusive Les défendeurs soutiennent que Madame [P] [V] n'a cessé de dénigrer la société KWAIDAN auprès de ses différents interlocuteurs dans une intention de nuire, ce qui reflète selon elle le caractère abusif de la procédure. Madame [P] [V] ne répond pas sur ce point. SUR CE, L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Aux termes de l'article 1241 du même code, chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. Le droit d'agir en justice dégénère en abus constitutif d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil lorsqu'il est exercé en connaissance de l'absence totale de mérite de l'action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant le défendeur à se défendre contre une action que rien ne justifie sinon la volonté d'obtenir ce que l'on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté. En l'espèce, la seule circonstance que les demandes de résiliation judiciaire et demandes indemnitaires de Madame [P] [V] soient pour partie rejetées n'est pas de nature à faire dégénérer son action en abus, certaines de ses demandes ayant été accueillies. En outre, la société KWAIDAN et Monsieur [K] [U], qui procèdent par voie d'affirmations dans leurs écritures quant aux prétendus dénigrements et intention de nuire de la demanderesse, ne justifient d'aucun préjudice distinct des frais exposés pour se défendre en justice, lesquels sont indemnisés au titre de l'article 700 du code de procédure civile. En conséquence, leurs demandes reconventionnelles pour procédure abusive seront rejetées. Sur les demandes accessoires Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie. L'article 700 du même code dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation. Selon l'article 514 dudit code, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement. La société KWAIDAN, qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens et à payer à Madame [P] [V] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Madame [P] [V] ayant été déboutée de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de Monsieur [K] [U], l'équité commande de la condamner à lui payer la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. La présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire et il n'y a pas lieu d'y déroger. PAR CES MOTIFS Le tribunal, DEBOUTE la société KWAIDAN et Monsieur [K] [U] de leur demande tendant à voir « rejeter toutes les pièces de la demanderesse qui ne sont pas traduites en français ou dont les passages dont elle entend se prévaloir ne sont pas traduits en français » ; DEBOUTE Madame [P] [V] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012 ; DEBOUTE Madame [P] [V] de sa demande tendant à voir « ordonner à la société KWAIDAN de communiquer l'ensemble des subventions perçues par les sociétés civiles des producteurs phonographiques » ; DEBOUTE Madame [P] [V] de sa demande tendant à voir « ordonner à la société KWAIDAN de lui restituer l'ensemble des droits portant sur les enregistrements de l'album ‘‘I U NEED'' » ; DEBOUTE Madame [P] [V] de sa demande tendant à voir « ordonner à la société KWAIDAN de lui restituer l'ensemble des droits portant sur les éditions des titres de l'album ‘‘I U NEED'' » ; ORDONNE à la société KWAIDAN de communiquer à Madame [P] [V] les relevés année par année de l'exploitation et de l'édition des titres de l'album « I U NEED », ainsi que les contrats de licence et de synchronisation y afférents ; DEBOUTE Madame [P] [V] de sa demande tendant à voir « ordonner à la société KWAIDAN le versement de l'ensemble des royalties qui sont dues au titre de l'exploitation de l'album ‘‘I U NEED'' » ; DEBOUTE la société KWAIDAN de sa demande reconventionnelle en résiliation judiciaire du contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012 ; DEBOUTE la société KWAIDAN de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour résiliation abusive du contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012 ; DEBOUTE la société KWAIDAN de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'exclusivité du contrat d'enregistrement exclusif du 1er mars 2012 ; DEBOUTE Madame [P] [V] de sa demande de résiliation judiciaire du pacte de préférence éditoriale du 22 février 2012 ; DEBOUTE Madame [P] [V] de sa demande de résiliation judiciaire des contrats de cession et d'édition conclus en application du pacte de préférence éditoriale du 22 février 2012 ; PRONONCE la résiliation du contrat de cession et d'édition d'oeuvre musicale du 12 septembre 2006 ; PRONONCE la résiliation du contrat de cession du droit d'adaptation audiovisuelle du 1er octobre 2006 ; PRONONCE la résiliation du contrat d'enregistrement exclusif du 19 avril 2007 ; DIT n'y avoir lieu d'« ordonner la restitution de l'ensemble des droits portant sur l'enregistrement et les éditions » du titre ‘‘Keep on going'' et des titres de l'album ‘‘GETALIFE'' » ; ORDONNE à la société KWAIDAN de restituer à Madame [P] [V] les masters des titres de l'album « GETALIFE » ; ORDONNE à la société KWAIDAN, venant aux droits de la société THE PERFECT KISS, de communiquer à Madame [P] [V] les relevés année par année de l'exploitation et de l'édition du titre « Keep on going » et des titres de l'album « GETALIFE », ainsi que les contrats de licence et de synchronisation y afférents ; CONDAMNE la société KWAIDAN, venant aux droits de la société THE PERFECT KISS, à payer à Madame [P] [V] les redevances dues sur la base des relevés année par année de l'exploitation et de l'édition du titre « Keep on going » et des titres de l'album « GETALIFE » dont la communication est ordonnée ; CONDAMNE la société KWAIDAN, venant aux droits de la société THE PERFECT KISS, à payer à Madame [P] [V] la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ; CONDAMNE la société KWAIDAN, venant aux droits de la société THE PERFECT KISS, à payer à Madame [P] [V] la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel ; DEBOUTE Madame [P] [V] du surplus de ses demandes indemnitaires au titre du préjudice matériel ; DEBOUTE Madame [P] [V] de l'ensemble de ses demandes relatives à l'EP « OXYTOCIN » ; DEBOUTE Madame [P] [V] de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de Monsieur [K] [U] ; DEBOUTE Madame [P] [V] de l'ensemble de ses demandes relatives à la procédure de mainlevée auprès de la SACEM ; DEBOUTE la société KWAIDAN et Monsieur [K] [U] de leurs demandes reconventionnelles en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive ; CONDAMNE la société KWAIDAN aux dépens ; CONDAMNE la société KWAIDAN à payer à Madame [P] [V] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; CONDAMNE Madame [P] [V] à payer à Monsieur [K] [U] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire. Fait et jugé à Paris le 31 mai 2023 La greffière Le président
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JURITEXT000047878959
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 14 juin 2023, 21/02988
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2023-06-14
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/02988
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 21/02988 - No Portalis 352J-W-B7F-CT37S No MINUTE : Assignation du :18 février 2021 JUGEMENT rendu le 14 juin 2023 DEMANDERESSES SYNDICAT DES FABRICANTS AVEYRONNAIS DU COUTEAU DE [Localité 4]Mairie de [Localité 4][Adresse 2][Adresse 2] COMMUNE DE [Localité 4][Adresse 2][Adresse 2] représentées par Maître Arnaud LELLINGER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0112 DÉFENDERESSE S.A.S. ACTIFORGE[Adresse 1][Adresse 1] représentée par Maître Denis GANTELME de l'ASSOCIATION OLTRAMARE GANTELME MAHL, avocat au barreau de PARIS, avocats posutlant, vestiaire #R0032 et par Maître HORDOT de la SCP BONIFACE-HORDOT-FUMAT-MALLON, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE, avocat plaidant COMPOSITION DU TRIBUNAL Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjointLinda BOUDOUR, jugeArthur COURILLON-HAVY, juge assistés de Lorine MILLE, greffière, DÉBATS A l'audience du 05 janvier 2023 tenue en audience publique devant Jean-Christophe GAYET et Linda BOUDOUR, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir donné lecture du rapport, puis entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 22 mars 2023, puis prorogé en dernier lieu au 14 juin 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe ContradictoireEn premier ressort___________________________ EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. Le syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de [Localité 4] (ci-après SFACL), constitué en 2013, indique avoir pour objectif de protéger le couteau de [Localité 4] fabriqué en nord-Aveyron, de promouvoir et maintenir le savoir-faire des couteliers de cette région et de garantir l'origine géographique des couteaux de [Localité 4]. Il est composé de sept sociétés à responsabilité limitée. 2. La commune de [Localité 4] est située dans le département de l'Aveyron. 3. La société par actions simplifiée (ci-après SAS) Actiforge, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Saint-Étienne, a pour activité l'étude, la réalisation, la commercialisation et la représentation de tous produits à usage domestique et industriel et précise commercialiser, principalement via son site internet, des couteaux de type [Localité 4]. 4. Elle est titulaire :- de la marque semi-figurative française no4013824, déposée le 20 juin 2013 et modifiée le 3 janvier 2014 à l'Institut national de la propriété industrielle (INPI), en classe 8 pour les "outils et instruments à main entraînés manuellement, coutellerie, fourchettes et cuillers, armes blanches, rasoirs tous les produits précités étant d'origine française ou fabriqués en France" :- du modèle communautaire no008197107, déposé le 8 octobre 2020 et publié le 22 octobre 2020. 5. Estimant que la SAS Actiforge communiquait très largement sur internet, par le biais de la vente et de la promotion de ses produits, de nombreuses allégations fausses, approximatives et dénigrantes à l'encontre des couteliers de [Localité 4], de nature à tromper le consommateur et susceptibles de constituer une concurrence déloyale et parasitaire, le SFACL et la commune de [Localité 4] l'ont mise ne demeure de cesser ses agissements par courrier du 17 juin 2020. 6. Par réponse du 3 août 2020, la SAS Actiforge a contesté les allégations de tromperie des consommateurs et a retiré une vidéo de présentation historique de [Localité 4] de son site internet et accepté d'intervenir auprès d'un site marchand tiers pour lui demander de corriger sa présentation de ses produits. 7. Par courrier du 12 octobre 2020, le SFACL et la commune de [Localité 4] ont mis en demeure la SAS Actiforge de renoncer à sa marque semi-figurative française en raison de sa déchéance, ce que cette dernière refusait par réponse du 29 octobre 2020. 8. Par acte d'huissier du 18 février 2021, le SFACL et la commune de [Localité 4] ont fait assigner la SAS Actiforge devant ce tribunal en nullité et déchéance de sa marque semi-figurative française et en paiement de dommages et intérêts.9. L'instruction a été close par ordonnance du 7 avril 2022 et l'affaire fixée à l'audience du 5 janvier 2023 pour être plaidée. 10. Par conclusions adressées le 13 juillet 2022 au juge de la mise en état, la SAS Actiforge a demandé la révocation de l'ordonnance de clôture en vue de produire la décision du 11 avril 2022 de l'INPI rejetant la demande d'indication géographique protégée formulée par le SFACL. Par conclusions notifiées le 7 septembre 2022, le SFACL et la commune de [Localité 4] se sont opposés à cette demande. Le juge de la mise en état a rejeté la demande par décision du 27 septembre 2022. PRÉTENTIONS DES PARTIES 11. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 29 mars 2022, le SFACL et la commune de [Localité 4] demandent au tribunal de :- les déclarer recevables et fondés en leurs demandes ;- déclarer la SAS Actiforge irrecevable, à tout le moins mal fondée, en toutes ses demandes, fins et conclusions, et l'en débouter purement et simplement ;- dire et juger que la SAS Actiforge s'est rendue coupable d'actes de tromperie du consommateur ;- dire et juger que la SAS Actiforge s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitaire à leur encontre ;- prononcer la nullité de droits de la SAS Actiforge sur l'enregistrement de la marque semi-figurative française no4013824 pour l'ensemble des produits couverts, pour caractère trompeur et atteinte aux droits de ses membres et de la commune de [Localité 4] ;- prononcer la déchéance des droits de la SAS Actiforge sur l'enregistrement de la marque semi-figurative française no4013824 pour l'ensemble des produits couverts, pour caractère trompeur ;- prononcer la déchéance des droits de la SAS Actiforge sur l'enregistrement de la marque française no4013824 pour les produits pour lesquels un usage sérieux ne serait pas démontré, à l'expiration du délai légal de 5 ans à compter de la publication de son enregistrement au BOPI du 3 janvier 2014, soit à compter du 3 janvier 2019 ;- prononcer la nullité du modèle communautaire no008197107 ;- ordonner que la défenderesse justifie, dans le délai d'un mois de la signification du jugement à intervenir, de l'inscription de celui-ci au registre national des marques auprès de l'INPI, et à défaut autoriser le SFACL à faire inscrire ledit jugement ;- interdire à la SAS Actiforge d'exploiter sous quelque forme et quelque support que ce soit (en ce compris sur des vidéos, brochures, catalogues, sites internet, applications mobiles sur tous types de systèmes d'exploitation (Ios, Android etc.), publications Instagram, Facebook ou tout autre réseau social et sur toutes chaînes de télévision) le terme [Localité 4] ou toute déclinaison, sous astreinte de dix mille (10 000) euros par infraction constatée et par jour de retard à compter d'un délai de cinq (5) jours suivant la signification du jugement à intervenir ;- ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir, dans un délai de trois (3) jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de dix mille (10 000) euros par jour de retard, sur les pages d'accueil du site internet www.couteau-[Localité 4].com, du compte Facebook https://www.facebook.com/Couteau-[Localité 4]-Actiforge- 408353919244089/ exploités par la SAS Actiforge, pendant le délai de un (1) mois ;- ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir, accompagné d'un message objectif et explicatif, dans cinq (5) journaux ou revues au choix de la SAS Actiforge, en France ou à l'international, aux frais avancés par Actiforge, sans que le coût n'excède la somme de cinq mille (5000) euros hors taxes par insertion ;- condamner la société Actiforge à payer aux demandeurs la somme de 150 000 euros, à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, sauf à parfaire ou compléter au vu des éléments dont la production interviendra en cours de procédure ;- se réserver la liquidation des astreintes ordonnées aux termes du jugement à intervenir,- condamner la SAS Actiforge aux entiers dépens d'instance et à payer aux demandeurs 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;- prononcer l'exécution provisoire du jugement à intervenir. 12. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 28 mars 2022, la SAS Actiforge a conclu à :- débouter le SFACL et la commune de [Localité 4] de l'intégralité de leurs demandes ;- débouter le SFACL et la commune de [Localité 4] de leur demande d'annulation de ses droits sur l'enregistrement de la marque française no4013824 pour caractère trompeur ;- déclarer irrecevable et infondée la demande d'annulation de ses droits sur l'enregistrement de la marque française no4013824 pour atteinte aux droits des membres du SFACL et de la commune de [Localité 4],- débouter le SFACL et la commune de [Localité 4] de leur demande tendant à voir prononcer la déchéance de ses droits sur l'enregistrement de la marque française no4013824 pour caractère trompeur et absence d'usage sérieux,- débouter le SFACL et la commune de [Localité 4] de leur demande de nullité du modèle communautaire no008197107 pour absence de nouveauté et caractère individuel et atteinte au nom [Localité 4] ;- débouter le SFACL et la commune de [Localité 4] de leur demande tendant à lui interdire sous astreinte, d'exploiter sous quelque forme et quelque support que ce soit le terme [Localité 4],- débouter le SFACL et la commune de [Localité 4] de leur demande tendant voir ordonner sous astreinte la publication du dispositif du jugement à intervenir sur son site internet et son compte Facebook ;- débouter le SFACL et la commune de [Localité 4] de leur demande tendant à voir ordonner la publication du jugement à intervenir dans 5 journaux ou revues ;- débouter le SFAC et la commune de [Localité 4] de leurs demandes de dommages et intérêts pour actes de concurrence déloyale et parasitisme ;- condamner le syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de [Localité 4] (SFACL) ainsi que la commune de [Localité 4] à lui verser :> 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,> 15 000 € à titre de participation sur le fondement de l'article 700 CPC,- les condamner aux entiers dépens dont droit de recouvrement direct au profit de Me Gantelme, avocat, sur son affirmation de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.- écarter l'exécution provisoire de droit. MOTIVATION I - Sur la forclusion par tolérance de la marque semi-figurative française no4013824 Moyens des parties 13. La SAS Actiforge soutient que la demande en nullité de sa marque litigieuse, déposée le 20 juin 2013 et constamment exploitée depuis, est prescrite compte tenu de l'absence d'opposition des demandeurs à cette exploitation antérieurement au 18 février 2021. 14. Le SFACL et la commune de [Localité 4] avancent que la défenderesse ne démontre pas qu'ils aient eu connaissance de l'usage de cette marque depuis plus de cinq et l'avoir toléré et que la commune de [Localité 4] est légitime à préserver l'usage de son nom dans la perspective d'un intérêt commun. Réponse du tribunal 15. Aux termes de l'article L.716-2-8 du code de la propriété intellectuelle, "le titulaire d'un droit antérieur qui a toléré pendant une période de cinq années consécutives l'usage d'une marque postérieure enregistrée en connaissance de cet usage n'est plus recevable à demander la nullité de la marque postérieure sur le fondement de l'article L.711-3, pour les produits ou les services pour lesquels l'usage de la marque a été toléré, à moins que l'enregistrement de celle-ci ait été demandé de mauvaise foi". 16. La tolérance de l'usage d'une marque postérieure suppose la connaissance de cet usage par le titulaire d'une marque antérieure (voir en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 28 mars 2006, no05-11.686). 17. L'existence d'une tolérance peut résulter des circonstances qui conduisent à considérer que le titulaire de la marque antérieure ne pouvait pas ignorer l'exploitation de la marque postérieure (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 5 juillet 2016, no14-18.540). 18. Le délai de tolérance s'apprécie au regard du temps écoulé entre la date à laquelle le titulaire de la marque première acquiert la connaissance de l'usage de la marque seconde, et celle de la délivrance par ses soins d'un acte interruptif de prescription (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 31 mai 2005, pourvoi no04-11.496 et 03-20.956). 19. Au cas présent, la SAS Actiforge verse au soutien de sa demande :- une facture de création de son site internet <couteau-[Localité 4].com> du 31 mars 2011 (sa pièce no18)- une facture de montage d'un film intitulé "[Localité 4]" du 30 juillet 2014 (sa pièce no19). 20. Toutefois, il ne ressort d'aucune de ces pièces que la marque semi-figurative française no4013824, que la SAS Actiforge a déposé le 20 juin 2013, figurait sur son site ou dans ce film à compter de cette date ou antérieurement. 21. Dès lors, la date à laquelle la SFACL ou la commune de [Localité 4] a eu connaissance, ou ne pouvait pas ignorer, l'exploitation de cette marque litigieuse n'est pas établie. 22. Ainsi, la SAS Actiforge ne démontre pas que le délai de tolérance de cinq ans de sa marque litigieuse était acquis à la date de l'assignation, le 18 février 2021. 23. Le moyen de la SAS Actiforge tiré de la forclusion par tolérance de la marque semi-figurative française no4013824 sera, en conséquence, rejetée. II - Sur la demande en nullité de la marque semi-figurative française no4013824 II.1 - S'agissant du moyen tiré du caractère descriptif de la marque litigieuse Moyens des parties 24. Le SFACL et la commune de [Localité 4] font valoir que la marque semi-figurative française no4013824 doit être annulée en raison de son caractère descriptif et de sa nature à tromper le public. Ils précisent que l'élément dominant de cette marque est l'élément verbal "[Localité 4]" en attaque dans une police de grande taille, faisant référence à la commune du même nom, célèbre pour ses couteaux, en sorte que cet élément est descriptif des produits désignés ; que l'élément figuratif est un sanglier purement décoratif ou évocateur de la chasse, donc descriptif des produits désignés ; que les éléments verbaux "Actiforge" et "France" sont également descriptifs, le préfixe "acti" évoquant immédiatement le terme "actif", descriptif des produits désignés qui sont des outils à main. Ils ajoutent que le consommateur des produits désignés ne présentant pas une attention spécifique, il sera amené à lier la marque et l'origine géographique des produits qu'elle désigne, laquelle n'est pas appropriable et est totalement descriptive. 25. La SAS Actiforge oppose que sa marque semi-figurative no4013824 est distinctive dans la mesure où elle associe plusieurs éléments verbaux, dont le signe "Actiforge" qui renvoie au secteur de la métallurgie et n'est pas descriptif pour des couteaux, à un élément graphique, un sanglier stylisé qui renvoie au monde de la nature et de la chasse et n'est pas particulièrement évocateur d'un couteau de poche. Réponse du tribunal 26. En application de l'article L.711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable le 20 juin 2013, "le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie à l'égard des produits ou services désignés.Sont dépourvus de caractère distinctif :a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation de service ;c) Les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.Le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c, être acquis par l'usage". 27. Le caractère distinctif s'apprécie au jour du dépôt de la demande d'enregistrement auprès de l'INPI (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 1er avril 1997, no95-11.162). 28. L'exigence de distinctivité du signe se justifie par la fonction essentielle de la marque qui est de garantir au consommateur ou à l'utilisateur final l'identité d'origine du produit ou du service qu'elle désigne, en luipermettant de le distinguer sans confusion possible de ceux ayant une autre provenance. La perception du signe comme indicateur d'origine doit être immédiate et certaine. Les critères d'appréciation du caractère distinctif d'une marque, outre les produits ou services visés à son dépôt, sont notamment le territoire qu'elle concerne et la perception qu'en a le public pertinent. 29. Une marque est usuelle lorsque le signe qui la compose constitue, dans le langage courant ou professionnel, la façon de désigner le produit ou le service en cause (en ce sens cour d'appel de Paris, pôle 5 chambre 2, 9 octobre 2009, RG 08/02192). 30. En l'occurrence, il est rappelé que la marque semi-figurative française no4013824 a été enregistrée le 3 janvier 2014 à l'INPI, en classe 8 pour les "outils et instruments à main entraînés manuellement, coutellerie, fourchettes et cuillers, armes blanches, rasoirs tous les produits précités étant d'origine française ou fabriqués en France". 31. Elle est composée de l'élément verbal "[Localité 4]", placé en attaque, en caractères italiques imitant l'écriture manuscrite, dans une taille de caractères plus haute que les deux autres éléments verbaux "Actiforge" et "France", placés en dessous et en retrait à droite, en caractères d'imprimerie classiques, donnant ainsi au premier élément verbal un caractère dominant. Ce premier élément verbal est suivi d'un signe figuratif représentant un sanglier stylisé vu de profil. 32. Or, comme le souligne la SAS Actiforge elle-même, pour le consommateur de couteau de cuisine ou de poche, lequel ne se distingue pas du consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, le terme "[Localité 4]" désigne un type de couteau. 33. En effet, il ressort des définitions des dictionnaires produites par les parties que le terme "[Localité 4]" est un nom commun, dérivé du nom propre de la commune éponyme, tant pour le Robert qui le définit comme "couteau de poche" (pièce Actiforge no8) que pour le Larousse qui le définit comme "couteau de poche, fabriqué à [Localité 4], à manche légèrement recourbé et à lame allongée" ou pour l'encyclopédie Universalis qui mentionne "canif fabriqué dans la coutellerie de la ville de [Localité 4]" (pièces SFACL et [Localité 4] no33). Si ces pièces des parties sont datées de mai et août 2021, la circonstance que ces trois éditeurs tiennent ce terme pour un nom commun établit que cet usage était déjà courant dans la langue française depuis plusieurs années. 34. Il ressort, également :- d'un sondage du 4 mai 2010 réalisé par la société TNS-Sofres que pour 92% de la population française le nom de "[Localité 4]" évoque un couteau (pièce SFACL et [Localité 4] no27)- de la décision du 29 juin 2011 de la division d'annulation de l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (devenu l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle) que "le caractère générique du terme "[Localité 4]" pour désigner un certain type de couteau ne fait pas de doute" (pièce SFACL et [Localité 4] no26)- des propres conclusions du SFACL et de la commune de [Localité 4] que le mot ou le nom de [Localité 4] évoque spontanément un couteau pour 92% des français en 2010 (leurs conclusions page 19). 35. L'élément verbal dominant "[Localité 4]" de la marque semi-figurative française no4013824 est, pour toutes ces raisons, descriptif pour les produits qu'elle désigne. 36. Il en va, toutefois, différemment de l'élément figuratif du sanglier stylisé qui, s'il renvoie au monde de la nature et de la chasse et, dès lors, désigne indirectement les instruments couramment utilisés lors de la chasse ou pour des activités dans la nature, dont le couteau de poche, n'est, de ce fait, qu'évocateur des produits désignés par la marque litigieuse, ce que les multiples représentation de sangliers sur des lames ou manches de couteau de poche produits par les demandeurs ne font que confirmer (leur pièce no22). 37. Il en va de même de l'élément verbal "Actiforge", syntagme formé par les mots "active" et "forge", lesquels renvoient au mode de production des ustensiles commercialisés par la défenderesse. Toutefois, d'une part, cette référence ne désigne qu'indirectement les produits visés par la marque, d'autre part, l'inversion de l'adjectif et du nom par rapport à l'orthodoxie grammaticale du français et l'abréviation de l'adjectif "active" en "acti" pour désigner la forge, confèrent à cet élément verbal un caractère évocateur. 38. À l'inverse, l'élément verbal "France" renvoie à la nationalité de la société défenderesse ; il est, de ce fait, purement descriptif. 39. Il résulte de l'ensemble que la combinaison de ces éléments, par la présence de deux éléments verbaux évocateurs, mais non purement descriptifs, et de leur agencement, permet de distinguer la marque litigieuse de celle de tiers et, donc, de remplir la fonction essentielle de la marque. 40. Le moyen tiré du caractère descriptif de la marque semi-figurative française no4013824, pour désigner en classe 8 les "outils et instruments à main entraînés manuellement, coutellerie, fourchettes et cuillers, armes blanches, rasoirs tous les produits précités étant d'origine française ou fabriqués en France" sera, en conséquence, rejeté. II.2 - S'agissant du caractère trompeur de la marque litigieuse Moyens des parties 41. Le SFACL et la commune de [Localité 4] soutiennent que la marque semi-figurative française no4013824 doit être, également, annulée en raison de son caractère trompeur, compte tenu que le consommateur moyen sera amené à faire un lien entre la marque et l'origine géographique des produits qu'elle désigne, alors qu'aucun des produits commercialisés sous cette marque par la défenderesse ne provient de la commune de [Localité 4] et qu'elle ne démontre pas que les couteaux qu'elle vend soient essentiellement fabriqués à [Localité 8]. 42. La SAS Actiforge réfute tout caractère trompeur de sa marque litigieuse, le terme "[Localité 4]" désignant un type de couteau et non une origine géographique, ce que plusieurs définitions de dictionnaires confirment, de même que le sondage que les demandeurs versent aux débats, les consommateurs associant spontanément le nom de [Localité 4] à un couteau ou des ustensiles de cuisine, non à une commune française. Elle considère le SFACL comme de mauvaise foi, l'essentiel de la production de couteaux laguioles étant produits dans le bassin de [Localité 8] et son président étant gérant d'une société basée à [Localité 8] qui commercialise des laguioles, dont le site internet mentionne qu'ils sont fabriqués à [Localité 8], tandis que les demandeurs affirment dans leurs écritures qu'ils seraient fabriqués à [Localité 4]. Elle revendique que le couteau [Localité 4] est historiquement fabriqué majoritairement dans le bassin thiernois, ce que l'enquête publique initiée sur la demande d'indication géographique du SFACL excluant cette zone géographique confirme, elle-même adhérant à l'association Couteau [Localité 4] Aubrac Auvergne qui a déposé une demande d'indication géographique concurrente incluant cette zone. Réponse du tribunal 43. En application de l'article L.711-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable le 20 juin 2013, "ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe : (...) c) De nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service". 44. Ces dispositions du code de la propriété intellectuelle s'analysent à la lumière des dispositions de la directive 89/104 interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne selon laquelle, le caractère trompeur d'une marque suppose que la marque créé un risque de confusion dans l'esprit du consommateur moyen et d'établir l'existence d'une tromperie effective ou d'un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur (en sens CJCE, 30 mars 2006, C-259/04, Elizabeth Emanuel, § 46 et 47). 45. L'existence d'une tromperie effective ou d'un risque suffisamment grave de tromperie ne peut s'apprécier qu'au regard des habitudes des consommateurs dans le domaine considéré (voir en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 18 septembre 2019, no17-27.974). 46. En l'espèce, les pièces produites par le SFACL et la commune de [Localité 4] n'établissent pas que l'élément dominant "[Localité 4]" renvoie à une notion d'origine géographique pour le consommateur d'ustensiles de cuisine ou de couteau de poche qui ne se distingue pas du consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé. 47. En effet, la commune de [Localité 4] n'est spontanément connue que de 7% des français en 2018 selon un sondage produit par le SFACL et la commune de [Localité 4] (leur pièce no27). 48. Par ailleurs, la ville de [Localité 8] est également renommée pour sa production de couteaux laguioles depuis plus d'un siècle, ce qui ressort de deux articles du Figaro et des Echos ou du site Wikipédia produits par la défenderesse (ses pièces no9, 10 et 11) et de la synthèse de l'enquête publique publiée par l'INPI sur la demande d'indication géographique déposée par le SFACL (sa pièce no25 page 4). Cette renommée de la ville de [Localité 8] pour la production de couteau [Localité 4] fonde, d'ailleurs, une demande concurrente d'indication géographique protégée déposée par l'association Couteau [Localité 4] Aubrac Auvergne dont la défenderesse est membre (sa pièce no32). La SAS Actiforge établit même que l'une des entreprises fabriquant ses couteaux laguioles à [Localité 8] est dirigée par le président du SFACL (ses pièces no12 et 13). 49. De plus, ainsi qu'il a été précédemment établi, le terme "[Localité 4]" est un couteau de poche dans la langue française, en sorte que l'usage de ce terme à titre d'élément verbal dans la marque litigieuse n'est pas susceptible de provoquer une tromperie effective ou d'un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur. 50. Le moyen tiré du caractère trompeur de la marque semi-figurative française no4013824 sera, en conséquence, rejeté. II.3 - S'agissant du moyen tiré de l'atteinte aux droits des membres du SFACL et de la commune de [Localité 4] Moyens des parties 51. Le SFACL et la commune de [Localité 4] invoquent que la marque litigieuse porte atteinte aux dénominations sociales des membres du SFACL et au nom de la collectivité locale de [Localité 4] dont ils revendiquent l'antériorité, en ce que cette marque reprend indûment la dénomination [Localité 4] et, dès lors que la défenderesse ne fabrique pas ses couteaux à [Localité 4], provoque un risque de confusion chez le consommateur moyen. 52. La SAS Actiforge répond que la commune ne rapporte pas la preuve d'une atteinte à son nom, à son image ou à sa renommée par le dépôt de cette marque isolée et désignant la seule classe 8, non plus que les membres du SFACL qui, n'étant pas partie à l'instance, ne justifient ni d'un droit antérieur, ni d'un quelconque risque de confusion. Réponse du tribunal 53. Selon l'article L.711-4 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable le 20 juin 2013, "ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment : (...) b) A une dénomination ou raison sociale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ; (...)h) Au nom, à l'image ou à la renommée d'une collectivité territoriale". 54. Par application de l'article L.714-3 du même code, "est déclaré nul par décision de justice l'enregistrement d'une marque qui n'est pas conforme aux dispositions des articles L.711-1 à L.711-4". 55. L'article L.711-4 h) du code de la propriété intellectuelle n'ayant pas pour objet d'interdire aux tiers, de manière générale, de déposer en tant que marque un signe identifiant une collectivité territoriale, mais seulement de réserver cette interdiction au cas où résulte de ce dépôt une atteinte aux intérêts publics (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 23 juin 2009, no07-19.542). 56. En premier lieu, la seule pièce produite par le SFACL au titre de l'antériorité de ses droits sur la dénomination "[Localité 4]" est la fiche d'enregistrement de ce syndicat au répertoire Sirène qui mentionne son inscription en juin 2013 (pièce SFACL et [Localité 4] no1). 57. La marque semi-figurative française no4013824 ayant été déposée le 20 juin 2013, cette pièce est insuffisante à démontrer l'antériorité invoquée et, par conséquent, l'atteinte alléguée. 58. En second lieu, la seule circonstance que la marque litigieuse de la SAS Actiforge comporte l'élément verbal "[Localité 4]", pour désigner des "outils et instruments à main entraînés manuellement, coutellerie, fourchettes et cuillers, armes blanches, rasoirs tous les produits précités étant d'origine française ou fabriqués en France", ne constitue pas une atteinte au nom, à l'image ou à la renommée de la commune de [Localité 4]. 59. En effet, ainsi qu'il a été précédemment établi, la ville de [Localité 8] est également renommée pour sa production de couteaux [Localité 4] depuis plus d'un siècle et la commune de [Localité 4] n'est spontanément connue que de 7% des français (pièces Actiforge no9 à 11 et pièces SFACL et [Localité 4] no27). 60. De plus, l'élément verbal "[Localité 4]" de la marque litigieuse ne fait pas tant référence à la commune demanderesse qu'au couteau de poche éponyme, issu du langage courant. 61. Le moyen tiré de l'atteinte aux droits des membres du SFACL et de la commune de [Localité 4] sera, en conséquence, écarté. 62. Les moyens d'annulation soulevés par le SFACL et la commune de [Localité 4] au soutien de l'annulation de la marque semi-figurative française no4013824 de la SAS Actiforge étant écartés, sa demande à cette fin sera, en conséquence, rejetée. III - Sur la déchéance de la SAS Actiforge sur la marque litigieuse III.1 - S'agissant de la déchéance de la marque litigieuse pour caractère trompeur Moyens des parties 63. Le SFACL et la commune de [Localité 4] avancent que l'usage que la défenderesse fait de sa marque litigieuse est trompeur dans la mesure où elle use du signe évoquant le couteau de [Localité 4] sur son site internet, mais ne l'accompagne d'aucune mention claire relative au lieu de fabrication de ses produits et combine ce signe avec le dessin de l'abeille, autre élément marquant et iconique des couteaux de [Localité 4]. Les caractéristiques de cette marque font, selon eux, faussement référence à la commune de [Localité 4], déterminant ainsi le choix de la clientèle, alors que ses produits sont fabriqués à plus de deux cents kilomètres, induisant ainsi en erreur le consommateur sur l'origine géographique des produits commercialisés sous cette marque. 64. La SAS Actiforge objecte que le terme "[Localité 4]" qu'elle utilise dans ses communications commerciales désigne le couteau du même nom, non sa provenance géographique, qu'elle ne prétend à aucun moment que ses couteaux sont fabriqués à [Localité 4], mais précise qu'ils le sont à [Localité 8] ou dans les environs. Réponse du tribunal 65. L'article L.714-6 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version antérieure à l'ordonnance no2019-1169 du 13 novembre 2019 applicable aux faits de l'espèce, prévoit qu'encourt "la déchéance de ses droits le propriétaire d'une marque devenue de son fait (...) b) Propre à induire en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service". 66. La charge de la preuve de l'utilisation trompeuse de la marque après son enregistrement incombe au requérant (en ce sens TPICE, 14 mai 2009, aff. T-165/06, Elio Fiorucci c/ OHMI, Elio Fiorucci, § 36, interprétant les dispositions similaires du règlement CE no40/94 du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire).67. Le SFACL et la commune de [Localité 4] admettent dans leurs conclusions (page 41) que la SAS Actiforge n'affirme à aucun moment que ses couteaux non plus que ses autres produits sont fabriqués à [Localité 4]. 68. Ainsi qu'il a été précédemment établi, le terme "[Localité 4]" est un couteau de poche dans la langue française, en sorte que l'usage de la marque litigieuse contenant cet élément verbal dans le site internet de la défenderesse pour promouvoir la vente de ses produits n'est pas plus susceptible d'induire le consommateur en erreur sur la provenance géographique des produits commercialisés. 69. L'usage du signe d'une abeille stylisée est également lié au couteau [Localité 4] sur lequel il est couramment apposé sur la tête du ressort depuis le début du 20ème siècle (pièces SFACL et [Localité 4] no7 et no24). 70. Par ailleurs, la SAS Actiforge établit qu'elle met en avant sur son site internet que les couteaux qu'elle vend sont fabriqués à [Localité 8] ou dans les communes environnantes (ses pièces no1 et 1bis). 71. Or, il a été précédemment établi que la ville de [Localité 8] est également renommée pour sa production de couteaux [Localité 4] depuis plus d'un siècle et que la commune de [Localité 4] n'est spontanément connue que de 7% des français (pièces Actiforge no9 à 11 et pièces SFACL et [Localité 4] no27). 72. Enfin, la circonstance que les autres produits vendus par la SAS Actiforge ne seraient pas produits en France ne résulte d'aucune des pièces produites par le SFACL et la commune de [Localité 4] sur lesquels pèse la charge de cette preuve. 73. Le moyen tiré du caractère trompeur de l'usage de la marque semi-figurative française no4013824 de la SAS Actiforge sera, en conséquence, écarté. III.2 - S'agissant de la déchéance de la marque litigieuse pour absence d'usage Moyens des parties 74. Le SFACL et la commune de [Localité 4] argue que la défenderesse ne justifie pas de l'usage de sa marque litigieuse pour les fourchettes et cuillers d'origine française ou fabriqués en France, pour les outils et instruments à main entraînés manuellement, armes blanches et rasoirs, faute de preuve en ce sens et dans la mesure où le signe utilisé par la défenderesse diffère de la marque litigieuse, par l'ajout d'une abeille stylisée et du terme "Fabrication française". 75. La SAS Actiforge estime justifier depuis 2013 d'une commercialisation continue de couteaux fabriqués en France sous sa marque litigieuse, de même que pour les fourchettes et cuillères, outre que sa marque litigieuse figure sur ses supports commerciaux tels que plaquettes publicitaires, boitiers ou plumiers, et certificats de garantie. Réponse du tribunal 76. Aux termes de l'article L.714-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version antérieure à l'ordonnance no2019-1169 du 13 novembre 2019 applicable aux faits de l'espèce, "encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l'enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans.Est assimilé à un tel usage :a) L'usage fait avec le consentement du propriétaire de la marque ou, pour les marques collectives, dans les conditions du règlement ;b) L'usage de la marque sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif ;c) L'apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement exclusivement en vue de l'exportation.La déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée. Si la demande ne porte que sur une partie des produits ou des services visés dans l'enregistrement, la déchéance ne s'étend qu'aux produits ou aux services concernés.L'usage sérieux de la marque commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans visée au premier alinéa du présent article n'y fait pas obstacle s'il a été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l'éventualité de cette demande.La preuve de l'exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée. Elle peut être apportée par tous moyens.La déchéance prend effet à la date d'expiration du délai de cinq ans prévu au premier alinéa du présent article. Elle a un effet absolu". 77. Les textes susvisés exigent seulement que la marque exploitée ne diffère des marques enregistrées que par des éléments n'en altérant pas le caractère distinctif (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 3 juin 2014, no13-17.769). 78. La SAS Actiforge verse aux débats à titre de preuve d'usage :- une facture du 10 juillet 2017 d'édition de 5000 plaquettes publicitaires comprenant la marque semi-figurative française no4013824 (sa pièce no17A)- plusieurs bons de commande et factures, datées du 22 décembre 2016 au 1er juillet 2019 de divers produits, dont des cuillères de divers types (à café, à soupe), un service à fromage, un service à salade, des fourchettes (ses pièces no17B, 17C, 17E, 17F) supportant le signe suivant :- un bon de commande du 10 novembre 2017 pour l'apposition de la marque semi-figurative française no4013824 sur 220 plumiers (sa pièce no17H). 79. Elle verse, par ailleurs, des preuves tendant à établir que les produits qu'elle vend sont fabriqués à [Localité 8] ou dans les communes avoisinantes :- deux factures de poinçonnage "[Localité 4] Actiforge" des 3 mai 2016 et 30 juin 2017 par une entreprise domiciliée à [Localité 8] (ses pièces 21A et 21C)- trois factures des 1er mars 2018, 30 octobre 2020 et 30 novembre 2020, de "lames [Localité 4]", ressorts forgés, de poinçons, d'une entreprise domiciliée à [Localité 7] (ses pièces 22A à 22C)- une attestation du 9 novembre 2021 d'expert-comptable rapportant que 100% des lames de couteaux sont fournies, en 2019, 2020 et 2021, par deux entreprises situées dans le Puy-de-Dome et que ses fournisseurs pour les autres produits sont situés dans le Puy-de-Dome en 2019 à 85,59%, en 2020 à 85,56% et en 2021 à 84,28% (sa pièce no28)- plusieurs factures de la société H. Beligné & Fils de 2021 établissant qu'elle se fournit pour les modèles [Localité 4] Gilles et [Localité 4] Gentleman auprès de l'entreprise Fontenille-Pataud située à [Localité 8] (ses pièces no35 et 36)- neuf factures de 2021 et 2022 de la société Pereira Antonio située à [Localité 3] pour le polissage de couteaux (ses pièces 41). 80. Il ressort, également, du constat d'huissier des 15 et 16 avril 2020 produit par les demandeurs que la SAS Actiforge fait usage de sa marque : pour des couteaux à pain (pièce SFACL et [Localité 4] no7 page 323), des rasoirs à main (même pièce page 321) et des ménagères comportant couteaux, fourchettes et cuillères assorties (même pièce page 242). 81. Il résulte de l'ensemble, d'abord, que l'usage du signe incluant une abeille stylisée et les termes "Fabrication française" à la marque semi-figurative française no4013824 n'en altèrent pas le caractère distinctif, compte tenu que le premier élément figuratif est évocateur du couteau [Localité 4] et le second élément verbal se substituant à "France" est purement descriptif. 82. Ensuite, les pièces produites par la SAS Actiforge démontrent l'usage continu de la marque litigieuse, à tout le moins entre le 3 mai 2016 et le 4 mars 2022, pour des outils et instruments à main entraînés manuellement, coutellerie, fourchettes et cuillers, rasoirs et armes blanches, les couteaux de tous types étant assimilés à ces dernières, ainsi que, au moins pour partie, leur origine française ou fabriqués en France. 83. En conséquence, la demande du SFACL et de la commune de [Localité 4] de déchéance de la SAS Actiforge de sa marque semi-figurative française no4013824 pour défaut d'usage sérieux sera rejetée. IV - Sur la validité du modèle communautaire no008197107 IV.1 - S'agissant de la validité au regard de la nouveauté et du caractère propre du modèle litigieux Moyens des parties 84. Le SFACL et la commune de [Localité 4] concluent à l'annulation du modèle comunautaire no008197107 de la défenderesse pour défaut de nouveauté et de caractère individuel, ne se distinguant des modèles divulgués antérieurement que par des détails insignifiants, dans la mesure où ce modèle reprend le profil traditionnel des couteaux de [Localité 4], la lame pointue caractéristique et une mouche pour seul ornement, outre que le système d'ouverture à pompe n'est en rien nouveau. 85. La SAS Actiforge assure que ce modèle litigieux est nouveau, car il est doté d'un système d'ouverture à pompe fait en corde de piano nécessitant d'utiliser les deux mains pour l'ouvrir. Réponse du tribunal 86. Un dessin ou modèle communautaire soumis au droit de l'Union européenne consiste en "l'apparence d'un produit ou d'une partie de produit que lui confèrent, en particulier, les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture et/ou des matériaux du produit lui-même et/ou de son ornementation" aux termes de l'article 3 du Règlement (CE) 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires. 87. Aux termes de l'article 4 § 1 du même règlement, "la protection d'un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n'est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel". 88. L'article 5 dudit règlement précise que : "1. Un dessin ou modèle est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué au public:a) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois;b) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement du dessin ou modèle pour lequel la protection est demandée ou, si une priorité est revendiquée, la date de priorité.2. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants". 89. L'article 6 du même règlement énonce que : "1. Un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l'impression globale qu'il produit sur l'utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public:a) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois;b) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité.2. Pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle". 90. L'article 8 de ce règlement prévoit dans son paragraphe 1 que : "un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l'apparence d'un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique". 91. L'article 10 de ce même règlement dispose que : "1. La protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente.2. Pour apprécier l'étendue de la protection, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle". 92. Le modèle est nouveau lorsqu'il ne peut lui être opposé d'antériorité de toutes pièces, c'est-à-dire présentant toutes les caractéristiques du modèle en cause. 93. Un modèle présente un caractère propre dès lors que s'en dégage une impression visuelle d'ensemble qui lui permet de se démarquer des antériorités opposées, chacune individuellement en tous ses éléments pris dans leur combinaison (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 20 septembre 2016, no15-10.939). 94. L'appréciation de l'impression visuelle d'ensemble est opérée par référence à un observateur averti défini comme un observateur doté d'une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 3 avril 2013, no12-13.356). 95. Enfin, l'antériorité opposée doit avoir date certaine (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 26 octobre 2010, no09-67.107). 96. Le SFACL et la commune de [Localité 4] opposent neuf antériorités ayant dates certaines antérieures au modèle litigieux déposé le 8 octobre 2020. 97. Ils invoquent, également, un modèle "[Localité 4] Le Légende" comportant une encoche située au milieu ou au tiers supérieur du manche similaire à celle du modèle litigieux. Toutefois, ce modèle, présenté en différentes versions issues d'extraits de sites internets datées des 7 et 8 décembre 2021, non du 27 septembre 2020, ne peut donc être valablement opposé à ce titre. 98. Or, le modèle communautaire no008197107 présente une impression d'ensemble lui permettant de se démarquer des antériorités opposées en raison de l'encoche formant un creux située au tiers inférieur de son manche, peu important à cet égard que le système d'ouverture à pompe ne soit pas, en lui-même, nouveau, outre que le positionnement de cette encoche n'est pas exclusivement imposé par la fonction technique du produit. 99. Cette encoche située au tiers inférieur du manche confère au modèle litigieux un caractère propre pour l'observateur averti, défini comme l'amateur de couteaux de poche. 100. Dès lors, les antériorités opposées par le SFACL et la commune de [Localité 4] ayant date certaine ne sont destructrices ni de nouveauté ni de caractère propre ou individuel du modèle communautaire no008197107 et leur moyen en ce sens sera, en conséquence, rejeté. IV.2 - S'agissant de l'atteinte au nom [Localité 4] du modèle litigieux Moyens des parties 101. Le SFACL et la commune de [Localité 4] considèrent que le modèle litigieux revendique l'élément verbal "[Localité 4]" et, de ce fait, porte atteinte au nom de la commune de [Localité 4], lequel constitue un signe distinctif susceptible d'être opposé au modèle litigieux. 102. La SAS Actiforge réplique que la commune de [Localité 4] ne dispose pas d'un droit absolu sur son nom et que la gravure du terme "[Localité 4]" sur la lame de son modèle n'est pas constitutive d'une atteinte à son nom. Réponse du tribunal 103. L'article 25 du Règlement (CE) no6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires prévoit que "1. Un dessin ou modèle ne peut être déclaré nul que :(...) e) s'il est fait usage d'un signe distinctif dans un dessin ou modèle ultérieur et que le droit communautaire ou la législation de l'État membre concerné régissant ce signe confère au titulaire du signe le droit d'interdire cette utilisation (...)". 104. Au cas présent, la SAS Actiforge ne consteste pas que son modèle communautaire no008197107 revendique, dans sa fiche d'enregistrement, l'élément verbal "[Localité 4] Actiforge", ce qui résulte également de l'impression intégrale de cette fiche produite par les demandeurs (leur pièce no48). 105. Pour autant, il a été précédemment établi que cet élément verbal ne constitue pas un signe distinctif pour désigner en classe 8 pour les "outils et instruments à main entraînés manuellement, coutellerie, fourchettes et cuillers, armes blanches, rasoirs tous les produits précités étant d'origine française ou fabriqués en France". 106. Or, le modèle litigieux représente un type de couteau de poche de type "[Localité 4]", en sorte que l'usage de ce signe sur la lame représentée dans ce modèle ne constitue pas l'usage d'un signe distinctif, dès lors que cet élément verbal est dépourvu de distinctivité pour ce type de produits. 107. Aucun autre usage de signe distinctif n'étant critiqué par les demandeurs, le moyen tiré de l'atteinte au nom de [Localité 4] sera écarté. 108. En conséquence, la demande d'annulation du modèle communautaire no008197107 sera rejetée. V - Sur la concurrence déloyale et le parasitisme Moyens des parties 109. Le SFACL et la commune de [Localité 4] reprochent à la défenderesse de se placer dans le sillage des couteaux de [Localité 4] originaux, sans nécessité ni justification, dans le but de tromper le consommateur. Ils ajoutent qu'elle utilise une marque déceptive créant un risque de confusion avec leur nom ou leur dénomination sociale, cherche à profiter de manière illégitime de la réputation des couteliers de [Localité 4] dans sa communication et tente de se développer dans leur sillage en profitant de l'image de marque du couteau de [Localité 4] obtenue grâce aux investissements des couteliers du bassin de [Localité 4]. 110. La SAS Actiforge objecte qu'au contraire de ce que prétendent les demanderesses, elle participe elle-même au développement de la notoriété des couteaux [Localité 4] par la promotion qu'elle assure des artisans thiernois, lesquels en ont conservé le savoir-faire quand les aveyronnais en avaient cessé la fabrication. Réponse du tribunal 111. Aux termes de l'article 1240 du code civil, "tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer". 112. Conformément à l'article 9 du code de procédure civile, "il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention". 113. La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce, ce qui implique qu'un signe ou un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute, laquelle peut être constituée par la création d'un risque de confusion sur l'origine du produit dans l'esprit de la clientèle, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce. 114. L'appréciation de cette faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté de l'usage, l'originalité et la notoriété de la prestation copiée. 115. Le parasitisme, qui n'exige pas de risque de confusion, consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale économique et financière, 10 juillet 2018, pourvoi no16-23.694). 116. En premier lieu, s'agissant du grief de concurrence déloyale, la circonstance que la SAS Actiforge fasse usage du signe "[Localité 4]" pour promouvoir ses produits, notamment les couteaux de poche qu'elle offre à la vente, relève de la liberté du commerce et ne porte atteinte à aucun droit du SFACL ou de la commune de [Localité 4] compte tenu du caractère générique de ce signe pour désigner ces produits. 117. En second lieu, s'agissant du grief de parasitisme, le SFACL et la commune de [Localité 4], qui invoquent l'atteinte aux investissements consentis pour promouvoir le nom de "[Localité 4]", ne produisent aucune pièce permettant de caractériser ces investissements. 118. Le SFACL et la commune de [Localité 4] seront, en conséquence, déboutés de leur demande à ce titre. VI - Sur le dénigrement Moyens des parties 119. Le SFACL et la commune de [Localité 4] font valoir être la cible du dénigrement de la défenderesse dans sa communication, notamment une vidéo publiée sur son site internet et sur sa page Facebook dans laquelle elle affirme que le couteau de [Localité 4] ou le nom de [Localité 4] ne seraient pas protégeables, elle dénigre les couteliers et le village de [Localité 4], les présentant de façon ironique et peu flatteuse, elle se présente comme un des rares couteliers français fabricants de vrais couteaux, laissant entendre que ce ne serait pas le cas des autres couteliers, et elle qualifie la commune de [Localité 4] de "bonne petite ville d'Auvergne", alors qu'elle est dans l'Aveyron. 120. La SAS Actiforge conteste tout dénigrement contenu dans cette vidéo litigieuse et précise qu'afin de ne pas entrer en conflit avec les demandeurs, elle l'a supprimée de son site internet et de sa page Facebook. Réponse du tribunal 121. Aux termes de l'article 1240 du code civil, "tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer". 122. Conformément à l'article 9 du code de procédure civile, "il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention". 123. Même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 4 mars 2020, no18-15.651). 124. Au soutien de sa demande à ce titre, le SFACL et la commune de [Localité 4] versent aux débats cinq captures d'écran (leur pièce no19) dont il n'est pas contestée par la SAS Actiforge qu'elles sont extraites de sa page Facebook, <couteau-[Localité 4]-Actiforge>, et d'une vidéo qu'elle a postée sur le site internet <youtube.com> intitulée "l'histoire du couteau [Localité 4] ?". 125. La première capture d'écran comporte une partie gauche mentionnant des textes illisibles et une partie droite mentionnant : "d'où vient le fameux couteau [Localité 4] ?". La deuxième comporte une image composée d'un marteau et support en bois faisant référence à la justice américaine, d'une étiquette de produit marquée du terme "Label" barrée d'une croix rouge et du panneau routier d'entrée de ville de la commune de [Localité 4]. La troisième comporte un coffre-fort ouvert avec deux sacs pleins et un troisième duquel émergent des pièces d'or, celles-ci également répandues au pied du coffre-fort, un forgeron au centre et une enclume à droite. La quatrième est composée de deux bras aux biceps saillants, avants-bras relevés et poings serrés évoquant la force encadrant le panneau routier d'entrée de ville de [Localité 8] et les termes "200 ans" placés l'un au dessus, l'autre au-dessous de la composition précédente. La cinquième reprend sur fond bleu foncé le panneau routier d'entrée de ville de [Localité 4], un bâtiment stylisé à cheminée fumante mentionnant "[Localité 4]" au fronton, vers lequel convergent trois flèches d'un bleu moins foncé, l'ensemble couvert de quatre cercles rouges disposés en estampille, le terme "original" étant inscrit au-dessus et en-dessous d'un cartouche rouge barrant les cercles et mentionnant en capitales bleues sur fond rouge "Aveyron". 126. Ainsi, aucune de ces captures d'écran ne caractérise par elle-même ou dans leur combinaison les dénigrements allégués. En effet, le SFACL et la commune de [Localité 4] affirment sans le démontrer que la troisième capture d'écran vise les couteliers de [Localité 4], ce que rien ne corrobore. 127. De plus, le mention sur le site internet de la SAS Actiforge de la mention "l'équipe d'Actiforge vous propose mieux qu'un couteau [Localité 4]. Nous vous proposons Votre [Localité 4] Unique. Parce que vous êtes singulier, nous vous permettons d'avoir votre couteau personnalisé (...)" (pièce SFACL et [Localité 4] no5) ne contient aucun dénigrement des couteliers de [Localité 4], mais un argumentaire publicitaire en faveur d'une personnalisation payante. 128. Enfin, si le SFACL et la commune de [Localité 4] affirment que la communication de la SAS Actiforge a contenu ou contient des propos dénigrants des couteliers de [Localité 4] en dehors de cette vidéo litigieuse, dont le contenu n'a pas été versé aux débats, ils ne versent aucune pièce le démontrant. 129. Leur demande à ce titre sera, en conséquence, rejetée. VII - Sur les pratiques commerciales trompeuses Moyens des parties 130. Le SFACL et la commune de [Localité 4] font état de pratiques commerciales de la défenderesse trompeuses des consommateurs consistant à utiliser massivement le nom de [Localité 4] dans l'ensemble de sa communication pour faire croire qu'il s'agit de couteaux en provenant alors qu'elle est située à plus de 200 kilomètres, à laisser entendre qu'elle fabrique elle-même les couteaux qu'elle vend alors qu'elle ne possède aucun atelier de fabrication, à commercialiser divers couteaux régionaux dont on ne sait pas où ils sont fabriqués, à opérer des comparaisons trompeuses entre les indications géographiques protégées et son adhésion au système privé "Origine France Garantie", à entretenir la confusion entre le village de [Localité 4] et la ville de [Localité 8], à utiliser sa marque semi-figurative française no4013824 au caractère trompeur, de même que la mention "[Localité 4]" sur ces couteaux, à indiquer sur le site <soutenonsnosentreprises.fr> qu'elle est située à [Localité 4] dans la [Localité 5] et à mentionner qu'elle signe ses couteaux en frappant les lames à sa marque alors qu'elles sont marquées au laser. 131. La SAS Actiforge oppose que parmi les couteaux qu'elle commercialise, le [Localité 4] est son produit phare, raison pour laquelle il est mis à l'honneur dans sa communication. Elle ajoute qu'elle garantit une provenance française de ses produits, les laguioles qu'elle vend étant fabriqués de manière artisanale à [Localité 8] ou dans le bassin thiernois, seule la gravure personnalisée à la demande étant réalisée au laser, tandis qu'elle n'a, à aucun moment, indiqué que ses couteaux seraient fabriqués à [Localité 4], qu'elle ne saurait être tenue pour responsable des propos erronés figurant sur des sites tiers et qu'elle dispose d'un atelier de fabrication adapté à son activité. Réponse du tribunal 132. L'article L.121-1 du code de la consommation dispose que "les pratiques commerciales déloyales sont interdites.Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service.Le caractère déloyal d'une pratique commerciale visant une catégorie particulière de consommateurs ou un groupe de consommateurs vulnérables en raison d'une infirmité mentale ou physique, de leur âge ou de leur crédulité s'apprécie au regard de la capacité moyenne de discernement de la catégorie ou du groupe.Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L.121-2 à L.121-4 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L.121-6 et L.121-7". 133. L'article L.121-2 du même code ajoute que "une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes :1o Lorsqu'elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d'un concurrent ;2o Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants :a) L'existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, notamment au regard des règles justifiant l'apposition des mentions " fabriqué en France " ou " origine France " ou de toute mention, signe ou symbole équivalent, au sens du code des douanes de l'Union sur l'origine non préférentielle des produits, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, notamment son impact environnemental, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ;c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix notamment les réductions de prix au sens du I de l'article L.112-1-1, les comparaisons de prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ;d) Le service après-vente, la nécessité d'un service, d'une pièce détachée, d'un remplacement ou d'une réparation ;e) La portée des engagements de l'annonceur, notamment en matière environnementale, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de services ;f) L'identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel ;g) Le traitement des réclamations et les droits du consommateur ;3o Lorsque la personne pour le compte de laquelle elle est mise en oeuvre n'est pas clairement identifiable ;4o Lorsqu'un bien est présenté comme étant identique à un bien commercialisé dans un ou plusieurs autres Etats membres alors qu'il a une composition ou des caractéristiques différentes". 134. Selon l'article L.121-3 du même code, "une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l'entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu'elle n'indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte.Lorsque le moyen de communication utilisé impose des limites d'espace ou de temps, il y a lieu, pour apprécier si des informations substantielles ont été omises, de tenir compte de ces limites ainsi que de toute mesure prise par le professionnel pour mettre ces informations à la disposition du consommateur par d'autres moyens.Dans toute communication commerciale constituant une invitation à l'achat et destinée au consommateur mentionnant le prix et les caractéristiques du bien ou du service proposé, sont considérées comme substantielles les informations suivantes :1o Les caractéristiques principales du bien ou du service ;2o L'adresse et l'identité du professionnel ;3o Le prix toutes taxes comprises et les frais de livraison à la charge du consommateur, ou leur mode de calcul, s'ils ne peuvent être établis à l'avance ;4o Les modalités de paiement, de livraison et d'exécution, dès lors qu'elles sont différentes de celles habituellement pratiquées dans le domaine d'activité professionnelle concerné ;5o L'existence d'un droit de rétractation, si ce dernier est prévu par la loi ;6o La qualité de professionnel ou non du vendeur qui propose des produits sur une place de marché, telle qu'elle a été déclarée à l'opérateur de la place de marché en ligne.Lorsque le consommateur peut rechercher des produits offerts par différents professionnels ou par des particuliers à partir d'une requête consistant en un mot clé, une phrase ou la saisie d'autres données, sont réputées substantielles les informations mises à sa disposition concernant les principaux paramètres qui déterminent le classement des produits qui lui sont présentés et leur ordre d'importance. Ces informations doivent figurer dans une rubrique spécifique de l'interface en ligne, directement et aisément accessible à partir de la page sur laquelle les résultats de la requête sont présentés.Lorsqu'un professionnel donne accès à des avis de consommateurs sur des produits, les informations permettant d'établir si et comment le professionnel garantit que les avis publiés émanent de consommateurs ayant effectivement utilisé ou acheté le produit sont réputées substantielles". 135. En l'espèce, le SFACL et la commune de [Localité 4], à l'appui de leur demande à ce titre, versent aux débats :- un constat d'huissier des 15 et 16 avril 2020 duquel il résulte que la SAS Actiforge offre à la vente sur son site internet <couteau-[Localité 4].com> différents types de couteaux, dont un type de couteau de poche dénommé "couteau pliant [Localité 4]" proposé en différents modèles ; que la défenderesse est présentée sur le site <soutenonsnosentreprises.fr> comme située à [Localité 4] dans le département de la [Localité 5] ; que cette dernière fait état de son adhésion à l'association ProFrance, promouvant le signe "Origine France Garantie" (leur pièce no7)- un article du magazine Pyrénées paru en 2021 reprenant les informations du site internet de la défenderesse et un échange de courriels du 13 décembre 2021 avec une journaliste de ce magazine (leurs pièces no53 et 54). 136. Toutefois, la circonstance que la SAS Actiforge use du terme "[Localité 4]" pour désigner les couteaux de poche fabriqués à [Localité 8] ou dans le bassin thiernois qu'elle vend, n'est pas constitutif d'une tromperie du consommateur. En effet, cette dernière démontre par les pièces qu'elle produit, qu'elle revend des couteaux laguioles produits par des entreprises de ce secteur (ses pièces 21, 22, 28, 35, 36 et 41 sus-détaillées) et le concours du bassin thiernois à la préservation du savoir-faire traditionnel de la fabrication artisanale du couteau [Localité 4] ressort de la synthèse de l'enquête publique publiée par l'INPI portant sur la demande d'indication géographique du couteau de [Localité 4] (pièce Actiforge no25 page 4 et 5). 137. L'usage du signe "Origine France Garantie" n'est pas plus constitutif d'une tromperie, dès lors que les demandeurs reconnaissent eux-mêmes que cette affiliation de la SAS Actiforge est délivrée par la société Veritas (leurs conclusions page 71), ce que les pièces de la défenderesse confirment (pièce Actiforge no14). 138. Le fait que la SAS Actiforge ne dispose que d'un atelier de 15 mètres carrés situé à [Localité 6] ne lui interdit pas de se prévaloir de la qualité de fabricant, quand bien même la majorité de ses ventes sont, en réalité, des reventes, dès lors que son site internet fait référence aux entreprises artisanales auprès desquelles elle se fournit (pièce Actiforge no27 et pièce SFACL et [Localité 4] no7). 139. L'offre à la vente d'autres types de couteaux régionaux par la SAS Actiforge sur son site internet n'est pas non plus constitutif d'une tromperie, aucune mention spécifique autre que leur fabrication en France n'étant vantée sur son site internet (pièce SFACL et [Localité 4] no7). 140. L'usage par la SAS Actiforge de sa marque semi-figurative française no4013824 ne constitue pas une tromperie, le moyen d'annulation de ce chef des demandeurs ayant été rejeté. 141. Les mentions erronées du site <soutenonsnosentreprises.fr> ne sont pas imputables à la SAS Actiforge, dès lors qu'il n'est pas démontré qu'elle en est l'auteur. 142. Enfin la circonstance que le marquage des couteaux vendus par la SAS Actiforge serait intégralement effectué au laser ne résulte d'aucune pièce, la défenderesse reconnaissant que seul le marquage individualisé est opéré par ce procédé. La mention d'un marquage par frappe sur le site internet de la défenderesse n'est, de ce fait, pas trompeur. 143. La demande à ce titre du SFACL et de la commune de [Localité 4] sera, en conséquence, rejetée. 144. Les demandes principales du SFACL et de la commune de [Localité 4] étant rejetées, leurs demandes en indemnisation, en publication, en interdiction du terme "[Localité 4]" et en astreinte, seront rejetées par voie de conséquence. VIII - Sur la demande reconventionnelle en procédure abusive Moyens des parties 145. La SAS Actiforge demande la condamnation des demandeurs à l'indemniser en raison du caractère manifestement abusif de la procédure. 146. Le SFACL et la commune de [Localité 4] concluent au rejet de cette demande eu égard au caractère légitime de leur action. Réponse du tribunal 147. L'article 1240 du code civil prévoit que "tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer". 148. En application de l'article 32-1 du code de procédure civile, "celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 € sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés". 149. Le droit d'agir en justice participe des libertés fondamentales de toute personne. Il dégénère en abus constitutif d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil lorsqu'il est exercé en connaissance de l'absence totale de mérite de l'action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant le défendeur à se défendre contre une action que rien ne justifie sinon la volonté d'obtenir ce que l'on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté. 150. En l'espèce, la seule circonstance que les demandes du SFACL et de la commune de [Localité 4] soient pour partie rejetées n'est pas de nature à faire dégénérer leur action en abus, l'une de ces demandes ayant été accueillie. 151. En outre, la SAS Actiforge, qui procède par voie d'affirmation dans ses écritures quant au caractère abusif de l'action des demandeurs, ne justifie d'aucun préjudice distinct des frais exposés pour se défendre en justice, lesquels sont indemnisés au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 152. En conséquence, sa demande reconventionnelle pour procédure abusive sera rejetée. IX - Sur les autres demandes IX.1 - S'agissant des dépens 153. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie. 154. L'article 699 du même code prévoit que "les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.La partie contre laquelle le recouvrement est poursuivi peut toutefois déduire, par compensation légale, le montant de sa créance de dépens". 155. Le SFACL et de la commune de [Localité 4], parties perdantes, seront condamnées aux dépens, avec distraction au profit de l'avocat de la SAS Actiforge, conformément à sa demande. IX.2 - S'agissant des frais non compris dans les dépens 156. L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation. 157. Le SFACL et la commune de [Localité 4], parties tenues aux dépens, seront condamnées à verser 10 000 euros à la SAS Actiforge au titre des frais non compris dans les dépens. IX.3 - S'agissant de l'exécution provisoire 158. Selon l'article 515 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable à la date de l'assignation, "hors les cas où elle est de droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d'office, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi.Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation". 159. L'exécution provisoire sera ordonnée, étant nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire et la demande de la SAS Actiforge tendant à écarter l'exécution provisoire sera rejetée, compte tenu du rejet des demandes principales. PAR CES MOTIFS Le tribunal, REJETTE la demande de la SAS Actiforge tirée de la forclusion de l'action du syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de [Localité 4] et de la commune de [Localité 4] par tolérance de sa marque semi-figurative française no4013824 ; DÉBOUTE le syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de [Localité 4] et la commune de [Localité 4] de leur demande d'annulation de la marque semi-figurative française no4013824 de la SAS Actiforge ; DÉBOUTE le syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de [Localité 4] et la commune de [Localité 4] de leur demande de déchéance de la SAS Actiforge de sa marque semi-figurative française no4013824 pour défaut d'usage sérieux ; DÉBOUTE le syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de [Localité 4] et la commune de [Localité 4] de leur demande d'annulation du modèle communautaire no008197107 de la SAS Actiforge ; DÉBOUTE le syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de [Localité 4] et la commune de [Localité 4] de leur demande en concurrence déloyale et parasitisme ; DÉBOUTE le syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de [Localité 4] et la commune de [Localité 4] de leur demande en dénigrement; DÉBOUTE le syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de [Localité 4] et la commune de [Localité 4] de leur demande en pratiques commerciales trompeuses ; DÉBOUTE le syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de [Localité 4] et la commune de [Localité 4] de leurs demandes en indemnisation, en publication, en interdiction du terme "[Localité 4]" et en astreinte ; DÉBOUTE la SAS Actiforge de sa demande en procédure abusive ; CONDAMNE le syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de [Localité 4] et la commune de [Localité 4] aux dépens, avec droit pour Maître Denis Gantelme, avocat au barreau de Paris, de recouvrer ceux dont il a fait l'avance sans recevoir provision ; DÉBOUTE le syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de [Localité 4] et la commune de [Localité 4] de leurs demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile ; CONDAMNE le syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de [Localité 4] et la commune de [Localité 4] à payer 10 000 euros à la SAS Actiforge en application de l'article 700 du code de procédure civile ; REJETTE la demande de la SAS Actiforge d'écarter l'exécution provisoire de droit. Fait et jugé à Paris le 14 juin 2023 La greffière Le président
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JURITEXT000047878960
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 11 mai 2023, 21/14390
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2023-05-11
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/14390
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 21/14390 No Portalis 352J-W-B7F-CVQ44 No MINUTE : Assignation du :16 novembre 2021 JUGEMENT rendu le 11 mai 2023 DEMANDEURS S.A.S. [D] HUI[Adresse 4][Localité 10] Monsieur [N] [D][Adresse 2][Localité 6] représentés par Me Catherine VERNERET de la SELAS DS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #T0007 DÉFENDERESSES S.A.S.U. GW HOTEL[Adresse 3][Localité 5] S.A.S.U. HN6 SIGNATURE[Adresse 3][Localité 5] représentées par Me Juliette LEFEVRE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0310 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation DEBATS A l'audience du 27 février 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 11 mai 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE 1. La société par actions simplifiée [D] Hui, immatriculée au RCS de Bobigny depuis le 15 décembre 2016, exploite sous le nom "Le Galanga" un restaurant thaïlandais situé à [Localité 10], sur les bords du canal de l'Ourq. 2. Monsieur [N] [D] est le dirigeant de cette société. Il a déposé le 26 février 2018, la marque verbale française "Le Galanga", enregistrée sous le no 4432004, pour désigner en classe 39 les services de distribution (livraison de produits) et en classe 43 les services de restauration (alimentation), de bars, de traiteurs et les services hôteliers. 3. La société GW Hotel exploite plusieurs hôtels à Paris dont l'hôtel cinq étoiles Monsieur George situé au [Adresse 1] dans le [Localité 7] qui propose à ses clients un restaurant d'inspiration asiatique, référencé au guide Michelin. 4. M. [N] [D] et la société [D] Hui indiquent avoir découvert que le restaurant d'inspiration asiatique établi au sein de l'hôtel Monsieur George est dénommé "Galanga" et que la société HN6 Signature a déposé la marque verbale française "Galanga" le 13 septembre 2019 pour désigner les produits et services de la classe 43, à savoir les services de restauration (alimentation), d'hébergement temporaire, les services de bars, de traiteurs, les services hôteliers et de réservation de logements temporaires. 5. Estimant qu'il était ainsi porté atteinte à leurs droits, ils ont par courrier du 20 avril 2021, mis en demeure la société HN6 Signature de cesser ces agissements. 6. La société HN6 Signature a, postérieurement à ce courrier, déposé: - la marque verbale française "Galanga By Monsieur Georges"pour désigner les services de la classe 43, le 20 juillet 2021; - la marque verbale française "Galanga Paris", le 23 juillet 2021, pour désigner les services de la classe 43 et notamment les services de restauration, de bars et les services hôteliers. 7. Par actes du 16 novembre 2021, M. [N] [D] et la société [D] Hui ont fait assigner les sociétés GW Hotel et HN6 Signature devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de marque et concurrence déloyale, afin que soit ordonné l'arrêt de l'activité de service de restauration sous le nom "Galanga". 8. Le 25 janvier 2022, la société HN6 Signature a renoncé aux marques "Galanga" et "Galanga Paris"afin de ne conserver que la marque "Galanga by Monsieur George" pour exploiter le restaurant de l'hôtel Monsieur George, ce dont elle a informé M. [N] [D] et la société [D] Hui par courrier du 15 février 2022. 9. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 mai 2022, M. [N] [D] et la société [D] Hui demandent au tribunal, au visa du livre VII du code de la propriété intellectuelle, des articles 1383-2 et 1240 du Code civil, de l'article 10 bis de la Convention de l'Union de Paris, et des articles L. 121-2 et suivants du code de la consommation, de : - Dire et juger qu'en renonçant à leurs marques « Galanga» (no4581465) et « Galanga Paris » (no4787521) suite à l'assignation qui leur a été délivrée, les sociétés GW Hotel et HN6 Signature ont reconnu les faits de contrefaçon commis au préjudice des demandeurs, ce qui a valeur d'aveu judiciaire ; - Dire et juger que l'offre en vente, la mise sur le marché et la commercialisation de services de restauration par les sociétés GW Hotel et HN6 Signature reproduisant ou imitant les caractéristiques de la marque verbale "Le Galanga" no4432004 de M. [D] constituent des actes de contrefaçon de droits de marque, conformément aux dispositions du Livre VII du code de la propriété intellectuelle et notamment des articles L 713.1 et suivants, L 716.1 et suivants et L 716.9 et L 716.10 et L 716.7 et suivants, ainsi que des actes de concurrence déloyale et de parasitisme en application de l'article 1240 du Code civil et de l'article 10 bis de la Convention de l'Union de Paris et ce au préjudice de la société [D] Hui; En conséquence : - Faire interdiction totale et immédiate aux sociétés GW Hotel et HN6 Signature d'exposer, d'offrir en vente, de mettre sur le marché et de commercialiser des services des classes 39 et 43 seul ou en combinaison avec d'autres éléments, ou de toute autre dénomination susceptible de créer une confusion avec la marque verbale "Le Galanga" no4432004, pour des services identiques à ceux qu'ils commercialisent à quelque titre et sur quelque support que ce soit, et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée et de 7.000 euros par jour de retard, et ce, à compter du prononcé du jugement, la juridiction de céans se réservant le droit de procéder à la liquidation de l'astreinte; - Annuler les marques françaises "Galanga" no4581465, "Galanga by Monsieur George" no4786454 et enfin "Galanga Paris" no4787521 du fait des droits antérieurs de M. [N] [D] et de la société [D] Hui sur le nom "Galanga"; - Condamner chacune des sociétés GW Hotel et HN6 Signature à payer à M. [N] [D] la somme de 20.000 euros au titre des actes de contrefaçon de sa marque ;- Condamner chacune des sociétés GW Hotel et HN6 Signature à payer à la société SAS [D] Hui la somme de 20.000 euros au titre des atteintes à son nom commercial et son enseigne ; - Ordonner la publication aux frais exclusifs des sociétés GW Hotel et HN6 Signature du communiqué judiciaire suivant : « Par décision du [.], le Tribunal judiciaire de Paris, à la demande de Monsieur [D] et la société SAS [D] HUI, interdit aux sociétés GW Hotel et HN6 Signature, toute commercialisation de service de restauration, de bars, de traiteurs ou encore des services hôteliers sous le nom Galanga seul ou associé à un autre signe, sous quelque forme et à quelque titre que ce soit et notamment à titre de marque, de dénomination sociale, de nom commercial, nom de domaine ou d'enseigne, sur tous supports » dans 5 journaux et revues de presse française au choix discrétionnaire de M. [N] [D] et de la société [D] Hui et aux frais exclusifs de sociétés GW Hotel et HN6 Signature et ce, sans que le coût global de cette publication n'excède la somme de 20.000 euros H.T augmentée de la T.V.A au taux en vigueur au jour de la facturation, somme qui devra être consignée entre les mains de Monsieur le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris dans le délai de 48 heures à compter de la signification du jugement à intervenir, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard. Le Tribunal dira que Monsieur le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris attribuera cette somme sur production de la commande de ces publications;- Ordonner la publication permanente du dispositif de la décision à intervenir sur la page d'accueil de tous les sites Internet des sociétés GW Hotel et HN6 Signature, en langue française ou anglaise, et notamment sur le site Internet à l'adresse monsieurgeorge.com, pendant 3 mois, et ce dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard ; - Dire que ces publications devront s'afficher de façon visible en lettres de taille suffisante, aux frais des sociétés GW Hotel et HN6 Signature, en dehors de tout encart publicitaire et sans mention ajoutée, dans un encadré de 468x120 pixels : le texte qui devra s'afficher en partie haute et immédiatement visible de la page d'accueil devant être précédé du titre Avertissement judiciaire en lettres capitales et gros caractères ;- Fixer le point de départ des astreintes prononcées à l'expiration du délai de 48 heures à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir et s'en réserver expressément la liquidation ;- Dire que les condamnations porteront sur tous les faits illicites commis jusqu'au jour du prononcé du jugement à intervenir ; - Condamner les sociétés GW Hotel et HN6 Signature à payer chacune à M. [N] [D] et à la société [D] Hui la somme de 20.000 euros chacune, par application de l'article 700 du code de procédure civile ; - Condamner sociétés GW Hotel et HN6 Signature aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés par Me Charles-Antoine Joly, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. 10. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 juin 2022, les sociétés HN6 Signature et GW Hotel et demandent au tribunal, au visa des articles L. 713-1 et suivants, de l'article 1240 du code civil, de l'article L. 121-1 du code de la consommation, de l'article 32-1 et de l'article 700 du code de procédure civile, de : A titre principal :- Dire et juger que le dépôt et/ou l'exploitation des marques "Galanga" et "Galanga Paris" n'a pas constitué une contrefaçon de la marque "Le Galanga" ;- Dire et juger que l'exploitation de la marque "Galanga by Monsieur George" ne constitue pas une contrefaçon de la marque "Le Galanga" ;- Dire et juger que les sociétés HN6 Signature et GW Hotel ne sont pas coupables d'actes de concurrence déloyale ou de parasitisme ; - Dire et juger que les sociétés HN6 Signature et GW Hotel ne sont pas coupables de pratiques commerciales déloyales sur le fondement de l'article L. 121-1 du code de la consommation ;- Constater l'absence de préjudice pour M. [N] [D] et la société [D] Hui ;En conséquence - Débouter M. [N] [D] et la société [D] Hui de toutes leurs demandes, fins et prétentions à leur égard ;- Condamner M. [N] [D] à payer, respectivement, à la société HN6 Signature et à la société GW Hotel, la somme de 3 000 euros pour procédure abusive ;- Condamner Monsieur [N] [D] à payer, respectivement, à la société HN6 Signature et la société GW Hotel la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;- Condamner la société [D] Hui à payer respectivement à la société HN6 Signature et à la société GW Hotel, la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.- Condamner la société [D] Hui et Monsieur [N] [D] aux entiers dépens. L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 juin 2022 et l'affaire a été renvoyée à l'audience du 27 février 2023. MOTIFS Sur la contrefaçon de la marque "Le Galanga" Moyens des parties 11. La société [D] Hui et M.[N] [D] font tout d'abord valoir qu'en renonçant aux marques "Galanga" et "Galanga Paris", les sociétés GW Hotel et HN6 Signature ont implicitement reconnu la matérialité des faits de contrefaçon reprochés, ce qui s'apparente, selon eux, à un aveu judiciaire. Aux fins de caractériser la contrefaçon de la marque "Le Galanga", dont ils défendent la forte distinctivité, ils exposent que les signes en litige sont quasi-identiques, le terme "Galanga" étant placé en position d'attaque des signes litigieux. Ils contestent à ce titre la banalité du terme "galanga", soutenue par les défendeurs et mettent en exergue le fait qu'ils l'ont eux-même choisi à deux reprises pour exercer leur activité de restauration. Ils ajoutent que seuls deux autres restaurants situés à [Localité 9] et [Localité 8], portent le nom "Galanga", si bien que ce terme ne peut être qualifié d'usuel dans la profession. Ils ajoutent que les services désignés par les marques en litige sont identiques s'agissant de services de restauration d'inspiration asiatique. Ils en concluent que cela est de nature à générer une confusion dans l'esprit du public pertinent qui pourrait croire à l'existence un lien entre les deux établissements. 12. Les sociétés GW Hotel et HN6 Signature contestent tout aveu judicaire qui pourrait résulter de leur renonciation aux marques "Galanga" et "Galanga Paris", alors qu'elles n'ont jamais exploité ces marques puisque le restaurant a toujours été associé au nom de l'hôtel Monsieur George. Elles rappellent, en tout état de cause, que le seul dépôt de ces marques ne peut constituer, à lui seul, un acte de contrefaçon faute d'exploitation de la marque dans la vie des affaires. Contestant tout fait de contrefaçon, les défenderesses soutiennent enfin que le terme "galanga", en ce qu'il désigne un ingrédient fréquemment utilisé dans la cuisine thaïlandaise, évoque la gastronomie asiatique et n'est donc pas un signe particulièrement distinctif et fort pour désigner un restaurant qui propose une telle cuisine. S'agissant du terme "Galanga by Monsieur George", les sociétés GW Hotel et HN6 Signature font valoir que tout risque de confusion est exclu car les signes en litige sont très différents, tant sur les plans visuel, l'un étant beaucoup plus long que l'autre, phonétique, le dernier mot "George" retenant l'attention du consommateur qui l'a prononcé, et conceptuel puisque le mot "by" permet de comprendre que le restaurant est géré est appartient à l'hôtel Monsieur George, qui devient alors l'élément dominant. Elles estiment ainsi que le public pertinent ne peut se méprendre sur l'origine des produits et services désignés par les signes en conflit. Elles ajoutent, s'il en était besoin, que les demandeurs ne font aucune démonstration du préjudice qu'ils allèguent. Appréciation du tribunal 13. Conformément aux dispositions de l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle, " est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :1o D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;2o D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque. " 14. L'article L. 713-3-1 du code de la propriété intellectuelle précise que " sont notamment interdits, en application des articles L. 713-2 et L. 713-3, les actes ou usages suivants :1o L'apposition du signe sur les produits ou sur leur conditionnement ;2o L'offre des produits, leur mise sur le marché ou leur détention à ces fins sous le signe, ou l'offre ou la fourniture des services sous le signe ;3o L'importation ou l'exportation des produits sous le signe ;4o L'usage du signe comme nom commercial ou dénomination sociale ou comme partie d'un nom commercial ou d'une dénomination sociale ;5o L'usage du signe dans les papiers d'affaires et la publicité ;6o L'usage du signe dans des publicités comparatives en violation des dispositions des articles L. 122-1 à L. 122-7 du code de la consommation ;7o La suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée.Ces actes et usages sont interdits même s'ils sont accompagnés de mots tels que : " formule, façon, système, imitation, genre, méthode ". 15. Aux termes des dispositions de l'article L. 716-4 du code de la propriété intellectuelle, l'atteinte portée au droit du titulaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Par ailleurs, constitue une atteinte aux droits attachés à la marque la violation des interdictions prévues aux articles L. 713-2 , L. 713-3-3 et au deuxième alinéa de l'article L. 713-4 du code de la propriété intellectuelle. 16. La caractérisation de la contrefaçon est subordonnée à la démonstration de l'usage du signe litigieux dans la vie des affaires, c'est-à-dire dans le contexte d'une activité commerciale visant à un avantage économique (CJUE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal) de telle manière que cela porte atteinte aux fonctions de la marque. 17. Interprétant les dispositions de l'article 5 § 1 de la première Directive du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques (89/104/CEE), dont les dispositions précitées réalisent la transposition en droit interne, la Cour de Justice des Communautés européennes a dit pour droit que, constitue un risque de confusion au sens de ce texte, le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d'entreprises liées économiquement (voir arrêt Canon, C-39/97, point 29 ; arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97 ). Selon cette même jurisprudence, l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce (voir, arrêt SABEL, C-251/95, point 22), cette appréciation globale impliquant une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte (voir arrêt Canon, point 17). 18. L'appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par celles-ci, en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants. Aux fins de cette appréciation globale, le consommateur moyen de la catégorie de produits concernée est censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (voir, arrêt Gut Springenheide et Tusky, C-210/96, point 31 ; arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97, point 26). 19. Afin d'apprécier le degré de similitude existant entre les marques concernées, la juridiction nationale doit déterminer leur degré de similitude visuelle, auditive et conceptuelle et, le cas échéant, évaluer l'importance qu'il convient d'attacher à ces différents éléments, en tenant compte de la catégorie de produits ou services en cause et des conditions dans lesquelles ils sont commercialisés (voir arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97 ). Enfin, pour apprécier la similitude entre des produits ou des services, il y a lieu de tenir compte de tous les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport entre ces produits ou ces services; ces facteurs incluent, en particulier, leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire (voirarrêt Canon, C-39/97, point 23). 20. L'appréciation de la similitude entre deux marques ne peut se limiter à prendre en considération uniquement un composant d'une marque complexe et à le comparer avec une autre marque. Il y a lieu, au contraire, d'opérer la comparaison en examinant les marques en cause considérées chacune dans son ensemble (arrêt OHMI/Shaker, point 41). 21. L'impression d'ensemble produite dans la mémoire du public pertinent par une marque complexe peut, dans certaines circonstances, être dominée par un ou plusieurs de ses composants. Toutefois, ce n'est quesi tous les autres composants de la marque sont négligeables que l'appréciation de la similitude pourra se faire sur la seule base de l'élément dominant (arrêts OHMI/Shaker, points 41 et 42, ainsi que Nestlé/OHMI, points 42 et 43). 22. À cet égard, la Cour a précisé qu'il n'est pas exclu qu'une marque antérieure, utilisée par un tiers dans un signe composé comprenant la dénomination de l'entreprise de ce tiers, conserve une position distinctive autonome dans le signe composé. Dès lors, aux fins de la constatation d'un risque de confusion, il suffit que, en raison de la position distinctive autonome conservée par la marque antérieure, le public attribue également au titulaire de cette marque l'origine des produits ou des services couverts par le signe composé (arrêt Medion, C-120/04, points 30 et 36). 23. Cependant, un élément d'un signe composé ne conserve pas une telle position distinctive autonome si cet élément forme avec le ou les autres éléments du signe, pris ensemble, une unité ayant un sens différent par rapport au sens desdits éléments pris séparément (voir, en ce sens,ordonnance ecoblue/OHMI et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C-23/09 P, point 47; arrêt Becker/Harman International Industries, points 37 et 38 ; ordonnance Perfetti Van Melle/OHMI, points 36 et37 ; arrêt Bimbo Sa c/ OHMI et Panrico, C-591/12 P, points 26 à 29). 24. En l'espèce, il est établi, par les pièces versées aux débats, que M. [D] est titulaire de la marque verbale française "Le Galanga" no4432004 déposée le 26 février 2019 pour désigner les services de la classe 39, en particulier les services de distribution (livraison de produits) et ceux de la classe 43, à savoir les services de restauration (alimentation), de bars, de traiteurs et les services hôteliers. Il exploite depuis 2016, sous ce signe, un restaurant thaïlandais. 25. De même, les extraits de la base de données de l'INPI versés aux débats permettent d'établir que la société HN6 Signature a totalement renoncé à la marque verbale française "Galanga" déposée le 13 septembre 2019 et à la marque verbale française "Galanga Paris" déposée le 23 juillet 2021,désignant toutes deux les services de la classe 43. Elle n'est donc plus titulaire, à la date où le tribunal statue, que de la marque verbale française "Galanga By Monsieur Georges" déposée le 20 juillet 2021 pour désigner les services de la classe 43. 26. La renonciation par la société HN6 Signature aux deux marques "Galanga" et "Galanga Paris" ne saurait constituer un aveu judiciaire de l'existence de faits de contrefaçon au sens de l'article 1382-2 du Code civil. En effet, outre le fait que l'aveu ne peut résulter que de la reconnaissance en justice d'un fait par une partie, l'aveu exige, de la part de son auteur, une manifestation non équivoque de la sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques (Civ. 3e, 4 mai 1976), ce qui n'est pas le cas en l'espère. 27. Par ailleurs, M. [D] et la société [D] Hui ne rapportent nullement la preuve que ces deux marques "Galanga" et "Galanga Paris" ont été utilisées dans la vie des affaires avant la renonciation par la société H6 Signature. Or, il est constant qu'un simple dépôt de marque ne peut consituer un acte de contrefaçon à défaut de démonstration d'un tel usage. En effet, la demande d'enregistrement d'un signe en tant que marque ne constitue pas un acte de contrefaçon dès lors qu'une telle demande, même lorsqu'elle est accueillie, ne caractérise pas un usage pour des produits ou des services en l'absence de tout début de commercialisation de produits ou services sous le signe et qu'en pareil cas, aucun risque de confusion dans l'esprit du public et, par conséquent, aucune atteinte à la fonction essentielle d'indication d'origine de la marque, ne sont susceptibles de se produire (Com., 13 octobre 2021, pourvoi no 19-20.504 - Com., 13 octobre 2021, pourvoi no 19-20.959). La demande fondée sur la contrefaçon ne peut donc prospérer concernant ces deux marques. 28. Il n'est en revanche pas contesté que la marque verbale française "Galanga By Monsieur Georges", dont est toujours titulaire la société HN6 Signature, est utilisée pour désigner le service de restauration de l'hôtel Monsieur Georges exploité par la société GW Hotel, ce qui constitue un usage du signe dans la vie des affaires. 29. Les services désignés par les deux signes en litige sont également pour partie identiques, dans la mesure où ils concernent les services de la classe 43 de restauration (alimentation), bars, traiteurs et services hôteliers. 30. Les signes n'étant quant à eux pas identiques, il convient de rechercher s'il existe entre "Le Galanga" d'une part et "Galanga by Monsieur George" d'autre part, un risque de confusion pour le public pertinent qui est, au cas d'espèce, un consommateur de produits de restauration, amateur de restaurants, en particulier de cuisine asiatique, notamment thaïlandaise. 31. Sur le plan visuel comme auditif, les signes en présence apparaissent d'emblée différents: En effet, la marque première est composée du mot "galanga" précédé du déterminant défini "le" tandis que la marque seconde est une marque composée dans laquelle sont ajoutés au terme "galanga" les mots "By Monsieur Georges". En plus d'être visuellement plus longue (24 caractères contre 9), la marque seconde se distingue sur le plan phonétique par des sonorités différentes. 32. Certes, le terme "galanga" qui compose la marque antérieure se retrouve dans la marque seconde en position d'accroche, à laquelle le consommateur accorde traditionnellement une attention plus importante. Cependant, ainsi que le soulignent justement les défenderesses, ce terme est défini dans le dictionnaire Larousse cuisine comme "un cousin du gingembre - d'ailleurs on le dénomme parfois "gingembre de Siam", le galanga est un rhizome très aromatique et poivré, citronné mais légèrement amer. En Thaïlande ou au Cambodge, il est utilisé pour parfumer les currys ou les soupes". Dès lors, en sa qualité d'épice utilisée en particulier dans la cuisine asiatique, il constitue un terme évocateur de cette cuisine du monde, et ne peut que confèrer à la marque première déposée, une faible distinctivité pour désigner un service de restauration asiatique. Il en résulte que dans la marque seconde, le signe "galanga" perd sa position distinctive autonome au profit des termes "by Monsieur Georges", dont la société H6 Signature démontrequ'ils sont au contraire arbitraires pour désigner les services concernés, et constituent l'élément dominant de cette marque composée. 33. Les termes "by Monsieur George" mettent par ailleurs en évidence l'origine du service proposé comme un élément "signature", ce qui permet également de différencier sur le plan conceptuel la marque de la société HN6 Signature de la marque première, qui ne fait que référence à l'épice précitée. 34. Au regard de l'ensemble de ces considérations, le tribunal retient que les signes en cause présentent de nettes différences tant sur les plans phonétiques et visuels que conceptuels, si bien qu'un risque de confusion dans l'esprit du public pertinent d'attention moyenne apparaît exclu, le consommateur concerné étant en mesure de différencier l'origine des services couverts par les deux marques. 35. Par conséquent, M. [N] [D] et la société [D] Hui seront déboutés de l'ensemble de leurs demandes sur le fondement de la contrefaçon. Sur la concurrence déloyale, parasitaire et les pratiques commerciales trompeuses Moyens des parties 36. La société [D] Hui soutenue en cela par M. [D], estime également que les sociétés GW Hotel et HN6 Signature se sont livrées à des actes de concurrence déloyale et parasitaire à son préjudice, qu'il convient de sanctionner compte-tenu de l'avilissement de leur signe distinctif. Elle ajoute qu'elles ont par ce biais profité indument d'un courant d'affaire et de leur notoriété. Elle estime enfin qu'est ainsi caractérisée une pratique commerciale trompeuse. 37. Les sociétés GW Hotel et HN6 Signature, après avoir rappelé que seule la société GW Hotel peut être inquiétée sur ce fondement, la société HN6 Signature n'étant que titulaire de la marque, concluent à l'absence de tout fait constitutif de concurrence déloyale et parasitaire. Outre le fait qu'aucun fait distinct n'est invoqué, elles concluent qu'aucun élément ne permet d'établir que la société GW Hotel a eu recours à des procédés contraires aux règles et aux usage, caractérisant un usage excessif de sa liberté d'entreprendre. Elles ajoutent que le restaurant qu'elles exploitent dans leur hôtel cinq étoiles ne peut avoir profité de la notoriété du restaurant des demandeurs. Elles notent encore que les demandeurs ne précisent pas en quoi l'exploitation du restaurant altèrerait ou serait susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur. Enfin, elles soulignent l'absence de démonstration du préjudice invoqué. Appréciation du tribunal L'article 1240 du code civil dispose que « tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». 38. La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité civile édicté par l'article 1240 du code civil, consiste en des agissements s'écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre. L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité, la notoriété de la prestation copiée. 39. Le parasitisme se définit comme l'ensemble des comportements par lequel un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire. 40. Ces actions supposent la caractérisation d'une faute génératrice d'un préjudice, reposant sur des faits distincts de ceux invoqués au titre de l'atteinte au droit privatif de la marque d'ores et déjà pris en compte par l'action en contrefaçon. 41. En l'espèce, outre le fait que la société [D] Hui et M. [D] n'allèguent aucun fait distinct de ceux ayant d'ores et déjà été examinés sous l'angle de la contrefaçon de marque, il a été démontré qu'il n'existe aucun risque de confusion, alors que les deux restaurants exercent pour des clientèles et dans des secteurs géographiques différents, si bien que la demande fondée sur la concurrence déloyale ne peut prospérer. 42. Il en est de même s'agissant de la demande fondée sur le parasitisme alors que M. [D] et la société [D] Hui n'allèguent ni ne démontre l'existence d'un comportement de la part de la société GW Hotel tendant à tirer profit, sans bourse délier, d'une valeur économique qu'ils auraient constituée, en justifiant d'investissements réalisés. 43. Enfin, M. [D] et la société [D] Hui ne font qu'affirmer, sans le démontrer, que le comportement des défenderesses relèverait de pratiques commerciales trompeuses. 44. Les demandes de dommages-intérêts ainsi formulées seront donc rejetées. Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive Moyens des parties 45. Les sociétés GW Hotel et HN6 Signature estime que c'est de manière opportuniste que les demandeurs ont engagé et maintenu la présente action, alors qu'ils ne cherchaient qu'à réaliser une opération économique. Appréciation du tribunal 46. Ester en justice est un droit et ne dégénère en abus pouvant justifier l'allocation de dommages-intérêts que dans les cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol. Une telle condamnation à dommages-intérêts pour procédure abusive implique donc que soit rapportée la preuve d'une intention malicieuse du demandeur et de la conscience d'un acharnement procédural voué à l'échec. 47. Or, en l'espèce, M. [D] et la société [D] Hui ont pu se méprendre sur l'étendue de leurs droits, sans qu'aucune intention dolosive ne soit caractérisée par les défendeurs. Par ailleurs, les sociétés défenderesses n'invoquent d'autre préjudice que celui résultant de l'obligation de se défendre, qui fait l'objet d'une demande au titre des frais irrépétibles. 48. Par conséquent, il convient de rejeter la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par les sociétés HN6 Signature et GW Hotel. Sur les demandes annexes 49. Succombant, M. [N] [D] et la société [D] Hui seront condamnés aux dépens de l'instance. 50. Supportant les dépens, ils seront condamnés à payer à la société HN6 signature et la société GW Hotel prises ensemble la somme de 8.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 51. L'exécution provisoire de la présente décision est de droit. PAR CES MOTIFS Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort, DÉBOUTE M. [N] [D] et la société [D] Hui de l'ensemble de leurs demandes; DÉBOUTE les société HN6 Signature et GW Hotel de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive; CONDAMNE M. [N] [D] et la société [D] Hui aux dépens de l'instance; CONDAMNE [N] [D] et la société [D] Hui à payer à la société HN6 signature et la société GW Hotel prises ensemble la somme de 8.000 euros (huit mille euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile; RAPPELLE que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit. Fait et jugé à Paris le 11 mai 2023 LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000047878961
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 25 mai 2023, 20/00140
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2023-05-25
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/00140
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 20/00140 No Portalis 352J-W-B7E-CRM23 No MINUTE : Assignation du :11 octobre 2019 JUGEMENT rendu le 25 mai 2023 DEMANDERESSE Société CAYAGO TEC GMBH[Adresse 1][Adresse 1] (ALLEMAGNE) représentée par Me Michel ABELLO de la SELARL LOYER & ABELLO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0049 DÉFENDERESSE Société ACTIVIDAD NAUTICA BALEAR SLC/ [Adresse 3] [Adresse 3][Adresse 3] (ESPAGNE) représentée par Me Dariusz SZLEPER de l'AARPI SZLEPER HENRY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0017 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation DEBATS A l'audience du 07 mars 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 25 mai 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE 1. La société de droit allemand Cayago Tec GmbH, qui fait partie du groupe Cayago, expose être spécialisée dans la production et la commercialisation d'engins aquatiques à propulsion électrique. Elle fait valoir qu'elle a développé un scooter marin intitulé "Seabob" fonctionnant à l'énergie électrique permettant à son utilisateur de se mouvoir dans l'eau à une vitesse entre 13 et 20 km/h, selon les modèles, et jusqu'à une profondeur de 40 mètres, pendant 50 à 60 minutes. 2. Depuis sa sortie initiale en 2005, le Seabob a été constamment amélioré, la gamme comportant aujourd'hui le modèle F5, en trois versions (F5, F5 S et F5 SR). 3. La société Cayago GmbH est titulaire des dessins et modèles communautaires no002077206-0001, 002077206-0002, 002077206-0003 et 002077206-0004 désignant des appareils de sport, et des marques verbales de l'Union européenne "Seabob-jet" et "Seabob" no004199089 et 004198826 enregistrées en classes de produits 9 et 12 pour désigner notamment, dans cette dernière classe, les moyens de transport sur/sous l'eau. Le modèle communautaire no002077206-0004 a été cédé à la société Cayago Tec GmbH selon une publication du 24 octobre 2018. 4. La société de droit autrichien Cayago GmbH était également titulaire des brevets européens EP 2 945 854 B1 (ci-après EP 854) et EP 2 945 856 B1 (ci-après EP 856), déposés le 23 décembre 2013 sous priorité d'une demande allemande DE 102013100544 du 18 janvier 2013. La publication de leur enregistrement est intervenue le 21 février 2018. Ils ont été cédés à la société Cayago Tec GmbH, selon inscription à l'INPI du 2 septembre 2019. Ils sont maintenus en vigueur par le paiement des annuités. 5. La société Seajet, devenue Iaqua, est une société de droit chinois, spécialisée dans le développement, la fabrication et la commercialisation d'appareils nautiques. Elle a conçu trois gammes de scooters sous-marins : "Stingray", en 2018, "Divejet" en 2019 et "Seadart", sorti au début de l'année 2020. Elle a également déposé un modèle européen sous les no 006611570-0001 et 006611570-0002 dont la validité a été reconnue par une décision de la division d'annulation de l'EUIPO le 17 mai 2021. 6. La société de droit espagnol Actividad Nautica Balear S.L. a pour activité déclarée la vente en gros et au détail, la réparation de véhicules à moteur et de motocycles à moteur. Elle exerce ses activités sous le nom commercial Toymaster. Elle distribue, en Europe, certains produits de la société Iaqua, en particulier sur son site internet http://toymaster.eu/en/products/iaqua. 7. Par décision du 29 octobre 2018, confirmée le 2 août 2019, le tribunal de Düsseldorf a fait interdiction, à titre provisoire, à la société Seajet, d'utiliser, d'offrir ou faire offrir au sein de l'Union Européenne le produit Stingray au motif que ce produit contrefait de façon plausible le modèle communautaire no002077206-0004. 8. Informée de ce que la société Actividad Nautica Balear entendait présenter le modèle Divejet au salon du Yachting Festival de [Localité 2], la société Cayago Tec GmbH a été autorisée, par ordonnance sur requête du 6 septembre 2019, à faire pratiquer une saisie-contrefaçon réelle et descriptive sur le stand tenu par la société. Les opérations de saisie-contrefaçon se sont déroulées le 11 septembre 2019. 9. Par acte du 11 octobre 2019, la société Cayago Tec GmbH a fait assigner la société Actividad Nautica Balear devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon des brevets EP 854 et EP 856 et de son modèle européen no 002077206-0004. 10. La société Cayago Tec GmbH indique avoir également découvert que les sociétés Eclypse et Riviera First proposent également à la vente le produit Divejet. Elle les a fait assigner par acte du 17 février 2020 devant le tribunal judiciaire de Paris. L'affaire a été enrôlée sous le numéro RG 20/02896 et n'a pas été jointe à la présente procédure. Par ordonnance du 18 novembre 2021, le juge de la mise en état a fait interdiction provisoire aux sociétés Eclypse et Riviera First de continuer à commercialiser les modèles Divejet et Seadart au motif qu'ils contrefont de manière vraisemblable les revendications des deux brevets dont la société Cayago Tec GmbH est titulaire. 11. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 avril 2022, la société Cayago Tec GmbH demande au tribunal de : - La déclarer recevable et bien fondée en ses demandes ;- Débouter la société Actividad Nautica Balear SL en toutes ses demandes, fins et conclusions;- Dire et juger qu'en important, en détenant, en offrant en vente et en commercialisant les engins Divejet de marque iAqua, quelle que soit la version, la société Actividad Nautica Balear SL s'est rendue coupable de contrefaçon des revendications 1 à 6 et 8 du brevet EP 2 945 854 ;- Dire et juger qu'en important, en détenant, en offrant en vente et en commercialisant les engins Divejet de marque iAqua, quelle que soit la version, la société Actividad Nautica Balear SL s'est rendue coupable de contrefaçon des revendications 1 à 3, 5 et 8 du brevet EP 2 945 856 ;- Dire et juger qu'en important, en détenant, en offrant en vente et en commercialisant les engins Stingray de marque iAqua, la société Actividad Nautica Balear SL s'est rendue coupable de contrefaçon du modèle communautaire 002077206-0004 ;- Ecarter des débats les pièces no6, no7 et no8 communiqués par la société Actividad Nautica Balear SL par bordereau du 24 juin 2021, pour violation du contradictoire. En conséquence, - Faire interdiction à la société Actividad Nautica Balear SL d'importer, d'exporter, de fabriquer, d'utiliser, d'offrir en vente, de vendre et de transborder, sur tout le territoire français tout produit contrefaisant les revendications 1 à 6 et 8 du brevet EP 2 945 854, et notamment les engins Divejet de marque iAqua, quelle que soit la version, directement ou indirectement par toute personne physique ou morale interposée, sous astreinte de 15.000 euros par infraction constatée à compter d'un délai de 15 jours de la signification du jugement à intervenir ;- Faire interdiction à la société Actividad Nautica Balear SL d'importer, d'exporter, de fabriquer, d'utiliser, d'offrir en vente, de vendre et de transborder, sur tout le territoire français tout produit contrefaisant les revendications 1 à 3, 5 et 8 du brevet EP 2 945 856, et notamment les engins Divejet de marque iAqua, quelle que soit la version, directement ou indirectement par toute personne physique ou morale interposée, sous astreinte de 15.000 euros par infraction constatée à compter d'un délai de 15 jours de la signification du jugement à intervenir ;- Faire interdiction à la société Actividad Nautica Balear SL d'importer, d'exporter, de fabriquer, d'utiliser, d'offrir en vente, de vendre et de transborder, sur tout le territoire français tout produit contrefaisant le modèle communautaire 002077206-0004, et notamment les engins Stingray de marque iAqua, quelle que soit la version, directement ou indirectement par toute personne physique ou morale interposée, sous astreinte de 15.000 euros par infraction constatée à compter d'un délai de 15 jours de la signification du jugement à intervenir ;- Ordonner que les produits reconnus comme produits contrefaisants soient rappelés des circuits commerciaux et écartés définitivement de ces circuits, aux fins de destruction devant huissier de justice, aux frais de la société Actividad Nautica Balear et sous astreinte de 15.000 euros par infraction constatée à compter d'un délai de 15 jours de la signification du jugement à intervenir;- Ordonner à la société Actividad Nautica Balear, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai de 15 jours suivant la signification du jugement à intervenir, de lui communiquer: - les nom et adresse des fabricants, sous-traitants, distributeurs, fournisseurs des produits contrefaisants, - l'état comptable certifié du nombre de produits contrefaisants fabriqués, importés, commercialisés, livrés, reçus et/ou commandés, - le prix d'achat et le prix de vente des produits contrefaisants, qui ont été importés, détenus et/ou vendus depuis temps non prescrit, - le nombre de produits importés, et/ou détenus et/ou vendus depuis temps non prescrit - les bordereaux de livraison attestant du nombre de produits contrefaisants qui ont été livrés, - l'état comptable certifié des stocks des produits contrefaisants, - le chiffre d'affaires et la marge brute certifiés, réalisés par la société sur la vente des produits contrefaisants, Étant précisé que les informations fournies devront être certifiées exactes et exhaustives par le commissaire aux comptes de la société. - Renvoyer l'affaire à la mise en état pour les conclusions des parties sur l'évaluation du préjudice, tenant compte des informations communiquées en exécution du droit à l'information;- S'entendre le Tribunal se réserver la liquidation des astreintes ordonnées ;- Condamner la société Actividad Nautica Balear SL à lui payer la somme globale de 50.000 euros, par provision, au titre du préjudice commercial et au titre du préjudice moral.Pour le surplus, - Ordonner la publication de l'intégralité du jugement à intervenir, aux frais exclusifs de la société Actividad Nautica Balear SL, sous la forme d'un document PDF accessible par un lien hypertexte situé sur la page d'accueil du site Internet de la société Actividad Nautica Balear SL http://toymaster.eu/en/, le titre du lien, traduit dans toutes les langues du site Internet, étant : " Le Tribunal Judiciaire de Paris a jugé que la société ACTIVIDAD NAUTICA BALEAR SL/ TOYMASTER a commis des actes de contrefaçon des droits de la société CAYAGO TEC GMBH sur ses brevets EP 2 945 854 et EP 2 945 856 en important, détenant, et offrant en vente et vendant des produits DIVEJET de marque IAQUA " dans une police de taille 20 au moins, pendant 6 mois, dans un délai de huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard ; - Condamner la société Actividad Nautica Balear SL à verser la somme de 100.000 euros à la société Cayago Tec GmbH en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les frais de saisie-contrefaçon (frais d'huissier et d'expert et d'achat des produits saisis) et d'expertise, quitte à parfaire outre les dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Michel Abello, Avocat aux offres de droit ;- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, sauf pour les mesures de publication. 12. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 juin 2022, la société Actividad Nautica Balear SL demande au tribunal de : A titre principal, - Prononcer la nullité du modèle communautaire no 002077206-0004 et juger qu'une fois le jugement définitif, il sera inscrit sur les registres de l'EUIPO par la partie la plus diligente.- Prononcer la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 11 septembre 2019 et des procès-verbaux de constat et d'expertise subséquents.En conséquence,- Débouter la société Cayago Tec GmbH de toutes ses demandes;- Interdire à la société Cayago Tec GmbH de communiquer, invoquer, utiliser et de manière générale de faire état et de se prévaloir du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 11 septembre 2019 et des actes subséquents auprès de la clientèle, ainsi que dans le cadre de procédures judiciaires qu'elle a pu engager sur le fondement des brevets EP 2 945 854 et EP 2 945 856, et cela sous astreinte de 500.000 euros par acte commis par Cayago Tec GmbH, passé le délai des deux semaines après la signification du jugement à intervenir;- Dire que dans le même délai, la société Cayago Tec GmbH devra informer les juridictions devant lesquelles elle a déjà fait état du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 11 septembre 2019 et des actes subséquents, de leur annulation par jugement à intervenir, et cela sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard, passé le délai des deux semaines après la signification du jugement à intervenir;A titre subsidiaire, - Dire et juger que la société Cayago Tec GmbH n'apporte pas la preuve de ce que l'appareil Divejet contrefait les revendications 1 à 6 et 8 du brevet EP 2 945 854, ni les revendications 1 à 3, 5 et 8 du brevet EP 2 945 856;- Dire et juger que l'appareil saisi Stingray ne contrefait pas le modèle communautaire no 002077206-0004.A titre infiniment subsidiaire, - Débouter la société Cayago Tec GmbH de sa demande de provision de 50.000 euros au titre de son prétendu préjudice;- Débouter la société Cayago Tec GmbH de toutes ses demandes, et notamment de ses demandes en réparation de son prétendu préjudice et autres mesures réparatrices;En toute hypothèse, - Condamner la société Cayago Tec GmbH à payer à la société défenderesse Actividad Nautica Balear S.L la somme de 40.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;- Condamner la société Cayago Tec GmbH aux entiers dépens qui pourront être recouvrés directement par Me Dariusz Szleper, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. 13. L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance du 5 juillet 2022 et renvoyée à l'audience du 7 mars 2023. MOTIFS Sur la demande tendant à ce que les pièces no6, 7 et 8 produites par les défendeurs soient écartées des débats Moyens des parties 14. La société Cayago Tec GmbH expose que la société Actividad Nautica Balear S.L. a communiqué, par un bordereau du 17 juin 2021, neuf nouvelles pièces numérotées 3.3 à 3.7 et 5 à 8. Elle souligne toutefois que les pièces 6, 7 et 8 ne sont pas évoquées dans le corps des conclusions, si bien qu'elle est dans l'impossibilité d'en débattre et demande à ce qu'elles soient écartées des débats. Appréciation du tribunal 15. Les pièces ayant été communiquées contradictoirement, il n'y a pas lieu de les écarter des débats sur le fondement des dispositions de l'article 16 du code de procédure civile. Cette demande doit être rejetée. Sur la validité du modèle communautaire no 002077206-4 Moyens des parties 16. La société Actividad Nautica Balear soutient que le modèle communautaire no 002077206-0004, dont est titulaire la société Cayago Tec GmbH, est nul pour deux motifs:- Pour défaut de nouveauté en premier lieu, dans la mesure où la société Cayago Tec GmbH aurait elle-même divulgué un appareil de sport dénommé "Seabob VX2 / F7 " en 2005, soit sept ans avant la date de dépôt du modèle communautaire no 002077206-0004, alors qu'il est identique dans la mesure où il ne s'en distingue que par des détails fonctionnels insignifiants et difficilement perceptibles. La société estime que la forme hydrodynamique futuriste rappelant une navette spatiale se retrouve en tout point dans le modèle litigieux. Elle soutient que les lignes et les angles sont identiques, que la forme ovale du cockpit se retrouve ainsi que les couleurs. Les différences, qui répondent à des considérations fonctionnelles de sécurité et de stabilité, sont, selon elle, purement fonctionnelles et demeurent insignifiantes. - Pour défaut de caractère individuel en second lieu, dans la mesure où l'impression globale produite par le modèle de la société Cayago Tec GmbH sur l'utilisateur averti, qui utilise habituellement des appareils de sport nautique, ne diffère pas de celle que produit l'antériorité Seabob F7 puisque toutes les caractéristiques essentielles de celui-ci sont reprises sans qu'elles ne soient soumises à une contrainte technique. La seule différence, insignifiante selon elle, par rapport à la présentation générale de l'appareil, réside dans la forme des poignées qui ont une fonction purement technique, alors que la liberté du créateur, qui n'est soumis à aucune norme ou règlementation particulière, est, en l'espèce, relativement importante. 17. La société Cayago Tec GmbH rappelle tout d'abord que le Tribunal de Düsseldorf, saisi de la même antériorité, a jugé ce modèle juridiquement valable, au même titre que l'EUIPO sur recours de la société iAqua. Elle soutient ensuite que le modèle est nouveau faute d'antériorité de toute pièce. L'antériorité présente selon elle une forme plate surmontée d'un dôme arrondi nettement détaché sur le dessus de la coque tandis que le modèle protégé se distingue par une forme montante de la partie supérieure s'étendant jusqu'au cockpit. Elle ajoute que l'apparence des poignées est fortement divergente, ce qui ne permet pas de retenir le caractère imperceptible des différences, mais permet au contraire de souligner des différences visuelles fortes.Elle ajoute enfin que le modèle présente un caractère propre. Rappelant que ne sont exclues de la protection que les caractéristiques qui sont exclusivement imposées par une fonction technique, elle souligne que l'apparence de ces poignées n'est pas uniquement dictée par une telle fonction, leur forme étant harmonieusement incorporée dans la coque de l'appareil et qu'elles présentent un caractère également ornemental. Or, la forme des poignées est une différence majeure avec l'antériorité Seabob F7 qui ne peut pas échapper à l'attention de l'utilisateur averti. La société ajoute que la forme générale du modèle est très différente et produit une impression globale différente sur l'utilisateur averti permettant de retenir un caractère propre. Appréciation du tribunal 18. L'article 24 du règlement CE no6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 dispose qu'un « dessin ou modèle communautaire enregistré est déclaré nul sur demande introduite auprès de l'Office, conformément à la procédure prévue aux titres VI et VII, ou par un tribunal des dessins ou modèles communautaires à la suite d'une demande reconventionnelle dans le cadre d'une action en contrefaçon ». 19. L'article 25 du même règlement, précise que : « un dessin ou modèle communautaire ne peut être déclaré nul que : a) Si le dessin ou modèle ne répond pas à la définition visée à l'article 3, point n'a) ; b) s'il ne remplit pas les conditions fixées aux articles 4 à 9 ; [?] » c) si, en vertu d'une décision de justice, le titulaire ne possède pas le droit au dessin ou modèle communautaire au sens de l'article 14. [?] Sur la nouveauté du modèle 20. Aux termes des dispositions de l'article 4 point 1. du règlement CE no6/2002 précité, « la protection d'un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n'est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel. » 21. L'article 5 du règlement CE no6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 dispose que : « 1. Un dessin ou modèle est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué au public: (...)b) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement du dessin ou modèle pour lequel la protection est demandée ou, si une priorité est revendiquée, la date de priorité.2. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants ». 22. Il est constant que la nouveauté d'un modèle s'apprécie par comparaison globale entre le modèle tel qu'il est déposé et le modèle antérieurement divulgué qui est opposé, tous deux pris dans leur ensemble constitué par la combinaison de leurs éléments caractéristiques, et non par l'examen de chacun des éléments qui les composent pris isolément. 23. Seule l'identité entre le modèle et la création divulguée, qui découle de l'absence de différences ou de l'existence de différences insignifiantes révélées par cet examen global, est destructrice de nouveauté et il appartient à celui qui conteste la nouveauté du modèle de rapporter la preuve du contenu et de la date certaine de la divulgation de l'antériorité qu'il oppose. 24. En l'espèce, il convient de se référer au modèle déposé par la société Cayago GmbH le 20 juillet et enregistré le 10 septembre 2012, étant rappelé qu'il a été cédé à la société Cayago Tec GmbH et renouvelé le 3 mai 2017, à savoir : 25. Il s'agit, selon la société Cayago Tec GmbH, d'un appareil de sport nautique présentant: "une conception plate, avec une proue s'élargissant, entièrement arrondie et évoquant la pointe d'une navette spatiale, la forme montante de la partie supérieure s'étendant jusqu'au cockpit, le tracé continu, rectiligne des lignes, qui confèrent un aspect harmonieux et souple. La forme des poignées intégrées dans la forme carénée de la proue et évoquant une rambarde, avec le même angle entre les branches". 26. La défenderesse produit, à titre d'antériorité, un ancien produit de la société Cayago, le Seabob VX2/F7, divulgué en 2005, ainsi que cela ressort du catalogue de vente de la société pour cette année, soit antérieurement à l'enregistrement du modèle communautaire discuté. 27. En l'espèce, il ressort de l'examen des modèles opposés qu'ils diffèrent non seulement s'agissant de la forme de la partie supérieure, qui est composée d'un dôme arrondi formant une bosse, surmonté par un écran rond sur le produit Seabob F7 tandis que le modèle discuté présente une forme montante de la partie supérieure, plus harmonieuse, mais encore s'agissant des poignées de commande. En effet, le modèle Seabob F7 possède des poignées verticales qui évoquent des manettes de jeu vidéo tandis que le modèle protégé se voit doter de poignées arrondies intégrées à la coque, dont il épouse la forme incurvée. Ces différences ne sont ni insignifiantes ni imperceptibles. 28. Le modèle Seabob F7 ne constitue donc pas une antériorité de toutes pièces destructrice de nouveauté du modèle communautaire dont est titulaire la société Cayago Tec GmbH. 29. Les deux autres antériorités succintement évoquées par la société Toymaster en page 16 de ses conclusions, à savoir le brevet US 5878687 déposé le 1er avril 1996 et la demande de brevet DE 102004049615 déposée le 12 octobre 2004, ne divulguent que des figures en 2D et des coupes internes qui ne permettent pas d'établir, avec la précision requise pour l'analyse, l'existence d'antériorités de toutes pièces. 30. Par conséquent, il y a lieu de considérer que le modèle communautaire no002077206-4 est nouveau. La demande de nullité sur ce fondement ne peut donc prospérer. Sur le défaut de caractère individuel 31. Aux termes des dispositions de l'article 4 point 1. du règlement CE no6/2002 précité, « la protection d'un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n'est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel. » 32. L'article 6 du règlement CE no6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 dispose que : « 1. Un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l'impression globale qu'il produit sur l'utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public: [?]b) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité.2. Pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle ». 33. Il est constant que l'examen du caractère individuel doit être effectué de manière globale, en tenant compte du degré d'attention de l'utilisateur averti, se définissant comme doté non d'une attention moyenne, mais d'une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré, de l'importance respective qu'il y a lieu d'accorder aux différentes caractéristiques des dessins ou modèles comparés et, enfin, du degré de liberté du créateur qui varie selon la nature du produit. 34. Il importe également de prendre en considération le degré de liberté du créateur, dont il faut rappeler que le TFUE a indiqué dans une décision du 12 mars 2014 (affaire T-315/12 §67) que « plus la liberté du créateur dans l'élaboration d'un dessin ou modèle est grande, moins des différences mineures entre les dessins ou modèles comparés suffisent à produire une impression globale différente sur l'utilisateur averti. À l'inverse, plus la liberté du créateur dans l'élaboration d'un dessin ou modèle est restreinte, plus les différences mineures entre les dessins ou modèles comparés suffisent à produire une impression globale différente sur l'utilisateur averti ». 35. Enfin, si l'article 8 du règlement 6/2002 dispose qu'un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l'apparence d'un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique, la CJUE rappelle, dans une décision C395/16 du 8 mars 2018, que "cette fonction (doit être) le seul facteur ayant déterminé ses caractéristiques". 36. L'utilisateur averti s'entend d'un consommateur qui pratique des sports nautiques, utilise et a de l'intérêt pour les appareils de sport nautique, secteur des produits concernés. Il est doté d'un certain degré de connaissance et son attention est assez élevée, étant sensible aux détails du produit et à son aspect hydrodynamique. 37. La société défenderesse se prévaut de la même antériorité que celle d'ores et déjà présentée dans le cadre du moyen tiré de l'absence de nouveauté, à savoir le modèle Seabob F7 divulgué en 2005 par la société Cayago. 38. Or, ainsi qu'il a été précédemment souligné, l'examen des deux modèles conduit à relever des différences importantes. Elles sont de nature à créer chez l'utilisateur averti une impression visuelle d'ensemble distincte. 39. Cela tient, en premier lieu, à la ligne générale des deux produits dont les profils sont différents: le modèle antérieur invoqué, plus anguleux, présente un dôme proéminent qui surmonte la coque et est par ailleurs doté d'un creux en dessous de la marche latérale très visible. Le modèle protégé, à la ligne plus harmonieuse, présente au contraire un aspect général plus plat et linéaire, avec, certes, une forme montante à l'avant, mais qui s'insère plus naturellement dans la ligne globale du produit. Il ne comprend pas, par ailleurs, de renfoncement sous la marche latérale. En outre, les poignées, dont il a été souligné précédemment la grande différence, n'ont pas une forme exclusivement dictée par leur fonction technique. Si elles doivent permettre à l'utilisateur d'avoir une bonne prise en main du produit pour le manoeuvrer, leur forme, qui s'apparente à celle d'une manette de jeu vidéo dans le modèle de 2005, et qui suit les lignes arrondies du carrénage dans le second, répondent bien à une préoccupation au moins partiellement esthétique et ornementale. 40. Au regard de ces éléments, il y a lieu de dire que le modèle communautaire no002077206-4 présente un caractère individuel et de rejeter la demande de nullité. Sur la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon, des procès-verbaux de constat et des expertises subséquents Moyens des parties 41. La société Actividad Nautica Balear soutient que les opérations de saisie-contrefaçon, les procès-verbaux de constat et le rapport d'expertise consécutifs sont nuls. Elle soutient que: - Les opérations de saisie-contrefaçon ont été diligentées sur la base d'un titre, le modèle communautaire no 002077206-0004, qui est nul ;- L'huissier de justice et le conseil en propriété industrielle de la demanderesse l'assistant, Mme [E], ont outrepassé leurs missions respectives en démontant, dans un lieu différent du stand, dans la continuité des opérations de saisie-contrefaçon, l'appareil Divejet saisi, alors que l'ordonnance sur requête du 6 septembre 2019, qui ne prévoyait que des manipulations et prises de vues, n'autorisait ni l'huissier de justice à effectuer un constat de démontage de l'appareil, ni le conseil en propriété industrielle à réaliser une expertise; - Il s'agit d'un détournement de la procédure de saisie-contrefaçon, le procès-verbal de démontage se rattachant nécessairement aux opérations de saisie et constituant un second procès-verbal de saisie-contrefaçon; - Les objets saisis par l'huissier de justice n'étaient pas des produits du commerce destinés à être vendus en France mais des prototypes; or, elle est en droit de faire respecter son secret industriel; Enfin, elle reproche à la société Cayago Tec GmbH de ne pas avoir communiqué la traduction des brevets au tribunal et de ne pas les lui avoir notifiés traduits avant les opérations de saisie-contrefaçon, ceci étant de nature à rompre l'égalité des armes. 42. La société Cayago Tec GmbH répond que :- La saisie-contrefaçon a été ordonnée sur la base du modèle communautaire mais également des brevets EP 854 et EP 856 dont la validité n'est pas contestée. Elle doit donc être déclarée valide, même si le modèle devait être annulé;- Le Président du tribunal ayant rendu l'ordonnance a uniquement supprimé la possibilité de procéder au démontage des produits sur le lieu de la saisie, ce qui ne peut s'interpréter en une interdiction générale de procéder au démontage sur tout autre lieu une fois la saisie terminée ce qui reviendrait à priver le saisissant de tout moyen de preuve de la reproduction des deux brevets qui ont pour objet la motorisation du véhicule qui n'est accessible qu'en démontant le produit ;- Le procès-verbal de constat sur le démontage est distinct et indépendant des opérations de saisie-contrefaçon qui ont été clôturées à 13h50 sur le lieu de la saisie. Le constat porte sur le démontage de l'exemplaire saisi et remis au saisissant et a été effectué par les salariés de la société Cayago Tec GmbH, sans que l'huissier ne prenne part aux opérations de démontage qui se sont par ailleurs déroulées en l'absence du conseil en propriété industrielle; - La société défenderesse s'est vantée de la vente à venir des produits et de leur exposition dans un salon ouvert au public, ce qui vient contredire toute allégation contraire; - Elle conclut que la communication d'une traduction d'un brevet doit être sollicitée et qu'il n'existe aucune obligation de signifier une traduction des brevets avant la saisie-contrefaçon. Appréciation du tribunal 43. En l'espèce, la société Cayago tec GmbH a sollicité puis obtenu le 6 septembre 2019 du président du tribunal de grande instance de Paris, une ordonnance de saisie-contrefaçon l'autorisant à faire procéder par tout huissier de justice compétent, à la saisie réelle et descriptive de produits Iaqua argués de contrefaçon des brevets européens et EP 2 945 854 et EP 2 945 856 et du modèle européen 002077206-0004, sur le stand tendu par la société Actividad Nautica Balear au sein du salon du Yachting Festival à Cannes. 44. Les opérations de saisie-contrefaçon se sont déroulées le 11 septembre 2019 et un procès-verbal a été dressé par Me [J] [T], huissier de justice à [Localité 5]. Me [T] a saisi, dans le cadre des opérations, deux modèles Divejet (un gris et un rouge) et le modèle Stingray qui ont été placés sous scellés. 45. Puis la société Cayago Tec GmbH a fait dresser par Me [T], le même jour, un procès-verbal de constat de démontage d'un des deux modèles Divejet saisis sur le salon dans le cadre des opérations de saisie-contrefaçon, en l'occurrence le modèle NEO+ de couleur grise. 46. En premier lieu, il importe de souligner que la saisie-contrefaçon a été ordonnée sur la base de trois titres de propriété industrielle, dont il n'est pas discuté qu'ils étaient valides au jour de son prononcé. Au terme de la présente décision, le modèle communautaire no002077206-0004 est déclaré valable si bien que l'ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon sur son fondement , ainsi que sur la base de deux autres titres de propriété industrielle, les brevets européens no EP 2 945 854 et EP 2 945 856, ne peut être remise en cause de ce seul fait. 47. Ensuite, si l'ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon n'a pas autorisé l'huissier de justice à procéder aux découpes/ montage et démontage des produits allégués de contrefaçon sur le lieu de la saisie, s'agissant d'un salon exposé à la vue du public, cette mention n'est pas de nature à priver la société requérante de la possibilité d'y procéder en dehors de ce contexte précis et sous réserve que toutes les garanties soient prises pour assurer la traçabilité du produit. 48. En effet, un raisonnement contraire priverait le requérant de la possibilité de rapporter une preuve de la contrefaçon, dont il faut rappeler qu'elle peut être rapportée par tout moyen, étant par ailleurs souligné que la requête, à laquelle il a été fait droit, précisait que la saisie réelle devait justement permettre à la requérante d'accéder aux parties non visibles de l'appareil. 49. La société Cayago Tec GmbH pouvait tout à fait, sans requérir d'autorisation judiciaire supplémentaire, soumettre à analyse les produits régulièrement appréhendés dans le cadre de la saisie-contrefaçon dont un exemplaire, mis sous scellé, lui a été remis, à condition, pour préserver la force probante de ladite analyse, de garantir l'intégrité du produit en procédant au démontage en présence constante de l'huissier de justice chargé de briser puis de reconstituer les scellés. 50. Le procès-verbal de constat dressé par Me [T], huissier de justice, n'est donc pas une saisie-contrefaçon déguisée. Il demeure distinct de celui de la saisie-contrefaçon. Le procès-verbal de saisie-contrefaçon mentionne que les opérations de Me [T] se sont terminées à 13h50, tandis que le procès-verbal de constat produit en pièce 6.4 par la demanderesse mentionne des opérations se déroulant en l'étude de Me [T] et débutant à 16h30. 51. En outre, si Me [T] constate les opérations de démontage, la société défenderesse n'indique pas à quel moment ce dernier serait intervenu activement dans les opérations de démontage. Quant au conseil en propriété industrielle de la société Cayago Tec GmbH, Mme [E], sa présence ne ressort pas du procès-verbal de constat critiqué. Seuls étaient présents, à ce stade, M. [G], ingénieur salarié de la société Cayago Tec et Mme [Y], commerciale salariée. L'analyse de Mme [E] est tout autant indépendante de la saisie-contrefaçon elle-même; n'étant pas une expertise judiciaire, seule sa force probante peut être appréciée par le tribunal. 52. La société a encore fait procéder à des opérations d'expertise par M. [V] de la société Volvara le 6 septembre 2021 sur le produit saisi Divejet rouge. La preuve de la contrefaçon pouvant être rapportée par tout moyen, la société CayagoTec GmbH était en droit de faire procéder à une expertise amiable du produit saisi, sous réserve, là encore, de prendre toutes mesures pour assurer la traçabilité et préserver la valeur probante de l'analyse. Au cas d'espèce, Me [L], huissier de justice à [Localité 6], est intervenu pour constater l'intégrité des scellés, les briser et les apposer à nouveau à l'issue des opérations d'expertise, et en a dressé procès-verbal daté du 6 septembre 2021. Aucune atteinte à l'intégrité du produis n'est démontrée. 53. Il ressort par ailleurs du procès-verbal de saisie-contrefaçon que les produits Divejet saisis par l'huissier de justice étaient présents sur le salon et exposés au public, la société ayant par ailleurs, avant l'ouverture des portes de l'évènement, annoncé la commercialisation à venir des produits en France et ouvert des pré-commandes surla page du réseau social Facebook de Toymaster. Il ne s'agit donc pas de prototypes couverts par le secret industriel. 54. Enfin, il importe de rappeler qu'en vertu des dispositions de l'article L. 614-7 du code de la propriété intellectuelle, c'est le texte du brevet européen rédigé dans la langue de procédure devant l'Office Européen des brevets qui fait foi, sa traduction en français ne devant être fournie qu'à la demande du prétendu contrefacteur ou de la juridiction saisie. Dès lors, la société défenderesse ne peut utilement invoquer ce défaut de communication spontanée de la traduction, étant souligné qu'elle n'a pas engagé de référé-rétractation et n'invoque aucun grief. 55. La société Actividad Nautica Balear SL sera déboutée de sa demande tendant à voir annuler le procès-verbal de saisie-contrefaçon et les procès-verbaux de constat et expertises subséquents. Sur la contrefaçon Sur la contrefaçon du modèle communautaire no 002077206-4 Moyens des parties 56. La société Cayago Tec GmbH soutient que le modèle Stingray, en ce qu'il est une copie quasi-servile du modèle protégé dont il reproduit l'apparence, constitue la contrefaçon de son modèle communautaire no002077206-4. En réponse au moyen tiré du fait que le produit aurait été en transit en France et qu'aucune contrefaçon ne serait caractérisée sur le territoire français, la société Cayago Tec GmbH invoque la règlementation applicable au transit douanier, qui impose une déclaration, inexistante au cas d'espèce. Elle conclut que l'importation sur le territoire français est ainsi caractérisée, aucun document n'établissant que le produit avait vocation à être livré à [Localité 4], comme l'allègue la défenderesse. Elle estime, au contraire de la société défenderesse, que le modèle Stingray produit une impression globale semblable à celle que produit le modèle enregistré dans la mesure où l'ensemble de ses caractéristiques est reproduit, la contrefaçon s'appréciant au regard des ressemblances et non des différences. 57. La société Actividad Nautica Balear S.L. estime en premier lieu qu'aucune contrefaçon n'est établie en France dans la mesure où le produit n'était pas exposé à la vue du public lors du salon, mais qu'il était en transit vers un Etat tiers à l'Union Européenne, à savoir la principauté de [Localité 4]. Rappelant les dispositions de l'article 19 du règlement no6/2002, elle expose que le stockage de ce produit n'était pas illicite alors qu'il avait été auparavant vendu à un tiers domicilié en dehors du territoire de protection du modèle communautaire. Elle conteste en second lieu, toute contrefaçon dans la mesure où le modèle Stingray présente, selon elle, de nombreuses différences notables avec le modèle protégé si bien que l'impression visuelle globale produite diffère. Elle soutient que la forme hydrodynamique des appareils est dictée par une fonction technique ainsi que par des contraintes fonctionnelles et s'avère banale pour ce type de produit. Elle ajoute que l'appareil se distingue très fortement du modèle protégé au regard du tracé des lignes, des angles qui divergent, des motifs et associations de couleurs. Les poignées ont, selon elle, de la même manière, une fonction strictement technique et se retrouvent dans de nombreuses antériorités. Appréciation du tribunal 58. L'article 10 du règlement (CE) No 6/2002 du conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires, « Étendue de la protection » dispose que « 1. La protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente.2. Pour apprécier l'étendue de la protection, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle ». 59. L'article 19 de ce même règlement intitulé « Droits conférés par le dessin ou modèle communautaire » énonce que : « 1. Le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l'utiliser et d'interdire à tout tiers de l'utiliser sans son consentement. Par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation ou l'utilisation d'un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins. [?] 60. Aux termes des dispositions de l'article L. 515-1 du code de la propriété intellectuelle, « toute atteinte aux droits définis par l'article 19 du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur ». 61. Il convient de rappeler que la contrefaçon d'un modèle s'apprécie au regard des caractéristiques protégées telles que déterminées par les seules reproductions graphiques ou photographiques contenues dans le certificat d'enregistrement. Elle s'apprécie par rapport aux ressemblances et non par rapport aux différences. 62. Dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé le 11 septembre 2019, Me [T], huissier de justice, indique que: "des caisses en plastique sont entreposées sur le stand. La marque "toymaster" apparaît sur un élément de mobilier. Je fais ouvrir les boîtes et constate la présence d'un modèle Stingray non mentionné plus tôt par Monsieur [K]. Il m'indique que cet exemplaire a été vendu à M. [F] [S] et qu'il était en attente de livraison. Il n'était pas destiné à être présenté durant le salon. Il m'est déclaré par l'avocate de M. [K] que le stand est le seul lieu de stockage de la société et c'est pourquoi il était présent et non destiné à l'exposition. [...] Je procède ci-après à la description du modèle Stingray contenu dans la boîte en présence de Mme [E]: il s'agit d'un engin de type Stingray. Le nom n'apparaît pas sur la partie haute de la coque. Une notice est présente dans la boîte et mentionne ce nom. Il est floqué au nom [S]. Les poignées sont disposées à l'avant de l'engin, de part et d'autre de l'écran. Elles sont munies chacune d'un bouton et d'une manette (photos 27 à 29). Je renverse l'engin afin d'observer sa sous-face. Je constate la présence d'ouvertures, au travers de la coque inférieure, de couleur noire, lesquelles débouchent à l'intérieur de la coque (photos 30 et 31). Les ouvertures sont de dimensions et de formes différentes. A l'arrière, je constate une ouverture de forme ronde au milieu et deux ouvertures latérales. Je peux apercevoir, au travers des ouvertures latérales, l'intérieur de l'engin et une partie de couleur rouge (photos 32 et 33). Je prends une photo de l'intérieur depuis la partie du milieu, à l'arrière. Je peux apercevoir des pales à travers l'ouverture centrale (photo 34)". Les photographies sont annexées au procès-verbal de saisie-contrefaçon et l'huissier de justice a, conformément aux termes de l'ordonnance, saisi le modèle Stingray contre le paiement du prix demandé et a apposé des scellés. Photos annexées au procès-verbal de saisie-contrefaçon (28-25-29 et 32) 63. S'il ressort de ce procès-verbal que le produit Stingray n'était pas exposé sur le stand, à la vue du public, il était néanmoins bien présent sur le salon, et la société défenderesse ne justifie nullement avoir régularisé une déclaration douanière de produit en transit. De même, aucune pièce de nature à justifier de la vente ou de la commande de l'appareil par un client étranger qui devait être livré n'est versée aux débats par la société Actividad Nautica Balear au soutien de ses allégations. Ses propos sont tout au contraire démentis par M. [R] [X], manager digital de M.[F] [S], dans un email adressé le 24 septembre 2019 à la société Cayago, dans lequel il conteste avoir acquis et être propriétaire de l'engin, dont il ignorait jusqu'à la présence à [Localité 2]. Ces arguments ne sont donc pas de nature à écarter la caractérisation d'une importation du produit en France, étant rappelé que la société Iaqua a fait l'objet d'une ordonnance d'interdiction provisoire en Union Européenne rendue par le Tribunal de Düsseldorf le 29 octobre 2018 et confirmée le 2 août 2019 portant précisément sur le modèle de la gamme Stingray. 64. Or, le modèle saisi reproduit les mêmes caractéristiques que le modèle communautaire de la société Cayago Tec GmbH, tant en ce qui concerne la forme assez plate avec un élargissement de la proue, une forme montante de la partie supérieure et un tracé plutôt rectiligne des lignes, la présence de trois orifices à la poupe avec une hélice, que la forme des poignées, intégrées dans la proue, et de forme arrondie Les différents modèles qui ont pu être examinés dans le cadre de la présente affaire et la variété de lignes retenues, démontre que le profil de ces engins n'est pas imposé par des contraintes fonctionnelles telles qu'elles rendraient nécessaire, pour une bonne hydrodynamie, d'adopter très exactement la ligne suivie par le modèle de la société Cayago. 65. La différence de tracé de lignes en V allant de la partie supérieure de la machine à la poupe sur le modèle Stingray, qui diffèrerait d'un tracé plus parallèle sur le modèle Stingray, n'apparait pas de nature, à la supposer établie, à modifier l'impression globale d'ensemble que peut en avoir l'utilisateur averti. La bande, les logos et les couleurs, qui viennent agrémenter le produit fini pour le personnaliser sont indifférents, les ressemblances soulignées étant de nature à produire sur l'utilisateur averti une impression visuelle similaire au modèle de la société Cayago Tec GmbH. 66. Il y a donc lieu de retenir que le produit Stingray reproduit le modèle communautaire no002077206-0004 de la société Cayago Tec GmbH. Sur la contrefaçon des brevets Moyens des parties 67. La société Cayago Tec GmbH expose en premier lieu que le modèle Divejet de la marque Iaqua reproduit littéralement les revendications 1 à 6 et 8 du brevet EP 2 945 854 et se prévaut, au soutien de sa démonstration, tant du procès-verbal de saisie-contrefaçon, que du procès-verbal de constat de démontage et du rapport d'expertise de la société Volvaria. La société estime qu'il ressort de ces pièces que le produit litigieux comporte bien une coque, que l'eau entre par la sous-face de la coque, traverse le volume de la chambre et sort par l'ouverture ronde à l'arrière. La présence de ce canal d'écoulement est selon elle corroborée par le constat de démontage. Elle ajoute que le modèle Divejet comprend un dispositif d'accélération d'eau commandé par un moteur, qui se trouve dans le canal d'écoulement et qu'il est doté d'un espace de mise en eau en communication avec l'environnement extérieur par le biais d'ouvertures d'entrée d'eau et de sortie d'eau pour la production d'un écoulement dans l'espace de mise en eau pendant la conduite. La dernière caractéristique de la première revendication est, selon elle, également reproduite, puisque le canal d'écoulement est bien dans l'espace de mise en eau et délimite deux zones partielles l'une contre l'autre par sections. La revendication no1 est, selon elle, intégralement reproduite. La société Cayago Tec GmbH note ensuite que la boîte de couleur bleue, dont la présence a été relevée dans la coque du modèle Divejet, est un module électrique (électrique de commande), situé dans l'espace de mise en eau, si bien que les revendications 2 et 3 sont reproduites.Elle ajoute que, dans la mesure où le modèle Divejet comporte une coque présentant une partie supérieure et une partie inférieure amovibles, constituant l'enveloppe de l'engin, entre lesquelles l'espace de mise en eau est formé, les revendications 4 et 5 sont tout autant reproduites. Enfin, le modèle comporte des ouvertures d'entrée d'eau à l'avant et de sortie d'eau à l'arrière, et le canal d'écoulement délimite bien deux zones partielles et comporte les batteries si bien que les revendications no 6 et 8 sont reproduites. 68. La société Cayago Tec GmbH expose ensuite que le modèle Divejet de la marque Iaqua reproduit également de manière littérale les revendications 1 à 3, 5 et 8 du brevet EP 2 945 856 et en veut à nouveau pour preuve tant le procès-verbal de saisie-contrefaçon, que le procès-verbal de constat de démontage et le rapport d'expertise de la société Volvaria.Elle considère qu'il ressort de ces éléments de preuve la présence, sur le modèle Divejet,d'une coque avec une partie inférieure et une partie supérieure, de poignées de commande, d'éléments de manoeuvre montés sur les poignées de commande, d'un canal d'écoulement affecté à la coque, d'un dispositif d'accélérateur d'eau et d'un moteur électrique avec deux batteries disposées des deux côtés du plan longitudinal médian courant dans la direction longitudinale de la coque. Elles se trouvent ainsi dans l'espace entre les deux parties de la coque à savoir la chambre de mise en eau qui peut être traversée par de l'eau et en contact avec l'environnement par les ouvertures à l'avant, sur le dessous de la partie inférieure de la coque, et par les ouvertures à l'arrière. Elle note une troisième ouverture en zone de poupe. La reproduction de la revendication no1 est acquise selon elle.Elle note que les batteries sont disposées, au moins par endroit, des deux côtés du canal d'écoulement, de façon symétrique par rapport au plan longitudinal médian du modèle, si bien que les revendications 2 et 3 du brevet sont reproduites. Il en est de même selon elle de la revendication no5. Les accumulateurs sont disposés de manière démontable. Enfin, les côtés du canal d'écoulement sont plus étendus que la longueur des batteries, ce qui permet d'y apposer des accumulateurs d'énergie de tailles différentes. La revendication no8 est, selon elle, reproduite. 69. En réponse aux moyens de non-contrefaçon soulevés par la société Actividad Nautica Balear, la société Cayago Tec GmbH se prévaut du rapport d'expertise Volvaria qui conclut à l'absence d'étanchéité interne entre l'avant et l'arrière du produit Divejet. Elle invoque également le procès-verbal de traçabilité du 3 septembre 2021, la forme hydrodynamique des entrées et sorties d'eau, le test de mise en eau et le démontage du produit qui ne révèlent aucun cloisonnement interne étanche. Elle rappelle que le rapport d'expertise amiable n'encourt aucune annulation, et qu'il n'est pas démontré que le produit Divejet ait pu être dégradé dans le bureau de l'huissier de justice instrumentaire, ni détruit lors du démontage qui a eu lieu après l'analyse. La société Cayago se prévaut également de la note du professeur [I], spécialiste de la mécanique des fluides pour étayer le défaut de sérieux des critiques de la défenderesse et conclut à l'écoulement de l'eau lors de la conduite, les engins ayant été conçus pour créer un écoulement d'eau. Quant à la fonction de refroidissement des composants, elle estime que cela est difficilement contestable dans la mesure où les batteries sont situées, pour parties, dans les espaces de mise en eau. 70. Enfin, la société Cayago Tec GmbH estime démontrer la contrefaçon dans la mesure où la société Actividad Nautica Balear a importé en France, offerts à la vente et commercialisés au cours du Yachting Festival de [Localité 2], les modèles Divejet, qui étaient proposés en précommande sur son site internet et sur le réseau social facebook. 71. La société Actividad Nautica Balear conclut à l'absence de preuve de la contrefaçon. Rappelant en premier lieu la nullité des opérations de saisie-contrefaçon, qui prive la société Cayago Tec GmbH de la preuve de la contrefaçon qu'elle allégue, elle soutient que les revendications principales des deux brevets ne sont pas reproduites dans le produit Divejet et qu'il n'y a, en tout état de cause, pas eu de proposition à la vente de ce produit en France. 72. Elle soutient que la revendication no1 des deux brevets, dont il est demandé l'application prévoit, pour se distinguer d'antériorités qui divulguent déjà la présence d'eau dans une chambre de mise à eau, la production d'un courant d'eau dans l'espace de mise en eau pendant la conduite impliquant: "une entrée de l'eau dans l'espace de mise en eau par les ouvertures d'entrée d'eau, la traversée de l'eau, la sortie par les ouvertures de sortie d'eau disposées smétriquement des deux cîtés de la sortie de faisceau". Or, elle considère que l'architecture et la structure interne du modèle Divejet ne permet pas la création d'un tel courant d'eau entre les ouvertures situées dans la zone de proue du véhicule et celles situées dans la zone de sa poupe. Elle en veut notamment pour preuve la présence de pièces métalliques à l'extrémité des batteries qui entrent en contact avec de la mousse ainsi que de blocs de mousse destinés à bloquer toute possibilité de création de masses d'eau en mouvement. Elle ajoute que les ouvertures situées à l'arrière du véhicule ne sont pas des ouvertures de sortie d'eau comme le soutient la société Cayago, mais d'entrée d'eau (sert de ballast). 73. Elle critique ensuite le rapport d'expertise produit par la société Cayago Tec GmbH daté du 13 septembre 2021. Outre le fait qu'il viole, selon elle, les termes de l'ordonnance sur requête délivrée par le président du tribunal judiciaire, elle souligne les vices méthodologiques de l'analyse rendant inopérant les essais effectués par le technicien. Elle s'interroge sur les conditions de conservation du prototype dans le bureau de l'huissier de justice instrumentaire et estime qu'en procédant à un second démontage, la société a dégradé le produit. Elle ajoute que les conditions réelles d'exploitation de l'engin n'ont pas été reproduites puisque l'appareil n'a pas été mis dans l'eau, en état de marche, l'utilisation d'un tuyau ne pouvant aboutir à des résultats fiables. Sur le fond, elle considère que le premier essai fait abstraction de la pression d'arrêt, notant que la pression et l'eau et la gravité ont été orientés selon l'axe de l'écoulement et que les veines fluides, dans l'expérimentation, étaient entourées d'air et non d'eau. Quant au 2ème essai, elle souligne que l'engin a été placé en suspension, en position horizontale retournée, non naturelle, aucun paramètre technique n'étant au demeurant précisé. Elle conteste ensuite les constatations résultant des essais unilatéraux du technicien. Elle souligne que l'absence d'étanchéité interne, de même que la preuve que l'eau pénètre à l'intérieur de la coque sont insuffisants à démontrer que l'eau circule à la manière d'un courant et qu'elle remplit sa fonction de refroidissement. Elle conclut à l'absence de démonstration de la contrefaçon. 74. Elle soutient enfin que le produit Divejet qui a été saisi est un prototype qui n'était pas destiné à la commercialisation en France. Soulignant que l'huissier de justice n'a fait aucune constatation en ce sens lors des opérations de saisie-contrefaçon, elle relève que ses produits n'ont jamais été offerts à la vente sur le territoire français car elle ne bénéficie que d'un contrat de distribution que pour l'Espagne, l'Allemagne et l'Autriche. Appréciation du tribunal Présentation des brevets EP 2 945 854 (EP 854) et EP 2 945 856 (EP 856) Présentation du brevet EP 2 945 854: 75. L'invention est, selon les termes de la description, relative à un véhicule nautique composé d'une coque qui présente un canal d'écoulement ou à laquelle un canal d'écoulement est associé, dans lequel un dispositif d'accélération d'eau commandé par un moteur, en particulier une hélice, est associé au canal d'écoulement. 76. La description du brevet EP854, citant le document DE 10 2004 049 615 A1, décrit le véhicule de l'art antérieur, usuellement utilisé comme planche de plongée. Il présente un système de poignées qui permet à l'utilisateur de s'aggriper tandis qu'il fait reposer une partie de son buste sur la face supérieure de la coque. A l'intérieur de la coque se trouve un canal d'écoulement dans lequel une hélice, entraînée par un moteur électrique lui-même alimenté par une batterie (accumulateur), est insérée. 77. Il est ensuite exposé, dans la description du brevet, deux problèmes techniques et les inconvénients des solutions jusque-là apportées dans le véhicule de l'art antérieur: - Il est expliqué, en premier lieu, qu'au cours de l'utilisation de l'engin, les batteries et le moteur dégagent de la chaleur qui doit être évacuée afin d'assurer un fonctionnement continu et fiable de la machine. Pour ce faire, les accumulateurs sont installés dans un boîtier en aluminium, en contact thermoconducteur, installé et verrouillé dans un réceptacle prévu dans la coque. De ce fait, la face inférieure du boîtier en aluminium est en contact avec l'écoulement d'eau, ce qui permet l'évacuation de la chaleur. De même, le moteur, pour assurer son refroidissement, est placé à l'intérieur du canal d'écoulement. Cela suppose que le canal soit suffisamment grand pour compenser l'occultation provoquée par le moteur électrique, qui restreint la place d'écoulement libre. Cela influe sur la taille du véhicule nautique.- Il est exposé, en second lieu, que pour pouvoir effectuer des déplacements sur et sous l'eau, un équilibre de poids précis doit être trouvé pour que l'engin puisse flotter sans sombrer: une portance trop faible fait sombrer le véhicule et une portance trop importante l'empêche de passer rapidement d'un déplacement en surface à un déplacement en plongée. Compte-tenu du poids des composants électriques, la coque du véhicule doit donc contenir un flotteur suffisamment grand ce qui influe également sur la taille et donc sur la dynamique de conduite du produit. En résumé, le véhicule nautique connu de l'art antérieur présente une certaine taille, puisqu'il faut, d'une part, placer le moteur dans le canal d'écoulement pour être refroidi sans pour autant compromettre la circulation de l'eau et que, d'autre part, la coque doit comporter un flotteur suffisamment volumineux pour garantir une portance optimale. Ces paramètres influent sur la dynamique de conduite de l'engin. 78. Le brevet EP 854 entend améliorer ces paramètres en proposant un véhicule nautique offrant une dynamique de conduite élevée tout en permettant un fonctionnement sûr. Ce but est atteint, selon le brevet, par la présence, dans la coque, d'un espace de mise en eau en communication avec l'environnement par le biais d'ouvertures de passage d'eau, en particulier d'ouvertures d'entrée et de sortie d'eau. Cet espace de mise en eau présente, selon les termes de la description, une composante de masse variable qui permet d'influer sur le poids du véhicule marin. Ainsi, lorsqu'il fonctionne, l'espace d'eau se remplit. Lors de la plongée, l'air se vide, ce qui permet à l'engin une plongée rapide. Lorsqu'il sort de l'eau, l'espace de mise en eau se vide. Une variante permet de prévoir également qu'au moins un module électrique est disposé dans cet espace. 79. Le brevet contient une revendication indépendante no1 et des revendications dépendantes no2 à 11. Les revendications 1 à 6 et 8 du brevet EP 854 qui sont opposées par la société Cayago Tec GmbH sont les suivantes : Revendication 1. a) Véhicule marin présentant une coque (10), qui présente un canal d'écoulement(60) ou à laquelle un canal d`écoulement (60) est associé, dans lequel un dispositif d'accélération d'eau commandé par un moteur, en particulier une hélice, est associé au canal d'écoulement (60) caractérisé en ce que la coque (10) présente en outre un espace de mise en eau, en communication avec l'environnement par le biais d'ouvertures d'entrée d'eau et de sortie d'eau (35, 33) pour la production d'un écoulement dans l'espace de mise en eau pendant la conduite et en ce que le canal d'écoulement (60) s'étend dans la zone de l'espace de mise en eau et délimite deux zones partielles l'une contre l'autre par sections dans l'espace de mise en eau.Revendication 2. Véhicule marin selon la revendication 1 ou 2, caractérisé en ce qu'au moins un module électrique est disposé dans l'espace de mise en eau.Revendication 3.Véhicule marin selon la revendication 1 ou 2, caractérisé en ce que le module électrique est une électronique de commande (40), un moteur électrique (50) et/ou un accumulateur d'énergie (70).Revendication 4.Véhicule marin selon une des revendications 1 à 3, caractérisé en ce que la coque (10) présente une partie supérieure (20) et une partie inférieure (30), entre lesquelles l'espace de mise en eau est formé et en ce que la partie supérieure et/ou la partie inférieure (20, 30) forment par sections l`enveloppe externe de la coque (10).Revendication 5. Véhicule marin selon une des revendications 1 à 4, caractérisé en ce que la partie inférieure (30) est reliée de manière amovible avec la partie supérieure (20).Revendication 6.Véhicule marin selon une des revendications 1 à 5, caractérisé en ce que la coque (10) forme au moins une ouverture d`entrée (35) dans la zone de la proue (11) et au moins une ouverture de sortie (33) dans la zone de la poupe (12). [?] Revendication 8.Véhicule marin selon une des revendications 1 à 7, caractérisé en ce que le canal d'écoulement (60) délimite deux zones partielles l'une contre l'autre au moins par sections dans l'espace de mise en eau et en ce qu'un module électrique (accumulateur d'énergie (70) est disposé dans chacune des zones partielles. 80. Le brevet comporte des figures qui illustrent la chambre, située entre la partie inférieure et la partie supérieure de l'engin, qui est connexe à l'environnement via des ouvertures de passages d'eau et des ouvertures de sortie d'eau (sur la figure no1 ci-dessous reproduite, les points 33 et 35). Cela permet un flot dans la chambre de mise en eau lorsque le véhicule se déplace. Par ailleurs, le canal d'écoulement s'étend dans la région de la chambre de mise en eau délimitant de cette manière deux sous-régions de la chambre chacune ayant une ouverture de sortie d'eau. 81. Les figures du brevet sont les suivantes: Pésentation du brevet EP 2 945 856: 82. L'invention est également relative à un véhicule nautique ayant une coque présentant un canal d'écoulement ou à laquelle un canal d'écoulement est associé, dans lequel un dispositif d'accélération d'eau, en particulier une hélice, est associé. Il est spécifié que le moteur est raccordé à un accumulateur d'énergie, c'est-à-dire une batterie. 83. Le brevet indique que le véhicule de ce genre, dans l'art antérieur, présente, d'après le document DE 10 2004 049 615 B4, une coque qui forme une surface plane sur laquelle un utilisateur peut poser au moins partiellement son buste. La coque possède deux poignées avec des éléments de commande qui permettent de régler la puissance du dispositif moteur, lequel entraîne une hélice. L'hélice est disposée dans un canal d'écoulement et forme dans la région de la face inférieure du véhicule une ouverture d'aspiration par laquelle l'eau de l'environnement est aspirée. L'eau est accélérée dans le canal d'écoulement par l'hélice et rejetée à l'arrière comme avec une propulsion à jet. L'hélice est entraînée par un moteur électrique qui est raccordé par des câbles d'alimentation à un accumulateur d'énergie. L'accumulateur d'énergie est placé dans un boîtier qui est installé à l'extérieur, dans un réceptacle situé à l'avant de la coque. De tels véhicules nautiques sont en partie utilisés comme planches de plongée avec lesquelles les utilisateurs effectuent des plongées sur de longues distances. La sécurité de fonctionnement et le confort de conduite sont importants, en particulier quand les véhicules nautiques sont utilisés en pleine mer. 84. L'invention propose un véhicule nautique du même type que celui précédemment décrit mais qui se caractérise par un haut niveau de confort de l'utilisateur. Ce but est atteint, selon le brevet, en installant deux accumulateurs d'énergie dans la coque, des deux cotés du plan longitudinal médian courant dans la direction longitundinale de la coque. Ainsi, non seulement la sécurité du fonctionnement de l'appareil est améliorée car la présence de deux accumulateurs d'énergie permet de pallier la défaillance éventuelle d'une batterie, mais encore le fait de les disposer des deux côtés du plan permet de mieux répartir les masses et d'assurer une meilleure stabilité de conduite. La description précise que les accumulateurs d'énergie, par exemple des accumulateurs électriques, produisent de la chaleur dissipée. Pour prévenir une surchauffe des accumulateurs et donc une panne prématurée, il est prévu qu'outre le canal d'écoulement, une chambre de mise en eau pouvant être traversée par l'eau est disposée dans la coque et que les accumulateurs d'énergie sont disposés au moins par endroits dans la chambre de mise en eau, ce qui permet aux accumulateurs d'énergie d'évacuer au moins une partie de leur chaleur dans l'eau de circulation. 85. Cet espace de logement, dans lequel sont placés les composants électriques, à savoir l'électronique de commande, le moteur et les accumulateurs, est en communication avec l'environnement par le biais d'ouvertures de passage d'eau. Les ouvertures de passage d'eau sont formées dans la partie inférieure. Elles sont configurées comme des ouvertures d'entrée d'eau dans la région de la proue et comme des ouvertures de sortie d'eau dans la région de la poupe. L'espace de logement forme ainsi une chambre de mise en eau. Dès que le véhicule est mis dans l'eau, cette chambre est remplie d'eau qui pénètre par les ouvertures de passage d'eau. Dès que le véhicule est mis en marche, un courant est produit dans la chambre de mise en eau. L'eau y pénètre par les ouvertures d'entrée d'eau. L'eau traverse la chambre de mise en eau et baigne les modules électriques contenus dans la chambre. L'eau absorbe alors la puissance dissipée des modules électriques et refroidit ceux-ci. Après avoir traversé la chambre de mise en eau, l'eau en sort par les ouvertures de sortie d'eau qui sont disposées symétriquement des deux côtés de la sortie de faisceau. 86. Le brevet comprend 8 revendications, la revendication 1 est indépendante et les revendications 2 à 8 sont dépendantes. Les revendications 1,2,3, 5 et 8 du brevet EP 856 sontles suivantes: Revendication no1:a) Véhicule nautique comprenant une coque (10), qui est constituée d'une partie supérieure (20) et d'une partie inférieure (30), la partie supérieure (20) étant munie de deux poignées de commande (14), qui sont disposées des deux côtés de la coque (10), et auxquelles un utilisateur peut s'agripper, le Véhicule nautique pouvant être commandé à l'aide d'éléments de manoeuvre montés sur les poignées de commande (14), la coque (10) présentant un canal d'écoulement (60), ou un canal d`écoulement (60) étant affecté à la coque (10), un dispositif accélérateur d'eau motorisé, en particulier une hélice (52), étant affecté au canal d`écoulement (60) et le moteur (50) étant raccordé à un accumulateur d'énergie (70), b) caractérisé en ce que deux accumulateurs d'énergie (70) sont montés dans la coque (10), les accumulateurs d'énergie (70) étant disposés des deux côtés du plan longitudinal médian courant dans la direction longitudinale de la coque (10), c) en ce que, outre le canal d'écoulement (60), une chambre de mise en eau, pouvant être traversée par l'eau, est disposée dans la coque (10), d) et en ce que les accumulateurs d'énergie (70) sont disposés au moins par endroits dans la chambre de mise en eau, e) en ce que la chambre de mise en eau est, par des ouvertures de passage d'eau, en liaison avec l'environnement, les ouvertures de passage d'eau étant réalisées dans la partie inférieure (30) et étant conçues dans la zone de la proue (11) comme des ouvertures d'entrée d'eau (35), et dans la zone de la poupe (12), comme des ouvertures de sortie d'eau (33).Revendication no2:Véhicule nautique selon la revendication 1, caractérisé en ce que les accumulateurs d'énergie (70) sont, au moins par endroits, disposés des deux côtés du canal d'écoulement (60).Revendication no3:Véhicule nautique selon l'une des revendications 1 ou 2, caractérisé en ce que l'accumulateur d'énergie (70) est disposé symétriquement par rapport au plan longitudinal médian. [?]Revendication no5:Véhicule nautique selon l'une des revendications 1 à 4, caractérisé en ce que la coque (10) comprend la partie supérieure (20) et la partie inférieure (30), pouvant être raccordée à celle-ci d'une manière interchangeable, des évidements (21) destinés aux accumulateurs d`énergie (70), dans lesquels les accumulateurs d'énergie (70) sont disposés d'une manière démontable, étant formés dans l'espace entouré par la partie supérieure (20) et par la partie inférieure (30). [?]Revendication no8: Véhicule nautique selon l'une des revendications 1 à 7, caractérisé en ce que la coque (10) présente des évidements (21) pour deux accumulateurs d'énergie (70) pouvant être montés dans la coque (10), les évidements (21) étant conçus de telle sorte qu'il soit possible d'y fixer au choix des accumulateurs d'énergie (70) ayant des tailles différentes. 87. Le brevet comporte également des figures permettant d'illustrer la présence des batteries électriques dans les réceptables, qui peuvent être disposés dans les sous-régions de l'espèce ou chambre de mise en eau délimités par le canal d'écoulement. Sur la contrefaçon des brevets 88. Il sera observé, à titre préalable, que la validité des brevets n'est pas discutée. 89. L'article L. 613-3 du code de la propriété intellectuelle interdit, sans l'autorisation du breveté,"a) La fabrication, l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, l'importation, l'exportation, le transbordement, ou la détention aux fins précitées du produit objet du brevet ; [...]"90. L'article L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que "Toute atteinte portée aux droits du propriétaire du brevet, tels qu'ils sont définis aux articles L. 613-3 à L. 613-6, constitue une contrefaçon.La contrefaçon engage la responsabilité civile de son auteur.[...]" 91. Conformément aux termes de l'ordonnance sur requête rendue le 6 septembre 2019, Me [J] [T], huissier de justice à [Localité 5], s'est rendu sur le stand de la société Actividad Nautica Balear SL au sein du Yachting Festival à [Localité 2] le 11 septembre 2019. Dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon qu'il a dressé, il constate que des engins Iaqua Divejet sont présentés au public et procède à la description d'un de ces appareils en ces termes: "ce produit est déjà ouvert et la partie mécanique était présentée au public (et visible, ouvert). Il n'y a pas eu de démontage lors des opérations. [...] l'engin est composé d'une partie inférieure de couleur noire (coque inférieure) + un plateau de couleur rouge, à l'intérieur de l'engin, posé sur la partie inférieure et d'une coque supérieure orange et noire avec des poignées, un tableau de bord (écran). Je précise que le plateau rouge supporte des éléments. Les poignées sont équipées d'un bouton et d'une manchette chacune. [...] Je constate que les poignées sont situées de part et d'autre de l'écran, sur chaque bord longitudinal de l'engin. La coque inférieure est munie d'une ouverture ronde pour permettre l'insertion de la partie de l'enfin munie de l'hélice [...] Je constate que, de part et d'autre de cette ouverture ronde, deux ouvertures vers l'intérieure de la partie inférieure de la coque. A l'intérieur de la partie inférieure de la coque, sur le plateau rouge, je constate deux cylindres de couleur verte en métal placés de part et d'autre du volume contenant l'hélice. Il m'est déclaré par M. [K] que "ces cylindres sont les batteries de l'engin". M. [K] me désigne le moteur électrique. Il est situé dans l'axe médian de l'engin, entre le volume contenant l'hélice et une boîte de couleur bleue. M. [K] me précise que l'hélice est en fait une roue à aube ("impeller"). Il ajoute que l'eau entre la sous-face de la coque inférieure, traverse le volume de la chambre contenant l'impeller et sort par l'ouverture ronde située à l'arrière. [...] Je constate qu'une boîte de couleur bleue est présente à l'intérieur de la coque, à l'avant. M. [K] déclare que "cette boîte contient l'électronique (circuits imprimés) de l'engin" et la "boîte bleue est en aluminium marin". Il ajoute que des connecteurs de la boîte sont reliés aux poignées de commande, à la batterie, à l'écran, aux lumières et toutes les parties du divejet. Ces connecteurs sont amovibles. En sous-face de la coque inférieure, je constate la présence d'ouverture de l'extérieur vers l'intérieur, au travers de la coque, en matière plastique. Je prends une photo de la partie inférieure de la coque." 92. S'agissant de la revendication no1 des deux brevets EP 854 et EP 856, il ressort des termes du procès-verbal de saisie-contrefaçon précité que l'engin Divejet litigieux comporte bien une coque composée d'une partie supérieure et d'une partie inférieure ainsi que deux poignées de commande qui permettent de manoeuvrer l'engin. Cette description permet également d'établir l'existence d'un canal d'écoulement, ce qui est corroboré par le procès-verbal de démontage du produit, dressé le 19 septembre 2019 par Me [T], qui constate en page 8 que "ce volume est en matière plastique noire et est positionné au milieu de l'engin, dans la longueur de celui-ci . Ce volume est manifestement creux. Je peux voir par les ouvertures extérieures la présence d'une hélice à l'intérieure de cette partie". Le procès-verbal de saisie-contrefaçon permet ainsi de retenir la présence d'un dispositif d'accélération d'eau associé à ce canal, par l'existence d'une hélice et d'un moteur relié à des batteries, le tout également visible sur les photographies annexées à l'acte. Le procès-verbal de démontage précité en décrit la présence en page 9. Enfin, la délimitation de deux zones partielles, l'une contre l'autre par sections, dans l'espace de mise en eau, délimitées par le canal d'écoulement, apparaît clairement sur les photographies jointes au procès-verbal de saisie-contrefaçon (no6), ce qui est conforté par le procès-verbal de démontage en page 10, qui fait état de"la présence de deux cylindres de couleur verte situés de part et d'autre du "canal d'écoulement" jusqu'à hauteur du moteur. 93. En revanche, la société Actividad Nautica Balear S.L. estime que la société Cayago Tec succombe à démontrer l'existence d'un courant d'eau à l'intérieur de la coque, circulant entre les ouvertures avant et arrière et servant notamment à refroidir les éléments électriques de l'engin, si bien que la reproduction des revendications no1 des deux brevets ne serait pas établie. 94. Au soutien de sa démonstration, la société Cayago Tec produit tout d'abord un rapport d'expertise amiable réalisé par M. [V] de la société Volvaria le 13 septembre 2021. 95. La contrefaçon pouvant être prouvée par tout moyen, il importe de rappeler qu'un rapport d'expertise amiable peut valoir à titre de preuve dès qu'il est soumis à la libre discussion des parties (Cass. 1re Civ., 24 septembre 2002, pourvoi no 01-10.739, Bull. 2002, I, no 220 ), ce qui est le cas en l'espèce, les sociétés ayant été à même d'en débattre contradictoirement. 96. A la lecture des pièces produites, rien ne permet, en premier lieu, d'établir que le produit Divejet NEO+ soumis à l'expertise amiable, aurait été conservé dans des conditions de nature à remettre en cause son intégrité ou qu'il aurait été dégradé pendant son temps de conservation. En effet, il ressort du procès-verbal de constat dressé le 3 septembre 2021 par Me [T], huissier de justice, qu'il a conservé l'engin sous scellés dans son bureau personnel depuis sa saisie le 11 septembre 2019, qu'il en a été, depuis cette date, le gardien exclusif et qu'il a veillé à son intégrité. En outre, il est ajouté, dans le procès-verbal de constat dressé par Me [D] [L], huissier de justice à [Localité 6], le 6 septembre 2021, présent sur les lieuxde l'expertise, que les scellés posés par Me [T] était intacts à la livraison du produit pour analyse, qu'ils ont été brisés pendant le cours de l'expertise puis apposés de nouveau, si bien que l'intégrité du produit soumis à analyse de même que sa traçabilité sont au contraire bien démontrées. 97. En page 2 du rapport, il est précisé que les tests se sont déroulés en deux temps: il a été, dans un premier temps, procédé à des essais de remplissage par diverses ouvertures présentes dans la coque du produit Divejet afin d'observer les écoulements. A cette fin, l'engin a été placé, toujours sous scellés donc intègre, dans différentes positions afin de déterminer l'existence ou non d'une barrière interne étanche, maintenu dans les différentes positions grâce à une grue d'atelier. L'eau a été injectée à l'aide d'un tuyau d'arrosage à faible pression. Puis, dans un second temps, après bris des scellés, il a été procédé à un démontage du produit. 98. Interrogé par la société Cayago Tec GmbH sur l'existence d'une barrière hermétique à l'intérieur de la coque qui empêcherait l'écoulement de l'eau, comme l'allègue la société défenderesse, M.[V] procède à plusieurs essais de circulation d'eau en mettant l'engin proue vers le haut, puis proue vers le bas, puis en position horizontale avec la coque inférieure vers le haut. Il sera d'ores et déjà souligné que s'agissant d'un engin utilisé notamment dans le cadre de plongée sous-marine, rien n'empêche qu'il puisse se trouver, dans le milieu aquatique, dans ces différentes positions, y compris à l'envers. 99. Dans les trois hypothèses décrites, il est constaté, dans le rapport soumis aux débats, que l'eau ressort: par le bas de l'engin, autour du tunnel de propulsion (qui n'est donc pas étanche) et par les ouvertres latérales, lorsqu'elle est injectée par les ouvertures situées vers l'avant (page 6), par les ouvertures avant lorsque l'eau est injectée par les ouvertures arrières, et par l'arrière, autour du tunnel de propulsion et en deux endroits par l'avant, lorsque l'eau est injectée par les ouvertures avant en position horizontale. Les vidéos de ces essais sont versées aux débats et ont pu être consultées par le tribunal qui constate l'abondance de l'écoulement de l'eau dans les divers hypothèses. L'absence de cloisonnement étanche entre l'avant et l'arrière de l'engin est également confirmée par le démontage du produit (page 9 du rapport d'expertise amiable). 100. La société Actividad Nautica Balear S.L., qui se prévaut d'une note technique remise le 5 janvier 2022 par le gérant de la société Optifluides, critique les conditions dans lesquelles ces tests ont été réalisés pour leur dénier toute force probante, et affirme que l'appareil ne se comporte pas de même manière à l'air libre que dans son milieu naturel, c'est à dire immergé, et qu'il faut prendre en compte la "pression d'arrêt" ou encore "la gravité", "l'écart de masses volumique et de viscosité", l'absence de simulation numérique ou de toutes données relatives à la pression de l'eau notamment. 101. En réponse à ces affirmations, la société Cayago produit aux débats une note de M. [C] [I], ingénieur, professeur en mécanique des fluides et auteur de plusieurs ouvrages sur ce thème. Sa note est réalisée avec un accès au produit Divejet (en présence de Me [A], Huissier de justice, qui a constaté le caractère intact des scellés posés par Me [L], les a brisées afin que le professeur puisse effectuer les mesures avant de les replacer) ainsi que la possibilité de consulter les notes techniques produites en défense. 102. Rappelant que l'engin est conçu pour se mouvoir dans l'eau, M. [I] conclut que les arguments avancés par la société société Actividad Nautica Balear S.L . et les notes qu'elle produit ne lui semblent pas convaincants: il souligne que "la pression d'arrêt ne peut en aucun cas empêcher la production d'un écoulement lorsque l'engin est immergé et en mouvement: au contraire, la conception de l'engin est faite pour utiliser cette pression d'arrêt pour produire un écoulement", il ajoute que "la gravité, qui joue un rôle différent lorsque l'engin est immergé, ne peut pour autant avoir pour effet d'empêcher l'établissement d'un écoulement entre les ouvertures avant et arrière", il précise que "même si les essais Volvaria ne reproduisent pas toutes les forces visqueuses, ceci n'a pas d'importance dès lors que ces forces ne peuvent avoir qu'un effet mineur sur l'écoulement par rapport aux pressions dynamiques". Il note ensuite que les solutions employées pour les tests sont suffisantes, les opérations complémentaires suggérées par la défenderesse étant coûteuses, compliquées et disproportionnées. Il ajoute que "les tests réalisés par la société Volvaria montrent clairement que ce blocage n'existe pas. Le chemin d'écoulement a d'ailleurs été matérialisé au moyen d'un filin et il a été montré que ce filin pouvait glisser à l'intérieur de l'engin et qu'il n'y avait pas de tortuosité" (page 16). 103. Cette note vient conforter les conclusions du rapport d'expertise de la société Volvaria et apparaît ainsi d'une force probante supérieure aux pièces produites en défense. En effet, M. [I] constate que "les ouvertures d'entrée d'eau, qui ont une géométrie qui s'apparente à celles des prises d'air affleurantes installées sur des véhicules automobiles ou sur quelques prototypes d'avions à réaction" sont faites pour récupérer la pression d'arrêt: il écrit que "les prises d'eau situées à l'avant de l'engin ont une forme qui leur permet de récupérer la pression dynamique et l'utiliser pour permettre à l'écoulement de s'établir entre ces prises d'eau et les ouvertures arrières" (page 8). Il importe de souligner que la forme hydrodynamique des entrées d'eau étaient déjà soulignée par le rapport d'expertise amiable précité. Il ajoute que "lors de la conduite de l'engin, la pression au niveau des ouvertures avant est nécessairement plus forte que celle au niveau des ouvertures arrière. Ce différentiel de pression favorise donc la production d'un écoulement". Enfin, après avoir effectué des mesures sur l'appareil, il note que "le débit capté par les prises d'eau peut donc être évacué par les ouvertures situées au culot". Il conclut que "toutes les conditions sont réunies pour que l'écoulement entre les ouvertures avant et arrière, constaté hors de l'eau par la société Volvaria, se produise également lors de la conduite de l'engin sous l'eau sous l'effet des pressions dynamiques associées à son mouvement." Il sera d'ailleurs observé qu'il ressort des photographies produites que les ouvertures d'entrée d'eau à la proue sont orientées vers l'avant, avec une différence de niveau et que des sillons sont présents pour guider le sens du flux vers l'intérieur. 104. Enfin, la fonction de refroidissement des éléments électriques ne peut être décemment discutée, puisqu'elle résulte tant de la circulation de l'eau caractérisée que des stries bien visibles sur les batteries. 105. Au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer qu'est établie la reprise, sur l'appareil Divejet litigieux, des revendications principales no1 des deux brevets en cause. 106. Les autres revendications dépendantes des deux brevets ne font pas, formellement, l'objet de discussion. 107. La société Cayago Tech GmbH établit, s'agissant du brevet EP 2 945 854, qu'il ressort bien de la description réalisée par Me [T] dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 11 septembre 2019, dont les éléments sont repris au §49, et des photographies jointes, que le véhicule Divejet comprend un module électrique disposé dans l'espace de mise en eau, composé d'une électronique de commande, un moteur et une ou plusieurs batteries, ce qui permet de retenir la reproduction des revendications no2 et 3, que le modèle de la société Actividad Nautica Balear comprend une coque avec une partie supérieure et inférieure amovible, dans laquelle est formée un espace de mise en eau, que cela forme l'enveloppe externe, ce qui permet de retenir la reproduction des revendications dépendantes 4 et 5. Enfin, ladite description permet de retenir la reproduction des revendications 6 et 8, en ce que le modèle Divejet comprend bien une partie inférieure de coque avec des ouvertures d'entrée d'eau à l'avant (zone de la proue) et des ouvertures de sortie d'eau à l'arrière (zone de la poupe) et qu'un canal d'écoulement délimite deux zones partielles dans lesquelles sont disposées les batteries. 108. De même, la société Cayago Tec GmbH procède à la même démonstration, s'agissant des revendications 2, 3, 5, et 8 du brevet EP 2 945 856. Il ressort ainsi de la description réalisée par Me [T] dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 11 septembre 2019, dont les éléments sont repris au §49, et des photographies jointes, que les batteries sont disposées de part et d'autre du canal d'écoulement de façon symétrique par rapport au plan longitudinal médian du modèle Divejet, si bien que les revendications no2 et 3 se retrouvent dans le modèle litigieux, que le modèle comporte bien une coque avec une partie supérieure et une partie inférieure fixées de manière interchangeable (avec des vis), comportant, ainsi qu'en témoignent en particulier les photographies, des évidements destinés aux batteries de l'appareil qui peuvent être démontées, ce qui permet de retenir la reproduction de la revendication no5. Enfin, Me [T] note bien que les évidements sont plus longs que les batteries, ce qui permet de retenir que des batteries de tailles différentes peuvent être installées. La reproduction de la revendication no8 est acquise. 109. Au regard de l'ensemble de ces considérations, il y a lieu de dire que les revendications no 1 à 6 et 8 du brevet EP 2 945 854 et les revendications no1 à 3 et 5 et 8 du brevet EP 2 945 856 sont reproduites par l'engin Divejet de marque Iaqua. 110. Or, il ressort du procès-verbal de saisie contrefaçon dressé le 11 septembre 2019 par Me [T] que, sur le stand tenu par la société défenderesse au Yachting Festival de [Localité 2], "des engins iaqua sont présentés au public". Il s'agit de modèles Divejet. 111. Par ailleurs, la société Cayago Tec GmbH produit aux débats plusieurs captures d'écran de la page Facebook de Toymaster, nom commercial sous lequel la société Actividad Nautica Balear exerce son activité : - une première publication datée du 24 août 19h10, indiquant la possibilité de pré-commander le nouveau Iaqua2 - scooter de plongée de haute technologie version/génération UE, à partir de 3.999 euros, soulignant la possibilité de récupérer la commande en France, assortie de vidéos de l'engin; - une deuxième, certes non datée mais faisant référence au festival du yachting à [Localité 2] en 2019, invitant les consommateurs à les interroger sur leurs offres spéciales de lancement en Europe, faisant référence aux débuts du divejet Iaquat (nouveau design) sur le marché français/UE, la photographie d'une page du catalogue des produits étant également publiée en dessous de la publication, représentant quatre modèles de la gamme Divejet avec leurs prix;- une troisième publication du 13 septembre 9h44, invitant à venir visiter leur stand au Yachting festival et se vantant d'avoir déjà vendu à plusieurs clients commerciaux, marchands et clients privés "qui ont sagement choisi le meilleur choix, à partir de 3.999 euros" contredisant par là-même les dires de la société Actividad Nautica Balear dans la présente instance sur le caractère de prototype non commercialisé des produits Divejet. 112. Il ressort suffisamment de ces éléments que la société Actividad Nautica Balear a commis, en France, des actes d'importation, d'offre, de mise dans le commerce et de vente des produits Divejet, contrefaisant ainsi les deux brevets de la société Cayago Tec GmbH en leurs revendications précitées. Sur la réparation de la contrefaçon Moyens des parties 113. La société Cayago Tec GmbH demande tout d'abord au tribunal d'ordonner des mesures d'interdiction et de rappel des circuits commerciaux, invoquant le droit exclusif d'exploitation résultant de ses titres de propriété industrielle. Elle sollicite ensuite la mise en oeuvre d'un droit d'information afin de disposer des éléments nécessaire à la détermination de son entier préjudice. Dans cette attente, elle demande au tribunal de lui accorder, au regard des éléments dont elle dispose déjà, une provision de 30.000 euros à valoir sur ses dommages-intérêts en réparation du préjudice commercial qu'elle a subi, rappelant le prix moyen des produits et estimant à au moins dix le nombre de produits vendu. Elle invoque également une perte de gains puisqu'il s'agit d'autant de clients qu'elle ne pourra pas satisfaire. Elle sollicite par ailleurs une provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice moral à hauteur de 20.000 euros, justifié selon elle par la banalisation des technologies qu'elle a brevetées et de son modèle communatuaire, entraînant selon elle une diminution de la valeur patrimoniale de ses actifs, une atteinte à sa réputation. Elle souligne que la défenderesse a participé au salon en dépit du contentieux les opposant, et qu'elle vend les produits à un prix largement inférieur aux siens ce qui a pour conséquence de capter une partie de clientèle. Elle demande enfin une mesure de publication judiciaire afin de diffuser largement l'information dans la mesure où la société défenderesse était présente sur un salon attirant une clientèle internationale. 114. En réponse, rappelant que la société demanderesse ne peut obtenir réparation que d'un dommage commis sur le territoire français, la société Actividad Nautica Balear estime que la société Cayago ne démontre pas l'existence d'un préjudice puisque les produits prétendument contrefaits étaient des prototypes qui n'ont pas été vendus mais qui étaient seulement présents sur le salon. Quant au préjudice moral, elle soutient que la société Cayago ne peut y prétendre, à défaut de démontrer que ses produits sont connus du public français. Elle estime qu'en l'absence d'acte de commercialisation, aucune mesure d'interdiction ne peut être prononcée et qu'en tout état de cause, elle estime l'astreinte injustifiée.Pour le même motif, les demandes de rappel des produits et de leur destruction sont selon elle sans objet. Elle estime de la même manière la demande de droit d'information infondée. Elle conclut au rejet de la demande de publication. Appréciation du tribunal - Sur les mesures d'interdiction et de rappel des circuits commerciaux 115. Aux termes de l'article L. 513-4 du code de la propriété intellectuelle, "Sont interdits, à défaut du consentement du propriétaire du dessin ou modèle, la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation, le transbordement, l'utilisation, ou la détention à ces fins, d'un produit incorporant le dessin ou modèle".L'article L. 521-1 du même code, applicable conformément à l'article L. 522-1 du même code aux modèles communautaires, prévoit que "Toute atteinte portée aux droits du propriétaire d'un dessin ou modèle, tels qu'ils sont définis aux articles L. 513-4 à L. 513-8, constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur". 116. Les modalités de réparation des atteintes aux dessins et modèles sont prévues par l'article L. 521-7 du code de la propriété intellectuelle: "Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée." 117. L'article L. 521-8 du même code dispose que " En cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaisants, les matériaux et instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée.La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise.Les mesures mentionnées aux deux premiers alinéas sont ordonnées aux frais du contrefacteur." 118. Par ailleurs, en matière de brevet d'invention, aux termes de l'article L. 615-7-1 du code de la propriété intellectuelle, "en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaisants et les matériaux et instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée.La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise. Les mesures mentionnées aux deux premiers alinéas sont ordonnées aux frais du contrefacteur". 119. L'article 3 de la directive 2004/48/CE du parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, dispose :"1. Les États membres prévoient les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la présente directive. Ces mesures, procédures et réparations doivent être loyales et équitables, ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés.2. Les mesures, procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d'obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif." 120. La contrefaçon étant établie, il y a lieu de la faire cesser en ordonnant les mesures d'interdiction qui s'imposent. Par ailleurs, les pré-commandes et la vente de produits Divejet ressortent des publications de la société Actividad Nautica Balear sur la page du réseau social facebook de Toymaster; aussi sera-t-il fait droit également à la demande portant sur le rappel des circuits commerciaux avec destruction des produits, dans les termes prévus au dispositif de la présente décision. Sur la demande de provision à valoir sur dommages-intérêts, la demande au titre du droit d'information et la demande de publication 121. L'article L. 521-7 du code de la propriété intellectuelle, applicable en matière de contrefaçon d'un modèle communautaire, dispose que "pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée." 122. L'article L. 615-7 du code de la propriété intellectuelle dispose que :"Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée ;2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.« Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée". 123. En application de l'article L. 615-5-2 du même code, "si la demande lui en est faite, la juridiction saisie au fond ou en référé d'une procédure civile prévue au présent titre peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des produits argués de contrefaçon qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits argués de contrefaçon ou qui fournit des services utilisés dans de prétendues activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services .La production de documents ou d'informations peut être ordonnée s'il n'existe pas d'empêchement légitime". 124. En l'espèce, il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon que, sur le stand du salon Yachting Festival de [Localité 2], il a été trouvé un exemplaire du produit Stingray ainsi que quatre exemplaires du produit Divejet. Il ressort par ailleurs des publications facebook que des précommandes ont été ouvertes pour le modèle Divejet et que des commandes de ce produit, dont la société précise dans ces mêmes publications qu'ils peuvent être livrés en France, ont pu être passées, sans toutefois que le détail ne soit fourni. La société Cayago Tec GmbH est donc bien fondée en sa demande de dédommagement d'un préjudice résultant du manque à gagner et du bénéfice du contrefacteur s'agissant des produits Divejet. En revanche, seule est établie l'importation du produit Stingray, si bien qu'il n'y a pas lieu à dommages-intérêts sur ce point. 125. La société Cayago Tec GmbH démontre le prix catalogue des modèles Divejet, affichés entre 3.999 euros et 8.999 euros, étant au demeurant souligné que l'huissier de justice, dans le cadre des opérations de saisie-contrefaçon, a réglé la somme de 27.551 euros (5.511 euros pour chacun des produits Divejet) en contrepartie de la saisie réelle des modèles. La société n'ayant pas communiqué d'élément pertinent de nature à permettre la fixation du préjudice de la société demanderesse, il y a lieu d'allouer à cette dernière une somme provisionnelle de 15.000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice économique. 126. Il est par ailleurs démontré que la société Actividad Nautica Balear vend ses produits moins cher que la société Cayago Tec GmbH, qui vend ses produits entre 7.845 euros et 14.565 euros, ce qui est de nature à capter une partie de sa clientèle et qu'elle a, en reproduisant les revendications précitées, banalisé l'apport techniques des brevets dont est titulaire la demanderesse ainsi que son modèle. La société est donc bien fondée en sa demande d'indemnisation d'un préjudice moral, qui sera fixé provisionnellement à la somme de 20.000 euros. 127. La société Actividad Nautica Balear n'a pas communiqué ses comptes ni une information sur son chiffre d'affaire, ni d'informations permettant d'établir précisément la perte subie et le gain manqué. Un droit d'information apparaît nécessaire sur ces points. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que la société défenderesse est distributeur des produits de la société Iaqua; il apparaît donc également nécessaire, de lui enjoindre de communiquer les informations concernant le nombre de produits importés, commercialisés, livrés en France, reçus, commandés ainsi que leur prix, l'état de son stock ainsi que les informations relatives aux éventuels distributeurs, puisqu'il ressort de ses publications sur facebook l'existence de contrats avec des partenaires commerciaux. Cette mesure concerne tant les produits Stingray que Divejet. En revanche, dans un souci de proportionnalité, il n'apparaît pas utile de solliciter la communication des informations concernant le fabricant, ou ni le nombre de produits fabriqués, puisqu'elle n'est que distributeur. 128. Les parties seront renvoyées à la détermination amiable du préjudice qui ne serait pas déjà indemnisé par le présent jugement ou, à défaut d'accord, par le tribunal saisi par nouvelle assignation. Il n'y a pas lieu de renvoyer l'affaire à la mise en état. 129. Enfin, dans la mesure où les produits contrefaisants ont été présentés sur un salon faisant l'objet d'une importante couverture médiatique et fréquenté par de nombreux visiteurs internationaux, et compte-tenu du contexte judiciaire de l'affaire, il sera fait droit à la demande de publication judiciaire dans les termes du dispositif de la décision. Sur les demandes annexes 130. Succombant, la société Actividad Nautica Balear S.L sera condamnée aux dépens de l'instance dont distraction au profit de Me Abello, avocat, sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. 131. Supportant les dépens (qui incluent les frais de saisie-contrefaçon et d'achat des scooters), la société Actividad Nautica Balear S.L sera condamnée à payer à la société Cayago Tec GmbH la somme de 90.000 euros, incluant les frais exposés pour les procès-verbaux de constat(qui n'ont pas la nature de dépens : Civ. 2e, 12 janv. 2017, 16-10123), pour l'expertise amiable. 132. L'exécution provisoire, compatible avec la nature de l'affaire, sera ordonnée à l'exception des mesures de publication. PAR CES MOTIFS LE TRIBUNAL, DIT n'y avoir lieu à écarter des débats les pièces no6, 7 et 8 communiquées par la société Actividad Nautica Balear S.L. par bordereau du 24 juin 2021; DÉBOUTE la société Actividad Nautica Balear S.L. de sa demande de nullité du modèle communautaire no 002077206-0004 dont est titulaire la société Cayago Tec GmbH; DÉBOUTE la société Actividad Nautica Balear SL de sa demande de nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 11 septembre 2019 et des procès-verbaux de constat et des expertises subséquents; FAIT INTERDICTION à la société Actividad Nautica Balear SL, directement ou indirectement par personne physique ou morale interposée, d'utiliser, d'importer, d'offrir en vente, de vendre sur le territoire français: - tout produit contrefaisant les revendications 1 à 6 et 8 du brevet EP 2 945 854 et notamment les engins Divejet de la marque Iaqua,- tout produit contrefaisant les revendications 1 à 3, 5 et 8 du brevet EP 2 945 856 et notamment les engins Divejet de la marque Iaqua,- tout produit contrefaisant les le modèle communautaire no002077206-0004 et notamment les engins Stingray de la marque Iaqua,sous astreinte de 15.000 euros par infraction constatée à compter de l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la signification de la présente décision et courant pendant un délai d'un an; ORDONNE que les produits Divejet Iaqua reconnus comme étant contrefaisants soient rappelés et écartés des circuits commerciaux aux fins de destruction en présence d'un huissier de justice, aux frais de la société Actividad Nautica Balear, dans un délai de 30 jours suivant la signification de la décision, puis sous astreinte de 500 euros par jour de retard qui courra pendant 180 jours ; CONDAMNE la société Actividad Nautica Balear SL payer à la société Cayago Tec GmbH la somme provisionnelle de 35.000 euros (trente-cinq mille euros) en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon; ORDONNE à la société Actividad Nautica Balear, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé un délai de 30 jours à compter de la signification de la présente décision et courant pendant un délai de 180 jours, de communiquer à la société Cayago Tec GmbH, les informations suivantes, étant précisé que les informations financières devront être certifiées par l'expert-comptablede la société: - les nom et adresses des distributeurs des produits contrefaisants; - l'état comptable certifié du nombre de produits contrefaisants importés, commercialisés, livrés, reçus et/ou commandés en France depuis 2018, ainsi que leur prix d'achat et de vente; - le nombre de de produits contrefaisants importés et/détenus et/ou vendus depuis 2018; - les bordereaux de livraison attestant du nombre de produits contrefaisants qui ont été livrés en France; - l'état comptable certifié des stocks des produits contrefaisants; - le chiffre d'affaires et la marge brute certifiés, réalisés par la société sur la vente des produits contrefaisants en France depuis 2018. RENVOIE les parties à la détermination amiable du préjudice qui ne serait pas déjà indemnisé par le présent jugement ou, à défaut d'accord, par le tribunal saisi par nouvelle assignation ; ORDONNE à la société Actividad Nautica Balear S.L. de permettre la lecture de l'intégralité du jugement par le moyen d'un lien hypertexte dans une bannière exclusivement dédiée devant figurer sur la page d'accueil de son site Internet https://toymaster.eu/en/, et mentionnant le titre suivant: "le tribunal judiciaire de Paris a jugé que la société Actividad Nautica Balear SL / Toymaster a commis des actes de contrefaçon des droits de la société Cayago Tec GmbH sur ses brevets EP 2 945 854 et EP 2 945 856 en important, détenant , offrant en vente et vendant des produits Divejet de marque Iaqua", traduit dans les langues du site internet et ce, pendant une durée de trois mois, ces dispositifs d'accès et de lecture devant être créés dans un délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision et sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai, courant pendant une durée de trois mois au maximum; DIT n'y avoir lieu à se réserver le contentieux de la liquidation de l'astreinte; REJETTE les demandes plus amples ou contraires; CONDAMNE la société Actividad Nautica Balear S.L aux dépens de l'instance (incluant les frais de saisie-contrefaçon et d'acquisisition des produits) dont distraction au profit de Me Abello, avocat; CONDAMNE la société Actividad Nautica Balear S.L. à payer à la société Cayago Tec GmbH la somme de 90.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, incluant les frais de constat d'huissier de justice; ORDONNE l'exécution provisoire de la décision, sauf en ce qui concerne la mesure de publication. Fait et jugé à Paris le 25 mai 2023 LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000047878962
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 8 juin 2023, 20/01786
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2023-06-08
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/01786
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 20/01786 No Portalis 352J-W-B7E-CRWPW No MINUTE : Assignation du :13 janvier 2020 JUGEMENT rendu le 08 juin 2023 DEMANDEURS S.A.S. LES PETITES TEIGNES[Adresse 2][Localité 7] Madame [M], [D], [N], [B] [KM], représentée par son représentant légal Madame [L] [YI][Adresse 2][Localité 7] Monsieur [E], [R], [C], [P] [KM], représenté par son représentant légal Madame [L] [YI][Adresse 2][Localité 7] Madame [L], [O] [YI] veuve [KM] [Adresse 2][Localité 7] Madame [Z], [V], [G] [KM][Adresse 4][Localité 7] Madame [U], [V], [Y] [KM][Adresse 5][Localité 1] (BELGIQUE) représentés par Me Gaëlle MERIC de l'AARPI MERIC LEVY-BISSONNET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1411 DÉFENDERESSE S.A.S. LES EDITIONS ROTATIVE[Adresse 3][Localité 6] représentée par Me Corinne POURRINET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0096 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation. DEBATS A l'audience du 21 mars 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 08 juin 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort 1. Le dessinateur [T] [KM], connu sous le nom de [F], était journaliste salarié et membre du comité de rédaction du journal Charlie Hebdo, édité par la société Les Editions Rotative. 2. Il est décédé lors de l'attentat perpétré le 7 janvier 2015, dans les locaux du journal, transmettant ses droits d'auteur en indivision à Madame [L] [YI], son épouse, ainsi qu'à leurs quatre enfants [Z], [U], [M] et [E] [KM]. 3. Le 22 février 2017, les ayants-droit de [T] [KM] ont conclu une convention donnant mandat à la société Les Petites Teignes, pour assurer la gestion des droits d'auteur, agir en justice et les représenter. 4. Considérant que les oeuvres réalisées par [T] [KM] ont été exploitées par la société Les Editions Rotative, sans leur autorisation, à l'occasion de la publication du numéro 1178 du journal Charlie Hebdo le14 janvier 2015, ainsi que, par la suite, sur divers supports et dans de nombreux pays, la société Les Petites Teignes, [L] [YI], [Z] [KM], [U] [KM], ainsi que [M] et [E] [KM], tous deux représentés par leur mère, [L] [YI], ont fait assigner la société Les Editions Rotative devant le tribunal judiciaire de Paris le 13 janvier 2020, en contrefaçon de droits d'auteur. 5. Par ordonnance du 15 octobre 2020, le juge de la mise en état a ordonné une mesure de médiation qui n'a pas abouti. 6. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 21 juillet 2022, la société SAS Les Petites Teignes, Madame [L] [YI], Madame [Z] [KM], Madame [U] [KM], ainsi que Madame [M] [KM] et Monsieur [E] [KM], mineurs, représentés par leur mère [L] [YI] demandent au tribunal de : -condamner la société SAS Les Editions Rotative à leur payer la somme de 1 535 000 euros au titre du préjudice patrimonial,-condamner la société SAS Les Editions Rotative à leur payer la somme de 80 000 euros au titre du préjudice moral de [T] [KM],-condamner la société SAS Les Editions Rotative à leur payer à chacun des héritiers de [T] [KM] la somme de 50 000 euros au titre de leur préjudice moral personnel,-condamner la société SAS Les Editions Rotative à leur payer la somme de 2 000 euros à chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,-ordonner l'exécution provisoire du jugement. 7. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 juin 2022, la société SAS Les Editions Rotative demande au tribunal de : -débouter les demandeurs de toutes leurs demandes, fins et prétentions,-dire que chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles et dépens. 8. Il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions qui y sont contenus. 9. L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 13 septembre 2022 et renvoyée à l'audience du 21 mars 2023 pour plaidoirie. 10. La décision a été mise en délibéré au 8 juin 2023. SUR CE I. Sur la demande principale 1.1 L'originalité et la qualification des oeuvres Moyens des parties 11. La société Les Petites Teignes et les ayants-droits de [T] [KM] soutiennent que les neuf dessins publiés dans le numéro 1178 du journal Charlie Hebdo sont des oeuvres originales de [F]. Ils contestent la qualification d'oeuvre collective, rappelant que la défenderesse a d'ailleurs appliqué d'office une rémunération proportionnelle l'excluant. 12. La société Editions Rotative soutient que le numéro 1178 du journal Charlie Hebdo est une publication de presse qui est une oeuvre collective originale au sens de l'article L. 113-2 du code de la propriété intellectuelle. Elle dit qu'elle bénéficie de la présomption de l'article L. 113-5 de ce même code, le journal ayant été divulgué sous son nom. Appréciation du tribunal 13. Selon le troisième alinéa de l'article L. 113-2 du code de la propriété intellectuelle « (?) est dite collective l'oeuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé ». 14. Selon l'article L. 132-35 du code de la propriété intellectuelle « on entend par titre de presse, au sens de la présente section, l'organe de presse à l'élaboration duquel le journaliste professionnel a contribué, ainsi que l'ensemble des déclinaisons du titre, quels qu'en soient le support, les modes de diffusion et de consultation. Sont exclus les services de communication audiovisuelle au sens de l'article 2 de la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. / Est assimilée à la publication dans le titre de presse la diffusion de tout ou partie de son contenu par un service de communication au public en ligne ou par tout autre service, édité par un tiers, dès lors que cette diffusion est faite sous le contrôle éditorial du directeur de la publication dont le contenu diffusé est issu ou dès lors qu'elle figure dans un espace dédié au titre de presse dont le contenu diffusé est extrait. / Est également assimilée à la publication dans le titre de presse la diffusion de tout ou partie de son contenu par un service de communication au public en ligne édité par l'entreprise de presse ou par le groupe auquel elle appartient ou édité sous leur responsabilité, la mention dudit titre de presse devant impérativement figurer ». 15. En l'espèce, le litige porte sur les droits patrimoniaux de neuf dessins réalisés par [T] [KM]. 16. Ils sont décrits ainsi par les demandeurs qui se prévalent de leur originalité : « Le premier dessin de [F] figure en page 2, après la page de couverture, en haut à gauche. Il représente S?ur [I]. Le deuxième dessin, en bas de la page 2, met en scène, en couleurs, trois hommes islamistes, accoudés sur une table, l'air pensif, et dialoguant de la façon suivante : « Il ne faut pas toucher aux gens de Charlie Hebdo? Sinon ils vont passer pour des martyrs et une fois au paradis, ces enfoirés vont nous piquer toutes nos vierges ». Le troisième dessin figure en bas de la page 3, à l'angle droit. En couleurs, et intitulé « C'est comment une Cellule Islamiste ? 9 m2 ! ». Le quatrième dessin est une vignette colorée en page 6 dans laquelle [F] s'est autocaricaturé dans le corps d'un ange blanc volant vers le ciel, à travers les nuages, des c?urs au dessus de son visage. Ce dessin illustre l'article « Même pas morts » rédigé par [X] [K] en hommage à [F], [A] et [H]. Le cinquième dessin est en page 10 (bas de page, côté gauche). Intitulé « Attention aux coups de Soleil », il met en scène 5 personnes vues d'en haut, alanguies sur leurs serviettes et une plage de sable, bronzant au soleil. Le sixième dessin de [F] figure en page 14 du journal, sur le côté droit, et représente une femme aux courbes généreuses habillées d'une Burqa. [Le septième dessin] en page 15, au milieu de la partie haute, une vignette colorée dont le titre est « Les français sont pessimistes » est une caricature d'un policier. [Le huitième dessin] toujours dans la partie centrale de cette page 15, (...) en couleurs intitulé « Ramadan » montre un Imam debout qui fait face à une femme habillée d'un t-shirt sur lequel est inscrit « Ni putes ni soumises ». [Le neuvième dessin] en bas à gauche de cette dernière page, le dernier dessin en couleurs de [F] illustre un homme dont le visage est levé vers le ciel, une larme à l'?il, et tenant une pancarte sur laquelle est inscrit : « Vous allez me manquer ». 17. Les neuf dessins qui précèdent représentent sous un angle satirique des personnages, réels ou fictifs, liés à l'actualité. 18. L'esquisse et le trait des personnages, les choix humoristiques réalisés, et le contenu des écrits sous forme de titres ou de dialogues, communiquant un point de vue, portent l'empreinte de la personnalité de leur auteur. Les parties ne contestent pas l'originalité des oeuvres qui est établie. 19. Il est démontré que les neuf dessins sont publiés le 14 janvier 2015 dans le numéro 1178 du journal Charlie Hebdo parmi une cinquantaine de dessins, ainsi que des tribunes et articles des journalistes et dessinateurs de ce journal, à la suite immédiate de l'attentat du 7 janvier 2015. 20. La qualification d'oeuvre collective repose sur la démonstration d'une création à l'initiative de la personne qui s'en prévaut, la divulgation de l'oeuvre sous son nom et l'existence d'un ensemble en vue duquel elle est conçue dans lequel se fond la contribution de chaque auteur. 21. Le numéro 1178 du journal Charlie Hebdo a certes été édité et publié par la société défenderesse mais les contributions qui le composent sont signées par leurs auteurs respectifs. 22. En outre, il ressort des débats que la publication du numéro n'est pas l'initiative de la seule personne morale mais également de la collectivité de ses journalistes et préposés souhaitant rappeler leur attachement à la liberté d'expression et rendre hommage aux personnes décédées dans l'attentat. 23. L'oeuvre est donc originale, la qualification d'oeuvre collective est écartée ainsi que le moyen tendant au rejet de la demande fondé sur cet argument. 24. En revanche, la société Les Editions Rotative éditant le journal Charlie Hebdo est bien un organe de presse auquel ses contributeurs, journalistes, ont contribué. Le numéro 1178 de ce journal est donc un titre de presse au sens de l'article L. 132-35 du code de la propriété intellectuelle. 1.2 La titularité des droits 25. La société Les Petites Teignes et les ayants-droits de [T] [KM] soutiennent que la société les Editions Rotative a la charge de la preuve et qu'elle ne démontre pas que les neuf dessins ont été créés et remis par [T] [KM] dans le cadre de ses missions salariées. Ils considèrent que [T] [KM] travaillait pour de nombreux médias malgré son contrat de travail conclu avec la défenderesse. Ils estiment donc que le droit d'exploitation de la société Les Editions Rotative n'est pas établi. 25.1. Les demandeurs exposent encore que deux dessins publiés avant le 14 juin 2009, intitulés « S?ur [I] » et « Burka », sont soumis aux anciens articles L. 761-9 puis L. 7113-2 du Code du travail. Ils expliquent que, sous ce régime, le défaut de signature d'une convention expresse individuelle précisant les conditions dans lesquelles la reproduction des dessins de [F] est autorisée aboutit à priver l'employeur du droit d'exploiter les dessins litigieux. 25.2. S'agissant des dessins publiés postérieurement au 14 juin 2009, ils estiment que le régime des articles L. 132-35 et suivants du code de la propriété intellectuelle impose la réalisation de l'oeuvre dans un titre de presse et l'existence d'un accord d'entreprise organisant la cession des droits d'exploitation. Selon leur argument, un tel accord n'a pas été conclu sur la période considérée ce qui exclut que la société défenderesse puisse se prévaloir du droit d'exploiter les dessins. 25.3. Les demandeurs soutiennent que la société Les Editions Rotative ne peut pas se prévaloir de l'exception de reproduction d'une oeuvre dans un but exclusif d'information immédiate car la vocation même de Charlie Hebdo est, selon eux, de publier des dessins satiriques présentant un lien avec l'actualité et que le no1178 n'est pas en stricte proportion avec le but exclusif d'information immédiate poursuivi eu égard au nombre de dessins utilisés, de la durée d'exploitation du numéro étalée sur plusieurs mois, du nombre de tirage et du caractère lucratif de ces ventes. 26. La société Editions Rotative soutient que les dessins sont réputés avoir été fournis par [T] [KM] dans le cadre de sa relation de travail, car la rédaction du journal Charlie Hebdo était en possession de ces dessins et que six d'entre eux ont déjà été publiés dans des numéros antérieurs (Burka, S?ur [I], Pessimisme, Muslims vierges, Cellule et Coups de soleil). 26.1. S'agissant des dessins publiés avant le 14 juin 2009, elle explique ne pas avoir l'instrumentum du contrat de travail conclu avec [T] [KM], mais fait valoir qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir sollicité l'autorisation préalable des héritiers de [T] [KM] car elle a publié les dessins en lien direct et immédiat avec l'actualité de l'attentat et dans un but exclusif d'information. 26.2. La société Editions Rotative fait valoir que les droits dont elle se prévaut sur les dessins publiés après le 14 juin 2009 lui ont été automatiquement cédés, par l'effet de son contrat de travail, et que cette cession est opposable aux ayants-droits. Elle soutient avoir publié les dessins de [T] [KM] dans un but exclusif d'information. Elle dit que l'auteur est rémunéré par la rémunération complémentaire prévue à l'article L. 132-38 du code de la propriété intellectuelle est fixée rétroactivement par effet du IV de l'article 20 de la loi no2009/669 du 12 juin 2009. Appréciation du tribunal 27. Aux termes de l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle « l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. / Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code (...) ». 28. Selon l'article L. 123-1 du code de la propriété intellectuelle « l'auteur jouit, sa vie durant, du droit exclusif d'exploiter son oeuvre sous quelque forme que ce soit et d'en tirer un profit pécuniaire. / Au décès de l'auteur, ce droit persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l'année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent ». 29. Selon l'article L. 121-8 du code de la propriété intellectuelle « l'auteur seul a le droit de réunir ses articles et ses discours en recueil et de les publier ou d'en autoriser la publication sous cette forme. / Pour toutes les oeuvres publiées dans un titre de presse au sens de l'article L. 132-35, l'auteur conserve, sauf stipulation contraire, le droit de faire reproduire et d'exploiter ses oeuvres sous quelque forme que ce soit, sous réserve des droits cédés dans les conditions prévues à la section 6 du chapitre II du titre III du livre Ier. / Dans tous les cas, l'exercice par l'auteur de son droit suppose que cette reproduction ou cette exploitation ne soit pas de nature à faire concurrence à ce titre de presse ». 30. Selon l'article 1353 du Code civil « celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. / Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ». 31. Il n'est pas contesté que [T] [KM] en qualité de dessinateur et de journaliste est l'auteur des neuf dessins litigieux publiés le 14 janvier 2015 dans le numéro 1178 du journal Charlie Hebdo. 32. N'est pas non plus contestée sa qualité de salarié des Editions Rotative depuis le 1er juillet 1992 jusqu'à son décès le 7 janvier 2015. L'instrumentum de son contrat de travail n'est pas produit. 33. La société les Editions Rotative justifie de la publication de plusieurs dessins dans des numéros antérieurs du journal Charlie Hebdo : -le dessin « Burka » le 28 octobre 2008,-le dessin « Soeur [I] » le 28 octobre 2008,-le dessin « Pessimisme » le 5 janvier 2011,-le dessin « Muslims vierges » le 3 octobre 2012,-le dessin « Cellule » le 17 octobre 2012,-le dessin « Coups Soleil », le 10 juillet 2013, 34. Elle ne justifie pas de la publication antérieure de trois autres dessins : -le dessin « Ramadan »,-le dessin « Vous allez me manquer »,-le dessin représentant [F] en ange (serait remis par Mme [KM]). 35. La publication de ces dessins est donc non datée car inconnue. 1. Le régime applicable aux trois dessins non datés 36. Les demandeurs prouvent leur qualité d'ayants-droit de [T] [KM]. En revanche, il n'est pas prouvé que les dessins ont été publiés dans le journal Charlie Hebdo. 37. S'il est vraisemblable, comme le soutient la société Les Editions Rotative, que ces trois dessins sont réalisés pendant la période de salariat de [T] [KM], la preuve n'en est pas rapportée. 38. Les demandeurs justifient à ce titre d'un bulletin de paie de [T] [KM] avec un autre journal pendant la période couverte par le contrat de travail. Il est donc possible que ces dessins n'aient pas été réalisés dans l'exécution du contrat de travail. 39. La publication de ces trois dessins dans le numéro 1178 du journal Charlie Hebdo devait donc, en principe, être autorisée par les ayants-droit de l'auteur. 2. Le régime applicable aux dessins antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi loi no2009/669 du 12 juin 2009 40. Vu l'article L. 121-8 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi no2009/669 du 12 juin 2009. 41. Aux termes de l'article L. 7113-2 du code du travail applicable « tout travail commandé ou accepté par une entreprise de journal et périodique et non publié est rémunéré. / Le droit de faire paraître dans plus d'un journal ou périodique les articles ou autres oeuvres littéraires ou artistiques dont un journaliste professionnel est l'auteur est subordonné à une convention expresse précisant les conditions dans lesquelles la reproduction est autorisée ». 42. En droit, l'auteur d'oeuvres publiées dans un journal conserve, sauf stipulation contraire, le droit de les faire reproduire et de les exploiter, sous quelque forme que ce soit, en sorte que toute exploitation, sous une nouvelle forme, par la société éditrice du journal est soumise à son autorisation. 43. L'existence d'un contrat de travail n'emporte aucune dérogation à la jouissance des droits de propriété intellectuelle de l'auteur et à défaut de convention expresse, conclue dans les conditions de la loi, l'auteur ne transmet pas à son employeur, du seul fait de la première publication, le droit de reproduction de son oeuvre. 44. Les solutions qui précèdent, reprises par le tribunal, sont issues de la jurisprudence de la Cour de cassation en particulier de ses arrêts Civ. 1ère, 3 juillet 2013, pourvoi no 12-21.481, Civ. 1ère, 21 octobre 1997, pourvoi no95-17.259, Civ. 1ère 12 juin 2001, pourvoi no99-15.895. 45. En l'espèce, le régime qui précède est applicable à deux dessins dits « Burka » et « Soeur [I] » publiés le 28 octobre 2008 dans le numéro 854 du journal Charlie Hebdo. 46. Il ressort des éléments de la cause qu'aucune convention expresse précisant les conditions dans lesquelles la reproduction est autorisée n'a été conclue entre la société Les Editions Rotative et [T] [KM] ou ses ayants-droit. 47. La publication de ces deux dessins dans le numéro 1178 du journal Charlie Hebdo devait donc, en principe, être autorisée par les ayants-droit de l'auteur. 3. Le régime applicable aux dessins postérieurs à l'entrée en vigueur de la loi loi no2009/669 du 12 juin 2009 48. Aux termes de l'article L. 132-36 du code de la propriété intellectuelle « par dérogation à l'article L. 131-1 et sous réserve des dispositions de l'article L. 121-8, la convention liant un journaliste professionnel ou assimilé au sens des articles L. 7111-3 et suivants du code du travail, qui contribue, de manière permanente ou occasionnelle, à l'élaboration d'un titre de presse, et l'employeur emporte, sauf stipulation contraire, cession à titre exclusif à l'employeur des droits d'exploitation des oeuvres du journaliste réalisées dans le cadre de ce titre, qu'elles soient ou non publiées ». 49. Selon l'article L. 132-37 du même code « l'exploitation de l'oeuvre du journaliste sur différents supports, dans le cadre du titre de presse défini à l'article L. 132-35 du présent code, a pour seule contrepartie le salaire, pendant une période fixée par un accord d'entreprise ou, à défaut, par tout autre accord collectif, au sens des articles L. 2222-1 et suivants du code du travail. / Cette période est déterminée en prenant notamment en considération la périodicité du titre de presse et la nature de son contenu ». 50. Selon l'article L. 132-38 du même code « l'exploitation de l'oeuvre dans le titre de presse, au-delà de la période prévue à l'article L. 132-37, est rémunérée, à titre de rémunération complémentaire sous forme de droits d'auteur ou de salaire, dans des conditions déterminées par l'accord d'entreprise ou, à défaut, par tout autre accord collectif ». 51. En l'espèce, le régime qui précède est applicable à quatre dessins dits « Pessimisme » publié le 5 janvier 2011, « Muslims vierges » publié le 3 octobre 2012, le dessin « Cellule » publié le 17 octobre 2012, et « Coups Soleil » publié le 10 juillet 2013. 52. Ces dessins sont publiés dans le journal Charlie Hebdo qui est un titre de presse au sens de l'article L. 132-35 du code de de la propriété intellectuelle. 53. Il est établi que la société Les Editions Rotative n'a pas signé d'accord d'entreprise ou d'accord collectif prévoyant la période visée à l'article L. 132-7 du code de la propriété intellectuelle. 54. En réponse au moyen en défense, l'accord d'entreprise conclu le 12 avril 2018 ne peut s'appliquer au cas d'espèce alors qu'il prévoit une entrée en vigueur au 1er janvier 2018 et, qu'en tout état de cause, le contrat de travail a été rompu par le décès du salarié antérieurement à sa conclusion. 55. L'absence de conclusion d'un accord d'entreprise ou d'un accord collectif au sens de l'article L. 132-37 du code de la propriété intellectuelle n'a pas pour effet de transférer le droit d'exploitation de l'oeuvre du journaliste, devenue propriété de l'employeur en contrepartie du salaire versé. 56. Elle a seulement pour conséquence d'ouvrir droit à une rémunération complémentaire dans les conditions de l'article L. 132-38 du même code. 57. La publication de ces quatre dessins dans le numéro 1178 du journal Charlie Hebdo n'avait donc pas à être autorisée par les ayants-droit de l'auteur. La société Les Editions Rotative avait le droit de les reproduire en les publiant. 4. L'exception de reproduction dans un but exclusif d'information immédiate et en relation directe avec cette dernière 58. Selon l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle « lorsque l'oeuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire : (?) 9o La reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d'une oeuvre d'art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d'information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d'indiquer clairement le nom de l'auteur ». 59. Cet article transpose la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2021 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information. 60. L'article 5, paragraphe 3, sous c) de cette directive « Exception et limitations » énonce que « 3. Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations aux droits prévus aux articles 2 et 3 dans les cas suivants: (?) c) lorsqu'il s'agit de la reproduction par la presse, de la communication au public ou de la mise à disposition d'articles publiés sur des thèmes d'actualité à caractère économique, politique ou religieux ou d'oeuvres radiodiffusées ou d'autres objets protégés présentant le même caractère, dans les cas où cette utilisation n'est pas expressément réservée et pour autant que la source, y compris le nom de l'auteur, soit indiquée, ou lorsqu'il s'agit de l'utilisation d'oeuvres ou d'autres objets protégés afin de rendre compte d'événements d'actualité, dans la mesure justifiée par le but d'information poursuivi et sous réserve d'indiquer, à moins que cela ne s'avère impossible, la source, y compris le nom de l'auteur (...) ». 61. La Grande Chambre de la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit dans sa décision Funke Medien NRW GmbH du 29 juillet 2019 dans l'affaire C-469/17 que : « (?) 2) La liberté d'information et la liberté de la presse, consacrées à l'article 11 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ne sont pas susceptibles de justifier, en dehors des exceptions et des limitations prévues à l'article 5, paragraphes 2 et 3, de la directive 2001/29, une dérogation aux droits exclusifs de reproduction et de communication au public de l'auteur, visés respectivement à l'article 2, sous a), et à l'article 3, paragraphe 1, de cette directive. 3) Le juge national, dans le cadre de la mise en balance qu'il lui incombe d'effectuer, au regard de l'ensemble des circonstances de l'espèce concernée, entre les droits exclusifs de l'auteur visés à l'article 2, sous a), et à l'article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, d'une part, et les droits des utilisateurs d'objets protégés visés par les dispositions dérogatoires de l'article 5, paragraphe 3, sous c), second cas de figure, et sous d), de cette directive, d'autre part, doit se fonder sur une interprétation de ces dispositions qui, tout en respectant leur libellé et en préservant leur effet utile, soit pleinement conforme aux droits fondamentaux garantis par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ». 62. Par cette même décision, la Cour de justice rappelle que les exceptions et limitations prévues à l'article 5, paragraphe 3, sous c) de la directive 2001/29/CE « 60. (...)il convient de souligner qu'elles visent spécifiquement à privilégier l'exercice du droit à la liberté d'expression des utilisateurs d'objets protégés et à la liberté de la presse, lequel revêt une importance particulière lorsqu'il est protégé au titre des droits fondamentaux, par rapport à l'intérêt de l'auteur à pouvoir s'opposer à l'utilisation de son oeuvre, tout en assurant à cet auteur le droit de voir, en principe, son nom indiqué (voir, en ce sens, arrêt du 1er décembre 2011, Painer, C-145/10, EU:C:2011:798, point 135) ». 63. La Cour souligne en outre que « 68. (?) lors de la mise en oeuvre des mesures de transposition de cette directive, il incombe aux autorités et aux juridictions des États membres non seulement d'interpréter leur droit national d'une manière conforme à cette même directive, mais également de ne pas se fonder sur une interprétation de celle-ci qui entrerait en conflit avec lesdits droits fondamentaux ou avec les autres principes généraux du droit de l'Union, ainsi que la Cour l'a itérativement jugé (voir, en ce sens, arrêts du 29 janvier 2008, Promusicae, C-275/06, EU:C:2008:54, point 70 ; du 27 mars 2014, UPC Telekabel Wien, C-314/12, EU:C:2014:192, point 46, et du 16 juillet 2015, Coty Germany, C-580/13, EU:C:2015:485, point 34) (?) 71. Il en découle que l'interprétation des exceptions et des limitations prévues à l'article 5 de la directive 2001/29 doit permettre, ainsi qu'il a été rappelé au point 51 du présent arrêt, de sauvegarder leur effet utile et de respecter leur finalité, une telle exigence revêtant une importance particulière lorsque ces exceptions et limitations visent, à l'instar de celles prévues à l'article 5, paragraphe 3, sous c) et d), de la directive 2001/29, à garantir le respect de libertés fondamentales ». 64. La Cour de justice précise à ce titre que « dans ce contexte, il importe, d'une part, d'ajouter que la protection du droit de propriété intellectuelle est certes consacrée à l'article 17, paragraphe 2, de la Charte. Cela étant, il ne ressort nullement de cette disposition ni de la jurisprudence de la Cour qu'un tel droit serait intangible et que sa protection devrait donc être assurée de manière absolue (arrêts du 24 novembre 2011, Scarlet Extended, C-70/10, EU:C:2011:771, point 43 ; du 16 février 2012, SABAM, C-360/10, EU:C:2012:85, point 41, et du 27 mars 2014, UPC Telekabel Wien, C-314/12, EU:C:2014:192, point 61). / 73. D'autre part, il a été rappelé au point 60 du présent arrêt que l'article 5, paragraphe 3, sous c) et d), de la directive 2001/29 vise à privilégier l'exercice du droit à la liberté d'expression des utilisateurs d'objets protégés et à la liberté de la presse, garanti par l'article 11 de la Charte. À cet égard, il y a lieu de relever que, dans la mesure où la Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), l'article 52, paragraphe 3, de la Charte vise à assurer la cohérence nécessaire entre les droits contenus dans celle-ci et les droits correspondants garantis par la CEDH, sans que cela porte atteinte à l'autonomie du droit de l'Union et de la Cour de justice de l'Union européenne [voir, par analogie, arrêts du 15 février 2016, N., C-601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 47, et du 26 septembre 2018, Staatssecretaris van Veiligheid en justitie (Effet suspensif de l'appel), C-180/17, EU:C:2018:775, point 31 ainsi que jurisprudence citée]. L'article 11 de la Charte contient des droits correspondant à ceux garantis par l'article 10, paragraphe 1, de la CEDH (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 2019, Buivids, C-345/17, EU:C:2019:122, point 65 et jurisprudence citée). / 74. Or, ainsi qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, aux fins d'effectuer la mise en balance entre le droit d'auteur et le droit à la liberté d'expression, cette juridiction a notamment souligné la nécessité de tenir compte de la circonstance que le type de « discours » ou d'information en cause revêt une importance particulière, notamment dans le cadre du débat politique ou d'un débat touchant à l'intérêt général (voir, en ce sens, Cour EDH, 10 janvier 2013, [S] [J] et autres c. France, CE:ECHR:2013:0110JUD 003676908, § 39) ». 65. Au cas présent, le numéro 1178 du journal Charlie Hebdo est qualifié par la société Les Editions Rotative de « numéro des survivants ». Il est publié le 14 janvier 2015, soit sept jours après l'attentat du 7 janvier 2015 et imprimé à plusieurs millions d'exemplaires. 66. La une du journal est un dessin du dessinateur [W] représentant Mahomet tenant une pancarte « Je suis Charlie » et figurant la phrase « tout est pardonné » faisant immédiatement suite à l'attentat du 7 janvier 2015. 67. Le numéro 1178 du 14 janvier 2015 informe le public que le journal et sa ligne éditoriale, satirique, défendant la liberté d'expression et la laïcité, sont maintenus en dépit des crimes terroristes perpétrés quelques jours plus tôt dans ses locaux. 68. Il n'est pas discutable que la défenderesse réalise ainsi l'exercice de sa liberté d'écrire et d'imprimer par les contributions de ses auteurs. 69. La publication du numéro 1178 du journal Charlie Hebdo constitue un discours et une information revêtant une importance particulière dans le cadre d'un débat politique touchant ici à l'intérêt général. 70. Les demandeurs évoquent l'insuffisance de leur rémunération complémentaire comme ayants-droit et des doutes sur la destination des fonds liés à la commercialisation de ce numéro du journal. Ils n'étayent pas leurs allégations par des éléments de preuve. 71. En cet état, il apparaît justifié de faire prévaloir, dans les conditions fixées par la loi, la liberté d'information, la liberté de la presse et la liberté d'expression sur l'intérêt des ayants-droit de l'auteur à pouvoir s'opposer à l'utilisation de son oeuvre. 72. Le nom de [F] apparaît sur chacun de ses dessins. La société Les Editions Rotative bénéficie de l'exception permettant la reproduction dans un but exclusif d'information immédiate et en relation directe avec cette dernière. 73. Par exception, s'agissant des trois dessins non datés et des deux dessins antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi no2009/669 du 12 juin 2009, la société Les Editions Rotative avait donc le droit de publier ces dessins malgré l'absence d'autorisation des ayants-droit de [T] [KM]. 74. La contrefaçon alléguée n'est donc pas démontrée. Les demandes indemnitaires, infondées, sont rejetées. II. Les demandes accessoires 75. Les parties conserveront à leur charges les dépens qu'elles ont respectivement exposés. Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile. La prétention des demandeurs en ce sens est rejetée. PAR CES MOTIFS LE TRIBUNAL, Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort, REJETTE les demandes, LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres dépens. Fait et jugé à Paris le 08 juin 2023. LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000047878963
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 23 juin 2023, 20/09672
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2023-06-23
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/09672
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CT0196
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG 20/09672 - No Portalis 352J-W-B7E-CS5JV No MINUTE : Assignation du :20 Août 2020 JUGEMENT rendu le 23 Juin 2023 DEMANDEURS Monsieur [U] [Y][Adresse 1][Localité 5] Madame [P] [L][Adresse 1][Localité 5] représentés par Maître David KOUBBI de la SELARL 28 OCTOBRE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0246 DÉFENDERESSES S.A.R.L. MAISON CARREE[Adresse 2][Localité 4] représentée par Maître Véronique DAHAN de la SELARL JOFFE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L108 Société NEW MAURITIUS HOTELS LIMITED - BEACHCOMBER RESORTS AND HOTELS[Adresse 6] [Adresse 6][Localité 3] (ILE MAURICE) représentée par Maître Michèle DAUVOIS de la SELAS KGA AVOCATS membre de l'AARPI KLEIN.WENNER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0110 Copies délivrées le :- Maître KOUBBI #P246 (executoire)- Maîre DAHAN #L108 (ccc)- Maître DAUVOIS #K110 (ccc)COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Irène BENAC, Vice-PrésidenteMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge assistée de Monsieur Quentin CURABET, Greffier DEBATS A l'audience du 20 Avril 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 23 Juin 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe ContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. La société de droit mauricien New Mauritius Hotels Limited-Beachcomber Resort (ci-après la société New Mauritius) exploite huit hôtels situés à l'île Maurice et aux Seychelles. 2. Selon devis du 28 avril 2017, accepté le 14 juin 2017, elle a confié à la SARL Maison carrée productions, qui a une activité de production de films institutionnels et publicitaires, la réalisation de 11 films publicitaires, de "captations opportunistes/snackcontent" et de "key visuels signature hôtel" pour un montant de 420.106,84 euros.Il était stipulé une cession des droits de propriété intellectuelle de l'ensemble des livrables sur tous supports, dans le monde entier, pendant cinq ans s'agissant du "couple instagrammeur" dont il est constant qu'il réalisait les captations opportunistes/snackcontent précitées. 3. La société Maison carrée productions a sous-traité à Mme [P] [L], mannequin et bloggeuse, et M. [U] [Y], mannequin, bloggeur et photographe, la réalisation des clichés opportunistes sans contrat écrit. Aux termes des factures acquittées du 20 juillet 2017, Mme [L] et M. [Y] ont cédé leurs droits à l'image et droits d'auteurs exclusivement pour une utilisation sur le compte Instagram Beachcomber-hotels à compter du 8 septembre 2017 et pour 3 ans. 4. Constatant que 126 de leurs clichés étaient diffusés sur d'autres supports de communication que ce compte Instagram, Mme [L] et M. [Y] ont signalé cette violation de leurs droits d'auteur et droits à l'image à la société New Mauritius par courriel du 5 août 2019. 5. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 août 2019, leur conseil a mis en demeure la société Maison carrée productions de leur communiquer la facture adressée à la société New Mauritius et de les indemniser de l'atteinte à leurs droits, sans obtenir de réponse. 6. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 décembre 2019, leur conseil a mis en demeure la société New Mauritius de cesser les usages illicites de leurs photographies et de les indemniser de l'atteinte à leurs droits. 7. Aucun accord n'ayant été trouvé, par acte du 20 août 2020, Mme [L] et M. [Y] ont fait assigner la société New Mauritius devant le tribunal judiciaire de Paris, en contrefaçon de leurs droits d'auteur, sollicitant des mesures d'interdiction et des dommages et intérêts, et atteinte à leur image.Par acte du 13 avril 2021, la société New Mauritius a appelé en garantie la société Maison carrée productions. Les instances ont été jointes le 27 mai 2021. 8. Dans leurs dernières conclusions signifiées le 14 septembre 2022, Mme [L] et M. [Y] demandent au tribunal de : Sur la contrefaçon :- interdire à la société Maison carrée productions l'usage ou la reproduction, totale ou partielle, des 126 photographies susvisées, sous astreinte ;- condamner la société Maison carrée productions et la société New Mauritius in solidum à leur payer la somme de 261.470 euros chacun à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi résultant de la contrefaçon des 126 photographies susvisées et, subsidiairement condamner l'une ou l'autre (selon les engagements souscrits entre elles) à leur payer les mêmes sommes sur le fondement de leur responsabilité respective contractuelle ou délictuelle ; Sur l'atteinte au droit à l'image- condamner la société Maison carrée productions et la société New Mauritius in solidum à leur payer à chacun la somme de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'atteinte portée à son droit à l'image ;- condamner la société Maison carrée productions et la société New Mauritius in solidum à leur payer à chacun la somme de 5.000 euros chacun à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de contracter en tant que mannequin avec un autre opérateur du domaine du tourisme depuis 2017 et du préjudice moral issu de l'inertie de Beachcomber dans le traitement du présent litige ;- condamner la société Maison carrée productions et la société New Mauritius in solidum aux dépens incluant les frais de constat d'huissier et distraits au profit de Me Koubbi, et à leur payer la somme de 20.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile. 9. Dans ses dernières conclusions signifiées le 3 novembre 2022, la société New Mauritius demande au tribunal de : à titre principal :- débouter les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes faute d'originalité des 126 clichés, de défaut de preuve de la titularité des droits sur ces clichés et de l'absence d'atteinte à la vie privée, les modèles n'étant pas identifiables ; subsidiairement :- juger que la réparation du préjudice patrimonial résultant de la contrefaçon des clichés protégés par le droit d'auteur sur le support de ses sites internet doit être limitée à la somme maximum de 7.000 euros pour chacun des demandeurs ; - débouter les demandeurs de leur demande au titre du préjudice patrimonial résultant de la contrefaçon des clichés protégés par le droit d'auteur sur les sites tiers et son site B2B ; - juger que la réparation du préjudice patrimonial résultant de la contrefaçon des clichés protégés par le droit d'auteur sur ses comptes Facebook et Twitter doit être limitée à la somme maximum de 7.000 euros pour pour chacun des demandeurs ;- juger que la réparation du préjudice patrimonial résultant de la contrefaçon des clichés protégés par le droit d'auteur sur ses brochures doit être limitée à la somme maximum de 3.000 euros pour pour chacun des demandeurs ;- juger que la réparation du préjudice patrimonial résultant de la contrefaçon des clichés protégés par le droit d'auteur sur ses flyers doit être limitée à la somme maximum de 2.000 euros pour chacun des demandeurs ;- débouter les demandeurs de leur demande au titre du préjudice patrimonial résultant de la contrefaçon des clichés protégés par le droit d'auteur sur les espaces publicitaires ou limiter la réparation de ce préjudice à la somme de 2.000 euros pour chacun des demandeurs ; - débouter les demandeurs de leur demande au titre du préjudice moral résultant de la contrefaçon des clichés protégés par le droit d'auteur ou limiter la réparation de ce préjudice à la somme de 1 euros pour chacun des demandeurs ; - juger que la réparation du préjudice patrimonial résultant de l'atteinte portée à leur droit à l'image doit être limitée à la somme maximum de 3.000 euros pour chacun des demandeurs ;- débouter les demandeurs de leur demande au titre du préjudice moral résultant de l'atteinte portée à leur droit à l'image ; en toute état de cause :- condamner la société Maison carrée productions à la garantir de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;- juger que la société Maison carrée productions a fait l'aveu judiciaire dans ses écritures qu'elle lui devait sa garantie ;- débouter la société Maison carrée productions de l'ensemble de ses demandes ;- condamner la partie qui succombera aux dépens et à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;- ordonner l'exécution provisoire de droit de ses demandes en garantie et la rejeter pour celles des demandeurs et de la société Maison carrée productions ou a minima ordonner la constitution d'une garantie. 10. Dans ses dernières conclusions signifiées le 4 novembre 2022, la société Maison carrée productions demande au tribunal de : - débouter les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes faute d'originalité des clichés, de titularité des droits et d'atteinte à la vie privée ;- écarter des débats les pièces no39 et 40 communiquées par M. [Y] et Mme [L]; Sur l'appel en garantie :- débouter la société New Mauritius de sa demande de reconnaissance d'un aveu judiciaire de sa garantie ;- juger que sa garantie est limitée à la contrefaçon des clichés sur les comptes Facebook et Twitter de la société New Mauritius et à la somme maximum de 842,18 euros pour chacun des demandeurs ; - débouter la société New Mauritius de sa demande de garantie au titre du préjudice moral résultant de la contrefaçon des clichés protégés par le droit d'auteur et de toutes les autres condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ; Dans l'hypothèse où sa garantie serait globale : - juger que la réparation du préjudice patrimonial résultant de la contrefaçon des clichés protégés par le droit d'auteur sur le support des sites internet de la société New Mauritius doit être limitée à la somme maximum de 1.137,50 euros pour chacun des demandeurs ; - débouter les demandeurs de leur demande au titre du préjudice patrimonial résultant de la contrefaçon des clichés protégés par le droit d'auteur sur les sites tiers et le site B2B de la société New Mauritius ; - juger que la réparation du préjudice patrimonial résultant de la contrefaçon des clichés protégés par le droit d'auteur sur les comptes Facebook et Twitter de la société New Mauritius doit être limitée à la somme maximum de 842,18 euros pour chacun des demandeurs ;- juger que la réparation du préjudice patrimonial résultant de la contrefaçon des clichés protégés par le droit d'auteur sur les brochures de la société New Mauritius doit être limitée à la somme maximum de 153,12 euros pour chacun des demandeurs ;- juger que la réparation du préjudice patrimonial résultant de la contrefaçon des clichés protégés par le droit d'auteur sur les flyers de la société New Mauritius doit être limitée à la somme maximum de 32,81 euros pour chacun des demandeurs ;- débouter les demandeurs de leur demande au titre du préjudice patrimonial résultant de la contrefaçon des clichés protégés par le droit d'auteur sur les espaces publicitaires ; - débouter les demandeurs de leur demande au titre du préjudice moral résultant de la contrefaçon des clichés protégés par le droit d'auteur ou limiter la réparation de ce préjudice à la somme de 1 euros pour chacun des demandeurs ; - juger que la réparation du préjudice patrimonial résultant de l'atteinte portée à leur droit à l'image doit être limitée à la somme maximum de 3.000 euros pour chacun des demandeurs ;- débouter les demandeurs de leur demande au titre du préjudice moral résultant de l'atteinte portée à leur droit à l'image ; En tout état de cause :- condamner la partie qui succombera aux entiers dépens et à lui payer la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;- écarter l'exécution provisoire. 11. L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 novembre 2022. MOTIVATION I . Sur les demandes principales en contrefaçon de droit d'auteur 12. La société New Mauritius conteste l'originalité de chacune des 126 photographies litigieuses. Elle soutient que la liberté de choix artistique était réduite en l'espèce par la direction artistique de la société Maison carrée productions, l'absence de mise en oeuvre de techniques dépassant le floutage du fond, la représentation de sujets très attendus et banals s'agissant d'hôtels de luxe sur une île paradisiaque de sorte que la beauté des clichés résulte du savoir-faire des demandeurs en matière de photographie et mannequinat mais ne portent pas l'empreinte de leur personnalité.Elle verse des photographies similaires lors de son analyse de chaque cliché. 13. La société Maison carrée productions fait valoir qu'elle a eu la direction artistique de la campagne publicitaire, y compris le repérage des lieux à photographier et édité une banque d'images de référence dont devaient s'inspirer tous les prestataires, comme l'atteste le réalisateur des films publicitaires. Elle s'associe aux contestations de l'originalité de chaque cliché effectuées par la société New Mauritius. 14. Les demandeurs soutiennent que l'originalité ne dépend ni statut professionnel de l'auteur, ni de sa notoriété. Ils motivent spécialement l'originalité de chacune des photographies, en particulier du fait de la mise en scène, des angles de prise de vue utilisés, de l'exploitation des contre-jours, des jeux de lumière et des reflets ainsi que "de la direction artistique qui gouverne chaque image, s'agissant de la détermination des sujets à photographier, du stylisme correspondant et des repérages à effectuer en termes de lieu et de conditions d'éclairage". Sur ce, 15. L'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création et dès lors qu'elle est originale, d'un droit de propriété incorporelle exclusif comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. 16. Les dispositions de l'article L.112-1 du code de la propriété intellectuelle protègent par les droits d'auteur toutes les oeuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination, pourvu qu'elles soient des créations originales. Aux termes de l'article L. 112-2, 9o de ce code, sont considérées comme des oeuvres de l'esprit notamment "les oeuvres photographiques". 17. L'originalité de l'oeuvre ressort des choix libres (qui ne sont imposés par la technique, par le sujet ou par un tiers) et créatifs du photographe qui lui donnent une forme propre, de sorte qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur. Il est indifférent que le photographe soit ou non un professionnel.Chaque oeuvre doit être examinée distinctement mais, dans le cas de séries de photographies, elles peuvent être regroupées par caractéristiques communes (1re Civ., 21 octobre 2020, pourvoi no 19-16.193). 18. L'ensemble des clichés a été pris avec un appareil-photo numérique de modèle courant (à l'exception de trois pris avec un smartphone) et il n'est pas allégué, au titre de l'originalité, de traitement de l'image a posteriori. Ils font partie d'un ensemble de 806 photographies prises en deux semaines dans sept hôtels Beachcomber en juillet 2017, simultanément avec le tournage des films publicitaires et les photographies "signature". 19. Les clichés litigieux peuvent être regroupés en quatre groupes :- 9 sont des paysages de plage : nos 1, 26, 30, 55, 57, 64, 72, 102 et 103, - 74 représentent les mannequins dans les installations de l'hôtel : - à table : nos 12, 15, 31, 46, 48, 66, 74, 88, 104, 115, 117, - dans le jardin : nos 9, 16, 54, 56, 77 et 119, - à la plage : nos 2, 6, 17,22, 23, 27, 37, 39, 45, 61, 65, 94, 111, 113,114, 118,122 et 123 - sur les installations de tennis, de golf ou de voile : nos 24, 32, 33, 59 et 109, - à la piscine ou au spa : nos 8, 10, 13, 19, 20, 21, 29, 36, 43, 44, 50, 51, 52, 53, 58, 63, 67, 68, 71, 83, 84, 85, 86, 87, 93, 96, 97, 98, 112, 120 et 124, - en mer : nos 25 et 70, - dans une chambre : no 62- 12 sont des plans rapprochés sur des objets : - catamarans: nos 3, 35 et101, - ananas : nos 76 et 100, - divers détails : nos 18, 34, 38, 69, 91, 92 et 125,- 31 sont des vues des établissements et leurs installations sans les mannequins : - tables de repas : nos 11, 47, 49, 60, 73, 75, 78,79, 80, 81, 82, 89, 90, 99, 105, 106 , 107, 108, 116, 121 et 126 - bâtiment : nos 4 et 5, - jardins et piscines : nos 7, 14, 28, 40, 41, 42, 95 et 110. 20. Les défenderesses ne démontrent pas avoir donné des instructions précises de mise en scène des "clichés opportunistes" commandés aux demandeurs dans le cadre la même campagne publicitaire incluant les prestations visées au point 2 supra. Néanmoins, cette prestation s'inscrivait dans le cadre de l'exécution de la campagne publicitaire réalisée par la société Maison carrée productions, ce qui est corroboré par la grande homogénéité des 126 photographies pour lesquelles la protection par le droit d'auteur est revendiquée et par la "campagne print" (pièce no 1 de la société Maison carrée productions), confirmant que les lignes conceptuelles et esthétiques des prestations, y compris la partie "Instagram content", étaient pré-définies, quand bien même les demandeurs ont manifestement réalisé leur prestation sans directives précises.Dans ces conditions, la liberté créatrice des demandeurs était limitée par l'objet des prises de vue et les parti-pris esthétiques et conceptuels de la campagne publicitaire. 21. Le tribunal observe d'ailleurs que toutes les photographies obéissent aux conventions classiques de la publicité - des voyagistes et hôtels s'agissant de destinations tropicales : plages, palmiers, couchers de soleil, activités nautiques mais également tennis et golf, d'une part, et installations luxueuses, dédiées au bien-être physique, dans des environnements préservés, d'autre part, ainsi que - de la mode balnéaire : attitudes et positions peu naturelles mettant en valeur le vêtement, la silhouette des mannequins et les lieux.De plus, aucun sujet photographié ne s'écarte des thèmes précités particulièrement limités visuellement et conceptuellement. 22. Pour les 9 clichés de paysage, les demandeurs revendiquent une mise en scène et un choix de l'heure. Cependant la présence de bateaux ou de hamacs ne suffit pas à caractériser une mise en scène.Quant aux choix de lumière - un cliché sur deux étant un coucher de soleil -, ils résultent du site, de ses beautés naturelles et de l'instant contingent de la prise de vue et aucunement d'un choix "savant" comme les demandeurs le qualifient.Aucun choix libre et créatif n'est démontré s'agissant de ces photographies. 23. S'agissant des 31 photographies des installations des hôtels, les demandeurs invoquent des intentions artistiques, des configurations ou le placement de meubles.Aucun des 10 clichés représentant des plans larges des lieux ne présente de configuration inhabituelle par rapport aux standards des hôtels de ce type et, si un arrangement des lieux par les demandeurs n'est pas impossible, il ne s'écarte aucunement des représentations habituelles.Les prises de vue sont réalisées avec goût et savoir-faire mais elles sont également très stéréotypées.Quant aux 21 vues de tables, d'assiettes et de boissons, elles sont également d'une grande banalité. L'empreinte de la personnalité des auteurs n'est aucunement perceptible sur les 31 clichés précités. 24. De même, les objets photographiés sont des vêtements, chapeaux ou chaussures de plage simplement posés, trois ananas groupés, du matériel de plongée ou de sport nautique, directement illustratifs des loisirs proposés par les hôtels.Il ne transparaît de ces 12 photographies aucun choix créatif. 25. Enfin, les 74 photographies représentant les mannequins dans les installations de l'hôtel sont manifestement encadrées par des conventions très précises destinées à mettre en valeur les belles installations balnéaires et la relative variété des loisirs offerts sur place, dans une évocation de vacances en tête-à-tête d'un jeune couple.La beauté du site est habilement représentée, notamment par l'exploitation réussie des jeux de reflets dans la piscine, de l'effet de continuité entre la piscine à débordement et la mer, mais ces effets sont commandés par le site et les installations eux-mêmes, aménagés pour les procurer.S'agissant des personnages, leur contribution aux clichés résulte de leur beauté et leur savoir-faire de mannequins professionnels et non d'une quelconque mise en scène, leurs attitudes étant typiques des photographies de tourisme et de mode balnéaire.Enfin, l'inspiration purement publicitaire est aussi conventionnelle que possible.Dès lors, il n'est pas établi que ces clichés portent l'empreinte de la personnalité de leurs auteurs, au-delà de leur indéniable savoir-faire. 26. Il y a donc lieu de juger qu'aucune des photographies ne peut bénéficier de la protection par le droit d'auteur. II . Sur les demandes subsidiaires en responsabilité contractuelle contre la société Maison carrée productions ou en responsabilité délictuelle contre la société New Mauritius 27. Dans le cas où leurs demandes en contrefaçon de droits d'auteurs seraient rejetées, Mme [L] et M. [Y] font valoir que soit la société Maison carrée productions a engagé sa responsabilité contractuelle à leur égard en cédant à la société New Mauritius des droits sur leurs photographies excédant leurs accords, soit la société New Mauritius a engagé sa responsabilité délictuelle à leur égard en outrepassant ses droits. 1 . Sur les stipulations convenues entre la société Maison carrée productions et la société New Mauritius s'agissant des droits sur les photographies des demandeurs 28. La société Maison Carrée productions soutient que :- la présentation du 17 juin 2017, complémentaire au devis, précisait explicitement les droits accordés pour les photographies sur le seul support Instagram ;- le courriel du 18 juillet 2017 de la société New Mauritius démontre une incertitude quant aux droits cédés relatifs aux supports d'utilisation des clichés, et elle-même a levé l'ambiguïté en précisant la limitation de l'utilisation des clichés à "l'utilisation interne et aux réseaux sociaux". - le courriel du 31 août 2017 et les échanges antérieurs démontrent donc un accord sur des droits sur les photographies limités aux réseaux sociaux. 29. La société New Mauritius fait valoir que :- la société Maison carrée productions lui a cédé plus de droits d'utilisation qu'elle n'en avait sur les clichés litigieux ;- la mention "support social media: instagram seul", ajoutée dans une présentation postérieure à la formation du contrat produite par la société Maison carrée productions, est ambiguë en ce qu'elle ne laisse pas penser que le contrat limitait la diffusion à Instagram, notamment du fait de la référence à "des communautés". Sur ce, 30. Le devis accepté le 14 juin 2017 liant les parties prévoit une cession des droits de propriété intellectuelle sur les captations opportunistes/snackcontent du "couple instagrammeur" sur tous supports, dans le monde entier, pendant cinq ans. 31. La société Maison carrée productions ne saurait être suivie lorsqu'elle soutient que sa présentation powerpoint du 17 juin 2017 (sa pièce no 1) fait partie de l'ensemble contractuel constitué par le devis accepté et ses conditions générales, alors qu'il ne s'agit que d'une présentation du projet et qu'elle est postérieure à l'accord. 32. Au surplus, la seule mention "** Support Social Media : Instagram seul" sur l'avant-dernière diapositive (les deux astérisques ne renvoyant à aucun terme antérieur) est particulièrement ambiguë et ne saurait avoir valeur d'avenant à la disposition sur la cession des droits en l'absence d'accord exprès de la société New Mauritius. 33. Enfin, il n'est pas plus établi un accord sur ces dispositions à partir des échanges de la société Maison carrée productions et la société New Mauritius en juillet 2017 qui ne portent explicitement que sur les photographies signatures et non sur les clichés opportunistes. 34. Les dispositions contractuelles liant la société Maison carrée productions et la société New Mauritius quant aux droits sur les photographies des demandeurs sont donc différentes dans leur périmètre et leur durée de celles convenues entre ces derniers et la société Maison carrée productions. 35. Il y a donc lieu d'examiner la demande subsidiaire formée contre la seule société Maison carrée productions en responsabilité contractuelle. 2 . Sur la responsabilité de la société Maison carrée productions 36. Mme [L] et M. [Y] sollicitent au titre de la responsabilité contractuelle de la société Maison carrée productions les mêmes réparations que sur le fondement du droit d'auteur. 37. La société Maison carrée productions conteste l'évaluation du préjudice. Sur ce, 38. L'article 1231-1 du code civil dispose : "Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure." et l'article 1231-2 précise : "Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après." 39. Il n'est pas contesté que l'accord des parties sur l'étendue de la cession de leurs prestations était celles figurant sur les factures acquittées du 20 juillet 2017, soit exclusivement pour une utilisation sur le compte Instagram Beachcomber-hotels à compter du 8 septembre 2017 et pour 3 ans. 40. En ne répercutant pas cette disposition à l'annonceur, ainsi qu'il a été vu supra dans la parties III, la société Maison carrée productions a manqué au respect de cet accord et engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de Mme [L] et M. [Y]. 41. Il n'est pas contesté que les photographies, objets de la prestation sous-traitée aux demandeurs, ont été diffusées jusqu'à fin 2019 comme suit :- 104 photographies sur trois sites Internet Beachcomber et 74 par des sites tiers- 77 photographies sur Facebook et Twitter- 14 photographies sur des brochures publicitaires Beachcomber- 3 photographies sur des flyers Les six procès-verbaux de constat d'huissier des 27, 28 et 29 août, 2, 7 et 17 octobre 2019 ne démontrent aucune utilisation plus ample. 42. Cette utilisation excédant la cession convenue est à l'origine d'un manque à gagner pour les demandeurs.Vu que l'utilisation sur Instagram pour trois ans a été facturée par chacun des deux prestataires à hauteur de 8.400 euros TTC pour 806 clichés, la perte de gain correspondant à ce manquement de la société Maison carrée productions sera fixé à la somme de 6.000 euros pour chacun des demandeurs. III . Sur les demandes principales au titre de l'atteinte au droit à l'image 43. Mme [L] et M. [Y] soutiennent qu'ils sont reconnaissables sur "la plupart" des images sans les énumérer.Ils allèguent un préjudice patrimonial dont ils sollicitent la réparation sur la base de quatre fois le forfait journalier de mannequins de leur niveau pendant 15 jours (1.071,43 x 15 x 400% = 64.286 euros) arrondi à la somme de 60.000 euros pour chacun et un préjudice moral résultant d'une perte de chance d'être engagés par d'autres annonceurs du même secteur du fait de l'association massive de leur image aux hôtels Beachcomber. Ils demandent la condamnation in solidum des défenderesses en ce que la société Maison carrée productions n'a pas respecté leur contrat et que la société Beachcomber à diffusé sans droit ces clichés. 44. La société Beachcomber fait valoir que seuls deux clichés (numéros 22 et 62) permettent de distinguer le visage des modèles, mais pas de les identifier du fait de la distance et de l'insuffisance de lumière ainsi que de l'absence de leurs noms. Elle conteste le mode de calcul du préjudice, qui ne saurait excéder la somme de 3.000 euros pour le préjudice patrimonial et dénie l'existence d'un préjudice moral, les demandeurs étant mannequins de profession et utilisant eux-mêmes les clichés litigieux sur la première page de leur site "Shoot my hotel". 45. La société Maison carrée productions s'associe aux mêmes moyens. Sur ce, 46. L'article 9 du code civil prévoit : "Chacun a droit au respect de sa vie privée", en vertu duquel chacun a un droit exclusif et absolu sur son image et peut s'opposer à sa fixation à sa reproduction ou à son utilisation sans autorisation préalable (1re Civ., 10 mai 2005, pourvoi no 02-14.730).Il appartient à celui qui publie la photographie d'une personne de rapporter la preuve du consentement de l'intéressé. 47. Mme [L] et M. [Y] apparaissent sur les 74 clichés visés au point 19 supra. Sur de nombreux clichés les mannequins sont photographiés de dos ou partiellement (pieds, mollets et mains) et ne sont pas identifiables ; en revanche, sur les clichés ci-dessous, quand bien même la photographie serait sombre ou le modèle porterait chapeau ou lunettes de soleil, ils peuvent être identifiés. 48. Il en est ainsi pour Mme [L] sur les photographies numéro 2, 5, 8, 9, 10, 15, 16, 17, 22, 25, 27, 31, 33, 39, 46, 53, 59, 62, 70, 88, 96, 109 et 114 et pour M. [Y] sur les photographies numéro 9, 15, 17, 22, 31, 62, 98 et 115. 49. La diffusion de ces clichés sur des supports pour lesquels ils n'avaient pas donné d'autorisation constitue une atteinte à leur droit sur leur image. 50. Les demandeurs versent six procès-verbaux de constat d'huissier des 27, 28 et 29 août, 2, 7 et 17 octobre 2019 sans mentionner le nombre d'utilisations litigieuses, ni caractériser l'atteinte qu'ils auraient subie de ce fait, laissant au tribunal la recherche de celles-ci parmi les centaines de pages de ces constats.Le tribunal a ainsi relevé, dans le procès-verbal de constat d'huissier du 27 août 2019, 7 clichés de Mme [L] et 2 de M. [Y] sur Facebook et, dans celui du 28 août 2019, sur le site Beachcomber 11 clichés de Mme [L] et 5 de M. [Y] mais aucun dans celui du 29 août 2019.S'agissant des procès-verbaux dressés en octobre 2019, il n'a été trouve qu'une photographie de Mme [L] et une de M. [Y]. 51. Leur profession de mannequins justifie de retenir un préjudice patrimonial résultant de l'utilisation sans autorisation de leur image, les clichés ayant une valeur marchande et étant susceptibles de leur faire perdre une chance d'être recrutés par des concurrents des hôtels Beachcomber. Au regard du faible nombre de clichés, sur de très petits formats avec un risque d'identification assez faible et de l'absence d'élément justifiant de la perte de chance alléguée, ce préjudice sera réparé par la somme de 2.000 euros à Mme [L] et 1.000 euros à M. [Y]. 52. Le préjudice moral, tel que caractérisé par Mme [L] et M. [Y], est en réalité un préjudice patrimonial, déjà indemnisé. 53. La société Maison carrée productions, qui a cédé ces clichés, et la société New Mauritius, qui les a diffusés sans consentement, seront donc condamnées in solidum à leur payer ces sommes en réparation de l'atteinte à leur droit l'image. IV . Sur l'appel en garantie de la société Beachcomber contre la société Maison carrée productions 54. La société New Mauritius fait valoir que :- elle a agi de bonne foi et a été trompée par la société Maison carrée productions qui lui a cédé plus de droits d'utilisation qu'elle n'en avait sur les clichés litigieux ;- en n'attirant pas son attention sur cette limitation au seul réseau Instagram, la société Maison carrée productions a manqué à son devoir d'information précontractuelle, et ne justifie pas l'avoir avertie sur les préjudices résultant d'une potentielle violation des droits des demandeurs. 55. La société Maison Carrée productions soutient que :- elle n'a accepté de garantir la société New Mauritius que pour l'utilisation sur les réseaux sociaux, ce qui ne constitue pas un aveu judiciaire pour les autres supports et ne concerne pas plus une éventuelle atteinte au droit à l'image sur ces autres supports ;- elle ne doit aucune garantie au titre des préjudices moraux des demandeurs, n'ayant pas utilisé les clichés litigieux. Sur ce, 56. Le devis accepté le 14 juin 2017 stipulait une cession des droits de l'ensemble des livrables sur tous supports, dans le monde entier, pendant cinq ans s'agissant du "couple instagrammeur". 57. Ainsi qu'il a été indiqué aux points 30 à 34 supra, ces dispositions excèdent les droits convenus avec les demandeurs par la société Maison carrée productions sur les prestations qu'elle leur a sous-traitées. Ce faisant elle a commis une faute contractuelle qui est seule à l'origine de la mise en jeu de la responsabilité de la société New Mauritius qui a pu se croire légitimement autorisée à diffuser ces clichés sur tous supports pendant cinq ans. 58. Il y a donc lieu de la condamner à garantir celle-ci intégralement des condamnation prononcées à son encontre. V . Dispositions finales 59. La société Maison carrée productions, qui succombe, est condamnée aux dépens. 60. L'équité ainsi que la prise en compte de la situation respective des parties justifie de la condamner à payer à Mme [L] et M. [Y] la somme de 10.000 euros et la même somme à la société New Mauritius au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 61. Aucune circonstance ne justifie d'écarter l'exécution provisoire de droit du présent jugement. PAR CES MOTIFS Déboute Mme [P] [L] et M. [U] [Y] de leurs demandes au titre de la contrefaçon de droits d'auteurs ; Condamne la société Maison carrée productions à payer à Mme [P] [L] la somme de 6.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de ses manquements contractuels ; Condamne la société Maison carrée productions à payer à M. [U] [Y] la somme de 6.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de ses manquements contractuels ; Condamne in solidum la société New Mauritius Hotels Limited-Beachcomber Resort et la société Maison carrée productions à payer à Mme [P] [L] la somme de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte portée à son droit à l'image ; Condamne in solidum la société New Mauritius Hotels Limited-Beachcomber Resort et la société Maison carrée productions à payer à M. [U] [Y] la somme de 1.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte portée à son droit à l'image ; Condamne la société Maison carrée productions à garantir la société New Mauritius Hotels Limited-Beachcomber Resort de l'ensmble des condamnations prononcées à son encontre ; Condamne la société Maison carrée productions aux dépens de l'instance, qui pourront être recouvrés directement par Me Koubbi dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ; Condamne la société Maison carrée productions à payer à Mme [L] et M. [Y] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; Condamne la société Maison carrée productions à payer à la société New Mauritius Hotels Limited-Beachcomber Resort la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Fait et jugé à Paris le 23 Juin 2023 Le Greffier La PrésidenteQuentin CURABET Irène BENAC
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JURITEXT000047878964
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 9 juin 2023, 20/01444
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2023-06-09
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/01444
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CT0196
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG 20/01444No Portalis 352J-W-B7E-CRUSG No MINUTE : Assignation du :31 Décembre 2019 JUGEMENT rendu le 09 Juin 2023 DEMANDEURS Association [Z] ET [O] [G][Adresse 4][Localité 7] Monsieur [N] [U][Adresse 1][Localité 6] Monsieur [D] [G][Adresse 2][Localité 7] représentés par Maître Anne LAKITS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0765 DÉFENDERESSE ASSOCIATION [G], ASSOCIATION DES AMATEURS ET DES PROPRIÉTAIRES DE JARDINS, MAISONS ET CHÂTEAUX DESSINES, CONSTRUITS OU RESTAURES PAR LES ARCHITECTES-PAYSAGISTES [Z] (1841-1902) ET [O] [G] (1866-1947)domiciliée : chez Musée [8][Adresse 3][Localité 5] représentée par Maître Jean-baptiste SCHROEDER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0009 Copies délivrées le : - Maitre LAKITS #C765 (executoire)- Maître SCHROEDER #K9 (ccc)COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Irène BENAC, Vice-PrésidenteMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge assistés de Monsieur Quentin CURABET, Greffier DÉBATS A l'audience du 24 Mars 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 09 Juin 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireen premier ressort EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. L'"association [Z] et [O] [G]" (ci-après l'"association demanderesse"), son président, M. [D] [G], et le frère de ce dernier, M. [N] [U], reprochent à l'"association [G], association des amateurs et des propriétaires de jardins, maisons et châteaux dessinés, construits ou restaurés par les architectes-paysagistes [Z] (1841-1902) et [O] [G] (1866-1947)", ci-après l'"association défenderesse", d'avoir créé un risque de confusion entre les deux associations du fait de sa dénomination sociale et d'avoir déposé en fraude de leurs droits plusieurs marques et un nom de domaine. 2. MM. [G] et [U] sont co-titulaires du droit moral sur l'oeuvre des architectes-paysagistes [Z] et [O] [G], aujourd'hui dans le domaine public, et l'association demanderesse exploite un site internet à l'adresse www.[09].com en plus du réseau social Instagram et d'un logo. 3. M. [H] [Y] [V], président de l'association défenderesse, a déposé au nom de celle-ci :- la marque verbale française "[Z]&[O] [G]" enregistrée sous le no4126924 le 19 octobre 2014 pour désigner des produits et services dans les classes 38, 42 et 44, notamment les services d'agriculture, d'horticulture et les services de jardinier-paysagiste,- la marque verbale française "Association [G]" enregistrée sous le no4126914 le 17 octobre 2014 pour désigner des produits et services dans les classes 38, 42 et 44, notamment les services d'agriculture, d'horticulture et les services de jardinier-paysagiste,- la marque verbale française "Journées [Z] et [O] [G]" enregistrée sous le no4153942 le 4 février 2015 pour désigner des produits et services dans les classes 38 42 et 44, notamment les services d'agriculture, d'horticulture et les services de jardinier-paysagiste. 4. L'association défenderesse est également réservataire du nom de domaine <haduchene.com>. 5. Par lettre du 8 novembre 2019, le conseil de l'association demanderesse a mis en demeure l'association défenderesse de cesser d'utiliser les mots "association [G]" de sa dénomination sociale et de faire retirer les marques précitées. 6. A défaut de réponse, l'association [Z] et [O] [G], M. [G] et M. [U] l'ont fait assigner le 31 décembre 2019. 7. Par ordonnance du 7 janvier 2022, le juge de la mise en état a ordonné une médiation judiciaire. Le 25 octobre 2022, il a été pris acte de son échec. 8. Dans leurs dernières conclusions signifiées le 10 septembre 2021, MM [G] et [U] et l'association [Z] et [O] [G] demandent au tribunal de :? rejeter les fins de non-recevoir soulevées par la défenderesse, ? ordonner à l'association défenderesse de modifier sa dénomination sociale avec des mesures d'interdiction sous astreinte,? juger que les marques précitées ont été déposées en fraude à leurs droits et ordonner leur transfert à l'association [Z] et [O] [G] ou, subsidiairement, prononcer leur nullité,? ordonner le transfert à l'association [Z] et [O] [G] du nom de domaine <[Z][O][G].com> sous astreinte,? condamner la défenderesse à payer 15.000 euros à l'association [Z] et [O] [G] et 5.000 euros chacun à MM. [G] et [U] à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du risque de confusion et du parasitisme,? condamner la défenderesse à payer 10.000 euros à l'association [Z] et [O] [G] à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la fraude,? ordonner la publication du jugement,? condamner la défenderesse aux dépens et à leur payer à chacun la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. 9. Dans ses dernières conclusions signifiées le 23 novembre 2022, l'association [G], association des amateurs et des propriétaires de jardins, maisons et châteaux dessinés, construits ou restaurés par les architectes-paysagistes [Z] (1841-1902) et [O] [G] (1866-1947) soulève deux fins de non-recevoir tirées de la prescription de l'action de l'association demanderesse et de l'intérêt à agir de M. [U]. Sur le fond, elle s'oppose à l'ensemble des demandes ainsi qu'à l'exécution provisoire, et demande la condamnation des demandeurs aux dépens et à lui payer 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. 10. L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 novembre 2022. MOTIVATION I. Sur les demandes de M. [U] 11. L'association défenderesse fait valoir que - M. [U] ne dispose pas d'un intérêt à agir dans la mesure où aucune atteinte n'est portée à son nom patronymique,- seuls [Z] et [O] [G] auraient été habilités à se plaindre d'une atteinte à leur personnalité, droits qui n'ont pas été transmis à M [U]- la titularité du droit moral ne confère aucune prérogative à M. [U] sur le nom de ses ancêtres et aucune oeuvre créée par ces derniers n'est en cause en l'espèce. 12. Les demandeurs répliquent que M. [U] a un intérêt à agir du fait de l'atteinte à sa réputation en tant qu'héritier d'[Z] et [O] [G] et en sa qualité de titulaire du droit moral sur l'oeuvre de ces derniers, qui comporte comme attributs le droit à la paternité et le droit au respect. Sur ce, 13. Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile, "L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé." 14. L'intérêt à agir suppose l'existence d'un avantage personnel, direct, né et actuel tiré de l'action et ne confond pas avec le bien fondé de celle-ci. 15. M. [U] présente au tribunal une demande d'indemnisation de son préjudice résultant "du risque de confusion et du parasitisme" créés, selon lui, par l'association défenderesse. Son intérêt à obtenir des dommages et intérêts est établi et légitime et les moyens soulevés par l'association défenderesse combattent en réalité le bien-fondé des demandes. 16. Il y a donc lieu de rejeter la fin de non recevoir. 17. S'agissant du fond, M. [U] n'allègue aucune atteinte explicite à sa réputation en tant qu'héritier d'[Z] et [O] [G] ni à l'oeuvre de ces derniers qui n'est aucunement évoquée dans la présente affaire. Il ne démontre pas plus l'existence d'un préjudice personnel consécutif aux griefs faits à l'association défenderesse. 18. Il y a donc lieu de débouter M. [U] de l'ensemble de ses demandes. II . Sur les demandes de M. [G] 19. Invoquant une faute consistant dans l'exploitation de son nom sans autorisation à des fins parasitaires, M. [G] fait valoir que :- le nom [G] est notoirement connu comme se rapportant aux consorts [G], célèbres architectes paysagistes,- sa reprise par l'association défenderesse dans sa dénomination sociale peut conduire le public à croire que lui-même a créé l'association en question, y participe ou encore y a donné son autorisation, ce qui n'est pas le cas. 20. La défenderesse réplique que :- ni les règles du droit civil sur le nom, ni le droit d'auteur ne permettent à des particuliers de s'opposer à ce qu'une association use du patronyme de leur ancêtre dans sa dénomination sociale, - l'oeuvre d'[Z] et [O] [G] est tombée dans le domaine public, - la titularité du droit moral ne confère aucune prérogative à M. [G] sur le nom de ses ancêtres et aucune oeuvre créée par ces derniers n'est en cause en l'espèce, - le patronyme [G] n'est pas rare et sa notoriété ne dépasse pas un cercle restreint d'amateurs de l'histoire des jardins et que son usage ne serait être de nature à porter atteinte à la réputation des demandeurs. Sur ce, 21. Le nom patronymique est un attribut de la personnalité identifiant une personne physique. Son titulaire ne dispose d'aucun droit patrimonial sur son nom et n'est pas fondé à en empêcher l'utilisation à titre de signe distinctif. Il peut toutefois s'opposer à d'éventuelles atteintes ou utilisations abusives en matière commerciale, de nature à suggérer aux tiers sa participation à cette activité. 22. Aux termes de l'article 1240 du code civil, "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer." 23. M. [G] ne démontre pas que son nom soit notoire - alors qu'il n'est pas rare - ni que sa célébrité dépasse le cercle des amateurs éclairés de l'oeuvre des consorts [G]. 24. La reprise par la défenderesse du nom [G] pour une association rendant hommage aux jardiniers-paysagistes [Z] et [O] [G] n'est pas abusive. Elle apparaît au contraire justifiée et légitime du fait l'objet de l'association défenderesse de promouvoir leur oeuvre et leur postérité. 25. Par ailleurs, le nom complet de l'association "des amateurs et des propriétaires de jardins, maisons et châteaux dessinés, construits ou restaurés par les architectes-paysagistes [Z] (1841-1902) et [O] [G] (1866-1947)" est parfaitement clair dans sa seule référence à ces derniers et n'entretient aucune confusion avec leur descendance, de sorte que son utilisation n'est pas susceptible de suggérer aux tiers une participation personnelle de M. [D] [G] à cette association. 26. Aucune utilisation fautive ni aucune atteinte à la réputation de M. [G] n'étant démontrée, il y a lieu de rejeter les demandes de celui-ci au titre du risque de confusion et du parasitisme reprochés à la défenderesse, sans examiner l'existence d'un préjudice. III. Sur les demandes de l'association 1. Sur la fin de non recevoir 27. La défenderesse soutient qu'elle a été créée le 12 novembre 2014, que MM [G] et [U] ont été informés dès le mois de septembre 2014 de cette "création à venir" et que l'assignation a été délivrée le 31 décembre 2019, de sorte que l'action des demandeurs est tardive et prescrite comme introduite au-delà du délai de prescription de cinq ans. 28. La demanderesse fait valoir que - la création de l'association défenderesse n'a été publiée au Journal Officiel que le 21 mars 2015, - le délai pour agir court à compter de cette date et non de la date du projet de création, - l'action en nullité des marques n'est soumise à aucune prescription et moins de cinq ans se sont écoulés entre la date d'enregistrement des marques et l'action au fond. Sur ce, 29. Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, "constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée."Selon l'article 2224 du code civil, "Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer." 30. L'article 5, alinéas 2 et 3, de la loi du 1er juillet 1901 dispose que "La déclaration préalable en sera faite à la préfecture du département ou à la sous-préfecture de l'arrondissement où l'association aura son siège social. Elle fera connaître le titre et l'objet de l'association, le siège de ses établissements et les noms, professions et domiciles de ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de son administration ou de sa direction. Deux exemplaires des statuts seront joints à la déclaration. Il sera donné récépissé de celle-ci dans le délai de cinq jours. L'association n'est rendue publique que par une insertion au Journal officiel, sur production de ce récépissé." 31. L'association défenderesse a déclaré sa création auprès de la préfecture de police le 4 mars 2015 avec une publication en date du 21 mars 2015. Avant cette date, sa création n'était qu'un projet et aucun droit à agir contre elle n'était ouvert aux demandeurs. 32. L'assignation ayant été délivrée le 31 décembre 2019, soit moins de cinq ans après la publication de la création de l'association défenderesse, il y a lieu de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription. 2 . Les demandes de changement de dénomination et d'interdiction 33. L'association demanderesse fait valoir que :- une association a droit d'agir sur le fondement de la concurrence déloyale,- elle utilise la dénomination "association [Z] et [O] [G] " depuis plus de 30 ans,- les noms [Z] et [O] [G], notoires et mondialement connus, sont utilisés systématiquement sur le site de l'association défenderesse,- en choisissant le nom "association [G]", la défenderesse a créé délibérément un risque de confusion avec elle pour détourner des adhérents et mener des actions rares et médiocres,- ces faits lui causent un préjudice d'image et un préjudice moral. 34. La défenderesse réplique que :- l'association demanderesse ne déploie aucune activité vers un quelconque public, n'a organisé aucune activité de promotion de l'oeuvre des consorts [G] depuis 2002 et refuse au contraire les adhésions,- il n'existe aucune concurrence entre elles,- aucune confusion n'est susceptible d'être opérée par le public, l'association demanderesse ayant une faible voire une absence d'activité tournée vers le public depuis 2002 [date de l'organisation de l'exposition "Fabuleux jardins, le style [G]"] et son site internet ayant été récemment créé et peu actif,- la proximité des dénominations est nécessaire puisqu'elles ont l'une et l'autre pour objet la promotion de l'oeuvre d'[Z] et [O] [G] mais n'emporte aucune confusion au sens de la concurrence déloyale ou du parasitisme, surtout au regard du public concerné, spécialement éclairé,- en l'absence de but lucratif et de présence dans la sphère économique, l'association défenderesse n'a pas pu se placer dans le sillage de la demanderesse. Sur ce, 35. La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité civile édicté par l'article 1240 du code civil précité, consiste en des agissements s'écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre.Le parasitisme se définit comme l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire. 36. La dénomination sociale ne bénéficie pas d'une protection au titre de la propriété intellectuelle mais elle est susceptible d'être protégée au titre de l'article 1240 du code civil lorsque son utilisation peut s'analyser comme un acte de concurrence déloyale.Cette utilisation pourra être constitutive de concurrence déloyale s'il existe pour la clientèle un risque de confusion ou s'il est démontré que la personne morale seconde en date a cherché à profiter de la réputation de la première. 37. L'action en concurrence déloyale peut être mise en oeuvre quel que soit le statut juridique de l'auteur ou de la victime de la faute alléguée. 38. Le nom des architectes-paysagistes [G] peut être librement utilisé et l'association demanderesse ne saurait en avoir le monopole. 39. Il y a donc lieu de rejeter la demande de l'association demanderesse de voir interdire l'usage du nom [G]. 40. L'association [Z] et [O] [G] créée le 1er février 1985 a pour objet de faire connaître l'oeuvre des architectes paysagistes du même nom, notamment en administrant les archives qui lui ont été données, en les enrichissant et en étant à l'initiative d'expositions, publications et manifestations tendant à les divulguer et permettre leur étude. 41. Selon ses statuts du 12 novembre 2014, l'association [G], association des amateurs et des propriétaires de jardins, maisons et châteaux dessinés, construits ou restaurés par les architectes-paysagistes [Z] (1841-1902) et [O] [G] (1866-1947), a notamment pour objet de réaliser l'inventaire et inciter à la conservation des oeuvres d'[Z] et [O] [G], ainsi que leurs documents, archives et autres textes, mais également de communiquer, publier, ou éditer toute information, documents, études sur leur oeuvre, ainsi que promouvoir, organiser et participer à toute manifestation culturelle ou éducative afin de développer la connaissance de ces paysagistes. 42. Les deux associations ont donc le même objet, les dénégations sur ce point de la défenderesse manquant en fait. 43. Les deux dénominations comportent les termes "[Z]", "[O]" et "[G]", le nom [G] étant un élément primordial de leur identité utilisé en attaque, sur lequel se porte plus particulièrement l'attention du public et des adhérents. 44. L'association défenderesse, constituée en réaction à la politique de l'association demanderesse, a fait le choix d'une dénomination particulièrement longue et descriptive (25 mots et quatre dates), dont l'attaque est "association [G]".Ce parti-pris la conduit donc, ainsi que ses adhérents et le public, à ne faire usage pour la désigner que de ces deux mots d'attaque. 45. Ce choix crée nécessairement un risque de confusion pour le public, même attentif, entre l'association [O] et [Z] [G] et l'association [G]. 46. Afin de faire cesser le risque de confusion, sans réserver pour autant la référence à [O] et [Z] [G] à l'association demanderesse, il y a lieu d'ordonner à l'association défenderesse de modifier de sa dénomination sociale de sorte que les mots "[O]", "[Z]" et "[G]" ne figurent pas parmi les trois premiers mots de celle-ci dans les quinze jours de la signification de la présente décision.Il n'est pas justifié de prononcer une astreinte. 47. S'agissant du parasitisme, l'association demanderesse n'établit aucunement que l'association défenderesse aurait tiré profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire. Il y a donc lieu de rejeter les demandes sur ce fondement. 48. S'agissant du préjudice, les allégations de l'association quant à un détournement d'adhérents ou à un préjudice d'image induit la médiocrité des activités de la défenderesse ne sont établies par aucune pièce de sorte que l'indemnité forfaitaire sollicitée, sans la moindre justification, ne sera pas accordée. 3 . La demande en revendication des marques 49. Les demandeurs font valoir que :- le dépôt des trois marques en litige a été effectué en vue d'accaparer la notoriété du nom de "[Z] et [O] [G] et dans le but de priver l'association demanderesse d'un signe nécessaire à son activité, - ces marques ne sont pas exploitées pour les services qu'elles désignent, - le dépôt a donc été effectué de mauvaise foi,- ce dépôt frauduleux l'a privée de se constituer des droits privatifs de marque ce qui lui cause un préjudice moral et un préjudice économique. 50. La défenderesse ne conclut pas sur cette demande. Sur ce, 51. Selon l'article L.712-6, alinéa 1, du code de la propriété intellectuelle, "Si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d'un tiers, soit en violation d'une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut en revendiquer sa propriété en justice". 52. Cette action en revendication ne suppose pas la justification d'une utilisation publique antérieure du signe litigieux par la partie plaignante, mais la preuve de l'existence d'intérêts sciemment méconnus par le déposant (Com., 14 février 2012, pourvoi no 10-30.872). 53. Il est constamment jugé "qu'un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu'il est effectué dans l'intention de priver autrui d'un signe nécessaire à son activité" (notamment Com., 25 avril 2006, pourvoi no 04-15.641). Dans un arrêt rendu le 11 juin 2009 (C- 529/07, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli), la Cour de justice de l'Union Européenne a dit pour droit que "l'existence de la mauvaise foi du demandeur, au sens de (cet) article, doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce" (point 37) et que "l'intention du demandeur au moment pertinent est un élément subjectif qui doit être déterminé par référence aux circonstances objectives du cas d'espèce" (point 42). 54. La défenderesse ne conteste pas le caractère frauduleux du dépôt des trois marques en litige.Il est d'ailleurs constant qu'elle savait que l'association demanderesse utilisait des signes très similaires aux marques "[Z]&[O] [G]","Association [G]" et "Journées [Z] et [O] [G]" pour son activité, antérieurement au dépôt, ce qui induit l'intention de l'en priver. 55. Il y a donc lieu d'ordonner le transfert des marques françaises "[Z]&[O] [G]" no4126924, "Association [G]" no4126914 et "Journées [Z] et [O] [G]" no4153942 au profit de l'association demanderesse. 56. S'agissant du préjudice, le tribunal observe que l'association demanderesse existe depuis le 1er février 1985 et n'a pas éprouvé le besoin, en 30 ans d'existence, de se réserver le monopole sur l'utilisation de son nom en tant que marque, ce qui s'explique par son absence d'activité commerciale. Dès lors, l'existence d'un préjudice pour n'en avoir pas eu la disposition depuis octobre 2014 n'est pas manifeste et nécessite une démonstration sur le principe et le quantum. Or, le préjudice allégué, consécutif à la seule privation de la possibilité de se constituer des droits privatifs de marque sur les signes "[Z]&[O] [G]", "Association [G]" et "Journées [Z] et [O] [G]," n'est corroboré par aucune pièce ni même explication sur sa teneur. De même, son quantum n'est ni expliqué ni justifié. 57. Il y a donc lieu de rejeter la demande de réparation. 4 . La demande de transfert de nom de domaine 58. Les demandeurs font valoir que - la réservation du nom de domaine <[Z][O][G]> a été effectuée de mauvaise foi en vue d'accaparer la notoriété du nom [Z] et [O] [G],- M. [V] n'ayant aucun lien de parenté avec la famille [G], il n'a aucune légitimité à l'utiliser. 59. La défenderesse réplique que :- un nom de domaine ne peut être supprimé qu'à titre exceptionnel, dans le cas d'une atteinte caractérisée aux droits de la personnalité ou en cas de cybersquatting ce qui n'est pas le cas en espèce dans la mesure où le nom de domaine litigieux permet d'identifier son site internet,- l'association demanderesse a créé son propre site internet "www.[09].com", le nom de domaine ayant été réservé pendant l'instance, le 22 janvier 2020, et ne comportait que 2 pages à la date des dernières conclusions. Sur ce, 60. Le choix d'un nom de domaine, c'est-à-dire l'appellation identifiant un site internet et constituant le moyen technique de localisation et d'accès aux pages de ce site, est libre. Il profite à celui qui, le premier arrivé, en demande la réservation, sous réserve que le nom de domaine ne porte pas atteinte à des droits antérieurs de tiers. 61. En l'espèce, l'association demanderesse ne démontre pas une atteinte à ses droits antérieurs sur le signe haduchene, quand bien même il correspond aux initiales de [Z] et [O] [G], ne l'ayant jamais exploité.Ce dépôt ne l'a d'ailleurs pas empêchée de créer son propre site internet <[Z]-et-[O]-[G].com>. 62. La création d'un site internet "haduchene.com" pour une association ayant pour objet social de promouvoir l'oeuvre de [Z] et [O] [G] n'est pas illicite et elle est légitime, sans nécessiter l'existence d'un lien de parenté avec la famille [G], de sorte que la mauvaise foi n'est pas démontrée. 63. La demande de transfert du nom de domaine <haduchene.com> est donc rejetée. IV. Sur les autres demandes 64. La demande de publication du présent jugement sollicitée n'est pas justifiée. Il convient dela rejeter. 65. Vu l'article 515 du code de procédure civile dans sa rédaction applicable à l'instance, la nature et l'ancienneté de l'affaire justifient de prononcer l'exécution provisoire sauf concernant l'inscription du jugement au registre des marques de l'INPI dans le cadre du transfert de propriété des marques "[Z]&[O] [G]" no4126924 ; "Association [G]" no4126914 et "Journées [Z] et [O] [G]" no4153942 au profit de l'association [Z] et [O] [G] compte tenu du caractère irréversible de cette mesure. 66. Partie perdante, l'association [G], association des amateurs et des propriétaires de jardins, maisons et châteaux dessinés, construits ou restaurés par les architectes-paysagistes [Z] (1841-1902) et [O] [G] (1866-1947) est condamnée aux dépens de l'instance et à payer à l'association [Z] et [O] [G], la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFSRejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de l'association [Z] et [O] [G] ; Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de M. [N] [U] ; Déboute M. [N] [U] et M. [D] [G] de l'ensemble de leurs demandes ; Ordonne le transfert des marques françaises "[Z]&[O] [G]" no4126924 ; "Association [G]" no4126914 et "Journées [Z] et [O] [G]" no4153942 au profit de l'association [Z] et [O] [G] ; Dit que la décision, une fois définitive, sera transmise à l'Institut national de la propriété industrielle par la partie la plus diligente aux fins d'inscription au Registre national des marques, Rejette la demande de transfert du nom de domaine « haduchene.com » à l'association [Z] et [O] [G] ; Rejette la demande d'interdiction de l'usage du nom [G] ; Ordonne à l'association [G], association des amateurs et des propriétaires de jardins, maisons et châteaux dessinés, construits ou restaurés par les architectes-paysagistes [Z] (1841-1902) et [O] [G] (1866-1947) de modifier sa dénomination sociale de façon à ce que les mots "[O]", "[Z]" et "[G]" ne figurent pas parmis les 3 premiers mots de celui-ci dans les quinze jours de la signification de la présente décision ; Rejette la demande à titre de dommages et intérêts de l'association [Z] et [O] [G] ; Rejette la demande de publication du jugement ; Condamne l'association [G], association des amateurs et des propriétaires de jardins, maisons et châteaux dessinés, construits ou restaurés par les architectes-paysagistes [Z] (1841-1902) et [O] [G] (1866-1947) aux dépens, qui pourront être recouvrés directement par Me Anne Lakits dans les conditions de l'article 700 du code de procédure civile ; Condamne l'association [G], association des amateurs et des propriétaires de jardins, maisons et châteaux dessinés, construits ou restaurés par les architectes-paysagistes [Z] (1841-1902) et [O] [G] (1866-1947) à payer à l'association [Z] et [O] [G] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; Ordonne l'exécution provisoire sauf concernant l'inscription du jugement au registre des marques de l'INPI. Fait et jugé à Paris le 09 Juin 2023 Le Greffier La PrésidenteQuentin CURABET Irène BENAC
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JURITEXT000047878965
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 7 avril 2023, 20/00009
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2023-04-07
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/00009
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CT0196
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG 20/00009No Portalis 352J-W-B7D-CRMIP No MINUTE : Assignation du :30 Décembre 2019 JUGEMENT rendu le 07 Avril 2023 DEMANDEURS S.A. EDITIONS ADÈLE[Adresse 1][Adresse 1] Monsieur [K] [F][Adresse 3][Adresse 3] représentés par Maître Barberine MARTINET DE DOUHET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1370 DÉFENDERESSE S.A. LE CHERCHE MIDI ÉDITEUR[Adresse 2][Adresse 2] représentée par Maître Anne BOISSARD de l'AARPI ARTLAW, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0327 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Irène BENAC, Vice-PrésidenteMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge assisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier DÉBATS A l'audience du 02 Février 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile. Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 07 Avril 2023 JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe ContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. M. [K] [F] est auteur compositeur interprète et écrivain. La SA Editions Adèle, représentée par Mme [D] [F], le représente pour la conclusion et l'exécution des contrats se rattachant à son activité artistique. 2. La SA Le Cherche Midi Editeur, dirigée depuis l'été 2017 par Mme [H] et antérieurement par M. [I], est une société d'édition littéraire du groupe Editis. Elle a édité sept livres de M. [F] entre 2006 et 2015. 3. Le 20 octobre 2016, la société Le Cherche Midi Editeur a publié un nouveau livre intitulé Ma vie en vin sans contrat écrit préalable.Par SMS du 18 novembre 2016, puis lettres recommandées avec accusé de réception des 20 février et 16 juin 2017, elle a demandé à la société Editions Adèle de lui transmettre le contrat d'édition portant sur la cession des droits sur ce livre.Par courrier du 7 juillet 2017, la société Editions Adèle a transmis un contrat et une facture d'à-valoir.Par courriel du 20 juillet 2017, la société Le Cherche Midi Editeur a refusé ce contrat au motif qu'il comportait des clauses irréalistes qui ne figuraient dans aucun des contrats antérieurs et demandé une version conforme à la pratique antérieure. 4. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 septembre 2017, la société Editions Adèle a reproché à la société Le Cherche Midi Editeur d'exploiter le livre Ma vie en vin en contrefaçon des droits d'auteur de M. [F] à défaut de contrat écrit signé, lui a fait interdiction de poursuivre cette exploitation et l'a mise en demeure de lui payer la somme de 1.141.987,50 euros à titre provisionnel sur son préjudice sous huit jours. 5. Par acte du 30 décembre 2019 , M. [F] et la société Editions Adèle ont fait assigner la société Le Cherche Midi Editeur devant ce tribunal en contrefaçon de droits d'auteur et indemnisation de leur préjudice. 6. Par ordonnance du 3 juin 2022, le juge de la mise en état a notamment ordonné à la société Le Cherche Midi Editeur de communiquer un extrait de son logiciel internet relatif aux ventes annuelles en format numérique de l'ouvrage Ma vie en vin accompagné d'une attestation certifiée par expert-comptable, sous astreinte, et rejeté les autres demandes de communication de pièces. Cette ordonnance a été exécutée le 25 juillet 2022. 7. Dans leurs dernières conclusions signifiées le 12 octobre 2022, M. [F] et la société Editions Adèle demandent au tribunal, au visa des textes relatifs au contrat d'édition et à la contrefaçon de droits d'auteur, de :- condamner la société Le Cherche Midi Editeur à payer à la société Editions Adèle, à titre principal, la somme de 1.141.860,98 euros de dommages et intérêts et, à titre subsidiaire, celle de 711.836 euros en réparation de son préjudice matériel,- condamner la société Le Cherche Midi Editeur à payer à la société Editions Adèle la somme de 50.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,- condamner la société Le Cherche Midi Editeur aux dépens et à leur payer à chacun la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,sous le bénéfice de l'exécution provisoire. 8. La société Editions Adèle et M. [F] font valoir que :- le contrat d'édition doit être établi par écrit dans l'intérêt de l'auteur et l'éditeur ne peut en apporter la preuve que par ce moyen et non par présomptions ou aveux extra-judiciaire ;- l'exigence d'un écrit en ce qui concerne l'exploitation sous une forme numérique est également requise et constitue une condition de sa validité ;- tous les droits qui ne sont pas expressément cédés par l'auteur sont conservés par celui-ci, de sorte que l'éditeur ne peut céder les droits à un club si aucun écrit ne permet d'attester de l'accord de l'auteur ;- en l'absence de contrat écrit, la société Le Cherche Midi Editeur a exploité Ma vie en vin en contrefaçon des droits de l'auteur ;- les échanges SMS de l'été 2016, constatés par huissier de justice, ne peuvent constituer la preuve d'une quelconque cession de droits sur Ma vie en vin. 9. En réplique à l'argumentation adverse sur l'abus de droit, ils soutiennent que le contrat d'édition proposé par la société Editions Adèle en juillet 2017 ne présentait aucune clause inhabituelle. 10. Sur leur préjudice, ils exposent que :- l'exploitation illicite de l'oeuvre leur cause un important préjudice financier.- la société défenderesse ne rapporte pas la preuve que l'ouvrage n'a été commercialisé que du 20 octobre 2016 au 30 septembre 2017 ;- les relevés intitulés "redditions de compte" sont sans force probante et taisent le nombre d'exemplaires fabriqués ;- leur préjudice s'élève au prix public de la totalité des exemplaires imprimés du livre Ma vie en vin, soit 1.141.860,98 euros (50.755 exemplaires à 25 euros, déduction faite des 127.014,02 euros payés par la société Le Cherche Midi le 1er décembre 2017) ; - subsidiairement, s'il n'a été vendu que 33.554 exemplaires, l'indemnité doit être fixée à 711.836 euros selon le même mode de calcul ;- la société Le Cherche Midi leur a causé un préjudice moral pour avoir exploité l'oeuvre dans des conditions ayant trahi leur confiance, qu'ils évaluent à 50.000 euros. 11. Dans ses dernières conclusions signifiées le 5 septembre 2022, la société Le Cherche Midi Editeur demande au tribunal de :- débouter M. [F] et la société Editions Adele de l'ensemble de leurs demandes,- les condamner solidairement aux dépens et à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 12. Elle fait valoir que :- l'écrit n'est requis qu'à titre de preuve et non de validité,- l'exploitation qu'elle a faite est licite dès lors qu'elle n'a duré que un an et que la preuve est faite de l'accord de l'auteur sur la commercialisation et le taux de rémunération appliqué ; - l'accord des parties sur le principe de l'édition de Ma vie en vin ne fait pas de doute compte tenu de l'annonce sur le site officiel de M. [F] dès le 19 septembre 2016 de la parution imminente de l'ouvrage édité par la société Le Cherche Midi et de la promotion qui a suivi (présentation du livre et nombreuses interviews en octobre 2016), des échanges de courriels du 22 septembre 2016 par lesquels M. [W], éditeur free lance, a validé la couverture de l'ouvrage et ses pages de garde au nom des demandeurs, ou encore des SMS adressés les 10 et 22 octobre 2016 par M. [I] ;- l'accord des demandeurs pour percevoir une rémunération de 20% du PPHT [prix public hors taxe] sur l'édition courante et 50 % sur les autres éditions de Ma vie en vin ne fait aucun doute car six parmi les sept contrats d'édition antérieurement conclus entre les parties et établis par la société les Editions Adèle à partir d'un même modèle prévoyaient cette rémunération particulièrement élevée (la seule exception étant l'ouvrage Mon Almanach prévoyant un taux de 18%) et que c'est également le taux prévu dans l'offre de contrat refusée en février 2017 ;- s'agissant de la durée de la commercialisation, les contrats antérieurs prévoyaient une durée de cession allant de 2 à 5 ans, les deux dernières conventions retenant une durée de 3 ans et la durée de un an que les demandeurs ont entendu fixer dans le contrat transmis le 11 juillet 2017, après huit mois d'exploitation, est un strict minimum respecté en l'espèce. 13. En toute hypothèse, ils soutiennent que, en attendant plus de huit mois après la mise en vente de l'oeuvre pour proposer un contrat d'édition différant sensiblement des contrats antérieurs liant les parties et en brandissant, à défaut d'acceptation, la menace d'une action en contrefaçon, les demandeurs ont abusé de leur droit et doivent en être déchus pour fraude. 14. S'agissant du préjudice, ils exposent que :- aucun préjudice moral n'est démontré par les demandeurs, qui ne justifient par ailleurs ni d'un manque à gagner, ni d'une perte subie, ni encore de ses bénéfices ;- sur chaque exemplaire vendu de l'édition litigieuse, les demandeurs ont perçu la rémunération de 20 % du prix public hors taxes, la provision sur retours a été réintégrée dans la reddition de comptes au 31 décembre 2017 et les ventes numériques n'ont pas excédé 24 exemplaires tandis que l'exploitation de l'ouvrage s'est révélée déficitaire pour elle du fait de l'interruption prématurée de la commercialisation ;- reprocher des pilonnages tout en arguant de contrefaçon est contradictoire. 15. L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 octobre 2022. MOTIVATION 16. Aux termes de l'article L. 131-2 du code de la propriété intellectuelle, "Les contrats de représentation, d'édition et de production audiovisuelle [...] doivent être constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d'exécution. Les contrats par lesquels sont transmis des droits d'auteur doivent être constatés par écrit. Dans tous les autres cas, les dispositions des articles 1359 à 1362 du code civil sont applicables."Selon l'article L. 131-3, alinéa 1, du même code, "La transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée". L'article L. 132-7 alinéa 1 du même code précisant quant à lui que " le consentement personnel et donné par écrit de l'auteur est obligatoire".L'article L. 122-4 du même code de la propriété intellectuelle prévoit que « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ». 17. Aux termes de l'article 1383 du code civil, "L'aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques. Il peut être judiciaire ou extrajudiciaire."L'aveu exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridique.Aux termes de l'article 1141 du même code"La menace d'une voie de droit ne constitue pas une violence. Il en va autrement lorsque la voie de droit est détournée de son but ou lorsqu'elle est invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif." L'abus de droit est le fait, pour une personne, de commettre une faute par le dépassement des limites d'exercice d'un droit qui lui est conféré, soit en le détournant de sa finalité, soit dans le but de nuire à autrui. 18. A défaut de sanction de nullité posée par les textes précités du code de la propriété intellectuelle, la formalisation est exigée à titre probatoire. A défaut d'écrit, l'éditeur peut établir l'existence du contrat par l'aveu, exprès ou implicite, de l'auteur. 19. Il est admis par l'ensemble des parties qu'aucun contrat d'édition écrit n'a été signé entre elles préalablement à l'exploitation en librairie de l'ouvrage Ma vie en vin ; un tel contrat a néanmoins été exécuté à compter d'octobre 2016 avec le concours de l'auteur qui en a personnellement assuré la promotion à partir de septembre 2016. 20. Or, les parties avaient antérieurement conclu sept contrats d'édition entre le 16 janvier 2006 et le 12 novembre 2015 établis par la société Editions Adèle (cinq d'entre eux sur son papier à entête) et ne correspondent pas aux modèles de la société Le Cherche Midi Editeur. Leurs dispositions principales étaient :- la cession du droit de reproduction,- une durée de 5 ans (pour trois contrats), 2 ans (pour deux contrats) ou 3 ans (pour deux contrats),- une redevance calculée sur le prix de vente au public hors taxes de 20 % (avec une exception à 18%) pour l'édition principale et de 50 % pour les éditions au format de poche, en édition club ou illustrée,- une avance de 100.000 euros dans deux contrats de 2007 et 2008 d'une durée de 5 ans. 21. La société Le Cherche Midi Editeur a demandé à plusieurs reprises par couriels, lettre ou lettre recommandée avec accusé de réception, la formalisation d'un contrat. 22. Les demandeurs l'ont envoyé le 7 juillet 2017 à la société Le Cherche Midi Editeur ; ce contrat d'édition stipulait :- une durée de 1 an à compter du 1er octobre 2016,- la cession exclusive des droits de reproduction de l'oeuvre en édition principale y compris par des tiers (article 3), - un droit de 20 % du prix public hors taxes des exemplaires vendus,- un à-valoir de 150.000 euros destiné à rester acquis à l'auteur.Les dispositions sur la durée et l'à-valoir étaient donc inédites entre les parties. 23. Il résulte sans ambiguïté de cet écrit, émanant de l'auteur et de son mandataire, leur consentement exprès sur un droit de reproduction du livre et les conditions de la cession de ce droit d'auteur, à savoir les droits cédés, la durée et les conditions de la cession au sens de l'article l'article L. 131-3, alinéa 1, précité. 24. La société Le Cherche Midi Editeur a refusé les clauses du contrat du 7 juillet 2017 excédant les conventions antérieures des parties relatives à diverses obligations. Elle a respecté les clauses relatives à la cession des droits en cessant la commercialisation à la date du 30 septembre 2017 et en payant les droits calculés sur 20 % du prix public hors taxes des exemplaires vendus, à hauteur de 127.014,02 euros le 1er décembre 2017. 25. S'agissant des clauses s'écartant de la pratique antérieure des parties, par courriel du 21 juillet 2017, la société Editions Adèle a écrit "Ces clauses qui vous chiffonnent tant ne sont que la conséquence logique des manquements contractuels répétés ab libitum par votre société et le groupe éditorial dont celle-ci relève, manquements objets de mes griefs et sujets de mes discussions. Il est évident que mettre les points sur les i dans ce contrat pour tenter d'avoir des comptes clairs et sincères ne peut que vous indisposer et votre acrimonie ne fait que justifier la nécessité des précisions que j'y ai portées. (...) Je maintiens l'intégralité des clauses portées sur le contrat envoyé, contrat dont j'entends le plein respect, ce qui ne pourra qu'éviter un nouveau litige." 26. Ces termes démontrent que les clauses nouvelles de la proposition de contrat pour l'édition de Ma vie en vin du 7 juillet 2017 ont été insérées en représaille de griefs de la société Editions Adèle relatifs à l'exécution de contrats portant sur deux ouvrages antérieurs, exprimés pour la première fois par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 novembre 2016, soit après la publication de Ma vie en vin et la promotion de ce titre par M. [F]. 27. La société Le Cherche Midi Editeur soutient à juste titre que, en exigeant la signature d'un contrat dans ces nouvelles conditions, sous la menace de la contrefaçon des droits d'auteur sur le seul fondement de l'absence de contrat écrit, les demandeurs ont détourné les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatifs au formalisme du contrat de leur finalité. 28. Les demandeurs sont donc mal fondés à soutenir la contrefaçon de ce droit sur le seul moyen invoqué du non respect du formalisme contractuel et il y a lieu de rejeter leurs demandes de réparation à ce titre. 29. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie. 30. M. [F] et la société Editions Adèle, qui succombe sont condamnés aux dépens de l'instance et l'équité justifie de les condamner à payer à la société Le Cherche Midi Editeur la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 31. La nature et l'ancienneté du litige justifient de prononcer l'exécution provisoire du jugement. PAR CES MOTIFS Déboute M. [K] [F] et la société Editions Adèle de l'ensemble de leurs demandes ; Condamne M. [K] [F] et la société Editions Adèle aux dépens, qui pourront être directement recouvrés par Me Anne Boissard dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ; Condamne M. [K] [F] et la société Editions Adèle à payer à la société Le Cherche Midi Editeur la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; Ordonne l'exécution provisoire. Fait et jugé à Paris le 07 Avril 2023 Le Greffier La PrésidenteQuentin CURABET Irène BENAC
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JURITEXT000047878966
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 2 juin 2023, 21/09331
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2023-06-02
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/09331
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CT0196
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG 21/09331No Portalis 352J-W-B7F-CUXUZ No MINUTE : Assignation du :05 Juillet 2021 JUGEMENT rendu le 02 juin 2023 DEMANDERESSE S.A. AURES TECHNOLOGIES[Adresse 6][Adresse 6][Localité 5] représentée par Maître Julien BLANCHARD de la SELARL SELARL CANDÉ - BLANCHARD - DUCAMP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0265 DÉFENDERESSES S.E. PERIMATIC[Adresse 1] [Adresse 1][Localité 4] représentée par Maître Jean-didier MEYNARD de la SCP BRODU - CICUREL - MEYNARD - GAUTHIER - MARIE, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #P0240 et par Maître Gwendal RIVALAN de la SELARL AVOXA NANTES, avocat au barreau de NANTES, avocat plaidant, Société SENOR TECH CO LTD[Adresse 2], [Adresse 2][Localité 3] Société SENOR TECH B.VMINCKELERSSTRAAT 195916 VENLO (PAYS- BAS) représentées par Maître Pierre GREFFE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0617 Copies délivrées le :- Maître BLANCHARD #P265 (ccc)- Maître MEYNARD #P240 (executoire)- Maître GREFFE #E617 (executoire) COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Irène BENAC, Vice-PrésidenteMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge assisté de Quentin CURABET, Greffier en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en formation, DÉBATS A l'audience du 26 janvier 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile. Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe en dernier lieu le 02 juin 2023 JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe ContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. La société Aurès technologie (la société Aurès), estimant que des ordinateurs servant à l'encaissement dans des magasins, aussi appelés « terminaux de points de vente », commercialisés par les deux sociétés Senor et distribués en France par la société Perimatic, sous les appellations ‘X' et ‘S', produisent une impression visuelle identique à celle de son modèle communautaire numéro 005772563-0001, qu'elle commercialise sous le nom ‘Jazz', a mis en demeure la société Senor courant 2020, puis a fait pratiquer une saisie-contrefaçon chez la société Perimatic le 4 juin 2021, et a assigné ces sociétés le 5 juillet 2021. L'instruction a été close le 15 septembre 2022. 2. Les sociétés Senor ont développé courant 2020 une nouvelle version de leurs produits, différant de la précédente par la présence de deux encoches sur les côtés de leur socle, mais que la société Aurès estime également contrefaisante et à la laquelle elle a étendu ses demandes en cours de procédure. 3. Parallèlement, la société Aurès, invoquant le même modèle enregistré, a demandé devant l'Office européen de la propriété intellectuelle (EUIPO) la nullité du modèle communautaire no007990698 que la société Senor avait déposé le 8 juin 2020 et qui correspond à la nouvelle version des produits litigieux ; cette demande en nullité a été rejetée par décision du 9 juin 2022, au motif que les deux modèles produisaient sur l'utilisateur averti une impression d'ensemble clairement différente. Un recours est pendant devant les chambres de recours. Prétentions des parties 4. Dans ses dernières conclusions (9 septembre 2022), la société Aurès demande la condamnation in solidum des défenderesses à des provisions de 150 000 euros pour préjudice moral et 400 000 euros pour préjudice économique ; des mesures d'interdiction, rappel et destruction, un droit d'information sur le nombre de produits vendus, le chiffre d'affaires et bénéfice réalisés, et les stocks restants ; ainsi que la publication, le tout sous astreintes ; enfin le sursis à statuer sur l'évaluation de son préjudice, le remboursement des « frais de saisie-contrefaçon, de constat d'huissier et de traduction », outre 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 5. Dans leurs dernières conclusions (27 juillet 2022), les sociétés Senor demandent d'annuler le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 4 juin 2021, résistent aux demandes, et réclament 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 6. Dans ses dernières conclusions (30 aout 2022), la société Perimatic demande également la nullité de la saisie-contrefaçon, avec restitution du terminal saisi, sous astreinte, résiste aux demandes, demande elle-même subsidiairement la garantie in solidum des sociétés Senor, avec un partage de responsabilité ne lui imputant que 10% au maximum ; et réclame à la demanderesse 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Synthèse des moyens des parties 7. Sur la validité de la saisie-contrefaçon, les parties s'opposent sur la licéité des questions posées par l'huissier à la personne présente ainsi que le moment où elles ont été posées et la personne à qui elles l'ont été. 8. Sur la contrefaçon de dessin ou modèle communautaire, les parties s'opposent sur le fait que les caractéristiques du modèle invoquées par la demanderesse sont imposées par la fonction technique du produit, sur le degré de liberté du créateur, sur le degré d'attention de l'utilisateur averti, et plus généralement sur l'identité d'impression visuelle entre le modèle et les produits litigieux. La demanderesse invoque plusieurs autres modèles de terminaux de points de vente visuellement très différents, les défenderesses invoquent un précédent modèle d'ordinateur pouvant être plié comme le modèle en cause et les produits litigieux. MOTIVATION I . Demande reconventionnelle en nullité de la saisie-contrefaçon Moyens des parties 9. Contre la saisie-contrefaçon, les sociétés Senor et Perimatic soutiennent que l'huissier, devant rester « dans son rôle de simple constatant », ne peut interroger les personnes présentes pour provoquer leurs déclarations avant d'avoir découvert et saisi des produits argüés de contrefaçon, alors qu'en l'espèce il a posé des questions avant d'être mis en présence des produits. Elles critiquent également les questions posées, trop larges, selon elles non nécessaires à l'accomplissement de la mission, et seulement destinées à provoquer des déclarations qui pourraient ensuite être utilisées contre elles. La société Perimatic ajoute que l'huissier a « profité de la situation née de l'absence du représentant légal du saisi pour mieux soumettre la salariée » à ses questions. 10. En réponse, la société Aurès fait valoir que l'huissier peut poser les questions nécessaires à l'accomplissement de sa mission, et que l'ordonnance, en l'espèce, l'y autorisait avant même la saisie des produits contrefaisants. Elle estime que ces questions étaient mesurées, strictement en lien avec la contrefaçon, dans le respect de l'ordonnance, et ne faisaient pas état d'informations extérieures à la requête. Réponse du tribunal 11. La saisie-contrefaçon, prévue par l'article L. 521-4 du code de la propriété intellectuelle, consiste soit en la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit en la saisie réelle des objets prétendus contrefaisants ainsi que de tout document s'y rapportant. L'ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux objets prétendus contrefaisants en l'absence de ces derniers. L'article R. 521-2 (2e alinéa) précise que le président peut autoriser le commissaire de justice à procéder à toute constatation utile en vue d'établir l'origine, la consistance et l'étendue de la contrefaçon. 12. La saisie-contrefaçon vise donc à rapporter la preuve matérielle de la contrefaçon et de son étendue, et non l'aveu du contrefacteur suspecté. Cela peut certes passer par l'obtention d'informations, éventuellement orales, de la part des personnes présentes, utiles à la recherche et la compréhension des preuves matérielles susceptibles d'être trouvées sur les lieux de la saisie, ou utiles à la recherche d'autres preuves, éventuellement auprès d'autres personnes impliquées dans la contrefaçon, mais pas par le détournement de la contrainte associée à la saisie-contrefaçon pour mener un interrogatoire. Ainsi, ne peuvent pas être autorisées à ce titre les questions qui visent à obtenir une preuve verbale de la contrefaçon ou de son étendue de la part des personnes présentes. Le moment où est posée une question est un élément d'appréciation de son lien avec la mesure autorisée (une question posée après la découverte d'un objet contrefaisant étant plus susceptible de se rattacher à la description de cet objet et à l'étendue de la contrefaçon), mais n'est pas déterminant. 13. Au cas présent, l'huissier était autorisé à interroger les personnes présentes, ce qui doit s'entendre dans les limites de la mesure de saisie-contrefaçon telles qu'elles viennent d'être rappelées. Si les demanderesses à la nullité critiquent les questions posées par l'huissier de façon générale, elles n'en invoquent qu'une explicitement : « J'interroge Madame [E] [S] sur le lancement de cette nouvelle gamme de produit ». Cette question est posée après l'obtention de l'état des stocks et des bons de livraison des produits vendus ou prêtés. Elle donne lieu à une réponse relatant l'origine du choix par la société Perimatic de distribuer le produit des sociétés Senor. Dans ce cadre, une telle question ne vise qu'à éclairer le contexte de la commercialisation du produit objet de la mesure, ce qui était pertinent pour l'analyse des pièces demandées, et était susceptible de conduire à découvrir l'existence et constater d'autres preuves matérielles sur cette origine et sur l'étendue de la commercialisation. Elle n'excède donc pas le cadre de la mission. 14. Plus généralement, les autres questions, dont les demanderesses n'exposent pas expressément en quoi elles seraient trop larges ou destinées à provoquer des déclarations incriminantes sans être utiles à l'accomplissement de la mission, peuvent se rattacher à cette mission dans les limites exposées ci-dessus : elles visent à éclairer, et non démontrer par elles-mêmes, l'origine et le circuit commercial du produit découvert, produit dont au demeurant la remise d'un exemplaire est la première demande formulée par l'huissier lors de ses opérations (outre que sa remise a été faite immédiatement, contrairement à ce qu'affirment les sociétés Senor et Perimatic). 15. Enfin, outre qu'une saisie-contrefaçon peut évidemment être menée sans que le représentant légal de la partie saisie soit présent, aucun abus n'a été tiré ici du fait de l'absence du dirigeant de la société Perimatic. 16. Par conséquent, la demande reconventionnelle en nullité est rejetée. II . Demandes fondées sur la contrefaçon de modèle communautaire 17. Le modèle communautaire invoqué (005772563-0001) est enregistré avec les représentations qui suivent : 12 34 56 1 . Atteinte au droit du titulaire de modèle communautaire Moyens des parties 18. La société Aurès estime que les produits des défenderesses produisent « une impression visuelle d'ensemble similaire, pour ne pas dire identique » à celle que produit son modèle, au regard de caractéristiques qu'elle met en avant, à savoir : un « socle rectangulaire de faible surface et épaisseur, présentant sur l'une de ses extrémités une seconde partie rectangulaire en surépaisseur de même longueur », un « bras latéral unique (de section rectangulaire) de liaison entre le socle et l'écran » donnant à l'ensemble une disposition en Z, un « écran rectangulaire, plat, fin, sans bordure visible », une « impression globale de finesse et de légèreté et de faible encombrement ». 19. Elle conteste le fait que ces caractéristiques soient imposées par la fonction technique, et en appliquant dans ce but une méthode d'analyse dégagée par le Tribunal de l'Union européenne, elle fait valoir qu'il n'y a pas de « relation causale » entre la fonction technique de chacune de ces caractéristiques et la fonction technique du produit dans son ensemble, qui est, selon elle, de « traiter les paiements dans les lieux de vente au détail et donc de permettre le paiement des achats effectués par le client et d'assurer l'interaction entre le client et le commerçant ». Elle se prévaut à cet égard de l'existence de modèles alternatifs de terminaux de points de vente qui n'ont pas ces caractéristiques. Au demeurant, ajoute-t-elle, les éléments servant à dissimuler les éléments techniques relèvent bien de choix esthétiques contribuant à l'effet visuel. 20. Elle expose alors que l'utilisateur averti inclut le grand public, en raison de la suppression du personnel de caisse dans tous les secteurs de la distribution, et que le créateur a une grande liberté dans la conception de terminaux de point de vente, ce dont elle déduit que les modèles ne présentant pas de différences significatives produisent la même impression visuelle globale. Il est ainsi manifeste selon elle que malgré des différences qu'elle considère de détail, les produits litigieux n'ont pas de différences significatives et ne présentent donc pas sur l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente. Elle fait valoir en particulier que les deux modèles peuvent être repliés afin de poser le modèle « parfaitement à plat », contestant sur ce point le fait que lorsque le produit litigieux est replié, seules deux parties seraient visibles, et estimant qu'en toute hypothèse l'utilisateur averti utilise le produit en conformité avec sa finalité, c'est-à-dire en l'espèce vu de haut et le terminal posé à plat, de sorte qu'il serait peu probable qu'il examine avec minutie le nombre de parties visibles de côté et sous l'écran lorsque le modèle est replié. Elle conteste enfin la pertinence de la possibilité de fixer le produit litigieux au mur et de lui adjoindre un second écran, répliquant qu'il suffit que l'une des configurations possibles produise une impression globale non différente pour que la contrefaçon soit caractérisée, indépendamment d'éventuelles autres configurations. 21. Les sociétés Senor et Perimatic, invoquant l'article 8 du règlement 6/2002, soutiennent que les caractéristiques du modèle mises en avant par la demanderesse ne doivent pas être prises en compte car sont imposées par sa fonction technique. En effet, selon elles, « comme tout ordinateur, les [terminaux de point de vente] comprennent donc nécessairement un socle, un écran et un bras reliant ces deux éléments », ils doivent s'adapter aux divers espaces et positions dans lesquels ils sont utilisés, ce qui commande un écran inclinable et un design compact permettant de les ranger de sorte que le « faible encombrement » revendiqué par la demanderesse est également fonctionnel, et ils doivent permettre la connexion à une imprimante pour les tickets de caisse. Elles estiment en particulier que le socle assure la stabilité du produit en prenant le moins de place possible, que le cache en surépaisseur sur ce socle ne sert qu'à dissimuler le bras le reliant à l'écran, bras qui, formant une configuration en Z, est nécessaire au pliage complet de l'appareil, expressément revendiqué par la demanderesse qui affirme elle-même qu'il « permet ainsi à l'écran tactile ultra plat de s'orienter de façon ergonomique », sa position à gauche de l'écran n'étant elle-même que destinée à permettre aux utilisateurs, majoritairement droitiers, d'accéder facilement à l'imprimante devant être placée sur le socle. 22. Elles ajoutent, sur le caractère technique des caractéristiques invoquées, qu'en vertu de la jurisprudence de la Cour de justice, il importe peu, pour apprécier le caractère utilitaire de la forme d'un modèle ou d'une de ses parties, qu'il soit possible d'obtenir le même résultat sous d'autres formes, ce critère n'étant pas à lui seul déterminant. Elles font alors valoir qu'un précédent modèle, ‘flexi all-in-one' d'une société Haier, présentait déjà l'ensemble de ces caractéristiques, la société Aurès ayant seulement, estiment-elles, légèrement adapté ce produit pour qu'il puisse remplir les fonctions d'un terminal de point de vente, notamment en déplaçant le bras à gauche. Elles se prévalent également de la décision de l'Office européen qui a estimé que les modèles en cause ne sont pas similaires car la solution qui les fait coïncider (deux terminaux pliables avec un bras droit) « ne s'écarte pas significativement de la norme ». 23. Elles en déduisent que la liberté du créateur de terminal de point de vente est restreinte par ces contraintes techniques (il faut un écran, un bras de liaison et un socle), ce qui renforce l'importance des différences mineures pour produire une impression globale différente sur l'utilisateur averti, dont elles rappellent qu'il dispose d'une vigilance particulière. Dans ce cadre, elles insistent sur plusieurs différences entre le modèle et les produits litigieux, qu'elles estiment visibles au premier coup d'oeil et dont elles font valoir qu'elles ont été déterminantes pour l'Office européen qui a conclu à une impression visuelle différente dans la décision sur les mêmes modèles. En premier lieu, le socle de leurs produits est « bien plus fin », les caches en surépaisseur sur ces socles sont plus fins et plus longs (recouvrant presque la moitié du socle, contre moins d'un quart dans le modèle), et ont la forme d'un rectangle dont la partie arrière est incurvée, tandis que celui du modèle est simplement carré, sa couleur est différente de celle du socle alors que dans le modèle la couleur est identique, outre que dans la nouvelle version des produits, deux encoches éloignent encore davantage le socle du modèle enregistré. En deuxième lieu, le bras des produits litigieux est formé par une barre rectiligne aux quatre faces de même largeur, aux extrémités arrondies, et étroitement accolé à la base, tandis que celui du modèle, dont les faces n'ont pas la même largeur, n'a que des angles droits, dépasse légèrement de la base et a une couleur différente de celle des autres éléments. En troisième lieu, 3 des 6 représentations du modèle en cause le montrent replié, et les différences « sont encore plus flagrantes » quand les produits sont repliés, en ce que sur les produits litigieux, les différentes parties s'emboitent parfaitement de sorte qu'on ne distingue plus que deux éléments distincts (l'écran et le reste) et que l'ensemble est très fin, contrairement au modèle, plus épais et dont les parties restent distinctement visibles. En quatrième lieu, les produits litigieux, contrairement au modèle, peuvent être fixés au mur ou recevoir un second écran. En conclusion, les défenderesses estiment que leurs produits présentent un aspect plus léger et plus moderne, et le modèle un aspect plus lourd et « rétro ». Réponse du tribunal 24. L'étendue de la protection d'un dessin ou modèle communautaire est régie par l'article 10 du règlement 6/2002, dans les termes suivants : « 1. La protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente. 2. Pour apprécier l'étendue de la protection, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle. » 25. L'article 8, paragraphe 1, du règlement précise que : « un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l'apparence d'un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique. ». 26. Interprétant cette disposition, la Cour de justice a dit pour droit que pour apprécier si des caractéristiques de l'apparence d'un produit sont exclusivement imposées par la fonction technique de celui-ci, il y a lieu d'établir que cette fonction est le seul facteur ayant déterminé ces caractéristiques, ce qui doit être fait au regard de toutes les circonstances objectives pertinentes de chaque cas d'espèce, sans se fonder sur la perception d'un « observateur objectif », et sans que l'existence de dessins ou modèles alternatifs soit déterminante (CJUE, 8 mars 2018, Doceram, C-395/16). Fonction technique du produit 27. Comme le relève la demanderesse, l'article 8, paragraphe 1 concerne la fonction technique du produit, et non la fonction technique de telle ou telle caractéristique prise isolément. Toutefois, pour apprécier la fonction technique du produit, il ne faut pas se limiter à une approche générique de la catégorie de produit pour laquelle le modèle est enregistré, à savoir au cas présent les « terminaux point de vente ». 28. En effet, en premier lieu, limiter de façon aussi réductrice la recherche de la fonction technique reviendrait à la limiter artificiellement à une seule circonstance objective du cas d'espèce, ce qui est précisément l'inverse de ce que la jurisprudence citée impose au juge national, et ce sans distinguer selon les différentes étapes de l'analyse. 29. En deuxième lieu, cela empêcherait de tenir compte d'une innovation apportée par un nouveau produit au sein de sa catégorie, ce qui permettrait alors de protéger une telle innovation par le droit des dessins ou modèles alors qu'elle relève du droit des brevets, ce qui est précisément ce que l'article 8, paragraphe 1 du règlement vise à empêcher, comme l'a rappelé la Cour de justice dans l'arrêt précité (CJUE, Doceram, C-395/16, points 29 et 30). 30. Il faut alors rechercher si la possibilité de plier le terminal de point de vente et d'orienter son écran fait partie de la fonction technique du produit en cause. Implicitement, la demanderesse estime qu'il s'agit d'un choix essentiellement esthétique, mais il n'est pas sérieusement contestable qu'il s'agit d'abord d'une fonction utile du produit, avant d'être une caractéristique visuelle. Cette fonction dépend d'une certaine modalité de construction : un produit ne peut être plié ou déformé que si sa construction le permet, selon des contraintes mécaniques, et plus généralement physiques. Il s'agit donc d'un effet technique, qui fait partie de la fonction technique du produit. C'est au demeurant ce qu'a considéré la Cour de justice, à propos du droit d'auteur, mais par un raisonnement analogue qui peut être transposé aux dessins ou modèles, estimant que la forme d'un vélo pliable, lui permettant d'occuper trois positions dont l'une le maintenait en équilibre sur le sol, était nécessaire à l'obtention d'un certain résultat technique (CJUE, 11 juin 2020, Brompton, C-833/18, points 27 à 33, et en particulier point 29). 31. La fonction technique du produit en cause inclut donc la possibilité de le plier jusqu'à un stade essentiellement plat, ou le déplier en orientant son écran. Caractéristiques exclusivement imposées par la fonction technique 32. La façon dont les parties ont découpé ou regroupé les caractéristiques visuelles du modèle ne lie pas le tribunal, qui est tenu de faire une analyse complète de ce modèle tel qu'il est enregistré. 33. Les parties n'apportent aucune explication quant aux motifs qui ont présidé au choix d'un bras articulé reliant deux éléments, mais il n'est pas contesté qu'un modèle antérieur d'ordinateur (catégorie générale à laquelle appartiennent les terminaux informatiques de point de vente comme le modèle en cause) présentait également cette configuration. Aucun autre facteur n'est invoqué, ni ne ressort du modèle ou de la façon dont il est utilisé, pour expliquer le choix de cette caractéristique. Or c'est elle qui permet de plier le produit et d'orienter l'écran. La fonction technique du produit est donc le seul facteur ayant déterminé la présence d'un bras articulé reliant deux éléments. 34. L'un de ces deux éléments est un écran, ce qui est évidemment nécessaire pour un terminal informatique. Le choix d'un écran plat, le plus fin possible, à la forme d'un quadrilatère régulier, est également purement fonctionnel. Il est notoire qu'un tel écran a besoin de composants électroniques qui peuvent être regroupés dans une partie plus épaisse à l'arrière de l'écran. Il est manifeste ici que l'existence de cette partie plus épaisse obéit exclusivement à cet impératif technique du produit, par un choix technique par défaut et non selon un motif non technique (et aucun motif n'est allégué). Est enfin fixé à l'arrière de l'écran un élément plus épais encore par lequel est fixé le bras articulé, et rien ne justifie sa présence hormis la nécessité de fixer celui-ci. Ainsi, la caractéristique tenant à la présence d'un écran plat, rectangulaire, avec une partie plus épaisse à l'arrière et un élément plus épais servant de fixation au bras articulé, est donc exclusivement imposée par la fonction technique du produit. 35. L'autre de ces deux éléments reliés par le bras est la base, ou socle ; son existence est également indispensable. Dans le modèle en cause, la base contient des composants informatiques, comme le révèle la présence de prises sur le côté, ce qui n'est pas nécessairement le fruit d'un choix fonctionnel. Le fait que cette base soit fine obéit en revanche à un objectif de gain de place qui est en soi un effet technique faisant partie de la fonction technique du produit. Cette base contient une partie plus épaisse à l'arrière, au niveau où est fixé le bras articulé. Le principe même d'un élément dans la base dont la taille permet la fixation du bras articulé n'obéit à aucun autre facteur que la fixation de ce bras, mais le fait que l'ensemble soit de deux épaisseurs différentes ne résulte pas exclusivement d'un motif purement technique. Dans le modèle en cause, la hauteur et la largeur de cette partie plus épaisse correspondent exactement à la taille de la base du bras ; sa longueur en revanche correspond certes à celle de la base du produit, mais il n'est pas évident que cette correspondance soit exclusivement imposée par la fixation du bras ou un autre effet technique. Ainsi, est exclusivement imposée par la fonction technique du produit la caractéristique tenant à la présence d'une base fine dont une partie permet de fixer le bras articulé. 36. Les autres caractéristiques visuelles du modèle, telles que la couleur, la forme du bras, du socle et des éléments de fixation, la taille de tous les éléments, l'emplacement des éléments techniques (notamment dans l'ensemble de la base ou seulement dans une partie de celle-ci) ne sont pas exclusivement imposées par la fonction technique du produit. Impression visuelle du modèle et des produits litigieux 37. Les caractéristiques écartées car purement techniques sont visuellement les plus marquantes dans le modèle en cause car elles conditionnent son aspect général (un écran plat articulé à un socle) ; à l'inverse, les caractéristiques sur lesquelles la protection peut être accordée relèvent du détail, et c'est donc de ce détail que dépend l'impression visuelle produite sur l'utilisateur averti. 38. Le degré de détail au regard duquel est produite l'impression visuelle dépend également du degré de liberté du créateur. Ici, cette liberté est encadrée par des contraintes de stabilité et de robustesse qui limitent la liberté quant à la taille et la forme du socle, du bras articulé et des éléments de fixation, et par des contraintes de confort d'utilisation, qui limitent la liberté du créateur quant à la taille de l'écran et l'amplitude que permet celle du bras articulé. 39. Dans ce cadre, et comme l'a relevé la division d'annulation de l'Office européen citée par les parties (9 juin 2022, no116 470), quoique sans identifier de caractéristiques purement techniques, l'utilisateur averti, dont par définition l'attention est élevée, remarquera les différences dans la façon dont les parties sont assemblées, fera attention au produit tant en position pliée que dépliée, et il remarquera l'aspect de l'ensemble du produit en comparant, lorsque c'est possible, directement les produits côte à côte. 40. Les 3 illustrations suivantes représentent le modèle (à gauche) et l'ancienne version du produit litigieux (à droite). Les illustrations proviennent de la saisie-contrefaçon ou des conclusions des sociétés Senor, qui en proposent des plus claires, dont la pertinence n'est pas contestée. a.côté droit (déplié) b.arrière gauche (déplié) c. Côté droit (plié) 41. Le produit litigieux et le modèle en cause ont ceci de commun qu'ils sont gris et noir ; cette couleur n'est pas en elle-même particulièrement notable dans le domaine, pour l'utilisateur averti, mais un point commun remarquable est le choix identique d'un aspect différent pour le haut de la partie technique arrière de l'écran : dans le modèle, le bas est gris clair comme le reste de l'ensemble et une bande en haut est gris plus sombre, tandis que dans le produit litigieux, le bas est noir comme le reste de l'ensemble et une bande en haut est plus sombre ou plus brillante (ce qui se voit sur les trois illustrations ci-dessus). 42. Pour le reste, l'utilisateur averti remarquera que la base du modèle est assez épaisse pour contenir de l'électronique, comme le révèle la présence d'une prise sur chaque côté, tandis que dans le produit litigieux, le socle n'est qu'une plaque rigide, et l'électronique est rassemblé sous le cache noir occupant un peu plus d'un tiers de la surface, au fond. Cette différence, notable, est renforcée par le fait que la différence d'épaisseur à l'arrière de la base du modèle se trouve tout près du fond, la partie plus épaisse occupant ainsi une part minime de l'ensemble de la surface de la base, tandis que dans le produit litigieux, la différence d'épaisseur a lieu près du milieu de la longueur. Cette différence de niveau est, également, plus faible, ce qui, associé à la faible épaisseur du socle lui-même, donne à l'ensemble de la base du produit litigieux une impression d'épaisseur plus faible que celle du modèle. Enfin, la base du produit litigieux est arrondie à l'arrière. 43. L'élément de fixation du bras à l'arrière de l'écran du modèle est beaucoup plus épais que dans le produit litigieux, où il est peu visible. 44. Le bras lui-même, qui est de section rectangulaire dans le produit litigieux, ne l'est pas dans le modèle, contrairement à ce qu'affirme la demanderesse : en effet, comme le révèlent les images 4 et 5 au point 17 ci-dessus, la surface inférieure du bras contient une partie bombée. Par ailleurs, les deux extrémités du bras du produit litigieux sont arrondies, contrairement à celles du modèle qui sont à angle droit, ce qui se conjugue avec l'arrondi identique de l'arrière de la base pour renforcer l'impression qui s'en dégage. 45. Enfin, en raison de l'épaisseur plus importante de sa base, le modèle replié est plus épais que le produit litigieux, ce qui est particulièrement visible sur l'image 4 au point 17 ci-dessus : l'écran est posé sur la partie la plus épaisse de la base et ne peut donc descendre plus bas, ce qui laisse un vide au-dessus du reste de la base, et les différents éléments ne s'emboitent pas directement. À l'inverse, dans le produit litigieux, l'arrière de l'écran et la partie plus épaisse de la base s'imbriquent, et il n'y a (presque) pas de vide quand le produit est entièrement replié. 46. Ainsi, une fois fait abstraction des caractéristiques déterminées exclusivement par la fonction technique du produit, et en tenant compte du degré de liberté de création du créateur, le modèle en cause et les produits litigieux ont peu de points communs, et se distinguent par plusieurs éléments, qui pouvaient certes passer pour des détail de prime abord, mais qui dans la présente espèce s'avèrent les seuls à pouvoir déterminer l'impression d'ensemble et se révèlent déterminants dans ce cadre. Il en résulte que ces produits produisent sur l'utilisateur averti une impression visuelle d'ensemble différente de celle des modèles. 47. A fortiori, la nouvelle version des produits litigieux, qui se distingue encore davantage du modèle par la présence de deux encoches latérales dans le socle, produit également une impression visuelle globale différente. 48. En définitive, la demande de la société Senor revient à protéger en soi le fait d'adopter dans des formes usuelles (écran rectangulaire, couleurs gris et noir, éléments fins) un mécanisme articulé où l'écran, relié à un socle par un bras unique, peut s'orienter aisément jusqu'à se plier complètement ou presque sur le socle, ce qui n'est pas l'objet du droit des dessins ou modèles. 49. Par conséquent, l'ensemble des demandes, toutes fondées sur la contrefaçon de modèle, sont rejetées. III . Dispositions finales 50. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie. 51. La société Aurès perd le procès, elle est donc tenue aux dépens ; en équité, et en tenant compte de ce que les défenderesses perdent également en leur demande reconventionnelle, elle doit indemniser les sociétés Senor à hauteur de 15 000 euros et la société Périmatic à hauteur de 4 000 euros. 52. Rien ne justifie au cas présent d'écarter l'exécution provisoire, qui est de droit. PAR CES MOTIFS Le tribunal : Rejette la demande reconventionnelle en nullité de la saisie-contrefaçon ; Rejette l'ensemble des demandes de la société Aurès technologie Condamne cette société aux dépens ainsi qu'à payer 15 000 euros aux sociétés Senor et 4 000 euros à la société Perimatic au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Fait et jugé à Paris le 02 juin 2023 Le Greffier La PrésidenteQuentin CURABET Irène BENAC
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JURITEXT000047878967
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 16 juin 2023, 19/01800
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2023-06-16
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Tribunal judiciaire de Paris
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19/01800
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CT0196
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG 19/01800No Portalis 352J-W-B7D-CO72T No MINUTE : Assignation du :29 Janvier 2019 JUGEMENT rendu le 16 Juin 2023 DEMANDEURS Monsieur [C] [X][Adresse 3][Localité 14]Société SOCIETE CIVILE D'EXPLOITATION DE LA MARQUE [C] [X][Adresse 13][Localité 9]S.A.S. [C] [X][Adresse 13][Localité 9]S.A.S. [L] [X][Adresse 2][Localité 5] représentés par Maître Christian CHARRIÈRE-BOURNAZEL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1357 DÉFENDERESSES S.A.S. [X][Adresse 12][Localité 7]S.E.L.A.R.L. ARJS prise en la personne de Maître [M] [J], ès qualité d'administrateur judiciaire de la S.A.S. [X][Adresse 11][Localité 8]S.E.L.A.R.L BDR & ASSCOCIÉS prise en la personne de Maître [W] [F], ès qualité de mandataire judiciaire de la S.A.S. [X][Adresse 4] [Localité 6] représentée par Maître Dariusz SZLEPER de l'AARPI SZLEPER HENRY Avocats, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0017 Copies délivrées le : - Maître Christian CHARRIÈRE-BOURNAZEL #C1357 (ccc)- Maître Dariusz SZLEPER #R17 (executoire)COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Irène BENAC, Vice-PrésidenteMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge assisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier DÉBATS A l'audience du 13 Avril 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile. Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 16 Juin 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe ContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE Faits 1. La SAS [X] est titulaire de la marque verbale "[X]" no 912 722, déposée le 4 décembre 1974, pour désigner les produits alimentaires de la classe 30 et notamment les farines et préparations faites de céréales, pain, biscuits, gâteaux, pâtisserie et confiserie, levure, poudre pour faire lever, régulièrement renouvelée. 2. Par arrêt du 9 décembre 1992 confirmé par la Cour de cassation le 13 juin 1995 (Com., pourvoi no 93-15.084), la cour d'appel de Paris a réglementé l'usage du patronyme [X] dans les termes suivants :"Dit que M. [C] [X] et la SARL [C] [X] ne pourront employer pour un usage commercial le patronyme [X] à titre de marque, dénomination sociale, nom commercial ou enseigne et dans leurs papiers d'affaires et publicité et emballages, qu'en le faisant précéder immédiatement sur la même ligne du prénom [C], dans les mêmes caractères, de mêmes dimensions, de même couleur et de même tonalité et en ajoutant immédiatement en dessous en caractères lisibles l'adresse ou les adresses de leur(s) établissement(s)". 3. M. [C] [X] a déposé la marque "[C] [X]" no 93 454 998 le 12 février 1993 pour divers produits et services parmi lesquels les produits protégés par la marque [X]. 4. La société [X] a ensuite agi en annulation de l'enregistrement de la marque "[C] [X]", contrefaçon de la marque [X] et renforcement de la réglementation de l'usage de la dénomination [X] résultant de l'arrêt du 9 décembre 1992 précité. Par arrêt du 14 avril 2008, la cour d'appel de Paris a déclaré les demandes en annulation et contrefaçon irrecevables par forclusion et a rejeté la demande de renforcement de la réglementation.La Cour de cassation ayant infirmé l'arrêt sur ce seul point (Com., 7 juillet 2009, pourvoi no 08-19.195), par arrêt du 14 septembre 2011, la cour d'appel de Paris statuant en tant que cour de renvoi a déclaré que M. [C] [X] et la SARL [C] [X] avaient manqué à la réglementation "en employant le patronyme [X] à titre d'enseigne sans y ajouter immédiatement en-dessous en caractères lisibles l'adresse ou les adresses de leur(s) établissement(s)". 5. La société [X] a à nouveau saisi le tribunal judiciaire de Paris en inobservation de cette réglementation (sur la page d'accueil du site max-poilane.fr, un encart promotionnel, le ruban adhésif et un grand sachet en papier blanc ne comportant pas l'adresse de tous les établissements) qui en a constaté le non respect par jugement du 10 novembre 2011. 6. Elle a également assigné la société [L] [X] devant le tribunal judiciaire de Lyon pour lui voir interdire toute exploitation de la dénomination [X], notamment sous les formes [L] [X] ou [C] [X]. La cour d'appel de Lyon, par arrêt du 29 novembre 2018, a jugé, d'une part, que les circonstances justifiaient non pas une interdiction mais une réglementation du signe "[L] [X]" et en a débouté la société [X] et, d'autre part, que la société [L] [X], licenciée de la marque [C] [X] était soumise de ce fait à la réglementation de son usage fixée dans l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 9 décembre 1992 et ne l'avait pas respectée. 7. M. [C] [X] a apporté la marque no 93 454 988 précitée à la Société civile d'exploitation de la marque [C] [X] (ci-après SCEMMP) le 9 novembre 2009. La société [C] [X] SAS et la société [L] [X] SAS sont licenciées non exclusives de la marque no 93 454 988. Procédure 8. Par acte 29 janvier 2019, M. [C] [X], la société civile d'exploitation de la marque [C] [X], la SAS [C] [X] et la SAS [L] [X] ont fait assigner la SAS [X] devant le tribunal judiciaire de Paris en révision de la réglementation établie par la cour d'appel dans son arrêt du 9 décembre 1992 concernant l'utilisation de la marque [C] [X]. 9. Par ordonnance du 18 octobre 2019, le juge de la mise en état a prononcé un sursis à statuer dans l'attente d'un arrêt de la Cour de cassation sur pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon du 29 novembre 2018 évoqué au point 6 supra. L'arrêt (Com., 17 mars 2021, pourvoi no 18-26.388) a cassé uniquement les chefs de dispositif déclarant irrecevables l'appel incident formé par M. [C] [X] et la SCEMMP et leur demande reconventionnelle, entraînant notamment celle des chefs de dispositif condamnant la société [L] [X] pour actes de contrefaçon de la marque [X] par un usage de la marque [C] [X] non conforme à la réglementation définie par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 9 juin 1992, dans la mesure où les prétentions de M. [C] [X] et de la SCEMMP relatives à cette réglementation n'ont pas été examinées. 10. L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 juin 2022. Prétentions et moyens 11. Dans leurs dernières conclusions signifiées le 28 avril 2022, M. [X], la SCEMPP, la société [C] [X] et la société [L] [X] SAS demandent au tribunal de juger que la marque [C] [X] peut être utilisée sans qu'il soit nécessaire d'apposer en dessous de la marque l'adresse des lieux où sont offerts au public les produits de la marque et de réserver les dépens. 12. Ils invoquent en premier lieu le respect de la réglementation et du principe de liberté de la concurrence, faisant valoir que :- s'il n'existait en 1992 qu'une adresse à [Localité 17], quatre adresses doivent désormais figurer sous la marque [C] [X] pour répondre aux exigences posées par l'arrêt du 9 décembre 1992, ce qui est presque impossible sur le ruban de 1,5 centimètre de large des emballages ;- l'effet de la réglementation est d'interdire aux descendants de [P] [X] l'ouverture de nouvelles boulangeries, sauf aux descendants de [B], constituant une barrière à l'accès d'un marché pertinent ;- il en résulte une situation de position dominante au profit de la société [X] et constitue une barrière à l'entrée sur un marché pertinent au sens du droit de la concurrence ;- le mot "établissement" utilisé par l'arrêt susvisé ne doit pas s'entendre des lieux de fabrication, qui ne comportent aucune enseigne et sont interdits au public. 13. Ils se prévalent en second lieu de circonstances technologiques nouvelles, imprévisibles pour la cour d'appel en 1992, consistant dans l'extension du commerce en ligne. Ils soutiennent ainsi que :- la communication publicitaire en ligne n'est pas possible si, à la suite du nom du site, doit figurer l'ensemble des adresses des établissements (www.[016].[Adresse 13]. [Adresse 2].[Adresse 1].[Adresse 10].fr) ;- ils ne peuvent proposer leurs produits alimentaires à la vente aux enseignes de grande distribution ou sur les réseaux sociaux, faute de place pour rédiger la phrase de description du produit, suivie des quatre adresses. 14. Ils soulignent enfin que la réglementation de 2012 est dévoyée par la défenderesse pour leur nuire alors que le développement à [Localité 15] de produits sous la marque [C] [X] ne saurait lui porter préjudice dès lors qu'elle n'y possède aucun point de vente ni aucun contact commercial. 15. Ils indiquent enfin que chacun d'entre eux a un intérêt à agir personnel, légitime et actuel à la révision de la réglementation, la société civile d'exploitation [C] [X] en ce qu'elle gère la marque [C] [X], M. [X] qui en est le gérant et les deux sociétés SAS [C] [X] et la SAS [L] [X] qui sont licenciées. 16. Dans ses dernières conclusions signifiées le 16 juin 2022, la SAS [X] demande au tribunal de débouter les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes et de les condamner in solidum à lui payer une indemnité de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, aux dépens et à lui payer la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 17. Par conclusions du 13 janvier 2023, la SELARL AJRS et la SELARL BDR & associés sont intervenues volontairement à l'instance en leurs qualités respectives d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de la SAS [X] ouverte le 4 octobre 2022 par le tribunal de commerce de Paris. Elles demandent au tribunal de leur adjuger le bénéfice des conclusions au fond présentées par la SAS [X] et de condamner in solidum les demandeurs à leur payer la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 18. Elles contestent l'intérêt à agir - de M. [X] qui n'a aucun droit sur la marque "[C] [X]", apportée par lui à la société civile d'exploitation de la marque [C] [X] et aucun intérêt distinct de celle-ci,- de la société civile d'exploitation de la marque [C] [X] qui, dès sa constitution, en 2009, était pleinement informée de la réglementation encadrant l'usage de la marque "[C] [X]" et de ses conséquences sur son exploitation commerciale et ne démontre pas que son développement serait entravé par l'existence de la réglementation. - des deux sociétés SAS [C] [X] et la SAS [L] [X], dont le contrat de licence stipule le respect de la réglementation, qu'elles ont librement accepté et qui ne les a pas empêchées de se développer, et qui, s'étant rendues coupables à plusieurs reprises des actes de contrefaçon, n'ont pas d'intérêt légitime à demander la suppression de cette réglementation dont l'objet est de protéger la marque notoire [X] de la confusion dans l'esprit du public. 19. Elles ajoutent que la demande de modification de la réglementation du 9 décembre 1992 se heurte à l'autorité de chose jugée, sans qu'il existe de circonstances nouvelles, l'hypothèse d'exploitation de plusieurs établissements sous la marque "[C] [X]" ayant été prise en considération par la cour d'appel qui indique la nécessité de faire figurer "l'adresse ou les adresses de leur(s) établissement(s)." et l'exploitation par les réseaux de communication électronique étant déjà connue (existence du Minitel depuis 1984).L'arrêt de la cour d'appel de Paris du 14 septembre 2011retient cette fin de non-recevoir. 20. Sur le fond, elles indiquent que :- la réglementation d'usage de 1992 ne constitue pas une entrave à l'accès au marché de la boulangerie qui ne nécessite aucunement l'usage de la marque en litige,- les sociétés [L] [X] SAS et [C] [X] SAS ont accepté les conditions d'usage de la marque "[C] [X]" en toute connaissance de cause plutôt qu'exploiter un signe libre,- cette réglementation d'usage a été prononcée dans l'intérêt du public pour éviter tout risque de confusion entre "[X]" et "[C] [X]" et sa préservation reste nécessaire,- le fait de placer immédiatement au-dessous du nom [C] [X] les adresses des établissements des bénéficiaires de droit d'exploitation de cette marque, permet de conférer au signe ainsi constitué une physionomie susceptible de créer une différence avec la marque antérieure,- cette réglementation qui est d'interprétation stricte, ne s'applique pas aux noms de domaine et [C] [X] est titulaire depuis le 10 octobre 1999 du nom de domaine <www.[016].fr> qui mène au site web de la société [C] [X] SAS,- l'activité sur les réseaux sociaux est très faible et ne semble pas avoir été entravée par la réglementation,- la nature même du commerce de boulangerie est antinomique avec le e-commerce,- l'incident avec Intermarché n'est pas clairement établi et rien n'indique que la réglementation est à l'origine de l'échec des négociations. MOTIVATION I . Sur l'intervention volontaire de la SELARL AJRS et de la SELARL BDR & associés ès qualités 21. La société [X] a été admise au bénéfice d'une procédure de sauvegarde prononcée le 4 octobre 2022 par le tribunal de commerce de Paris désignant la SELARL AJRS et de la SELARL BDR & associés en qualités d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire. 22. La reprise de la procédure interrompue par l'ouverture de la procédure collective impose que les organes de celle-ci reprennent l'instance. 23. Il y a donc lieu de déclarer recevable leur intervention volontaire, qui ne nécessite pas de débat contradictoire, sans révocation de l'ordonnance de clôture conformément à l'article 803 du code de procédure civile. II . Sur l'intérêt à agir de M. [X], de la société civile d'exploitation de la marque [C] [X] et des deux sociétés SAS [C] [X] et SAS [L] [X] 24. Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile, "L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé." 25. L'intérêt à agir suppose l'existence d'un avantage personnel, direct, né et actuel tiré de l'action et ne confond pas avec le bien fondé de celle-ci. 26. La société civile d'exploitation de la marque [C] [X], titulaire de la marque éponyme, et les deux sociétés SAS [C] [X] et la SAS [L] [X] qui en sont licenciées ont un avantage personnel direct, né, actuel et légitime à voir assouplies les conditions de la réglementation de l'usage du patronyme [X] dans l'exercice de leur activité et il est indifférent qu'elles aient connu l'existence de ses contraintes. En revanche, la seule qualité de gérant de M. [C] [X] ne suffit pas à caractériser son intérêt à agir en son nom propre dans la présente instance. 27. Il y a donc lieu de déclarer M. [X] irrecevable à agir et de rejeter la fin de non recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir s'agissant des autres demanderesses. III . Sur la demande principale 28. L'article 480 du code de procédure civile pose le principe selon lequel le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche et l'article 1355 du code civil dispose : "L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité". 29. Un fait nouveau modifiant la situation antérieurement reconnue en justice prive la décision de l'autorité de chose jugée. 30. La Cour de justice des Communautés européenne a dit pour droit : " le droit communautaire s'oppose à l'application d'une disposition du droit national visant à consacrer le principe de l'autorité de la chose jugée telle que l'article 2909 du code civil italien, en tant que son application fait obstacle à la récupération d'une aide d'État octroyée en violation du droit communautaire, et dont l'incompatibilité avec le marché commun a été constatée par une décision de la Commission devenue définitive." (CJCE, 18 juillet 2007, aff. C-119/05, Lucchini Spa) 31. La réglementation issue de l'arrêt du 9 décembre 1992 est irrévocable et a autorité de la chose jugée sur l'usage du patronyme [X] par M. [C] [X] et la SARL [C] [X] pour un usage commercial à titre de marque, dénomination sociale, nom commercial ou enseigne et dans leurs papiers d'affaires et publicité et emballages ; cette autorité de chose jugée s'impose aux exploitants de la marque. 32. L'existence de plusieurs établissements ne saurait constituer un fait nouveau au sens du point 29 supra, l'arrêt du 9 décembre 1992 évoquant expressément "l'adresse ou les adresses de leur(s) établissement(s)". 33. Quant aux circonstances technologiques nouvelles, il est indiscutable que le commerce électronique généralisé pour les particuliers n'existait pas, même en germe, en 1992. Il ne s'agit cependant pas d'un fait nouveau modifiant la situation antérieurement reconnue en justice, la cour d'appel ayant nécessairement pris en compte les sujétions matérielles induites par la réglementation qu'elle édictait et aucune pièce ne démontrant que le commerce en ligne soit impossible ou grevé de contraintes plus lourdes que celles déjà supportées (notamment la longueur du signe) pour l'apposition des adresses sur tous les papiers d'affaires, publicités et emballages avec le développement de l'activité. Il n'est pas contesté en particulier que le nom de domaine <max-poilane.fr> est licite dès lors que la page d'accueil mentionne les établissements et est exploité sur internet. 34. Si la société [X] est particulièrement vigilante et systématique dans le contrôle du respect de la réglementation de 2012, il n'est pas établi qu'elle la dévoie. 35. L'effet de la réglementation d'usage du patronyme [X] impose une sujétion réelle aux usagers de la marque [C] [X] pour l'exercice de leur activité, consistant à faire figurer en caractères lisibles toutes les adresses de leurs établissements, qui doivent être entendus comme leurs points de vente. Néanmoins, la situation défavorable faite aux descendants de [P] [X] par [C] [X] par rapport à ceux issus de [B], à la supposer démontrée, est l'effet de la politique de licence et de protection de la marque [X] par la société [X] et de dissensions familiales anciennes et persistantes, et non de cette réglementation. 36. Il n'existe donc aucun fait nouveau permettant d'écarter l'autorité de chose jugée pour défaut de cause identique. 37. Le marché pertinent au sens du droit de la concurrence est celui des produits ou services que le consommateur considère interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auxquels ils sont destinés. Comme le soutient à juste titre la société [X], il s'agit en l'espèce du marché des produits de boulangerie. 38. La réglementation de l'usage de sa marque sur ce marché n'est pas de nature à y assurer la société [X] une position dominante, ni à constituer une barrière pour y accéder. 39. Il y a donc lieu de rejeter la demande de modification de la réglementation posée par l'arrêt du 9 décembre 1992. IV . Sur la demande reconventionnelle 40. La défenderesse soutient que l'action engagée par les quatre demandeurs, M. [C] [X], la SCEMMP et les sociétés [C] [X] et [L] [X] SAS, est abusive et vexatoire, sans étayer son propos par aucune explication, ni aucune pièce. 41. Il ressort du rappel des procédures antérieures fait aux points 4 à 6 supra que la mention en caractère lisibles des adresses de tous les établissements de M. [C] [X] et la société [C] [X] sur la marque, la dénomination sociale, le nom commercial ou l'enseigne et dans leurs papiers d'affaires et publicité et emballages est à l'origine d'un contentieux nourri par la société [X], de sorte que l'action n'apparaît ni abusive ni vexatoire. 42. La demande à titre de dommages et intérêts de ce chef est donc rejetée. V . Dispositions finales 43. Les demanderesses, qui succombent sont condamnées aux dépens.L'équité justifie de rejeter les demandes de la SAS [X] et des organes de la procédure de sauvegarde au titre de l'article 700 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS Déclare recevable l'intervention volontaire de la SELARL AJRS et de la SELARL BDR & associés ès qualités de mandataire et administrateur judiciaires de la SAS [X] ; Déclare M. [C] [X] irrecevable en ses demandes faute d'intérêt à agir ; Rejette la fin de non recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de de la société civile d'exploitation de la marque [C] [X] et des deux sociétés SAS [C] [X] et la SAS [L] [X] ; Rejette la demande de la société civile d'exploitation de la marque [C] [X], de la SAS [C] [X] et de la SAS [L] [X] de modification de l'usage de la marque [C] [X] ; Rejette la demande reconventionnelle de la SAS [X] à titre de dommages et intérêts ; Condamne M. [C] [X], la société civile d'exploitation de la marque [C] [X], la SAS [C] [X] et la SAS [L] [X] aux dépens de l'instance, qui pourront être recouvrés directement par Me Szleper dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ; Déboute la SAS [X], la SELARL AJRS et la SELARL BDR & associés de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Fait et jugé à Paris le 16 Juin 2023 Le Greffier La PrésidenteQuentin CURABET Irène BENAC
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JURITEXT000047878968
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 12 mai 2023, 20/08191
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2023-05-12
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/08191
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG 20/08191No Portalis 352J-W-B7E-CSVCB No MINUTE : Assignation du :04 Septembre 2020 JUGEMENT rendu le 12 Mai 2023 DEMANDERESSE S.A.R.L. [M] CLOTHING LLC[Adresse 3][Adresse 3] [Localité 4] (ÉTATS UNIS D'AMERIQUE) représentée par Maître Céline BEY de l'AARPI GOWLING WLG (France) AARPI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0127 DÉFENDEUR Monsieur [X] [M][Adresse 1][Localité 2] représenté par Maître Alain BERTHET de la SELAFA PROMARK, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0162 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Irène BENAC, Vice-PrésidenteMonsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge assisté de Quentin CURABET, Greffier DEBATS A l'audience du 15 Février 2023 présidée par Nathalie SABOTIERtenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe, en dernier lieu, le 12 Mai 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireen premier ressort EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. M. [X] [M] est titulaire de sept marques françaises, européennes et internationale désignant la France. Il a en effet déposé :? en 1984 : deux marques semi-figuratives en France pour des produits et services divers dans 11 classes,? en 2005 : une marque verbale de l'Union européenne "[X] [M]" (no 004373122), aujourd'hui frappée de déchéance ;? en 2007 : une marque semi-figurative en France pour des produits et services divers dans 10 classes, la même marque pour l'Union européenne (no 005620968) et pour d'autres pays pour des produits et services divers dans 3 classes, ? en 2015 : une marque verbale "[M]" (no 4226920) pour des produits et services divers dans 5 classes,? en 2020 : une marque verbale "[X] [M]" pour des produits et services divers dans 2 classes. Le 27 juin 2013, il a donné une licence exclusive d'exploitation des marques de l'Union européenne no 004373122 et no 005620968 à la société LCS International BV (Le coq sportif) pour les chaussures, textiles et bagages. 2. La société de droit américain [M] Clothing, enregistrée le 6 avril 2015, commercialise des vêtements et accessoires pour hommes dans ses boutiques, sur son site internet www.[05].com et via des revendeurs en ligne. Elle est titulaire de deux marques américaines semi-figuratives déposées respectivement le 26 février 2015 (par M. [C] qui la lui a ultérieurement cédée) pour les sacs de sport, des vêtements et la vente au détail de tels produits et le 11 avril 2019 pour les lunettes de soleil.Le 13 septembre 2017, elle a déposé une marque verbale de l'Union européenne "[M]" no 17202094 en classes 18 (sacs), 25 (vêtements) et 35 (vente au détail de tels produits), refusée à l'enregistrement suite à opposition de M. [M].Elle a fait appel de la décision et la chambre de recours de l'EUIPO est saisie. 3. Par acte du 4 septembre 2020, la société [M] Clothing a fait assigner M. [M] devant le tribunal judiciaire de Paris en nullité de la marque verbale [M] no 4226920 pour dépôt frauduleux et réparation de son préjudice consécutif à l'empêchement d'exploiter sa marque sur le territoire français. 4. Par ordonnance du 19 octobre 2020, le juge des référés a débouté M. [M] de ses demandes tendant à voir interdire à la société [M] Clothing, notamment, de faire usage du signe [M] pour désigner les vêtements et accessoires qu'elle commercialise. 5. Saisie par la société [M] Clothing, la division d'annulation de l'EUIPO a prononcé la déchéance à compter du 7 juin 2019 de :- la marque verbale "[X] [M]" no 004373122 pour défaut d'usage sérieux ; il n'a pas été fait appel de cette décision ;- la marque semi-figurative no 005620968 sauf pour les "chemises de sport décontractées" de la classe 25; la chambre de recours de l'EUIPO a confirmé la décision sauf pour les "chemises polos ; chandails" de la classe 25 et un appel a été formé devant le tribunal de l'Union européenne en septembre 2022. 6. Par ordonnance du 26 mars 2021, le juge de la mise en état a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par M. [M]. Par une ordonnance du 21 janvier 2022, il a déclaré irrecevable la demande reconventionnelle en contrefaçon de sa marque de l'Union européenne semi-figurative no 005620968 de M. [M]. 7. Dans ses dernières conclusions signifiées le 17 octobre 2022, la société [M] Clothing demande au tribunal de : A titre principal,- annuler la marque verbale française no4226920 appartenant à M. [M] pour l'intégralité des produits et services qu'elle désigne, comme déposée frauduleusement ; - ordonner la transmission de la décision une fois devenue définitive pour inscription par l'INPI au Registre national des marques ; - débouter M. [M] de sa demande reconventionnelle en contrefaçon ; - condamner M. [M] à lui payer la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial et d'image subi du fait de son détournement du droit des marques et de l'abus de son droit d'ester en justice ; Subsidiairement, - prononcer la déchéance pour défaut d'usage de la marque française no 4226920 pour l'intégralité des produits et services visés dans l'acte d'enregistrement à compter du 1er avril 2021 ; - ordonner la transmission de la décision une fois devenue définitive pour inscription par l'INPI au Registre national des marques ; - débouter M. [M] de sa demande reconventionnelle en contrefaçon ; Très subsidiairement, - débouter M. [M] de sa demande reconventionnelle en contrefaçon en l'absence de risque de confusion entre les signes qu'elle utilise et la marque no4226920 ; A titre infiniment subsidiaire, - rejeter les demandes d'indemnisation, de droit à l'information et d'interdiction formées par M. [M] comme disproportionnées et abusives ; En tout état de cause, - débouter M. [M] de toutes ses demandes, - le condamner aux dépens dont distraction au profit du cabinet Gowling WLG avocats et à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 8. Dans ses dernières conclusions signifiées le 18 octobre 2022, M. [M] demande au tribunal de : À titre principal :- débouter la société [M] Clothing de toutes ses demandes ; À titre reconventionnel: - condamner la société [M] Clothing à lui payer la somme de 15.000 euros au titre du préjudice moral et une provision de 40.000 euros à valoir sur son préjudice financier subis du fait des actes de contrefaçon de sa marque no 4226920 ;- ordonner à la société [M] Clothing d'avoir à produire sous astreinte tous les documents et informations nécessaires à l'évaluation du préjudice subi ;- renvoyer l'affaire à la mise en état pour contrôler la communication d'information et la reddition de comptes et statuer sur le préjudice après conclusions sur ce point ;- condamner la société [M] Clothing aux dépens dont distraction au profit de Me [Z] et à lui payer la somme de 15. 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 9. L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 octobre 2022. MOTIVATION I . Sur la validité de la marque verbale française [M] no4226920 1 . Sur le dépôt frauduleux 10. La société [M] Clothing soutient que les circonstances dans lesquelles la marque no4226920 a été déposée le 18 novembre 2015 (peu après le dépôt de sa marque américaine du 26 février et publiée le 1er septembre 2015, alors qu'il était déjà titulaire de six marques antérieures portant son prénom ou l'initiale de celui-ci et son nom et pour les mêmes produits et services, premier dépôt portant sur son nom seul et marque jamais été exploitée) ainsi que les actions menées sur son fondement constituent un détournement de la fonction du droit des marques pour l'empêcher d'étendre ses activités au territoire français.Dès lors, elle doit être annulée sur la base :- du principe selon lequel la fraude corrompt tout,- de la décision du 11 juin 2009 de la CJCE (C-529/07 Lindt) qui pose que l'enregistrement d'une marque "sans intention de l'utiliser, uniquement en vue d'empêcher l'entrée d'un tiers sur le marché" caractérise la mauvaise foi du demandeur,- de la jurisprudence française et européenne selon laquelle la mauvaise foi est caractérisée par le détournement du droit des marques, notamment par un dépôt destiné à éviter une sanction de déchéance. 11. M. [M] fait valoir que les conditions d'un dépôt frauduleux ne sont aucunement remplies. Il conteste avoir eu connaissance des marques américaines de la société [M] Clothing - qui ne sont pas connues en France et n'ont commencé à être exploitées qu'en octobre 2015 - et avoir eu l'intention d'empêcher son commerce ou effectué le dépôt de sa marque pour pallier un risque de déchéance - le dépôt ayant été effectué afin de mieux protéger ses droits. Sur ce, 12. L'article 4, paragraphe 2, de la directive no 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques, transposé en droit français par les articles L.711-2 et L.714-3 du code de la propriété intellectuelle, dispose que "Une marque est susceptible d'être déclarée nulle si sa demande d'enregistrement a été faite de mauvaise foi par le demandeur" et l'article L. 714-3 du même code prévoit que "L'enregistrement d'une marque est déclaré nul par décision de justice ou par décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle, en application de l'article L. 411-4, si la marque ne répond pas aux conditions énoncées aux articles L. 711-2, L. 711-3, L. 715-4 et L. 715-9". 13. Saisie de questions préjudicielles en interprétation de la notion de mauvaise foi, qui constituait un cas susceptible d'entraîner la nullité dans la directive antérieure no 2008/95, la CJUE (27 juin 2013, MalaysiaDiary Industries, C-320/12) a dit pour droit que :- il s'agit d'une notion autonome du droit de l'Union qui doit être interprétée de manière uniforme en son sein, - pour établir l'existence de la mauvaise foi du demandeur au sens de cette disposition, il convient de prendre en considération tous les facteurs pertinents propres au cas d'espèce et existant au moment du dépôt de la demande d'enregistrement. 14. A nouveau saisie de questions préjudicielles en interprétation de la notion de mauvaise foi, au sens de la première directive 89/104, la CJUE (29 janvier 2020, C-371/18, Sky plc ea) a dit pour droit que "doivent être interprétés en ce sens qu'une demande de marque sans aucune intention de l'utiliser pour les produits et les services visés par l'enregistrement constitue un acte de mauvaise foi, au sens de ces dispositions, si le demandeur de cette marque avait l'intention soit de porter atteinte aux intérêts de tiers d'une manière non conforme aux usages honnêtes, soit d'obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d'une marque. Lorsque l'absence d'intention d'utiliser la marque conformément aux fonctions essentielles d'une marque ne concerne que certains produits ou services visés par la demande de marque, cette demande ne constitue un acte de mauvaise foi que pour autant qu'elle vise ces produits ou services". 15. Critère de nullité absolue, la mauvaise foi du déposant doit être démontrée par celui qui l'allègue mais la présomption de bonne foi attachée au dépôt peut être renversée, auquel cas il revient au titulaire de la marque attaquée de fournir des explications plausibles et de justifier d'intentions légitimes. 16. Dans le cas présent, la demanderesse ne conteste pas que la commercialisation sous sa marque n'a débuté que le 15 octobre 2015 et ne démontre pas que cette toute jeune marque avait reçu, en deux mois et demi, une utilisation telle que M. [M] peut être présumé l'avoir connue, quand bien même il aurait vécu à New-York à cette époque, ni qu'il aurait pu anticiper les velléités de développement de la société [M] Clothing dans l'Union européenne et chercher à l'entraver. 17. Ainsi qu'il a été rappelé supra, à la date du dépôt de la marque verbale no4226920, M. [M] était déjà titulaire de six marques antérieures portant sur quatre signes :1984 1984 2005 UE no 004373122 [X] [M] 2007 UE no 005620968 classes 3, 14, 16, 18, 22, 24, 25, 28, 32, 37, 41 classes 3, 14, 16, 18, 22, 24, 25, 28, 32, 37, 41 classes 9, 18, 25, 28, 41 classes 18, 25 et 28 pour les marques internationale et de l'Union européenne et classes 3, 14, 16, 18, 24, 25, 28, 38, 41 pour la marque françaiseIl s'agissait donc d'une marque différente des précédentes, déposée pour certains autres produits et services (des classes 9, 18, 25, 28, 41). 18. Ces dépôts successifs et la coïncidence avec le dépôt de la marque américaine de la demanderesses ne permettent pas de remettre en cause la présomption de bonne foi de M. [M] lors du dépôt le 18 novembre 2015. 19. En toute hypothèse, son explication, selon laquelle un signe verbal offrait une défense plus complète et était mieux adapté à l'évolution de son usage que les signes semi-figuratifs et la marque [X] [M] antérieurs, alors que sa nomination en tant que capitaine de l'équipe française en coupe Davis était susceptible de le relancer médiatiquement, est plausible. Une telle stratégie n'est pas contraire aux usages honnêtes ni destinée à des fins autres que celles relevant des fonctions d'une marque. 20. Enfin, il n'existe aucun élément de preuve à l'appui de l'allégation selon laquelle, à la date du dépôt, le défendeur n'avait pas l'intention d'exploiter la marque.Au contraire, il justifie avoir donné, en 2013, une licence exclusive d'exploitation de la marque pour les chaussures, textiles et bagages à la société LCS International BV (Le coq sportif), dont les attestations du 3 octobre 2019 et du 6 mai 2022 attestent d'un "chiffre d'affaire, marques [X] [M]", faisant apparaître la vente de 3.348 vêtements et 3.430 chaussures sur tous territoires entre 2015 et 2019 ainsi que de ventes en France de polos, sweaters, vestes, pantalons et chaussures de 2017 à 2022, ce qui démontre une exploitation continue avant et après le dépôt de la marque querellée. 21. En conséquence, la demande en nullité de la marque no 4226920 sur le fondement du dépôt frauduleux est rejetée, ainsi que la demande à titre de dommages et intérêts formée à ce titre par la société [M] Clothing. 2 . Sur la déchéance pour défaut d'usage sérieux 22. La société [M] Clothing soutient que la marque verbale [M] n'a fait l'objet d'aucune exploitation et que sa déchéance doit, dès lors, être prononcée pour la totalité des produits et services qu'elle désigne. Elle soutient en particulier que l'usage du signe semi-figuratif no 005620968 et de la signature manuscrite de M. [M] ne constituent pas des usages de cette marque sous une forme non modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif, comme l'ont jugé la division d'annulation et la chambre des recours de l'EUIPO, car l'absence de l'élément figuratif co-dominant de la marque semi-figurative et la forte stylisation du nom dans la signature altèrent le caractère distinctif de la marque. Elle ajoute que les usages démontrés sont purement symboliques. 23. M. [M] demande au tribunal de rejeter la demande de déchéance qu'en ce qu'elle porte sur les produits suivants : "vêtements, vêtements de sport, maillots, chemisettes, habits, tee-shirts, chaussures, chaussures de sport" en classe 25.Il fait valoir que :- les usages de la marque semi-figurative no 005620968 et de sa signature valent usage de la marque verbale no 4226920, - ces usages n'altèrent pas le caractère distinctif de cette dernière dès lors que l'élément dominant de sa signature reste le nom, malgré l'ajout du Y et la typographie différente, de même dans la marque semi-figurative, malgré l'ajout de l'élément figuratif purement décoratif, - son exploitation est réalisée par le biais de la licence accordée à la société LCS International BV qui a édité des collection capsule, c'est-dire pour de faibles quantités disponibles durant un temps limité, en 2016, 2018 et le fera en 2023 à l'occasion du 40ème anniversaire de sa victoire au tournoi de Roland Garros et que des produits ont été commercialisés de 2016 à 2019. Sur ce, 24. L'article 18 du règlement 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne (figurant auparavant, dans des termes équivalents, à l'article 15 du règlement no 40/94 du 20 décembre 1993et également dans les directives rapprochant les législations des États membres sur les marques) prévoit : "1. Si, dans un délai de cinq ans à compter de l'enregistrement, la marque de l'Union européenne pas fait l'objet par le titulaire d'un usage sérieux dans l'Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, la marque communautaire est soumise aux sanctions prévues au présent règlement, sauf juste motif pour le non-usage.Constituent également un usage au sens du premier alinéa :a) l'emploi de la marque de l'Union européenne sous une forme qui diffère par des éléments n'altérant pas le caractère distinctif de la marque dans la forme sous laquelle celle ci a été enregistrée que la marque soit ou non enregistrée sous la forme utilisée au nom du titulaire". 25. L'article L.714-5 du code de la propriété intellectuelle dispose : "Encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans. Le point de départ de cette période est fixé au plus tôt à la date de l'enregistrement de la marque suivant les modalités précisées par un décret en Conseil d'Etat. Est assimilé à un usage au sens du premier alinéa : (...)3o L'usage de la marque, par le titulaire ou avec son consentement, sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif, que la marque soit ou non enregistrée au nom du titulaire sous la forme utilisée ; (...)" et l'article L. 716-3-1 : "La preuve de l'exploitation incombe au titulaire de la marque dont la déchéance est demandée. Elle peut être apportée par tous moyens". 26. Saisie de questions préjudicielles en interprétation de la notion d'usage sérieux, la CJUE (11 mars 2003, Ansul, C-40/01) a dit pour droit que : "une marque fait l'objet d'un usage sérieux lorsqu'elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l'identité d'origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l'exclusion d'usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque. L'appréciation du caractère sérieux de l'usage de la marque doit reposer sur l'ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l'exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l'étendue et la fréquence de l'usage de la marque",précisant que "il n'est pas nécessaire que l'usage de la marque soit toujours quantitativement important pour être qualifié de sérieux, car une telle qualification dépend des caractéristiques du produit ou du service concerné sur le marché correspondant". 27. Elle a également précisé que "Quant à la finalité de l'article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 89/104, il y a lieu de relever que cette disposition, en évitant d'exiger une conformité stricte entre la forme utilisée dans le commerce et celle sous laquelle la marque a été enregistrée, vise à permettre au titulaire de cette dernière d'apporter au signe, à l'occasion de son exploitation commerciale, les variations qui, sans en modifier le caractère distinctif, permettent de mieux l'adapter aux exigences de commercialisation et de promotion des produits ou des services concernés"(CJUE, 25 octobre 2012, C-553/11, Rintisch) et dit pour droit que"la condition d'usage sérieux d'une marque, au sens de l'article 15, paragraphe 1, du règlement no 40/94 peut être remplie lorsqu'une marque enregistrée, qui a acquis son caractère distinctif par suite de l'usage d'une autre marque complexe dont elle constitue un des éléments, n'est utilisée que par l'intermédiaire de cette autre marque complexe, ou lorsqu'elle n'est utilisée que conjointement avec une autre marque, la combinaison de ces deux marques étant, de surcroît, elle-même enregistrée comme marque"(18 avril 2013, C-12/12, Colloseum holding, point 36). 28. La marque ayant été enregistrée le 1er avril 2016, le titulaire de la marque française no 4226920 doit prouver que, à l'issue de la période de grâce soit depuis le 1er avril 2021, il en a fait un usage sérieux au cours des 5 années précédent la demande en déchéance pour les produits et services visés l'enregistrement. 29. La marque française [M] no4226920 a été déposée pour de nombreux produits et services en classes 9, 18, 28 et 41, ainsi que pour tous les produits de la classe 25. 30. En l'absence de preuve d'usage, la déchéance de la marque sera prononcée pour tous les produits et services visés à l'enregistrement dans les classes 9, 18, 28 et 41, ainsi que pour les produits suivants en classe 25 : vêtements de gymnastique, vêtements en cuir, vêtements en imitation du cuir, vêtements en fourrure, ceintures (habillement), gants (habillement), écharpes, maillots de bain, costumes de plage, combinaisons (vêtements de sport), caleçons de bain, peignoirs, saris, bandanas, boas, étoles, foulards, bandeaux pour la tête (habillement), bonneterie, bas, bavoirs non en papier, bretelles, cache-col, camisoles, capuchons, châles, chandails, chasubles, supports de chaussettes, chemises, collets, cols, combinaisons, pantalons, costumes, tabliers, couvre-oreilles, cravates, empeignes, empiècements de chemises, gabardines, gaines, mitaines, gilets, pull-overs, tricots, imperméables, manteaux, parkas, pèlerines, pelisses, vareuses, vestes, jambières, jupes, costumes de mascarade, sous-vêtements, lingerie de corps, slip, body, soutien-gorge, culottes, corselets, vêtements de nuit, pyjamas, robes de chambre, chapellerie, bonnets, casquettes, bonnets de bain, calottes, bérets, coiffes, chaussettes, chaussons, bottes, bottines, brodequins, chaussures de football, chaussures de plage, crampons de chaussures de sport, espadrilles, galoches, pantoufles, sandales, chaussures de ski, souliers. 31. S'agissant des autres produits (vêtements, vêtements de sport, maillots, chemisettes, habits, tee-shirts, chaussures, chaussures de sport), il est constant que l'exploitation a été réalisée dans le seul cadre de la licence exclusive confiée à la société LCS International BV pour les deux marques précitées no 004373122 (aujourd'hui déchue) et no 005620968. 32. Les pièces no 10 à 14 montrent que les articles "[M]" distribués par la licenciée portent soit une étiquette portant soit le signe suivant, soit la mentionstylisée suivante. 33. Le signe comporte deux éléments co-dominants : l'élément verbal "[X] [M]" et le logo qui en occupe la majeure partie. Il n'en demeure pas moins que l'élément distinctif de la marque est son élément verbal, associé à une personnalité célèbre en tant que champion de tennis et chanteur, figurant en lettres capitales très lisibles sous l'élément figuratif à caractère d'initiale.Dès lors, il y a lieu de retenir que les usages de ce signe valent usage de la marque verbale no 4226920 [M] sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif. 34. La mention stylisée est, semble-t-il, la transcription de "y noah" en écriture cursive. Pour autant, si les minuscules centrales sont à peu près clairement n, o et a, les lettres d'attaque et de clôture sont, pour la première, plus proche de g ou S que de y et, pour la dernière, d'un l ou un f que d'un h, de sorte qu'on lit plutôt "gnoal" ou Snoaf" que "y noah". Elle altère donc considérablement l'effet distinctif de la marque verbale no 4226920 et ne saurait donc en constituer un usage sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif. 35. S'agissant des preuves d'usage, M. [M] produit une attestation du 3 octobre 2019 (sa pièce 9) de la LCS International BV intitulée "chiffre d'affaire, marques [X] [M]", de 2015 à 2019 faisant apparaître la vente de 3.348 vêtements (5 modèles de polos, 4 de sweaters, 2 de vestes et 1 de pantalon) et 3.430 chaussures (13 modèles) sur tous territoires. Il produit une deuxième attestation du 6 mai 2022 (sa pièce 35), moins détaillée, faisant apparaître le chiffre d'affaires en France des ventes de 6 modèles de polos, 4 de sweaters, 2 de vestes et 1 de pantalon ainsi que 9 modèles de chaussures pour la période de 2017 à 2022. 36. Quoiqu'interpellé sur ce point par les écritures adverses, M. [M] ne produit pas de photographies de ces modèles permettant d'examiner la marque apposée sur chacun des produits, à l'exception de la pièce 10 qui montre trois modèles de polos, portant une étiquette représentant le signe évoqué supra. Il produit en revanche des fiches techniques de produits (pièces 11 à 14) permettant de constater que 5 modèles de vêtements ([M] polo SS M optical white, [M] polo SS M light heather grey, [M] 86 retro polo MCH marshmallow, TRI SL LC23 sweater M marshmallow /dress, TRI SL LC23 polo no2 M) ainsi qu'un modèle de chaussures ( CMF club [M] Supog) ont été conçus pour porter une étiquette avec ce signe. 37. S'il est exact que les pièces justificatives relatives aux vêtements ne démontrent pas comment et où ils ont été offerts à la vente, l'attestation du licencié constitue cependant une preuve suffisante qu'ils ont été commercialisés auprès du public français. Elle démontre que les six produits précités ont été commercialisés en 2016, 2017, 2018 et 2020 et ont généré un chiffre d'affaires total de 5.540,52 euros pour les vêtements et 27.368,85 pour les chaussures. 38. La marque française no4226920 est donc exploitée pour les vêtements et chaussures à un niveau quantitatif faible mais non symbolique et en vue de la conservation d'un débouché pour les produits concernés. 39. L'usage sérieux de marque française no4226920 pour les vêtements et chaussures est donc établi et il y a lieu de rejeter la demande de déchéance de la marque pour les produits selon la liste proposée par le défendeur qui n'est pas discutée. III . Sur la contrefaçon 40. M. [M] fait valoir que :- la société [M] Clothing a utilisé le signe [M] à titre de marque sa marque pour des produits similaires à ceux visés par sa marque sur son site internet accessible en France et offrant des produits payables en euros avec livraison possible au public français en février 2020,- ce signe est reproduit à l'identique sur les différents types de vêtements, chaussures et casquettes, et est imité sur d'autres articles par l'ajout d'une croix ou d'une aile rouge ou des lettres NYC ;- ces signes, très similaires sur les plans visuel, phonétique et conceptuel, sont de nature à créer une confusion auprès du public d'attention moyenne et notamment de laisser penser que les produits commercialisés sous ces signes font l'objet d'un partenariat entre les parties. 41. La société [M] Clothing soutient que :- le risque de confusion est exclu par les différences significatives entre les signes,- le public pertinent a un degré d'attention pus élevé que la moyenne,- le prénom [M] est le 26ème des prénoms masculins les plus donnés en France en 2018, il est inclus dans de nombreuses marques de vêtements notamment,- l'ajout de logos rouge vif et des lettres NYC produit un impact visuel distinct du seul élément verbal [M], et sont porteur de sens (spirituel pour la croix, mythologique pour le pied ailé et géographique pour NYC) alors que la marque [M] renvoie à une personne physique,- la protection de la marque ne saurait s'étendre à d'autres produits que ceux pour lesquels l'usage est sérieux,- les conditions de commercialisation des produits et les prix sont très différents. Sur ce, 42. L'article L 713-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que "est interdit, sauf autorisation du propriétaire, l'usage dans la vue des affaires pour des produits ou des services : 1o D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;2o D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dan incluant le risque d'association du signe avec la marque" . 43. L'appréciation de la contrefaçon implique de rechercher si, au regard des degrés de similitude entre les signes et entre les produits et/ou services désignés, il existe un risque de confusion comprenant un risque d'association dans l'esprit du public concerné, lequel doit être apprécié en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce. La similarité des produits et/ou services concernés est examinée au regard des facteurs caractérisant le rapport les unissant du fait de leur nature, de leur destination ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire. 44. L'appréciation de la similitude visuelle, auditive et conceptuelle des signes doit être fondée sur l'impression d'ensemble produite par ceux-ci en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants.Au sein d'une marque complexe, le signe verbal est dominant en ce qu'il permet de mémoriser la marque et de la désigner à l'oral. 45. Au cas présent, l'élément verbal [M] est représenté sur la majorité des vêtements et devant des casquettes, ainsi que cela ressort du constat d'huissier du 23 février 2020 sur les sites internet www.ssence.com et noahny.com. Il est identique à la marque de sorte qu'il y a identité visuelle, phonétique et conceptuelle. 46. La société [M] Clothing ne saurait être suivie lorsqu'elle soutient que le mot [M] est un prénom si répandu et utilisé en France, y compris à titre de marque, qu'il est dépourvu de caractère distinctif s'il n'est accompagné d'un autre signe. En effet, le caractère distinctif d'une marque n'est pas subordonné à l'existence d'un sens fort ou d'une quelconque originalité, du moment qu'il est arbitraire au regard des produits et services auxquels il est associé et apte à être perçu comme une indication de leur origine.Le mot [M] pour désigner des vêtements et chaussures présente ces caractères. 47. Sur de nombreux articles, deux éléments figuratifs sont alternativement associés à l'élément verbal : - une croix grecque légèrement pattée, reproduite au point 1 supra, particulièrement sobre, quoique vermillon,- un pied ailé rouge, reproduit ci-contre suffisamment arbitraire et soigné dans son dessin pour constituer un élément distinctif. Néanmoins, ces signes occupent une place réduite sous l'élément verbal bien mis en valeur (inscrit en lettres capitales sur fond contrastant) et n'apportent pas de sens particulier à la marque. Ils jouent un rôle décoratif, de sorte qu'ils demeurent accessoires et ne retiendront pas l'attention du public au détriment du mot. 48. Sur le site internet, l'élément verbal utilisé est [M] NYC. Cet ajout verbal en fin de signe est de nature à affecter la similarité visuelle et conceptuelle. Néanmoins, les initiales NYC étant très fréquemment apposées sur divers articles, notamment de mode et de maroquinerie, comme signifiant New York city, et venant ici en fin de signe, il n'est pas de nature à atténuer sensiblement la similarité à la marque [M]. 49. Il n'est pas discuté que les produits sur lesquels ces signes sont présents sont notamment des produits pour lesquels la marque a été jugée valable. Les allégations de la société [M] Clothing selon lesquelles il s'agirait de produits nettement distincts ne sont corroborées par aucun élément objectif ; quant aux différences de gamme, de prix ou de qualité, outre qu'elles ne sont pas plus objectivées, ce ne sont pas des éléments pertinents au regard du critère de similarité. 50. La similarité des signes pour la vente de produits similaires est de nature à susciter un risque de confusion dans l'esprit du public pertinent, qui est le grand public d'attention moyenne sur le territoire français. De plus, les produits portant la marque [M] sont commercialisés dans le cadre d'une licence avec Le coq sportif, dont la marque figurative figure également. Le public est donc accoutumé à voir cette marque associée à un partenaire commercial. 51. Le risque de confusion et d'association entre les signes litigieux et la marque [M] est ainsi établi et la société [M] Clothing a effectué des actes de contrefaçon en reproduisant et imitant le signe de la marque verbale française no 4226920 de M. [M]. IV . Sur les mesures de réparation et le droit d'information 52. M. [M] fait valoir que la contrefaçon de sa marque ont causé à celle-ci une atteinte de la valeur patrimoniale et lui a causé un manque à gagner ainsi que des bénéfices indus pour la société [M] Clothing et qu'il a droit à un cumul des deux postes ou, à défaut, aux bénéfices indus du contrefacteur.N'ayant pu réaliser de saisie contrefaçon, il invoque son droit d'information et à une provision avant-dire droit. 53. La société [M] Clothing soutient que :- la demande d'interdiction est disproportionnée au regard de sa liberté d'entreprendre au regard de la faible exploitation du signe et du dépôt pour de nombreux produits et services où il n'était aucunement utilisé,- la demande de provision est fantaisiste, repose sur un cumul excédant la réparation du préjudice et n'est le résultat d'aucun calcul, - le préjudice moral n'a été invoqué qu'au troisième jeu de conclusions alors que le produit n'est pas exploité, et n'existe pas dès lors qu'elle ne peut être à l'origine d'aucune dévalorisation,- le droit à l'information n'a été invoqué qu'au troisième jeu de conclusions et est disproportionné, la connaissance de son réseau de distribution et de son taux de marge (donnée sensible couverte par le secret des affaires) ainsi que les informations portant sur d'autres territoires que la France étant inutiles à la détermination de son préjudice. Sur ce, 54. Les dispositions des articles L. 716-4-10, L. 716-4-11 et L. 716-8 à L. 716-13 sont applicables aux atteintes portées au droit du titulaire d'une marque En application des dispositions de l'article L716-14 du code de la propriété intellectuelle, "Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée,2o Le préjudice moral causé à cette dernière, 3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée". 55. Ces dispositions, issues de la transposition de la directive 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (considérant 26 et article 13), visent à ce que la détermination du dommage tienne compte de ces différents aspects économiques, qui ne constituent pas des chefs de préjudices cumulables. En particulier, les bénéfices réalisés par les auteurs des atteintes n'ont pas vocation à être captés par la partie lésée mais sont destinés à évaluer objectivement son préjudice réel. 56. La contrefaçon étant établie, il y a lieu de prononcer les mesures d'interdiction comme précisé au dispositif. 57. M. [M] a soutenu dans ses écritures que des produits sous sa marqué étaient commercialisés dans des collections capsule à l'occasion d'événements favorisant son exposition médiatique. Il n'indique cependant pas quelles collections auraient été lancées depuis le 1er avril 2016 dont les bénéfices auraient pu être détournés du fait des ventes en France de la société [M] Clothing. Enfin, si le chiffre d'affaires moyen annuel de M. [M] a été d'environ 1.000 euros sur les ventes en France de vêtements et de 3.400 euros sur les chaussures, la redevance perçue à ce titre n'est pas connue. 58. Il n'existe aucune information sur les volumes de vente en France de celle-ci ni sur les bénéfices réalisés. La mise en jeu du droit à l'information est donc justifiée pour en permettre la prise en considération. 59. L'usage du signe litigieux est de nature à faire subir au titulaire de la marque une atteinte à sa valeur patrimoniale par dilution de celle-ci ainsi qu'un préjudice moral. Néanmoins, le préjudice ne peut être estimé ici en l'absence de toute information sur les volumes de vente réels. 60. Aucun élément ne permettant d'estimer le préjudice financier résultant de la contrefaçon, il y a lieu de rejeter la demande de provision à valoir sur la réparation du préjudice et de faire droit à la demande de droit à l'information sur le chiffre d'affaires et la marge réalisés en France sur les produits protégés par la marque selon les termes du dispositif. V . Dispositions finales 61. Le tribunal ayant vidé sa saisine et ne prononçant aucune condamnation avant-dire droit, il n'a pas lieu de faire droit à la demande de renvoi de l'affaire à la mise en état en vue d'hypothétiques difficultés ou demandes ultérieures. Il convient de renvoyer les parties à la détermination amiable du préjudice et de ressaisir le tribunal en cas de difficulté qui ne serait pas amiablement résolue. 62. La société [M] Clothing, qui succombe, est condamnée aux dépens de l'instance et à payer à M. [M] la somme de 12. 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile . PAR CES MOTIFS Déboute la société [M] Clothing de ses demandes de nullité de la marque française no 4226920 sur le fondement du dépôt frauduleux et à titre de dommages et intérêts pour le préjudice consécutif ; Rejette la demande de déchéance de la marque française [M] no4226920 pour les produits suivants de la classe 25 : vêtements, vêtements de sport, maillots, chemisettes, habits, tee-shirts, chaussures, chaussures de sport ; Prononce la déchéance pour défaut d'usage sérieux de la marque française [M] no4226920 à compter du 1er avril 2021 pour tous les produits et services visés à l'enregistrement en classes 9, 18, 28 et 41 ainsi que pour les produits suivants en classe 25 :vêtements de gymnastique, vêtements en cuir, vêtements en imitation du cuir, vêtements en fourrure, ceintures (habillement), gants (habillement), écharpes, maillots de bain, costumes de plage, combinaisons (vêtements de sport), caleçons de bain, peignoirs, saris, bandanas, boas, étoles, foulards, bandeaux pour la tête (habillement), bonneterie, bas, bavoirs non en papier, bretelles, cache-col, camisoles, capuchons, châles, chandails, chasubles, supports de chaussettes, chemises, collets, cols, combinaisons, pantalons, costumes, tabliers, couvre-oreilles, cravates, empeignes, empiècements de chemises, gabardines, gaines, mitaines, gilets, pull-overs, tricots, imperméables, manteaux, parkas, pèlerines, pelisses, vareuses, vestes, jambières, jupes, costumes de mascarade, sous-vêtements, lingerie de corps, slip, body, soutien-gorge, culottes, corselets, vêtements de nuit, pyjamas, robes de chambre, chapellerie, bonnets, casquettes, bonnets de bain, calottes, bérets, coiffes, chaussettes, chaussons, bottes, bottines, brodequins, chaussures de football, chaussures de plage, crampons de chaussures de sport, espadrilles, galoches, pantoufles, sandales, chaussures de ski, souliers ; Rejette la demande de déchéance de pour défaut d'usage sérieux de la marque française [M] no4226920 pour les services et produits suivants en classe 25 : vêtements, vêtements de sport, maillots, chemisettes, habits, tee-shirts, chaussures, chaussures de sport ; Ordonne la transmission de la décision une fois devenue définitive pour inscription par l'INPI au registre national des marques ; Ordonne à la société [M] Clothing de mettre fin à tout usage, dans la vie des affaires, d'un signe contenant l'élément verbal "[M]", dans un délai de 30 jours suivant la signification présent du jugement, sous astreinte de 300 euros par jour de retard pendant 90 jours ; Ordonne à la société [M] Clothing d'avoir à produire sous astreinte de 500 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de un mois suivant la signification du présent jugement le chiffre d'affaires et la marge réalisés par la société [M] Clothing en France depuis le 1er avril 2016 pour des vêtements et chaussures sous la marque [M], certifié par expert-comptable ou commissaire aux comptes ; Renvoie les parties à la détermination amiable du préjudice qui ne serait pas déjà indemnisé par le présent jugement ou, à défaut d'accord, par le tribunal saisi par nouvelle assignation ; Rejette les demandes de M. [X] [M] à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice du fait des actes de contrefaçon ; Condamne la société [M] Clothing aux dépens, qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ; Condamne la société [M] Clothing à payer à M. [X] [M] la somme de 12. 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Fait et jugé à Paris le 12 Mai 2023 Le Greffier La PrésidenteQuentin CURABET Nathalie SABOTIER
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JURITEXT000047878969
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Tribunal judiciaire de Paris, 25 mai 2023, 22/14935
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2023-05-25
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Tribunal judiciaire de Paris
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22/14935
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 22/14935 No Portalis 352J-W-B7G-CYTGM No MINUTE : Assignation du :26 décembre 2022 ORDONNANCE DE REFERE MAINLEVÉErendue le 25 mai 2023DEMANDERESSE Société THE PHANTOM COMPANY[Adresse 3][Localité 4] représentée par Me Xavier CARBASSE de l'AARPI BEYLOUNI CARBASSE GUENY VALOT & VERNET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0098 DEFENDERESSES Société META PLATFORMS INC[Adresse 1][Localité 5]CALIFORNIA [Localité 5] (USA) Société INSTAGRAM LLC[Adresse 1][Localité 5]CALIFORNIA [Localité 5] (USA) Société META PLATFORMS IRELAND LTD[Adresse 2][Adresse 2] [Localité 6] représentées par Me Pauline DEBRÉ du LLP LINKLATERS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0030 MAGISTRAT Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeassistée de Madame Caroline REBOUL, Greffière DEBATS A l'audience du 27 mars 2023, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 11 mai 2023. Le délibéré a été prorogé au 25 mai 2023. ORDONNANCE Prononcée publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE : 1. Facebook est un service de réseau social qui permet à ses utilisateurs de créer leurs propres profils et de se connecter les uns aux autres au moyen de leurs ordinateurs personnels ou appareils mobiles. L'accès au service requiert de l'utilisateur une inscription préalable et l'acceptation des conditions générales du service. 2. Instagram est un service de partage de photos et de vidéos qui permet à ses utilisateurs de consulter et commenter les publications d'autres utilisateurs au moyen de leurs ordinateurs personnels ou appareils mobiles. De la même manière, l'accès au service requiert de l'utilisateur une inscription préalable et l'acceptation des conditions générales du service. 3. Les services facebook et Instagram sont exploités en Europe par la société Meta Platforms Ireland, tandis que la société Meta Platforms Inc. est titulaire des marques "facebook" et la société Instagram Llc est titulaire des marques "Instagram". 4. La société de droit français The Phantom Company (antérieurement Phantombuster) conçoit, exploite et commercialise des logiciels. Elle propose en particulier à ses clients des logiciels dénommé "Phantoms" d'extraction de données (en vue de leur réutilisation commerciale) et de publication automatisée de contenus (aux fins d'accroître artificiellement le nombre de vue d'un compte) et ce, sur diverses plateformes telles qu'Instagram et Facebook. 5. Invoquant la violation de leurs droits sui generis de producteur de bases de données et de marques, les sociétés Meta Platforms Inc, Meta Platforms Ireland et Instagram Llc ont sollicité et obtenu, par une ordonnance du 22 novembre 2022, l'autorisation de faire procéder à des opérations de saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Phantombuster. Les opérations se sont déroulées le 29 novembre 2022. 6. Par actes d'huissiers du 26 décembre 2022, la société The Phantom Company a fait assigner en référé les sociétés Meta Platforms Inc, Meta Platforms Ireland et Instagram Llc afin d'obtenir la mainlevée de la saisie-contrefaçon ainsi que la rétractation de l'ordonnance l'ayant autorisée. 7. Dans ses dernières conclusions notifiées le 9 mars 2023, la société The Phantom Company demande au juge des référés de : - PRONONCER la mainlevée de la saisie-contrefaçon opérée le 29 novembre 2022 sur Ordonnance rendue le 22 novembre 2022 par le Président du Tribunal judiciaire de Paris sur le fondement du droit sui generis du producteur de base de données des sociétés Meta Platforms Inc., Instagram Llc et Meta Platforms Ireland Ltd ; - PRONONCER la rétractation de l'Ordonnance rendue le 22 novembre 2022 par le Président du Tribunal judiciaire de Paris sur le fondement du droit des marques des sociétés Metaplatforms Inc., Instagram Llc et Meta Platforms Ireland Ltd ; - PRONONCER la nullité des actes subséquents notamment en exécution de l'ordonnance du 22 novembre 2022, à savoir des opérations de saisie-contrefaçon conduites par Maitre [I] [N] le 29 novembre 2022 ; - ORDONNER la restitution à la société The Phantom Company de tous les éléments saisis lors des opérations de saisie-contrefaçon réalisées par le commissaire de justice [I] [N] le 29 novembre 2022 et placés sous séquestre ; - DEBOUTER les sociétés Meta Platforms Inc., Instagram Llc et Meta Platforms Ireland Ltd de l'ensemble de leurs demandes ; À titre subsidiaire, - ORDONNER une mesure d'expertise judiciaire pour préserver la confidentialité des éléments d'information pouvant être divulgués dans le cadre de la levée du séquestre ; En tout état de cause, - CONDAMNER les sociétés Meta Platforms Inc., Instagram Llc et Meta Platforms Ireland Ltd aux entiers dépens ; - CONDAMNER les sociétés Meta Platforms Inc., Instagram Llc et Meta Platforms Ireland Ltd à verser à The Phantom Company la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 8. Par leurs conclusions notifiées le 22 mars 2023, les sociétés Meta Platforms Inc, Meta Platforms Ireland et Instagram Llc demandent quant à elles au juge des référés de : À titre principal, ? Rejeter la demande de rétractation partielle à l'encontre de l'ordonnance afin de saisie contrefaçon du 22 novembre 2022 en ce qu'elle mal fondée ; ? Rejeter la demande de mainlevée à l'encontre de la saisie-contrefaçon du 29 novembre 2022 en ce qu'elle mal fondée ; ? Rejeter l'ensemble des demandes pécuniaires formées par la société The Phantom Company ; ? Confirmer l'ordonnance contestée dans son intégralité ; ? Ordonner la mainlevée du séquestre provisoire et une mesure d'expertise, et désigner pour y procéder tout expert informatique de son choix, avec pour mission de : - Se faire remettre par Maître [I] [N], commissaire de justice, dans le délai de quinze (15) jours suivant la signification de l'ordonnance à intervenir, une copie de l'ordonnance sur requête du 22 novembre 2022 et du procès-verbal de ses opérations du 29 novembre 2022, ainsi que l'ensemble des éléments saisis et placés sous séquestre provisoire ; - Réunir un cercle de confidentialité constitué uniquement, pour les Requérantes, de leurs avocats et d'un expert technique désigné par les avocats et, pour The Phantom Company, de ses avocats et d'une personne techniquement compétente, qu'elle soit interne ou externe à The Phantom Company, étant précisé que toutes ces personnes (les « Membres ») signeront un accord de confidentialité concernant les opérations menées lors de l'expertise ; - Recueillir les explications des avocats des parties et se faire remettre toutes pièces qui s'avéreraient nécessaires à l'exécution de sa mission ; - Ouvrir le séquestre provisoire, procéder à son examen en présence des Membres, et identifier: (a) les codes sources des Produits Incriminés (tels que définis dans l'ordonnance) ; (b) le diagramme de l'infrastructure de The Phantom Company ; - examiner le diagramme de l'infrastructure et les codes sources et, dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission, opérer les codes sources des Produits Incriminés, dans des conditions permettant de ne pas porter atteinte, dans la mesure de ce qui est raisonnablement possible, à l'intégrité et à la confidentialité des données des utilisateurs des plateformes Facebook et Instagram, afin de déterminer les traitement et méthodes mis en oeuvre par lesdits codes sources en vue d'extraire et/ou d'entrer des données sur les plateformes Facebook et Instagram, identifier la manière dont les Produits Incriminés interagissent avec les plateformes Facebook et Instagram, le type de données programmées pour extraire et/ou saisir sur lesdites plateformes, et l'endroit où les données extraites sont livrées et, plus généralement, afin de fournir, au tribunal saisi au fond, des explications techniques sur la façon dont les Produits Incriminés interagissent avec les données et les bases de données Facebook et Instagram ; ? Dire qu'il lui en sera référé de toute difficulté de nature en particulier à compromettre le démarrage, l'avancement ou l'achèvement des opérations ; ? Dire que l'expert sera saisi et accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 232 et suivants du code de procédure civile, ? Dire que conformément aux dispositions de l'article 269 du code procédure civile, la provision à valoir sur la rémunération de l'expert sera fixée ultérieurement après que l'expert aura pris connaissance des éléments à analyser et évalué le coût de son intervention ; ? Dire que l'expert devra rendre son rapport au greffe de la 3ème chambre civile, 1ère section du tribunal judiciaire de Paris dans un délai de six (6) mois suivants la signification de l'ordonnance à intervenir ; ? Ordonner à la société The Phantom Company de remettre aux sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram LLC, dans le délai d'un (1) mois à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir, et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de l'expiration de ce délai : - le volume et le type de données entrées et/ou extraites des plateformes Facebook et Instagram à l'aide des Produits Incriminés; - les adresses IP utilisées par The Phantom Company pour fournir les Produits Incriminés, ainsi que leur lieu d'hébergement, l'identification et la localisation des serveurs mettant en oeuvre les Produits Incriminés et stockant les données extraites par les Produits Incriminés, ainsi que l'identification et la localisation des clients de The Phantom Company ; - les revenus générés par The Phantom Company grâce à l'utilisation des Produits Incriminés ou, à défaut, si une telle ventilation est impossible, les revenus générés par l'ensemble des services proposés par The Phantom Company ; - le nombre de clients ayant souscrit aux Produits Incriminés ou, à défaut, si une telle ventilation est impossible, le nombre de clients ayant souscrit aux services proposés par The Phantom Company ; - toutes informations relatives aux plateformes Facebook et Instagram et qui sont en lien avec l'activité de la société The Phantom Company ; à l'exception de toute reproduction, même partielle, de tous codes source ou codes objet des Produits Incriminés ; A titre subsidiaire, ? Ordonner l'ensemble des mesures sollicitées à titre principal, sauf en ce qu'elles concernent la remise d'informations sous astreinte aux sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram LLC ; ? Ordonner à la société The Phantom Company de remettre à l'expert désigné au paragraphe précédent, dans le délai d'un (1) mois à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir, et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de l'expiration de ce délai : - le volume et le type de données entrées et/ou extraites des plateformes Facebook et Instagram à l'aide des Produits Incriminés; - les adresses IP utilisées par The Phantom Company pour fournir les Produits Incriminés, ainsi que leur lieu d'hébergement, l'identification et la localisation des serveurs mettant en oeuvre les Produits Incriminés et stockant les données extraites par les Produits Incriminés, ainsi que l'identification et la localisation des clients de The Phantom Company ; - les revenus générés par The Phantom Company grâce à l'utilisation des Produits Incriminés ou, à défaut, si une telle ventilation est impossible, les revenus générés par l'ensemble des services proposés par The Phantom Company ; - le nombre de clients ayant souscrit aux Produits Incriminés ou, à défaut, si une telle ventilation est impossible, le nombre de clients ayant souscrit aux services proposés par The Phantom Company ; - toutes informations relatives aux plateformes Facebook et Instagram et qui sont en lien avec l'activité de la société The Phantom Company ; ? Ordonner à l'expert désigné de mettre en oeuvre la mission complémentaire suivante, dans les mêmes conditions et sous les mêmes formes que celles prévues dans les demandes formées à titre principale : - Revoir les documents et informations remis et recueillir les observations des Membres afin de retenir toutes informations utiles à la preuve de la contrefaçon alléguée, quant à son origine, sa consistance et son étendue ; - Se faire remettre toutes pièces complémentaires qui s'avéreraient nécessaires à l'exécution de sa mission ; En tout état de cause, ? Condamner la société The Phantom Company aux entiers dépens de l'instance ; ? Condamner la société The Phantom Company à payer à chacune des sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram LLC la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. 9. A l'audience du 27 mars 2023, les parties ont confirmé les termes de leurs écritures. MOTIFS DE LA DÉCISION Moyens des parties 10. La société The Phantom Company soutient en premier lieu que les seuls producteurs de bases de données ici ne pourraient être que les sociétés de droit américain Meta Platforms Inc et Instgram Llc, la société Meta Platforms Ireland n'ayant été constituée que postérieurement au lancement du réseau social Facebook, et n'ayant pu de ce fait prendre aucune "initiative" dans la constitution de la base invoquée. Aussi, la société Meta Platforms Inc., non plus que la société Instragm Llc, n'ayant son siège au sein de l'Union européenne, aucune d'elles ne peut selon elle solliciter la protection de leurs investissements par les dispositions des articles L. 341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 11. La société The Phantom Company ajoute que la société Meta Platforms Ireland ne justifie d'aucun investissement individualisé en vue de la constitution, la vérification ou encore la présentation d'une quelconque base de données, tandis que les réseaux Facebook et Instagram ne répondent en aucun cas selon elle aux conditions d'une base de données au sens des dispositions du code de la propriété intellectuelle. Elle soutient que ce sont en effet les utilisateurs de chaque réseau social qui l'alimentent en données, et non les défenderesses, et qu'il n'est pas possible d'accéder à partir d'un mot clef à l'un des éléments du réseau. La société The Phantom Company en déduit que les sociétés requérantes étaient dépourvues de qualité à solliciter une mesure de saisie-contrefaçon sur le fondement du droit sui generis de producteur de base de données. 12. La société The Phantom Company soutient encore que les requérantes n'ont pas présenté au juge des requêtes la preuve de l'extraction d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle de leur supposée base de données. Elle en déduit que, pour ce motif encore, la mainlevée de la mesure sera ordonnée. 13. La société The Phantom Company conclut enfin au caractère disproportionné des mesures lesquelles ont, selon elle, porté atteinte à leurs secrets d'affaires. Elle ajoute qu'il lui aurait de toute façon été impossibe d'accéder aux demandes entérinées par l'ordonnance le temps des opérations de saisie vu notamment la masse des informations sollicitées et leur imprécision. 14. Les sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc concluent quant à elles à leur parfaite qualité à solliciter les mesures, les sociétés Meta Platforms Inc. Et Instagram Llc, sur le fondement de l'atteinte à leurs marques et la société Metat Platforms Ireland, en qualité de coproducteur des bases de données Facebook et Instagram en Europe. Elles décrivent leurs activités sur ce territoire ces éléments étant selon elles suffisants à ce stade, la question du caractère substantiel de ses investissements relevant du fond de cette affaire. 15. Elles ajoutent avoir soumis au juge des requêtes les éléments qui leur étaient raisonnablement accessibles, tandis qu'elles n'avaient pas à prouver l'atteinte pour obtenir la mesure qui avait précisément pour but de la démontrer. 16. Les sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc ajoutent que la société The Phantom Company est particulièrement mal venue à critiquer la proportion et en particulier l'atteinte à des secret d'affaires par une mesure qu'elle a refusé d'exécuter. 17. A titre reconventionnel, les sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc demandent au juge des référés d'ordonner à la société The Phantom Company de leur remettre les éléments qu'elles avaient été autorisées à saisir, dans le cadre d'une expertise et, éventuellement, d'un cercle de confidentialité. Appréciation du juge des référés 18. Selon l'article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle, le producteur d'une base de données, entendu comme la personne qui prend l'initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d'une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d'un investissement financier, matériel ou humain substantiel. L'article L. 341-2 du même code précise que sont admis au bénéfice du présent titre : 1o Les producteurs de bases de données, ressortissants d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, ou qui ont dans un tel Etat leur résidence habituelle ; (...). 19. Ces dispositions réalisent la transposition en droit interne de la directive 96/9/CE du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données dont l'article 1er précise que l'on entend par «base de données» : un recueil d'oeuvres, de données ou d'autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou d'une autre manière. L'article 7 de la directive prévoit que la protection peut être cédée ou transférée. 20. Interprétant les dispositions précitées de la directive, la Cour de justice de l'Union européenne rappelle contamment que l'objectif poursuivi par le législateur de l'Union à travers l'institution d'un droit sui generis est de stimuler la mise en place de systèmes de stockage et de traitement de données afin de contribuer au développement du marché de l'information dans un contexte marqué par une augmentation exponentielle du volume de données générées et traitées chaque année dans tous les secteurs d'activités (arrêt du 19 décembre 2013, Innoweb, C-202/12, point 35 ; arrêt du 3 juin 2021, CV Online Lativia, C-762-19, point 23). S'agissant des conditions sous lesquelles la base de données est susceptible d'être protégée, la Cour juge que la protection d'une base de données ne se justifie qu'à la condition que l'obtention, la vérification ou la présentation du contenu de cette base attestent un investissement substantiel du point de vue qualitatif ou quantitatif ( arrêt du 19 décembre 2013, Innoweb, C-202/12, point 22 ; arrêt du 3 juin 2021, CV Online Lativia, C-762-19, point 24). L'investissement dans l'obtention du contenu d'une base de données concerne les moyens consacrés à la recherche d'éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base, à l'exclusion des moyens mis en oeuvre pour la création même d'éléments (arrêt du 9 novembre 2004 The British Horseracing Board e.a., C-203/02, point 31 ; arrêt du 9 novembre 2004 Fixtures Marketing, C-338/02, point 24 ; arrêt du 3 juin 2021, CV Online Lativia, C-762-19, point 25). La notion d'investissement lié à la vérification du contenu de la base de données doit être comprise comme visant les moyens consacrés, en vue d'assurer la fiabilité de l'information contenue dans ladite base, au contrôle de l'exactitude des éléments recherchés, lors de la constitution de cette base ainsi que pendant la période de fonctionnement de celle-ci (arrêt du 9 novembre 2004 The British Horseracing Board e.a., C-203/02, point 34 ; arrêt du 3 juin 2021, CV Online Lativia, C-762-19, point 25). L'investissement dans la présentation du contenu de la base de données comprend les moyens visant à conférer à ladite base sa fonction de traitement de l'information, à savoir ceux consacrés à la disposition systématique ou méthodique des éléments contenus dans cette base ainsi qu'à l'organisation de leur accessibilité individuelle (arrêts du 9 novembre 2004, Fixtures Marketing, C-338/02 et C-444/02, points 27 et 43 ; arrêt du 3 juin 2021, CV Online Lativia, C-762-19, point 26). 21. Les plateformes développées par les défenderesses sont en l'occurrence constituées de données, en particulier les données personnelles de leurs utilisateurs (état civil, identité de leurs amis, leur famille, désignation de leurs centres d'intérêts, ou encore de leur activité professionnelle, etc...) ces données, peu important qu'elles ne les créent pas, étant agencées de manière systématique, propre à chaque plateforme et, s'agissant de réseaux sociaux, de manière à pouvoir rechercher un utilisateur, notamment, au moyen de mots-clefs, y compris depuis le moteur de recherche de la société Google. 22. Facebook et Instagram apparaissent ainsi susceptibles d'être qualifiées de "bases de données" au sens des dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle et de la directive 96/9. 23. La société Meta Platforms Ireland est la seule parmi les défenderesses à avoir son siège au sein de l'Union européenne. Elle emploie près de 2500 personnes, dispose de datacenters, et réalise un chiffre d'affaires annuel de l'ordre de 80 milliards d'euros de recettes publicitaires grâce aux 420 millions d'utilisateurs européens des plateformes. 24. Aussi, même en supposant que la société Meta Platforms Ireland n'effectue pas elle-même la vérifcation et la présentation des bases de données en cause, il apparaît raisonnable de penser qu'elle contribue aux investissements à ces fins et a minima qu'elle participe à la recherche de données d'utilisateurs en Europe. 25. Il en résulte qu'indépendamment de la question de savoir si elle y contribue de manière substantielle du point de vue qualitatif ou quantitatif, qui sera vérifié au fond ainsi que le relèvent à juste titre les sociétés défenderesses, la société Meta Platforms Ireland, qui a son siège au sein de l'Union européenne, apparaît recevable à solliciter ici la protection des bases de données Fabebook et Instagram. 26. Force est en outre de constater que cette société, qui n'avait pas à démontrer l'atteinte à ses bases (à savoir l'extraction, par transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle de leur contenu) puisqu'il s'agissait précisément de l'objet de la mesure, a fourni les éléments de preuve raisonnablement accessibles étayant ses allégations quant à une telle atteinte (article 6.1 de la directive 2004/48) constitués ici de procès-verbaux de constats réalisés sur le site de la société The Phantom Company lesquels ont démontré : - un usage abondant des marques des requérantes, en particulier, sous leurs formes semi-figuratives, dans des conditions excédant largement la référence nécessaire (même en supposant que l'activité de la demanderesse à la rétractation soit licite), - la mise à la disposition de sa clientèle de logiciels d'extraction de données tels que "Instagram multiple hashtag collector", "Facebook group member export", "Instagram follower collector", "Instagram following collector", "Instagram hashtag search export", "Instagram post scraper", etc ... et au total 21 outils d'extraction de données diverses des plateformes des requérantes. 27. Les sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc étaient donc en droit de faire rechercher : - le volume des données extraites de leurs plateformes et les moyens précis mis en oeuvre par la société The Phantom Company pour y parvenir, aux fins de démontrer une extraction, par transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de leurs bases, ainsi que la réutilisation, par la mise à la disposition du public de la totalité ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base, quelle qu'en soit la forme ; - le volume de la clientèle dirigée vers ces services grâce à l'usage potentiellement contrefaisant de leurs marques et la documentation s'y rapportant. 28. En effet, selon l'article L. 343-1 du code de la propriété intellectuelle, l'atteinte aux droits du producteur de bases de données peut être prouvée par tous moyens. A cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en vertu du présent titre est en droit de faire procéder par tous huissiers, assistés par des experts désignés par le demandeur, sur ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, des supports ou produits portant prétendument atteinte aux droits du producteur de bases de données, soit à la saisie réelle de ces supports ou produits ainsi que de tout document s'y rapportant. La juridiction peut ordonner, aux mêmes fins probatoires, la description détaillée ou la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer les supports ou produits portant prétendument atteinte aux droits du producteur de bases de données, ainsi que de tout document s'y rapportant. L'ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux supports, produits, matériels et instruments mentionnés aux deuxième et troisième alinéas en l'absence de ces derniers. (...) La mainlevée de la saisie peut être prononcée selon les modalités prévues par les articles L. 332-2 et L. 332-3. 29. Aux termes de l'article L. 332-2, dans un délai fixé par voie réglementaire, le saisi ou le tiers saisi peuvent demander au président du tribunal judiciaire de prononcer la mainlevée de la saisie ou d'en cantonner les effets, ou encore d'autoriser la reprise de la fabrication ou celle des représentations ou exécutions publiques, sous l'autorité d'un administrateur constitué séquestre, pour le compte de qui il appartiendra, des produits de cette fabrication ou de cette exploitation. Le président du tribunal judiciaire statuant en référé peut, s'il fait droit à la demande du saisi ou du tiers saisi, ordonner à la charge du demandeur la consignation d'une somme affectée à la garantie des dommages et intérêts auxquels l'auteur pourrait prétendre. 30. En outre, la demande de mainlevée ne tendant ni à la rétractation ni à l'annulation de l'autorisation de pratiquer une saisie-contrefaçon, mais à la cessation pour l'avenir des effets de la saisie effectuée en vertu de cette autorisation, le juge saisi d'une telle demande doit en apprécier les mérites en tenant compte de tous les éléments produits devant lui par les parties, y compris ceux qui ont été recueillis au cours des opérations de saisie-contrefaçon. (Cass. Com., 7 juillet 2021, pourvoi no 20-22.048) 31. Il y a lieu ici de rejeter la demande de mainlevée de la saisie-contrefaçon ce d'autant que le saisi a refusé ici de respecter les termes de l'ordonnance, ainsi que le démontre le procès-verbal de saisie contrefaçon. 32. La demande de rétractation de l'ordonnance ayant autorisé les mesures est de la même manière rejetée. 33. Il est fait droit à la demande de mainlevée du séquestre provisoire selon les modalités prévues au dispositif de la présente décision. 34. La demande de production de pièces complémentaires et d'expertise dans le cadre d'un cercle de confidentialité présentée à titre reconventionnel par les sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc est également rejetée, une telle demande excédant l'office du juge des référés, limité à la mainlevée des mesures, une telle demande relevant du juge de la mise en état par l'application combinée des articles L. 343-1-1 du code de la propriété intellectuelle et 789 du code de procédure civile. 35. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société The Phantom Company supportera les dépens et sera condamnée à payer aux sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc la somme totale de 15.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS, LA JUGE DES RÉFÉRÉS, REJETTE la demande de mainlevée de la saisie-contrefaçon du 29 novembre 2022 diligentée à la requête des sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc ; REJETTE la demande de rétractation de l'ordonnance afin de saisie contrefaçon du 22 novembre 2022 rendue à la requête des sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc ; REJETTE les demandes d'expertise et de production forcée de pièces présentées par les sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc ; ORDONNE la mainlevée du séquestre provisoire et la remise des éléments saisis le 29 novembre 2022 par Maître [N] aux sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc ; DIT toutefois que l'accès aux pièces et éléments saisis est limité aux personnes suivantes : - Deux personnes physiques salariées des sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc nommément désignées ; - Les associés, collaborateurs et salariés du cabinet Linklaters ;- l'expert de leur choix; DIT que les membres du cercle de confidentialité s'engageront par écrit à conserver strictement confidentiels les documents transmis et à respecter les dispositions de l'article L. 153-2 du code de commerce ; DIT que les documents confidentiels transmis ne peuvent et ne pourront jamais, sauf accord exprès des parties, être utilisés en dehors de l'instance pendante au fond devant le tribunal judiciaire de PARIS sous le no 23/00283; CONDAMNE la société The Phantom Company aux dépens ; CONDAMNE la société The Phantom Company à payer à chacune des sociétés Meta Platforms Inc., Meta Platforms Ireland Ltd. et Instagram Llc la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ; RAPPELLE que la présente décision n'est exécutoire qu'à l'expiration du délai d'appel ou après la décision de cette cour si un tel recours est exercé en ce qui concerne la mainlevée du séquestre. Faite et rendue à Paris le 25 mai 2023. LA GREFFIERE LA JUGE DES REFERES
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JURITEXT000047878970
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Tribunal judiciaire de Paris, 25 mai 2023, 21/14909
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2023-05-25
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/14909
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 21/14909 No Portalis 352J-W-B7F-CVSRE No MINUTE : Assignation du :26 novembre 2021 JUGEMENT rendu le 25 mai 2023 DEMANDEUR Monsieur [Y] [V][Adresse 3][Localité 6] représenté par Me Stéphane LOISY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0723 DÉFENDEURS Monsieur [Y] [P] DIT "[H]" - Intervenant volontaire[Adresse 1][Localité 7] S.A.S.U ANOUCHE PRODUCTIONS[Adresse 4][Localité 8] représentés par Me Sébastien HAAS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2251 S.A.S. UNIVERSAL MUSIC FRANCE[Adresse 2][Localité 5] représentée par Me Nicolas BOESPFLUG, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0329 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation. DEBATS A l'audience du 21 mars 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 25 mai 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE : 1. M. [Y] [V] se présente comme auteur et journaliste spécialisé dans la chanson française. M. [Y] [P], connu sous le pseudonyme de [H], est un auteur, compositeur et interprète dont les titres et albums sont édités et produits par la société Anouche Productions. La société Universal Music France est le distributeur exclusif des phonogrammes et vidéogrammes produits par la société Anouche Productions. 2. Le 7 avril 2021, M. [V] a donné une interview sur la webradio Arts-Mada au cours de laquelle il s'est exprimé sur le physique des auteurs-compositeurs pour conclure en substance que leurs chansons gagneraient à être interprétées par "de beaux mecs ou des filles sublimes", précisant que "pour revendre du disque, vendre du magazine, refaire de la presse, il faut des gens beaux" et a qualifié dans ce contexte la chanteuse Hoshi d'"effrayante", faisant naître de vives réations du public dans les médias et sur les réseaux sociaux. 3. M. [P] est le co-auteur et artiste-interprète du titre intitulé "Des gens beaux", produit par la société Anouche Productions et exploité par la société Universal Music France. Ce titre, diffusé en juillet 2021 et intégré à la réédition 2021 de l'album "Mesdames", reprend des extraits de l'interview donnée par M. [V], sans y avoir été autorisé par celui-ci. La chanson a été illustrée par un vidéo-clip au sein duquel la voix de M. [V] est mise en synchronisation avec l'image d'un comédien incarnant un photographe ainsi que par le chanteur [H] lors de la dernière séquence de clôture du vidéo-clip. 4. Estimant que l'utilisation de sa voix sans son autorisation constituait une atteinte à son droit à la voix et à ses droits d'auteur et droits voisins, M. [V] a fait assigner, par actes d'huissier des 25 et 26 novembre 2021, les sociétés Anouche Productions et Universal Music France devant le tribunal judiciaire de Paris, après un courrier du 27 juillet 2021 de mise en demeure de cesser l'exploitation du titre resté vain. 5. M. [P] est intervenu volontairement à l'instance par conclusions notifiées par la voie électronique le 14 mars 2022. 6. Aux termes de son assignation, Monsieur [Y] [V] demande en substance au tribunal de : - Condamner solidairement les sociétés Anouche Productions et Universal Music France au paiement de 40 000 euros au titre de son préjudice patrimonial et 35 000 euros au titre de son préjudice moral en réparation de l'atteinte à son droit à la voix et à ses droits voisins,- Ordonner le retrait des extraits litigieux reproduisant sa voix de la chanson « Les gens beaux » sous astreinte de 500 euros par jour,- Condamner solidairement la société Anouche Productions et la société Universal Music France au règlement d'une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,- Condamner solidairement la société Anouche Productions et la société Universal Music France aux entiers dépens.A titre subsidiaire- Condamner les sociétés Anouche Productions et Universal Music France au paiement de la somme de 40 000 euros au titre du préjudice subi par ce dernier par la violation de son droit à la voix- Faire application des dispositions de l'article 699 au profit de Maître Stéphane Loisy. 7. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 18 avril 2022, la société Anouche Productions et M. [Y] [P] demandent au tribunal de : - Débouter Monsieur [Y] [V] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;- Ordonner la publication de la décision à intervenir aux frais de Monsieur [Y] [V] dans 5 quotidiens et 5 hebdomadaires, pour un coût maximal par publication de 6.000 EurosHors Taxes, dans un délai d'un mois suivant signification de la décision ;- Condamner Monsieur [Y] [V] à payer la somme de 10.000 euros à Monsieur[Y] [P] dit [H] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;- Condamner Monsieur [Y] [V] à payer la somme de 10.000 euros à la société Anouche Production au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;- Rappeler que l'exécution provisoire est de plein droit ;- Condamner Monsieur [Y] [V] aux dépens de l'instance dont distraction au profit de Me Sébastien Haas. 8. Aux termes de ses conclusions notifiées par la voie électronique le 25 juillet 2022, la société Universal Music France demande au tribunal de : - Dire et juger Monsieur [Y] [V] mal fondé en ses demandes et l'en débouter.- Condamner Monsieur [Y] [V] à payer à la société Universal Music France une indemnité de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. 9. L'instruction de l'affaire a été close par une ordonnance du 6 septembre 2022 et renvoyée à l'audience du 21 mars 2023. MOTIFS 1) Sur la violation du droit à la voix Moyen des parties 10. M. [Y] [V] fait valoir au visa de l'article 9 du code civil que la reproduction de sa voix sans son autorisation dans la chanson "Des gens beaux" du chanteur [H] pour une durée totale cumulée de 33 secondes alors que la chanson ne dure que 2 minutes et 41 secondes constitue un détournement de la finalité de ses propos et une atteinte à son droit à la voix lui causant un préjudice moral. 11. La société Anouche Productions et M. [Y] [P] concluent au rejet des demandes de M. [V] au motif que l'interview donnée par celui-ci revêt un caractère public et que les propos tenus à cette occasion ne portent aucunement sur sa vie privée, de sorte que la reprise de sa voix et de ses propos ne sont pas constitutifs d'une atteinte au droit au respect de la vie privée tel que protégé par l'article 9 du code civil. Ils ajoutent que la voix de M. [V] ne peut être reconnue spontanément, M. [Y] [V] étant volontairement non identifié, et qu'elle ne fait l'objet d'aucun usage commercial. Ils soutiennent à titre subsidiaire que M. [P] a apporté une réponse artistique sur un sujet d'intérêt général majeur et actuel qu'est la lutte contre le sexisme de sorte que dans le cadre du contrôle de proportionnalité, la liberté d'expression dont ils bénéficient prévaut sur le respect de la vie privée de M. [V]. 12. La société Universal Music France indique reprendre à son compte les moyens de défense de M. [P] et de la société Anouche Productions. Appréciation du tribunal 13. Toute personne peut s'opposer sur le fondement des articles 9 du code civil et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lesquels garantissent le droit au respect de la vie privée, à l'exploitation de sa voix, attribut de sa personnalité, dès lors que la reproduction incriminée constitue une atteinte à sa vie privée. Tel est le cas lorsque la voix permet d'identifier son auteur et que sa vie privée est en cause. 14. La protection de la voix permet aussi à toute personne de s'opposer à son exploitation commerciale. 15. Le droit de toute personne à la protection de sa voix peut trouver une limite dans la liberté d'expression protégée par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, laquelle comprend l'expression artistique, à savoir la liberté de recevoir et communiquer des informations et des idées - qui permet de participer à l'échange public des informations et idées culturelles, politiques et sociales de toute sorte (CEDH 24 mai 1988, Müller et a. c/ Suisse, no 10737/84 § 27 et 33; CEDH 5 mars 2009, Hachette Filipacchi Presse Automobile et Dupuy c/ France, no 13353/05 § 30). 16. La Cour de cassation a rappelé que (Civ. 1ère 10 octobre 2019 pourvoi no18.21-871): "Le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d'expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime ;pour effectuer cette mise en balance des droits en présence, il y a lieu de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne visée, l'objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies (CEDH, arrêt du 10 novembre 2015, Couderc et Hachette Filipacchi associés c. France [GC], no 40454/07, § 93) ; il incombe au juge de procéder, de façon concrète, à l'examen de chacun de ces critères (1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi no 16-28.741, publié)". 17. En l'espèce est en cause l'exploitation non autorisée de la voix de M. [V] dans la chanson "Des gens beaux" co-composée et interprétée par M. [Y] [P] connu sous le nom de [H], prononçant certains propos qu'il a tenus lors d'une interview donnée sur la webradio Arts-Mada. 18. Si M. [V] n'est pas nommément désigné dans la chanson "Des gens beaux", sa voix est nécessairement identifiable compte tenu du contexte de médiatisation de la polémique née des propos repris en partie dans cette chanson, du caractère public de son activité de chroniqueur d'émissions radiophoniques sur des chaînes de radio nationale lui conférant une certaine notoriété et de la médiatisation de l'objet de la chanson litigieuse. En outre, le livret accompagnant le disque précise que la chanson comporte des extraits de l'interview de M. [V] donnée sur Arts-Mada. 19. Toutefois, la vie privée de M. [V] n'est pas en cause en l'espèce. D'une part, les propos repris dans la chanson "Des gens beaux" ont un caractère public, puisqu'ils sont tirés d'un entretien accordé par M. [V] sur une webradio et ont trait à un sujet sans lien avec sa vie privée, s'agissant de propos généraux relatifs au physique des auteurs-compositeurs. D'autre part, la chanson reprenant la voix de M. [V], qui se présente comme une réponse auxdits propos polémiques, ne porte pas sur des éléments de la vie privée de celui-ci. Par ailleurs, il n'est pas contestable ni d'ailleurs soutenu que la reprise de la voix de M. [V] dans la chanson "des gens beaux" sans son autorisation ne constitue pas une exploitation commerciale illicite de la voix. Il n'est en effet pas établi que la voix de M. [V] aurait en soi une valeur économique ni qu'elle ait apporté une plus value commerciale à la chanson litigieuse en sus de la notoriété de son interprète [H], étant relevé par ailleurs que la reprise de la voix de M. [V] dans la chanson ressort en premier lieu d'une démarche artistique. Aussi M. [V] est-il mal fondé à se prévaloir d'une atteinte à l'article 9 du code civil. 20. En outre, les propos tenus par M. [V] lors de son interview sur la radio Arts-Mada, énonçant notamment que "pour revendre du disque, vendre du magazine, refaire de la presse, il faut des gens beaux" et qualifiant dans ce contexte la chanteuse Hoshi d'"effrayante", estimant qu'elle devrait donner ses chansons à "des filles sublimes (...) Comme il y a eu des Vartan ou des Sheila à vingt ans" sont des propos discriminants et sexistes et ont suscité de ce fait dans la presse et sur les réseaux sociaux des réactions d'indignation, la radio Arts-Mada ayant expressément indiqué se désolidariser de ces propos et les condamner. 21. La chanson "Des gens beaux" est composée en deux parties. Dans une première partie est reprise en substance l'opinion de M. [V] selon laquelle les artistes laids ne devraient pas chanter et devraient donner leurs chansons aux artistes beaux. La deuxième partie se présente en opposition à ces considérations. L'ensemble de la chanson se présente comme un dialogue fictif entre le chroniqueur, dont la voix est reproduite en début, en milieu et en fin de chanson, et le chanteur qui l'interpelle par endroits par un "Eh Monsieur" signifiant qu'il s'adresse directement à lui. Ainsi la chanson "Des gens beaux" est représentative dans sa forme artistique du mouvement d'indignation soulevé par les propos de M. [V] et contribue, par le dialogue qu'elle a cherché à instaurer avec l'auteur des propos polémiques, à la question d'intérêt général relative à la lutte contre toute forme de discrimination. 22. Aussi, la reprise de la voix et des propos de M. [V] sans son autorisation dans la chanson "Des gens beaux" ne portant pas atteinte à sa vie privée et se justifiant par la liberté d'expression, en ce compris l'expression artistique, nécessaire dans une société démocratique à garantir le droit à l'information sur un débat d'intérêt général, M. [V] sera débouté de sa demande sur ce fondement. 2) Sur la contrefaçon de droit d'auteur et de droits voisinsMoyen des parties 23. M. [V] fait valoir qu'il a été porté atteinte à ses droits moraux et patrimoniaux au visa des articles L122-3 du code de la propriété intellectuelle et suivants par la reproduction sans son autorisation d'extraits de son interview sur Arts-Mada pour une durée de 31 secondes dans la chanson "des gens beaux". Il fait valoir que l'exception de courte citation ne s'applique pas. Il soutient également qu'il a été porté atteinte à la paternité de ses propos car ils sont mis dans la bouche de M. [P] et d'un tiers dans le vidéo-clip de la chanson. Il ajoute au visa de l'article L212-3 du code de la propriété intellectuelle que la reproduction de sa voix lui donne la qualité d'interprète et qu'il a été porté atteinte à ses droits voisins faute de les avoir cédés par écrit. 24. La société Anouche Productions et M. [P] soutiennent que les propos de M. [V] sont dépourvus d'originalité, qu'ils ont été prononcés sans réflexion ni création artistique, l'enchaînement des phrases, la banalité des termes employés, la simplicité de la syntaxe, des verbes et substantifs employés démontrant l'absence de recherche créative et d'empreinte de la personnalité de l'auteur. Ils ajoutent que si les propos de M. [V] ont inspiré la chanson "des gens beaux", il ne s'agit ni d'une oeuvre dérivée ni d'une oeuvre de collaboration en l'absence de travail collaboratif et artistique de M. [V]. La société Anouche Productions et M. [P] font également valoir qu'aucun travail d'artiste-interprète ne peut être accordé en l'absence de droits d'auteurs et de toute prestation physique artistique. La société Anouche Productions et M. [P] soutiennent à titre subsidiaire que dans le cadre du contrôle de proportionnalité entre droit d'auteur et liberté d'expression, cette dernière doit prévaloir. 25. La société Universal Music France indique reprendre à son compte les moyens de défense de M. [P] et de la société Anouche Productions. Appréciation du tribunal 26. Conformément à l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. Selon l'article L.112-1 du même code, ce droit appartient à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination. 27. Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une oeuvre sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. Lorsque l'originalité d'une oeuvre de l'esprit est contestée, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur de définir et d'expliciter les contours de l‘originalité qu'il allègue. Seul l'auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole. 28. Si les entretiens originaux sont protégés par le droit d'auteur, le créateur pouvant être le journaliste seul, la personne interrogée ou les deux, la personne interviewée n'acquiert pas, du seul fait de sa participation, la qualité d'auteur et il lui revient de démontrer sa contribution à la création intellectuelle de l'oeuvre. 29. Par ailleurs, selon l'article L. 212-1 du code de la propriété intellectuelle, l'artiste-interprète ou exécutant est la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une oeuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes. 30. En l'espèce, le tribunal relève que M. [V] revendique une protection par le droit d'auteur d'une interview sans en avoir produit de transcription ni même décrit les extraits de cette interview repris dans la chanson "Des gens beaux". En outre et surtout, M. [V] se contente d'affirmations générales sans décrire en quoi les propos tenus lors de son interview sur Arts-Mada auraient le caractère original exigé pour la protection revendiquée. Il se contente ainsi d'invoquer le monopole de la reproduction sans même aborder la question préalable du droit à protection fondé sur la caractérisation de l'originalité. Il n'explique notamment nullement ce qui selon lui reflèterait dans ces propos l'empreinte de sa personnalité, ce que le tribunal ne peut faire à sa place. Dès lors il est mal fondé à invoquer la protection du droit d'auteur. 31. Il est tout aussi mal fondé à invoquer un statut d'interprète du seul fait de l'utilisation d'extraits de cette interview dans la chanson "Des gens beaux", alors que sa prestation lors de l'interview, qui a été reproduite, est celle d'un journaliste et ne saurait s'apparenter à une prestation d'artiste au sens du code de la propriété intellectuelle. 32. M. [V] sera par conséquent débouté de ses demandes de ce chef. 3) Sur la demande subsidiaire de M. [Y] [V] fondée sur la responsabilité délictuelle Moyen des parties 33. M. [V] fait valoir à titre subsidiaire au visa de l'article 1240 du code civil que l'utilisation d'extraits de son interview dans la chanson "Des gens beaux" engage la responsabilité des sociétés Anouche et Universal Music. 34. La société Universal Music conclut au mal fondé de cette demande en raison de sa demande principale fondée sur l'article 9 du code civil. Appréciation du tribunal 35. Selon l'article 1240 du code civil, « Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Il revient au demandeur d'établir une faute, un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le préjudice. 36. En l'espèce, il ressort des développements précédents que la reproduction d'extraits de l'interview de M. [V] donné sur la radio Arts-Mada sans son autorisation n'est pas fautive, de sorte qu'il sera également débouté de ce moyen subsidiaire. 4) Sur la demande reconventionnelle de la société Anouche et de M. [P] Moyen des parties 37. La société Anouche et M. [W] sollicitent la condamnation de M. [V] à la publication du jugement à intervenir soulignant l'importance du litige pour la liberté d'expression, publication d'autant plus nécessaire selon eux que M. [V] a informé la presse de son action en justice. Appréciation du tribunal 38. La demande de la société Anouche et de M. [W] ne peut prospérer en l'absence de justification par ceux-ci d'une faute commise par M. [V] leur ayant causé un dommage direct et certain (autre pour la société Anouche que la nécessité de se défendre indemnisée par ailleurs), par application des dispositions de l'article 1240 du code civil précité. 5) Sur les demandes accessoires 39. Partie perdante, M. [V] supportera la charge des dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et sera condamné à verser à la société Anouche et à M. [P] la somme de 2.500 euros chacun et à la société Universal Music France la somme de 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFSLe tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et mis à la disposition au greffe, REJETTE les demandes de M. [Y] [V], REJETTE les demandes de la société Anouche Productions et de M. [Y] [P],CONDAMNE M. [Y] [V] aux dépens dont distraction au profit de maître Sébastien Haas,CONDAMNE M. [Y] [V] à payer à la société Anouche Productions et à M. [Y] [P] la somme de 2 500 euros chacun et à la société Universal Music France la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,RAPPELLE que la présente décision est de plein droit assortie de l'exécution provisoire.Fait et jugé à Paris le 25 mai 2023. LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000047878971
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 25 mai 2023, 19/14616
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2023-05-25
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Tribunal judiciaire de Paris
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19/14616
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 19/14616 No Portalis 352J-W-B7D-CRKMA No MINUTE : Assignation du :12 décembre 2019 JUGEMENT rendu le 25 mai 2023 DEMANDERESSE S.A.S. SKIN'UP[Adresse 1][Localité 2] représentée par Me Sonia-Maïa GRISLAIN du Cabinet GRISLAIN AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #A0035 & Me Karine ETIENNE de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant DÉFENDERESSE S.A. LANAFORM LANA ALLPEAK [Adresse 4][Localité 3] (BELGIQUE) représentée par Me Benjamin MAY de la SELARL ARAMIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0186 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation. DEBATS A l'audience du 28 février 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 25 mai 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE : 1. La société Skin'up, créée en 2005, se présente comme un laboratoire innovant ayant pour activité la conception et le développement d'articles cosméto-textiles dont la fibre textile est imprégnée de principes actifs cosmétiques et végétaux micro-encapsulés qu'elle commercialise en France et à l'international sous la marque Skin'Up. 2. Cette société est titulaire d'un brevet français no FR 2 999 613, ci-après FR 613, déposé le 19 décembre 2012 et délivré le 30 décembre 2016 intitulé "Matériau textile imprégné de principes actifs et comprenant des particules de céramique" qu'elle a acquis auprès de Mme [N] [U] le 23 décembre 2018. La cession a été inscrite au registre national des brevets le 20 septembre 2019. L'invention porte sur un matériau textile imprégné d'au moins un principe actif cosmétique ou pharmaceutique caractérisé en ce qu'il comprend au moins une particule de céramique. 3. La société de droit belge Lanaform Lana AllPeak, ci-après Lanaform, créée en 1975, a pour activité la fabrication et la commercialisation de produits de bien-être, de santé et de beauté ; elle commercialise notamment des textiles gainants et amincissants. 4. La société Skin'Up indique avoir fait constater par huissier de justice que la société Lanaform offrait à la vente notamment sur les sites internet accessibles aux adresses <www.lanaform.com> et <www.lanaform.fr>, et les sites internet de distributeurs, des produits dénommés "Cosmetex legging 40", "Panty Puissance 5" et "Secret Slim" reproduisant, selon elle, les revendications du brevet FR 613. 5. Par une lettre recommandée du 24 janvier 2018, la société Skin'Up a mis en demeure la société Lanaform de cesser toute fabrication, offre en vente et commercialisation des produits portant selon elle atteinte à son brevet FR 613. La société Lanaform lui a répondu par une lettre du 2 mars 2018 que les revendications du brevet FR 613 étaient nulles pour défaut d'activité inventive. 6. Par acte d'huissier du 12 décembre 2019, la société Skin'Up a fait assigner la société Lanaform devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon des revendications 1, 7 et 8 du brevet FR 613. 7. En cours de procédure, la société Skin'Up a déposé une requête en limitation auprès de l'INPI qui a été acceptée le 13 juillet 2021 et publiée au registre national des brevets le 15 juillet suivant. 8. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 20 mai 2022, la société Skin'Up demande au tribunal de : - La Dire recevable et bien fondée dans son action, y faisant droit; - Débouter la société Lanaform de ses demandes, fins et prétentions ; - Dire que le brevet FR 2 999 613 pris dans ses revendications telles que limitées 1, 7 et 8 est valable comme nouveau, faisant preuve d'activité inventive et suffisamment décrit; - Dire que le produit Cosmetex Legging 40 reproduit les caractéristiques des revendications 1, 7 et 8 du brevet FR 2 999 613 ; - Dire que le produit Secret Slim / Panty Puissance 5-Textile Minceur reproduit les caractéristiques des revendications 1, 7 et 8 du brevet FR 2 999 613 ; - Dire que la société LANAFORM en offrant à la vente et commercialisant, sur le territoire français, des articles cosméto-textile tels que le legging Cosmetex legging 40 et le Secret Slim / Panty Puissance 5 - Textile Minceur, commet des actes de contrefaçon au préjudice de la société SKIN' UP titulaire et exploitant du brevet FR 2 999 613 ; - Faire injonction à la société Lanaform de cesser et lui interdire pour l'avenir de fabriquer, importer, détenir, offrir à la vente,notamment sur ses sites internet marchands www.lanaform.com et www.lanaform.fr et/ou commercialiser, en France, les produits Cosmetex legging 40 et Secret Slim / Panty Puissance 5 - Textile Minceur, et plus généralement tout article de sa gamme de produits minceur et/ou anticellulite, et tout produit qui reproduirait les revendications 1,7 et 8 du brevet FR 2 999 613, sous astreinte de 500€ par infraction constatée, une infraction s'entendant de la fabrication, importation, détention, offre en vente, vente d'un article contrefaisant, et par jour de retard, à compter de la signification du jugement à intervenir ; - Faire injonction à la société Lanaform de communiquer, au titre du droit à l'information, tous documents comptables certifiés par un expert-comptable permettant de déterminer la masse contrefaisante et les quantités exactes de produits incriminés fabriqués, commandés, importés, reçus, livrés, et vendus par elle en France, le chiffre d'affaires réalisé ainsi que la marge pratiquée et les bénéfices associés, au cours des 5 dernières années précédant la date de la signification de l'assignation, puis au cours de chaque année suivante jusqu'à la clôture de la procédure, sous astreinte de 500€ par jour de retard, passé un délai de 8 jours après la signification du jugement à intervenir ; - Prononcer le rappel des circuits commerciaux et la destruction, aux frais avancés de la société Lanaform, de tous les stocks de produits contrefaisants, ainsi que de l'ensemble des supports commerciaux représentant lesdits produits, ce par constat d'huissier, sous astreinte de 500€ par produit et par jour de retard, à compter d'un délai de 30 jours après le prononcé du jugement à intervenir ; - Allouer à la société Skin'Up une somme de 250.000€ à titre de dommages et intérêts réparant l'atteinte portée à ses droits sur le brevet FR 2 999 613 et son préjudice moral; - Allouer à la société Skin'Up une somme provisionnelle de 800.000€ à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice économique causé par les actes de contrefaçon, somme à parfaire après communication des documents comptables permettant de justifier de l'intégralité de la masse contrefaisante, des gains manqués et pertes subies. Subsidiairement, - Dire que les allégations mensongères et trompeuses tenues par la société Lanaform dans sa communication et sur ses emballages sont de nature à modifier le comportement économique du consommateur, et constituent des pratiques commerciales trompeuses ; - Ordonner la cessation des actes de pratiques commerciales trompeuses, sur tous supports y inclus sites Internet en France, sous astreinte de 1.500 € par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir, chaque infraction étant constituée par l'offre en vente et/ou la commercialisation et/ou la promotion de produits sous les mentions trompeuses tenant notamment au fait que le produit est doté d'une fibre intelligente à base de cristaux de céramique et de millions de microcapsules à base de nouveaux principes actifs cosmétiques, que les microcapsules sont à base de principes actifs cosmétiques et pas autre chose, qu'il a une action sur le long terme grâce à sa fibre intelligente, et encore qu'il a une action anticellulite grâce à la combinaison entre la fibre céramique 3D et le complexe cosmétique à base d'algues marines et des vertus amincissantes dans les réductions centimétriques annoncées ; - Allouer à la société Skin'Up une somme provisionnelle de 200.000€ à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice économique causé par les pratiques commerciales trompeuses, somme à parfaire après communication des documents comptables de Lanaform permettant d'évaluer l'entier préjudice subi ; En tout état de cause, - Convoquer les parties à la prochaine audience utile du tribunal judiciaireafindevoir statuersurl'évaluationdéfinitivedupréjudicecauséàla société Skin'Up ; - Se réserver la liquidation des astreintes ordonnées ; - Ordonner la publication judiciaire du jugement à intervenir, en extraits, sur la page d'accueil des sites Internet de la société Lanaform dont les adresses sont https://www.lanaform.com et https://www.lanaform.fr pour une durée de six mois à compter de la signification du jugement à intervenir ; - Ordonner la publication judiciaire du jugement à intervenir, en extraits, dans trois revues ou journaux professionnels, au choix de la société Skin'Up et aux frais de la société Lanaform, dans la limite de 2.500 € HT par publication ; - Condamner la société Lanaform à payer à la société Skin'Up la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; - Dire que l'exécution provisoire est de droit ; - Condamner la société Lanaform aux entiers frais et dépens, distraits auprès de Maître [X] [T], en ce inclus les frais de signification et constat d'huissier et honoraires afférents dûment justifiés, sur son affirmation de droit. 9. Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 juin 2022, la société Lanaform demande au tribunal de : A titre principal : - La Déclarer recevable en ses écritures, fins et prétentions. - Prononcer la nullité des revendications 1, 7 et 8 du brevet français FR 2 999 613 pour défaut de nouveauté, d'activité inventive et/ou d'insuffisance de description. En conséquence, - Ordonner la notification de la décision à intervenir, une fois devenue définitive, par les bons soins de madame ou monsieur le greffier ou de la partie la plus diligente, a monsieur le directeur de l'institut national de la propriété industrielle en vue de son inscription sur le registre national des brevets ; - Juger que la transcription de ladite décision, une fois devenue définitive, pourra être effectuée sur présentation d'une copie exécutoire. A titre subsidiaire, si, par extraordinaire, le tribunal retenait la validité de tout ou partie des revendications 1, 7 et 8 du brevet FR'613, - Juger que la contrefaçon des revendications 1, 7 et 8 du brevet FR 2 999 613 n'est pas établie ; - Débouter la société Skin'Up de ses demandes a l'encontre de la société Lanaform en contrefaçon du brevet FR 2 999 613. En toute hypothèse, - Débouter la société Skin'Up de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions vis-à-vis de la société Lanaform ; - Condamner la société Skin'Up à verser à la société Lanaform la somme de 80 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; - Condamner la société Skin'Up aux entiers dépens. 10. L'instruction de l'affaire a été close par une ordonnance du 5 juillet 2022 et plaidée à l'audience du 28 février 2023. MOTIFS DE LA DÉCISION 1o) Présentation du brevet FR 2 999 613 11. La description de ce brevet enseigne dès sa 1ère ligne que l'invention concerne un matériau textile imprégné de principes actifs, dont la libération, par exemple dans la peau, est améliorée et contrôlée. A la ligne 32 (1ère page), la description précise que, depuis les années 1990, de multiples applications de textiles imprégnés permettant le relargage ou l'admnistration de principes actifs ont été développées. 12. En page 2, lignes 12 et suivantes, la description indique, qu'afin de permettre le relargage des principes actifs dont est imprégné le matériau textile, et plus précisément la libération dans la peau de ces principes actifs, il est connu de les encapsuler. Ainsi, des matériaux textiles imprégnés de principes actifs micro-encapsulés ont été mis au point de manière à pouvoir libérer les principes actifs lors du contact de ces matériaux textiles avec la peau. La micro-encapsulation permet la fixation des principes actifs sur le textile par l'intermédiaire des microcapsules, lesquelles sont ensuite brièvement décrites. 13. Le fascicule relève ensuite (page 2 lignes 25 et s.) les inconvénients de ces techniques connues (matériau textile simplement imprégné de principes actifs micro-encapsulés). Ainsi, la rupture de la membrane de la microcapsule n'est pas toujours bien maîtrisée et peut en particulier n'être que partielle, de même que la diffusion du principe actif dans la peau peut ne pas se réaliser dans des conditions excellentes. 14. L'invention propose de remédier à ces inconvénients au moyen d'un matériau textile imprégné d'au moins un principe actif, caractérisé en ce qu'il comprend en outre au moins une particule de céramique (page 3, lignes 13 et s.). 15. La description précise ensuite (page 4) qu'on entend par particule de céramique, dans le cadre de l'invention, des particules obtenues par transformation d'un mélange d'argile, de matière minérale, de terres rares et de métaux précieux, porté à très haute température, de l'ordre de 1000oC ou plus. En d'autres termes, il s'agit de silicates, dont l'arrangement dépend des conditions chimiques de leur formation. La au moins une particule de céramique comprend avantageusement au moins un oxyde choisi dans le groupe constitué de AI203, Fe203, Cr203, SiO2, MgO, ZrO2, MnO2, Co203, Y203, pris seul ou en mélanges de ceux-ci. De manière préférée, il sagit des oxydes suivants MnO2 ou Co203 ou encore d'un mélange de ces deux oxydes. De manière préférée, la au moins une particule de céramique comprend au moins 10% en poids de MnO2. En effet, cet oxyde est particulièrement préféré car il contribue de manière significative à l'émissivité des particules de céramique. 16. La description rappelle (page 4, lignes 34 et s.) que les particules de céramique ont la particularité d'émettre et de réfléchir des rayons infrarouges lointains. Cette émission de rayonnement infrarouge est consécutive à l'absorption de chaleur par les particules de céramique. La chaleur provient de l'environnement proche des particules de céramiques. Ainsi, lorsque le matériau se présente sous la forme d'un vêtement porté par un utilisateur, les particules de céramique emmagasinent la chaleur produite par le corps humain : elles absorbent cette énergie et la restituent dans les longueurs d'onde de l'infrarouge lointain. Et, lorsque ces particules ne peuvent plus absorber de chaleur, elles la renvoient directement à la surface de la peau provoquant alors une légère augmentation de la température corporelle. 17. Selon la description (page 5, lignes 18 et s.), la chaleur émise, non seulement amplifie le processus de rupture des membranes des microcapsules renfermant le principe actif, mais favorise également la pénétration du principe actif dans la peau. 18. Le brevet se compose de 10 revendications, seules étant opposées la revendication principale 1 et les revendications dépendantes 7 et 8 du brevet FR 613 (tel que limité en 2021) : 1. Matériau textile imprégné d'au moins un principe actif microencapsulé et comprenant en outre au moins une particule de céramique, ledit matériau textile comprenant des fibres, des fils et/ou des filaments qui ont été imprégnés du au moins un principe actif, caractérisé en ce qu'il comprend en outre des fibres, des fils et/ou des filaments dans lesquels a été dispersée la au moins une particule de céramique et en ce que le principe actif est choisi parmi les principes actifs pharmaceutiques ou cosmétiques. 7. Matériau textile selon l'une quelconque des revendications 1 à 6, caractérisé en ce que le principe actif est choisi dans le groupe constitué par les principes actifs amincissants, rafraîchissants ou hydratants , les vitamines liposolubles et leurs dérivés, les polyphénols, les stylbènes, les catéchines, la vanilline, l'indol, les huiles essentielles d'agrumes, de lavande, du menthol, Fluvastatin, Ketoprofen, Verapamil, Atenolol, Griseofulvin, Ranitidine, les huiles végétales, le beurre de karité, les aminoglucosides, les antibiotiques, les hormones peptidiques, les agents anti-allergiques, antimycotiques, cytostatiques, les sels minéraux, les oligo-éléments, les acides aminés, les peptides, les protéines, les vitamines hydrosolubles, les polyols, les arômes. 8. Article de vêtement constitué totalement ou partiellement du matériau textile selon l'une quelconque des revendications 1 à 7, ledit article de vêtement étant choisi dans le groupe constitué par les gants, les chaussants, les sous-vêtements, les bas, les collants, les corsaires. 2o) Sur la validité du brevet contestée en défense Moyens des parties sur le défaut de nouveauté 19. La société Lanaform fait valoir que les documents FR 2 967 573 (D3) (a), US2001/0046826 (D4) (b) et KR200336512 (D8) sont des antériorités de toute pièce et, partant, que la revendication 1 du brevet FR 613 n'est pas nouvelle. Elle soutient ainsi que l'utilisation du kit cosmétique de la demande FR 2 967 573 divulgue toutes les caractéristiques de la revendication 1 du brevet FR 613 et en particulier, un article textile, une formulation topique comprenant un actif cosmétique, l'encapsulation de l'actif cosmétique, et l'association de dioxyde de titane/sulfate de métal alcalin/alumino-silicate, le dioxyde de titane TiO2 qui sont des particules de céramique. 20. Selon la société Lanaform, le brevet FR 613 est de la même manière dépourvu de nouveauté au regard de la demande de brevet US2001/0046826 qui divulgue des particules de substances actives, pharmaceutiques ou cosmétiques, contenues dans des microcapsules (notamment de céramiques) qui imprègnent les fils d'un matériau textile et permettent la libération des substances actives par contact avec la peau du porteur, soit toutes les caractéristiques du brevet FR 613. 21. La société Lanaform invoque encore au titre du défaut de nouveauté la demande de brevet US2001/0046826 qui enseigne le recours à des particules de substances actives, pharmaceutiques ou cosmétiques, contenues dans des microcapsules (notamment de céramiques) qui imprègnent les fils du matériau textile et permettent la libération des substances actives par contact avec la peau du porteur, soit à nouveau toutes les caractéristiques du brevet FR 613. 22. La société Lanaform soutient enfin que l'ensemble des caractéristiques du brevet FR 613 est divulgué par le brevet KR200336512 qui porte sur des bas et culottes, chargés d'un mélange de parfums, de fleurs et de fruits, dont les fibres de parfum sont parfumées par l'ajout d'un liquide directionnel aux microcapsules et fixées de façon innombrable aux fibres et qui comprennent une composition antidérapante composée d'un mélange de fil de coton et de caoutchouc et notamment d'ocre céramique ou de minéral qui émet un rayonnement infrarouge lointain. 23. En ce qui concerne les revendications dépendantes 7 et 8, la société Lanaform soutient qu'elles sont elles aussi nulles pour défaut de nouveauté, car la description du brevet FR 573 précise que sont connus de l'état de la technique les textiles constitués de fibres capables de relarguer des principes actifs amincissants ou hydratants, des huiles essentielles, des vitamines et des produits désodorisants, tandis que tous les documents FR 2 967 573, US2001/0046826 et KR200336512 divulguent au moins l'un des articles de vêtements cités dans la revendication 8.24. La société Skin'Up fait quant à elle valoir que la demande de brevet FR 2 967 573 ne divulgue pas un textile imprégné puisque le port du textile est consécutif à l'application d'une formulation comprenant au moins un principe actif appliquée sur la peau. Elle ajoute que la description de cette demande de brevet critique même l'utilisation des tissus imprégnés par des microcapsules. 25. Elle fait également valoir la demande de brevet US2001/0046826 divulgue des particules sphériques, qui peuvent être des particules de céramiques, qui sont fixées sur le textile au moyen d'une couche de liaison, et non pas dispersées dans les fibres, fils ou filaments comme cela est le cas dans le brevet FR 613, et que selon la revendication 9 ce sont les particules de céramiques, et non les principes actifs, qui sont microencapsulés. 26. La société ajoute que les parfums visés par le brevet KR200336512 ne peuvent pas être considérés comme des principes actifs et que ce document ne divulgue pas la micro-encapsulation d'un actif cosmétique. 27. La société Skin'Up soutient enfin que la nouveauté de l'objet de la revendication 1 étant acquise celle des revendications 7 et 8 l'est également. Appréciation du tribunal 28. Selon l'article L. 611-10, I, du code de la propriété intellectuelle, sont brevetables, dans tous les domaines technologiques, les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle. L'article L. 611-11 du même code précise qu'une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique. L'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen. Est également considéré comme compris dans l'état de la technique le contenu de demandes de brevet français et de demandes de brevet européen ou international désignant la France, telles qu'elles ont été déposées, qui ont une date de dépôt antérieure à celle mentionnée au second alinéa du présent article et qui n'ont été publiées qu'à cette date ou qu'à une date postérieure. 29. Aux termes de l'article L. 613-25, un brevet est déclaré nul par décision de justice : a) Si son objet n'est pas brevetable aux termes des articles L. 611-10, L. 611-11 et L. 611-13 à L. 611-19. 30. L'élément de l'art antérieur est destructeur de nouveauté s'il renferme tous les moyens techniques essentiels de l'invention dans la même forme, le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique : l'antériorité, qui est un fait juridique dont l'existence, la date et le contenu doivent être prouvés par tous moyens par celui qui l'invoque, doit être unique et être révélée dans un document unique dont la portée est appréciée globalement. 31. La société défenderesse invoque en premier lieu un brevet français FR 2 967 573 de la société Rhodia Poliamida, dont la publication de la demande de délivrance est intervenue le 25 mai 2012, soit 7 mois avant le dépôt du brevet objet du présent litige. Ce brevet FR 573 est le document D3 du rapport de recherche et de l'avis écrit de l'examinateur de l'INPI du 28 octobre 2018 (Pièce Lanaform no4), qui l'avait mentionné comme destructeur de la nouveauté du brevet FR 613, avant de finalement délivrer le brevet. 32. Ce document D3 revendique la protection d'un "kit" comprenant l'application, sur la peau d'un utilisateur, d'un actif cosmétique, suivie de l'apposition d'un article textile constitué de fibres en polymère dont la matrice contient des charges minérales ayant des propriétés d'absorption et/ou d'émission dans la région infrarouge lointain 2-20 μm. 33. Comme le brevet FR'613, ce brevet enseigne dans sa partie descriptive que l'art antérieur connaît les fibres de polymères imprégnées d'actifs cosmétiques micro-encapsulés, mais sans revendiquer lui-même cette imprégnation en raison de ses inconvénients et en particulier la disparition des actifs après quelques lavages du matériau textile, et la quantité trop faible de principe actif pour observer un effet (page 4, ligne 3 de D3). 34. Au demeurant, l'imprégnation du matériau textile par les principes actifs micro-encapsulés ne figure pas dans la partie caractérisante de la revendication 1 du brevet FR 613. 35. Force est ainsi de constater que le brevet FR'573 (D3) divulgue les moyens techniques essentiels de l'invention objet du brevet FR'613, peu important qu'il ne les revendique pas. Il divulgue en effet la combinaison d'un matériau textile et d' une application sur la peau de principes actifs, les principes actifs pouvant être imprégnés dans le matériau textile, et le matériau textile comprenant également des particules de céramique au sens de ces deux brevets, le document FR'573 (D3) présentant le dioxyde de titane (TiO2), le sulfate de baryum (BaSO4) et la tourmaline comme préférés (page 12, ligne 5). La revendication 1 du brevet FR'613 se trouve ainsi entièrement divulguée par ce seul document, selon le même agencement et en vue du même résultat technique. Cette revendication est dès lors dépourvue de nouveauté. 36. Il en va de même des revendications dépendantes suivantes, le brevet FR'573 (D3) décrivant l'usage des actifs cosmétiques amincissants et notamment l'huile essentielle de lavande, ainsi que la vitamne C (page 7, ligne 1 et s.), expressément mentionnés dans la revendication no7 du brevet FR'613 ; ce document divulgue encore la forme du matériau textile, puisqu'il indique qu'il s'agira avantageusement d'un vêtement, de préférence un collant, un pantalon, un bermuda (page 13, ligne 31), de sorte que la revendication no8 se trouve elle aussi dépourvue de nouveauté. 37. Il y a donc lieu d'annuler les revendications 1, 7 et 8 opposées du brevet FR'613.38. Les demandes fondées sur la contrefaçon de ce brevet ne peuvent donc qu'être rejetées. 3o) Sur les pratiques commerciales trompeuses Moyens des parties 39. A titre susbsidiaire, la société Skin'Up soutient que les allégations de la société Lanaform relatives à la composition de ses produits et/ou l'effet technique ne sont pas exactes et conduisent à tromper le consommateur sur les qualités et/ou caractéristiques essentielles des produits et altèrent substantiellement le comportement du consommateur au détriment société Skin'Up dont la clientèle se détourne. 40. La société Lanaform soutient que la contrefaçon de brevet et les pratiques commerciales trompeuses ne répondent pas aux mêmes conditions, ces dernières supposant la démonstration de comportements contraires aux exigences de la diligence professionnelle et de l'altération substantielle du comportement du consommateur. Elle fait valoir qu'il n'y aurait tromperie du consommateur que si les produits n'avaient strictement aucun effet amincissant, ce que ne prouve pas la société Skin'Up, qui n'établit pas par ailleurs une altération substantielle du comportement du consommateur. Appréciation du tribunal 41. L'article L. 121-1 du code de la consommation prévoit que "Les pratiques commerciales déloyales sont interdites. Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service. (...) Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 (...)" 42. Selon l'article L. 121-2 du code de la consommation, "Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes : (...) 2o Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants : (...) b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition,(...)" 43. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice interprétant l'article 6, paragraphe 1, de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, dont les dispositions ci-dessus du code de la consommation réalisent la transposition en droit interne (point 47 de l'arrêt du 15 mars 2012, [P] et [Y], C-453/10 ; point 42 de l'arrêt du 19 septembre 2013, CHS Tour Services, C-435/11 ; point 34 de l'arrêt du 19 décembre 2013, [J] [L] srl, C-281/12), qu'une pratique commerciale est considérée comme trompeuse pour autant que l'information soit trompeuse (c'est à dire fausse) et qu'elle soit susceptible d'amener le consommateur à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise en l'absence d'une telle pratique. 44. Sont ici incriminées par la société Skin'up les mentions suivantes figurant sur le site Internet de la société Lanaform selon lequelles le produit Cosmetex leggings serait "doté d'une fibre intelligente à base de cristaux de céramique et de millions de microcapsules à base de nouveaux principes actifs cosmétiques, le Cosmetex legging agit de manière instantanée et pour une durée illimtée (...) L'efficacité est garantie jusuq'à 30 lavages". 45. Force est de constater qu'il n'est pas démontré que l'affirmation selon laquelle la présence des cristaux de céramique agit de manière permanente et que l'imprégnation de principes actifs perdure au-delà de 30 lavages des leggings est mensongère. Surtout, ces allégations n'apparaissent pas susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique d'un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé à l'égard des leggings commercialisés par la société Lanaform, ce consommateur étant habitué, dans le secteur des cosmétiques, aux commentaires excessivement laudatifs. 46. Les demandes de la société Skin'Up fondées sur les pratiques commerciales trompeuses sont donc rejetées. 47. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société Skin'up supportera les dépens et sera condamnée à payer à la société Lanaform la somme de 60.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 48. Nécessaire et compatible avec la nature de la décision, il y a lieu d'en ordonner l'exécution provisoire conformément aux dispositions de l'article 515 du code de procédure civile dans sa version applicable au présent litige eu égard à la date de l'assignation, sauf en ce qui concerne la transcription au RNB (article L. 613-27 du code de la propriété intellectuelle). PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL, DÉCLARE NULLES les revendications 1, 7 et 8 du brevet français FR 2 999 613 de la société Skin'Up; DIT que la présente décision, une fois passée en force de chose jugée, sera transmise à l'INPI, à l'initiative de la partie la plus diligente aux fins d'inscription au registre national des brevets ; REJETTE les demandes de la société Skin'Up fondées sur la contrefaçon du brevet FR 2 999 613 et sur des pratiques commerciales trompeuses ; CONDAMNE la société Skin'Up aux dépens ; CONDAMNE la société Skin'Up à payer à la société Lanaform la somme de 60 000 par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision sauf en ce qui concerne la transcription au RNB. Fait et jugé à Paris le 25 mai 2023. LA GREFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000047878972
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 25 mai 2023, 20/12127
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2023-05-25
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/12127
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 20/12127No Portalis 352J-W-B7E-CTJ43 No MINUTE : Assignation du :27 novembre 2020 JUGEMENT rendu le 25 mai 2023 DEMANDERESSES Société SONCEBOZ S.A[Adresse 4][Adresse 2] (SUISSE) Société MMT AG[Adresse 7][Adresse 7][Localité 5] (SUISSE) représentées par Me Emmanuel DE MARCELLUS de la SELARL DE MARCELLUS & DISSER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0341 DÉFENDERESSES Société KEBODA TECHNOLOGY CO. LTD.Building 1-2 [Adresse 9][Adresse 9] [Localité 1] (CHINE) Société KEBODA DEUTSCHLAND GmbH & Co. KG[Adresse 8][Localité 6]BADEN-WÜRTTEMBERG (ALLEMAGNE) représentées par Me Anne-Charlotte LE BIHAN de l'AARPI BIRD & BIRD AARPI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0255 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation. DEBATS A l'audience du 13 mars 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 25 mai 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSE DU LITIGE: 1. La société de droit suisse Industrielle de Sonceboz S.A. (ci-après Sonceboz), est spécialisée dans la conception, le développement et la production de solutions mécatroniques (c'est-à-dire combinant la mécanique, l'électronique, l'automatique et l'informatique) et commercialise notamment un modèle d'actionneur de vanne de ventilation / climatisation d'air pour véhicule automobile. 2. Elle est titulaire du brevet européen EP 1 230 726 (ci-après EP 726) désignant la France, issu d'une demande internationale PCT/FR2000/003165 déposée le 14 novembre 2000, revendiquant la priorité d'une demande française du 17 novembre 1999 ; ce brevet a pour titre " Actionneur de vanne de climatisation d'air pour véhicule automobile ". Il a expiré le 14 novembre 2020. 3. La société de droit suisse MMT AG, liée à la société Sonceboz par un actonnariat commun, est spécialisée dans la conception, le développement et la production de solutions électromagnétiques appliquées à la mécatronique. 4. Elle est titulaire du brevet français FR 2 899 396 (ci-après FR 396) intitulé "Moteur électrique polyphasé notamment pour l'entraînement de pompes ou de ventilateurs" déposé le 30 mars 2006. Ce brevet, délivré le 4 juillet 2008, est maintenu en vigueur par le paiement régulier de ses annuités. 5. La société MMT est également titulaire de la demande de brevet FR 2 005 207 (ci-après FR 207) qui est une demande divisionnaire du brevet FR 3 060 892, déposé le 21 décembre 2016. Le brevet a été délivré le 30 juillet 2021 et publié sous le no FR 3 096 523 (ci-après FR 523). Il a pour titre "Actionneur mécatronique".6. La société de droit chinois Keboda Technology Co est spécialisée dans les composants électroniques automobiles intelligents et économes en énergie. La société de droit allemand Keboda Deutschland & Co est sa filiale. 7. Les sociétés Sonceboz et MMT ayant découvert que la société Opel France utilise pour certains de ses modèles de véhicules commercialisés en France des volets déflecteurs d'air comprenant des actionneurs qui reproduisent selon elles les revendications de la partie française du brevet EP 726, du brevet FR 396 et de la demande de brevet FR 207 (désormais brevet FR 523), elles ont fait procéder à un constat d'achat par huissier d'un volet déflecteur auprès d'un garage à l'enseigne Opel situé à proximité de [Localité 10]. 8. Par un courrier du 16 octobre 2020, le conseil en propriété industrielle de la société MMT a notifié la demande de brevet français FR 207 à la société Keboda Deutschland, puis par courrier du 10 novembre 2020, les brevets EP 726 et FR 396 et la demande de brevet FR 207 ont étés notifiés à la société Opel France. 9. Par une ordonnance du 22 octobre 2020, les sociétés Sonceboz et MMT ont été autorisées à faire procéder à une saisie-contrefaçon au sein de l'établissement à l'enseigne Opel de [Localité 11], Garage du Château, située [Adresse 3], à [Localité 11]. 10. Par un acte d'huissier du 27 novembre 2020, les sociétés Sonceboz et MMT ont fait assigner la société Opel France devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon des brevets EP 726 et FR 396 et de la demande de brevet FR 207 alors non publiée. 11. Le signe "Keboda" apparaissant sur les pièces saisies, les sociétés Sonceboz et MMT ont fait assigner en intervention forcée les sociétés Keboda Technology et Keboda Deustchland par un acte d'huissier du 28 juillet 2021. Le 7 octobre 2021 ces instances ont été jointes sous le no RG 20/12127. 12. Le juge de la mise en état a rendu le 15 octobre 2021 une ordonnance de disjonction afin qu'il soit statué en premier lieu sur la seule question de l'existence d'actes de contrefaçon commis en France par les sociétés défenderesses. 13. Par une ordonnance du 8 mars 2022, le juge de la mise en état a déclaré parfait le désistement des sociétés Sonceboz et MMT de leurs demandes dirigées contre la société Opel France. 14. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 21 novembre 2022, les sociétés Sonceboz et MMT demandent au tribunal de : - Juger que les sociétés Keboda Technology Co., Ltd. et Keboda Deutschland GmbH & Co. KG, fabriquent, offrent à la vente et distribuent l'actionneur argué de contrefaçon à destination du territoire français ; - Donner acte à la Société industrielle de Sonceboz et la société MMT AG de ce qu'elles maintiennent leurs demandes telles qu'énoncées dans leur acte introductif d'instance du 28 juillet 2021 en contrefaçon : - des revendications 1, 2, 3 et 4 du brevet EP 1 230 726 de la Société industrielle de Sonceboz ; - des revendications 1, 3, 4 et 10 du brevet français FR 2 899 396 de la société MMT AG; - des revendications 1, 4, 5, 7, 9 et 10 du brevet FR 3 096 523 de la société MMT AG ; pour la fabrication, la vente et la livraison de l'actionneur de référence 114711700/21200003/H07S0042L3 et/ou OPEL 39202582, également vendu associé au volet déflecteur sur lequel il s'intègre sous la référence OPEL 39169704, à destination du territoire français, lesquelles demandes seront évoquées dans le cadre de l'instance enrôlée sous le RG no 21/12789 à l'issue du jugement à venir sur la matérialité des faits de contrefaçon sur le territoire français et qu'elles se réservent le droit de les compléter le cas échéant ; - Débouter les sociétés Keboda Technology Co., Ltd et Keboda Deutschland GmbH & Co. KG de toutes leurs demandes, fins et prétentions ; - Renvoyer les Parties à telle audience de mise en état qu'il plaira au Tribunal pour les conclusions des sociétés défenderesses en réplique aux demandes des sociétés demanderesses, telles qu'elles apparaissent dans l'acte introductif d'instance des demanderesses; - Condamner les sociétés Keboda Technology Co., Ltd et Keboda Deutschland GmbH & Co. KG à payer à la Société industrielle de Sonceboz et la société MMT AG la somme de 50.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile; - Condamner les sociétés Keboda Technology Co., Ltd et Keboda Deutschland GmbH & Co. KG aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL de Marcellus & Disser, représentée par Maître Emmanuel de Marcellus, avocat au barreau de Paris, par application de l'article 699 du code de procédure civile. 15. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 novembre 2022, les sociétés Keboda Technology Co., Ltd et Keboda Deutschland GmbH & Co. KG demandent au tribunal de : - Dire les sociétés Keboda Technology Co., Ltd et Keboda Deutschland GmbH & Co. KG recevables et bien fondées en l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ; - Dire que les sociétés Sonceboz SA et MMT AG ne rapportent pas la preuve de la matérialité des actes de contrefaçon de brevet prétendument commis par les sociétés Keboda Technology Co., Ltd et Keboda Deutschland GmbH & Co. KG sur le territoire français ; - Dire que les sociétés Keboda Technology Co., Ltd et Keboda Deutschland GmbH & Co. KG n'ont pas fabriqué, offert, mis dans le commerce, utilisé, exporté, importé, détenu, livré ou offert de livrer les produits litigieux ou des moyens conduisant à la réalisation des produits litigieux, ni commis aucun des actes de contrefaçon de brevet ou de complicité d'actes de contrefaçon de brevet qui leur sont reprochés sur le territoire français ; En conséquence : - Débouter les sociétés Sonceboz SA et MMT AG de leur action en contrefaçon des brevets EP 1 230 726, FR 2 899 396 et FR 3 096 523 à l'encontre des sociétés Keboda Technology Co., Ltd et Keboda Deutschland GmbH & Co. KG ; En tout état de cause : - Débouter les sociétés Sonceboz SA et MMT AG de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ; - Condamner solidairement les sociétés Sonceboz SA et MMT AG au paiement à chacune des sociétés Keboda Technology Co., Ltd et Keboda Deutschland GmbH & Co. KG de la somme de 30.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive ; - Condamner solidairement les sociétés Sonceboz SA et MMT AG à verser à chacune des sociétés Keboda Technology & Co., Ltd et Keboda Deutschland GmbH & Co. KG une somme de 200.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens. 16. L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance du 29 novembre 2022 et plaidée à l'audience du 13 mars 2023. MOTIFS DE LA DÉCISION Moyens des parties 17. Les sociétés demanderesses rappellent en premier lieu qu'il est établi que les sociétés Keboda sont à l'origine du produit argué de contrefaçon, le signe Keboda apparaissant sur le boitier et sur le circuit imprimé saisis. Elles ajoutent qu'il est démontré également qu'elles ont une activité à destination du marché français puisqu'elles disposent d'une représentante en France et entretiennent des liens avec le groupe Stellantis qui est un opérateur français, ainsi qu'elles le revendiquent elles-mêmes sur leur site Internet, qui dirige les internautes vers le site de ce groupe français. 18. Les sociétés Sonceboz et MMT invoquent ici "la théorie de la focalisation" pour caractériser l'existence d'une offre à destination du territoire français. Elles soutiennent qu'il est à cet égard démontré que les sociétés Keboda, qui connaissait parfaitement le type de véhicule auquel était destiné le produit qu'elle a fourni, n'ignorait nullement la commercialisation de ce véhicule en France. Autrement dit, selon les demanderesses, en répondant à un appel d'offre concernant la fourniture de pièces pour le véhicule en question, les sociétés Keboda avaient la volonté de diriger leur offre vers un territoire couvert par les brevets ici invoqués. 19. Les sociétés Sonceboz et Mmt rappellent que, dans le secteur automobile, la sélection des fournisseurs se fait par un système d'appel d'offre mentionnant toujours les véhicules concernés. Selon elles, la participation à un appel d'offre en vue de proposer la production d'un sous-ensemble, intégré à un autre ensemble, livré à un fabricant automobile européen afin d'être monté dans un véhicule commercialisé en France est nécessairement une offre au sens de l'article L. 613-3 fautive, car elle cible ou atteint le territoire du brevet.20. Elles font valoir avec force qu'un brevet français doit pouvoir être opposé à toute entreprise qui entend opérer sur le marché français à défaut de quoi les droits de brevets pourraient être aisément contournés dans un système totalement mondialisé comme le sont la construction et le marché automobiles. 21. Les sociétés Keboda font quant à elles valoir que les produits saisis ont été fabriqués en Slovaquie. Elles ajoutent qu'elles n'exercent aucune activité en France en lien avec les actionneurs argués de contrefaçon, tandis que les produits objets de la saisie-contrefaçon n'ont pas été acquis auprès d'elles. Les sociétés Keboda en déduisent que les demanderesses ne démontrent aucunement qu'elles ont importé en France les actionneurs qu'elles fabriquent, ni même qu'elles les ont offerts à la vente à destination du marché français. 22. S'agissant plus particulièrement des faits d'offre qui leur sont reprochés, elles rappellent qu'elle se définit comme un acte susceptible de préparer la mise dans le commerce en France. Elles font à cet égard valoir qu'aucune pièce ne démontre qu'elles auraient participées à un appel d'offre d'où il résulterait que c'est "sciemment" qu'elles auraent proposé à leur cocontractant de fournir des actionneurs à destination du marché français. Au contraire, les sociétés Keboda soutiennent qu'elles ignoraient le lieu de destination final des actionneurs qu'elles ont fournis. 23. S'agissant de l'importation, les sociétés Keboda font valoir qu'aucun élément du dossier n'établit leur participation à l'introduction en France des actionneurs litigieux, une telle participation ne pouvant se déduire de la seule présence du signe Keboda sur les pièces détachées saisies, aux côtés d'ailleurs du signe d'un autre fournisseur (à savoir le plasturgiste "Röchling"). Appréciation du tribunal 24. Selon l'article L. 613-3 du code de la propriété intellectuelle, "Sont interdites, à défaut de consentement du propriétaire du brevet : a) La fabrication, l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, l'importation, l'exportation, le transbordement, ou la détention aux fins précitées du produit objet du brevet ; (...)" 25. Selon l'article 64 "Droits conférés par le brevet européen" de la Convention sur le brevet européen "(1)Sous réserve du paragraphe 2, le brevet européen confère à son titulaire, à compter de la date à laquelle la mention de sa délivrance est publiée au Bulletin européen des brevets et dans chacun des Etats contractants pour lesquels il a été délivré, les mêmes droits que lui conférerait un brevet national délivré dans cet Etat (...) (3)Toute contrefaçon du brevet européen est appréciée conformément à la législation nationale." 26. Il est en outre constamment jugé que constitue une offre, au sens de l'article L. 613-3 du code de la propriété intellectuelle, toute opération matérielle tendant à préparer la clientèle potentielle à la commercialisation prochaine d'un produit (Cass. Com., 5 juillet 2017, pourvoi no 15-20.554, Bull. 2017, IV, no 101). 27. Il est également jugé qu'un importateur peut être déclaré coupable de contrefaçon pour avoir introduit en France des matériels protégés par un brevet, même s'il n'est pas établi qu'il ait connu l'existence de ce brevet. (Cass. Com., 24 janvier 1977, pourvoi no 75-14.726, Bull. 1977, IV, no20, p. 16) 28. En l'occurrence, il est établi que l'une des entités du groupe Keboda (sans qu'il soit possible de déterminer s'il s'agit de l'une des sociétés défenderesses) a fourni à une société établie en Slovaquie les actionneurs litigieux, aux fins de leur assemblage avec des volets déflecteurs d'air destinés à des véhicules de type Opel Astra. 29. Il ne peut toutefois se déduire de ces faits la preuve d'aucun acte d'offre à la vente de ces actionneurs en France, non plus qu'aucun acte d'importation en France. 30. En effet, les sociétés Keboda n'ont aucune filiale, ni aucun établissement en France, où elles ne sont représentées que par une personne physique dont la nature des activités en France est inconnue, seul étant versé aux débats l'extrait du compte LinkedIn de Mme [X] [B] [T], où celle-ci se présente comme "regional representative" de la société Keboda Technology (pièce Sonceboz no33). 31. N'ayant aucune activité démontrée en France, les sociétés Keboda ne peuvent y avoir introduit, ou encore importé, les déflecteurs d'air litigieux. 32. En outre, le site Internet de la société Keboda Technology n'est rédigé qu'en langue anglaise et n'est accessible que par le nom de domaine <www.keboda.com>. Il ne permet d'acheter aucun produit et ne présentait le 3 novembre 2022 qu'un "AGS Actuator" à l'url www.keboda.com/en/product/Default.aspx?id=17 (Pièce Sonceboz no53), sans mention d'aucun prix, ni d'aucun autre contact que la société de droit chinois Keboda Technology; rien ne démontre en outre qu'il s'agit de l'actionneur litigieux : (ci-dessous extrait de la pièce no53) 33. Ce site ne réalise ainsi aucun acte matériel d'offre à la vente reçue en France (CJUE, 12 juillet 2011, L'Oréal c/ Ebay, aff. C-324/09, rendu en matière de marques mais transposable). Il ne dirige vers aucun site marchand. 34. Il n'est pas davantage démontré d'acte matériel imputable à l'une des défenderesses de préparation d'une clientèle potentielle française à acquérir les actionneurs litigieux au moyen d'une supposée soumission à un appel d'offres.35. En effet, même en admettant que les sociétés défenderesses aient fourni les actionneurs litigieux et qu'elles aient su qu'ils étaient destinés à des véhicules de type Opel Astra, lors de la soumission à un appel d'offre (ce qui n'est ici qu'une conjecture), cela n'établit pas pour autant qu'elles savaient que les actionneurs fournis en Slovaquie étaient destinés au marché français, à la différence de l'entité du groupe auquel appartient la société Opel France qui a commandé l'assemblage des volets déflecteurs d'air, laquelle n'est pas identifiée, alors même qu'elle apparaît comme responsable de l'introduction en France des volets déflecteurs objets du présent litige. 36. Il n'est en définitive pas établi que les sociétés Keboda ont commis en France des actes de contrefaçon des brevets FR 2 899 396 et FR 3 096 523, non plus que de la partie française du brevet EP 1 230 726. 37. Les sociétés Sonceboz n'invoquent en outre ici aucune atteinte à d'autres parties nationales du brevet EP 726, lequel ne désigne au demeurant pas la Slovaquie (SK) parmi les états contractants désignés comme couverts par ce brevet (Cass. Civ. 1ère, 29 juin 2022, pourvoi no 21-11.085). 38. Les demandes des sociétés Sonceboz et Mmt fondées sur la contrefaçon des brevets EP 1 230 726, FR 2 899 396 et FR 3 096 523 et dirigées contre les sociétés Keboda Technology Co., Ltd et Keboda Deutschland GmbH & Co. KG ne peuvent donc qu'être rejetées. 39. Les sociétés Keboda, qui ne caractérisent rien d'autre qu'une mauvaise appréciation de leurs droits par les sociétés Sonceboz et Mmt, seront déboutées de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, ce d'autant qu'ici, les sociétés Sonceboz et Mmt ont sollicité la césure de l'instance de manière à permettre un examen proportionné de leurs demandes. 40. En revanche, parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, les sociétés Sonceboz et Mmt supporteront les dépens et seront condamnées à payer aux sociétés Keboda la somme totale de 60.000 euros (30.000 x 2) par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 41. Aucune circonstance ne justifiant qu'il en soit disposé autrement, il convient de rappeler, conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret no2019-1333 du 11 décembre 2019, que la présente décision de première instance est de droit exécutoire à titre provisoire. PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL, DIT que les sociétés Sonceboz SA et MMT AG ne rapportent pas la preuve de la matérialité des actes de contrefaçon de brevets qu'elles reprochent aux sociétés Keboda Technology Co., Ltd et Keboda Deutschland GmbH & Co. KG sur le territoire français ; REJETTE par conséquent les demandes des sociétés Sonceboz SA et MMT AG fondées sur la contrefaçon des brevets EP 1 230 726, FR 2 899 396 et FR 3 096 523 dirigées contre les sociétés Keboda Technology Co., Ltd et Keboda Deutschland GmbH & Co. KG ; REJETTE la demande des sociétés Keboda Technology Co., Ltd et Keboda Deutschland GmbH & Co. KG en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive ; CONDAMNE in solidum les sociétés Sonceboz SA et MMT AG aux dépens ; CONDAMNE in solidum les sociétés Sonceboz SA et MMT AG à payer à chacune des sociétés Keboda Technology & Co., Ltd et Keboda Deutschland GmbH & Co. KG une somme de 30.000 par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; RAPPELLE que la présente décision est de plein droit exécutoire. Fait et jugé à Paris le 25 mai 2023. LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000047878973
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 6 juillet 2023, 21/10326
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2023-07-06
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/10326
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 21/10326 No Portalis 352J-W-B7F-CUXDU No MINUTE : Assignation du :02 juillet 2021 JUGEMENT rendu le 06 juillet 2023 DEMANDERESSE Société NOKIA TECHNOLOGIES OY [Adresse 8][Adresse 8] (FINLANDE) représentée par Me David POR du LLP ALLEN & OVERY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0022 DÉFENDERESSES Société GUANGDONG OPPO MOBILE TELECOMMUNICATIONS CORP., LT D[Adresse 2] [Adresse 2] (CHINE) S.A.S. YANG TECHNOLOGY [Adresse 4][Localité 5] S.A.R.L. ARTECH MOBILES [Adresse 1][Localité 5] Société ONEPLUS TECHNOLOGY (SHENZHEN) CO., LTD. [Adresse 3], [Adresse 3], [Adresse 3] (CHINE)représentées par Me Stanislas ROUX-VAILLARD du PARTNERSHIPS HOGAN LOVELLS (PARIS) LLP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0033 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistées de Madame Caroline REBOUL, Greffière en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation. DÉBATS A l'audience du 03 avril 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 06 juillet 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE : 1. La société de droit finlandais Nokia Technologies Oy se présente comme étant en charge de la recherche et du développement au sein du Groupe Nokia spécialisé dans le domaine des télécommunications. 2. Elle est titulaire du brevet européen no 1 704 731, ci-après EP'731, ayant pour titre « Procédé et appareil pour indiquer des identificateurs d'ensemble de services à sonder » issu de la demande internationale no 2005/076639 déposée le 15 décembre 2004 et revendiquant la priorité des demandes américaines no US 60/534,840 P (demande provisoire) du 6 janvier 2004 et US 10/999,397 du 29 novembre 2004, publiées le 7 juillet 2005. La mention de la délivrance de ce brevet a été publiée le 15 février 2017. 3. L'invention porte sur un procédé mis en oeuvre par un terminal WLAN (Wireless local area network soit un réseau local sans fil selon la norme IEEE802.11) pour déterminer quels identificateurs d'ensemble de services (SSID pour Service Set IDentifier), sur une liste de SSID préférés hébergée par le terminal, sont disponibles au niveau d'un point d'accès WLAN accessible, sur la base de l'envoi de messages d'interrogation à des points d'accès WLAN accessibles indiquant un SSID respectif. L'envoi d'un message d'interrogation pour un SSID de la liste n'est effectué que si un indicateur respectif compris dans la liste indique que le terminal WLAN doit être sondé pour le SSID. 4. La société de droit chinois Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp. Ltd. est spécialisée dans les équipements électroniques et plus particulièrement les smartphones, qu'elle commercialise sous la marque "Oppo". La société Yang Technology et la société Artech Mobiles (qui exerce sous le nom commercial "Oppo France"), indiquent être spécialisées dans la commercialisation de produits de téléphonie mobile. 5. La société de droit chinois OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd., est également spécialisée dans les équipements électroniques de type smartphones et indique avoir développé la gamme de smartphones portant la marque "OnePlus". 6. Selon la société Nokia Technologies, les smartphones commercialisés sous les marques Oppo et OnePlus depuis le 1er juillet 2016 reproduisent les revendications du brevet EP 731. Elle précise que c'est à compter de cette date que les smartphones ont été nativement équipés de plusieurs versions de leurs systèmes d'exploitation propre, ColorOs pour les smartphones Oppo et OxygenOs pour les smartphones OnePlus, contrefaisant leur brevet. 7. Des négociations ont eu lieu entre les parties afin de définir les conditions d'une licence portant sur la technologie développée par le groupe Nokia ; les parties ne sont pas parvenues à trouver un accord. C'est dans ce contexte que, par actes des 2 et 8 juillet 2021, la société Nokia a fait assigner les sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications, Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology, devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon des revendications 6 et 14 du brevet EP 731. 8. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 8 novembre 2022, la société Nokia Technologies demande au tribunal de : - DIRE que les revendications 6 et 14 de la partie française du brevet européen no 1 704 731 sont valides ; - DIRE que les sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology et Artech Mobiles ont commis des actes de contrefaçon des revendications 6 et 14 de la partie française du brevet européen no 1 704 731, en important, offrant et en distribuant en France les produits OPPO Find X2 Lite, OPPO Find X2 Neo, OPPO Find X2 Pro, OPPO Find X3 Lite, OPPO Find X3 Neo, OPPO Find X3 Pro, OPPO Find X5 Lite, OPPO Find X5, OPPO Find X5 Pro, OPPO Reno 10x Zoom, OPPO Reno2, OPPO Reno4 Z 5G, OPPO Reno4 5G, OPPO Reno4 Pro 5G, OPPO Reno6 5G, OPPO Reno6 Pro 5G, OPPO Reno7, OPPO Reno8 Pro 5G, OPPO Reno8 5G, OPPO Reno8 Lite 5G, OPPO A16, OPPO A53s, OPPO A54 5G, OPPO A57s, OPPO A57, OPPO A74, OPPO A74 5G, OPPO A77 5G, OPPO A94 5G, OPPO A76, OPPO A96 et d'une façon générale tout smartphone utilisant le système d'exploitation « ColorOS » ; - INTERDIRE aux sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology et Artech Mobiles d'offrir, de mettre dans le commerce, d'importer, et de détenir aux fins précitées en France les produits OPPO Find X2 Lite, OPPO Find X2 Neo, OPPO Find X2 Pro, OPPO Find X3 Lite, OPPO Find X3 Neo, OPPO Find X3 Pro, OPPO Find X5 Lite, OPPO Find X5, OPPO Find X5 Pro, OPPO Reno 10x Zoom, OPPO Reno2, OPPO Reno4 Z 5G, OPPO Reno4 5G, OPPO Reno4 Pro 5G, OPPO Reno6 5G, OPPO Reno6 Pro 5G, OPPO Reno7, OPPO Reno8 Pro 5G, OPPO Reno8 5G, OPPO Reno8 Lite 5G, OPPO A16, OPPO A53s, OPPO A54 5G, OPPO A57s, OPPO A57, OPPO A74, OPPO A74 5G, OPPO A77 5G, OPPO A94 5G, OPPO A76, OPPO A96 utilisant le système d'exploitation « ColorOS », et d'une façon générale tout produit reproduisant les enseignements des revendications 6 et 14 de la partie française du brevet européen no 1 704 731 ; - DIRE que la société OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd. a commis des actes de contrefaçon des revendications 6 et 14 de la partie française du brevet européen no 1 704 731, en important, offrant et en distribuant en France les produits OnePlus 9 Pro, OnePlus 9, OnePlus 8T, OnePlus 8 Pro, OnePlus 8, OnePlus Nord, OnePlus Nord N10 5G, OnePlus Nord N100, OnePlus Nord CE 5G, OnePlus Nord CE 2 5G, OnePlus Nord 2 5G, OnePlus Nord 2T 5G, OnePlus Nord CE 2 Lite 5G, OnePlus 10 Pro 5G, OnePlus 10T 5G et d'une façon générale tout smartphone utilisant le système d'exploitation « OxygenOS » ; - INTERDIRE à la société OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd. d'offrir, de mettre dans le commerce, d'importer, et de détenir aux fins précitées en France les produits OnePlus 9 Pro, OnePlus 9, OnePlus 8T, OnePlus 8 Pro, OnePlus 8, OnePlus Nord, OnePlus Nord N10 5G, OnePlus Nord N100, OnePlus Nord CE 5G, OnePlus Nord CE 2 5G, OnePlus Nord 2 5G, OnePlus Nord 2T 5G, OnePlus Nord CE 2 Lite 5G, OnePlus 10 Pro 5G, OnePlus 10T 5G utilisant le système d'exploitation « OxygenOS », et d'une façon générale tout produit reproduisant les enseignements des revendications 6 et 14 de la partie française du brevet européen no 1 704 731 ; - ORDONNER aux sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd. de rappeler des circuits commerciaux les produits qui contrefont la partie française du brevet européen no 1 704 731, dans un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 10.000 € par jour de retard ; Avant-dire droit sur le préjudice, - CONDAMNER les sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology et Artech Mobiles conjointement d'une part, et la société OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd. d'autre part, à payer chacune à la société Nokia Technologies Oy la somme globale de 1 millions € à titre de provision en réparation du préjudice économique qu'elle a subi, sauf à parfaire; - ORDONNER aux sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology et Artech Mobiles conjointement d'une part, et à la société OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd. d'autre part, de payer chacune à la société Nokia Technologies Oy la somme de 500.000 € en réparation du préjudice moral qu'elle a subi, sauf à parfaire ; - ORDONNER aux sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd. de communiquer à Nokia Technologies Oy, par écrit et sous une forme appropriée (divisée en mois), les documents comptables et le nombre de vente des produits contrefaisants permettant de déterminer l'étendue des actes de contrefaçon commis sous astreinte de 10.000 € par jour de retard passé un délai de huit jours à compter de la date de signification du jugement à intervenir ; - ORDONNER aux sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd. de communiquer à Nokia Technologies Oy tous les documents ou informations qu'elles détiennent afin de déterminer les réseaux de distribution des produits contrefaisants, et notamment (i) les noms et adresses des distributeurs, importateurs et autres détenteurs de ces produits, (ii) les quantités importées, commercialisées, livrées, reçues ou commandées et (iii) le prix et autres avantages obtenus pour ces produits contrefaisants, sous astreinte de 10.000 € par jour de retard passé un délai de huit jours à compter de la date de la signification du jugement à intervenir ; - ORDONNER la publication de l'intégralité du jugement à intervenir, aux frais exclusifs des sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd., sous la forme d'un document PDF reproduisant l'entière décision et accessible par un lien hypertexte apparent situé sur la page d'accueil de leur site Internet, quelle que soit l'adresse permettant d'accéder à ces sites Internet, le titre du lien étant, dans la langue appropriée : « Le Tribunal judiciaire de Paris a jugé que les sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd. ont commis des actes de contrefaçon des droits de Nokia en mettant sur le marché des smartphones mettant en oeuvre les enseignements d'un de ses brevets européens. » dans une police de taille 20 au moins, pendant 6 mois, dans un délai de huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 5.000 € par jour de retard ; - AUTORISER la société Nokia Technologies Oy à faire publier le jugement à intervenir dans cinq journaux ou quotidiens, de son choix et aux frais des sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd., sans que le coût de ces publications ne dépasse 20.000 € HT au total, selon le texte suivant : « Le Tribunal judiciaire de Paris a jugé que les sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd. ont commis des actes de contrefaçon des droits de Nokia en mettant sur le marché des smartphones mettant en oeuvre les enseignements d'un de ses brevets européens. »; - DIRE que le tribunal sera compétent pour statuer, s'il y a lieu, sur la liquidation des astreintes qu'il a fixées ; - DEBOUTER les sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd. de toutes leurs demandes, fins et prétentions ; - CONDAMNER les sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd. à payer à la société Nokia Technologies Oy la somme de 300.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ; - CONDAMNER les sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd. aux entiers dépens et dire que ceux-ci pourront être recouvrés directement par Me David Por, avocat, dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile ; - ORDONNER l'exécution provisoire de la décision à intervenir. 9. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 10 janvier 2023, les sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp., Ltd, Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) demandent quant à elles au tribunal de: A titre principal, - Dire que les revendications 6 et 14 de la partie française du brevet EP 1 704 731 de la société Nokia Technologies Oy sont nulles pour défaut de nouveauté, défaut d'activité inventive, ou à tout le moins extension indue au-delà du contenu de la demande telle que déposée ; En conséquence, - Prononcer la nullité des revendications 6 et 14 de la partie française du brevet EP 1 704 731 ; - Ordonner l'inscription de la décision à intervenir au Registre National des Brevets, à la diligence du greffe ; - Débouter la société Nokia Technologies Oy de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre des sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp., Ltd, Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd ; A titre subsidiaire, - Constater que les sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp., Ltd, Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd n'ont commis aucun acte de contrefaçon de la partie française du brevet EP 1 704 731 ; En conséquence, - Débouter la société Nokia Technologies Oy de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre des sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp., Ltd, Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd ; A titre très subsidiaire, - Débouter la société Nokia Technologies Oy de ses demandes de mesures d'interdiction et de rappel à l'encontre des sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp., Ltd, Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd ; ou à défaut, et à tout le moins, - Dire que les mesures d'interdiction et de rappel ne prendront effet que dans un délai minimal de quatre mois à compter de la signification du jugement à intervenir ; - Débouter la société Nokia Technologies Oy de ses demandes de dommages-intérêts provisionnels à l'encontre des sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp., Ltd, Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd; - Débouter la société Nokia Technologies Oy de ses demandes tendant à la publication du jugement à intervenir ; - Dire que la communication des informations demandées au titre de l'article L. 615-5-2 du code de la propriété intellectuelle se fera dans le cadre d'un cercle de confidentialité organisé entre les parties ; En tout état de cause : - Ecarter l'exécution provisoire du jugement à intervenir à l'égard des demandes de la société Nokia Technologies Oy ; - Condamner la société Nokia Technologies Oy à verser aux sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp., Ltd, Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd, in solidum, la somme de 200.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, sauf à parfaire; - Condamner la société Nokia Technologies Oy en tous les dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Stanislas Roux-Vaillard, en application de l'article 699 du code de procédure civile. 10. L'instruction a été close par une ordonnance du 31 janvier 2023 et plaidée à l'audience du 3 avril 2023. MOTIFS DE LA DÉCISION 1o) Présentation du brevet EP no 1 704 731 11. Le paragraphe [0001] de la partie descriptive du fascicule de brevet énonce que l'invention concerne les services de réseau local sans fil et plus particulièrement, la recherche des identifiants SSID par un terminal mobile. 12. Un identifiant d'ensemble de services (SSID) est le nom alphanumérique et unique de 32 caractères qui est donné à un ensemble de services ou réseau, et qui fonctionne comme un mot de passe, lorsqu'un terminal mobile tente de se connecter à un ensemble de services de base (BSS).(§[0002]) L'identifiant SSID différencie ainsi un réseau d'un autre, de sorte que tous les points d'accès ainsi que tous les terminaux tentant de se connecter à un réseau donné, doivent utiliser le même identifiant SSID. Un terminal n'est autorisé à rejoindre un BSS qu'après avoir fourni l'identifiant SSID unique pour ce BSS.(§ [0003]) Un réseau comprend un ou plusieurs points d'accès et deux ou plusieurs stations. (§ [0004]) 13. La description précise ensuite (paragraphe [0005]) que chaque point d'accès annonce sa présence plusieurs fois par seconde en diffusant des messages de type balise (beacon) qui transportent l'identifiant SSID. Les stations peuvent découvrir des points d'accès pour un ensemble de services en écoutant passivement les messages balise ; elles peuvent également envoyer des messages d'interrogation pour rechercher activement un point d'accès avec l'identifiant SSID de l'ensemble de services. Une fois que la station a localisé un point d'accès au nom approprié, elle peut envoyer une trame de requête associée contenant l'identifiant SSID souhaité. Le point d'accès répond avec une trame de réponse associée, contenant également l'identifiant SSID. Les terminauxsans fil utilisent ainsi l'identifiant SSID pour établir puis maintenir la connectivité. (§[0006] ) 14. Plusieurs identifiants SSID permettent aux utilisateurs d'accéder à différents réseaux via un seul point d'accès. Les gestionnaires de réseau peuvent attribuer différentes politiques et fonctions pour chaque identifiant SSID, augmentant ainsi la flexibilité et l'efficacité de l'infrastructure réseau. L'utilisation de plusieurs identifiants SSID signifie plus de flexibilité lors du déploiement d'une infrastructure WLAN partagée. (§[0007]) 15. Le paragraphe [0012] de la description expose ensuite le problème objectif à résoudre en énonçant que, pour qu'un terminal WLAN envoie des messages d'interrogation, il doit connaître les valeurs d'identifiant SSID qui l'intéressent, qui sont stockées dans le terminal WLAN dans ce que l'on appelle une liste d'identifiants SSID préférés. Une telle liste peut être assez longue et l'envoi d'un message d'interrogation pour chaque identifiant SSID de la liste peut avoir un impact significatif sur la consommation en énergie d'un terminal WLAN, et peut également affecter le temps et la capacité radio du terminal WLAN. 16. Il serait donc avantageux de pouvoir éviter d'envoyer un message d'interrogation pour chaque identifiant SSID d'une liste d'identifiants préférés, aucune solution n'étant fournie dans l'état de la technique.( §[0013] et [0014]) 17. A cette fin (§[0020]) selon l'invention, une liste d'identifiants SSID préférés est fournie, dans laquelle chaque identifiant SSID de la liste est associé à un marqueur, pour indiquer si l'identifiantSSID doit être interrogé. Avec de tels marqueurs, le terminal peut s'abstenir d'interroger certains des identifiants SSID diffusés dans les messages balise. Le marqueur peut être saisi ou préprogrammé par l'utilisateur, l'opérateur, le fabricant ou un autre administrateur de service, ou téléchargé sur le terminal via une interface radio. 18. [0022] La figure 1 (reproduite ci-dessous) représente un terminal WLAN (11) et une liste d'identifiants SSID préférés (12) associée, ainsi que trois points d'accès WLAN différents ( AP1, AP2 et AP3). Le premier point d'accès, AP1, prend en charge les identifiants SSID désignés par SSID1 (envoyés par messages balise) et SSID1a (non envoyé par messages balise). Comme indiqué dans la liste des identifiants SSID préférés (12), l'identifiant SSID préféré du terminal WLAN est SSID1a, mais afin de déterminer s'il est disponible au premier point d'accès, le terminal WLAN doit envoyer un message d'interrogation. L'invention prévoit un indicateur indiquant que seul le SSID1a doit être interrogé, mais pas le SSID2, qui est envoyé par message balise. 19. Le brevet se compose de 17 revendications, dont seules sont opposées les revendications 6 et 14 suivantes : 6. Appareil destiné à être utilisé par un terminal de réseau local sans fil (11) dans la détermination d'au moins certains identifiants SSID sur une liste préférée d'identifiants SSID (12) hébergée par le terminal de réseau local sans fil qui sont disponibles au niveau d'un point d'accès de réseau local sans fil, l'appareil comportant : un moyen d'hébergement de la liste d'identifiants SSID préférés comprenant une pluralité d'identifiants SSID (SSID1a, SSID2) et, en association avec au moins un identifiant SSID (SSID1a) compris dans la liste, un indicateur indiquant que le terminal de réseau local sans fil doit interroger ou non l'au moins un identifiant SSID; et un moyen d'envoi d'un message d'interrogation comprenant l'au moins un identifiant SSID à un point d'accès de réseau local sans fil si et uniquement si l'indicateur associé à l'identifiant SSID indique que le terminal de réseau local sans fil doit interroger l'au moins un identifiant SSID. 14. Structure de mémoire non volatile destinée à être utilisée avec un terminal de réseau local sans fil dans la détermination d'au moins certains identifiants SSID sur une liste (12) d'identifiants SSID préférés hébergée par le terminal de réseau local sans fil qui sont disponibles au niveau d'un point d'accès de réseau local sans fil, la structure de mémoire non volatile mémorisant la liste et la liste comprenant une pluralité d'identifiants SSID et, associé à au moins un identifiant SSID compris dans la liste, soit un indicateur soit un marqueur de place d'une valeur d'indicateur pour déterminer que l'au moins un identifiant SSID doit être interrogé par le terminal de réseau local sans fil. 2o) Sur la validité du brevet contestée par les sociétés défenderesses a - Sur le défaut de nouveauté Moyens des parties 20. Les sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp., Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) concluent à la nullité des revendications opposées 6 et 14 du brevet EP'731. Elles invoquent en premier lieu le document intitulé "wpa_supplicant", qui est un logiciel hébergé sur un site internet dédié, accessible à l'adresse <https://w1fi/wpa_supplicant/> et destiné à fonctionner sur des ordinateurs portables ou de bureau, en arrière plan, afin d'en contrôler la connexion sans fil. Ce logiciel a été développé à partir de 2003 par M. [M] [I], à l'origine développé dans un cadre plus large dénommé "Host AP". Les sociétés défenderesses soutiennent que le contenu de la version de "wpa_supplicant" du 3 janvier 2004 est parfaitement clair et divulgue l'ensemble des caractéristiques des revendications 6 et 14 du brevet EP'731. Elles soutiennent ainsi que ce document divulgue bien un appareil, le document consistant en un programme destiné à être mise en oeuvre sur un ordinateur (terminal de réseau local sans fil) ; ce document divulgue également une liste d'identifiants SSID préférés hébergée au sein de l'appareil, ainsi qu'un marqueur, associé à un SSID, indiquant que le terminal doit interroger le réseau local sans fil correspondant, par l'envoi d'un message d'interrogation. 21. Les sociétés défenderesses font valoir que l'antériorité "wpa_supplicant" est certaine quant à son contenu et quant à sa date et était accessible au public. Elles soulignent ainsi que "wpa_supplicant" a été développé dans le cadre d'un repository, c'est à dire un dispositif de contrôle des versions (cvs puis git), dont chaque étape de développement est retracée (son contenu et son auteur sont connus) et datée. 22. Elles précisent à cet égard que l'historique du "repository" est toujours accessible à l'adresse <https://w1fi/cgit/> et qu'il contient toujours la soumission de [M] [I] du 3 janvier 2004. Les sociétés défenderesses soulignent surtout que l'approche de la société Nokia consistant à démontrer abstraitement qu'un repository peut être modifié, en particulier la date d'une soumission, ne démontre qu'une possibilité théorique et non qu'une telle modification a été réalisée, ici par [M] [I], qui a conservé seul l'administration du repository et dont il n'est même pas exposé quel intérêt il aurait eu à procéder à une telle modification de la date de la soumission litigieuse. Les sociétés Oppo font ainsi valoir que l'approche de la société Nokia ne correspond en rien au standard de preuve du droit français relatif à la date certaine d'une antériorité. 23. Les sociétés Oppo soutiennent encore que, de la même manière, la société Nokia ne démontre aucunement que le repository n'aurait pas été accessible entre le 3 et le 6 janvier 2004, cette dernière se bornant à invoquer des difficultés rencontrées en 2008 notamment, pour en déduire que de semblables difficultés auraient pu se produire pendant la période litigieuse, sans aucunement le démontrer, ce qui, une fois encore, n'est selon elles pas possible au regard du droit français. 24. Les sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp., Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) soulignent enfin que la société Nokia Technologies ne conteste pas le fait que l'antériorité "wpa_supplicant" divulgue l'ensemble des caractéristiques des revendications 6 et 14 opposées. 25. La société Nokia Technologies conclut au rejet du moyen de nullité du brevet EP'731 fondé sur le document "wpa_supplicant", dont elle soutient qu'il ne saurait faire partie de l'art antérieur sauf à admettre que des tiers, surveillant les dépôts de brevets de leurs concurrents, puissent, à partir de ces dépôts, créer de toute pièce de l'art antérieur. Elle ajoute que c'est précisément pour cette raison que le tribunal de Mannheim a refusé de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Bundespatentgericht saisi de ce document en énonçant que "le tribunal ne peut se convaincre avec le degré de probabilité requis que la version du code source "wpa_supplicant" a été publiée avant la date de priorité". La société Nokia ajoute qu'au demeurant la doctrine et la jurisprudence (Cass. Com., 6 juin 2001, pourvoi no98-17.194) françaises sont univoques sur ce point et considèrent qu'un doute sur le contenu ou la date de l'antériorité ne peut que conduire à l'écarter, celle-ci ne pouvant être regardée comme certaine, et qu'il en va de même s'agissant de son accessibilité. 26. A cet égard, la société Nokia Technologies souligne que "wpa_supplicant" est une soumission versée à un "repository" dont elles démontrent par un rapport d'expertise que la date et le contenu sont altérables a posteriori par des manipulations simples, sous cvs comme sous git, tandis que la conversion du fichier initial cvs a de la même manière pu altérer la soumission d'origine lors du transfert du "repository" sous git ce qui exclut selon elle de plus fort de pouvoir considérer ce document comme une antériorité certaine dans sa date et son contenu selon les standards du droit français, différents indique-t'elle des standards de l'OEB, qui ne sont de toutes façons pas atteints ici. 27. La société Nokia Technologies soutient ainsi que l'OEB exige que les preuves électroniques soient stockées avec des données décrivant le processus ayant conduit à la création de la donnée (métadonnées) et qui en garantissent l'intégrité (contenu, date et accessibilité). Or, un logiciel de gestion de version n'a aucunement pour fonction de garantir la date et le contenu des contenus qu'il reçoit, mais simplement d'automatiser l'ajout des versions tout en facilitant le travail des différents développeurs. Ses horodatages peuvent être modifiés et la conversion opérée en 2007 introduit des incertitudes supplémentaires sur l'intégrité de ce fichier. 28. La société Nokia Technologies soutient encore que, même en admettant que la soumission litigieuse a bien pour date le 3 janvier 2004, il n'est pas démontré que le "repository" était accessible au public entre cette date et le 6 janvier 2004, date du dépôt, insistant sur la brièveté du délai. Elle indique à cet égard verser aux débats des échanges entre les contributeurs démontrant les problèmes d'accessibilité rencontrés, tandis que l'outil "Wayback Machine" ne démontre aucunement que la soumission litigieuse était accessible au public entre le 3 et le 6 janvier 2004 sous la forme aujourd'hui invoquée. 29. La société Nokia Technologies précise enfin qu'il ne peut lui être demandé de rapporter la preuve impossible d'une atteinte à l'intégrité de la soumission qui lui est opposée. Appréciation du tribunal 30. Selon l'article L. 614-12, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle, la nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l'un quelconque des motifs visés à l'article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich. Aux termes de l'article 138 (1) de la Convention, le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un État contractant, que si : a) l'objet du brevet européen n'est pas brevetable en vertu des articles 52 à 57 (...). 31. Il résulte des articles 52 (1) et 54 de la Convention, que les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle ; une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique ; l'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet européen par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen. 32. Il est à cet égard constamment jugé que, si une invention a été divulguée au public elle entre alors dans l'état de la technique, une seule personne pouvant constituer le public, dès lors que cette personne n'était pas tenue au secret. 33. Il est également constamment jugé que l'élément de l'art antérieur n'est destructeur de nouveauté que s'il renferme, dans une même antériorité au caractère certain, tous les moyens techniques essentiels de l'invention dans la même forme, le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique, de sorte que la nouveauté d'une invention ne peut être ruinée que par une antériorité de toutes pièces qui implique une identité d'éléments, de forme, d'agencement, de fonctionnement et de résultat technique. (Cass. Com., 6 juin 2001, pourvoi no 98-17.194 ; Cass. Com., 27 mars 2019, pourvoi no17-23.136 ; Cass. Com., 17 mai 2023, pourvoi no19-25.509) Une caractéristique ou un résultat peuvent toutefois être implicitement divulgués pourvu qu'ils soient nécessaires et inévitables (voir par exemple Cour d'appel de Paris, 27 octobre 2010, RG no 09/08135, Johnson & Johnson Medical Ltd ea). 34. Les sociétés défenderesses invoquent en l'occurrence à titre d'antériorité de toutes pièces la contribution du 3 janvier 2004 de M. [M] [I] au projet collaboratif "wpa_supplicant" (qui signifie littéralement "Amélioration de l'accès protégé au réseau non filaire"). 35. Il s'agit d'un programme informatique développé par M. [M] [I] et différents contributeurs entre 2001 et 2008 aux fins d'apporter des compléments à la norme IEEE 802.11. Le projet "wpa_supplicant" propose ainsi, notamment, des exemples de fichiers de configuration dont l'objet est d'adapter ou personnaliser le programme informatique permettant le fonctionnement des communications sans fil selon la norme (pièces Oppo no3 et 10). Le programme et les fichiers de configuration sont téléchargeables sur un ordinateur, autrement dit un appareil comprenant une mémoire, pouvant être connecté à un réseau sans fil. 36. La soumission du 3 janvier 2004 invoquée par les sociétés défenderesses a pour titre "Added AP scanning support for APs that use multiple SSID" (soit en français "Ajout de l'analyse des points d'accès pour les points d'accès qui utilisent plusieurs SSID"). 37. Le document intitulé "Example wpa_supplicant configuration file", qui peut être téléchargé avec le 8ème fichier de cette soumission du 3 janvier 2004 (+++ b/wpa_supplicant/wpa_supplicant.conf ), prévoit que "Chaque réseau (généralement des points d'accès partageant le même SSID) est configuré en tant que bloc séparé dans ce fichier de configuration. Les blocs de réseau sont en ordre de préférence (la première correspondance est utilisée). champs du bloc réseau ssid : SSID (obligatoire) ; soit sous forme de chaîne ASCII avec guillemets doubles, soit sous forme de chaîne hexadécimale ; nom du réseau scan_ssid : 0 = ne pas analyser ce SSID avec des Messages d'Interrogation spécifiques (par défaut) 1 = analyser avec des Messages d'Interrogation spécifiques au SSID (cela peut être utilisé pour trouver des points d'accès qui n'acceptent pas de diffusion de SSID ou utilisent plusieurs SSIDs ; cela ajoutera de la latence au scanning, à n'utiliser que lorsque c'est nécessaire)" (Ci-dessous un extrait de ce fichier rédigé en langue anglaise : pièce Oppo no11) 38. Ce document enseigne en outre un exemple dans lequel seul le réseau dénommé "second ssid" (sur les 3 réseaux de l'exemple : "simple", "second ssid" et "example") fera l'objet d'un message d'interrogation spécifique car la valeur du champ "scan_ssid" est égale à 1 : (ci-dessous extrait de la pièce Oppo no11) 39. Force est donc de constater que cette soumission divulgue, explicitement, ou implicitement de manière nécessaire et inévitable, tous les enseignements des revendications 6 et 14 du brevet EP'731. 40. Ce document divulgue en effet l'établissement, au sein d'un terminal, ici un ordinateur, doté d'une mémoire et capable de se connecter à un réseau sans fil, d'une liste d'identifiants de réseaux SSID préférés (dans l'exemple de la soumission les identifiants de réseaux préférés sont "simple", "second ssid" et "example"), associés à un marqueur (ici le chiffre "1" qui n'est associé qu'au réseau "second ssid"), indiquant qu'un message d'interrogation spécifique doit être envoyé par le terminal à ce seul réseau ("ssid specific probe request") lequel est alors interrogé. 41. Au demeurant, la société Nokia ne conteste pas spécialement que cette contribution antériorise l'invention. 42. Elle conteste en revanche avec force le fait que cette contribution puisse être considérée comme une antériorité ayant date certaine et qu'elle puisse être considérée comme ayant été accessible au public entre le 3 janvier 2004 et la date de priorité, soit le 6 janvier 2004. 43. Pourtant, ainsi qu'il a été vu, "wpa_supplicant", développé à l'origine dans un cadre plus large dénommé "HostAP", est un projet ouvert et collaboratif ayant donné lieu à de très nombreuses soumissions entre 2001 (début du projet "HostAP") et 2008 (pièce Oppo no8). Ce projet comprend en effet une liste de discussion (http://lists.infradead.org/mailman/listinfo/hostap, et une adresse [Courriel 6] ), un dépôt ou "repository", organisé par un logiciel de gestion de version (cvs puis git), visible par les différents contributeurs et accessible à l'adresse <https://hostap.epitest.fi>, tandis que les modifications peuvent être proposées au créateur/administrateur de "HostAP" et "wpa_supplicant" (M. [M] [I]) à l'adresse <[Courriel 7]> (pièce Oppo no3 qui précise à la fin : "Any comments, reports on success/failure, ideas for further improvement, feature requests, etc. are welcome at [Courriel 7]. Please note, that I often receive more email than I have time to answer. Unfortunately, some messages may not get a reply, but I'll try to go through my mail whenever time permits. Host AP mailing list can also be used for topics related to wpa_supplicant. Since this list has a broader audience, your likelihood of getting responses is higher. This list is recommended for general questions about wpa_supplicant and its development. In addition, I will send release notes to it whenever a new version is available." soit en français : "Tous les commentaires, rapports sur le succès / échec, idées d'amélioration, demandes de fonctionnalités, etc. sont les bienvenus à [Courriel 7] . Veuillez noter que je reçois souvent plus de courriels que je n'ai le temps de répondre. Malheureusement, certains messages peuvent ne pas recevoir de réponse, mais j'essaierai de parcourir mon courrier chaque fois que le temps le permettra. La liste de diffusion Host AP peut également être utilisée pour des sujets liés à wpa_supplicant. Étant donné que cette liste a un public plus large, vos chances d'obtenir des réponses sont plus élevées. Cette liste est recommandée pour les questions générales sur wpa_supplicant et son développement. De plus, je lui enverrai des notes de version chaque fois qu'une nouvelle version sera disponible."). 44. L'absence totale de confidentialité du projet "wpa_supplicant" est ainsi amplement établie. L'accessibilité et, partant, l'activité sur le site hébergeant le "repository" est au demeurant confirmée par un constat réalisé par un huissier de justice (pièce Oppo no17) sur le site "Internet Archive Wayback Machine" ayant mesuré l'activité sur le site hébergeant le "repository" à l'adresse http://hostap.epitest.fi/cvs.html le 3 décembre 2003. Il résulte également de cette pièce que les messages adressés à la liste sont conservés, classés par mois (annexe no16 à la pièce no17 : "The Hostap archive"), de sorte que l'accessibilité, de même que l'éventuelle inaccessibilité au "repository" entre le 3 et le 6 janvier 2004, est aisément vérifiable. Force est à cet égard de constater qu'aucun des emails échangés entre le 3 et le 6 janvier 2004 ne mentionne un problème d'accessibilité au serveur hébergeant le "repository" au cours de la période considérée (pièce Oppo no27). 45. En outre, ainsi qu'il a été vu, le dépôt propose un historique des contributions (pièce Oppo no8) qui permet de constater que la contribution en cause a été mise en ligne le 3 janvier 2004 (avec 3 autres contributions). La contribution précédente est du 31 décembre 2003 et les suivantes du 9 janvier 2004. Cet historique révèle l'existence d'autres contributeurs tels que [C] [T] (le 16 décembre 2003) ou encore [J] [N] (les 23 et 25 décembre 2003) dont les noms sont mentionnés comme intitulés de soumissions. 46. Il est surtout relevé que M. [M] [I] n'est en lien avec aucune des parties ; il ne peut donc être a priori suspecté d'avoir agi pour le compte des sociétés défenderesses qui invoquent aujourd'hui ses travaux, ni pour nuire à la société demanderesse . 47. M. [M] [I] peut d'autant moins être suspecté d'être à l'origine d'une rectification a posteriori pour faire correspondre ses travaux à la demande de brevet US, que celle-ci n'a été portée à la connaissance des tiers que le 7 juillet 2005, tandis que le caractère public et la nécessaire cohérence du "repository" rendent peu crédible une modification de la date réelle de la soumission après le 7 juillet 2005. 48. La société Nokia soutient pourtant qu'il était aisé pour M. [M] [I] de modifier la date de sa contribution (de sorte qu'elle soit antérieure au dépôt de la demande provisoire américaine) et/ou que des défaillances techniques ont pu rendre le site hébergeant le "repository" inaccessible, ainsi que l'ont retenu les juges allemands (pièce Nokia noD20). 49. Le landgericht de Mannheim a en effet retenu qu'il ne pouvait être exclu que [M] [I] ait corrigé après le 5 janvier 2004 la soumission du 3 janvier 2004 (sous-entendu pour la faire correspondre au brevet), de même qu'il était possible qu'une panne de serveur ait eu lieu du 3 au 5 janvier 2004 (même si cela n'est pas documenté). Force est de constater que de tels motifs sont, au regard du droit français, hypothétiques, ce qui équivaut à une absence de motifs ; ils voueraient la présente décision à une infirmation certaine conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile (Cass. Civ. 1ère, 3 juin 1998, pourvoi no96-12.618 ; Cass. Soc., 5 avril 2011, pourvoi no10-21.449) et ne peuvent donc être reproduits ici. 50. Enfin, l'argument de la société Nokia, selon lequel admettre ici que "wpa_supplicant" est une antériorité dont le contenu a une date certaine, reviendrait à admettre qu'il est possible de constituer des antériorités de toutes pièces a posteriori, est ici un argument d'opportunité et non un moyen de droit étayé par des éléments de fait (même simplement circonstanciels) appropriés. Il est également relevé qu'il n'apparaît pas davantage admissible de conférer un monopole à un opérateur économique portant sur une solution technique apportée par des tiers par leurs propres moyens et accessible sur Internet avant le dépôt d'une demande de brevet. 51. La soumission du 3 janvier 2004 au projet "wpa_supplicant" doit donc être regardée comme une antériorité de toute pièce au caractère certain et à ce titre destructrice de la nouveauté de la partie française du brevet EP'731 dont les revendications opposées 6 et 14 ne peuvent qu'être annulées. b - Sur les conséquences 52. L'annulation du brevet EP'731 rend sans objet les demandes fondées sur la contrefaçon de ce titre par les sociétés défenderesses, lesquelles ne peuvent qu'être rejetées (demandes d'interdiction, de rappel des circuits commerciaux, en paiement d'une provision de 2 millions d'euros, de communiquer tous éléments relatifs à l'étendue et la destination de la contrefaçon, de publication du présent jugement). 53. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société Nokia sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer aux sociétés défenderesses la somme de 50.000 euros chacune par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile (soit la somme de 200.000 euros au total). 54. Aucune circonstance ne justifiant qu'il en soit disposé autrement, il sera rappelé que la présente décision est exécutoire de plein droit conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile, sauf en ce qui concerne son inscription au RNB conformément aux dispositions des articles L.613-27 et R.613-54 du code de la propriété intellectuelle. PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL, PRONONCE la nullité des revendications 6 et 14 de la partie française du brevet EP 1 704 731 de la société Nokia Technologies Oy ; ORDONNE la transmission de la présente décision, une fois passée en force de chose jugée, au directeur de l'INPI aux fins d'inscription au registre national des brevets, à l'initiative de la partie la plus diligente ; DÉBOUTE la société Nokia Technologies Oy de l'ensemble des demandes formées à l'encontre des sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp., Ltd, Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd sur le fondement de la contrefaçon de ce brevet ; CONDAMNE la société Nokia Technologies Oy aux dépens et autorise Maître Stanislas Roux-Vaillard, à recouvrer directement ceux dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ; CONDAMNE la société Nokia Technologies Oy à payer aux sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp., Ltd, Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology (Shenzhen) Co., Ltd, la somme de 50.000 euros chacune (soit 200.000 euros au total) par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision sauf en ce qui concerne son inscription au RNB. Fait et jugé à Paris le 06 juillet 2023. LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000047878974
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 11 mai 2023, 21/03433
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2023-05-11
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/03433
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 21/03433 No Portalis 352J-W-B7F-CT55V No MINUTE : Assignation du :17 février 2021 JUGEMENT rendu le 11 mai 2023 DEMANDERESSE S.A. AXA[Adresse 1][Localité 3] représentée par Me Philippe MARTINI-BERTHON de la SELARL MARCHAIS & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0280 DÉFENDERESSE S.A.S.U. AXAMED[Adresse 2][Localité 4] représentée par Me Muriel ANTOINE LALANCE de la SELARL AL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1831 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière DEBATS A l'audience du 17 janvier 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 30 mars 2023.Le délibéré a été prorogé en dernie lieu au 11 mai 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE : 1. La société "Mutuelle de l'assurance contre l'incendie", fondée en 1816, a adopté en 1985 la dénomination sociale Axa. Elle est notamment titulaire des marques suivantes: - la marque verbale française "AXA" no1 270 658 enregistrée le 10 janvier 1984 pour désigner notamment les services d' "assurances" en classe 36 ; - la marque semi-figurative française "AXA" no4 555 424 enregistrée le 21 juin 2019 pour désigner notamment les services d' "assurances" en classe 36 : - la marque verbale de l'Union Européenne "AXA ASSISTANCE" no001 224 294 enregistrée le 31 juillet 2000 pour désigner notamment les services d' "assurances, finances, services d'assistance dans le cadre de contrats d'assurance " en classe 36. 2. La société AXAMED, fondée en 2020, a pour objet social déclaré le commerce de tous produits ou services se rapportant, directement ou indirectement, aux produits pharmaceutiques, au service médical et au bien-être, qu'elle exerce sous le nom commercial Laboratoires Axamed. 3. Son président, M. [T] [E] a réservé les noms de domaines <www.axamed-lab.com> et <www.axamed-lab.fr> et déposé la marque verbale française "LABORATOIRES AXAMED" no4 651 320, le 27 mai 2020, pour désigner différents produits et services en classes 3, 5, 9, 10 et 35, ainsi que les marques semi-figuratives françaises "LABORATOIRES AXAMED" no4 651 329 et no4 651 325, déposée le 27 mai 2020 en classes 3, 5, 9, 10 et 35, déposées le 27 mai 2020, pour désigner différents produits et services en classes 3, 5, 9, 10 et 35 : 4. A la suite de l'opposition à ces enregistrements formée par la société Axa, M. [E] a procédé au retrait total des demandes de marques françaises no4 651 320, no4 651 329 et no4 651 325 le 18 août 2020. 5. Par un acte d'huissier de justice du 17 février 2021, la société Axa a fait assigner la société Axamed devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de marques et concurrence déloyale. 6. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 11 avril 2022, la société Axa demande au tribunal de : - DEBOUTER la société Axamed de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles, tendant au prononcé de la nullité de la marque Axa no4 555 424 et à la déchéance de la marque Axa no00 1 224 294 pour non-usage ; - RECEVOIR l'intégralité des moyens et prétentions de la société Axa ; À titre principal, - CONSTATER l'atteinte causée aux droits dont la société Axa est titulaire sur les marques antérieures Axa no1 270 658, Axa no4 555 424 et Axa no00 1 224 294 en raison des actes de contrefaçon commis par la société Axamed du fait de l'immatriculation de la dénomination sociale Axamed, d'une part, et des réservation et enregistrement des noms de domaine <axa-lab.fr> et <axa-lab.com>, d'autre part, et leurs usages subséquents; - CONSTATER l'atteinte causée aux droits dont la société Axa est titulaire sur les noms de domaine antérieurs <axa.fr> et <axa.com> ainsi que sur sa dénomination sociale "Axa" antérieure en raison des actes de concurrence déloyale et parasitaire commis par la société Axamed du fait de l'immatriculation de la dénomination sociale Axamed, d'une part, et des réservation et enregistrement des noms de domaine <axa-lab.fr> et <axa-lab.com>, d'autre part, et leurs usages subséquents ; À titre subsidiaire, - CONSTATER l'atteinte causée aux droits dont la société Axa est titulaire sur les marques antérieures renommées Axa no1 270 658, Axa no4 555 424 et Axa no00 1 224 294 par les réservation et enregistrement des noms de domaine <axa-lab.fr> et <axa-lab.com> réalisés par la société Axamed ainsi que l'immatriculation de la dénomination sociale Axamed et son exploitation subséquente ; En conséquence, - ORDONNER la radiation des noms de domaine <axamed-lab.fr> et <axamed-lab.com> et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard constaté, dix jours après la signification du jugement à intervenir ; - ORDONNER la communication de sa décision à l'unité d'enregistrement concernée, par la partie la plus diligente, aux fins de son inscription sur son registre, système et base de données ; - ORDONNER la modification de la dénomination sociale de la société Axamed afin qu'il ne soit plus porté d'atteinte aux droits antérieurs de la société Axa et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard constaté, un mois après la signification du jugement à intervenir ; - SE RESERVER la liquidation des astreintes prononcées ; - CONDAMNER la société Axamed à verser à la société Axa la somme forfaitaire de 5.000 euros en réparation de son préjudice résultant des actes de contrefaçon commis; - CONDAMNER la société Axamed à verser à la société Axa la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et parasitaire commis ; - ORDONNER l'exécution provisoire du jugement de droit à intervenir en toutes ses dispositions et ce nonobstant appel et sans constitution de garantie ; - CONDAMNER la société Axamed à payer à la société Axa la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; - CONDAMNER la société Axamed aux entiers dépens dont distraction faite au profit de la Selarl Marchais & Associés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile. 7. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 13 mai 2022, la société Axamed demande au tribunal de : - DIRE la société Axamed recevable et fondée en ses conclusions, fins et moyens. Y faisant droit, - PRONONCER la nullité de la marque française Axa no4555424 pour l'ensemble des services visés au dépôt, à tout le moins pour les services visés en classes 39 et 44, - PRONONCER la déchéance des droits de la société Axa sur la marque de l'Union Européenne Axa no 001224294 en ce qu'elle vise les " services d'assistance financière à savoir remboursement de frais médicaux et de santé " en classe 36 ; - ORDONNER la transmission du jugement à intervenir à l'INPI et à l'EUIPO en vue de sa transcription sur les registres nationaux et européens des marques et dire que la transcription pourra être effectuée sur présentation d'une copie exécutoire, - DIRE la société Axa irrecevable, à tout le moins mal fondée en ses demandes principales tant au titre du titre du droit des marques que de la concurrence déloyale et du parasitisme, - DIRE la société Axa irrecevable, à tout le moins mal fondée en ses demandes subsidiaires au titre de la prétendue atteinte à la marque de renommée Axa, - DIRE la société Axa irrecevable, à tout le moins mal fondée en ses demandes subsidiaires au titre de la prétendue atteinte à la marque de renommée Axa, - DIRE qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire, - DEBOUTER en conséquence la société Axa de toutes ses demandes à toutes fins qu'elles comportent, En toute hypothèse, - CONDAMNER la société Axa à payer à la société Axamed la somme de 15 000 euros à chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile. - CONDAMNER la société Axa aux entiers dépens de la procédure dont distraction au profit de la Selarl AL Avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. 8. L'instruction de l'affaire a été close par une ordonnance du 17 mai 2022. MOTIFS DE LA DÉCISION 1o) Sur la validité des marques opposées, contestée en défense Moyens des parties 9. La société Axamed soutient que la marque "Axa" no4555424 n'a été déposée par la demanderesse qu'aux fins de s'épargner la charge de la preuve de l'usage de ce signe, ce qui résulte selon elle de ce que ce dépôt suit de quelques années de nombreux dépôts précédents, et en particulier le dépôt de la marque "Axa" no4206248 du 31 août 2015, qui vise les mêmes services des classes 39 et 44 que ceux aujourd'hui opposés. 10. La société Axamed soutient encore que la marque "Axa assistance" no001224294 déposée le 18 juin 1999 doit être déclarée déchue en ce qu'elle vise en classe 36 les services d'assistance financière à savoir remboursement de frais médicaux et de santé. Elle ajoute que les pièces versées aux débats par la société Axa, soit ne se rapportent pas à l'usage du signe semi-figuratif "Axa assistance", soit ne concernent pas les services d' "assistance financière à savoir remboursement de frais médicaux et de santé" mais les services distincts de rapatriement, transfert et téléconsultation, soit ne comportent aucune date. 11. La société Axa soutient pour sa part avoir procédé aux différents dépôts afin de prendre en compte l'évolution (forme et produits et services visés) des différents signes qu'elle utilise et en aucun cas dans le but de prolonger artificiellement des dépôts précédents. Elle précise que le signe "Axa" no4555424 est distinct dans sa représentation graphique des marques no098760580 ("Axa conseil"), no4 276398 ("Axa/"), no1472008 (dépôt en noir et banc) et no099783489 ("Axa Assistance"). La société Axa ajoute que la marque française "Axa" no4555424 ne désigne pas les mêmes services que la marque "Axa" no 4206248, laquelle ne désigne en classe 39 que les services de fourniture de produits pharmaceutiques à domicile pour les personnes. 12. La société Axa soutient enfin qu'elle démontre l'usage de la marque verbale de l'Union européenne "Axa assistance", sous des formes légèrement différentes de celle du dépôt, mais n'en ayant pas altéré la distinctivité, pour les services d'assistance de santé (remboursement de frais médicaux) 5 années avant le 6 septembre 2021, date de la demande reconventionnelle en déchéance. Appréciation du tribunal 13. Il résulte de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle que "ne peuvent être valablement enregistrés et, s'ils sont enregistrés, sont susceptibles d'être déclaré nuls : (...) 11o Une marque dont le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur." Ces dispositions, bien qu'issues de l'ordonnance no2019-1169 du 13 novembre 2019, correspondent à l'état du droit en vigueur à cette date et applicable ici compte tenu de la date du dépôt dont la nullité est contestée : Cass. Com., 25 avril 2006, pourvoi no 04-15.641. 14. Interprétant les dispositions comparables du règlement sur la marque de l'Union européenne, le tribunal de l'Union européenne admet en outre la nullité d'une marque dont le dépôt n'a été fait qu'aux fins, pour le déposant, de s'épargner la charge de la preuve de l'usage de la marque (TUE, 21 avril 2021, aff. T-663/19, Hasbro, Inc., contre EUIPO : "71 En effet, dans les circonstances particulières de l'espèce, le dépôt réitéré effectué par la requérante visait notamment, de son propre aveu, à ne pas avoir à prouver l'usage de la marque contestée, prolongeant par conséquent, pour les marques antérieures, le délai de grâce de cinq ans prévu à l'article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009. 72 Partant, force est de constater que non seulement la stratégie de dépôt pratiquée par la requérante, visant à contourner la règle relative à la preuve de l'usage, n'est pas conforme aux objectifs poursuivis par le règlement no 207/2009, mais elle n'est pas sans rappeler la figure de l'abus de droit, qui est caractérisée par le fait que, premièrement, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation de l'Union, l'objectif poursuivi par celle-ci n'est pas atteint et que, deuxièmement, il existe une volonté d'obtenir un avantage résultant de ladite réglementation en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention.(voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2005, Eichsfelder Schlachtbetrieb, C-515/03, EU:C:2005:491, point 39 et jurisprudence citée)." 15. Le tribunal a rappelé au point 54 de sa décision que "la ratio legis de l'exigence selon laquelle une marque doit avoir fait l'objet d'un usage sérieux pour être protégée au titre du droit de l'Union réside dans le fait que l'inscription d'une marque de l'Union européenne au registre de l'EUIPO ne saurait être assimilée à un dépôt stratégique et statique conférant à un détenteur inactif un monopole légal d'une durée indéterminée. Au contraire, ledit registre devrait refléter fidèlement les indications que les entreprises utilisent effectivement sur le marché pour distinguer leurs produits et services dans la vie économique [voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2015, Deutsche Rockwool Mineralwoll/OHMI, T-215/13, point 20 et jurisprudence citée]."16. Force est en l'occurrence de constater que l'ensemble des dépôts antérieurs invoqués correspondent à des signes graphiquement et/ou phonétiquement différents de la marque semi-figurative française "Axa" no4555424 : (cf ci-desssous le tableau issu des conclusions de la société Axa, page 12) 17. Il est également relevé que l'enregistrement no4555424 désigne 3 classes de services supplémentaires, par rapport à la marque no4206248 à laquelle le compare la société défenderesse, tandis qu'en classe 39, les enregistrements ne désignent pas les mêmes services. 18. Il s'en déduit que le dépôt de la marque "Axa" no4555424 ne peut être regardé comme ayant eu pour seul objet de prolonger artificiellenent, et partant, de mauvaise foi, les enregistrements visés ci-dessus, qui ne sont en aucun cas "statiques", ce d'autant moins que la société Axa n'a jamais revendiqué une telle pratique. Aucune mauvaise foi n'est donc établie ici. 19. Selon l'article 18 du Règlement no 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne, "1. Si, dans un délai de cinq ans à compter de l'enregistrement, la marque de l'Union européenne n'a pas fait l'objet par le titulaire d'un usage sérieux dans l'Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, la marque de l'Union européenne est soumise aux sanctions prévues au présent règlement, sauf juste motif pour le non-usage. Constituent également un usage au sens du premier alinéa : a) l'usage de la marque de l'Union européenne sous une forme qui diffère par des éléments n'altérant pas le caractère distinctif de la marque dans la forme sous laquelle elle a été enregistrée, que la marque soit ou non aussi enregistrée sous la forme utilisée au nom du titulaire; (...)". Selon l'article 58 du même règlement, "1. Le titulaire de la marque de l'Union européenne est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l'Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon : a) si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n'a pas fait l'objet d'un usage sérieux dans l'Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, et qu'il n'existe pas de justes motifs pour le non-usage; toutefois, nul ne peut faire valoir que le titulaire est déchu de ses droits si, entre l'expiration de cette période et la présentation de la demande ou de la demande reconventionnelle, la marque a fait l'objet d'un commencement ou d'une reprise d'usage sérieux; cependant, le commencement ou la reprise d'usage fait dans un délai de trois mois avant la présentation de la demande ou de la demande reconventionnelle, ce délai commençant à courir au plus tôt à l'expiration de la période ininterrompue de cinq ans de non-usage, n'est pas pris en considération lorsque des préparatifs pour le commencement ou la reprise de l'usage interviennent seulement après que le titulaire a appris que la demande ou la demande reconventionnelle pourrait être présentée; (...)" 20. La date à prendre en compte pour déterminer si la période ininterrompue de cinq ans figurant à cette disposition est arrivée à son terme est celle de l'introduction de cette demande. (CJUE, 17 décembre 2020, aff. C-607/19,Husqvarna AB contre Lidl Digital International GmbH & Co. KG) 21. En l'occurrence, la société Axa verse aux débats en pièces 32 à 50 des articles de presse, des classements, les conditions générales de différents contrats, ainsi que des documents publicitaires, qui démontrent l'usage, entre 2016 et 2021, du signe "Axa assistance", sous sa forme purement verbale, ainsi que sous une forme semi-figurative n'en altérant pas le caractère distinctif, pour désigner des services d'assistance financière à savoir remboursement (ou encore couverture ou prise en charge) de frais médicaux à ses assurés. 22. La demande de déchéance de la la marque "Axa assistance" no001224294 est donc rejetée. 2o) Sur la contrefaçon des marques "Axa" et "Axa assistance" Moyens des parties 23. La société Axa soutient que les usages de la dénomination sociale et des noms de domaine "Axamed" sont indiscutablement perçus par le public pertinent comme une indication d'origine des produits et constituent par conséquent des usages à titre de marque. Elle ajoute que l'élément AXA est l'élément principal et distinctif du signe Axamed et que les signes Axa et Axamed sont fortement similaires, tandis que les services de remboursement de frais médicaux visés par la marque Axa Assistance sont selon elle similaires aux produits pharmaceutiques commercialisés par la société Axamed. La société Axa en déduit que le risque de confusion est établi, ce d'autant plus que la marque Axa jouit d'une renommée mondiale. 24. Subsidiairement, la société Axa invoque une atteinte à la renommée de ses marques et l'existence d'un risque de lien entre les marques Axa et Axamed dans l'esprit du public pertinent, la société Axamed tirant ainsi indûment profit du caractère distinctif de la marque "Axa". 25. La société Axamed soutient quant à elle en substance qu'elle ne fait pas usage du signe "Axamed" à titre de marque pour désigner l'origine de produits ou de services, mais uniquement à titre de dénomination sociale ou de nom de domaine. Elle ajoute qu'en tout état de cause les produits et services que désignent les signes en litige sont totalement différents, tandis que les signes sont eux mêmes différents, de sorte qu'il ne peut exister aucun risque de confusion. 26. Elle conteste de la même manière toute atteinte à la renommée de marques "Axa", contestant d'abord la démonstration de la renommée même des marques françaises et européennes "Axa", ainsi que tout risque de lien par le public pertinent entre les signes "Axa" et "Axamed". Appréciation du tribunal 27. Selon l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle "Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services : (...) 2o D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque." 28. Selon l'article 9 du règlement "1. L'enregistrement d'une marque de l'Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif. 2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque : (...) b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque;" 29. Interprétant les dispositions en susbtance identiques au Règlement de l'article 5 § 1 de la première Directive du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques, dont les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle réalisent la transposition en droit interne, la Cour de Justice de l'Union européenne a dit pour doit que, constitue un risque de confusion au sens de ce texte, le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d'entreprises liées économiquement (CJCE, 29 septembre 1998, Canon, aff. C-39/97, point 29 ; CJCE, 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik, aff. C-342/97). Selon cette même jurisprudence, l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce (CJCE, 11 novembre 1997, Sabel, aff. C-251/95, point 22), en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants.30. Afin d'apprécier le degré de similitude existant entre les marques concernées, la juridiction nationale doit déterminer leur degré de similitude visuelle, auditive et conceptuelle et, le cas échéant, évaluer l'importance qu'il convient d'attacher à ces différents éléments, en tenant compte de la catégorie de produits ou services en cause et des conditions dans lesquelles ils sont commercialisés (voir arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97 ). 31. Il est également rappelé que la Cour de justice a dit pour droit que l'usage, par un tiers qui n'y a pas été autorisé, d'une dénomination sociale, d'un nom commercial ou d'une enseigne identique à une marque antérieure, dans le cadre d'une activité de commercialisation de produits identiques à ceux pour lesquels cette marque a été enregistrée, constitue un usage que le titulaire de ladite marque est habilité à interdire conformément à l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, s'il s'agit d'un usage pour des produits qui porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque. (CJCE, 11 septembre 2007, aff. C-17/06, Céline SARL contre Céline SA). 32. Il en est ainsi lorsque le signe est utilisé par le tiers pour ses produits ou ses services de telle manière que les consommateurs sont susceptibles de l'interpréter comme désignant la provenance des produits ou des services en cause. En effet, en pareil cas, l'usage dudit signe est susceptible de mettre en péril la fonction essentielle de la marque, car, pour que la marque puisse jouer son rôle d'élément essentiel du système de concurrence non faussé que le traité CE entend établir et maintenir, elle doit constituer la garantie que tous les produits ou services qu'elle désigne ont été fabriqués ou fournis sous le contrôle d'une entreprise unique à laquelle peut être attribuée la responsabilité de leur qualité (arrêt Céline point 27 ; voir également CJCE, 12 novembre 2002, Arsenal Football Club, C-206/01, point 48 et jurisprudence citée, ainsi que points 56 à 59 ; voir encore CJUE, 25 juillet 2018, Mitsubishi, C-219/17, point 34, et jurisprudence citée). 33. Il s'en déduit, de la même manière que le seul dépôt d'une marque ne caractérise pas un usage dans la vie des affaires (Cass. Com., 13 octobre 2021, no19-20.504), que le seul fait d'immatriculer une société sous une certaine dénomination n'est pas, en soi, un usage de cette dénomination dans le but de distinguer des produits ou services, et il n'est donc pas à lui seul susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque : il s'agit d'un acte dont l'effet est strictement juridique, qui ne caractérise pas en soi l'existence d'une activité. 34. Par ailleurs, pour apprécier la similitude entre des produits ou des services, il y a lieu de tenir compte de tous les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport entre ces produits ou ces services ; ces facteurs incluent, en particulier, leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire (CJCE, 29 septembre 1998, Canon, C-39/97, point 23). D'autres facteurs peuvent également être pris en compte, tels que les canaux de distribution des produits concernés (par exemple, CJUE, 21 janvier 2016, Hesse / OHMI, Porsche (Carrera), C-50/15, point 21). Parmi les facteurs pertinents, le caractère complémentaire des produits ou services est un critère autonome, susceptible de fonder, à lui seul, l'existence d'une similitude (CJUE, 21 janvier 2016, Hesse / OHMI, Porsche (Carrera), C-50/15, point 21). Pour appliquer ce critère, le Tribunal de l'Union européenne a développé une jurisprudence selon laquelle les produits ou les services complémentaires sont ceux entre lesquels existe un lien étroit, en ce sens que l'un est indispensable ou important pour l'usage de l'autre, de sorte que les consommateurs peuvent penser que la responsabilité de la fabrication de ces produits ou de la fourniture de ces services incombe à la même entreprise (TPICE, 1er mars 2005, Sergio Rossi, T-169/03, points 60 à 67, absence de complémentarité des sacs et des chaussures ; pour une application récente, TUE, 22 septembre 2021, Sociedade da agua de Monchique, T-195/20, points 46 et s., absence de complémentarité entre les produits alcooliques et l'eau). 35. En outre, aux termes de l'article L.713-3 du code de la propriété intellectuelle, "est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, d'un signe identique ou similaire à la marque jouissant d'une renommée et utilisé pour des produits ou des services identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, si cet usage du signe, sans juste motif, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, ou leur porte préjudice." De la même manière, il résulte de l'article 9 du Règlement 2017/1001 que le titulaire d'une marque de l'Union européenne est "habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque : (...) c) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans l'Union et que l'usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l'Union européenne ou leur porte préjudice." 36. Il est enfin rappelé qu'une marque est considérée comme renommée lorsqu'elle est connue d'une partie significative du public pertinent et qu'elle exerce un pouvoir d'attraction propre, indépendant du produit ou du service qu'elle identifie, étant précisé que le public pertinent est celui concerné par la marque (CJCE, 14 septembre 1999, C-375/97, General Motors, points 24 et 26). Pour apprécier la renommée, sont notamment - mais pas exclusivement - pris en compte l'ancienneté de la marque, son succès commercial, l'importance du budget publicitaire consacré, l'étendue géographique et la durée de son usage, son référencement dans la presse ou encore l'existence de sondages (CJCE, 14 septembre 1999, C-375/97, General Motors, point 27 ; TUE, 10 mai 2007, T-47/06, Antartica c/OHMI et the Nasdaq Stock Market, points 46 et 52). 37. Afin de caractériser l'atteinte à la renommée d'une marque, il importe que le public concerné établisse un lien entre le signe et la marque, sans qu'il soit nécessaire d'établir l'existence d'un risque de confusion, l'intensité de la renommée de la marque pouvant être prise en compte pour apprécier l'existence d'un tel lien (CJCE, 23 octobre 2003, C-408-01, Adidas-Salomon AG et Adidas Benelux BV c/ Fitnessworld Trading ; CJUE, 27 novembre 2008, C-252-07, Intel Corporation c/ CPM United Kingdom, point 53). Enfin, ce lien établi entre le signe litigieux et la marque doit porter préjudice au caractère distinctif de cette marque, ce qui suppose que le comportement économique du consommateur moyen ait été modifié par l'usage du signe. 38. Il résulte en l'occurrence des pièces produites aux débats que la société Axamed fait usage de ce signe, non comme une simple raison sociale, mais comme un nom commercial permettant au public d'identifier cette société ainsi que son activité. Le signe Laboratoires Axamed (dans lequel le terme Axamed est de taille significativement plus importante et le signe Laboratoires apparaît descriptif de l'activité) figure ainsi par exemple en haut à gauche des différentes pages du site internet, accessible par le nom de domaine <www.axamed-lab.fr>. Le signe est également utilisé comme marque ombrelle des produits offerts à la vente sur ce site internet (pièce no2 de la société défenderesse elle-même). Le signe figuratif Axamed est ainsi indiscutablement utilisé dans la vie des affaires pour désigner l'origine de produits et services et précisément comme provenant de la défenderesse. 39. Force est en revanche de constater que les produits de soins et d'auto-diagnostic commercialisés par la société Axamed sous le signe litigieux n'apparaissent pas complémentaires des services d'assurance et en particulier des services d'assistance financière et de remboursement de frais médicaux visés à l'enregistrement de la marque opposée "Axa assistance" no001224294. En effet, ainsi qu'il a été vu, il ne suffit pas que les consommateurs considèrent un produit comme le complément ou l'accessoire d'un autre pour qu'ils puissent penser que ces produits ont la même origine commerciale. Il faut encore, pour cela, que les consommateurs considèrent comme habituel que ces produits soient commercialisés sous la même marque. Tel n'est pas le cas ici, les fabricants de produits de soin étant en principe (voire systématiquement) distincts des fournisseurs de services de remboursement de ces mêmes produits. 40. Aussi, en raison de l'absence de complémentarité des produits et services, tout risque de confusion apparaît exclu ici, ainsi que le soutient à juste titre la société Axamed. 41. Le tribunal relève cependant que les marques "Axa" sont intensément exploitées par un groupe de taille mondiale, présent dans 30 pays, employant 128.000 salariés et comptant 88.000 distributeurs exclusifs dans le monde, ayant généré en 2009 90 milliards d'euros de chiffre d'affaires (pièce Axa no55). Le groupe a également consacré 250 millions d'euros à sa publicité en 2018 (article Les Echos, pièce Axa no58), développé des partenariats avec des sportifs de renommée internationale (pièce Axa no59). Il en résulte que la marque Axa a été classée parmi les marques les plus connues au monde en 2018 et 2019 (pièces Axa no 15, 16 et 60). La société Axa établit ainsi amplement la renommée de ses marques, en particulier les marques françaises "Axa" no1270658 et 4555424. 42. En outre, si la ressemblance entre les marques et les signes "Axamed" ou "Laboratoires Axamed" est moyenne, voire faible, cette faible similitude est ici compensée par la particulière renommée des marques "Axa" et leur forte distinctivité acquise par l'usage intensif qui en a été fait. Aussi, en dépit de l'absence de complémentarité des produits concernés, il existe un risque évident que les signes "Axamed" ou "Laboratoires Axamed" évoquent, auprès des consommateurs, les marques "Axa", ce terme n'ayant aucune signification particulière en langue française. Il en résulte l'existence d'une atteinte à la renommée des marques Axa no1270658 et 4555424 (l'usage du signe "Axa" empruntant à la renommée des marques leur association immédiate à un groupe de taille mondiale très performant), ainsi qu'à leur caractère distinctif (un tel usage du terme "Axa" dilue la distinctivité des marques de la société demanderesse portant ainsi atteinte à ses importants investissements publicitaires), tandis qu'aucun juste motif n'est expressément invoqué par la société Axamed. 43. La contrefaçon par l'atteinte portée à la renommée des marques "Axa" par l'usage des signes litigieux étant établie (article L. 716-4 du code de la propriété intellectuelle), elle justifie les mesures d'interdiction et de radiation sollicitées, en application des articles L. 716-4-6 deuxième alinéa du code de la propriété intellectuelle et L. 45-2, 2o du code des postes et des communications électroniques, lesquelles seront prononcées selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision. 44. Conformément aux dispositions de l'article L. 716-4-10 deuxième alinéa, il est également fait droit à la demande d'indemnisation forfaitaire du préjudice subi par la société Axa à hauteur de 5.000 euros. 45. Les demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire aux fins de réparer l'atteinte à la dénomination sociale de la demanderesse ainsi qu'aux noms de domaine <www.axa.fr> et <www.axa.com> qu'elle exploite, ne visent aucun fait imputable à la société défenderesse distinct de la contrefaçon déjà retenue par atteinte à la renommée de ses marques. Ces demandes ne peuvent donc qu'être rejetées. 46. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société Axamed sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la société Axa la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. 47. Aucune circonstance ne justifiant d'en décider autrement, il est rappelé que la présente décision est assortie de l'exécution provisoire.PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL, REJETTE les demandes de la société Axamed tendant au prononcé de la nullité de la marque "Axa" no4 555 424 et à la déchéance de la marque "Axa" no00 1 224 294 pour non-usage ; DIT qu'en faisant usage du signe "Axamed", la société Axamed a commis des actes de contrefaçon par atteinte à la renommée des marques "Axa" no1270658 et 4555424 dont est titulaire la société Axa ; FAIT EN CONSÉQUENCE DÉFENSE à la société Axamed de faire usage, sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, du signe "Axamed" ou "Laboratoires Axamed" et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à exécuter la présente décision, courant à l'expiration d'un délai de 60 jours suivant la signification de la présente décision et pendant 180 jours; ORDONNE à la société Axamed de procéder à la radiation des noms de domaine <www.axamed-lab.fr> et <www.axamed-lab.com> , en justifiant auprès de la société Axa de l'effectivité de ses démarches auprès des personnes concernées, et ce dans un délai de 30 jours à compter de la signification du présent jugement ; AUTORISE la société Axa, à défaut de radiation effective de ces noms de domaine dans un délai de 60 jours suivant la signification du présent jugement, à le notifier à l'AFNIC ou toute autre unité d'enregistrement compétente, aux fins d'y procéder aux lieu et place de la société Axamed ; CONDAMNE la société Axamed à payer à la société Axa la somme forfaitaire de 5.000 euros en réparation de son préjudice résultant des actes de contrefaçon de marques commis; REJETTE les demandes de la société Axa fondées sur des actes de concurrence déloyale et parasitaire; CONDAMNE la société Axamed aux dépens et autorise la Selarl Marchais & Associés à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ; CONDAMNE la société Axamed à payer à la société Axa la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; RAPPELLE que le présent jugement est de plein droit assorti de l'exécution provisoire. Fait et jugé à Paris le 11 mai 2023. LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000047878975
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 11 mai 2023, 22/14248
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2023-05-11
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Tribunal judiciaire de Paris
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22/14248
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 22/14248 No Portalis 352J-W-B7G-CYJLH No MINUTE : Assignation du :21 novembre 2022 JUGEMENT rendu le 11 mai 2023 DEMANDERESSE Société ROLLS-ROYCE MOTOR CARS LIMITED [Adresse 4] [Localité 2] HAMPSHIRE (ROYAUME-UNI) représentée par Me Rebecca DELOREY de la SELAS BARDEHLE PAGENBERG, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0390 DÉFENDERESSE S.A.S.U EBHD[Adresse 1][Localité 3] Défaillante COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation DEBATS A l'audience du 27 février 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 11 mai 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeRéputé contradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE : 1. La société de droit anglais Rolls-Royce Motor Cars Limited (ci-après " la société RRMC ") a pour activité la conception, la fabrication et la vente de véhicules automobiles de luxe. Elle est titulaire de la marque semi-figurative de l'Union européenne "RR" no003381605, déposée le 2 octobre 2003 et enregistrée le 21 avril 2005 pour désigner les " Automobiles et leurs pièces " en classe 12: 2. La société EBHD exploite un fonds de commerce de bar à chicha situé [Adresse 1] à [Localité 3]. 3. Par deux lettres recommandées en date des 17 mai et 28 juin 2022, la société RRMC a mis en demeure la société EBHD de cesser toute utilisation de la marque "RR", exposant avoir constaté son usage par cette société EBHD sur son enseigne, ses comptes Instagram et Facebook, et en tant que nom commercial et à titre de nom de domaine <www.rr-chicha-lounge-club.business.site>. 4. C'est dans ce contexte et après avoir fait constater les faits par un huissier les 29 septembre et 6 octobre 2022, que la société RRMC a, par acte d'huissier du 21 novembre 2022, fait assigner la société EBHD devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de la marque renommée "RR". 5. Bien que régulièrement citée par remise de l'acte d'huissier à étude, la signification à personne s'étant avérée impossible du fait de la fermeture de l'établissement au moment du passage de l'huissier, la société EBHD n'a pas constitué avocat. 6. Aux termes de son assignation, la société RRMC demande au tribunal de : - Ordonner à la société EBHD de cesser l'usage de tout signe reproduisant ou imitant la marque renommée de l'Union européenne no 003381605, à quelque titre que ce soit, et notamment à titre de nom commercial ou d'enseigne, sur quelque support que ce soit, notamment sur les réseaux sociaux et sur la devanture de l'établissement physique qu'elle exploite, et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ; - Ordonner à la société EBHD de procéder à la modification de son nom commercial et de son enseigne auprès du registre de commerce et des sociétés sous astreinte de 500 euros par infraction constatée par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ; - Ordonner à la société EBHD de procéder à la suppression du nom de domaine <rr-chicha-lounge-club.business.site>, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ; - Condamner la société EBHD à lui payer la somme totale de 120.000 euros, à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des actes de contrefaçon comme suit : o 50.000 euros au titre de son préjudice commercial, sauf à parfaire ; o 50.000 euros au titre de l'atteinte à la valeur patrimoniale de sa marque ; o 20.000 euros au titre de son préjudice moral ; - Ordonner la publication du jugement à intervenir, in extenso ou par extraits, dans cinq journaux ou magazines, pendant une durée maximum de six mois, aux frais exclusifs et avancés de la société EBHD, dans la limite de 5.000 euros HT par insertion ; - Dire que les astreintes ainsi prononcées seront liquidées, s'il y a lieu, par la chambre du tribunal Judiciaire qui aura prononcé le jugement à intervenir, - Condamner la société EBHD à lui payer une indemnité de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; - Condamner la société EBHD aux dépens. 7. L'instruction a été close par une ordonnance du 10 janvier 2023, et l'affaire plaidée à l'audience du 27 février 2023. MOTIFS DE LA DÉCISION 8. Il est rappelé qu'en vertu de l'article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée. Moyens de la demanderesse 9. La société RRMC soutient que la marque de l'Union européenne no 003381605 est une marque semi-figurative qui est renommée au sens de l'article 9.2 c) du règlement sur les marques de l'union européenne. Elle fait valoir que le monogramme composé de deux R entrelacés est exploité depuis 1906, qu'il est apposé de manière très visible sur les véhicules qui sont commercialisés depuis plus de cent ans sous cette marque dans le monde au travers d'un réseau de distribution sélective. Elle expose que la marque bénéficie d'une forte connaissance auprès des consommateurs de l'Union européenne en raison de l'ancienneté et de l'intensité de son exploitation et de son utilisation pour désigner une large gamme de produits et d'accessoires connexes, des partenariats, ainsi qu'une vaste quantité de contenu numérique. Elle ajoute qu'elle est également présente dans les médias. 10. Elle soutient que le public pertinent, qu'elle définit comme étant constitué des consommateurs de l'Union européenne, amateurs de voitures de luxe, ainsi que de professionnels ayant des connaissances particulières dans le secteur automobile, effectuera nécessairement un lien entre les signes utilisés par la société EBHD et sa marque compte tenu de la similarité visuelle et phonétique des signes. Elle souligne que la marque n'est pas exploitée que pour des automobiles et leurs pièces mais également pour des articles pour fumeurs ainsi que des objets pour la consommation d'alcool. Elle fait valoir que la marque a un caractère distinctif intrinsèque et a acquis un caractère distinctif du fait de son usage constant et continu et de sa renommée auprès du grand public, notamment de l'Union européenne, sur le marché des véhicules automobiles de luxe. 11. Elle fait valoir qu'en reproduisant de manière quasi-identique le signe verbal RR ainsi que le signe figuratif composé du monogramme avec deux R, emblématique de Rolls-Royce, en tant que nom commercial et enseigne, sur les réseaux sociaux et dans le nom de domaine de son site internet, la société EBHD a tenté de créer une association avec sa marque afin de bénéficier de son pouvoir d'attraction, de sa réputation et de son prestige et tire indûment profit de la renommée et du fort pouvoir d'attractivité de la marque. Elle fait valoir que le public pertinent peut supposer qu'il existe un lien entre le bar à chicha de la société EBHD et la marque Rolls Royce, ce qui vient selon elle ternir l'image de luxe, de prestige et d'exclusivité de la marque. Elle conclut que la société EBHD a commis des actes de contrefaçon de sa marque. Appréciation du tribunal 12. L'article 9 § 2 c) du Règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne dispose que : "2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque : [?] c) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans l'Union et que l'usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l'Union européenne ou leur porte préjudice. 3. Il peut notamment être interdit, en vertu du paragraphe 2: a) d'apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement; b) d'offrir les produits, de les mettre sur le marché ou de les détenir à ces fins sous le signe, ou d'offrir ou de fournir des services sous le signe; c) d'importer ou d'exporter les produits sous le signe; (...). ". 13. L'article L.717-1 du code de la propriété intellectuelle précise que constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur la violation des interdictions prévues aux articles 9, 10, 13 et 15 du règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne. 14. La notion de renommée au sens du règlement suppose, au sein du public pertinent, un certain degré de connaissance qui doit être considéré comme atteint lorsque la marque est connue d'une partie significative du public concerné par les produits ou services couverts par cette marque. Dans l'examen de cette condition, le juge doit prendre en considération tous les éléments pertinents de la cause, à savoir, notamment, la part de marché détenue par la marque, l'intensité, l'étendue géographique et la durée de son usage, ainsi que l'importance des investissements réalisés par l'entreprise pour la promouvoir (CJCE, 6 octobre 2009, PAGO International, C-301/07, points 21 à 25). 15. Les atteintes, lorsqu'elles se produisent, sont la conséquence d'un certain degré de similitude entre le signe et la marque antérieure et postérieure en raison duquel le public concerné effectue un rapprochement entre les deux marques, c'est-à-dire établit un lien entre celles-ci, alors même qu'il ne les confond pas (CJCE, du 14 septembre 1999, General Motors, C-375/97, Rec. p.I-5421, point 23). L'existence d'un tel lien doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, parmi lesquels le degré de similitude entre les marques en conflit, la nature des produits ou des services pour lesquels les marques en conflit sont respectivement enregistrées, y compris le degré de proximité ou de dissemblance de ces produits ou services ainsi que le public concerné, l'intensité de la renommée de la marque antérieure, le degré de caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l'usage, de la marque antérieure, l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public (CJCE, 27 novembre 2008, Intel, C-252/07, point 42). 16. L'existence d'un lien est une condition nécessaire mais non suffisante pour conclure à l'existence d'une atteinte. Doit également être démontré soit un préjudice porté au caractère distinctif de la marque (dilution, brouillage), soit un préjudice porté à la renommée de la marque (ternissement, dégradation), soit un profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque (CJCE, 27 novembre 2008, Intel, C-252/07, points 26 à 28 ; CJCE, 18 juin 2009 L'Oréal C-487/07, points 34 à 42). 17. Il convient de relever que si la fonction première d'une marque consiste en une fonction d'indication d'origine, une marque agit également comme moyen de transmission d'autres messages concernant, notamment, les qualités ou les caractéristiques particulières des produits ou des services qu'elle désigne, ou les images et les sensations qu'elle projette, tels que le luxe, le style de vie, l'exclusivité, l'aventure, la jeunesse. En ce sens, la marque possède une valeur économique intrinsèque autonome et distincte par rapport à celle des produits ou des services pour lesquels elle est enregistrée. Les messages en question que véhicule notamment une marque renommée ou qui lui sont associés confèrent à celle-ci une valeur importante et digne de protection, et ce d'autant plus que, dans la plupart des cas, la renommée d'une marque est le résultat d'efforts et d'investissements considérables de son titulaire. (TUE, 25 janvier 2012, T-332/10, point 57). Sur la renommée de la marque de l'Union européenne no003381605 18. La société demanderesse établit par la production de photographies (sa pièce no12) l'usage de la marque par son apposition de manière très visible sur l'extérieur avant des voitures, les jantes, ainsi qu'à l'intérieur sur le volant. La marque est également exploitée sur le site internet de la société RRMC accessible par le nom de domaine <www.rolls-roycemotorcars.com>. 19. Il ressort par ailleurs des pièces produites (pièces no2, 3 et 15 de la demanderesse) que l'entreprise Rolls Royce a été fondée au début du XXe siècle au Royaume Uni par Henry Royce et Charles Rolls qui se sont associés pour développer une activité de fabrication et commercialisation de voitures de luxe, dont les premières seront exposées sous le nom Rolls Royce dès 1904, ainsi que la fabrication de moteurs d'avion et de navires. Bien que le dépôt de la marque soit relativement récent, le monogramme composé de deux R majuscules entrelacés correspondant aux initiales des fondateurs est utilisé intensément depuis 1906 avec un graphisme qui a peu évolué dans le temps, utilisant successivement les couleurs rouge, noire et bleue. Il apparaît ainsi que le monogramme des deux R enlacés est associé au nom Rolls Royce depuis la fondation de l'entreprise. 20. La société RRMC verse par ailleurs aux débats une liste de concessionnaires agréés qui établit l'exploitation de la marque dans divers pays de l'Union européenne dont l'Allemagne, la République tchèque, la Belgique, les Pays Bas mais également aux Etats Unis, en Russie, à Dubaï ou en Chine. 21. Il est également établi que les véhicules Rolls-Royce sont référencés dans la presse (pièces no15 et 26), ont été utilisés et apparaissent dans des films dont certains très célèbres (pièce no23), ont fait l'objet, pour le véhicule baptisé " Phantom Oribe " d'un partenariat avec la marque de luxe Hermès (pièce no17) et que la société a développé des programmes lui donnant une présence dans le monde de l'art par le soutien d'artistes et la collaboration avec des musées de renom (pièce no19). 22. La société RRMC dispose en outre de nombreux abonnés sur les réseaux sociaux (8,9 millions d'abonnés pour sa page Instagram, 4,9 millions d'abonnés pour sa page Facebook, 1 million pour sa page Twitter et 419 000 abonnés pour son compte You Tube). Bien que la marque objet du présent litige n'apparaisse pas au premier plan sur ces pages, la société RRMC ayant choisi de mettre en avant le logo présentant de manière stylisée la mascotte de la société (" esprit d'extase "), ces comptes participent au développement de sa renommée du fait de l'association du monogramme composé des deux R entrelacés au nom Rolls-Royce. 23. Il apparaît par ailleurs qu'en 2021, la société RRMC a enregistré son meilleur chiffre de vente depuis 117 ans avec une hausse de 49 % par rapport à l'année 2020 (pièces no24 à 26). 24. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, par l'usage ancien et intensif et des investissements promotionnels importants, la marque jouit d'une renommée certaine au sein de l'Union européenne et en particulier auprès du public français, laquelle s'étend au-delà du public concerné par les produits pour lesquels la marque a été enregistrée, lui permettant d'invoquer la protection définie à l'article 9 du règlement précité. Sur l'atteinte à la renommée de la marque 25. Il existe une forte similitude entre le logo utilisé par la société EBHD pour l'enseigne de son bar à chicha et sur ses pages Instagram et Facebook, tel qu'il ressort des constats d'huissier versés aux débats, et la marque. En effet, le logo utilisé par la société EBHD est un monogramme composé de deux R entrelacés. Les différences tenant à la couleur de la police employée et au fond sont compensées par la forte similitude de la typographie (voir le tableau ci-dessous). Signe utilisé par EBHD Marque de la société RRMC 26. Il n'existe pas en revanche d'identité ou de similarité entre les produits désignés par la marque de la société RRMC et les services exploités avec le logo RR par la société EBHD : la société RRMC exploite sous sa marque une activité de vente de voitures de luxe et de pièces détachées, tandis que la société EBHD utilise le signe allégué de contrefaçon pour des services de restauration sous forme de bar à chicha. 27. Le public concerné par les produits pour lesquels la marque a été enregistrée, composé d'amateurs de véhicules de luxe ; il se distingue en conséquence du public concerné par les services de bar à chicha proposés par la société EBHD, constitué de consommateurs de chicha. 28. Le fait que la société RRMC propose à la vente sous sa marque des articles pour fumeurs et consommateurs d'alcool ne permet pas de conclure à un chevauchement des publics concernés dans la mesure où il s'agit manifestement d'une activité accessoire et que lesdits produits ne sont pas compris dans la classification pour laquelle la marque a été enregistrée. 29. Ceci étant, la société RRMC, qui établit que sa marque a acquis une renommée qui s'étend au-delà du public concerné par les produits pour lesquels elle a été enregistrée, démontre que le public concerné par les services proposés par la société EBHD fera un lien entre le logo constitué du logo du double RR entrelacé qu'elle utilise, avec la marque de la société RRMC. L'usage de ce logo par la société EBHD vise pour elle à bénéficier de l'image de luxe, de prestige et d'exclusivité associée à la marque. Il en découle un préjudice porté à la renommée de la marque ainsi qu'un préjudice porté à son caractère distinctif. 30. Il résulte de ce qui précède qu'en faisant usage sans juste motif d'un logo similaire à la marque de l'Union européenne no003381605 de la société RRMC à titre d'enseigne de son bar à chicha et sur ses pages Facebook et Instagram, la société EBHD a porté atteinte à la renommée de la marque. 31. En revanche, il n'existe pas d'atteinte du fait de l'utilisation par la société EBHD des lettres "RR" à titre de nom commercial, et dans son nom de domaine, à défaut de lien pouvant être établi par le public pertinent du fait de l'absence de renommée comme de caractère distinctif du signe purement verbal (R non entrelacés) "RR".Sur les mesures réparatrices 45. L'article 130 du Règlement (UE) no 2017/1001 dispose que : "1. Lorsqu'un tribunal des marques de l'Union européenne constate que le défendeur a contrefait ou menacé de contrefaire une marque de l'Union européenne, il rend, sauf s'il y a des raisons particulières de ne pas agir de la sorte, une ordonnance lui interdisant de poursuivre les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon. Il prend également, conformément au droit national, les mesures propres à garantir le respect de cette interdiction. 2. Le tribunal des marques de l'Union européenne peut également prendre les mesures pour rendre les ordonnances prévues par le droit applicable qui lui semblent appropriées dans les circonstances de l'espèce." 32. Aux termes de l'article L. 716-4-10 alinéa 1 du code de propriété intellectuelle, "Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement : 1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ; 2o Le préjudice moral causé à cette dernière ; 3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon. Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. " 33. Ces dispositions, issues de la transposition de la directive no 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (considérant 26 et article 13) prévoient que soient considérés distinctement, et non pas cumulativement, les différents chefs de préjudice pour permettre "un dédommagement fondé sur une base objective" et l'allocation à la victime de la contrefaçon de "dommages et intérêts adaptés au préjudice que celle-ci a réellement subi du fait de l'atteinte", conformément au principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime du préjudice. 34. L'utilisation du signe litigieux par la société EBHD à titre d'enseigne apposée sur son établissement et sur ses sites Facebook et Instagram a causé à la société RRMC, propriétaire de la marque renommée, un préjudice certain résultant de la banalisation et de la dilution de la valeur et de la disctinctivité de sa marque. Ce préjudice apparaît cependant restreint au regard de l'exploitation de son établissement limitée à la ville de [Localité 3], tandis que les premières constatations des faits litigieux datent du mois de mai 2022. L'atteinte à la renommée, et partant à la valeur patrimoniale de la marque, sera en conséquence indemnisée à hauteur de 6.000 euros. Il n'est en revanche justifié d'aucun préjudice commercial, non plus que d'aucun préjudice moral. 35. Il sera fait droit aux mesures d'interdiction selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision, à l'exclusion des demandes d'interdiction de l'usage du signe verbal RR. Ces mesures réparant suffisamment le préjudice subi, la demande de publication de la présente décision sera rejetée. 36. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société EBHD supportera les dépens et sera condamnée à payer à la société RRMC la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 37. Il est rappelé qu'en application de l'article 514 du code de procédure civile, l'exécution provisoire est de droit et aucun motif ne commande de l'écarter au cas présent. PAR CES MOTIFS LE TRIBUNAL, DIT qu'en utilisant le logo constitué de deux "R" entrelacés, similaire à la marque renommé de l'Union européenne no 003381605, à titre d'enseigne de son bar à chicha et sur ses pages Facebook et Instagram, la société EBHD a porté atteinte à la renommée de cette marque ; FAIT INTERDICTION à la société EBHD d'utiliser tout signe reproduisant ou imitant la marque de l'Union européenne no 003381605 sur quelque support que ce soit, notamment sur les réseaux sociaux et sur la devanture de l'établissement qu'elle exploite, et ce sous astreinte de 250 euros par jour de retard prenant effet à l'expiration d'un délai de 30 jours suivant la signification de la présente décision et pendant 180 jours ; REJETTE la demande de la société Rolls-Royce Motor Cars aux fins d'ordonner sous astreinte à la société EBHD de procéder à la modification de son nom commercial auprès du Registre de commerce et des sociétés et de procéder à la suppression du nom de domaine <www.rr-chicha-lounge-club.business.site> ; CONDAMNE la société EBHD à payer à la société Rolls-Royce Motor Cars Limited la somme de 6.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte à la renommée de la marque de l'Union européenne no 003381605 ; REJETTE la demande de publication de la présente décision ; CONDAMNE la société EBHD aux dépens ; CONDAMNE la société EBHD à payer à la société Rolls-Royce Motor Cars Limited la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; RAPPELLE que la présente décision est exécuoire. Fait et jugé à Paris le 11 mai 2023. LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 11 mai 2023, 22/05895
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2023-05-11
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Tribunal judiciaire de Paris
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22/05895
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre1ère section No RG 22/05895 No Portalis 352J-W-B7G-CWUO3 No MINUTE : Assignation du :20 avril 2022 JUGEMENT rendu le 11 mai 2023 DEMANDERESSES S.A.S.U. GROUPE PLANET SUSHI[Adresse 4][Adresse 4] S.A.S. SUMAYA[Adresse 4][Adresse 4] S.A.S.U. P.S.D[Adresse 4][Adresse 4] représentées par Me Ingrid ZAFRANI de la SELARLU ZAFRANI AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1764 DÉFENDERESSES S.A.R.L. PLANET TACOS[Adresse 1][Adresse 1] Défaillante S.A.S.U. PLANET TACOS[Adresse 3][Localité 2] Défaillante S.A.S.U. PLANET TACOS[Adresse 5][Localité 2] Défaillante COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation. DEBATS A l'audience du 31 janvier 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 13 avril 2023.Le délibéré a été prorogé au 11 mai 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeRéputé contradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE : 1. La société Groupe Planet Sushi se présente comme spécialisée dans le secteur de la restauration japonaise et indique avoir développé un réseau de franchise en France et à l'étranger sous l'enseigne "Planet Sushi", qu'elle décrit comme reposant sur un savoir-faire et un concept de restauration comprenant une charte visuelle graphique et une architecture spécifique. La société Groupe Planet Sushi est titulaire du nom de domaine <www.planetsushi.fr>. 2. La société Sumaya (qui a le même associé unique que la société Groupe Planet Sushi) est titulaire des marques suivantes : - la marque verbale de l'Union Européenne "Planet Sushi" déposée le 7 mai 2013 et enregistrée sous le no 11798568, pour désigner les produits et services visés des classes 29, 30, 32, 33, 35, 39 et plus particulièrement en classe 43 les "services de restauration (alimentation) ; services de bars, café-restaurants, cafétérias, salons de thé, bistrots, cantines, services hôteliers ; restaurants libre-service ; restaurants à service rapide et permanent (snacks-bars) ; restauration (aliments et boissons y compris dégustation de plats et mets) ; restauration (aliments et boisson y compris dégustation de plats et mets à emporter) ; services de traiteurs (restauration) ; location de constructions transportables (chaises, tables, tentes), location de linge de table, de vaisselle et de verrerie, hébergement temporaire", - la marque semi-figurative française "Planet Sushi" déposée le 29 avril 2009 et enregistrée sous le no 3647461 pour désigner les mêmes produits et services : - la marque semi-figurative française "Planetsushi" déposée le 26 janvier 2018 et enregistrée sous le no 4423250 pour désigner les produits et services visés par les classes 29, 30, 32, 33, 35, 39 et notamment en classe 43 "les services de restauration ; services de restaurants avec possibilité de livraison à domicile ; services de restaurants vendant des repas à emporter ; préparation de nourriture japonaise pour la consommation immédiate ; restaurants libre-service ; préparation de repas, de plats cuisinés et/ou de plats à emporter ; services de traiteurs ; conseils (électronique ou non) en matière culinaire" : 3. La société P.S.D. est la gestionnaire du site internet "planetsushi.fr" et commercialise sur internet des produits Planet Sushi. 4. La Sarl Planet Tacos, enregistrée au RCS de Nice sous le no 822 399 713 et dont le siège social est situé au [Adresse 1] à [Localité 2], a déposé le 26 octobre 2017 par l'intermédiaire de son gérant M.. [F] [R], une marque française "Planet" sous le no 4399846 pour désigner des produits et services en classes 16, 29, 30, 32 et 43. 5. La Sasu Planet Tacos, enregistrée au RCS de Nice sous le no 824 577 241 et dont le siège social est situé au [Adresse 3] à [Localité 2], et la Sasu Planet Tacos, enregistrée au RCS de Nice sous le no 834 116 337 et dont le siège social est situé aux [Adresse 5] à [Localité 2], exercent une activité de restauration. 6. Les sociétés Groupe Planet Sushi, Sumaya et P.S.D., ci-après les sociétés du groupe Planet Sushi, indiquent avoir découvert que la SARL société Planet Tacos exerçait une activité de restauration rapide en utilisant un signe imitant selon elles la marque "Planet Sushi" et un logo de nature à créer un risque de confusion avec les sociétés du groupe Planet Sushi. 7. Aussi, par une lettre du 19 janvier 2018, les sociétés du groupe Planet Sushi, ont mis en demeure la SARL Planet Tacos de procéder au retrait de la demande de marque "Planet", de modifier la dénomination sociale des trois sociétés du réseau Planet Tacos, de cesser l'usage du signe "Planet Tacos" et de modifier la devanture de ses trois restaurants. 8. Sa demande de retrait de marque n'ayant été suivie d'aucun effet, la société Sumaya a formé opposition à la demande d'enregistrement de la marque "Planet" no 4399846 . Par décision du 27 juin 2018, le directeur de l'INPI a rejeté la demande d'enregistrement de la marque "Planet" pour désigner les produits et services visés par la marque antérieure "Planet Sushi". 9. Se plaignant de la poursuite de l'exploitation de leurs activités de restauration sous le signe"Planet" à titre de marque par les sociétés Planet Tacos, les sociétés du groupe Planet Sushi ont fait constater par un huissier de justice ces agissements en octobre 2020, puis les ont à nouveau mises en demeure de cesser ces usages du signe "Planet", en dernier lieu le 21 décembre 2021. 10. C'est en cet état que par acte d'huissier du 20 avril 2022, les sociétés Groupe Planet Sushi, Sumaya et P.S.D. ont fait assigner les sociétés Planet Tacos devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de marque et concurrence déloyale. 11. Aux termes des assignations signifiées les 14 et 20 avril 2022, les sociétés Groupe Planet Sushi, Sumaya et P.S.D. demandent au tribunal, aux visas du livre VII du code de la propriété intellectuelle, du règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union Européenne et de l'article 1240 du code civil, de : -Dire que les sociétés Planet Tacos se sont rendues coupables d'actes de contrefaçon de marque en imitant la marque française semi-figurative, enregistrée sous le numéro no 3647461 appartenant à la société Sumaya ; - Dire que les sociétés Planet Tacos se sont rendues coupables d'actes de contrefaçon de marque en imitant la marque verbale Planet Sushi de l'Union européenne enregistrée sous le no 11798568 appartenant à la société Sumaya ; - Dire que les sociétés Planet Tacos se sont rendues coupables d'actes de contrefaçon de marque en imitant la marque français semi-figurative, enregistrée sous le no 4423250 appartenant à la société Sumaya ; - Dire que les sociétés Planet Tacos se sont rendues coupables d'actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre des sociétés Groupe Planet Sushi et P.S.S ; En conséquence, - Condamner solidairement les sociétés Planet Tacos à verser à la société Sumaya une somme de 90.000 euros, à titre de dommages et intérêts pour contrefaçon de ses marques ; - Condamner solidairement les sociétés Planet Tacos à verser à la société Groupe Planet Sushi une somme de 572.280 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitaire ; - Condamner solidairement les sociétés Planet Tacos à verser à P.S.D une somme de 42.000 euros, à parfaire, à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitaire ; - Faire interdiction aux sociétés Planet Tacos de poursuivre l'utilisation du logo litigieux et critiqué, à quelque titre que ce soit, sur quelque support que ce soit, et sous quelque forme que ce soit, notamment à titre d'identifiant commerciale, d'enseigne numérique, à compter de la signification du présent jugement, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard ; - Faire interdiction aux sociétés Planets Tacos de poursuivre l'utilisation du signe Planet, à quelque titre que ce soit, sur quelque support que ce soit, et sous quelque forme que ce soit, notamment à tite de dénomination sociale, d'identifiant commercial, d'enseigne physique et numérique, de nom de domaine, à compter de la signfication du présent jugement, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard; -Ordonner la publication de l'intégralité du jugement à intervenir, en format page entière, dans 2 journaux et/ou magazines au choix des sociétés demanderesses et aux frais soliadaire des sociétés Planet Sushi ; - Ordonner à la société Planet Tacos (RECS 822 399 713) de publier, à ses frais avancés, le dispositif du jugement à intervenir sur la page d'accueil de son site internet accessible à http://www.planettacos.fr pendant une période de deux (2) mois à compter du huitième jour suivant la signification du jugement à intervenir, sous atreinte de 1000 euros par jour de retard passé ce délai, le Tribunal restant saisi pour statuer sur la liquidation de ladite asteinte et selon les modalités suivantes : la publication devra être effectuée à titre de publication sur la page d'accueil du site, de façon visible, sans mentione ajoutée, et en police de caractère Arial, de taille 14, droits, de couleur noire sur fond blanc dans un encadré de 468 x 210 pixels, en dehors de tout encart publicitaire, le texte devant être précédé du titre "COMMUNIQUE JUDICIAIRE", en lettres capitales et en police de caractères Arial de taille 16 ; - Condamner solidairement les sociétés Planet Tacos à payer aux sociétés demanderesses la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; - Dire n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la décision à intervenir ; - Condamner solidairement les sociétés Planet Tacos aux entiers dépens de la présente instance, y compris les frais de constat d'huissier. 12. A l'adresse de la SASU Planet Tacos ([Adresse 5] à [Localité 2]), l'huissier n'a pas trouvé le nom de la destinataire et malgré ses recherches n'a pu trouver sa nouvelle adresse et l'a, par acte du 20 avril 2022, citée conformément à l'article 659 du code de procédure civile. 13. A l'adresse de la SARL Planet Tacos ([Adresse 1] à [Localité 2]), l'huissier n'a pu trouver le nom de la destinataire de l'acte à l'adresse indiquée (et a constaté que l'enseigne à l'adresse indiquée étant "Made with love street"). Il a donc dressé le 20 avril 2022 un procès-verbal conformément à l'article 659 du code de procédure civile. 14. La SASU Planet Tacos ([Adresse 3] à [Localité 2]) a été citée par dépôt de l'acte à l'étude le 14 avril 2022 ( le nom de la destinataire de l'acte figurant sur l'enseigne). 15. Les sociétés Planet Tacos n'ont pas constitué avocat. 16. L'instruction de l'affaire a été close par une ordonnance du 21 juin 2022 et plaidée à l'audience du 31 janvier 2023. MOTIFS DE LA DÉCISION Moyens des sociétés demanderesses 17. Les sociétés du groupe Planet Sushi font valoir que le signe "Planet Tacos", par la reprise à l'identique du terme "Planet" (sans e), constitue une imitation de leur signe pour désigner des services similaires de restauration, de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit du public pertinent, ce d'autant que les sociétés Planet Tacos ont repris les codes couleurs du groupe Planet Sushi, en particulier le rose fushia (pantone process magenta), ainsi que leur charte graphique. Selon les demanderesses, leur clientèle ne peut qu'être convaincue de l'existence d'un partenariat avec les sociétés Planet Tacos qui n'existe pas. 18. Aussi, la société Sumaya, titulaire des marques, sollicite la réparation du préjudice causé par la contrefaçon sur le fondement du code de la propriété intelectuelle, tandis que les sociétés Groupe Planet Sushi et PSD, qui exploitent les marques, sollicitent la réparation de leur préjudice sur le fondement du droit commun. Appréciation du tribunal 19. Selon l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle "Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services : (...) 2o D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque." 20. De la même manière, selon l'article 9.2 "Droit conféré par la marque de l'Union européenne" du Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne, "2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque: (...) b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque;" 21. Interprétant les dispositions identiques (au règlement précité) de l'article 5 § 1 de la première Directive du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques (89/104/CEE), dont les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle réalisent la transposition en droit interne, la Cour de Justice de l'Union européenne a dit pour doit que, constitue un risque de confusion au sens de ce texte, le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d'entreprises liées économiquement (CJCE, 29 septembre 1998, Canon, aff. C-39/97, point 29 ; CJCE, 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik, aff. C-342/97). Selon cette même jurisprudence, l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce (CJCE, 11 novembre 1997, Sabel, aff. C-251/95, point 22), en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants. 22. Afin d'apprécier le degré de similitude existant entre les marques concernées, la juridiction nationale doit déterminer leur degré de similitude visuelle, auditive et conceptuelle et, le cas échéant, évaluer l'importance qu'il convient d'attacher à ces différents éléments, en tenant compte de la catégorie de produits ou services en cause et des conditions dans lesquelles ils sont commercialisés (voir arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97 ). 23. Les marques désignent notamment les services de restauration, traiteur, préparation de plats à emporter. Ces services sont identiques à ceux sous lesquels les signes en litige sont exploités, qui sont des retsaurants. 24. Au regard des services concernés, le public pertinent est constitué des consommateurs à la recherche de services de restauration de moyenne gamme. Son degré d'attention est moyen. 25. Les marques et les signes en litige ont en commun le terme anglais "Planet" dont le public français et européen comprend immédiatement le sens. Ce terme, fortement dominant dans l'ensemble des signes, est ensuite suivi d'un terme descriptif du tye de nourriture proposé par le restaurant concerné. La ressemblance visuelle et auditive entre les marques et les signes est donc moyenne. La ressemblance conceptuelle est en revanche élevée en raison de l'usage du signe "Planet" en première position et d'un type d'aliment descriptif d'un type de nourriture ensuite, renvoyant l'idée d'une mondialisation de ce type de nourriture.26. Eu égard à l'identité des services concernés et compte tenu de son degré moyen d'attention, le public pertinent est ici amené à croire que "Planet Tacos" est une déclinaison (dédiée aux tacos) de "Planet Sushi", ce d'autant plus ici que les signes semi-figuratifs sont imités (logo rond avec un tacos à l'intérieur reprenant le pantone "process magenta" d'une part et signe contitué des termes avec entre les mots "planet" et "tacos" un élément rond d'autre part). Le public pertinent est ainsi amené à croire, à tort, que les produits commercialisés sous les marques et les signes contrefaisants ont la même origine ou proviennent d'entreprises économiquement liées. Le risque de confusion est caractérisé. 27. La contrefaçon est donc établie. Elle justifie de faire droit aux demandes, tant de la titulaire des marques, que des sociétés du groupe qui les exploitent et qui à ce titre sont en droit de solliciter, sur le fondement du droit commun (article 1240 du code civil) la réparation du préjudice propre que leur ont causés les faits de contrefaçon (article L. 716-4-2 du code de la propriété intellectuelle). 28. Aux termes de l'article L. 716-4-10 alinéa 1 du code de propriété intellectuelle, "Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement : 1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ; 2o Le préjudice moral causé à cette dernière ; 3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon. Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. " 29. Ces dispositions, issues de la transposition de la directive no 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (considérant 26 et article 13) prévoient que soient considérés distinctement, et non pas cumulativement, les différents chefs de préjudice pour permettre "un dédommagement fondé sur une base objective" et l'allocation à la victime de la contrefaçon de "dommages et intérêts adaptés au préjudice que celle-ci a réellement subi du fait de l'atteinte", conformément au principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime du préjudice. 30. En l'occurrence, la société Sumaya a subi un incontestable préjudice d'atteinte à la valeur commerciale de ses marques qui sera réparé par l'allocation d'une somme de 15.000 euros à la charge des sociétés défenderesses, in solidum, ces dernières appartenant à un même réseau de franchise (pièce no12) et ayant ainsi toutes concurru à la réalisation d'un même dommage. 31. Il sera alloué aux sociétés Groupe Planet Sushi et PSD (qui exploitent les marques, l'une à travers les franchises, l'autre à travers le site internet), en réparation du préjudice propre que leur ont causé les actes de contrefaçon, la somme de 60.000 euros à titre de dommages-intérêts à la charge des sociétés défenderesses, sous la même solidarité imparfaite que précédemment, cette somme tenant compte de la durée des agissements contrefaisants et de leur persistance en dépit de plusieurs avertissements. 32. Il sera fait droit aux mesures d'interdiction selon les modalités prévues au dispositif de la présente décision. La demande de publication apparaît en revanche disproportionnée. Elle est rejetée. 33. Parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, les sociétés Planet Tacos seront condamnées in solidum aux dépens, ainsi qu'à payer aux sociétés demanderesses,sous la même solidarité, la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile (en ce compris les frais de constat qui n'ont pas la nature de dépens au sein desquels ils ne peuvent donc être inclus). 34. Il est rappelé que la présente décision, conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile, est assortie de l'exécution provisoire, aucune circonstance ne justifiant d'y déroger. PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL, CONDAMNE in solidum les sociétés Planet Tacos à payer à la société Sumaya la somme de 15.000 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la contrefaçon de ses marques française et de l'Union européenne "Planet Sushi" ; CONDAMNE in solidum les sociétés Planet Tacos à payer à la société Groupe Planet Sushi la somme de 55.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice propre causé par les actes de contrefaçon des marques qu'elle exploite ; CONDAMNE in solidum les sociétés Planet Tacos à payer à la société P.S.D la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice propre causé par les actes de conterfaçon des marques qu'elle exploite ; FAIT DÉFENSE aux sociétés Planet Tacos de poursuivre l'utilisation du signe "Planet Tacos", à quelque titre que ce soit, sur quelque support que ce soit, et sous quelque forme que ce soit, notamment à titre de dénomination sociale, d'identifiant commercial, d'enseigne, de nom de domaine, et ce, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, courant à l'expiration d'un délai de 30 jours suivant la signification de la présente décision et pendant 180 jours ; CONDAMNE in solidum les sociétés Planet Tacos à payer aux sociétés Sumaya, Groupe Planet Sushi et PSD la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile; CONDAMNE in solidum les sociétés Planet Tacos aux dépens ; RAPPELLE que la présente décision est, de plein droit, assortie de l'exécution provisoire. Fait et jugé à Paris le 11 mai 2023. LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000047878977
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Tribunal judiciaire de Paris, 25 mai 2023, 22/14118
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2023-05-25
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Tribunal judiciaire de Paris
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22/14118
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 22/14118 No Portalis 352J-W-B7G-CYMFF No MINUTE : Assignation du :24 novembre 2022 JUGEMENT rendu le 25 mai 2023 DEMANDERESSE Association QUALIFELEC (Association Professionnelle et Technique de Qualification des Entreprises du Génie Electrique, Energétique et Numérique)[Adresse 1][Localité 3] représentée par Me Charlotte ABATI de la SELARL AYRTON AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1289 DÉFENDEUR Monsieur [K] [B][Adresse 2][Localité 4] Défaillant COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière DEBATS En application de l'article L212-5-1 du code de l'organisation judiciaire, la procédure s'est déroulée sans audience.Avis a été donné à l'avocat que la décision serait rendue le 25 mai 2023 par mise à disposition au greffe. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeRéputé contradictoireEn premier ressort Exposé du litige 1. L'association Qualifelec (association professionnelle et technique de qualification des entreprises du génie électrique, énergétique et numérique), créée en 1955 sous l'impulsion des pouvoirs publics et de représentants de la filière électrique, a pour mission, notamment, la promotion de la qualité des prestations des professionnels de l'électricité par l'attribution, à la demande des entreprises de ce secteur, de qualifications "Qualifelec". L'association est accréditée par le Cofrac en tant qu'organisme de qualification et expose que sa mission est de permettre aux particuliers, aux maîtres d'oeuvre et aux bureaux d'études, de choisir en toute confiance le professionnel électricien compétent et adapté à leurs besoins pour sécuriser l'exécution de leurs travaux. 2. L'association est titulaire de la marque semi-figurative collective française "QE Qualifelec" no1609713, déposée le 13 février 1990 et régulièrement renouvelée pour désigner les produits et services des classes 9,11, 35, 37, 38 et 42 (et en particulier en classe 9 les appareils pour la recharge d'accumulateurs électriques pour véhicules) : 3. M. [K] [B] est entrepreneur individuel, inscrit au répertoire Sirene sous le no50035863500042 ; il exerce à [Localité 4] sous l'enseigne "Domotique rénovation" l'activité principale de "travaux d'installation électrique dans tous locaux" (pièce no9). Il propose en particulier des services d'installation de bornes de recharge de véhicules électriques (IRVE). 4. Une ordonnance de référé opposant ces deux parties a d'ores et déjà été rendue le 15 novembre 2022 faisant "interdiction à M. [K] [B] de faire usage dans la vie des affaires, de quelque manière que ce soit, pour identifier les services d'installations électriques qu'il propose et en particulier les services de pose d'infrastructures de recharge des véhicules électriques, de tout signe reproduisant ou imitant la marque semi-figurative collective française no1609713, sous astreinte de mille euros (1000 €) par infraction constatée, c'est à dire par usage du signe "QE Qualifelec", courant à l'expiration d'un délai de dix jours suivant la signification de la présente décision et pendant cent quatre-vingts jours". 5. Conformément aux dispositions de l'article L. 716-4-6 dernier alinéa du code de la propriété intellectuelle et par acte d'huissier du 24 novembre 2022, l'association Qualifelec a fait assigner M. [B] à l'audience du 14 mars 2023 devant ce tribunal en contrefaçon de sa marque. 6. Bien que régulièrement cité par dépôt de l'acte à l'étude de l'huissier, les vérifications confirmant le domicile du défendeur (présence du nom et de l'enseigne sur la boîte aux lettres et confirmation par le voisinage), M. [B] n'a pas comparu. A l'audience d'orientation du 14 mars 2023, en accord avec le conseil de l'association Qualifelec, il a été procédé conformément aux dispositions de l'article 778 dernier alinéa du code de procédure civile ; l'instruction a été close et, la demanderesse ayant déposé son dossier, a été informée que la décision serait rendue le 25 mai 2023 par les magistrats de la 3ème chambre / 1ère section. 7. Aux termes de son assignation, l'association Qualifelec demande au tribunal, au visa des articles L. 716-4, L. 716-4-6, L. 713-2 et L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle de : ? Constater que M. [B] a reproduit la marque collective nationale semi-figurative Qualifelec no1609713, propriété de l'association Qualifelec et a ainsi commis des actes de contrefaçon de marque dans les termes des articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 716-4 du code de la propriété intellectuelleEn conséquence : ? Condamner M. [B] à payer à l'association Qualifelec la somme de 30.000€ à titre de dommages intérêts. ? Interdire à M. [B] la poursuite des actes de contrefaçon sous astreinte de 1.000e par infraction constatée et sur tout support, après un délai de 3 jours à compter de la signification du jugement à intervenir. ? Ordonner la publication du jugement à intervenir, aux frais de M. [B], dans deux revues laissées au choix de Qualifelec. ? Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir. ? Condamner M. [B] à payer une somme de 3.000€ à l'association Qualifelex au titre de l'article 700 du code de la procédure civile, outre les entiers dépens de la procédure. MOTIFS 8. A titre liminaire, il est rappelé que selon l'article 472 du code de procédure civile, lorsque le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit à la demande que s'il l'estime régulière, recevable et bien fondée. 1) Sur la contrefaçon de marque Moyens de la demanderesse : 9. L'association Qualifelec fait valoir que M. [B] a procédé à une utilisation frauduleuse de sa marque semi-figurative collective, ce dernier ayant procédé à une reproduction servile de la marque sur au moins deux certificats transmis à des clients. Appréciation du tribunal : 10. Selon l'article L. 715-6 (auparavant L. 715-1) du code de la propriété intellectuelle, "Une marque collective est une marque ainsi désignée lors de son dépôt et propre à distinguer les produits ou les services des personnes autorisées à l'utiliser en vertu de son règlement d'usage." 11. L'article L. 715-7 du même code prévoit que "Peut déposer une marque collective toute association ou tout groupement doté de la personnalité morale représentant des fabricants, des producteurs, des prestataires de services ou des commerçants, ainsi que toute personne morale de droit public.Le dépôt d'une demande d'enregistrement de marque collective est accompagné d'un règlement d'usage. Toute modification ultérieure du règlement d'usage est portée à la connaissance de l'Institut national de la propriété industrielle." 12. En vertu de l'article L.713-2 du code de la propriété intellectuelle : "Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :1o D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;2o D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque." 13. L'expression « usage dans la vie des affaires », qui figure dans la disposition précitée, implique que les droits exclusifs conférés par une marque ne peuvent en principe être invoqués par le titulaire de cette marque que vis-à-vis des opérateurs économiques et, en conséquence, que dans le contexte d'une activité commerciale (CJUE, 12 juillet 2011, C-324/09, L'Oréal e.a., point 54 ; CJUE, 30 avril 2020, C-772/18, A c/ B, point 23). 14. Aux termes de l'article L.716-4 du même code, "l'atteinte portée au droit du titulaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits attachés à la marque la violation des interdictions prévues aux articles L.713-2 à L.713-3-3 et au deuxième alinéa de l'article L.713-4". 15. En l'espèce, l'association Qualifelec justifie ici de ses droits sur la marque collective française no1609713, par la production du certificat d'enregistrement de la marque délivré par l'INPI et ses déclarations de renouvellement effectuées les 8 octobre 2009 et 13 février 2020. Cette marque désigne de nombreux produits et services en rapport avec les travaux électriques du bâtiment et, en particulier, les services de construction, d'installation et de réparation d'appareils électriques. Sont également produites les "Règles de fonctionnement" relatives à la marque collective "QE Qualifelec". 16. Il est en outre constaté que M. [B] a transmis à au moins deux clients des faux certificats de qualification professionnelle (pièces Qualifelec no 5 et 12), reproduisant à l'identique la marque "QE Qualifelec" et ce, pour désigner des services de pose d' "infrastructures de recharge véhicule électrique", alors même que cet entrepreneur individuel ne bénéficie d'aucune certification. 17. Cette reproduction de la marque à l'identique pour désigner, dans la vie des affaires (cet usage visant pour elle à obtenir des marchés), des services au moins pour partie identiques à ceux figurant à l'enregistrement, caractérise la contrefaçon par reproduction de la marque no1609713. Il sera donc fait interdiction à M. [B], dans les termes du dispositif de la présente décision, de faire usage, de quelque manière et sous quelque support que ce soit, pour désigner son activité, de tout signe reproduisant ou imitant cette marque. 2) Sur les mesures indemnitaires et réparatrices Moyens de la demanderesse : 18. L'association Qualifelec demande réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon. Elle prétend que celle-ci a porté atteinte à son image de fiabilité et à la légitimité de sa qualification à l'égard des entreprises bénéficiant réellement de l'usage de sa marque. De plus, par les actes de contrefaçon commis, M. [B] a détourné à son profit les investissements publicataires réalisés par la demanderesse. Appréciation du tribunal : 19. Aux termes de l'article L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle : "Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée." 20. Le tribunal saisi d'une demande indemnitaire pour des faits de contrefaçon doit se prononcer au regard des critères énoncés par l'article L.716-4-10 alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle, sauf à être saisi par la partie lésée d'une demande d'indemnisation forfaitaire prévue au second alinéa du même article (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 6 décembre 2016, no 15-16.304). 21. L'article L.716-4-11 du même code prévoit qu'en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaisants, les matériaux ou instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée. La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise. Ces mesures sont ordonnées aux frais du contrefacteur. 22. L'association subit en l'occurrence un préjudice moral d'atteinte au crédit de sa certification et de sa marque. En réparation, M. [B] sera condamné à lui payer la somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts. 23. Il sera fait droit aux demandes d'interdiction selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision. 24. Il sera également fait droit à la demande de publication de la présente décision. 25. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, M. [B] sera condamné aux dépens, ainsi qu'à payer à l'association Qualifelec la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. 26. Il n'y a pas de motif au cas présent pour écarter l'exécution provisoire, qui est de droit conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile, sauf en ce qui concerne la publication compte tenu des effets irréversibles d'une telle mesure. PAR CES MOTIFS LE TRIBUNAL DIT qu'en reproduisant le signe sur les certificats de qualification des 11 février 2022 portant le no07322 et 12 janvier 2022 portant le no07442, M. [K] [B] a commis des actes de contrefaçon de la marque semi-figurative collective française "QE Qualifelec" no1609713 ; FAIT INTERDICTION à M. [K] [B] de faire usage dans la vie des affaires, de quelque manière et sous quelque support que que ce soit, pour identifier les services d'installations électriques qu'il propose et en particulier les services de pose d'infrastructures de recharge des véhicules électriques, de tout signe reproduisant ou imitant la marque semi-figurative collective française no1609713, sous astreinte de mille euros (1.000 €) par infraction constatée, c'est à dire par usage non autorisé du signe "QE Qualifelec", courant à l'expiration d'un délai de dix jours suivant la signification de la présente décision et pendant cent quatre-vingts (180) jours ; CONDAMNE M. [K] [B] à payer à l'association Qualifelec la somme de 1.500 euros en réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon de marque collective ; AUTORISE la publication du présent jugement, une fois passé en force de chose jugée, aux frais de M. [K] [B] mais dans la limite de 5.000 euros HT, dans deux revues laissées au choix de l'association Qualifelec ; CONDAMNE M. [K] [B] aux dépens ; CONDAMNE M. [K] [B] à payer à l'association Qualifelec la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de plein droit par provision, sauf en ce qui concerne la mesure de publication. Fait et jugé à Paris le 25 mai 2023 LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000047878978
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 22 juin 2023, 23/04240
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2023-06-22
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Tribunal judiciaire de Paris
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23/04240
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 23/04240 No Portalis 352J-W-B7H-CZCJS No MINUTE : Assignation du :17 février 2023 JUGEMENT rendu le 22 juin 2023 DEMANDEURS Monsieur [P] [R][Adresse 3][Localité 1] SOCIÉTÉ DES AUTEURS DES ARTS VISUELS ET DE L'IMAGE FIXE (SAIF)[Adresse 6][Localité 4] représentés par Me Guillem QUERZOLA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0606 DÉFENDERESSES Société JAMES [Adresse 2][Localité 5] Défaillante Société SORET CHRISTOPHE EURL [Adresse 2][Localité 5] Défaillante COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière DEBATS En application de l'article L212-5-1 du code de l'organisation judiciaire, la procédure s'est déroulée sans audience.Avis a été donné à l'avocat que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 22 juin 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeRéputé contradictoireEn premier ressort EXPOSé DU LITIGE 1. M. [P] [R] se présente comme un photographe professionnel suivant les manifestations de l'association Act Up depuis les années 1990. Il est membre depuis le 8 avril 2010 de la Société des auteurs des arts visuels et de l'image fixe (ci-après, "SAIF") qui est un organisme de gestion collective de droits d'auteur. 2. Par l'effet de son adhésion, M. [R] à confié à la SAIF la gestion à titre exclusif et pour le monde entier de ses droits d'auteur sur ses oeuvres pour toute exploitation audiovisuelle et numérique, y compris par la mise à disposition du public à la demande sur internet. Il a également adhéré par acte du 17 février 2018 au service "Image" de la SAIF qui permet aux auteurs de déposer leurs oeuvres au sein d'une banque d'images en ligne destinées à les conserver, les valoriser et les diffuser. 3. Le 6 avril 2018, M. [P] [R] a déposé au service "Image" une photographie prise le 29 janvier 1993 à l'occasion d'une manifestation de l'association Act Up, publiée une première fois sous son nom dans le no 1475 du magazine Le Nouvel Observateur du 11 au 17 février 1993. Le 20 août 2019, il a confié à la SAIF un mandat complémentaire exclusif au titre du droit moral afin que celle-ci gère pour son compte l'ensemble des droits afférents à l'exploitation de cette photographie. 4. La société Soret Christophe, créée en 2015, édite le magazine intitulé "Garçon Magazine" accessible à l'adresse <www.garcon-magazine.com>. La société James, ayant pour associé majoritaire la société Soret Christophe, édite la version papier de "Garçon Magazine" et co-édite le service de télévision en ligne "Garçon TV". 5. Reprochant la publication et le recadrage de la photographie prise le 29 janvier 1993 par M. [R], sans son autorisation ni mention de son nom, dans le magazine en ligne "Garçon Magazine", la SAIF a, par une lettre du 12 septembre 2019, demandé à la société Soret Christophe de lui communiquer, sous quinze jours, le détail des exploitations de la photographie litigieuse, afin que soit calculée l'indemnisation qu'elle considère lui être due. 6. La société Soret Christophe a procédé au retrait de la photographie litigieuse à réception de ce courrier mais n'y a pas répondu. Le 23 janvier 2020, après l'avoir vainement relancée, la SAIF a adressé à la société Soret Christophe, une facture de 960 euros HT, soit 1024 euros TTC, correspondant au montant des droits éludés selon ses barèmes 2019. 7. Le 18 septembre 2020, le dirigeant de la société Soret Christophe a indiqué à la SAIF vouloir trouver une solution amiable au litige, proposant le règlement immédiat, par la société James, de la somme de 200 euros. Après plusieurs échanges, la SAIF a accepté, le 19 octobre 2020, de mettre un terme au litige contre le règlement de la somme 470,40 euros TTC par les défenderesses. N'ayant pas obtenu de paiement, la SAIF a saisi un conciliateur de justice qui a constaté le 2 juin 2022 l'absence de conciliation possible entre les parties. 8. Le 12 juillet 2022, la SAIF a vainement mis en demeure la société James de payer sous quinze jours le montant des droits éludés soit la somme de 1024 euros TTC. 9. C'est dans ce contexte que la SAIF et M. [P] [R] ont fait assigner la société Soret Christophe EURL et la SARL James en contrefaçon de droits d'auteur devant le tribunal judiciaire de Paris, par actes d'huissier du 17 février 2023. 10. Dans leur assignation, la SAIF et M. [P] [R] demandent au tribunal de :- Les Dire recevables et bien fondés en leurs demandes ;Et y faisant droit,- Dire qu'en reproduisant et communiquant au public sur le site internet https://garconmagazine.com, entre le 12 avril 2018 et le 12 septembre 2019 au moins, une photographie originale de Monsieur [P] [R], recadrée, sans mention de son nom et sans avoir recueilli d'autorisation à cette fin ni acquitté de redevances auprès de la SAIF dont il est membre, les sociétés Soret Christophe EURL et James ont porté atteinte aux droits d'auteur de celui-ci ;- Condamner en conséquence in solidum les sociétés Soret Christophe et James à leur payer les sommes de :* 1 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice individuel subi par M. [P] [R] du fait de la violation de son droit patrimonial d'auteur, * 1 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice individuel subi par M. [P] [R] du fait de la violation de son droit moral d'auteur, à charge pour la SAIF de répartir ces sommes entre elle et ce dernier selon ses règles statutaires et ses règles de répartition,* 3 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice collectif subi par la profession des auteurs photographes que la SAIF représente ;- Condamner les sociétés Soret Christophe et James à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens. 11. Bien que régulièrement citées par remise de l'acte en l'étude de l'hussier (le domicile étant confirmé par le nom sur la boîte aux lettres, le facteur et le voisinage), les sociétés Soret Christophe et James n'ont pas constitué avocat. 12. L'instruction a été close par ordonnance du 18 avril 2023 et l'affaire a été mise en délibéré sans audience, conformément aux dispositions des articles 799 du code de procédure civile et L. 212-5-1 du code de l'organisation judiciaire. MOTIFS DE LA DÉCISION 13. Conformément à l'article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée. 1) Sur la protection par le droit d'auteur Moyens des parties 14. M. [R] expose avoir été le seul photographe qui suivait en reportage l'association Act Up et avoir décidé de soutenir la cause de la lutte contre le sida par son travail. Il décrit cette photographie comme unique et rare en ce qu'elle relate une action ayant duré très peu de temps, le die-in, consistant à s'allonger par terre pour simuler les morts du sida, devant le laboratoire d'Artois à [Localité 7] qui pratiquait une méthode controversée de dépistage du sida et a fait l'objet d'une fermeture immédiate après une inspection de DDASS. 15. M. [R] précise que cette photographie a été publiée pour la première fois, sous son nom, dans le no 1475 du magazine Le Nouvel Observateur du 11 février 1993 au 17 février 1993. 16. Il indique, outre le choix de l'instant, avoir effectué les choix suivants : - Un angle en paysage et en plongée, - un cadrage visant à obtenir une vue générale,- une lumière naturelle, - utilisation d'un film Ektachrome couleur,- des retouches et un post-traitement effectué à l'aide de Photoshop. Appréciation du tribunal 17. Selon l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d'ordre intellctuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. L'originalité de l'oeuvre, qu'il appartient à celui invoquant la protection de caractériser, suppose qu'elle soit issue d'un travail libre et créatif et résulte de choix arbitraires révélant la personnalité de son auteur. 18. En application de l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, la qualité d'auteur appartient sauf preuve contraire à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée. 19. M. [R], qui décrit le contexte et ses intentions, ainsi que les choix qu'il a opérés pour réaliser ce cliché, en particulier le choix de cadrage aux fins que le cliché comprenne à la fois les manifestants allongés sur le trottoir, les fenêtres du laboratoire visé, dont l'une est recouverte d'affiches "Danger public - Fermeture", ainsi que l'entrée d'un commerce au fond montrant l'incongruité de la scène ; il justifie ce faisant de l'originalité de la photographie prise le 29 janvier 1993. 20. Il justifie que cette photographie a été publiée pour la première fois, sous son nom, dans le no 1475 du magazine Le Nouvel Observateur du 11 février 1993 au 17 février 1993. 21. Il convient par conséquent de considérer que M. [R] est l'auteur de la photographie laquelle bénéficie de la protection au titre des droits d'auteur. 2) Sur les actes de contrefaçon Moyens des parties 22. M. [P] [R] et la SAIF font valoir que la publication d'un article illustré par la photographie de M. [R], sans autorisation, constitue une représentation ou reproduction constitutive d'actes de contrefaçon. Ils soutiennent également que l'exploitation de la photographie sans mention du nom de M. [R] en sa qualité d'auteur porte atteinte à son droit au nom. M. [P] [R] et la SAIF ajoutent que le recadrage de la photographie porte atteinte au droit au respect de son oeuvre.Appréciation du tribunal 23. Aux termes de l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle " L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. (...)" 24. L'article L. 122-4 de ce code dispose : "Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque." 25. Enfin, l'article L. 335-3 de même code précise : "Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une oeuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi." 26. Force est de constater que l'article publié sur le site internet "Garcon Magazine" reproduit la photographie de M. [R] sans que cette utilisation ait été autorisée par la SAIF ou M. [R] et sans qu'il soit fait mention du nom de l'auteur. En outre, pour l'adapter au format de la publication en ligne, la photographie a été amputée de toute sa partie basse qui contient des pancartes portées par des militants à terre sur lesquelles figurent des inscriptions. Elle occulte notamment la seule pancarte faisant figurer le nom de l'association "ACT UP-PARIS EN LUTTE CONTRE LE SIDA". 27. La reproduction de la photographie de M. [R], de surcroit recadrée, pendant 17 mois, sans y avoir été autorisée et sans mentionner le nom de l'auteur a porté atteinte aux droits patrimoniaux et aux droits moraux de l'auteur. 28. Il y a lieu de constater que la société Soret Christophe, en sa qualité d'éditrice de Garçon Magazine a commis des actes de contrefaçon (Pièce no9). 29. La société James est quant à elle désignée comme co-éditrice du site internet "garcon tv" (Pièce no13) et éditrice de la version papier du magazine. Or, rien n'établit que la photographie aurait été reproduite à l'adresse <www.garcontv.fr> ou dans l'édition papier du magazine, seule la reproduction sur le site internet "garcon magazine" étant établie. 30. En outre, le fait que la société James a été désignée par M. Christophe Soret, gérant des sociétés James et Soret Christophe, comme celle qui procéderait au paiement du montant initialement proposé par la société Christophe Soret afin de mettre un terme au litige (Pièce no20) ne peut suffire à la juger conjointement responsable des atteintes portées aux droits d'auteur de M. [R]. 3) Sur les mesures de réparation Moyens des parties 31. M. [P] [R] et la SAIF font valoir que l'article illustré par la photographie de M. [R] a été publié sur le site internet "Garcon Magazine" le 12 avril 2018 et que la photographie a été retirée à la réception de la lettre recommandée du 12 septembre 2019. Ils sollicitent la somme forfaitaire de 1.500 euros au titre du préjudice économique et 1.500 euros au titre du préjudice moral subis par M. [R] ainsi que la somme de 3.000 euros au titre du préjudice moral collectif subi par la profession des auteurs photographes qu'elle représente. Appréciation du tribunal 32. Aux termes de l'article L. 331-3-1 du code de la propriété intellectuelle : "Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1o Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;3o Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits.Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée." 33. L'article a été publié le 12 avril 2018 et la photographie a été retirée à réception de la lettre recommandée avec accusé de réception du 12 septembre 2019, soit le 16 septembre 2019, la photographie a été donc été exploitée pendant 17 mois. 34. L'atteinte portée aux droits patrimoniaux de M. [R] est constitutive d'un préjudice qui sera réparé par l'allocation d'une somme forfaitaire de 1.500 euros. En outre, l'absence de mention de son nom et le recadrage de la photographie ont porté atteinte à son droit moral et lui ont causé un préjudice qu'il convient de réparer à hauteur de 1.500 euros. 35. Ces sommes seront allouées à la SAIF, charge à elle de les répartir entre elle et M. [R] en application de ses règles statutaires et de répartion convenues. 36. Par ailleurs, il est constant qu'une association peut agir en justice au nom des intérêts collectifs de ses membres dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social. Au cas particulier, la SAIF a notamment pour objet social de défendre les intérêts matériels et moraux de ses membres. Elle a donc qualité à agir à la fois dans l'intérêt individuel de ses membres et collectif des professions représentées en son sein. 37. L'appropriation du travail de M. [R] sans autorisation ni rémunération et la résistance à indemniser le préjudice subi en dépit des nombreuses démarches amiables entreprises, justifient que soit allouée à la SAIF, la somme de 1.000 euros en réparation du préjudice moral collectif subi par la profession des auteurs photographes, et distinct du simple retard. 38. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société Soret Christophe sera condamnée aux dépens. 39. Elle sera en outre condamnée à verser à M. [P] [R] et à la SAIF qui ont dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir leurs droits la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 40. Aucune circonstance ne justifiant d'en disposer autrement, il sera rappelé que la présente décision est de plein droit exécutoire, conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS LE TRIBUNAL DIT qu'en reproduisant sur le site internet accessible à l'adresse <www.garcon-magazine.com> entre le 12 avril 2018 et le 16 septembre 2019, une photographie originale de M. [P] [R], recadrée, sans mention de son nom et sans avoir recueilli son autorisation à cette fin, la société Soret Christophe a porté atteinte aux droits d'auteur de M. [R] apportés à la SAIF ; CONDAMNE la société Soret Christophe à payer à la SAIF les sommes de :- 1.500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice individuel subi par M. [P] [R] du fait de la violation de son droit patrimonial d'auteur,- 1.500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice individuel subi par M. [P] [R] du fait de la violation de son droit moral d'auteur,à charge pour la SAIF de répartir ces sommes entre elle et l'auteur selon ses règles statutaires et les règles de répartition convenues ; CONDAMNE la société Soret Christophe à payer à la SAIF la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice collectif subi par la profession des auteurs photographes par sa résistance au paiement des droits dus ; REJETTE les demandes dirigées contre la société James ; CONDAMNE la société Soret Christophe aux dépens ; CONDAMNE la société Soret Christophe à payer à M. [P] [R] et la SAIF la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de plein droit. Fait et jugé à Paris le 22 juin 2023. LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000047878979
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 22 juin 2023, 20/02792
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2023-06-22
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/02792
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 20/02792 No Portalis 352J-W-B7E-CR35G No MINUTE : Assignation du :26 février 2020 JUGEMENT rendu le 22 juin 2023 DEMANDERESSE S.A.S. MIET[Adresse 4][Localité 2] représentée par Me Béatrice MOREAU-MARGOTIN de la SELARL JP KARSENTY ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0156 DÉFENDEURS Monsieur [N] [Z][Adresse 1][Localité 3] S.C.E.A. ETABLISSEMENTS LAMAISON[Adresse 5][Localité 3] représentés par Me Nicolas MOREAU de la SCP BIGNON LEBRAY, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #P0370 & Me Barbara BERTHOLET de la SCP BIGNON LEBRAY, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière En présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation. DEBATS A l'audience du 17 avril 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 22 juin 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE : 1. La société Miet est spécialisée depuis 1992 dans l'achat, l'affinage et la vente d'huitres qu'elle commercialise auprès d'enseignes renommées de la grande distribution française telles qu'Auchan et Carrefour. 2. La société Etablissements Lamaison (ci-après société Lamaison), créée en 1974, est spécialisée dans l'affinage, l'élevage, le conditionnement et la commercialisation d'huîtres bénéficiant de l'IGP Marennes Oléron. Elle se présente comme fournissant 70% des enseignes de la grande et moyenne distribution et comme placée au deuxième rang des acteurs de ce marché. 3. M. [N] [Z], associé et co-gérant de la société Lamaison, est le titulaire d'un brevet français déposé le 20 mars 2018 et délivré le 16 août 2019 sous le no FR 3 066 180. Ce brevet a pour titre "Procédé de conditionnement de coquillages" ; il comprend une étape de positionnement de l'ensemble de coquillages vivants dans un réceptacle puis une étape d'emballage durant laquelle le réceptacle est enveloppé dans un film plastique thermorétractable et microperforé ; une étape de chauffe du réceptacle est ensuite réalisée afin de rétracter le film plastique sur les coquillages. 4. Par une lettre du 4 octobre 2018, la société Lamaison a notifié à la société Miet une copie certifiée conforme de la demande de brevet déposée le 20 mars 2018 et lui a enjoint de cesser toutes exploitations de produits entrant selon elle dans le champ de protection de ce titre. La société Lamaison a également invoqué son brevet auprès de la société Carrefour laquelle a décidé de ne pas s'approvisionner auprès de la société Miet avec laquelle elle était alors en pourparlers. 5. Par une lettre du 30 novembre 2018, la société Miet a indiqué suspendre temporairement l'exploitation du procédé litigieux, avant, le 20 juin 2019, de faire part de son intention d'invoquer à son bénéfice l'exception de possession personnelle antérieure. 6. Par actes d'huissier du 26 février 2020, la société Miet a fait assigner M. [N] [Z] en nullité de son brevet FR 3 066 180, ainsi que la société Lamaison en réparation du préjudice subi du fait des actes de dénigrement. 7. Le 6 octobre 2020, M. [Z] a présenté une requête en limitation du brevet FR 180 acceptée par le directeur de l'INPI le 14 décembre suivant. 8. L'instruction a été close par une ordonnance du 20 septembre 2022 et plaidée à l'audience du 17 avril 2023. 9. Aux termes de ses dernières conclusions no5 notifiées par la voie électronique le 13 juillet 2022, la société Miet demande au tribunal de : - PRONONCER la nullité des revendications 1 à 10 du brevet FR 3 066 180 limité de M. [Z] pour insuffisance de description, défaut de nouveauté et d'activité inventive; - ORDONNER la transmission du jugement à intervenir à l'INPI aux fins d'inscription au registre national des brevets ; - CONDAMNER la société Etablissements Lamaison à verser à la société Miet la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice moral et 700.000 euros en raison du préjudice économique qu'elle a subi ; - CONDAMNER la société Etablissements Lamaison à verser à la société Miet la somme de 70.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile; - CONDAMNER la société Etablissements Lamaison aux entiers dépens.10. Aux termes de leurs dernières conclusions no5 notifiées électroniquement le 14 septembre 2022, la société Lamaison et M. [Z] demandent au tribunal de : - Juger mal fondée la société Miet en l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions et l'en débouter intégralement ; - Débouter la société Miet de sa demande en nullité des revendications du brevet FR3066180; - Débouter la société Miet de sa demande indemnitaire à l'encontre de la société Etablissements Lamaison ; - Condamner la société Miet à payer à la société Etablissements Lamaison la somme de 70.000 € au titre de l'article 700 du code procédure civile ; - Condamner la société Miet aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Me Nicolas Moreau, en application de l'article 699 du code de procédure civile. MOTIFS DE LA DÉCISION 1o) Présentation du brevet FR 3 066 180 11. La description de ce brevet enseigne (lignes 3 et 4) que l'invention se rapporte à un procédé de conditionnement d'un ensemble comprenant au moins un coquillage vivant. Elle précise ensuite que l'invention a comme point de départ l'art antérieur le plus proche (lignes 8 à 25) constitué des bourriches en bois ou en vannerie munies d'un couvercle, lesquelles, une fois remplies des coquillages posés à plat sont ensuite cerclées afin de maintenir la position des coquillages pendant le transport. Un tel procédé est toutefois couteux et lent, car nécessairement manuel, et ne permet pas de garantir un maintien fermé du coquillage, dont la durée de vie est alors réduite. L'invention propose de remédier à ces inconvénients. 12. A cet effet, elle propose un procédé de conditionnement des coquillages en 3 étapes, permettant leur mécanisation, et constituées : - du positionnement des coquillages vivants dans un réceptable lequel, selon un mode de réalisation, peut être constitué d'une assiette en polypropylène comprenant des logements de forme et de taille adaptées aux coquillages, - de l'enveloppement du réceptacle par un film plastique thermo-rétractable, de manière à suivre les contours des coquillages et les maintenir fermés pendant le transport, et micro-perforé, de sorte que l'échange de gaz soit préservé, prolongeant ainsi la durée de vie et de conservation des coquillages, - de chauffe du réceptacle et du film à une temprétaure comprise entre 170 et 190 oC, pendant une durée comprise entre 2 et 4 secondes, afin que le film se rétracte autour des coquillages et du réceptacle. 13. La figure 5 ci-dessous du brevet représente des coquillages dans une assiette recouverte d'un film plastique sur un tapis roulant (12) conformément à l'invention : 14. Après limitation, le brevet se compose des 10 revendications ci-dessous (la caractéristique de la revendication 10 initiale ayant été déplacée à la fin de la 3ème étape de la revendication 1 initiale) : 1. Procédé de conditionnement d'un ensemble comprenant au moins un coquillage vivant (11), le procédé comprenant les étapes suivantes : c) une étape de positionnement (E1) au cours de laquelle un ensemble comprenant au moins un coquillage vivant (11) est positionné dans un réceptacle (10) ; d) au moins une étape d'enveloppement (E3) durant laquelle le réceptacle (10) est enveloppé dans un film plastique thermo-rétractable micro-perforé (13) ; et c) au moins une étape de chauffe (E4) d'au moins un réceptacle (10) au cours de laquelle l'au moins un réceptacle contenant l'ensemble comprenant au moins un coquillage vivant (11) et recouvert d'un film plastique thermo- rétractable micro-perforé (13) est soumis à un chauffage à une température de rétractation du film micro-perforé (13)la durée de chauffe de l'étape de chauffe (E4) étant comprise entre deux secondes et quatre secondes. 2. Procédé de conditionnement d'un ensemble comprenant au moins un coquillage vivant (11) selon la revendication 1, tel que le réceptacle (10) comprend au moins un logement (14) adapté à l'insertion d'un coquillage vivant (11). 3. Procédé de conditionnement d'un ensemble comprenant au moins un coquillage vivant (11) selon l'une quelconque des revendications 1 ou 2, tel que le réceptacle (10) est constitué de polypropylène. 4. Procédé de conditionnement d'un ensemble comprenant au moins un coquillage vivant (11) selon l'une quelconque des revendications 1 à 3, tel que le film plastique (13) est un film plastique transparent. 5. Procédé de conditionnement d'un ensemble comprenant au moins un coquillage vivant (11) selon l'une quelconque des revendications 1 à 4, tel que l'étape de positionnement (E1) comprend une étape de dépose (E2) dans laquelle le réceptacle (10) est déposé sur une unité de transport (12). 6. Procédé de conditionnement d'un ensemble comprenant au moins un coquillage vivant (11) selon l'une quelconque des revendications 1 à 5, tel que l'étape de chauffe (E4) comprend une étape d'étiquetage (E5) dans laquelle le film plastique (13) enveloppant le réceptacle (10) est étiqueté, la dépose d'au moins une étiquette est réalisée sur le film plastique (13) disposé sur une face inférieure du réceptacle (10) destiné à être placé au regard d'un support et/ou sur le film 5 plastique (13) disposé sur la surface supérieure opposée à la surface inférieure. 7. Procédé de conditionnement d'un ensemble comprenant au moins un coquillage vivant (11) selon la revendication 6, tel que l'au moins une étiquette comprend une solution d'identification. 8. Procédé de conditionnement d'un ensemble comprenant au moins un coquillage (11) vivant selon l'une quelconque des revendications 1 à 7, tel que le film plastique (13) est un film plastique composé de polypropylène. 9. Procédé de conditionnement d'un ensemble comprenant au moins un coquillage vivant (11) selon l'une quelconque des revendications 1 à 8, tel que la température de chauffe de l'étape de chauffe (E4) est comprise entre 170oC et 190oC. 10. Procédé de conditionnement d'un ensemble comprenant au moins un coquillage vivant (11) selon l'une quelconque des revendications 1 à 10, tel que l'étape de chauffe (E4) comprend une étape d'emballage (E6) du réceptacle (10) contenant l'au moins un coquillage de l'ensemble avec au moins un autre réceptacle similaire. 2o) Sur l'insuffisance de description Moyens des parties 15. La société Miet soutient que le brevet n'est pas suffisamment décrit et que l'homme du métier, laissé dans l'ignorance du type de film thermo-rétractable utilisable (nature, épaisseur,...), alors que ce sont les propriétés de ce film qui conditionnent le temps et la durée de chauffe pour remplir les objectifs fixés par le brevet, se trouvera dans l'incapacité de reproduire l'invention. Elle fait en effet valoir que certains films thermo-rétractables pourraient être détruits au terme de la durée et de la température de chauffe préconisées par le brevet, tandis que ces préconisations pourraient s'avérer insuffisantes pour d'autres. 16. M. [Z] conclut au rejet de ce moyen de nullité du brevet. Il soutient en substance qu'il suffit que la personne du métier se réfère aux fiches techniques des films plastiques (en polypropylène thermo-rétractable et transparent) du marché pour identifier la référence commerciale répondant aux caractéristiques revendiquées par le brevet et obtenir le résultat recherché d'un film capable de se rétracter après 2 à 4 secondes de chauffe entre 170 et 190oC (point 44 in fine de ses conclusions). Appréciation du tribunal 17. Selon l'article L. 612-5 du code de la propriété intellectuelle, l'invention doit être exposée dans la demande de brevet de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter. 18. Ces dispositions sont constamment interprétées en ce sens qu'une invention est suffisamment décrite lorsque la personne du métier est en mesure, à la lecture de la description et grâce à ses connaissances professionnelles normales, théoriques et pratiques, d'exécuter l'invention ( Cass. Com 23 mars 2005, pourvoi no 03-16.532 ; Cass. Com., 20 mars 2007, pourvoi no 05-12.626, Bull. 2007, IV, no 89 ; Cass. Com., 13 novembre 2013, pourvois no 12-14.803 et 12-15.449). Le fait que certains éléments indispensables au fonctionnement de l'invention ne figurent ni explicitement dans le texte des revendications ou de la description, ni dans les dessins représentant l'invention revendiquée, n'implique pas nécessairement que l'invention n'est pas exposée dans la demande de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter, dès lors que ces éléments indispensables appartiennent à ses connaissances générales (Cass. Com., 23 janvier 2019, pourvois no 17-14.673 et 16-28.322 : dans cette affaire le diagramme fer-carbone, qui fournit avec précision la température de fusion des fontes et des aciers en fonction de leur teneur en carbone, a été retenu comme appartenant aux connaissances générales de la personne du métier pouvant compléter les enseignements du brevet considéré dès lors comme suffisamment décrit). 19. La personne du métier est celle du domaine technique où se pose le problème que l'invention, objet du brevet, se propose de résoudre (Cass. Com., 20 novembre 2012, pourvoi no11-18.440). Au regard du problème technique que propose de résoudre l'invention ici, la personne du métier est un technicien, spécialiste du conditionnement, notamment des coquillages. 20. Force est en l'occurrence de constater que, dans un témoignage versé aux débats par la demanderesse elle-même (pièce no53), M. [C], spécialiste de l'emballage industriel, témoigne de ce que les caractéristiques des différents films plastiques du marché sont connues et le choix du film approprié fait partie de ses connaissances générales ("La mise en fonctionnement (d'une ligne d'emballage) dépend des caractéristiques des films thermo-rétractables. Ces caractéristiques sont connues dans notre domaine (...)". Il s'en déduit que les caractéristiques des films thermo-rétractables (nature et épaisseur) permettent à la personne du métier de déduire la durée et la température de chauffe, et inversement. Ayant connaissance de la matière (notamment le polypropylène), ainsi que de la durée et de la température de chauffe pour parvenir au résultat recherché d'un film thérmo-rétractable suffisamment résistant pour empêcher l'ouverture des huîtres, la personne du métier en déduira aisément l'épaisseur du film plastique de l'invention (19μ selon le témoignage précité, non contredit sur ce point, de M. [C]). 21. Il en résulte que l'invention est suffisamment décrite au sens de l'article L. 612-5 du code de la propriété intellectuelle. 3o) Sur le défaut de nouveauté Moyens des parties 22. La société Miet soutient que l'invention est toute entière divulguée dans le brevet EP 1 362 789 dont elle rappelle qu'il s'agit d'un document cité par l'examinateur de l'INPI parmi ceux décrivant selon lui l'ensemble des étapes de conditionnement d'un coquillage enseignées par le brevet FR 180, y compris la micro-perforation, que ce document contient selon la société Miet de manière implicite en enseignant une conservation des coquillages pouvant aller jusqu'à 20 jours ; une durée de conservation aussi longue ne peut en effet selon elle, dans le domaine alimentaire, résulter que du maintien d'un échange gazeux et donc de la micro-perforation du film plastique thermo-rétractable. La société Miet ajoute que ce document enseigne également un réceptacle, constitué en l'occurrence d'une couche de film plastique (soit la même feuille repliée, soit une première feuille sur laquelle la seconde viendra se superposer). 23. M. [Z] conclut au rejet de ce moyen. Il soutient que ce document n'a en aucun cas été identifié par l'examinateur de l'INPI comme susceptible de détruire la nouveauté du brevet FR 180, mais comme constituant un document de l'art antérieur proche. Le défendeur ajoute que ce document enseigne un procédé de conditionnement d'un bivalve au sein d'une enveloppe constituée d'un film plastique thermo-rétractable, scellée par chauffage. Il ne décrit donc aucun réceptacle au sens du brevet, ni aucun film micro-perforé et ne saurait donc constituer une antériorité destructrice de nouveauté au sens où l'entendent les tribunaux français. Appréciation du tribunal 24. Aux termes de l'article L. 611-10, paragraphe 1, du code de la propriété intellectuelle, sont brevetables, dans tous les domaines technologiques, les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle. L'article L. 611-11 de ce même code précise qu'une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique et que l'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen. 25. En application de ces dispositions, il est constamment jugé que l'élément de l'art antérieur n'est destructeur de nouveauté que s'il renferme tous les moyens techniques essentiels de l'invention dans la même forme, le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique, de sorte que la nouveauté d'une invention ne peut être ruinée que par une antériorité de toutes pièces qui implique une identité d'éléments, de forme, d'agencement, de fonctionnement et de résultat technique. (Cass. Com., 27 mars 2019, pourvoi no17-23.136 ; Cass. Com., 17 mai 2023, pourvoi no19-25.509) 26. Le brevet EP 1 362 789 est un brevet européen revendiquant la priorité d'une demande française du 17 mai 2002, antériorisant de près de 16 ans le brevet FR 180. Ce brevet concerne un procédé de conditionnement de bivalves aquatiques consistant à envelopper chaque bivalve, d'un film semi-souple thermo-rétractable et à lui appliquer un chauffage à une température comprise entre 60 et 90oC pendant une durée de 3 à 10 secondes, ce chauffage permettant de parvenir à comprimer le film autour des bivalves ; ce procédé empêche l'ouverture et la perte d'eau des bivalves (§ [020]) et peut être mis en oeuvre de manière automatisée réduisant ainsi le coût du conditionnement (§ [016]) 27. Ce brevet EP'789 comporte la figure 1 partiellement reproduite ci-dessous dans laquelle l'élément 5 correspond à l'aménagement d'une poignée de transport par perforation : 28. Force est de constater que ce document enseigne bien un procédé permettant son automatisation, comprenant une étape d'enveloppement de bivalves aquatiques dans un film plastique thermo-rétractable et transparent, ainsi qu'une étape de chauffe du bivalve recouvert d'un film plastique thermo- rétractable à une température et pendant une durée permettant la rétractation du film autour du bivalve. Ce document n'enseigne en revanche aucune étape de positionnement du bivalve dans un réceptacle au sens du brevet, non plus qu'aucun film micro-perforé, la "divulgation implicite" de cette caractéristique nécessitant ici que la personne du métier fasse appel à ses connaissances générales, un tel raisonnement relevant de l'appréciation de l'activité inventive, ainsi que l'admet au demeurant la société Miet dans ses écritures (page 28 in fine). 29. Le document EP 1 362 789 ne peut donc être regardé comme destructeur de la nouveauté du brevet FR 180. Ce moyen de nullité du brevet est écarté. 4o) Sur le défaut d'activité inventive Moyens des parties 30. La société Miet soutient qu'en combinant un document intitulé "Les modes de conditionnement des coquillages" qui est une étude financée par le ministère chargé de la mer datée de septembre 1989, à ses connaissances générales, la personne du métier serait parvenue à l'invention contenue dans le brevet FR180. Cette société soutient en effet que ce document enseigne le conditionnement des coquillages dans des barquettes thermoformées recouvertes d'un film thermo-rétractable perméable aux gaz. Aussi, en combinant ce document à ses connaissances générales qui incluent la connaissance des appareils destinés à recouvrir un ou plusieurs objets et en particulier les barquettes d'huitres d'un film plastique thermo-rétractable et micro-perforé ( par exemple les fardeleuses proposées dès 2011 par la société Smipack), la personne du métier serait parvenue à l'invention. La société Miet invoque en outre d'autres combinaisons, dont celle du brevet EP789 avec les mêmes connaissances générales de la personne du métier, toutes selon elle destructrices de l'activité inventive du brevet FR180 de M. [Z]. 31. M. [Z] conclut au rejet de ce moyen de nullité du brevet. Il soutient d'abord que les connaissances générales de la personne du métier sont limitées au conditionnement des coquillages vivants, de sorte qu'elle ne se serait pas intéressée à l'emballage des produits alimentaires "non vivants". M. [Z] soutient également qu'il n'est pas démontré que l'étude financée par le ministère de la mer en 1989 était accessible au public avant la date de publication du brevet FR180. Il ajoute que les multiples combinaisons invoquées par la société Miet confirment la validité du brevet. Appréciation du tribunal 32. Selon l'article L.611-14 du code de la prpriété intellectuelle, une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique. 33. Les éléments de l'art antérieur ne sont destructeurs d'activité inventive que si, pris isolément ou associés entre eux selon une combinaison raisonnablement accessible à la personne du métier, ils permettaient à l'évidence à cette dernière d'apporter au problème résolu par l'invention, la même solution que celle-ci. 34. La personne du métier est un praticien du domaine technique où se pose le problème que l'invention, objet du brevet, se propose de résoudre (Cass. Com., 20 novembre 2012, pourvoi no11-18.440). Autrement dit, si le problème suggère à la personne du métier (l'affineur d'huîtres commercialisant des coquillages vivants) de rechercher la solution dans un autre domaine technique, le spécialiste compétent pour trouver la solution est le praticien de ce domaine. Aussi, au regard du problème technique que propose de résoudre l'invention ici (un conditionnement des huîtres automatisable et garantissant le maintien fermé des coquillages), la personne du métier est ici le technicien spécialiste du conditionnement, et notamment des coquillages, sans qu'il y ait lieu de limiter son domaine technique aux "coquillage vivants", une telle limitation du domaine technique n'apparaissant pas crédible en pratique. 35. La personne du métier est également censée avoir eu accès à tous les éléments de l'état de la technique, notamment les documents cités dans le rapport de recherche, et avoir eu à sa disposition les moyens et la capacité dont on dispose normalement dans le domaine technique considéré pour procéder à des travaux et expériences courants, la personne du métier étant impliquée dans le développement constant de son domaine technique. 36. Il est en outre constamment jugé que, si une invention a été divulguée au public elle entre alors dans l'état de la technique, une seule personne pouvant constituer le public, dès lors que cette personne n'était pas tenue au secret. 37. En l'occurrence, cherchant à résoudre le problème de l'automatisation et du maintien fermé des coquillages au cours de leur transport, la personne du métier aurait nécessairement consulté le document intitulé "Les modes de conditionnement des coquillages" qui est une étude financée par le ministère chargé de la mer datée de septembre 1989, dont il ne peut en aucun cas être retenu qu'il s'agirait d'un document confidentiel, donc inaccessible à la personne du métier. Il doit à l'inverse être retenu qu'il s'agit d'un bon point de départ pour résoudre le problème de l'automatisation de l'emballage et du maintien fermé des coquillages, ce document relevant l'écoulement limité d'exsudat lorsque le contenant ne renferme qu'une douzaine d'huîtres (page 98) et la nécessité d'un film suffisamment résistant (même page, 3ème point, dernière phrase). 38. Ce document enseigne ainsi (page 100) le conditionnement des coquillages, en particulier des huîtres en faible quantité (de l'ordre de la douzaine), dans des barquettes thermoformées recouvertes d'un film thermo-rétractable perméable aux gaz. Ce document ne mentionne en définitive comme réel inconvénient que le coût lié à l'acquisition d'une "thermoscelleuse". 39. Force est donc de constater que ce document enseigne le conditionnement automatisable des coquillages en 3 étapes constituées de : - une étape de positionnement d'un ou plusieurs coquillages vivants dans un réceptacle (une barquette thermo-formée) ; - une étape d'enveloppement du réceptacle dans un film plastique thermo-rétractable perméable aux gaz et, partant, micro-perforé ; - une étape de chauffe pour permettre la rétractation du film micro-perforé au moyen d'une thermoscelleuse du commerce. 40. La personne du métier était alors fortement incitée à consulter les offres commerciales portant sur ce type d'appareils. Elle aurait alors eu connaissance des appareils d'emballage et notamment ceux de la société Smipack qui, dès 2010 (lors du salon "Emballage 2010", pièce Miet no25) présentait au public une machine de conditionnement des produits frais en barquettes, comme les huîtres (qui sont expressément mentionnées par la pièce no25 contrairement à ce qu'affirme M. [Z]), sous films de polyoféline ou de polyéthylène (donc en matière plastique transparente) d'une épaisseur de l'ordre de 15 μ, micro-perforés et thermo-rétractables. Comme le révèle le témoignage de M. M. [C], spécialiste de l'emballage industriel (pièce Miet no53), ces machines sont aisément réglables par un simple travail de routine, en fonction essentiellement de la nature des films plastiques utilisés, en particulier leur épaisseur (ici de 19μ) et leur résistance (le brevet étant muet sur l'épaisseur ne donnant que l'indication de la matière à savoir, notamment, le polypropylène), qui permettent de déterminer le temps et la température de chauffe conduisant au résultat recherché. La personne du métier serait ainsi parvenue, par un simple travail de routine, aux revendications 1 et 9 du brevet FR'180, incluant une température de chauffe entre 170 et 190oC et une durée de chauffe entre 2 et 4 secondes, sans faire preuve d'activité inventive. Ces plages (durée et température de chauffe) n'apparaissent en effet pas inventives en elle-mêmes (ou alors le brevet - qui ne précise pas l'épaisseur de la feuille ni ne se limite à l'usage du polypropylène - n'est pas suffisamment décrit). 41. Les revendications 2 et 3 sont quant à elles divulguées par un modèle français de 1977 qui porte expressément sur une assiette à huîtres à compartiments en matière plastique (ci-dessous visuel du dépôt - pièce Miet no55) : 42. La revendication 4 est divulguée par l'étude de 1989 qui montre des panier d'huîtres recouverts d'un film plasique transparent, ce document appelant l'attention de la personne du métier sur la nécessité de la résistance de ce film. Le polypropylène est une matière plastique connue pour sa polyvalence et sa résistance. Le brevet EP 2 522 506 du 10 mai 2012 enseigne ainsi un film plastique thermorétractable en polypropylène (dans ce cas de 45μ) et divulgue la revendication 8 du brevet FR180. 43. Les revendications 5, 6, 7 et 10, relatives à l'automatisation de l'emballage, ainsi qu'à l'étiquetage sont quant à elles entièrement divulguées par une vidéo postée sur le site de partage YouTube le 22 janvier 2018 montrant la chaine d'emballage et d'étiquettage des barquettes d'huîtres de la SCEA Lamaison, objet du brevet FR 180, l'identification du colis n'étant pas en elle-même inventive, mais imposée par la règlementation sanitaire, ainsi que le relève la demanderesse. 44. De tout ce qui précède il résulte que toutes les revendications du brevet FR 180, dépourvues d'activité inventive, doivent être annulées. 5o) Sur la concurrence déloyale Moyens des parties 45. La société Miet soutient qu'en adressant à la société Carrefour une lettre dont le seul objet était selon elle de convaincre ce client avec lequel elle était en pourparlers pour commercialiser par son intermédiaire des assiettes d'huîtres en prévision des fêtes de fin d'année, de se détourner d'elle, la société Lamaison s'est rendue coupable d'agissements dénigrants fautifs. Elle ajoute que cette stratégie a porté ses fruits puisque la société Carrefour a aussitôt décidé de s'approvisionner auprès de la société Lamaison pour le même type de produits. 46. La société Lamaison conclut au rejet des demandes de ce chef faisant valoir qu'elle a agi conformément aux exigences jurisprudentielles, la société Miet échouant à démontrer l'existence de propos ou agissements dénigrants qui lui seraient imputables. Appréciation du tribunal 47. Le dénigrement correspond à l'une des déclinaisons de la concurrence déloyale, sanctionnée sur le fondement de l'article 1240 du code civil. Le dénigrement est défini, en substance, comme le fait de jeter publiquement le discrédit sur une personne, une entreprise ou un produit, dans le but de l'évincer. Ainsi, et selon une jurisprudence constante, la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement peu important que l'information soit exacte (Cass. Com., 24 sept. 2013, no12-19.790, Bull. IV, no139). 48. En matière de contrefaçon, la jurisprudence considère en principe qu'est déloyal le fait de mettre en garde la clientèle d'un concurrent sur l'existence d'une contrefaçon dès lors que cette information ne repose sur aucune décision de justice, a fortiori lorsque la mise en garde est adressée à la clientèle sans qu'aucune action n'ait été introduite (Cass. 1ère Civ., 19 juin 2013, no12-18.623 ; Cass. Com., 20 septembre 2016, pourvoi no15-10.939) 49. A l'inverse, l'envoi d'une lettre adressée à des distributeurs se bornant à un rappel à la loi général et préventif des droits d'un breveté aux fins de préserver ses droit et ne contenant aucune accusation ou dénigrement ne saurait être considérée comme fautive (Cass. Com., 12 février 2013, no12-13.808). 50. La mise en connaissance de cause de tiers doit néanmoins être faite en termes mesurés et prudents : il a par exemple été jugé que l'envoi d'une lettre aux clients d'une société par un titulaire de brevets, exclusivement centrée sur la question du programme de licences mis en oeuvre par celui-ci et rédigée en termes comminatoires, sans explication sur les éléments prétendument constitutifs de l'atteinte alléguée, ne se limite pas à une simple mise en connaissance de cause des vendeurs sur un risque de contrefaçon de brevets en cas de poursuite de leur commercialisation au sens de l'article L. 615-1, alinéa 3, du code de la propriété intellectuelle et, en ce qu'elle met en cause la loyauté de cette société et de son fournisseur dans la fabrication et la commercialisation de leurs produits, constitue un acte de dénigrement caractérisant une concurrence déloyale. (Cass. Com., 27 mai 2015, pourvoi no 14-10.800, Bull. 2015, IV, no 88) 51. Il est à cet égard rappelé qu'aux termes de l'article L. 615-1 alinéa 3 du code de la propriété intellectuelle, l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, la détention en vue de l'utilisation ou la mise dans le commerce d'un produit contrefaisant, lorsque ces faits sont commis par une autre personne que le fabricant du produit contrefaisant, n'engagent la responsabilité de leur auteur que si les faits ont été commis en connaissance de cause. 52. En l'occurrence, la société Lamaison verse elle-même la lettre adressée par son conseil à la société Carrefour (Pièce Lamaison no3.2), avec laquelle la société Miet était en pourparlers de commercialisation de ses propres assiettes d'huîtres. 53. Cette lettre est ainsi rédigée : "La société Etablissements Lamaison a déposé une demande de brevet français le 20 mars 2018 sous le numéro 18/52383. Cette demande de brevet concerne un procédé et un dispositif de conditionnement d'huitres. Nous vous transmettons, en annexe de la présente lettre, une copie certifiée conforme de ladite demande de brevet. Nous vous rappelons qu'un brevet d'invention confère à son titulaire une exclusivité d'exploitation sur les caractéristiques revendiquées. Aux termes de l'article L. 613-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, sont interdites, à défaut du consentement du propriétaire du brevet : la fabrication, l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation ainsi que l'importation du produit objet du brevet. Cependant, conformément aux dispositions de l'article L. 615-1 du Code de la Propriété Intellectuelle, l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, la détention en vue de l'utilisation ou la mise dans le commerce d'un produit contrefaisant, lorsque ces faits sont commis par une autre personne que le fabricant du produit contrefaisant, n'engagent la responsabilité de leur auteur que si les faits ont été commis en connaissance de cause. Compte tenu des circonstances, nous tenions à vous informer et à vous mettre en connaissance de cause du présent dépôt de brevet car vous pourriez être sollicité par des confrères aux Etablissements Lamaison dans le cadre d'une potentielle mise en marché d'assiettes d'huîtres rentrant dans la portée du brevet susmentionné." 54. Le tribunal ne peut que constater qu'il s'agit d'une lettre se bornant à rappeler les potentiels droits de brevet de la société Lamaison (le fascicule de demande de brevet étant joint), rappelant de façon neutre les risques encourus en cas de reproduction des caractéristiques d'un brevet et précisant à cet égard l'objet de la lettre (la mise en connaissance de cause). Cette lettre ne comporte aucun terme dépréciant concernant la société Miet et se limite à une simple mise en connaissance de cause d'un distributeur quant à un risque de contrefaçon du brevet objet du présent litige en cas de poursuite de la commercialisation de produits susceptibles de reproduire les revendications de ce brevet, au sens de l'article L. 615-1, alinéa 3, du code de la propriété intellectuelle, peu important qu'aucune action en contrefaçon n'ait été engagée immédiatement après l'envoi de ces lettres, ce texte ne l'exigeant nullement. 55. La demande fondée sur le dénigrement reproché à la société Lamaison ne peut donc qu'être rejetée. 56. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société Lamaison sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la société Miet la somme de 50.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 57. Aucun motif ne justifiant d'en disposer autrement, il sera rappelé que la présente décision est assortie de l'exécution provisoire conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile, sauf en ce qui concerne l'inscription au RNB par application de l'article L. 613-27, 2ème alinéa, du code de la propriété intellectuelle. PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL, PRONONCE l'annulation pour défaut d'activité inventive de l'ensemble des revendications du brevet FR 3 066 180 appartenant à M. [N] [Z]; DIT qu'une fois passée en force de chose jugée la présente décision sera transmise, à l'initiative de la partie la plus diligente, au directeur de l'INPI aux fins d'inscription au registre national des brevets ; REJETTE les demandes de la société Miet fondées sur un comportement déloyal de la société Etablissements Lamaison ; CONDAMNE la société Etablissements Lamaison aux dépens ; CONDAMNE la société Etablissements Lamaison à payer à la société Miet la somme de 50.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; RAPPELLE que la présente décision est assortie de l'exécution priovisoire de droit, sauf en ce qui concerne l'inscription au RNB. Fait et jugé à Paris le 22 juin 2023. LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000047878980
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 22 juin 2023, 22/00867
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2023-06-22
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Tribunal judiciaire de Paris
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22/00867
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 22/00867 No Portalis 352J-W-B7G-CV46E No MINUTE : Assignation du :12 janvier 2022 JUGEMENT rendu le 22 juin 2023 DEMANDERESSE S.A.R.L. MERCENARY PRODUCTION[Adresse 1][Localité 3] représentée par Me Joséphine COLIN, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire #NAN1701 DÉFENDERESSE S.A.S. MERCENAIRE[Adresse 2][Localité 4] représentée par Me Claire SIMONIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2590 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière En présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation. DEBATS A l'audience du 18 avril 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 22 juin 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE 1. La société RBL Médias est immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris depuis le 27 juillet 2001. Elle a pour activité la création, l'édition et la production de contenus filmographiques et publicitaires notamment destinés à l'industrie du luxe. Au terme d'une assemblée générale extraordinaire du 3 mai 2010, elle a changé sa dénomination sociale pour Mercenary Production. 2. Elle est titulaire de la marque verbale française " Mercenary Production " no 4513682, enregistrée le 8 janvier 2019 pour désigner notamment en classes 35, 38 et 41 les services relatifs à la publicité, à la communication et au divertissement. 3. La société Mercenaire, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris depuis le 20 octobre 2014, se présente comme une agence de talents représentant des photographes, vidéastes, designers. Elle se dit spécialisée dans les domaines de la mode et du luxe. Elle exploite le nom de domaine "www.mercenaire.com" depuis 2015, ainsi que les pages du même nom "Mercenaire" sur les réseaux sociaux Instagram et Facebook . 4. Ayant constaté l'exploitation du signe "Mercenaire" à titre de dénomination sociale, nom commercial et nom de domaine pour des services, selon elle, identiques et similaires à ceux qu'elle propose, la société Mercenary Production a mis en demeure la société Mercenaire par courrier recommandé avec demande d'avis de réception du 28 septembre 2020 de cesser d'utiliser le terme " Mercenaire " à titre de dénomination sociale et de nom commercial. La société Mercenaire lui ayant opposé un refus par courrier du 14 avril 2021, elle a réitéré ses demandes par courrier du 12 mai 2021. 5. C'est dans ce contexte que par acte d'huissier de justice du 12 janvier 2022, la société Mercenary Production a fait assigner la société Mercenaire devant le tribunal judiciaire Paris en contrefaçon de marque. 6. Le 25 octobre 2022, le juge de la mise en état a fait injonction aux parties de rencontrer un médiateur, mais les parties n'ont pas adhéré à une mesure de médiation. 7. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 octobre 2022, la société Mercenary Production demande au tribunal de : A titre principal, sur le fondement de la contrefaçon de marque, de: - Faire interdiction à la société Mercenaire d'utiliser le signe "Mercenary Production", en ce expressément compris l'interdiction de tout nouvel usage du signe "Mercenaire" à titre de dénomination sociale, sur ses réseaux sociaux (Facebook, Instagram), sur le site internet www.mercenaire.com, en tant que nom de domaine www.mercenaire.com, et sur tout autre support, et ce sous, astreinte de 150 euros par jour à compter de la signification de la décision à intervenir ;- Ordonner que lui soit transféré le nom de domaine www.mercenaire.com détenu par la société Mercenaire à ses frais, et ce, dans un délai de quinze jours à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir ;- Condamner la société Mercenaire à lui payer la somme de dix mille euros (10.000 euros) au titre du préjudice moral subi au titre des actes de contrefaçon de marque ;A titre subsidiaire, elle formule les mêmes demandes cette fois sur le fondement de la concurrence déloyale en raison d'un risque de confusion: - Faire interdiction à la société Mercenaire d'utiliser le signe "Mercenary Production", en ce expressément compris l'interdiction de tout nouvel usage du signe "Mercenaire" à titre de dénomination sociale, sur ses réseaux sociaux (Facebook, Instagram), sur le site internet www.mercenaire.com, en tant que nom de domaine www.mercenaire.com, et sur tout autre support, et ce, sous astreinte de 150 euros par jour à compter de la signification de la décision à intervenir ;- Ordonner que lui soit transféré le nom de domaine www.mercenaire.com détenu par la société Mercenaire à ses frais, et ce, dans un délai de quinze jours à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir ;- Condamner la société Mercenaire à lui payer la somme de dix mille euros (10.000 euros) au titre du préjudice moral subi au titre de concurrence déloyale par confusion.En tout état de cause,- Rejeter les demandes reconventionnelles en nullité et en "attribution" de marque verbale française "Mercenary Production" no4513682 et en indemnisation au titre d'une procédure abusive ;- Rejeter la demande de publication judiciaire formulée par la société Mercenaire ; - Condamner la société Mercenaire à lui payer la somme de quatre mille euros (4.000 euros) au titre du préjudice subi au titre des actes de concurrence déloyale par confusion commis entre le 20 janvier 2017 et le 7 janvier 2019 ;- Condamner la société Mercenaire à lui payer la somme de sept mille euros (7.000 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et à supporter les entiers dépens. 8. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 septembre 2022, la société Mercenaire demande au tribunal de : - Dire et juger qu'en déposant la marque "Mercenary Production" en 2019, la société Mercenary Production a porté atteinte à son droit antérieur, sa dénomination sociale étant Mercenaire;En conséquence,- Prononcer la nullité de la marque française Mercenary Production déposée en fraude des droits des tiers, et ce faisant, débouter la société Mercenary Production de l'ensemble de ses demandes sur le terrain de la contrefaçon de marque ;- Dire et juger que la dénomination sociale Mercenaire enregistrée auprès du Registre du Commerce et des Sociétés de Paris le 20 octobre 2014 n'est en aucun cas susceptible d'être confondue avec la marque française Mercenary Production en date du 3 mai 2019 de la société demanderesse,En conséquence,- Débouter la demanderesse de l'ensemble de ses demandes sur le terrain de la contrefaçon de marque,- Dire et juger que la société Mercenary Production n'apporte pas la preuve d'une quelconque activité sous cette dénomination entre 2013 et 2019 ou d'une quelconque confusion avec la société Mercenaire, ou d'agissements parasitaires ou de concurrence déloyale de la part de la concluante,En conséquence,- Débouter la demanderesse de l'ensemble de ses demandes sur le terrain de la concurrence déloyale;- Débouter la demanderesse de l'ensemble de ses demandes, tant sur le terrain de la contrefaçon de marque que sur le terrain de la concurrence déloyale,Subsidiairement, dire et juger que la marque Mercenary Production a été déposée de manière abusive,En conséquence,- Lui attribuer la marque Mercenary Production,- Débouter la demanderesse de l'ensemble de ses demandes sur le terrain du droit des marques,En tout état de cause,- Dire et juger que la procédure introduite par la demanderesse l'a été de manière abusive.Ce faisant,- Condamner la demanderesse à lui verser 1 euro symbolique de dommages-intérêts,- Ordonner la publication judiciaire de la décision à intervenir dans trois journaux ou magazines aux frais avancés du demandeur, dans la limite de 3.000 euros par publication,- Condamner le demandeur à lui verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. 9. L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 octobre 2022 et l'affaire a été renvoyée à l'audience du 18 avril 2023 pour être plaidée. MOTIFS Sur la demande reconventionnelle en nullité de la marque "Mercenary production" Moyens des parties 10. La société Mercenaire demande au tribunal de prononcer la nullité de la marque "Mercenary Production" sur le fondement des dispositions de l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle, au motif que cette marque porte atteinte à sa dénomination sociale antérieure. Rappelant qu'elle utilise le signe Mercenaire comme dénomination sociale et nom de domaine de façon paisible, publique et continue depuis 2015, elle souligne que la société Mercenary Production, qui conclut à l'existence d'un risque de confusion sur le fondement de la contrefaçon de sa marque, ne peut soutenir qu'il n'y a aucun risque de cette nature, en réponse au moyen tiré de la nullité de son signe. Elle rappelle la chronologie des faits, la société Mercenaire ayant été créée cinq ans avant le dépôt de la marque litigieuse et ajoute que la société Mercenary Production ne peut se prévaloir de l'antériorité de sa propre dénomination sociale car elle ne l'a pas utilisée publiquement avant le dépôt de la marque le 8 janvier 2019, seul le signe semi-figuratif " Mercenary Prod " ayant été utilisé en 2012 et 2013. 11. Si elle maintient conclure à l'existence d'un risque de confusion dans l'usage des signes qui sont, selon elle, quasiment identiques sur le plan visuel, auditif et conceptuel pour désigner des services identiques et similaires, la société Mercenary Production demande au tribunal de rejeter la demande de nullité de sa marque et se prévaut de l'antériorité de sa propre dénomination sociale "Mercenary Production", enregistrée le 3 mai 2010, qu'elle soutient exploiter régulièrement depuis son enregistrement. Appréciation du tribunal 12. L'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de l'article 73 de la loi no2014-344 du 17 mars 2014 applicable au présent litige, dispose que "Ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment :[...]b) A une dénomination ou raison sociale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public [...]". 13. L'article L.714-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version applicable à l'espèce, dispose qu' "est déclaré nul par décision de justice l'enregistrement d'une marque qui n'est pas conforme aux dispositions des articles L.711-1 a` L.711-4." 14. En d'autres termes, un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment à une dénomination sociale, ne peut être adopté comme marque et est indisponible s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public. 15. Il importe en outre de rappeler que le droit conféré à une personne morale sur sa dénomination sociale s'acquiert non par l'usage, comme c'est le cas du nom commercial, mais par l'adoption dans ses statuts et son immatriculation. La dénomination sociale a ainsi vocation à être défendue contre un dépôt de marque postérieur dès que son titulaire acquiert la personnalité morale, à savoir son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, sans démonstration de sa notoriété, ni de son rayonnement. (Cass. com., 5 avr. 2018, no 16-19.655). Lorsqu'une société change de dénomination sociale, le droit naît au jour de l'inscription modificative au registre du commerce et des sociétés 16. En l'espèce, la société Mercenaire, qui invoque l'antériorité de sa dénomination sociale, a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris le 20 octobre 2014 sous la dénomination sociale Mercenaire. Il n'est pas contesté qu'elle en fait un usage public et régulier depuis cette date dans la vie des affaires. 17. Cependant, outre le fait que la société Mercenary production justifie au moyen du procès-verbal des délibérations de l'assemblée générale extraordinaire du 3 mai 2010 déposé au greffe du tribunal de commerce le 29 décembre 2010, avoir changé sa dénomination sociale pour le nom "mercenary production" avant 2014, la société Mercenaire ne démontre pas l'existence d'un risque de confusion entre le signe qu'elle exploite à titre de dénomination sociale et la marque dont est titulaire la société Mercenary production. 18. En effet, il est constant que l'appréciation de l'existence d'un tel risque, qui s'opère globalement, suppose d'effectuer une comparaison entre les signes en présence, par référence au contenu des activités enregistrées lors du dépôt de la marque d'une part, sans tenir compte des conditions d'exploitation des marques ni de l'activité de leur titulaire, avec, d'autre part, les activités effectivement exercées par l'exploitant de la dénomination sociale (voir Cass. com., 5 avr. 2018, no 16-19.655). 19. Au cas d'espèce, les classes de produits et services visées par l'enregistrement de la marque verbale "Mercenary production" sont: En classe 35 Publicité ; gestion des affaires commerciales ; administration commerciale ; travaux de bureau ; diffusion de matériel publicitaire (tracts, prospectus, imprimés, échantillons) ; services d'abonnement à des journaux (pour des tiers) ; services d'abonnement à des services de télécommunications pour des tiers ; présentation de produits sur tout moyen decommunication pour la vente au détail ; conseils en organisation et direction des affaires ; comptabilité ; reproduction de documents ; services de bureaux de placement ; portage salarial ; service de gestion informatisée de fichiers ; optimisation du trafic pour des sites web ; organisation d'expositions à buts commerciaux ou de publicité ; publicité en ligne sur un réseau informatique ; location de temps publicitaire sur tout moyen de communication ; publication de textes publicitaires ;location d'espaces publicitaires ; diffusion d'annonces publicitaires ; conseils en communication (publicité) ; relationspubliques ; conseils en communication (relations publiques) ; audits d'entreprises (analyses commerciales) ; services d'intermédiation commerciale (conciergerie) ; En classe 38 Télécommunications ; informations en matière de télécommunications ; communications par terminaux d'ordinateurs ;communications par réseaux de fibres optiques ; communications radiophoniques ; communications téléphoniques ;radiotéléphonie mobile ; fourniture d'accès utilisateur à des réseaux informatiques mondiaux ; mise à disposition de forumsen ligne ; fourniture d'accès à des bases de données ; services d'affichage électronique (télécommunications) ;raccordement par télécommunications à un réseau informatique mondial ; agences de presse ; agences d'informations(nouvelles) ; location d'appareils de télécommunication ; émissions radiophoniques ; émissions télévisées ; services detéléconférences ; services de visioconférence ; services de messagerie électronique ; location de temps d'accès à desréseaux informatiques mondiaux ; En classe 41 Éducation ; formation ; divertissement ; activités sportives et culturelles ; informations en matière de divertissement ; informations en matière d'éducation ; recyclage professionnel ; mise à disposition d'installations de loisirs ; publication de livres ; prêt de livres ; mise à disposition de films, non téléchargeables, par le biais de services de vidéo à la demande ;production de films cinématographiques ; location de postes de télévision ; location de décors de spectacles ; services dephotographie ; organisation de concours (éducation ou divertissement) ; organisation et conduite de colloques ; organisation et conduite de conférences ; organisation et conduite de congrès ; organisation d'expositions à buts culturels ou éducatifs ;réservation de places de spectacles ; services de jeu proposés en ligne à partir d'un réseau informatique ; services de jeuxd'argent ; publication électronique de livres et de périodiques en ligne" 20. La société Mercenaire, qui se définit comme une agence de talents, a quant à elle, pour objet social la représentation de photographes. Il ressort par ailleurs des pièces versées aux débats, en particulier des captures d'écran des pages des réseaux sociaux (instagram et facebook) lui appartenant, qu'elle exerce également des activités d'agence d'artistes et de " production - photo - video - influence - design - words - concept". 21. De fait, certains services visés par la marque postérieure de la société Mercenary Production se rapportent à un domaine d'activité similaire à celui qu'exerce la société Mercenaire; il s'agit notamment de la publicité, de l'activité de bureau de placement (agent d'artiste), de la production de films cinématographiques ou encore de services de photographie. En revanche, le surplus des activités visées à l'enregistrement de la marque "Mercenary Poduction" ne peut être considéré comme identique ou similaire à l'activité de la société Mercenaire. 22. S'agissant de l'appréciation globale des signes en présence, le signe "Mercenary Production", en ce qu'il comporte deux substantifs, se distingue nettement, sur le plan visuel, du signe "Mercenaire" qui ne comporte qu'un mot. Il en est de même sur le plan auditif, le premier signe comportant sept syllabes tandis que le second, terme unique "Mercenaire", n'en contient que trois. Si les deux syllabes d'accroche sont identiques, les sonorités sont différentes, accentuées par le fait que le signe du demandeur est composé de locutions anglaises. Enfin, sur le plan conceptuel, le terme "mercenaire", qui apparaît distinctif pour désigner les activités précitées, se se comprend aisément comme faisant référence à un "combattant servant un gouvernement étranger", au contraire des mots "mercenary production", en langue anglaise, dont la traduction s'avère moins évidente pour le public pertinent français. Il est par ailleurs souligné que le mot "mercenary" est ici employé comme adjectif qualificatif du mot "production", qui occupe de ce fait une place centrale dans le signe complexe. Cet adjectif vient ainsi qualifier, en langue française, celui "qui ne travaille que pour un salaire, qui est inspiré par la seule considération du gain". Les deux termes renvoient ainsi à des concepts différents. 23. Au vu de l'ensemble des éléments présentés ci-dessus, notamment la similarité partielle des services visés par la marque postérieure et de l'activité de la société Mercenaire et la comparaison des signes concluant à une faible similitude entre eux, le tribunal considère que les différences entre les deux signes sont telles que le public pertinent, dont le degré d'attention est relativement élevé s'agissant ici de professionnels, n'apparaît pas susceptible d'attribuer une origine commune aux services proposés sous les signes "Mercenaire" d'une part et "Mercenary production" d'autre part ; le risque de confusion par le public pertinent doit être écarté. 24. Par conséquent, la demande de nullité de la marque "Mercenary Production" ne peut aboutir sur le fondement de l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle. Sur la contrefaçon de la marque Mercenary Production Moyens des parties 25. La société Mercenary Production soutient que les signes sont quasiment identiques sur le plan visuels, similaires sur le plan phonétique, peu important qu'un des signes soit en langue anglaise, et qu'ils sont tout particulièrement proches sur le plan conceptuel, ceci étant de nature à retenir un risque de confusion alors que les domaines d'activités sont fortement similaires. Elle estime démontrer un risque de confusion et expose prouver que la clientèle peut être amenée à confondre les deux entités. Elle conteste avoir cherché à s'approprier le signe "mercenaire" alors que la société du même nom n'est titulaire d'aucune antériorité ni d'aucun droit de propriété intellectuelle sur le signe. 26. La société Mercenaire conclut au rejet des demandes adverses en raison de l'absence de risque de confusion. Elle rappelle que le terme "mercenaire", aisément compréhensible, est régulièrement utilisé dans le milieu artistique, que ce soit en littérature ou dans le cinéma, alors que le terme "mercenary", en langue anglaise, n'est que difficilement compris par le public francophone et se distingue tout particulièrement sur le plan phonétique. Elle précise que l'ajout du mot "production" achève d'écarter tout risque de confusion. Elle estime, en tout état de cause, que cette preuve n'est pas rapportée par la société Mercenary Production et insiste également sur les différences entre les activités exercées. Elle insiste sur l'intervention des deux sociétés dans le cadre d'une même campagne sans qu'il n'y ait eu de confusion de la part de leurs interlocuteurs. Appréciation du tribunal 27. Conformément aux dispositions de l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle, " est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :1o D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;2o D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque. " 28. L'article L. 713-3-1 du code de la propriété intellectuelle précise que " sont notamment interdits, en application des articles L. 713-2 et L. 713-3, les actes ou usages suivants :1o L'apposition du signe sur les produits ou sur leur conditionnement ; 2o L'offre des produits, leur mise sur le marché ou leur détention à ces fins sous le signe, ou l'offre ou la fourniture des services sous le signe ;3o L'importation ou l'exportation des produits sous le signe ;4o L'usage du signe comme nom commercial ou dénomination sociale ou comme partie d'un nom commercial ou d'une dénomination sociale ;5o L'usage du signe dans les papiers d'affaires et la publicité ;6o L'usage du signe dans des publicités comparatives en violation des dispositions des articles L. 122-1 à L. 122-7 du code de la consommation ;7o La suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée.Ces actes et usages sont interdits même s'ils sont accompagnés de mots tels que : " formule, façon, système, imitation, genre, méthode ". 29. Aux termes des dispositions de l'article L. 716-4 du code de la propriété intellectuelle, l'atteinte portée au droit du titulaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Par ailleurs, constitue une atteinte aux droits attachés à la marque la violation des interdictions prévues aux articles L. 713-2 , L. 713-3-3 et au deuxième alinéa de l'article L. 713-4 du code de la propriété intellectuelle. 30. La caractérisation de la contrefaçon est subordonnée à la démonstration de l'usage du signe litigieux dans la vie des affaires, c'est-à-dire dans le contexte d'une activité commerciale visant à un avantage économique (CJUE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal) de telle manière que cela porte atteinte aux fonctions de la marque. 31. Interprétant les dispositions de l'article 5 § 1 de la première Directive du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques (89/104/CEE), dont les dispositions précitées réalisent la transposition en droit interne, la Cour de Justice des Communautés européennes a dit pour droit que, constitue un risque de confusion au sens de ce texte, le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d'entreprises liées économiquement (voir arrêt Canon, C-39/97, point 29 ; arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97 ). Selon cette même jurisprudence, l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce (voir, arrêt SABEL, C-251/95, point 22), cette appréciation globale impliquant une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte (voir arrêt Canon, point 17). 32. L'appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par celles-ci, en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants. Aux fins de cette appréciation globale, le consommateur moyen de la catégorie de produits concernée est censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (voir, arrêt Gut Springenheide et Tusky, C-210/96, point 31 ; arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97, point 26). 33. En l'espèce, il n'est pas discuté que la société Mercenaire fait usage du signe "mercenaire" dans la vie des affaires en l'utilisant comme signe de ralliement de sa clientèle sur son site internet mercenaire.com depuis 2015 et sur les pages qu'elle exploite sous ce nom sur les réseaux sociaux facebook et instagram. 34. Cependant, il a été précédemment démontré que si certaines activités exercées sous ce nom par la société Mercenaire sont en partie similaires à certains services des classes dans lesquelles la marque "Mercenary production" a été enregistrée, la faible proximité des signes sur les plans visuels, auditifs et conceptuels conduit le tribunal à écarter tout risque de confusion par le public pertinent. 35. Dès lors, la société Mercenary Production sera déboutée de l'ensemble de ses demandes fondées sur la contrefaçon de marque. 36. Il n'y a pas lieu d'examiner la demande en revendication de marque qui est formée par la société Mercenaire à titre subsidiaire. Il sera toutefois observé, au surplus, qu'il ressort des éléments produits au dossier et de la chronologie des faits que ce n'est que près de cinq ans après le début de l'activité de la société Mercenaire sous ce signe que la société Mercenary Production, qui ne pouvait ignorer son existence pour évoluer dans le même secteur du luxe et de la mode, a déposé la marque dont elle demande aujourd'hui la protection, alors qu'elle ne justifie nullement l'avoir utilisée avant cette date à titre de marque dans la vie des affaires, pour désigner les services qu'elle propose. Il s'en déduit que cette marque a été déposée, non pas dans le but de participer de manière loyale au libre jeu de la concurrence, mais dans le but de priver la société Mercenaire de la possibilité d'utiliser son signe en invoquant un monopole sur le signe déposé, d'une manière qui s'avère non conforme aux usages honnêtes de la vie des affaire. Sur la concurrence déloyale Moyens des parties 37. La société Mercenary Production invoque les mêmes faits que ceux mis en exergue sur le fondement de la contrefaçon pour étayer sa demande de dommages-intérêts pour concurrence déloyale. Elle estime également que la société Mercenaire a commis des actes de concurrence déloyale dès le 20 janvier 2017 en usant du signe "Mercenaire" alors qu'elle avait des droits antérieurs au titre de sa dénomination sociale. Elle estime que la société Mercenaire a commis une faute en imitant sa dénomination sociale pré-existante, dans un champ d'activité proche destiné à une clientèle de luxe. La situation de concurrence est selon elle renforcée par le fait qu'elles sont localisées dans la même ville, [Localité 5], et qu'elles sont présentes dans la vie des affaires. Elle se prévaut d'un travail en commun sur un projet "Iro" pour soutenir l'existence du risque de confusion. 38. La société Mercenaire estime que cette demande ne peut prospérer en l'absence de démonstration d'un risque de confusion. Elle souligne que les signes sont différents et se prévaut de la différence entre les activités exercées, l'activité d'agence artistique n'étant pas visée lors du dépôt de la marque. Elle ajoute avoir acquis une forte notoriété à laquelle doit se combinerl'important intuitu personae qui prévaut dans le domaine du luxe. Elle invoque une récente collaboration entre les parties pour démontrer l'absence de tout risque de confusion. Appréciation du tribunal 39. Selon les articles 1240 et 1241 du Code civil, "Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Chacun est responsable du dommage qu'il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence". 40. La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, qui implique qu'un signe ou un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute, laquelle peut être constituée par la création d'un risque de confusion. L'appréciation de cette faute doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté de l'usage, l'originalité et la notoriété. 41. En l'espèce, ainsi que cela a été précédemment démontré, le risque de confusion entre les deux signes utilisés à titre de dénomination sociale comme de marque n'est pas démontré, si bien que la demande de dommages-intérêts sur le fondement de la concurrence déloyale ne peut utilement prospérer. 42. La demande sera rejetée. Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive Moyens des parties 43. La société Mercenaire demande la condamnation de la société Mercenary Production au paiement de la somme de 1 euro pour procédure abusive sur le fondement des dispositions de l'article 32-1 du code de procédure civile, estimant que sa démarche pour s'approprier son nom a été préméditée et qu'elle a été dans l'impossibilité de démontrer le bien fondé de ses demandes. 44. La société Mercenary production s'y oppose, soutenant être tout à fait légitime à se prévaloir de l'usage du signe dûment enregistré pour faire cesser les actes de contrefaçon et demander réparation. Appréciation du tribunal 45. Ester en justice est un droit et ne dégénère en abus pouvant justifier l'allocation de dommages-intérêts que dans les cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol. Une telle condamnation à dommages-intérêts pour procédure abusive implique donc que soit rapportée la preuve d'une intention malicieuse du demandeur et de la conscience d'un acharnement procédural voué à l'échec. 46. Or, en l'espèce, si l'action de la société Mercenary Production s'est révélée téméraire, la société Mercenaire n'invoque toutefois d'autre préjudice que celui résultant de l'obligation de se défendre, qui fait l'objet d'une demande au titre des frais irrépétibles. 47. Par conséquent, il convient de rejeter la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la société Mercenaire. Sur la demande de publication judiciaire 48. La société Mercenaire demande au tribunal de procéder à une mesure de publication judiciaire dans trois journaux ou magazines à ses frais avancés. 49. Cependant, elle ne précise pas le fondement juridique de cette demande, alors que l'article L. 716-4-11 du code de la propriété intellectuelle ne l'envisage que comme une mesure d'indemnisation complémentaire en cas de condamnation civile pour contrefaçon. Cette demande sera rejetée. Sur les demandes annexes 50. Succombant en ses demandes, la société Mercenary Production sera condamnée aux dépens de l'instance. 51. Supportant les dépens, elle sera condamnée à payer à la société Mercenaire la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 52. La présente décision est exécutoire de droit par provision. PAR CES MOTIFS LE TRIBUNAL, DÉBOUTE la société Mercenaire de sa demande de nullité de la marque "Mercenary Production"; DÉBOUTE la société Mercenary Production de l'ensemble de ses demandes fondées sur la contrefaçon de marque et la concurrence déloyale; DÉBOUTE la société Mercenaire de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive; REJETTE la demande de publication de la décision; CONDAMNE la société Mercenary Production aux dépens de l'instance; CONDAMNE la société Mercenary Production à payer à la société Mercenaire la somme de 5.000 euros (cinq mille euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile; RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit par provision. Fait et jugé à Paris le 22 juin 2023 LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000047878981
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 12 mai 2023, 18/12513
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2023-05-12
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Tribunal judiciaire de Paris
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18/12513
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CT0196
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG 18/12513No Portalis 352J-W-B7C-COCOU No MINUTE : Assignation du :09 Juillet 2018 JUGEMENT rendu le 12 mai 2023 DEMANDERESSE Société CANADA GOOSE INTERNATIONAL AG[Adresse 6][Localité 7] (SUISSE) représentée par Maître Olivia BERNARDEAU-PAUPE du PARTNERSHIPS DECHERT (Paris) LLP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0033 DÉFENDEURS S.A.S.U ARTEXTYL[Adresse 3][Localité 4] S.A.S. ROYAL BRAND MAKERS[Adresse 1][Localité 5] S.A.S. SUPER BRAND LICENCING[Adresse 3][Localité 4] Monsieur [G] [W][Adresse 2][Localité 4] représentés par Maître Annette SION du cabinet HOLLIER-LAROUSSE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0362 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Irène BENAC, Vice-PrésidenteMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge assisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en formation DÉBATS A l'audience du 06 Janvier 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile. Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe, en dernier lieu, le 12 Mai 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe ContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. La société de droit suisse Canada goose international AG (la société Canada goose) reproche à M. [W] et aux sociétés Artextyl, Super brand licencing et Royal brand maker, que celui-ci dirigeait jusqu'en 2018, d'avoir contrefait ses marques pour avoir commercialisé depuis 2013 des vêtements revêtus d'écussons semi-figuratifs ‘Geographical Norway' (faits reprochés aux deux premiers) et des vêtements revêtus de marques verbales ‘Stone goose' (faits reprochés aux deux dernières et à M. [W]). Elle demande également la nullité des marques Stone goose. 2. Elle invoque les marques de l'Union européenne suivantes, dont elle est titulaire :- la marque figurative ‘Canada Goose Arctic Program' représentée ci-dessous, numéro 010494979, déposée le 15 décembre 2011 et enregistrée le 17 mai 2012 pour désigner divers produits en classes 18 et 25, dont des vêtements (ci-après ‘la marque figurative Canada goose') - la marque verbale ‘Canada goose' numéro 003898021, déposée le 25 juin 2004 et enregistrée le 30 aout 2005 (renouvelée depuis) pour désigner notamment des « Vêtements et vêtements d'extérieur » en classe 25 (ci-après ‘la première marque verbale Canada goose'). - la marque verbale ‘Canada goose' numéro 014395602, déposée le 22 juillet 2015 par un tiers, qui l'a finalement transférée à la société Canada goose dans le cadre de la procédure d'opposition formée par celle-ci ; marque enregistrée le 5 mars 2018 pour désigner divers produits en classes 9, 14 et 18 (ci-après ‘la seconde marque verbale Canada goose'). 3. La société Super brand licensing, codéfenderesse, est titulaire des marques verbales françaises ‘Stone Goose' numéro 4408740, déposée le 29 novembre 2017, et numéro 4447822, déposée le 20 avril 2018. Elle les a acquises le 10 avril 2019 de M. [W], qui les avait déposées. 4. Un premier litige né en 2015 concernant l'usage de signes semi-figuratifs Geographical norway a donné lieu à une transaction par laquelle M. [W] et la société Artextyl s'engageaient à cesser l'usage de ces signes et de tout signe similaire. 5. Exposant avoir découvert la reprise de cet usage, et l'usage d'autres signes similaires à sa marque figurative, la société Canada goose a assigné la société Artextyl et M. [W], à titre personnel, en contrefaçon de marque, le 9 juillet 2018, après avoir fait pratiquer une saisie-contrefaçon le 7 juin 2018, saisie dont la rétractation a été demandée mais rejetée par ordonnance du 6 juin 2019. Puis la société Canada goose a assigné en intervention forcée les sociétés Super brand licensing et Royal brand maker le 15 février 2021. L'instruction a été close le 15 septembre 2022. 6. Dans ses dernières conclusions (30 juin 2022) la société Canada goose résiste aux demandes reconventionnelles et demande elle-même de :- prononcer la nullité des marques verbales françaises Stone Goose numéros 4408740 et 4447822,- condamner in solidum M. [W] et la société Artextyl à lui verser 1 million d'euros de dommages et intérêts provisionnels pour la contrefaçon de la marque figurative Canada goose ;- condamner in solidum M. [W] et les sociétés Super brand licensing et Royal brand maker à lui verser 1,5 million d'euros de dommages et intérêts provisionnels pour la contrefaçon de la première marque verbale Canada Goose,- subsidiairement, de condamner M. [W] à lui verser 1 million d'euros de dommages et intérêts provisionnels pour parasitisme,- des mesures d'interdiction, de rappel et de destruction des produits litigieux et de publication du présent jugement, le tout sous astreintes dont le tribunal doit se réserver la liquidation,- d'ordonner aux sociétés défenderesses la communication de documents au titre du droit d'information pour évaluer son préjudice, sous astreinte également ;- outre l'exécution provisoire, 100 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la part des défendeurs, in solidum, et les dépens, à recouvrer par son avocat. 7. Dans leurs dernières conclusions (26 août 2022), les sociétés Artextyl, Royal brand makers et Super brand licensing et M. [W] soulèvent l'irrecevabilité des demandes fondées sur les faits ayant fait l'objet de la transaction, résistent à l'ensemble des demandes, et demandent eux-mêmes de prononcer la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 7 juin 2018, outre 30 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens. MOTIVATION I . Demande en nullité des marques verbales françaises Stone Goose Moyens des parties 8. La société Canada goose soutient que les marques Stone goose sont nulles car elles créent un risque de confusion avec ses marques Canada goose ; qu'en effet, les produits sont identiques ; que, s'agissant des signes, le terme goose en est l'élément distinctif et dominant car il est dépourvu de signification aux yeux du public français dès lors qu'il ne fait pas partie du vocabulaire anglais basique, contrairement aux termes Canada et stone ; que l'EUIPO l'a déjà jugé s'agissant du public espagnol (B 3 079 990) ; que ces signes sont fortement similaires tant visuellement, phonétiquement que conceptuellement car ils ont la même structure, sont composés de deux mots de longueur comparable, le premier comprenant la lettre N au milieu, le second étant le même terme goose ; que stone, « pierre », peut renvoyer à la couleur grise des vêtements ; qu'ainsi Stone et Canada ne seront perçus que comme le qualificatif de l'élément distinctif goose, étant précisé que chaque élément sera appréhendé de façon individuelle par le consommateur ; que le Tribunal de l'Union européenne a retenu le risque de confusion entre une marque ‘Smart wings' et une marque antérieure ‘Euro wings' (T-72/08) ; que la société Super brand licencing a d'ailleurs elle-même soutenu en 2019 devant l'EUIPO que stone était fortement évocateur et que goose était fortement distinctif et visuellement fort ; que le risque de confusion est par ailleurs accru du fait de la renommée des marques Canada goose, le consommateur pouvant notamment penser que Stone goose est une déclinaison de Canada goose. 9. Les défendeurs répondent que les marques en cause étant verbales, aucun des termes ne saurait être considéré comme prédominant, outre qu'il faut analyser l'impression d'ensemble, donc sans scinder les marques artificiellement et sans négliger aucune partie ; que toutefois, c'est au terme d'attaque (le premier terme) dans un ensemble que le public accorde le plus d'attention. Ils considèrent par ailleurs que le terme « goose », qui signifie « oie » en anglais et renvoie aux plumes ou duvet utilisés dans les manteaux d'hiver, est connu du public français, l'anglais étant la première langue enseignée à l'école, comme cela a déjà été jugé pour le public allemand (B 3 087 369), et bien que le contraire ait été retenu pour le public espagnol, qui est différent, et au demeurant par rapport à une marque antérieure différente (‘Stones'). Ils font valoir, dans ce cadre, que les termes Canada et Stone sont visuellement et phonétiquement radicalement différents ; que conceptuellement, les signes Canada goose et Stone goose renvoient à des notions différentes, le second pouvant évoquer un jeu de mot entre les pierres, lourdes, tandis que les oies évoquent l'air et la légèreté ; qu'on ne peut voir dans le second une déclinaison du premier, dès lors que la demanderesse ne justifierait pas de l'existence d'une famille de marques ou de déclinaisons existantes ; enfin que la marque Canada goose est bien connue du public, ce qui exclurait aussi le risque de confusion. Réponse du tribunal 10. L'article 4 de la directive 2008/95 rapprochant les législations des États membres sur les marques régit la nullité d'une marque à raison d'un risque de confusion avec une marque antérieure dans les termes suivants : « 1. Une marque est refusée à l'enregistrement ou, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle:(...)b) lorsqu'en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association avec la marque antérieure. 2. Aux fins du paragraphe 1, on entend par «marques antérieures»: a) les marques dont la date de dépôt est antérieure à celle de la demande de marque, compte tenu, le cas échéant, du droit de priorité invoqué à l'appui de ces marques, et qui appartiennent aux catégories suivantes: i) les marques communautaires,(...) » 11. Ces dispositions ont été transposées en droit interne, en des termes qui ne leur sont pas incompatibles, par les article L. 714-3 et L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction antérieure au 15 décembre 2019. 12. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice que, au sens de ce texte (ainsi que des textes antérieurs, en substance identiques) et des textes relatifs au droit conféré par la marque, qui reçoivent une interprétation uniforme, constitue un risque de confusion le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d'entreprises liées économiquement (CJCE, 29 septembre 1998, Canon, C-39/97, point 29 ; CJCE, 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik, C-342/97). L'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce (CJCE, 11 novembre 1997, Sabel, C-251/95, point 22), cette appréciation globale impliquant une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte (arrêt Canon, point 17). 13. L'appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par celles-ci, en évaluant l'importance qu'il convient d'attacher à ces différents éléments, en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants, et au regard de la catégorie de produits ou services en cause (par exemple, arrêt Lloyd Schuhfabrik, précité). Aux fins de cette appréciation globale, le consommateur moyen de la catégorie de produits concernée est censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (CJCE, 16 juillet 1998, Gut Springenheide et Tusky, point 31). 14. Enfin, pour apprécier la similitude entre des produits ou des services, les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport entre ces produits ou ces services incluent, en particulier, leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire (arrêt Canon, C-39/97, précité, point 23). 15. La société Super brand licencing, titulaire des marques dont la nullité est demandée, ne conteste pas que l'ensemble des produits pour lesquels elles sont enregistrées sont identiques ou très similaires à ceux pour lesquels sont enregistrées les marques verbales Canada goose, à savoir : pour la marque 4408740- classe 18 : « Cuir et imitations du cuir; peaux d'animaux; malles et valises; parapluies, parasols et cannes; fouets et sellerie; portefeuilles; porte-monnaie; porte-cartes de crédit (portefeuilles); sacs; coffrets destinés à contenir des affaires de toilette; colliers ou habits pour animaux; filets à provisions ; »- classe 25 : « Vêtements, chaussures, chapellerie; chemises; vêtements en cuir ou en imitation du cuir; ceintures (habillement); fourrures (vêtements); gants (habillement); foulards; cravates; bonneterie; chaussettes; chaussons; chaussures de plage, de ski ou de sport; sous-vêtements » et pour la marque 4447822, les mêmes produits, auxquels s'ajoutent :- classe 24 : « Tissus; couvertures de lit; tissus à usage textile; tissus élastiques; velours; linge de lit; linge de maison; linge de table non en papier; linge de bain (à l'exception de l'habillement) ; » 16. Il est constant que le public de ces produits est le grand public. 17. Les marques en litige ont en commun d'être constituées de deux mots, dont le second est goose. Les parties s'opposent sur la compréhension de ce mot par le public français. Aucune n'apporte de preuve à cet égard, mais il peut être observé qu'il ne s'agit pas d'un mot transparent pour un locuteur francophone, ni d'un mot usuel susceptible d'être régulièrement employé dans des communications simples. Il faut alors retenir que seule la partie la plus anglophone du public français connait le sens de ce mot, et que dans l'ensemble le public pertinent ne l'associera pas spontanément à une oie. Ce terme est pour autant aisément prononçable par un français familiarisé à la prononciation anglaise du double o. Il est donc normalement distinctif. 18. Le terme Canada est, comme le soulève la société demanderesse, susceptible de désigner l'origine géographique du produit. Il est donc faiblement distinctif dans l'ensemble composé par la marque. Le mot stone (pierre) peut également désigner par métaphore la couleur de certains vêtements (les jeans) ; il est donc faiblement distinctif à cet égard, quoique sa compréhension première, même pour les produits en cause, reste de façon générale l'évocation de la pierre elle-même. 19. Néanmoins, le premier terme d'une marque verbale est celui auquel le public attache le plus d'attention. Or ici, visuellement, phonétiquement et conceptuellement, le terme d'accroche de chaque marque n'a rien de semblable : l'un est de trois syllabes, l'autre d'une, seule une lettre (n) est commune, et qui n'est pas au milieu du mot contrairement à ce qu'affirme la société Canada goose ; enfin l'un renvoie à un État, l'autre à une matière naturelle. 20. En outre, les termes Canada et stone, bien que plus faiblement distinctifs que le second terme, goose, forment dans chaque cas avec lui un groupe nominal cohérent (le goose du Canada, ou le goose de pierre) qui renforce, dans l'esprit du public, la prise en compte de la marque comme un tout et non comme l'apposition de deux éléments distincts, ce qui relativise corrélativement l'effet de l'identité du deuxième terme dans chaque marque. 21. Ainsi, prises dans leur ensemble, les marques, qui n'ont en commun que le second mot, le plus court à lire et à prononcer, ne sont que faiblement similaires visuellement et phonétiquement. Conceptuellement, elles ne sont pas similaires, dès lors que le public pertinent ne sait pas ce que veut dire goose et que le mot d'attaque procède à une qualification radicalement différente dans chaque cas. 22. Enfin, si la marque Canada goose jouit d'une distinctivité élevée du fait de sa relative renommée auprès du public pertinent, elle en jouit dans son ensemble, et non seulement sur sa deuxième partie. 23. Dans ce cadre, le terme goose n'est pas à ce point distinctif à lui seul, comparé à l'élément d'attaque de la marque, pour que tout autre emploi de ce terme soit perçu comme une déclinaison de la marque. Au contraire, seul un ajout, avant ou après les deux termes composant la marque, ou une substitution du premier terme par un autre visuellement, phonétiquement ou conceptuellement similaire (un autre qualificatif géographique par exemple) pourrait amener le public à y voir une déclinaison de la marque Canada goose ou une association avec elle. La substitution de Canada par Stone entraine un changement bien trop important pour avoir cet effet. 24. Il en résulte que, même enregistrées pour des produits identiques, les marques en cause sont trop peu similaires pour qu'existe un risque de confusion, y compris par une association ou une croyance dans une déclinaison de la marque antérieure. Le moyen de nullité est par conséquent infondé, et la demande en ce sens, rejetée. II . Demande reconventionnelle en nullité de la saisie-contrefaçon du 7 juin 2018 Moyens des parties 25. Les défendeurs font valoir que l'ordonnance de saisie-contrefaçon du 9 mai 2018 n'autorisait l'huissier qu'à appréhender les « produits litigieux », notion vague que le juge de la rétractation a certes jugé suffisante, mais dont il aurait aussi donné la portée dans son ordonnance du 6 juin 2019, portée que l'huissier a excédée selon eux en réalisant un reportage photographique de tous les vêtements revêtus d'un signe Geographical Norway, même ceux qui n'avaient aucun lien avec la marque figurative Canada goose, ce qui devrait entrainer l'annulation entière du procès-verbal. 26. La société Canada goose répond qu'il est consubstantiel aux ordonnances de saisie-contrefaçon de laisser à l'huissier un pouvoir d'appréciation de la situation et que la question de savoir si les produits décrits et saisis par l'huissier sont effectivement contrefaisants relève du débat de fond. En tout état de cause, selon elle, le fait pour l'huissier de commettre une erreur d'appréciation n'entraine pas la nullité du procès-verbal. Réponse du tribunal 27. Lors de la saisie-contrefaçon du 7 juin 2018 (pièce Canada goose no32), l'huissier a décrit 9 produits différents, dans plusieurs déclinaisons de couleur, a pris 96 photographies de divers produits, puis a saisi des produits (qui ne sont pas précisément identifiés) en en payant le prix. 28. L'ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon (pièce Canada goose no31) autorisait l'huissier à « procéder (...) à la saisie par voie de description détaillée (...) des produits litigieux revêtus des signes litigieux et portant atteinte aux droits de la requérante sur la [marque figurative Canada goose] ». Cette formulation renvoyait nécessairement à des signes identifiés dans la requête, n'autorisant ainsi l'huissier qu'à décrire les produits revêtus de ces signes, ou de déclinaisons de ces signes. Il est constant que les signes identifiés dans la requête sont ceux identifiés par les défendeurs au principal dans leurs conclusions, page 6. Une marge d'appréciation est inévitable lors de l'exécution de la saisie, dont le but est au demeurant la recherche de preuves, ce que l'ordonnance n'a pas entendu interdire ou restreindre de façon particulière. Il était ainsi seulement possible de décrire des vêtements revêtus d'un signe circulaire composé d'une bande de texte en périphérie et de l'Australie (ou autre masse continentale semblable) au centre. La description par texte et photographie des produits qui n'en était pas revêtus, non autorisée, est donc nulle. 29. En principe, le vice affectant une partie seulement du procès-verbal n'entraine pas la nullité de l'acte entier si elle est séparable. Ici, bien que la description ne fasse pas référence clairement aux photographies, qui seules permettent de savoir quel est le signe qui était apposé sur les vêtements correspondants, il est tout de même possible de comprendre que le produit visible sur les photographies 1 à 6, qui ne contient aucun signe susceptible d'être pris pour le signe litigieux, est le produit numéro 1 de la description ; en effet, les seuls signes circulaires présents sur ce produit ou son étiquette contiennent soit la représentation du Royaume-Uni, radicalement différent de la forme de l'Australie, soit un disque sans forme identifiable. Toutes les autres photographies, qui concernent des produits sur lesquels sont apposés des signes circulaires composés d'une bande de texte en périphérie, de l'Australie au centre et des mots Geographical Norway par dessus, qui peuvent donc s'assimiler à des « signes litigieux » au sens de l'ordonnance, se rapportent aux 8 autres produits décrits. Il en résulte que le procès-verbal doit seulement être cancellé de la partie concernant le premier produit, c'est-à-dire de la 3e page (les pages ne sont pas numérotées), à partir de « le premier produit saisi », à la 4e page, jusqu'à « je prends 6 clichés photographiques de ce modèle. », ainsi que des photos correspondantes. 30. L'ordonnance autorisait ensuite l'huissier à « procéder (...) à la saisie réelle en un exemplaire, contre offre de paiement de leur prix (...) de chacun des produits revêtus de l'un ou l'autre des signes portant atteinte aux droits de la requérante sur la [marque figurative Canada goose] ». Les produits saisis contre paiement de leur prix sont ceux qui ont été décrits. La saisie réelle du premier produit doit donc être annulée. 31. Et la demande en nullité est rejetée pour le surplus. III . Demandes fondées sur l'atteinte à la marque verbale Canada goose 1 . Atteinte au droit conféré par la marque Moyens des parties 32. La société Canada goose reproche aux sociétés Super brand licensing et Royal brand maker la contrefaçon de sa marque verbale Canada goose du fait de l'usage du signe Stone goose. Elle soutient que les produits sont similaires et renvoie à ses développements sur la demande de nullité des marques Stone goose pour la démonstration de la similarité des signes et l'existence du risque de confusion. 33. Subsidiairement, elle soutient que le terme goose pour désigner des parkas au sein d'une combinaison verbale ayant la même structure que la marque Canada goose évoquera immédiatement cette dernière dans l'esprit du public, et que cela non seulement génère un profit indu en permettant d'attirer l'attention du consommateur de profiter de l'image de qualité associée à la marque, mais lui cause aussi un préjudice tenant à l'avilissement et la dilution du caractère distinctif de la marque. 34. Les sociétés Super brand licensing et Royal brand maker contestent toute contrefaçon au motif que les signes en cause présentent des différences qui excluent tout risque de confusion, les consommateurs accordant plus d'importance au terme d'attaque. Elles ajoutent que la connaissance par les consommateurs de la marque Canada goose et le fait que les produits en cause ne soient pas vendus dans les mêmes points de vente excluent d'autant plus l'existence d'un risque de confusion. 35. Contre le moyen tiré de la renommée, les défenderesses contestent l'existence d'un lien au regard de l'absence de similitude entre les signes, ainsi que le profit indu ou le préjudice qui serait causé, faisant valoir notamment que la demanderesse ne justifie pas sa qualité supérieure et est en croissance constante. Réponse du tribunal 36. Le droit conféré par les marques de l'Union européenne est prévu par le règlement 2017/1001, à son article 9, rédigé en ces termes : « 1. L'enregistrement d'une marque de l'Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif. 2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque : a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée; b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque; c) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans l'Union et que l'usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l'Union européenne ou leur porte préjudice. » 37. L'atteinte au droit conféré par la marque de l'Union européenne est qualifiée de contrefaçon, engageant la responsabilité civile de son auteur, par l'article L. 717-1 du code de la propriété intellectuelle. 38. Il est constant que la société Royal brand maker fait usage, dans la vie des affaires, dans l'Union européenne (territoire sur lequel l'interdiction est demandée), du signe verbal Stone goose, décliné également sous plusieurs formes semi-figuratives, pour désigner des vêtements, dont des parkas. a. Risque de confusion 39. Il a été démontré (ci-dessus, partie I.) que ce signe, pour des vêtements, ne créait pas de risque de confusion à l'égard de la marque verbale Canada goose, dans l'esprit du public français. Dans le reste de l'Union européenne, dont au moins une langue officielle est l'anglais, le public anglophone verra une ressemblance conceptuelle dans la mesure où la marque et le signe concernent tous deux une « oie ». La ressemblance reste toutefois faible entre une « oie du Canada » et une « oie de pierre », et l'effet de cette ressemblance conceptuelle est compensé par le lien fait entre cet animal et le duvet susceptible de composer certains vêtements, comme les manteaux. Enfin, rien n'est allégué dans l'usage de ce signe qui pourrait modifier cette analyse. Aucun risque de confusion n'est donc établi, de sorte qu'aucune atteinte au droit conféré par la marque n'est caractérisée à l'égard de l'article 9, paragraphe 2, sous b). b. Atteinte à la renommée Renommée 40. Il résulte de l'article 16, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, et de l'article 18, paragraphe 1, de la directive 2015/2436, qui renvoient à l'article 8 de cette directive, que la date d'appréciation de la renommée de la marque antérieure lorsqu'elle est opposée à une marque enregistrée postérieurement n'est pas la date des faits d'usage litigieux, mais celle de la demande d'enregistrement de la marque postérieure, si à cette date elle était plus faible. Toutefois, au cas présent, les parties n'allèguent pas que la renommée de la marque verbale Canada goose se soit accrue depuis novembre 2017 ou avril 2018. 41. Les défendeurs ne contestent pas que la marque verbale Canada goose est renommée dans l'Union européenne pour les produits pour lesquels elle est enregistrée, c'est-à-dire les « vêtements et vêtements d'extérieur, à savoir manteaux, vestes, pulls, blouses, gilets, chemises, pantalons et anoraks ». Cette renommée résulte de ce que cette marque fait l'objet depuis plus de 10 ans d'une exploitation commerciale relativement importante, d'une couverture médiatique favorable, et d'une publicité qui compense en partie sa faible part de marché, les prix très élevés pratiqués (de 700 à 1 000 euros pour un manteau) la limitant à une frange réduite du public pertinent des produits concernés (c'est-à-dire le grand public). Ces éléments montrent aussi que la renommée de la marque Canada goose reste modérée : l'exploitation commerciale alléguée concerne un nombre de points de vente non négligeable en valeur absolue, notamment en France et en Allemagne (environ 200), mais qu'il faut rapporter à l'ensemble du marché des produits concernés (les vêtements) sur ces territoires qui sont les deux plus peuplés de l'Union ; la couverture médiatique favorable reste ponctuelle, et rien n'indique que la publicité donnée à la marque la place sensiblement au-dessus d'autres marques relativement bien identifiées par le public dans ce secteur très concurrentiel. Atteinte à la renommée 42. Le juge qui considère que la condition tirée de la renommée est remplie doit procéder à l'examen de la seconde condition prévue au texte, à savoir l'existence d'une atteinte sans juste motif à la marque antérieure ; à cet égard, il convient d'observer que plus le caractère distinctif et la renommée de celle-ci seront importants, plus l'existence d'une atteinte sera aisément admise (CJCE, 14 septembre 1999, General Motors Corporation, C-375/97, point 30). 43. L'atteinte peut être de trois types : premièrement, le préjudice porté au caractère distinctif de la marque antérieure, deuxièmement, le préjudice porté à la renommée de cette marque et, troisièmement, le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de ladite marque (CJCE, 27 novembre 2008, Intel corporation, C-252/07, point 27). 44. Une telle atteinte suppose (sans que cela suffise à la caractériser) qu'en raison d'un certain degré de similitude entre les signes, le public concerné effectue un rapprochement entre eux, c'est-à-dire qu'il établisse un lien, même s'il ne les confond pas. L'appréciation de ce lien repose notamment sur le degré de similitude entre les signes, le degré de ressemblance ou de dissemblance entre les produits ou services, le public concerné, l'intensité de la renommée, le degré de caractère distinctif de la marque (CJCE, Intel, précité, points 30 et 31, et point 42). 45. Ces critères font également partie des facteurs pertinents pour apprécier plus généralement l'existence (ou le risque) d'une atteinte (CJCE, Intel, précité, point 68). 46. Au cas présent, les consommateurs de vêtements et vêtements d'extérieur, confrontés au signe Stone goose, sont susceptibles d'effectuer un rapprochement avec la marque verbale Canada goose, qu'ils connaissent déjà pour les mêmes produits, au regard de l'identité du deuxième terme qui les compose. 47. Néanmoins, la renommée de la marque n'est pas telle que la reprise du seul terme goose (sans le terme d'accroche Canada) suffise à attribuer à tout autre usage qui l'inclurait, quel qu'il soit, une aura empruntée à la marque. Et, ici, la faible similitude entre le signe Stone goose et la marque Canada goose (démontrée ci-dessus, points 17 à 23, et point 39) ne permet pas, à cet égard, d'établir une influence sur le choix des consommateurs, que rien n'incite à choisir un produit Stone goose du seul fait qu'ils connaissent déjà l'existence de la marque Canada goose. Il n'y a donc pas de profit indu. 48. Il en résulte également que l'éventuelle qualité inférieure des produits Stone goose (à la supposer établie) n'a pas de répercussion sur la renommée de la marque Canada goose ; et que cette marque ne voit pas son caractère distinctif affaibli du fait de l'usage de ce signe. 49. L'atteinte alléguée à la renommée de la marque verbale Canada goose n'est donc pas caractérisée. 50. Par conséquent, en l'absence d'atteinte au droit conféré par la marque, les demandes en dommages et intérêts, interdiction, rappel, droit d'information et publication du fait de l'usage du signe Stone goose sont rejetées. IV . Demandes fondées sur l'atteinte à la marque figurative Canada goose 1 . Fin de non-recevoir tirée de la transaction conclue entre les parties Moyens des parties 51. Les défendeurs soulèvent l'irrecevabilité de la société Canada goose en ses demandes fondées sur « des faits ayant fait l'objet du protocole transactionnel du 29 décembre 2015, en application de l'article 2052 du code civil » (conclusions en défense, dispositif). Les faits invoqués à cet égard sont d'une part le dépôt en 2015 par M. [W] de marques semi-figuratives ‘Geographical Norway' (conclusions en défense p. 47), d'autre part de façon générale le paiement d'une indemnité à la société Canada goose, sans préciser les faits à l'origine du préjudice que cette indemnité devait réparer (p. 51). La transaction de 2015 est évoquée par ailleurs dans la discussion sur la contrefaçon, mais non pour en soulever l'autorité de la chose jugée, simplement en tant qu'indice de ce que la demanderesse aurait par le passé estimé les signes litigieux comme non contrefaisants (ce qui sera donc examiné au fond). 52. La société Canada goose répond que les défendeurs ne peuvent se prévaloir de la transaction dès lors qu'ils ne l'ont pas exécutée eux-mêmes, en ne respectant pas l'obligation de cesser d'utiliser le logo correspondant à la demande de marque Geographical Norway de 2015, ou tout autre signe similaire à celle-ci ou à la marque figurative Canada goose. Réponse du tribunal 53. En vertu de l'article 2052 du code civil, la transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet. Toutefois, elle ne met fin au litige que sous réserve de son exécution, et ne peut être opposée par l'une des parties que si celle-ci en a respecté les conditions (Cass. 1re Civ., 12 juillet 2012, no09-11.582, cité par la société Canada goose). 54. Aux termes de la transaction (pièce Canada goose no11), M. [W] et la société Artextyl s'engageaient à retirer trois demandes de marques litigieuses, à payer une indemnité de 5 000 euros, et à ne pas faire usage de signes similaires à la marque figurative Canada goose. 55. Or la société Artextyl admet avoir fait usage d'un certain nombre de signes (conclusions en défense, pp. 20-22), dont quelques-uns sont similaires à la marque figurative Canada goose (cf ci-dessous points 68 et 70). Elle a ainsi manqué à ses obligations et ne peut donc se prévaloir de la transaction. 56. S'agissant de M. [W], il n'est pas contesté qu'il a retiré les demandes de marques visées par la transaction et que le paiement de l'indemnité a été fait. Les seuls faits d'usage de signes similaires à la marque, postérieurs à la transaction, allégués contre lui par la société Canada goose, sont des faits commis en tant que dirigeant de la société Artextyl (conclusions de la société Canada goose, p. 58). Il ne peut ainsi être recherché qu'au titre de la responsabilité personnelle du dirigeant (ci-dessous, partie 3.). Dans la mesure où c'est bien sous cet angle qu'est formée la demande en contrefaçon, celle-ci est recevable également à l'égard de M. [W]. 57. Par conséquent, la fin de non-recevoir est écartée. 2 . Atteinte au droit conféré par la marque Moyens des parties 58. La société Canada goose soutient que la société Artextyl et M. [W] ont commis des actes de contrefaçon de sa marque figurative en faisant usage de signes semi-figuratifs Geographical Norway. Elle fait valoir que les produits sont identiques, que les signes sont fortement similaires, les éléments figuratifs étant dans les deux cas dominants. Or, selon elle, le logo litigieux reprend les éléments figuratifs distinctifs et renommés de la marque invoquée. Elle conclut qu'il existe un risque de confusion entre les signes qui est renforcé par la renommée de la marque et le fait que les logos litigieux soient apposés sur la manche des vêtements, comme la marque figurative Canada goose. 59. En réponse aux défendeurs sur la distinctivité de la marque invoquée, la société Canada goose estime inopérant le fait que l'usage d'un écusson sur des vêtements soit courant, l'originalité n'étant pas un critère en matière de droit des marques, et l'existence d'un logo tiers similaire à une marque enregistrée n'ayant aucune incidence sur la distinctivité de celle-ci. S'agissant de l'utilisation à titre de marque, elle répond que les consommateurs sont habitués à identifier l'origine commerciale d'un vêtement par les logos qui y sont apposés ; que M. [W] avait procédé au dépôt du logo en cause comme marque avant de retirer sa demande ; et que le logo litigieux est reproduit non seulement sur les vêtements mais aussi sur leurs étiquettes, confirmant leur vocation d'indication d'origine commerciale. Ainsi, selon elle, les défendeurs ne peuvent soutenir que ce logo n'est pas utilisé à titre de marque. 60. La société Artextyl et M. [W] répliquent tout d'abord que les éléments figuratifs de la marque invoquée ne présentent pas de caractère distinctif pour désigner les produits visés au dépôt dès lors qu'il existe de nombreux logos de forme circulaire présentant au centre une forme géographique en blanc sur fond bleu et des inscriptions autour, et qu'en particulier, la marque figurative Canada goose est la reprise de l'intégralité des caractéristiques de l'écusson des expéditions polaires américaines. Ainsi, selon eux, le caractère distinctif résulte seulement de la dénomination « Canada Goose Arctic Program » d'un côté et « Geographical Norway » de l'autre. 61. Ils ajoutent que le signe litigieux n'est pas utilisé à titre de marque et ne porte donc pas atteinte à la fonction de la marque, car la société Artextyl utilisant un grand nombre d'écussons différents, les produits sont identifiés uniquement par le signe verbal « Geographical Norway ». De même, selon eux, comme les éléments figuratifs des signes en présence sont dépourvus de caractère distinctif, il ne peut leur être reproché l'utilisation, à titre décoratif, d'un écusson faisant référence à ceux des expéditions polaires. 62. En tout état de cause, ils contestent toute ressemblance entre les signes, tant visuellement (les formes géographiques et les mentions verbales étant différentes, et le signe litigieux présentant parfois un drapeau norvégien au centre), que phonétiquement ou conceptuellement. Ils ajoutent que le fait que la marque invoquée soit bien connue du public exclut d'autant plus le risque de confusion. 63. Enfin, ils font valoir que la société Canada Goose a implicitement reconnu l'absence de contrefaçon de sa marque, dès lors que l'ensemble des logos litigieux n'ont pas été inclus dans le protocole d'accord transactionnel alors que la demanderesse en avait connaissance selon eux. Réponse du tribunal 64. Le droit conféré par les marques de l'Union européenne est prévu par le règlement 2017/1001, à son article 9, précité ci-dessus au point 36, et l'atteinte à ce droit est qualifiée de contrefaçon, engageant la responsabilité civile de son auteur, par l'article L. 717-1 du code de la propriété intellectuelle. a. Faits en cause Faits allégués 65. L'article 768 du code de procédure civile (applicable aux instances en cours et reprenant en toute hypothèse les dispositions identiques de l'ancien article 753) dispose que les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée ; que les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions ; et que le tribunal n'examine les moyens au soutien des prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. 66. Cette obligation repose sur le principe de la contradiction qui impose que la partie adverse soit en mesure de comprendre et de contredire ce qui lui est opposé, sans risque d'omettre un moyen qui n'aurait pas été soulevé clairement. Elle contribue corrélativement à la bonne administration de la justice et limite le risque d'erreur par le tribunal dans l'exercice de son office. 67. Au soutien de ses prétentions fondées sur la contrefaçon, la société Canada goose reproche à M. [W] et à la société Artextyl l'usage de signes qu'elle regroupe sous l'appellation « Logos Geographical Norway » (ses conclusions, p. 27). Cette appellation est introduite dans l'exposé des faits, ce qui peut tout de même permettre d'en tenir compte si la discussion y fait référence de façon explicite et que la définition en est claire ; mais, d'une part, la discussion n'y renvoie pas explicitement (seul le recours à des majuscules indique que cette expression est probablement définie quelque part, sans que rien n'indique où a lieu cette définition), d'autre part l'expression n'est pas même clairement définie dans l'exposé des faits : elle est seulement introduite (p. 14) comme désignant « ces logos et leurs variantes », ce qui renvoie à une énumération antérieure non exhaustive (« démontre notamment l'usage des logos suivants », « produits revêtus de logos similaires », « à titre d'exemple »), ce qu'ont au demeurant expressément critiqué les défendeurs (leurs conclusions, p. 50). Cette expression « Logos Geographical Norway » ne renvoie donc pas en elle-même à un ou des moyens de faits susceptibles de fonder la réponse à une ou plusieurs prétentions. 68. Il faut alors limiter l'analyse aux seuls faits expressément soulevés dans la discussion relative à la contrefaçon (pp. 27 et suivantes), c'est-à-dire en premier lieu la vente de vêtements revêtus des trois écussons suivants (ci-après, respectivement, les signes 1, 2 et 3) : 69. L'analyse doit porter en second lieu sur les signes suivants, qui sont soulevés également mais seulement au soutien de la démonstration relative à l'atteinte à la renommée de la marque, désignés comme les « Nouveaux Logos Geographical Norway » (conclusions en demande, p. 44) (ci-après, respectivement, les signes 4, 5, 6, en première ligne, 7 et 8 en deuxième ligne) : preuve de l'usage par la société Artextyl 70. La société Artextyl admet, et même revendique, l'usage sur des vêtements des signes 1 à 7, parmi un ensemble de signes divers cités pour prouver le caractère décoratif de leur usage (conclusions en défense pp. 20-22). L'usage du signe 8 n'est pas expressément admis, et contrairement à ce qu'affirme la société Canada goose, il ne ressort pas de la saisie-contrefaçon du 7 juin 2018, dont les photographies ne montrent aucun vêtement qui en serait revêtu ; mais il ressort de la saisie-contrefaçon du 21 décembre 2015. 71. S'agissant de M. [W], la demanderesse recherche sa responsabilité, au titre de la contrefaçon, en tant que dirigeant de la société Artextyl, ce qui dépend, notamment, de la gravité des faits imputables à celle-ci, et sera donc examiné en deuxième lieu. b. Risque de confusion 72. La Cour de justice de l'Union européenne a précisé que le droit exclusif du titulaire de la marque, qui n'est pas absolu, ne l'autorise à s'opposer à l'usage d'un signe par un tiers en vertu de l'article 9, dans les conditions énumérées au paragraphe 2, sous a) et b), que si cet usage porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, et notamment à sa fonction essentielle, qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service (CJCE, 12 novembre 2002, Arsenal football club, C-206/01, point 51 ; plus récemment, CJUE, 25 juillet 2018, Mitsubishi, C-129/17, point 34). 73. Dans le cas où l'article 9, paragraphe 2, sous a) est applicable (double identité de signes et de produits ou services), il peut s'agir d'une atteinte à l'une quelconque des fonctions de la marque : non seulement la fonction essentielle (garantie de provenance), mais aussi celle qui consiste « à garantir la qualité de ce produit ou de ce service, ou celles de communication, d'investissement ou de publicité » (CJCE, 18 juin 2009, L'Oréal, C-487/07, point 58). 74. Dans le cas prévu au paragraphe 2, sous b) (similitude de signes et de produits ou services), la condition spécifique de la protection est « le risque de confusion et donc une possibilité d'atteinte à la fonction essentielle de la marque » (L'Oréal précité, point 59). Autrement dit, en ce cas, le signe doit porter atteinte à la fonction d'indication d'origine « en raison d'un risque de confusion dans l'esprit du public » (CJCE, 12 juin 2008, O2 holdings, C-533/06, point 57 ; voir aussi CJUE, 3 mars 2016, Daimler, C-179/15, point 27). 75. Au cas présent, il résulte du procès-verbal de saisie-contrefaçon que les signes litigieux sont utilisés, dans la vie des affaires, sur des manteaux, des vestes polaires, des pantalons et des shorts, qui sont des produits identiques aux « Vêtements » pour lesquels la marque est enregistrée. 76. Les défendeurs contestent en faire un usage « à titre de marque » (car ils en feraient seulement un usage décoratif), c'est-à-dire, en termes de droit des marques, qu'ils contestent en faire un usage « pour des produits ou services » et contestent que cet usage porte atteinte à la fonction essentielle de la marque. Il faut rappeler en premier lieu que l'intention de celui qui utilise le signe est indifférente sur ce point, car seul compte l'effet de l'usage, qui s'apprécie par rapport à la perception qu'en a le public pertinent. En deuxième lieu, un signe peut avoir à la fois un rôle décoratif et celui d'indiquer l'origine commerciale du produit, outre qu'il peut aussi s'être vu assigner seulement une fonction décorative par son auteur mais avoir également pour effet de porter atteinte à une fonction de la marque. 77. Dans ce cadre, l'apposition sur des vêtements des signes litigieux qui, certes dotés d'un potentiel esthétique, restent en eux-mêmes aptes à distinguer une origine commerciale, est de façon évidente un usage « pour des produits ». Il est susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque, ce qui doit alors être analysé de façon générale au regard des autres facteurs (selon les principes rappelés ci-dessus points 12 à 14). Signe 2 78. Le signe 2 a en commun avec la marque (reproduite ci-dessous pour mémoire) d'être constitué d'un disque bleu, dans lequel se trouve une masse blanche, entouré d'un anneau blanc bordé de rouge dans lequel un texte est écrit en rouge. 79. En eux-mêmes, la forme circulaire, le motif central, le texte en périphérie, et le choix de couleurs contrastées sont des caractéristiques attendues des écussons apposés sur les vêtements, eux-mêmes usuels. Le public pertinent n'attachera donc pas beaucoup d'importance à ces éléments dans l'identification de l'origine commerciale du produit ; ils sont dès lors les plus faiblement distinctifs de l'ensemble, et ce sont les éléments décoratifs particuliers qui sont les plus déterminants dans la marque prise dans son ensemble. 80. À cet égard, dans le signe litigieux, il est évident que la masse blanche est une forme continentale, et plus précisément l'Australie, donc que le disque bleu est une carte ; tandis que dans la marque, on le suppose après un examen un peu plus attentif, que confirme également la partie verbale ‘Arctic program' qui indique le lien avec une expédition vers un lieu géographique ; la masse est, elle-même, non identifiable, mais avec l'aide, là encore, de la partie verbale, on suppose qu'il s'agit de la figuration stylisée d'un pôle, ce qu'encourage encore à penser la présence au centre de la masse blanche d'un petit symbole de cible ou de viseur dont partent, invisibles sous la masse blanche mais visibles sur le disque bleu, 12 rayons rouges écartés de façon régulière. 81. Au-delà de ces similitudes, le signe diffère de la marque de façon nettement visible en ce que sur la masse blanche du premier se trouve en grand le drapeau de la Norvège, et que le texte est beaucoup plus long et dense que dans la marque. À cet égard, si la société Canada goose soulève de façon pertinente que le texte n'est pas ici ce que le grand public verra en premier, il ne l'ignorera pas pour autant, et ce d'autant moins que, dans la marque, il est bien lisible, et contient la marque verbale Canada goose qui sert de confirmation à l'identification de l'origine commerciale exprimée par le signe dans son ensemble. En outre, le signe 2 ne contient ni le symbole du pôle, ni les rayons rouges, ni les petites feuilles d'érables rouges qui, dans la marque, remplacent de façon presque humoristique les étoiles rouges de l'écusson du « United States Antarctic Program » des États -Unis auquel la marque fait implicitement référence (reproduit ci-dessous, dont au demeurant l'antériorité est prouvée par la photographie de 1969 produite par les défendeurs dans leur pièce no16 et dont la marque en cause s'inspire de façon si flagrante qu'il est difficile de comprendre les dénégations de la société Canada goose sur ce point). Enfin, de façon moins immédiatement visible, la masse blanche du signe litigieux occupe une partie bien plus grande du disque bleu que dans la marque.82. Ainsi, le signe 2 et la marque sont visuellement et conceptuellement similaires dans leur structure générale, mais diffèrent visuellement et conceptuellement sur plusieurs éléments nettement visibles qui compensent largement cette similitude. Ces différences pourraient être mineures si le public n'y consacrait qu'une attention faible, et c'est ce qui sous-tend, en définitive, l'argumentation de la société Canada goose ; mais le grand public achetant des vêtements y consacre une attention moyenne, et non une attention faible. Or avec une attention moyenne, le public remarquera immédiatement que le signe, avec son drapeau norvégien, et son texte très dense, ne correspond pas au souvenir, même imparfait, qu'il a gardé de la marque figurative Canada goose ; il constatera au contraire qu'alors que la marque contient, de façon très claire, et donc mémorisable, l'élément verbal Canada goose, le signe 2 ne le contient pas. Cet examen d'ensemble du signe et de la marque par le consommateur permet d'écarter toute confusion directe (le public ne prendra le signe 2 pour la marque figurative Canada goose). 83. Le caractère relativement générique des éléments communs, et l'importance des éléments divergents, permettent également d'écarter le risque d'une association (le public ne croira pas que le signe 2 est une déclinaison de la marque, ou indique un partenariat ou un aval du titulaire de celle-ci). En effet, les éléments les plus distinctifs de la marque, sur lesquels pourrait s'appuyer l'indication d'une déclinaison ou d'un partenariat, ne sont pas repris d'une façon qui pourrait passer pour identique à l'observateur d'attention moyenne : la masse continentale est ressemblante mais pas au point d'être prise pour la même, le texte ne reprend aucun mot commun, et notamment pas les termes Canada goose qui sont l'élément le plus distinctif de la partie verbale de la marque, et le drapeau, qui évoque un autre territoire que la marque, n'est pas rattaché à celle-ci par d'autres éléments qui pourraient laisser penser qu'il s'agirait d'une déclinaison géographique de la même marque. 84. En définitive, la ressemblance du signe 2 et de la marque repose sur des éléments partiels, dont certains sont relativement génériques, et qui ne suffisent pas pour que le public d'attention moyenne puisse croire que les produits en cause proviennent de la même entreprise ou d'entreprises liées économiquement, même s'agissant de produits identiques. Il peut être utilement rappelé enfin qu'aucune modalité de l'usage n'est alléguée qui pourrait encourager un risque de confusion. En particulier, les vêtements vendus par la société Artextyl sous les signes 1 à 8 ne sont pas les mêmes que les vêtements vendus par la société Royal brand maker sous le signe verbal Stone goose : il n'est pas allégué que les uns et l'autre soient exploités ensemble. Quant à la position du signe sur la manche, alléguée par la société Canada goose, elle n'est pas un facteur pertinent dès lors que la marque n'est pas enregistrée pour être apposée dans une position particulière, et que l'atteinte à une marque s'apprécie par rapport à l'enregistrement et non par rapport à la façon dont celle-ci est exploitée. Signe 3 85. Le signe 3 est identique au signe 2 à ceci près que l'Australie est en brun ou rouge sombre au lieu d'être en blanc, et que le drapeau de la Norvège n'y figure pas. L'absence du drapeau le rapproche de la marque, mais la couleur très nettement différente de la masse continentale l'en éloigne au moins autant. Ainsi, les mêmes considérations que celles retenues pour le signe 2 conduisent également à écarter le risque de confusion entre le signe 3 et la marque pour des vêtements. Signe 1 86. A fortiori, le signe 1 qui est identique au signe 2 à ceci près que son fond n'est pas bleu, mais noir (ou très sombre), et que l'Australie est bordée d'un trait rouge, deux éléments qui l'éloignent significativement de la marque, ne suscite pas de risque de confusion. 87. Par conséquent, aucune atteinte à la marque figurative Canada goose n'est caractérisée du fait de l'usage des signes litigieux au regard de l'article 9, paragraphe 1, sous b) (risque de confusion). c. Atteinte à la renommée 88. Le cadre juridique de l'atteinte à la renommée est rappelé ci-dessus points 36 et 42 à 45. 89. La renommée de la marque figurative Canada goose repose sur les mêmes éléments que ceux examinés pour la marque verbale ; comme celle-ci, les défendeurs ne la contestent pas ; et par suite, comme celle-ci, elle peut être retenue, à un niveau intermédiaire, pour les mêmes motifs (cf ci-dessus, point 41). 90. Ainsi qu'il a été constaté en partie b. ci-dessus, les signes 2 et 3 ont en commun avec la marque des éléments qui constituent leur structure et déterminent l'impression visuelle qu'ils dégagent au premier regard. Si ces ressemblances ne suffisent pas à caractériser un risque de confusion, elles suffisent en revanche à ce qu'un rapprochement soit fait entre la marque et ces signes par le public. 91. Ce rapprochement repose, en particulier, sur le cumul d'une identité de structure et de couleurs (bleu et rouge), avec une similarité de forme de la masse continentale centrale, qui s'approche de celle d'un haricot (la partie basse en est concave, et la partie haute convexe dans l'ensemble, ou autrement formulé, sa surface forme un creux en bas et une bosse en haut). Cette analogie de forme découle du choix, dans les signes litigieux, de représenter l'Australie ; or ce choix, dont les défendeurs ne s'expliquent pas, n'a aucune cohérence avec ce qu'évoque la marque par ailleurs : l'élément verbal ‘Geographical Norway expedition' et le drapeau renvoient à la Norvège, à l'autre bout du monde ; le reste de l'élément verbal, ‘1953 Polar corp. Below zero' renvoie de même à un pôle, et à des températures négatives ; ce qui est sans rapport avec l'Australie, territoire de l'hémisphère sud au climat chaud. Il en résulte certes, comme le font valoir les défendeurs, que les signes en cause sont fantaisistes ; mais également, de façon plus significative, que ces signes fantaisistes sont conçus sans autre motif que celui de rechercher le rapprochement avec la marque Canada goose. 92. Les signes 2 et 3 signifient ainsi en eux-mêmes qu'ils sont une imitation de la marque figurative Canada goose ; le consommateur de vêtements, voyant l'un de ces signes arboré sur la manche d'un manteau, comprendra qu'il s'agit d'un « faux » Canada goose, fantaisiste certes, mais néanmoins assumé, ce qui a une incidence sur l'acte d'achat. 93. Dès lors, ces signes 2 et 3 tirent indûment profit de la renommée de la marque, et leur usage, qui porte de ce fait atteinte au droit conféré par celle-ci, est une contrefaçon engageant la responsabilité civile de la société Artextyl, qui en est l'autrice. 94. En revanche, les signes 1 et 4 à 8, qui ne reprennent pas la combinaison de couleurs caractéristiques de la marque, sont insuffisamment similaires à celle-ci pour qu'un lien soit fait entre eux et la marque par le consommateur. Par conséquent, les demandes en contrefaçon sont rejetées en ce qui concerne les signes 1, et 4 à 8. 3. Faute personnelle de M. [W] (au titre de la contrefaçon) Moyens des parties 95. Invoquant le régime de la responsabilité personnelle des dirigeants de personnes morales, elle estime que M. [W], à titre personnel, est également responsable de la contrefaçon, en ce qu'il y aurait personnellement participé, en déposant en son nom les demandes de marques ayant fait l'objet de la transaction et en concédant des licences sur ces marques (avant la transaction), en étant le dirigeant de la société Artextyl qui a continué à exploiter les logos litigieux en connaissance de cause, en déposant les marques Stone goose dont il aurait confié l'exploitation à une autre société pour entretenir le flou sur leurs liens ; qu'il est ainsi personnellement à l'initiative des actes de contrefaçon commis par ces sociétés et qu'il s'agit d'une faute intentionnelle d'une particulière gravité, détachable des fonctions de dirigeant. 96. M. [W] fait valoir qu'il n'a exploité aucune marque à titre personnel, et que les fautes invoquées ne sont pas détachables de ses fonctions. Réponse du tribunal 97. Le dirigeant d'une personne morale n'engage sa responsabilité personnelle dans l'exercice de ses fonctions que s'il commet intentionnellement une faute d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales (Cass. Com., 31 mars 2015, no13-19.432). 98. La société Artextyl a exploité divers signes dont deux (seulement) sont contrefaisants. Cet usage fait certes suites au dépôt d'autres marques ayant donné lieu à un différend, et à une transaction par laquelle elle s'était engagée à cesser tout usage de signes similaires à la marque figurative Canada goose. Il ne s'agit toutefois pas de décisions d'une telle gravité qu'elles seraient incompatibles avec l'exercice normal des fonctions sociales. 99. Les demandes dirigées contre M. [W] et fondées sur la contrefaçon sont donc rejetées. 4 . Réparation et autres mesures Moyens des parties 100. Outre des mesures d'interdiction, de rappel, de confiscation et de destruction des produits litigieux, et de publication du présent jugement, la société Canada goose formule une demande au titre du droit d'information. 101. La demanderesse estime que la contrefaçon de sa marque figurative l'a privée des bénéfices qu'elle aurait pu percevoir sur la vente de parkas authentiques ; que les derniers comptes publiés par la société Artextyl (2017) montrent un chiffre d'affaires de 34 millions d'euros ; que les produits revêtus des logos litigieux représentent une part très significative du total ; qu'il est donc raisonnable d'estimer la masse contrefaisante à au moins 10% du chiffre d'affaires total, soit 3 millions d'euros par an, pendant 6 ans depuis 2015, pour un total de 18 millions d'euros ; que si une autorisation avait été demandée, une redevance d'au moins 10% aurait été fixée, qui doit être augmentée à 15% « pour tenir compte du contexte de contrefaçon » ; qu'elle aurait donc perçu un total de redevances de 2,7 millions d'euros ; qu'elle est ainsi fondée à obtenir au moins une provision d'un million d'euros. 102. Les défendeurs contestent la demande de droit d'information, considérant que certaines des informations sollicitées relèvent du secret des affaires, mais également que la demanderesse n'identifie pas précisément les écussons qu'elle considère litigieux. 103. Ils contestent également les demandes indemnitaires au motif qu'elles ne reposent, selon eux, sur aucun élément. Ils ajoutent que la société Canada goose a déjà bénéficié d'une indemnité dans le cadre du protocole d'accord transactionnel. Réponse du tribunal 104. En vertu de l'article L. 716-4-10 du code de propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en compte distinctement les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée, le préjudice moral causé à cette dernière, et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon. 105. Le second alinéa de cet article prévoit, à titre alternatif et à la demande de la partie lésée, la possibilité d'allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire, supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte ; et qui n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. 106. Ces dispositions doivent être interprétées, d'une part, à la lumière du principe de réparation intégrale, en vertu duquel la partie lésée doit se trouver dans la situation qui aurait été la sienne en l'absence des faits litigieux, sans perte ni profit pour elle ; d'autre part, à la lumière de la directive 2004/48 sur le respect des droits de propriété intellectuelle, qui prévoit à son article 13 que les dommages et intérêts doivent être adaptés au préjudice que le titulaire du droit « a réellement subi du fait de l'atteinte ». 107. Par ailleurs, l'article L. 716-4-11 du même code prévoit notamment le rappel des produits contrefaisants des circuits commerciaux, ou leur destruction, et toute mesure appropriée de publicité, aux frais du contrefacteur. 108. Et l'article L. 716-4-9, appliquant l'article 8 de la directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, prévoit au bénéfice du demandeur à l'action en contrefaçon un droit d'information en vertu duquel la juridiction peut ordonner, s'il n'existe pas d'empêchement légitime, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des produits ou procédés argüés de contrefaçon qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits argüés de contrefaçon ou mettant en oeuvre des procédés argüés de contrefaçon ou qui fournit des services utilisés dans de prétendues activités de contrefaçon ou a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits, la mise en oeuvre de ces procédés ou la fourniture de ces services. Interdiction et rappel 109. L'usage dans la vie des affaires des signes 2 et 3, qui portent atteinte au droit conféré par la marque figurative Canada goose, est interdit, et une astreinte est nécessaire. Le rappel et la destruction des produits concernés doivent également être ordonnés en tant que de besoin, sous astreinte également. Il est rappelé que la preuve de l'exécution d'une obligation de faire incombe à son débiteur ; la société Artextyl est donc invitée à se ménager par tout moyen la preuve du rappel et de la destruction qui lui sont ordonnés. Indemnité provisionnelle 110. La saisie-contrefaçon du 7 juin 2018 révèle que sur 8 modèles présents sur les lieux (l'huissier en a constaté 9 mais les défendeurs ont obtenu la nullité s'agissant du 1er, qui ne peut donc pas être pris en compte dans ce jugement, bien que cela eût été dans leur intérêt), seul 1 est revêtu (sur son étiquette) de signes contrefaisants. Ce modèle, référencé ‘Trophy Lady', est toutefois celui qui était présent dans le plus grand nombre de couleurs différentes, ce qui indique qu'il est l'un des plus vendus. 111. Le constat sur l'internet du 27 février 2018 (pièce Canada goose no14) est critiqué à juste titre par les défendeurs pour la mauvaise qualité de ses images, et celles qui permettent de constater un signe circulaire ne contiennent aucun des signes expressément argüés de contrefaçon par la demanderesse (cf ci-dessus points 65 à 69). Il en va de même du constat du 29 octobre 2015, et de la saisie-contrefaçon du 21 décembre 2015. 112. La société Artextyl n'a pas communiqué ses comptes, et ne conteste pas que ceux de 2017, invoqués par la demanderesse, sont les derniers publiés. Elle n'apporte aucune information sur la part relative de ses différents modèles dans son chiffre d'affaires, et il ne peut notamment être exclu que d'autres modèles aient été revêtus des mêmes étiquettes que le Trophy lady. Un droit d'information est alors nécessaire. 113. Pour fixer la provision, la demanderesse peut être suivie dans sa méthode extrapolant le chiffre d'affaires de 2017 pour les autres années depuis 2015 (étant rappelé que la transaction n'ayant pas été respectée, elle n'est pas opposable), sur 6 années. En adaptant cette méthode à la part a priori très minoritaire de modèles contrefaisants sur l'ensemble des modèles vendus, la provision peut être fixée à 150 000 euros. Droit d'information 114. Le droit d'information doit être adapté à la réalité de la contrefaçon. Il ne peut porter que sur des produits revêtus (y compris sur l'étiquette) de l'un ou l'autre des deux signes contrefaisants. Ainsi, et dans la limite de la demande formée par la société Canada goose, il faut ordonner à la société Artextyl de communiquer le nombre total de vêtements vendus revêtus du signe 2 ou du signe 3, depuis 2010 (cette date n'est pas contestée en défense), le chiffre d'affaires et la marge correspondants, attestés par son expert comptable. 115. En revanche, la société Canada goose n'expose pas en quoi la recherche des fournisseurs de la société Artextyl permettrait la découverte d'autres personnes responsables de la contrefaçon ou de mieux déterminer le préjudice, alors qu'il est constant que la société Artextyl est la personne à l'origine de cette contrefaçon et du réseau de distribution des produits contrefaisants. La recherche demandée serait alors disproportionnée. 116. Une astreinte est nécessaire pour le droit d'information. Toutes les astreintes prononcées pourront être liquidées, le cas échéant, par le juge de l'exécution, qui a la compétence de principe à cet égard et devant lequel la procédure est plus adaptée. Publication 117. La contrefaçon commise par la société Artextyl repose sur la volonté d'attirer le public par le rapprochement avec la marque de la demanderesse ; la réparation de ces faits requiert une information de ce public, ce qui est proportionné à l'ampleur relativement importante de la contrefaçon. Cette information peut se limiter néanmoins au site internet de la société Artextyl et à 2 journaux. La communication par la société Artextyl sur son site internet, au regard de son enjeu, doit être faite sous une astreinte particulièrement élevée. Il est rappelé que la preuve de l'exécution d'une obligation de faire incombe à son débiteur ; la société Artextyl est donc invitée à se ménager par tout moyen la preuve du début et de la durée de la publication qui lui est ordonnée. V . Demandes subsidiaires en parasitisme dirigées contre M. [W] 118. La fin de non recevoir tirée de la transaction est également opposée à la demande en parasitisme. Le même raisonnement que pour la demande en contrefaçon s'applique (ci-dessus, point 56) : M. [W] n'ayant, à titre personnel, fait usage d'aucun signe, il a respecté la transaction ; seule la violation de la transaction par la société Artextyl peut être invoquée, ce dont il résulte à l'égard de M. [W] que sa responsabilité personnelle à raison de l'objet de la transaction ne peut être recherchée qu'en tant que dirigeant de cette société. Et c'est bien à ce titre que la société Canada goose forme sa demande, laquelle est donc recevable. Moyens des parties 119. La société Canada goose reproche à M. [W] de s'être « inscrit au centre d'un ensemble de comportements parasitaires » à son égard, par le dépôt, en 2004 et 2005, de marques ‘Norwegian goose' et ‘Canadian moose', qu'il n'a abandonnées qu'en 2021 ; par le dépôt des marques Stone goose ; par le dépôt d'une marque Canadian brothers ; par l'exploitation de ces signes par l'intermédiaire de plusieurs sociétés dont il est en réalité le bénéficiaire effectif. 120. M. [W] réplique que dès lors qu'il n'exploite pas les marques litigieuses ni ne commercialise de vêtements revêtus des signes en cause, il ne saurait être condamné pour parasitisme. Il conteste par ailleurs les arguments développés par la demanderesse, qu'il considère comme dénués de pertinence. Il conteste enfin les demandes indemnitaires, considérant qu'elles ne sont pas justifiées. Réponse du tribunal 121. Est fautif, au sens de l'article 1240 du code civil, le fait, pour un agent économique, de se placer dans le sillage d'une entreprise en profitant indûment des investissements consentis ou de sa notoriété, ou encore de ses efforts et de son savoir-faire ; qualifié de parasitisme, il résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité (Cass. Com., 4 février 2014, no13-11.044 ; Cass. Com., 26 janvier 1999, no 96-22.457), et qu'il faut interpréter au regard du principe de liberté du commerce et de l'industrie. 122. Les marques ‘Norwegian goose' et ‘Canadian moose' manifestent, de façon presque caricaturale, la recherche d'un rapprochement avec la marque verbale Canada goose ; toutefois, comme les autres dépôts en cause, ils n'ont en eux-même, en tant que dépôts de marque, aucune conséquence concrète ; ils ne sauraient dès lors caractériser un parasitisme et ne peuvent, comme l'explique au demeurant la société Canada goose elle-même, servir qu'à démontrer l'intention de leur auteur derrière les faits qu'il a commis. 123. Mais ces faits eux-mêmes ne consistent qu'en l'exploitation faite par des sociétés dont M. [W] était le dirigeant. Or l'exploitation du signe Stone goose n'est pas fautive, et aucune exploitation des marques Norwegian goose, Canadian moose, Canadian brothers (à supposer celle-ci fautive) n'est démontrée. 124. Aucune faute n'est donc imputable à M. [W] et les demandes dirigées contre lui sont par conséquent rejetées. VI. Dispositions finales 125. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie.126. La société Artextyl perd le procès dans son principe dès lors qu'elle n'admettait pas le caractère contrefaisant des deux signes interdits. Elle est donc tenue aux dépens. 127. Elle gagne néanmoins le procès à l'égard des autres signes litigieux dont l'usage lui était reproché. L'indemnité due à la demanderesse pour ses autres frais, pour en tenir compte, et tenir compte plus généralement du travail perceptible consacré à la recherche, à la preuve et à la tenue du procès, est alors fixée à 20 000 euros. 128. La société Canada goose perd le procès à l'égard des autres défendeurs. Elle doit donc les indemniser de leurs frais, qui peuvent être estimés, en tenant compte de la même manière de l'ampleur perceptible du travail consacré, à 15 000 euros. 129. L'exécution provisoire est nécessaire en raison de la mauvaise foi de la société Artextyl. Elle est compatible avec la nature de l'affaire, y compris avec la publication. Contrairement à ce que soutient la défenderesse qui s'oppose à l'exécution provisoire pour la publication, la longueur des « délais de la justice, très éloignés des délais de la vie des affaires » n'est pas un motif justifiant d'écarter l'exécution provisoire, mais précisément un motif rendant celle-ci nécessaire. Enfin une telle publication n'est pas irréversible, le public informé d'une condamnation en premier ressort aujourd'hui pouvant naturellement être informé plus tard d'une éventuelle infirmation par la cour d'appel. PAR CES MOTIFSLe tribunal : Rejette la demande en nullité des marques françaises Stone goose 4408740 et 4447822 ; Annule partiellement le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 7 juin 2018, à savoir uniquement de sa 3e page, à partir de « le premier produit saisi », à la 4e page, jusqu'à « je prends 6 clichés photographiques de ce modèle. », ses photographies 1 à 6, et en ce qu'il a été procédé à la saisie réelle du premier produit décrit ; Rejette toutes les demandes formées au titre de l'usage des signes Stone goose ; Interdit à la société Artextyl de (faire) fabriquer ou commercialiser dans l'Union européenne tout vêtement revêtu (ou dont l'étiquette est revêtue) de l'un ou l'autre des deux signes suivants (en couleur, tels qu'ils sont décrits dans les motifs, points 78 à 85, mais indépendamment de la couleur du fond sur lequel ils sont apposés), et ce sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée qui commencera à courir 5 jours après la signification du jugement et courra pendant 90 jours ; Ordonne à la société Artextyl de rappeler des circuits commerciaux et détruire les produits revêtus (ou dont l'étiquette est revêtue) de l'un ou l'autre de ces signes, et ce dans un délai de 30 jours suivant la signification puis sous astreinte de 500 euros par jour de retard qui courra pendant 90 jours ; Ordonne à la société Artextyl de communiquer à la société Canada goose une attestation de son expert comptable relative à l'ensemble du chiffre d'affaires et de la marge réalisés sur tout vêtement revêtu (ou dont l'étiquette est revêtue) de l'un ou l'autre de ces deux signes, et ce dans un délai de 45 jours à compter de la signification du jugement, puis sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard qui courra au maximum pendant 90 jours ; Condamne la société Artextyl à payer à la société Canada goose une provision de 150 000 euros de dommages et intérêts pour la contrefaçon de la marque figurative Canada goose ; Rejette les demandes en contrefaçon à raison de l'usage des autres signes litigieux (identifiés aux points 68 et 69 du jugement) ; Rejette les demandes dirigées contre M. [W] ; Ordonne à la société Artextyl de publier sur la page d'accueil du site artextyl.com, de façon très visible et attirant immédiatement le regard, le communiqué qui suit, et ce pendant 90 jours, à commencer au plus tard dans un délai de 10 jours suivant la signification du jugement puis sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard, qui courra au maximum pendant 90 jours : « La société Artextyl, qui commercialise des vêtements sous la marque Geographical Norway, a été condamnée en premier ressort par le tribunal judiciaire de Paris le 12 mai 2023 pour contrefaçon de la marque figurative Canada goose du fait de l'usage de ces signes : . » ; Étant précisé que les signes figuratif dans les communiqués publiés devront être en couleur et dans une résolution suffisante pour lire leur texte périphérique, même si tel n'est pas parfaitement le cas sur la minute du jugement ; Autorise la société Canada goose à faire publier ce même communiqué dans 2 journaux ou magazines de son choix aux frais de la société Artextyl, qui les lui remboursera sur présentation d'une facture dans la limite de 5 000 euros par publication ; Condamne la société Artextyl aux dépens, l'avocat de la société Canada goose pouvant recouvrer ceux dont il aurait fait l'avance sans en recevoir provision ; Condamne la société Artextyl à payer 20 000 euros à la société Canada goose au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; Condamne la société Canada goose à payer 15 000 euros (au total) au même titre à M. [W] et aux sociétés Royal brand maker et Super brand licencing ; Ordonne l'exécution provisoire. Fait et jugé à Paris le 12 mai 2023 Le Greffier La PrésidenteQuentin CURABET Irène BENAC
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JURITEXT000047878982
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 9 juin 2023, 20/06038
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2023-06-09
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/06038
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CT0196
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG 20/06038No Portalis 352J-W-B7E-CSKW3 No MINUTE : Assignation du :02 Juillet 2020 JUGEMENT rendu le 09 Juin 2023 DEMANDEUR Monsieur [J] [M][Adresse 2][Localité 4] représenté par Maître Jean-marie GUILLOUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0818 DÉFENDERESSES Société NARCOS PRODUCTIONS LLC[Adresse 3],[Adresse 3] (ETATS-UNIS) Société GAUMONT INTERNATIONAL TELEVISION LLC [Adresse 3],[Adresse 3] (ETATS-UNIS) représentée par Maître Eléonore GASPAR de la SELARL DUCLOS THORNE MOLLET-VIEVILLE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0075 Société REGENT MUSIC CORPORATION[Adresse 1][Adresse 1] (ETATS-UNIS) représentée par Maître Alain SPILLIAERT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0965 Copies délivrées le : - Maître GUILLOUX #G818 (executoire)- Maître GASPAR #P75 (executoire)- Maître SPILLAERT #965 (executoire)COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Irène BENAC, Vice-PrésidenteMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge assisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier DÉBATS A l'audience du 03 Février 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile. Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 09 Juin 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe ContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. M. [J] [M] reproche aux trois sociétés de droit des États-Unis Narcos productions (la société Narcos), Gaumont television USA (la société Gaumont) et Regent music corp (la société Regent) la synchronisation de l'oeuvre ‘Ballade pour Adeline', qu'il a composée, dans une scène de meurtre de l'épisode 10 de la 2e saison de la série ‘Narcos - Mexico', ce qui ne respecterait pas l'esprit de l'oeuvre, ainsi qu'en la fragmentant et sans le créditer au générique, violations de ses droits moraux (respect de l'oeuvre et paternité) dont il demande la réparation, ainsi qu'un préjudice moral distinct. 2. La série a été produite par la société Narcos, à qui le droit de synchroniser l'oeuvre dans l'épisode litigieux a été concédé par la société Regent, qui estimait le détenir d'une société Delphine productions en vertu d'un contrat de sous-édition pour le territoire des États-Unis et du Canada. 3. Après les avoir mis en demeure, M. [M] a assigné les trois sociétés défenderesses par acte transmis à l'autorité locale des États-Unis le 2 juillet 2020 (la date de l'assignation elle-même n'est communiquée par aucune partie). 4. Parallèlement, la société Regent a pris l'initiative d'assigner M. [M] et la société Delphine devant un tribunal des États-Unis pour voir confirmer sa position quant aux droits patrimoniaux de l'auteur, ce qui a finalement donné lieu en avril 2022 à une transaction par laquelle chacun a renoncé à tout litige sur l'exploitation de l'oeuvre dans l'épisode litigieux, à l'exception du présent procès sur les droits moraux. 5. Dans la présente instance, le juge de la mise en état a écarté l'exception d'incompétence formée par la société Regent et rejeté la demande de sursis à statuer dans l'attente de la procédure des États-Unis, ce que la cour d'appel a confirmé par arrêt du 15 octobre 2021. 6. L'instruction a été close le 20 octobre 2022. Prétentions et moyens des parties 7. M. [M], dans ses dernières conclusions (21 septembre 2022), après avoir demandé au tribunal de « dire » que les défendeurs « ont commis des actes de contrefaçon [de l'oeuvre] en [la] reproduisant et [la] diffusant sans autorisation » et que cela a porté atteinte à ses droits moraux, demande la condamnation « conjointement et solidairement » des défendeurs à lui payer 1 million d'euros de dommages et intérêts au titre du droit au respect de l'oeuvre, 500 000 euros au titre du droit à la paternité, et 500 000 euros pour préjudice moral, l'interdiction sous astreinte d'exploiter l'épisode reproduisant l'oeuvre, la publication du jugement aux frais des défendeurs dans des revues ou journaux de son choix pour un cout total de 100 000 euros HT, et sur le site internet gaumonttelevision.com, outre 115 789,72 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens (avec recouvrement par son avocat). 8. Il estime que son droit au respect de l'oeuvre a été atteint par la dénaturation de celle-ci résultant selon lui d'une part de sa fragmentation (elle est reproduite dans un extrait de 1'42'' alors qu'elle dure 2' 38''), d'autre part de l'atteinte à son esprit et à sa destination du fait de son adaptation dans le contexte d'une scène extrêmement violente, de façon non accessoire et même en rythmant l'action, alors que l'oeuvre, nommée d'après sa fille, serait associée au romantisme, à la tendresse, à la pureté, rappelant à ce titre que l'interprète le plus célèbre de l'oeuvre ([S] [P]) est lui-même associé au romantisme. Il conteste la pertinence du contrat par lequel il avait cédé le droit d'exploiter notamment des fragments de l'oeuvre, faisant valoir que le droit moral est inaliénable et qu'il n'a donc pas autorisé toute fragmentation ni tout usage de son oeuvre, outre que les défenderesses ne sont pas parties à ce contrat, et affirme que selon la jurisprudence, seul l'auteur peut déterminer les conditions dans lesquelles il entend que son oeuvre soit exploitée. Il estime ainsi que par l'exploitation litigieuse, son oeuvre a été associée, auprès d'un public important, à la violence, au meurtre et à la drogue, et même à l'apologie de ces phénomènes, de sorte qu'il serait désormais impensable que l'on continue à enseigner cette oeuvre à des enfants comme c'était le cas jusqu'ici. Il conteste encore la pertinence des exemples antérieurs d'exploitation de l'oeuvre, en premier lieu car « la tolérance d'un auteur ne prouve rien contre lui », en second lieu car ils sont différents : la scène du prisonnier est mélancolique, sans violence, le suicide au fusil est certes violent mais dans un paysage naturel et magnifique, et est incomparable, selon lui, avec la violence gratuite et la brutalité qui se dégage de la scène litigieuse, dans laquelle cette violence, mise en avant jusqu'aux projections de sang, est le sujet central. Il estime que ces exemples montrent au contraire qu'il n'interdit pas abusivement toute adaptation, et soutient que les droits moraux sont « des droits discrétionnaires et subjectifs ». Il conteste enfin l'argument tiré de l'atteinte à la liberté de création, estimant que celle-ci ne peut justifier une atteinte au respect dû à l'oeuvre ou qu'à tout le moins il faut trouver un juste équilibre qui, ici, n'autorise pas cette atteinte selon lui, l'épisode ayant pu être exploité ultérieurement sans son oeuvre. 9. Sur le droit à la paternité, il critique l'absence de mention de son nom et de celui de l'oeuvre au générique de l'épisode litigieux, et estime indifférent que des tiers aient pu ultérieurement y remédier par eux-mêmes (notamment par des commentaires d'utilisateurs de la plateforme Youtube sous des vidéos reproduisant la scène concernée ou l'oeuvre elle-même). Il conteste également les « usages » invoqués par les défenderesses, estimant au contraire « audacieux » qu'elles se prévalent d'une « violation permanente du droit de paternité ». Il estime l'atteinte d'autant plus grave qu'il est particulièrement célèbre et que l'oeuvre a connu un succès très important. 10. Il allègue un préjudice tiré de l'intensité de l'exploitation dans le monde entier, exposant à cet égard que le droit moral de l'auteur est un droit de la personnalité au sens de la jurisprudence de la CJUE relative au lieu de réalisation du dommage. Il invoque un préjudice moral distinct causé par le mépris que traduisent les faits commis par les défenderesses. 11. Les sociétés Narcos et Gaumont, dans leurs dernières conclusions (21 septembre 2022), résistent à l'ensemble des demandes y compris l'exécution provisoire, demandent subsidiairement de limiter le préjudice à la somme de 5 338 euros correspondant au montant des redevances versées et de condamner la société Regent à les garantir de toute condamnation, et réclament en toute hypothèse à M. [M] 15 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens (à recouvrer par leur avocat). 12. Elles font valoir que l'oeuvre n'est pas uniquement un « hymne à la tendresse, à la pureté et à l'amour » ou destinée au romantisme, mais a aussi été utilisée de façon bien plus polémique. D'abord dans la scène finale d'un court-métrage (‘Gayniggers from outer space') dans lequel des extraterrestres éradiquent les femmes sur terre pour fonder une société entièrement homosexuelle, ladite scène montrant des hommes en slip dans une piscine posant de façon suggestive, ce qui n'a rien de romantique ; ensuite dans un épisode d'une série (‘Le Renard') où un prisonnier est emmené en détention ; enfin dans la scène d'un film (‘Kekkonen tulee !') pour illustrer le suicide d'une femme avec un fusil placé sous son menton, en présence de son fils (qui est derrière une porte) avec lequel elle discute avant d'appuyer sur la gâchette, ce dont elles soulignent la « grande violence » au moins psychologique. Elles ajoutent qu'en cédant son droit de reproduction y compris pour l'adaptation dans une oeuvre cinématographique, l'auteur a contractualisé son droit au respect de l'intégrité de son oeuvre, et estiment que l'usage dans la scène litigieuse, correctement décrite à la société Regent et approuvé par celle-ci, a dès lors été autorisé par le mandataire apparent de l'auteur, ce qui serait opposable à celui-ci en vertu de l'article 1156 du code civil. Elles soulignent la différence entre la jurisprudence invoquée par l'auteur, qui porte sur des usages publicitaires d'oeuvres dont l'une avait au demeurant un caractère religieux, et l'usage dans la présente espèce où l'oeuvre est intégrée dans une nouvelle oeuvre à visée artistique, de surcroit à titre d'illustration accessoire en raison, d'une part, de sa faible durée rapportée à celle de l'épisode et celle de la saison, d'autre part de l'absence d'adéquation entre la scène et la musique, la seconde ne rythmant pas la première malgré l'affirmation du demandeur, et le public, habitué à la synchronisation de musique classique dans des scènes violentes, n'associant pas les deux oeuvres dans ce cadre. Elles demandent également que soit prise en compte dans ce cadre la liberté de création des auteurs de l'oeuvre seconde. 13. Sur la fragmentation critiquée, elles soutiennent que l'oeuvre a déjà été utilisée de façon partielle avec l'accord de l'auteur, et font valoir que l'usage en cause ici reprend l'essentiel de l'oeuvre, et sans la fragmenter en diverses séquences, l'auteur ne démontrant au demeurant pas le contraire. Elles estiment enfin que le demandeur se contredit à reprocher une altération de l'oeuvre tout en percevant des redevances sur l'usage qu'il critique. 14. Sur l'absence de mention du nom de l'auteur et de l'oeuvre au générique de l'épisode, elles se prévalent d'un usage du secteur pour les séries, précisant qu'aucune oeuvre musicale reproduite dans la série ne figure au générique. 15. Elles soutiennent enfin que seul le préjudice subi en France peut être indemnisé, contestant que le droit moral soit un droit de la personnalité permettant de retenir comme lieu du dommage le lieu des intérêts du demandeur, et faisant valoir qu'en tout état de cause le demandeur n'a allégué que la loi française, et non les lois des autres territoires où le fait délictueux aurait été commis. 16. La société Regent, dans ses dernières conclusions (15 juin 2022), résiste à l'ensemble des demandes de M. [M], à la demande en garantie des sociétés Narcos et Gaumont, à l'exécution provisoire, et demande elle-même à M. [M] 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens. 17. Elle estime d'abord que le demandeur forme une prétention fondée sur les droits patrimoniaux et y répond que la compétence du présent tribunal a été limitée par la cour d'appel aux seuls droits moraux et que la transaction d'avril 2022 interdit un litige sur les droits patrimoniaux. 18. Sur les droits moraux, elle fait d'abord valoir qu'elle n'est pas intervenue dans les choix de création ni dans la diffusion de l'épisode litigieux. Elle conteste en tout état de cause les atteintes alléguées. À cet égard, rappelant que la preuve incombe à l'auteur qui ne peut selon elle se contenter de sa subjectivité, elle conteste toute dépréciation ou dévalorisation, argüant de ce que la destination de l'oeuvre ne s'est pas limitée à ce qu'en dit le demandeur, mais a au contraire été étendue à des usages commerciaux, comme une émission radiophonique de psychologie, des clips de hip hop ou des films, d'inspiration non romantique mais violente, outrancière ou pornographique : outre les films invoqués par les autres défenderesses, une chanson ‘Take it down' aux paroles obscènes, violentes et misogynes ayant 15 millions d'écoutes sur Spotify. Elle ajoute qu'une composition très proche de l'oeuvre en cause a également été synchronisée dans un film (‘Un Linceul n'a pas de poche') lors d'une scène d'enlèvement violent d'une femme. 19. Elle invoque également la liberté de création, au visa notamment de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, fait référence dans ce cadre au contraste, dans le film ‘Le Parrain' entre le caractère mélancolique et poétique de la musique de [T] [G] et la violence de certaines scènes. Elle nie au demeurant que les films violents cités par le demandeur pour y comparer la série litigieuse (Scarface, Reservoir Dogs) fassent l'apologie de la violence et du meurtre. Elle revendique au contraire, au titre de la liberté de création, le droit de traiter de sujets non consensuels destinés précisément à « transcender le réel » et apporter une réflexion, et expose que cette liberté se manifeste également ici par le contraste entre les aspirations contraires de l'oeuvre musicale et de la série. 20. Elle estime encore non prouvé le fait que l'oeuvre serait désormais associée par le public à un règlement de compte entre narcotrafiquants, soulignant au contraire que les enfants apprenant la mélodie sont trop jeunes pour voir la série, interdite aux moins de 16 ans, que le public ne s'est pas détourné de l'oeuvre, que les commentaires sur Youtube associant l'oeuvre à la série sont très peu nombreux, et que la série Narcos est reconnue par un public averti comme en attestent les prix qu'elle a reçus. Elle qualifie en définitive l'usage litigieux de « scène de genre » s'inspirant « de célèbres moments de cinéma » ce qui lui enlève selon elle « tout caractère dénigrant » et « crée au contraire un constraste artistique » qui valorise l'oeuvre, ce que montrent les commentaires d'internautes recherchant la source de la musique voire regrettant son remplacement (effectué du fait de la présente action). Elle ajoute alors que la musique, qui est « grand public », est utilisée dans l'épisode litigieux comme la musique d'ambiance du grand magasin où se déroule la séquence, laquelle ne voit le meurtre intervenir que dans sa deuxième partie, de sorte que cet usage n'est pas « hors contexte », et conteste enfin la pertinence de la jurisprudence invoquée par le demandeur, pour les mêmes motifs que les autres défenderesses. 21. Contre le préjudice, la société Regent soutient elle aussi que seul le préjudice subi en France peut être réparé car le tribunal n'est saisi que de l'atteinte au droit moral du demandeur protégé par la loi française en France, précisant que la jurisprudence de la CJUE invoquée par le demandeur s'applique quant à elle aux atteintes à la vie privée et au droit à l'image. MOTIVATION Clarification de l'objet du litige 22. Si le demandeur invoque des faits de reproduction et de représentation de son oeuvre, qui relèvent, comme le soulève la société Regent, des droits patrimoniaux, c'est seulement pour caractériser les atteintes à son droit moral, comme il le dit expressément lorsqu'il expose qu'il serait nécessaire de caractériser une reproduction ou une représentation de l'oeuvre pour caractériser la violation d'un attribut du droit moral (ses conclusions, p. 23). C'est ce que révèle encore la partie de son dispositif commençant par plusieurs expressions en « dire que », visée dans l'exposé ci-dessus, et qui synthétise en définitive ce raisonnement sans former une prétention distincte. La demande est donc bien une demande en atteinte aux droits moraux de l'auteur, et aucune prétention n'est fondée distinctement sur une atteinte aux droits patrimoniaux. I . Demandes fondées sur l'atteinte aux droits moraux de l'auteur 1 . Atteinte au droit au respect de l'oeuvre 23. L'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle instaure au profit de l'auteur un droit, personnel, perpétuel, inaliénable et imprescriptible, au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. a. Association avec une scène violente (atteinte à l'esprit de l'oeuvre) 24. Il est constant que M. [M] a consenti à l'usage de son oeuvre dans d'autres oeuvres et en particulier des oeuvres audiovisuelles, et ce qu'il conteste au cas présent n'est pas le principe d'un tel usage, mais le sens qu'il attribue à la scène concernée au regard de l'esprit (ou de la destination) de son oeuvre. 25. Il est constant que cette scène, entièrement accompagnée au plan sonore par une interprétation de l'oeuvre musicale Ballade pour Adeline, porte sur un meurtre de vengeance, dans le contexte du crime organisé, au moyen spectaculaire d'une batte de baseball : l'assassin, accompagné de complices, pénètre en silence dans la boutique de centre commercial où travaille désormais la victime, qui les regarde puis comprend qu'elle est condamnée, ce que la mise en scène souligne par un plan serré sur sa main lâchant les chaussures destinées à une cliente et un plan sur son visage, les yeux se fermant. Le film montre l'assassin porter de nombreux coups de batte, le résultat du premier coup étant montré de manière indirecte par un plan sur la vitrine qu'éclabousse une projection de sang, les suivants étant montrés alternativement d'un point de vue éloigné ou du point de vue de la victime au sol, entrecoupés d'une vue du corps déjà ensanglanté de la victime le visage dans une flaque de sang, vu du dessus, avant le coup final asséné avec le sommet de la batte à la verticale, de bas en haut, sur le visage. Il n'est pas contesté que cette scène, tant par son sujet que par sa mise en scène, est particulièrement violente, et il en ressort qu'elle vise à provoquer un choc, sans rien atténuer ou dissimuler de la détermination inhumaine de l'assassin, dont on voit jusqu'au visage enlaidi par la crispation, et qui contraste avec la résignation passive de la victime. 26. Un tel usage de l'oeuvre pour illustrer la représentation de la violence n'est en soi illicite que si l'esprit de l'oeuvre y est incompatible, ce qui ne se présume pas. Or si la légèreté du thème musical, le contexte de sa création en l'honneur de la fille de l'auteur, et son emploi récurrent, non contesté, tant dans l'apprentissage du piano par des enfants que dans un contexte se voulant romantique (nom d'un album où elle est reproduite, répertoire habituel de son interprète le plus célèbre) sont des indices en se sens, ils ne traduisent pas à eux seuls un esprit unique ou exclusif : en particulier, la légèreté du thème et la dédicace à la fille de l'auteur n'induisent pas nécessairement un esprit univoque de l'oeuvre, et il n'est pas démontré que l'usage de celle-ci soit strictement limité à l'interprétation par ou pour des enfants, ou pour illustrer « l'amour » ou la « tendresse ». 27. Au contraire, les défenderesses font état de plusieurs usages que l'auteur ne conteste pas avoir admis (il s'en prévaut même pour montrer sa bonne foi, dans ses conclusions, pp. 47-48, points 318 et 322) et qui témoignent d'un esprit plus subtil et moins manichéen que les seuls « amour », « tendresse », ou « pureté » qu'il allègue aujourd'hui : en particulier, dans le film finlandais Kekkonen tulee !, il est constant que l'oeuvre illustre une scène de suicide au fusil à bout portant sous le menton par une femme en présence de son jeune enfant, avec lequel elle échange quelques mots juste avant d'appuyer sur la gâchette, ce qui est particulièrement violent et perturbant. L'oeuvre est encore utilisée en sample dans la chanson Take it down, dont le demandeur ne conteste pas que les paroles sont a minima violentes comme l'affirme la société Regent. 28. Ainsi, l'oeuvre a été conçue, ou du moins a évolué avec l'accord de l'auteur, dans un esprit qui n'est pas exclusivement la tendresse, l'amour ou la pureté, et qui n'interdit pas par principe l'association avec la représentation choquante de la violence. 29. Une scène violente peut certes porter atteinte au respect dû à l'oeuvre de par la façon concrète dont elle représente la violence ou le message qu'elle véhicule. Mais, à cet égard, il ne ressort pas de la scène elle-même que la violence qui y est représentée soit valorisée ou encouragée, et le demandeur n'expose pas en quoi cela résulterait du reste de l'épisode ou même de la série dans son ensemble. Au contraire, il peut être observé que le contraste entre la victime et l'auteur, déjà décrit, et la brutalité même de la narration invitent le spectateur à « réfléchir » comme le souligne la société Regent, en ne lui cachant rien de la réalité de ce que cette vengeance implique. On ne peut dès lors affirmer que l'oeuvre aurait été associée à une « apologie » du crime, de la drogue ou de la violence. 30. La musique est en outre utilisée dans la scène litigieuse comme un accompagnement, détaché du sujet de la scène : elle débute comme la musique d'ambiance du centre commercial, ce qui est un usage tout à fait attendu de ce type de musique, et se poursuit, certes plus fort, mais sans rupture, alors que la scène, elle, bascule dans l'horreur. Ce décalage atténue alors encore l'impact de la scène sur la perception de l'oeuvre et l'association qui en résulte entre celle-ci et le sujet. 31. Il en résulte que l'accompagnement de la scène de meurtre litigieuse par Ballade pour Adeline ne porte pas atteinte à l'esprit de cette oeuvre et ne viole donc pas le droit au respect de l'oeuvre de ce fait. b. Fragmentation (intégrité de l'oeuvre) 32. Il est constant que l'auteur a consenti contractuellement à l'exploitation de « fragments » de l'oeuvre litigieuse. Il en résulte nécessairement qu'il a lui-même estimé que la reproduction partielle de cette oeuvre ne la dénaturait pas, sans que cela s'assimile aucunement en une cession de son droit moral. Que ceux qui se prévalent de ce fait soient ou non partie aux contrats par lesquels l'auteur a manifesté ces choix est parfaitement indifférent. c. Absence de mention aux crédits de l'épisode (droit à la parternité) 33. Il est constant que ni l'oeuvre ni son auteur ne sont mentionnés au générique de l'épisode où celle-là est reproduite. Les défenderesses se contentent d'alléguer un usage dans les séries, qu'elles n'étayent par aucune explication et aucune preuve. La violation du droit à la paternité est donc caractérisée. 2 . Préjudice 34. Il est constant que la compétence du présent tribunal est fondée uniquement sur l'article 46 du code de procédure civile, c'est-à-dire à raison du lieu du fait dommageable ou du lieu où le dommage a été subi, et non à raison du domicile des trois défendeurs, qui résident aux États-Unis. 35. S'il est exact qu'en matière de droit de la personnalité le lieu du fait dommageable, entendu comme celui de la matérialisation du dommage, au sens du règlement 1215/2012 sur la compétence judiciaire (qui inspire désormais également l'interprétation des règles nationales étendues lorsque le défendeur ne réside pas dans l'Union européenne), peut être le lieu où la victime a le centre de ses intérêts, il en va différemment dans les autres matières, où le lieu de matérialisation du dommage est celui où le dommage allégué se manifeste concrètement (CJUE, 12 septembre 2018, Löber, C–304/17, point 27 et jurisprudence citée), et non de tout lieu où peuvent être ressenties les conséquences préjudiciables d'un fait ayant causé un dommage effectivement survenu dans un autre lieu (même arrêt, point 23, et CJCE, 19 septembre 1995, Marinari, C-364/93, point 14), ni, en particulier, le lieu où se trouve le centre du patrimoine du demandeur au seul motif qu'il y aurait subi un préjudice financier (CJCE, 10 juin 2004, Kronhofer, C-168/02, dispositif). 36. Or le droit moral de l'auteur n'est pas un droit de la personnalité au sens de ces dispositions, et le dommage causé par l'atteinte au droit d'un auteur au respect de son nom et de sa qualité se manifeste concrètement en chaque lieu où des personnes accèdent à la reproduction ou la représentation litigieuse de son oeuvre ; le domaine de compétence du présent tribunal s'étend donc seulement à la diffusion en France de l'épisode 10 de la saisie 2 de la série Narcos - Mexico. 37. En toute hypothèse, s'agissant de la loi applicable, et comme le soulèvent encore les défenderesses, une personne ne saurait se voir reprocher la création puis la diffusion d'un contenu dans un territoire donné au motif que la loi d'un autre territoire l'estime contraire aux droits d'auteur : une telle extra-territorialité n'est pas attachée au droit d'auteur, qui est au contraire caractérisé par le principe de territorialité. Et seule la loi française étant invoquée ici par le demandeur, seul le préjudice subi à raison de faits commis en France peut être réparé. 38. Le demandeur invoque lui-même d'une part sa très grande célébrité et celle de l'oeuvre en cause, d'autre part la facilité avec laquelle des internautes se renseignaient entre eux sur le nom de l'oeuvre reproduite dans l'épisode en cause et son auteur. L'absence de « crédit » (mention au générique) pour l'usage de son oeuvre dans l'épisode litigieux n'a donc eu aucune conséquence sur sa renommée et sur l'exploitation de l'oeuvre. 39. Elle n'a causé qu'un préjudice moral caractérisé par le simple désagrément de découvrir qu'une de ses prérogatives n'a pas été respectée par un tiers, et qui peut être évalué ici, en tenant compte de la très grande diffusion de l'oeuvre en France mais aussi de la faible gravité du manquement, à 1 000 euros, que doivent être condamnées à payer, in solidum, les personnes à l'origine du manquement, c'est-à-dire la société Narcos, productrice de la série, et la société Gaumont, qui se défend avec elle sans contester être tenue à la même responsabilité qu'elle. 40. La demande dirigée contre la société Regent, qui conteste sa responsabilité et n'est pas à l'origine de l'atteinte au droit de paternité, doit être rejetée, et il en va de même de la demande en garantie à ce titre. 3 . Autres mesures Le préjudice subi est entièrement réparé par les dommages et intérêts prononcés, sans qu'il y ait lieu ni à interdiction, ni à publication. II . Dispositions finales 41. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie. 42. Perdant en toutes ses demandes sauf une, laquelle n'est accueillie que pour une partie infime, le demandeur perd le procès pour l'essentiel, de sorte qu'il doit être tenu aux dépens, mais l'équité commande de rejeter les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile, à l'exception de celle de la société Regent contre M. [M], à hauteur de 4 000 euros. 43. L'exécution provisoire est de droit et rien ne justifie ici de l'écarter. PAR CES MOTIFS Le tribunal : Rejette la demande de M. [J] [M] en dommages et intérêts pour atteinte à son droit au respect de l'oeuvre ; Condamne in solidum les sociétés Narcos productions et Gaumont television USA à payer à M. [M] 1 000 euros de dommages et intérêts au titre de la violation de son droit à la paternité, Rejette la demande de M. [M] au même titre dirigée contre la société Regent music corp ; Rejette la demande en garantie formée par les sociétés Narcos productions et Gaumont television USA contre la société Regent music corp au titre de cette condamnation ; Rejette la demande distincte de M. [M] en dommages et intérêts pour préjudice moral ; Rejette ses demandes en interdiction et publication ; Condamne M. [M] aux dépens (avec recouvrement par les avocats qui en auraient fait l'avance sans en recevoir provision) Condamne M. [M] à payer 4 000 euros à la société Regent music corp au titre de l'article 700 du code de procédure civile et rejette les autres demandes formées à ce titre. Fait et jugé à Paris le 09 Juin 2023 Le Greffier La PrésidenteQuentin CURABET Irène BENAC
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JURITEXT000047304637
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Tribunal judiciaire de Paris, Chambre civile 3, 10 mai 2022, 21/04753
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2022-05-10
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/04753
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CHAMBRE_CIVILE_3
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 21/04753 - No Portalis 352J-W-B7F-CUEIN No MINUTE : Assignation du :01 Avril 2021 ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETATrendue le 10 mai 2022 DEMANDERESSE AU PRINCIPALDEFENDERESSE A L'INCIDENT S.A.S. FINALCAD[Adresse 3][Localité 5] représentée par Maître Etienne DROUARD du PARTNERSHIPS HOGAN LOVELLS (PARIS) LLP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J011 DEFENDERESSE AU PRINCIPALDEMANDERESSE A L'INCIDENT S.A.S. CLOUD CORPORATION,ayant pour nom commercial WIZZ CAD[Adresse 7][Localité 8] représentée par Maître Grégoire DESROUSSEAUX de la SCP AUGUST & DEBOUZY ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0438 MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeassistée de Lorine MILLE, greffière DEBATS A l'audience du 17 mars 2022, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 10 mai 2022. ORDONNANCE Prononcée publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE : La société Finalcad édite un logiciel "SaaS" (pour "software as a service") de suivi de chantier pour le bâtiment, proposant entre autres, la mise en relation des différents acteurs d'un chantier, ainsi que le suivi et le contrôle du bon accomplissement des travaux par le maître d'oeuvre, ce logiciel étant disponible sous la forme d'une application mobile. Elle expose que la représentation en trois dimensions des plans d'architectes, ainsi que leur utilisation interactive par les différents intervenants d'un chantier, constituent l'apport essentiel de son logiciel pour les professionnels du secteur. L'application est dotée d'un moteur de visualisation en 3D reposant sur le standard "BIM" (pour "Building Information Modeling"). Elle ajoute avoir débuté en 2015 ses travaux pour parvenir à l'intégration d'un moteur BIM au sein de son application et développer son code source dénommé "WuuuEngine". Elle a ainsi lancé en mars 2016 la version 2.0.0 de l' "application Finalcad" et le 21 mars 2017 la version 2.6.0, dotant le moteur BIM 3D de la fonctionnalité de formulaires interactifs permettant aux utilisateurs de modifier les maquettes 3D et d'y apporter des commentaires. C'est cette version de mars 2017, uniquement corrigée des "bugs", qu'elle a déposée auprès de l'Agence pour la Protection des Programmes (APP) le 31 juillet 2018. La société Cloud Corporation, exerçant sous le nom commercial Wizzcad, est la concurrente de la société Finalcad. Elle édite de la même manière un logiciel SaaS de suivi de chantier pour le bâtiment, sous la forme d'une application mobile nommée "Wizzcad S" intégrant l'outil BIM, dont le lancement a été annoncé en mars 2018. Se déclarant surprise du développement d'une telle application "en un temps record" par sa concurrente, un an seulement après la présentation de son propre logiciel, et après avoir découvert que deux de ses anciens salariés, qui avaient occupé des fonctions stratégiques au sein de l'entreprise et avaient eu accès au code source "WuuuEngine", avaient quitté l'entreprise pour être engagés par la société Wizzcad en août 2018, la société Finalcad a, par une requête du 8 février 2021, sollicité et obtenu l'autorisation de faire pratiquer des opérations de saisie-contrefaçon consistant pour l'huissier à télécharger l'application "Wizzcad S" et, avec l'assistance d'un expert, à procéder à sa "description" en langage "Smali" aux fins de comparaison ultérieure avec le code source "WuuuEngine". Les opérations se sont déroulées le 4 mars 2021 et par acte d'huissier délivré le 1er avril 2021, la société Finalcad a fait assigner la société Wizzcad devant ce tribunal aux fins de mise en oeuvre d'une expertise et des mesures propres à mettre fin aux agissements selon elle contrefaisants de la société Wizzcad. Par des conclusions d'incident notifiées par la voie électronique le 4 octobre 2021, la société Wizzcad a soulevé une exception de procédure tirée de la nullité de l'assignation et sollicité le renvoi de l'affaire devant le tribunal statuant au fond afin qu'il se prononce sur la validité de la saisie-contrefaçon, qu'elle conteste avec force. Dans ses dernières conclusions d'incident notifiées électroniquement le 31 janvier 2022 et développées oralement à l'audience du 17 mars 2022, la société Wizzcad demande au juge de la mise en état de : - Lui Donner acte de ce qu'elle se désiste de sa demande d'annulation de l'assignation de FINALCAD pour indétermination de l'objet, - Fixer une audience préalable devant le tribunal pour entendre les parties sur la seule question de la demande de nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon formée devant le tribunal, - Réserver l'article 700 du code de procédure civile et les dépens, A titre subsidiaire, - Déclarer irrecevables les demandes de FINALCAD pour défaut de titularité, - Condamner la société FINALCAD à payer à la société WIZZCAD la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, - Condamner la société FINALCAD aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître DESROUSSEAUX en application de l'article 699 du code de procédure civile. A titre très subsidiaire, - Débouter FINALCAD de sa demande d'expertise judiciaire, - Condamner la société FINALCAD à payer à la société WIZZCAD la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, - Condamner la société FINALCAD aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître DESROUSSEAUX en application de l'article 699 du code de procédure civile. Dans ses conclusions d'incident notifiées le 15 novembre 2021 développées de la même manière à l'audience du 17 mars 2022, la société Finalcad demande quant à elle au juge de la mise en état de: - ORDONNER une expertise judiciaire ; - DESIGNER un expert spécialisé en informatique, tel que par exemple, M. [W] [K], Expert judiciaire près la Cour d'appel de Paris, demeurant [Adresse 4] (Tel. : [XXXXXXXX01], Port. : [XXXXXXXX02]) ; - DIRE que la mission de l'expert sera la suivante : 1. Se faire communiquer l'une des deux clés USB sur lesquelles ont été copiés le Logiciel Wizzcad S Téléchargé et le Logiciel Wizzcad S Traduit, placées sous séquestre par Maître [S] [X], Huissier de justice demeurant [Adresse 6], lors des opérations de saisie-contrefaçon du 4 mars 2021, et sur laquelle l'Huissier de justice aura préalablement levé le séquestre, en présence des avocats des parties; 2. Procéder au téléchargement de la version 2.6.0 de l'Application Android FinalCAD intégrant le logiciel WuuuEngine, datée du 24 avril 2017, avec les codes "administrateur" qui seront communiqués à titre confidentiel par le Conseil de la société FinalCAD, sur le site GOOGLE PLAY STORE et procéder à la traduction de la version téléchargée en langage SMALI (le "Logiciel WuuuEngine Traduit"), 3. Examiner et décrire, dans le détail et de manière compréhensible pour le Tribunal, d'une part, le Logiciel WuuuEngine Traduit de la société FinalCAD et, d'autre part, le Logiciel Wizzcad S Traduit édité par la société CLOUD CORPORATION ; ? Procéder à l'analyse comparative des versions traduites des Logiciels WuuuEngine Traduit et Wizzcad S Traduit, et identifier les éléments identiques ou similaires ; ? Rechercher et constater le cas échéant au sein du Logiciel Wizzcad S Traduit, la présence, l'ajout, la modification ou la suppression des mentions de paternité du Logiciel WuuuEngine Traduit, 4. Se faire remettre par FinalCAD une copie de la version "2.6.0" du Code Source WuuuEngine de l'Application Android FinalCAD, du 21 mars 2017, 5. Se faire remettre par l'APP une copie du Code Source WuuuEngine de l'Application Android FinalCAD déposée le 31 juillet 2018 par la société FinalCAD, 6. Procéder à l'analyse comparative de la version 2.6.0 du Code Source WuuuEngine de l'Application Android FinalCAD, du 21 mars 2017 et du Code source WuuuEngine de l'Application Android FinalCAD déposée le 31 juillet 2018, et constater que ces deux Codes Sources sont identiques, sauf différences liées à des mises à jour ou corrections de bug marginales, 7. Se faire remettre par la société CLOUD CORPORATION, une copie de la version du Code Source du logiciel Wizzcad S éditée en avril 2020 correspondant à la version au format .APK qui a fait l'objet de la saisie-contrefaçon du 4 mars 2021, ? Examiner et décrire, dans le détail et de manière compréhensible pour le Tribunal, d'une part, le Code source du logiciel WuuuEngine de la société FinalCAD et, d'autre part, le Code source du logiciel Wizzcad S édité par la société CLOUD CORPORATION, ? Procéder à l'analyse comparative des codes sources respectifs du logiciel WuuuEngine et logiciel Wizzcad S, et identifier les similitudes, ? Comparer les lignes du code source du logiciel WuuuEngine avec les lignes du code source du logiciel Wizzcad S, et préciser le taux d'identité entre ces lignes pour chacune des versions successives, ? Rechercher et constater le cas échéant au sein du logiciel Wizzcad S, la présence, l'ajout, la modification ou la suppression des mentions de paternité du logiciel WuuuEngine, - DIRE que pour procéder à sa mission, l'expert devra : ? Garantir la confidentialité et la non transmission des éléments relatifs au Moteur BIM 3D FinalCAD et au logiciel Wizzcad S, en ce compris les codes sources ; ? Convoquer et entendre les parties, assistées le cas échéant de leurs conseils, et recueillir leurs observations à l'occasion de l'exécution des opérations ou de la tenue des réunions d'expertise; ? Se faire remettre toutes les pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission ; ? Se faire remettre et/ou rechercher tous éléments susceptibles de permettre de quantifier l'étendue de la contrefaçon, et notamment : o les prix de vente des logiciels et/ou des produits intégrant le logiciel argué de contrefaçon et les quantités vendues, o le nombre de logiciels et/ou de produits intégrant tout ou partie du logiciel argué de contrefaçon, o la période durant laquelle le logiciel argué de contrefaçon a fait l'objet de modifications ou d'une utilisation, notamment en examinant les historiques de versions, les journaux de compilation et de construction, et les versions exécutables. ? Au terme de ses opérations, remettre un pré-rapport aux parties et leur laisser l'opportunité de le commenter avant toute remise du rapport définitif au Greffe, dans le délai qu'il fixera. - FIXER la provision destinée à l'expert; - RESERVER l'article 700 et les dépens. MOTIFS DE LA DÉCISION Moyens des parties La société Wizzcad se désiste de sa demande aux fins d'annulation de l'assignation, la société Finalcad ayant régularisé dans ses dernières conclusions au fond les irrégularités dont son acte introductif d'instance était affecté. Elle maintient en revanche sa demande aux fins de renvoi de l'affaire au fond afin qu'il soit statué par le tribunal, éventuellement en juge rapporteur, sur la validité du procès-verbal de saisie-contrefaçon. Elle précise qu'il s'agit de l'unique preuve dont dispose la société Finalcad au soutien de sa demande d'expertise. Elle rappelle à cet égard qu'elle soulève dans ses conclusions au fond trois moyens de nullité de la saisie et, en premier lieu, que l'originalité du logiciel n'était pas décrite dans la requête présentée au juge et que cette irrégularité n'est pas régularisable, à la différence de l'assignation. Elle ajoute que la société Finalcad s'est livrée à une présentation déloyale des faits en vue d'obtenir la mesure et, en particulier, qu'elle a tu au juge des requêtes sa connaissance de ce que les travaux de conception del'application "Wizzcad S" avaient commencé bien avant 2017, ce qui ressort au demeurant de son assignation. La société Wizzcad soutient encore qu'il n'est pas crédible au vu de leurs profils Linkedin de penser que les salariés, que la société Finalcad soupçonne dans sa requête de lui avoir transmis son code source, aient pu réaliser une telle opération, ce que la société Finalcad sait selon elle parfaitement. La société Wizzcad fait enfin valoir que la "description en langage Smali" du logiciel sollicitée et obtenue sur requête par la société Finalcad consiste en réalité en une décompilation interdite par les articles L.122-6 et L.122-6-1 du code de la propriété intellectuelle, de sorte que la mesure n'était selon elle pas légalement admissible. La société Finalcad s'oppose pour sa part au renvoi de l'affaire devant le tribunal statuant au fond et maintient sa demande d'expertise afin de lui permettre de rapporter la preuve de la contrefaçon, s'étonnant du développement de tels moyens de procédure aux fins d'éviter le débat sur la contrefaçon. La société Finalcad maintient notamment qu'il n'est selon elle pas possible que la société Wizzcad soit parvenue à concevoir une application mettant en oeuvre BIM disponible sous Android aussi rapidement, tandis que les fonctions de ses anciens salariés n'excluent pas qu'ils aient eu accès au code source de l'application Finalcad et l'aient transmis à la société Wizzcad avant même d'entrer à son service. Appréciation du juge de la mise en état Aux termes des articles 145, 146 et 147 du code de procédure civile, "S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. Une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver. En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve. Le juge doit limiter le choix de la mesure à ce qui est suffisant pour la solution du litige, en s'attachant à retenir ce qui est le plus simple et le moins onéreux." Les moyens de nullité de la saisie contrefaçon, lequels relèvent de la compétence du tribunal ( Cass. Civ. 1ère, 6 mai 2010, pourvoi no 08-15.897, Bull. 2010, I, no 104 ; Cass. Com., 17 mars 2015, pourvoi no 13-15.862), apparaissent en l'occurrence suffisamment sérieux pour renvoyer l'examen de l'affaire au tribunal qui statuera sur ce moyen de fond et la demande d'expertise. Les dépens seront réservés. PAR CES MOTIFS, Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort, Le juge de la mise en état, Dit que l'affaire est renvoyée à l'audience de mise en état du :2 juin 2022 à 14 heures pour fixation de la date de plaidoirie au fond sur la validité de la saisie contrefaçon et la demande d'expertise (avec ou sans clôture, les parties ayant également la faculté de déposer leurs dossiers) ; Réserve les dépens. Faite et rendue à Paris le 10 mai 2022. La Greffière Le Juge de la mise en état
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JURITEXT000047304638
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 13 juillet 2022, 22/54208
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2022-07-13
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Tribunal judiciaire de Paris
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22/54208
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CT0264
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS No RG 22/54208 - No Portalis 352J-W-B7G-CWQCN No : 2 - MEB Assignation du :29 Mars 2022 ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ rendue le 13 juillet 2022 par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal, Assistée de Daouia BOUTLELIS, GreffierDEMANDEUR Monsieur [I] [M][Adresse 1][Localité 3]représenté par Maître Charlotte ABATI de la SELARL AYRTON AVOCATS, avocats au barreau de PARIS - #C1289 DEFENDERESSE S.A.S. BASE & CO[Adresse 2][Localité 4] non comparante DÉBATS A l'audience du 14 Juin 2022, tenue publiquement, présidée par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe, assistée de Fabienne FELIX, Faisant fonction de greffier, EXPOSÉ DU LITIGE 1. M. [I] [M] est le titulaire inscrit de la marque verbale "Base & Co" déposée le 9 mai 2005, enregistrée et régulièrement renouvelée sous le no3357788, pour désigner en classe 35 les services de "Publicité ; gestion des affaires commerciales ; administration commerciale ; travaux de bureau. Diffusion de matériel publicitaire (tract, prospectus, imprimés, échantillons). Services d'abonnement à des journaux (pour des tiers). Conseils en organisation et direction des affaires. Comptabilité. Reproduction de documents. Bureaux de placement. Gestion de fichiers informatiques. Organisation d'expositions à buts commerciaux ou de publicité. Publicité en ligne sur un réseau informatique. Location de temps publicitaire sur tout moyen de communication ; publications de textes publicitaires ; locations d'espaces publicitaires, diffusion d'annonces publicitaires, relation publiques. Mercatique direct." Cette marque est exploitée par la SARL Base & Co qui exerce depuis 2005 une activité d'agence de publicité. 2. Se plaignant de l'immatriculation, le 7 mars 2022, au RCS d'Evry d'une société Base & Co ayant pour activités déclarées celles d'agence de publicité et de conseil en relations publiques et communication, M. [M], après l'avoir vainement mise en demeure de modifier sa dénomination sociale, a fait assigner en référé la société Base & Co devant le délégataire du président de ce tribunal siégeant à l'audience du 14 juin 2022, afin qu'il lui soit fait défense sous astreinte de faire usage du signe "Base & Co" . Aux termes de son assignation, M. [M] demande au juge des référés de : - Interdire à la société Base & Co la poursuite des actes de contrefaçon sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée et sur tout support, y compris sa dénomination sociale, après un délai de 3 jours à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir, - Condamner la société Base & Co au paiement d'une somme de 3.000 euros au bénéfice de M. [I] [M] au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens. 3. Bien que régulièrement citée à une personne présente au domicile (Mme [F] épouse du président de la société), la société Base & Co n'a pas comparu. La présente décision, susceptible d'appel, sera réputée contradictoire conformément aux dispositions de l'article 473 alinéa 2 du code de procédure civile. 4. A l'audience du 14 juin 2022, le juge des référés a soulevé le moyen tiré de l'absence de preuve d'usage dans la vie des affaires du signe objet du présent litige, ce à quoi le demandeur a répliqué que l'article L.713-3-1 du code de la propriété intellectuelle incrimine l'usage du signe comme dénomination sociale. MOTIFS DE LA DÉCISION 5. Selon l'article Article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle, "Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services : 1o D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ; 2o D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque." Aux termes de l'article L. 716-4-6 "Toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l'encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d'actes argués de contrefaçon.(...) Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à ses droits ou qu'une telle atteinte est imminente." 6. L'article L. 713-3-1 de ce même code précise que "Sont notamment interdits, en application des articles L. 713-2 et L. 713-3, les actes ou usages suivants : (...) 4o L'usage du signe comme nom commercial ou dénomination sociale ou comme partie d'un nom commercial ou d'une dénomination sociale ;" 7. Ces différents textes réalisent la transposition en droit interne des dispositions des directives 89/104/CEE, 2008/95/CE et 2015/2436, rapprochant les législations des États membres sur les marques. 8. En l'occurrence, la demande porte sur l'emploi d'un signe strictement limité à la dénomination sociale du défendeur, sans qu'aucun autre fait ne soit démontré par le demandeur. Elle suppose donc que ce seul fait s'analyse en un « usage dans la vie des affaires » au sens des dispositions précitées. Il est également rappelé que le considérant 19 de la directive 2015/2436, qui a introduit pour la première fois, parmi les exemples d'usages que le titulaire peut interdire, l'usage à titre de dénomination sociale, précise qu'un tel usage devrait être compris comme tout usage « dès lors que cet usage a pour but de distinguer des produits ou services ». 9. L'expression « faire usage » d'un signe doit donc être entendue comme désignant l'emploi du signe dans le but de distinguer des produits ou des services, c'est à dire comme portant atteinte ou étant susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, ce qui est en définitive, comme l'a maintes fois jugé la Cour de justice de l'Union européenne, la condition du droit exclusif (voir CJUE, 25 juillet 2018, Mitsubishi, C-129/17, point 34 et la jurisprudence citée). 10. Or, de la même manière que le seul dépôt d'une marque ne caractérise pas un usage dans la vie des affaires (Cass. Com., 13 octobre 2021, no19-20.504), le seul fait d'immatriculer une société sous une certaine dénomination n'est pas, en soi, un usage de cette dénomination dans le but de distinguer des produits ou services, et il n'est donc pas à lui seul susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque : il s'agit d'un acte dont l'effet est strictement juridique, qui ne caractérise pas en soi l'existence d'une activité, et il ne peut être présumé que, du seul fait qu'une société existe, elle est exploitée. 11. Il appartient donc au titulaire de la marque de prouver que le tiers dont il critique la dénomination exerce effectivement une activité économique en lien avec des produits ou services déterminés, ce qui n'est pas une charge excessive dès lors que la protection du droit de marque est spéciale et concrète et non abstraite et absolue. Cette preuve n'est pas rapportée ici, où seule l'existence de la société Base & Co est démontrée par son extrait Kbis (pièce du demandeur no5), ce qui ne permet pas d'établir qu'elle exerce une activité ni la nature réelle de cette activité. Par conséquent, à défaut de preuve d'usage du signe litigieux, aucune contrefaçon vraisemblable n'apparaît caractérisée. Il doit donc être dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de M. [M]. 12. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, M. [M] supportera les dépens. Il n'y aura pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS, Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par ordonnance réputée contradictoire et en premier ressort, Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de M. [M] ; Condamne M. [M] aux dépens ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile. Fait à Paris le 13 juillet 2022. Le Greffier, Le Président, Daouia BOUTLELIS Nathalie SABOTIER
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JURITEXT000047304639
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, Chambre civile 3, 2 août 2022, 22/04707
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2022-08-02
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Tribunal judiciaire de Paris
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22/04707
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CHAMBRE_CIVILE_3
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 22/04707 - No Portalis 352J-W-B7G-CWXE3 No MINUTE : Assignation du :19 Avril 2022 ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ MAINLEVÉErendue le 02 Août 2022 DEMANDERESSE Société LOUIS VUITTON MALLETIER[Adresse 1][Localité 5] représentée par Maître Julien BLANCHARD de la SELARL SELARL CANDÉ - BLANCHARD - DUCAMP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0265 DÉFENDEUR Monsieur [T] [C][Adresse 4][Localité 6] représenté par Maître Jean AITTOUARES de la SELARL OX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0966 COMPOSITION Nahtalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeassistée de Lorine MILLE, greffière, DÉBATS A l'audience du 08 Juin 2022, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 02 Août 2022. ORDONNANCE Prononcée publiquement par mise à dispotion au greffeContradictoireEn premier ressort ____________________________ EXPOSÉ DU LITIGE : 1. M. [T] [C] est un réalisateur de films français auteur de films de long métrage et de films publicitaires. La société La Pac est une société de production de films publicitaires. La société Louis Vuitton Malletier est une filiale du groupe de luxe LVMH, spécialisée dans la création d'articles de maroquinerie et d'habillement qu'elle commercialise sous la marque "Louis Vuitton". 2. M. [C] expose avoir été contacté à la fin du mois de mai 2021 par la société La Pac aux fins de réaliser un film publicitaire pour le compte de la société Louis Vuitton Malletier, destiné à présenter la collection "hommes - printemps / été 2022" de cette société, le film publicitaire et une bande-annonce devant être livrés le 24 juin 2021. Il indique avoir livré le film dans le délai imparti mais avoir découvert, une heure avant sa première diffusion, que M. [F] [B] était crédité comme réalisateur du film intitulé "Amen Break", lui-même étant présenté en 131ème position au générique en qualité de "film supervisor". 3. Le film a été diffusé et mis en ligne le 24 juin 2021, totalisant 150 millions de vue en 4 jours (d'une durée variable selon les plateformes), sans que son générique ne soit modifié en dépit des demandes réitérées de M. [C] auprès de la société La Pac, et alors même qu'aucun contrat n'avait été régularisé et que son travail était resté impayé. Par une lettre du 8 juillet 2021, M. [C] a de la même manière mis en demeure la société Louis Vuitton Malletier de cesser la diffusion du film "Amen Break", de lui en communiquer l'ensemble des documents contractuels et comptables, et de l'informer sur les modalités envisagées de réparation de son préjudice. 4. Par une ordonnance du 9 juillet 2021, M. [C] a été autorisé à faire pratiquer des opérations de saisie-contrefaçon dans les locaux de la société La Pac, lesquelles ont été réalisées le 19 juillet 2021 et ont révélé qu'il avait bien été engagé en qualité de réalisateur et que le générique avait été modifié (cette modification étant facturée le 30 juin 2021 à la société Louis Vuitton Malletier). 5. C'est dans ce contexte que, par actes d'huissier délivrés le 9 août 2021, M. [T] [C] a fait assigner à jour fixe à l'audience de la 3ème chambre / 3ème section de ce tribunal du 3 novembre 2021, les sociétés La Pac et Louis Vuitton Malletier en contrefaçon de droits d'auteur (atteinte à son droit moral et violation de son droit patrimonial). A l'audience du 3 novembre 2021, l'affaire a été renvoyée à la mise en état avec un calendrier court et une clôture prévue le 3 avril 2022. 6. Par une requête du 29 mars 2022, M. [C] a sollicité et obtenu, de la présidente de la 3ème chambre / 3ème section, l'autorisation de faire pratiquer des opérations de saisie-contrefaçon au siège de la société Louis Vuitton Malletier, lesquelles ont été réalisées le 12 avril 2022 et ont amené la saisie de plus de 6600 documents. 7. Par acte d'huissier du 19 avril 2022, la société Louis Vuitton Malletier a fait assigner M. [C] en référé afin d'obtenir la mainlevée de la saisie-contrefaçon. A l'audience du 8 juin 2022, la société Louis Vuitton Malletier demande à la juridiction de : À titre principal, - Ordonner la mainlevée de la saisie-contrefaçon pratiquée le 13 avril 2022 auprès de la société Louis Vuitton Malletier, - Ordonner que les pièces saisies seront remises à Louis Vuitton Malletier, interdiction étant faite à M. [C] d'en conserver copie et de s'en prévaloir ultérieurement, À titre subsidiaire, - Ordonner la mise sous séquestre des courriels saisis chez Louis Vuitton Malletier lors des opérations de saisie-contrefaçon du 13 avril 2022, - Ordonner une mesure d'expertise et désigner pour y procéder tel expert qu'il lui plaira avec pour mission de : ? se faire remettre par Me [N] [U] une copie du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 13 avril 2022 ainsi que l'ensemble des courriels saisis, ? réunir un cercle de confidentialité constitué uniquement des avocats de chacune des parties, qui signeront un accord de confidentialité concernant les opérations menées lors de l'expertise, ? recueillir les explications des avocats des parties et se faire remettre toute pièce qui s'avérerait nécessaire à l'exécution de sa mission, ? ouvrir les scellés, procéder à leur examen en présence des conseils des parties, et identifier: *d'une part, pour les écarter et en vue de leur destruction, les documents protégés au titre des droits de la défense, qui ne seront pas portés à la connaissance des avocats de M. [C] et en cas de difficulté sur un document, en référer à Mme la Présidente qui seule en prendra connaissance, *de deuxième part, les documents présentant des éléments utiles à la preuve de la contrefaçon alléguée par M. [C], *de troisième part, les documents ne contenant aucune information pertinente sur ladite contrefaçon alléguée, - dresser la liste des trois catégories de documents, en mentionnant les observations éventuelles des parties, annexer les documents contenant des informations utiles à son rapport, et faire ensuite retour des documents originaux à l'huissier, lequel en sera constitué séquestre jusqu'à ce qu'il soit à nouveau statué, - Dire qu'il vous sera référé de toute difficulté de nature en particulier à compromettre le démarrage, l'avancement ou l'achèvement des opérations ; - Condamner M. [C] à payer à la société Louis Vuitton Malletier la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens. 8. M. [C] conclut quant à lui au rejet des demandes, aussi bien principale (mainlevée) que subsidiaire (expertise de tri), de la société Louis Vuitton Malletier. Il demande à la juridiction de lui donner acte du fait qu'il ne s'oppose pas à la mainlevée partielle de la saisie ou à toute mesure qu'il plaira à la Présidente d'ordonner sur tous les échanges directs entre la société Louis Vuitton Malletier et ses avocats, ainsi que sur le courriel adressé par [X] [A] à [R] [H] le 21 mars 2022 à 19h42, pour autant que de tels documents aient été appréhendés. Il sollicite la condamnation de la société Louis Vuitton Malletier à lui payer la somme de 6 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. 9. L'affaire a été plaidée à l'audience du 8 juin 2022 et mise en délibéré au 2 août 2022. MOTIFS DE LA DÉCISION 1o) Sur la mainlevée de la saisie-contrefaçon Moyens des parties 10. La société Louis Vuitton Malletier soutient que M. [C] s'est livré à une présentation déloyale des faits ne fournissant au magistrat que ses propres éléments et sa propre version des faits. La société demanderesse rappelle ainsi que tous les choix, aussi bien artistiques et esthétiques, que techniques, ont été faits par [S] [E], architecte, designer et directeur artistique "pour l'homme" de la marque, jusqu'à son décès survenu le [Date décès 3] 2021. Elle ajoute que ce dernier a choisi (ou validé), avec M. [F] [B], l'idée originale du film, son scenario, ses dialogues, sa musique, ses chorégraphies, ses lieux de tournage, ses décors, les membres de l'équipe technique, y compris la décision d'engager M. [C] et ce, pour la seule supervision du tournage. 11. La société Louis Vuitton Malletier précise que la modification du générique demandée à la société de production est due à une erreur sur le nom du "hair artist" ayant travaillé pour le film. Elle ajoute que c'est à dessein, et en particulier afin de cacher au juge des requêtes les arguments contraires de la société Louis Vuitton Malletier, que M. [C] a déposé sa requête sans attendre le dépôt des conclusions de la défense prévu le 31 mars 2022. 12. M. [C] conclut au rejet de la demande de mainlevée n'ayant selon lui fait preuve d'aucune déloyauté. Il rappelle d'ailleurs que conformément aux dispositions de l'article 845 alinéa 3 du code de procédure civile, il a présenté sa requête à la présidente de la section en charge de l'affaire au fond, en raison précisément de sa connaissance de l'affaire. Il ajoute avoir joint à sa requête les dernières conclusions des défendeurs. M. [C] soutient encore que le débat relatif à la qualification de son intervention sur le film (réalisateur ou "superviseur") est un débat de fond et en déduit que les moyens soulevés par la société Louis Vuitton Malletier sont dénués de pertinence à ce stade. Appréciation du juge des référés 13. Aux termes de l'article L.332-1 du code de la propriété intellectuelle, "Tout auteur d'une oeuvre protégée par le livre Ier de la présente partie, ses ayants droit ou ses ayants cause peuvent agir en contrefaçon. A cet effet, ces personnes sont en droit de faire procéder par tous huissiers, le cas échéant assistés par des experts désignés par le demandeur, sur ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle des oeuvres prétendument contrefaisantes ainsi que de tout document s'y rapportant. L'ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux oeuvres prétendument contrefaisantes en l'absence de ces dernières. La juridiction peut ordonner la description détaillée ou la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer illicitement les oeuvres. (...)" 14. Selon l'article 3 "Obligation générale" de la Directive 2004/48/CE du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, dont les dispositions précitées réalisent la transposition en droit interne, les mesures destinées à assurer le le respect des droits de propriété intellectuelle doivent, notamment, être loyales. Aussi, il est constamment rappelé que le caractère non contradictoire de la procédure sur requête, qui autorise un requérant, à solliciter dans un cadre exorbitant du droit commun, sur une présentation unilatérale de sa demande, l'autorisation de procéder chez une personne suspectée de commettre des actes de contrefaçon ou un tiers, sans son assentiment, à des investigations instrusives ou à des mesures conservatoires, suppose une particulière loyauté du requérant. Ce dernier se doit de porter à la connaissance du juge, l'ensemble des éléments de droit et de faits utiles, afin de permettre à celui-ci de porter une appréciation éclairée sur la demande qui lui est soumise et d'ordonner une mesure proportionnée, en tenant compte des intérêts divergents du saisissant et du saisi. 15. Force est en l'occurrence de constater que, sous le couvert d'un défaut de loyauté, la société Louis Vuitton Malletier développe en réalité ses moyens de critique au fond de la qualification de la participation de M. [T] [C] au film "Amen Break". Selon elle, en effet, la participation de M. [C] n'a pas excédé celle d'un simple "superviseur" des prises de vue, la qualité de réalisateur revenant uniquement à M. [F] [B], tandis que, selon M. [C], son rôle a consisté à diriger le tournage de l'oeuvre audiovisuelle et, ce faisant, à opérer différents choix décisifs pour le "rendu final" du film "Amen Break", qui justifiaient selon lui qu'il soit crédité en qualité de réalisateur en 2ème ou 3ème position, mais en aucun cas en 131ème. 16. Ce sont précisément les très importantes divergences entre les parties, parfaitement connues de la présidente de la chambre à laquelle l'affaire a été distribuée, et à laquelle la requête a été présentée conformément aux dispositions de l'article 845 alinéa 3 du code de procédure civile, qui ont justifié la mesure. M. [C] ne peut donc être regardé comme ayant fait preuve de déloyauté et la demande de mainlevée ne pourra par conséquent qu'être rejetée. 2o) Sur la protection du secret professionnel Moyens des parties 17. La société Louis Vuitton Malletier fait à cet égard valoir qu'eu égard à la date à laquelle la mesure a été autorisée, c'est à dire à un moment où le litige avait déjà été porté devant différents tribunaux, des correspondances couvertes par le secret professionnel ont été saisies. Cette société sollicite donc l'organisation d'une expertise de tri aux fins d'écarter les courriers échangés entre la société Louis Vuitton Malletier et ses avocats mais aussi les courriers en lien avec sa défense, notamment ceux échangés entre ses préposés et qui relateraient les échanges entre la société et ses avocats ou encore sa stratégie de défense, conformément à la jurisprudence. 18. M. [C] rappelle que ses conseils ont dès la mise en oeuvre de la mesure accepté que soient écartées les correspondances entre la société défenderesse et ses avocats. Il s'oppose en revanche à toute extension, laquelle n'est pas fondée en droit, la demande étant vague alors que la jurisprudence a développé une appréciation in concreto des pièces devant être couvertes par le secret professionnel, non plus qu'en fait, la société Louis Vuitton Malletier ne donnant aucun exemple de courriel saisi susceptible de relever de la catégorie des courriers couverts par le secret professionnel sans pour autant émaner ou être adressé à son avocat. Appréciation du juge des référés 19. Il résulte de l'article 66-5 de la Loi no 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, modifié par la Loi no2011-331 du 28 mars 2011 qu' "En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention " officielle ", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel." 20. Il appartient au juge chargé de contrôler les opérations de saisie de vérifier concrètement, en se référant au procès-verbal et à l'inventaire, la régularité des opérations et d'ordonner, le cas échéant, la restitution des documents qu'il estime appréhendés en violation des droits de la défense. La cour de cassation n'exerce pas de contrôle sur cette vérification concrète qui relève de l'appréciation souveraine des juges du fond (Cass. Crim., 8 novembre 2017, pourvoi no 16-84.528 ; Cass. Com., 7 juillet 2015, pourvoi no 14-15.965) sous réserve que le juge soit « saisi d'allégations motivées selon lesquelles des documents précisément identifiés ont été appréhendés alors qu'ils relevaient de la confidentialité qui s'attache à la relation entre un avocat et son client » (CEDH, 2 avril 2015, Vinci Construction et a. c/ France, no 6369/10, § 79). 21. Le principe de la confidentialité des échanges entre l'avocat et son client a pour but de préserver les droits de la défense et son périmètre doit se déterminer en fonction de cet objectif : la personne qui subit une saisie doit pouvoir compter sur le fait que ne pourront être saisis les documents qui s'inscrivent dans le cadre de sa relation avec son avocat en vue de sa défense à la procédure. Il convient donc de faire primer le contenu du document et le lien indissociable qu'il créé avec l'exercice des droits de la défense, sur le fait qu'un document émane directement de l'avocat ou lui est adressé. Dans une grande entreprise comme la défenderesse, la stratégie de défense a en outre vocation à être discutée par les cadres de la direction et ceux du service juridique, de sorte que sauf à priver de tout effet utile la confidentialité des échanges entre un avocat et son client, celle-ci doit s'étendre, dans la limite de ce qui est nécessaire à l'exercice effectif des droits de la défense, à la discussion de la stratégie de défense, en aval de la correspondance échangée. Les documents internes à l'entreprise qui, à la suite d'un entretien ou d'une correspondance avec l'avocat, en reprennent les termes ne sauraient donc faire l'objet d'une saisie. 22. En l'occurrence, la mesure a amené la saisie d'un nombre très élevé de documents (plus de 6500) dont la société Louis Vuitton Malletier démontre que parmi eux figurent des courriels destinés à Maître Julien Blanchard son avocat (ex : courriel du 28 octobre 2021 de Mme [K] [I] à Me Julien Blachard avec en objet "Men SS22 filming" ; courriel du 28 décembre 2021 de Mme [Z] [G] à Mme [L] [V] et Me Julien Blanchard avec en objet "Point juridique") ou des courriels internes relatifs à sa stratégie de défense (ex : courriel du 29 octobre 2021 de Mme [K] [I] à M. [R] [H] et Mme [W] [M] avec en objet "Urgent MIPO" contenant les conclusions de Me Blanchard ; courriel du 23 décembre 2021 de M. [O] [D] à M. [R] [H] et Mme [W] [M] avec en objet "[T] [C] : Point juridique"). 23. Il appraît donc justifié de faire droit à la demande et de désigner un expert aux fins de d'extraire des documents saisis ceux portant atteinte au secret des correspondances entre avocat et client, étendu aux courriels des juristes internes qui divulgueraient un tel secret, selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision. 3o) Sur la protection de données couvertes par le secret des affaires Moyens des parties 24. La société Louis Vuitton Malletier fait sur ce point valoir que le choix des mots-clefs a amené la saisie de documents sans lien avec la présente affaire dont certains font même état de partenariats confidentiels avec d'autres sociétés, éléments couverts par le secret des affaires. 25. M. [C] conclut au rejet de cette demande présentée selon lui de manière "expéditive" par la société Louis Vuitton Malletier sans aucune démonstration de la moindre atteinte à un secret d'affaires. Appréciation du juge des référés 26. Selon l'article L. 151-1 du code de commerce, "Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants : 1o Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ; 2o Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret; 3o Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret." 27. L'article R. 153-3 de ce même code précise que "A peine d'irrecevabilité, la partie ou le tiers à la procédure qui invoque la protection du secret des affaires pour une pièce dont la communication ou la production est demandée remet au juge, dans le délai fixé par celui-ci: 1o La version confidentielle intégrale de cette pièce ; 2o Une version non confidentielle ou un résumé ; 3o Un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires. Le juge peut entendre séparément le détenteur de la pièce, assisté ou représenté par toute personne habilitée, et la partie qui demande la communication ou la production de cette pièce." 28. Force est de constater que la demande telle que présentée par la société Louis Vuitton malletier n'est pas conforme aux dispositions de l'article R.153-1 du code de procédure civile et est dès lors irrecevable. 29. Les succès et échecs respectifs des parties commandent de laisser à chacune d'elles la charge de ses propres dépens comme de ses frais irrépétibles. PAR CES MOTIFS, Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort, Le juge des référés, REJETTE la demande de mainlevée de la saisie-contrefaçon autorisée le 29 mars 2022 ; ORDONNE une mesure d'expertise et désigne pour y procéder :M. [J] [Y] Expert près la Cour d'Appel de Paris et la Cour de cassationdemeurant : [Adresse 2][Courriel 7] Avec pour mission de :- se faire remettre par Me [U], huissier de Justice, une copie de l'ordonnance sur requête du 29 mars 2022 et du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 12 avril 2022, ainsi que l'ensemble des éléments saisis au siège de la société Louis Vuitton Malletier,- réunir un cercle de confidentialité constitué uniquement des avocats de chacune des parties,- recueillir les explications des avocats des parties et se faire remettre toute pièce qui s'avérerait nécessaire à l'exécution de sa mission,- procéder à l'examen des courriels et pièces saisies en présence des seuls conseils des parties, et identifier, pour les écarter, les documents protégés au titre du secret des correspondances entre avocat et client, étendu aux courriels de juristes de la société Louis Vuitton Malletier qui divulgueraient un tel secret,- faire ensuite retour des documents à l'huissier, DIT qu'il nous sera référé de toute difficulté de nature à compromettre le démarrage, l'avancement ou l'achèvement des opérations, et en particulier en cas de désaccord sur la confidentialité d'une pièce, lequel sera tranché par le juge ; DIT que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 232 et suivants du code de procédure civile ; FIXE à 5.000 euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert qui devra être consignée par la société Louis Vuitton Malletier à la régie du tribunal judiciaire de Paris, au plus tard le 9 septembre 2022, faute de quoi la mesure d'expertise ordonnée sera caduque ; DIT que l'expert devra rendre son rapport au greffe de la 3ème chambre civile du tribunal judiciaire de Paris avant le 30 décembre 2022 ; DIT irrecevable en l'état la demande de protection de pièces par les règles relatives au secret des affaires et invite la société Louis Vuitton Malletier à procéder comme prévu à l'article R. 153-1 du code de commerce ; LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres dépens ; DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de plein droit par provision. Fait et jugé à Paris le 02 Août 2022. La Greffière La Présidente
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JURITEXT000047304640
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, Chambre civile 3, 13 septembre 2022, 20/09890
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2022-09-13
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/09890
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CHAMBRE_CIVILE_3
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 20/09890 - No Portalis 352J-W-B7E-CS6ZB No MINUTE : Assignation du :14 Octobre 2020 JUGEMENT rendu le 13 Septembre 2022 DEMANDERESSE S.A.R.L. VA EVENEMENTS[Adresse 2][Localité 4] représentée par Maître Arnaud ROUILLON du cabinet JR ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0118 DÉFENDERESSES S.A.S. MTECH EVENTS[Adresse 1][Localité 6] représentée par Maitre Déborah DAYAN, avocat au barreau de PARIS, avocat postlant, vestiaire #E0547 et par Maître Pierre LANGLAIS de la SELARL LANGLAIS, avocat au barreau de NANTES, avocat plaidant S.A.S. ORANGERIE VAL DE LOIRE[Adresse 5][Localité 3] représentée par Maître David GILBERT-DESVALLONS de la SELARL GILBERT-DESVALLONS SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0012 COMPOSITION DU TRIBUNAL Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeArthur COURILLON-HAVY, jugeLinda BOUDOUR, juge assistés de Lorine MILLE, greffière DEBATS A l'audience du 13 avril 2022 tenue en audience publique devant Arthur COURILLON-HAVY et Linda BOUDOUR, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 21 juin 2022 et prorogé au 13 septembre 2022. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort Exposé du litige Objet du litige 1. La société Va évènements commercialise sous le nom « d'Orangerie éphémère » un type de structure temporaire ressemblant aux halles alimentaires du XIXe siècle, sur lequel elle revendique des droits d'auteur. Elle se plaint d'une contrefaçon de cette oeuvre, reprochant à la société Mtech events de fabriquer et commercialiser des structures similaires, et à la société Orangerie val de Loire d'avoir acquis une de ces structures dans le cadre de son activité d'organisation d'évènements, installée à [Localité 7], et d'avoir reproduit sur son site internet des photographies de l'Orangerie éphémère. 2. Les défenderesses estiment cette oeuvre inéligible au droit d'auteur faute d'originalité, contestent en toute hypothèse toute contrefaçon, faute de confusion possible selon la société Orangerie val de Loire, et en raison de l'originalité propre de sa structure selon la société Mtech. La société Orangerie val de Loire, qui estime la demande abusive, demande subsidiairement la garantie de la société Mtech. Procédure et exposé des prétentions 3. Après avoir mis en demeure la société Mtech en mars 2019, dont la réponse ne l'a pas satisfaite, puis avoir pratiqué une saisie-contrefaçon chez la société Orangerie val de Loire le 16 septembre 2020, la société Va évènement les a assignées le 14 octobre 2020 en contrefaçon de droits d'auteur. 4. L'instruction a été close le 10 février 2022, l'affaire entendue le 13 avril. 5. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 5 janvier 2022, la société Va évènements, invoquant une contrefaçon de droits d'auteur, demande de? condamner ? la société Mtech à lui payer 270 000 euros en réparation du préjudice économique et d'image subi du fait de la présentation au public, fabrication et commercialisation de structures similaires à son « orangerie éphémère » ? la société Orangerie val de Loire à lui payer 10 000 euros en réparation du préjudice matériel subi du fait de la reproduction, sur le site mariage.net, de son « orangerie éphémère » ? condamner in solidum les sociétés Orangerie val de Loire et Mtech à lui payer 90 000 euros à parfaire en réparation du préjudice tiré du manque à gagner sur l'opération commerciale attachée à la structure de [Localité 7]? ordonner la destruction de cette structure sous astreinte aux frais de la société Orangerie val de Loire, la publication du jugement sur le site internet de la société Mtech,? outre 28 372,40 euros (à parfaire) au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens (comprenant les frais d'huissier engagés dans le cadre des saisies-contrefaçon) ; 6. Elle allègue la combinaison, originale selon elle, de caractéristiques dont certaines seraient elles-mêmes originales, « engendrant une structure à l'esthétisme unique, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, qui n'avait jamais été conçue auparavant », tenant notamment au contraste entre une structure transportable et éphémère mais avec une impression de volume et de stabilité. Certaines de ces caractéristiques sont reprises de courants architecturaux différents, les orangeries de châteaux et les halles du XIXe siècle ([B] ou [F]), avec :- une grande ouverture sur l'extérieur, - la forme de vitres comme dans une orangerie avec un haut arrondi,- un double toit à quatre pentes, dans l'esprit des halles du XIXe sièce,- charpente avec fermes en treillis, et en détail complémentaire des rosaces à cinq pétales (alors que les halles [F] en ont 6) ; 7. D'autres caractéristiques se détachent selon elles de ces courants anciens :- les matériaux, avec la structure en acier et verre, le toit en toile de PVC opaque,- la couleur de structure grise au lieu du vert traditionnel dans les structures métalliques,- l'inclinaison des barres de séparation des treillis se rattachant à la poutre,- le séquençage des façades avec les arrondis de fenêtres du 2e niveau qui sont alignés sur celles du premier niveau,- des barreaux verticaux décoratifs,- des vitres de 83 cm de larges, coupées en deux pour faire des carreaux de 41 cm, ce qui ne viendrait pas du style [F]. 8. Elle ajoute que si elle commercialise des orangeries différentes, comme le soulignent les défendeurs, il s'agit toutefois de différences de détail, concernant l'intérieur, la taille, la couleur du toit (gris ou blanc), qui ne modifient pas l'impression d'ensemble de l'oeuvre et ses caractéristiques essentielles. Elle se prévaut de précédentes décisions ayant reconnu l'originalité de son oeuvre et conteste enfin la date et la pertinence de l'antériorité opposée, à savoir une halle de la société Pierre boon international dont, explique-t-elle, la structure est verte, la charpente est arrondie et non oblique, les vitres n'ont pas d'habillage, leur séquençage est plus simple, la structure plus basse, les poteaux ajourés et non pleins. 9. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 8 février 2022, la société Orangerie val de Loire résiste aux demandes et réclame elle-même 12 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive, subsidiairement demande la garantie de la société Mtech, et en tout état de cause, à la société Va évènements, 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens (avec recouvrement par son avocat). 10. La société Orangerie val de Loire conteste toute originalité à la combinaison des caractéristiques revendiquées. Elle soutient que l'ensemble des éléments architecturaux provient des halles [F] : ainsi de l'ouverture sur l'extérieur, la forme des vitres, les montants verticaux et les hauts de fenêtres arrondis qui se retrouvent sur une image d'archive ; du double toit à quatre pentes, visible sur un timbre ; de la charpente à ferme en treillis et rosace ; et que les éléments présentés comme modernes sont soit encore repris du style [F] soit imposés par la nature de ce type de structure ou par des considérations règlementaires ou financières ; ainsi de l'inclinaison des barres de séparation des treillis, qui est imposée par la structure triangulée, et se retrouve donc dans les réalisations de [F] ; de l'arrondi des hauts de fenêtres, repris aux halles [F] ; des barreaux verticaux, qui portent le bâtiment et se retrouvent donc sur les halles [F], et dont le rythme est imposé par la portance de la partie supérieure, avec un écartement répétitif, d'une largeur de 83 cm qui est standard ; de la toiture en PVC, plus pratique et économique que le verre qui est le seul autre choix possible pour ce type de structure ; de la couleur grise qui n'est pas originale et est souvent imposée par les architectes des bâtiments de France et les élus, comme dans le cas de son orangerie. Elle rappelle que la caractérisation des choix opérés dans la conception et les aménagements d'un bâtiment est indispensable pour le qualifier d'oeuvre. 11. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 9 février 2022, la société Mtech events résiste aux demandes principales et à la demande en garantie, demande d'écarter l'exécution provisoire, et réclame elle-même à la société Va évènements 11 556 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens. 12. La société Mtech events répond d'abord que les caractéristiques invoquées ont changé entre la mise en demeure et les conclusions, et estime que la demanderesse doit être tenue par la caractérisation de l'originalité telle qu'invoquée dans la mise en demeure. Elle soutient ensuite que la demanderesse invoque les photographies de plusieurs orangeries, différentes entre elles ; qu'il s'agit donc de plusieurs produits différents n'ayant pas les mêmes caractéristiques architecturales ; qu'ainsi on ne sait pas quelle orangerie est concrètement invoquée, sauf à ce que la demanderesse réclame en réalité la protection d'un concept, conclue-t-elle. 13. Elle conteste plus généralement toute originalité aux caractéristiques invoquées, ni individuellement ni ensemble ; car ces caractéristiques viendraient toutes des halles [F] telles que celles de [Localité 8] et des orangeries de château, et se retrouvent encore sur une structure commercialisée par la société Pierre boon international en 2006 ; ou seraient pour le reste triviales ; et elle soulève à cet égard les mêmes moyens que la société Orangerie val de Loire. MOTIFS 14. Conformément à l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur l'oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. La protection d'une oeuvre de l'esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale, en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. 15. Pour l'application de la directive 2001/29 sur l'harmonisation de certains aspects des droits d'auteur, la notion d'oeuvre, qui conditionne la protection exigée par ce texte, implique un objet original, c'est-à-dire une création intellectuelle propre à son auteur, qui en reflète la personnalité en manifestant ses choix libres et créatifs ; et cet objet doit être identifiable avec suffisamment de précision et d'objectivité, ce qui exclut une identification reposant essentiellement sur les sensations de la personne qui reçoit l'objet (CJUE, 12 septembre 2019, Cofemel, C-683/17, points 29 à 35). 16. Dans ce cadre, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur dont l'existence est contestée de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il allègue. En effet, seul l'auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole. 17. Au cas présent, la société Va évènements décrit un certain nombre des caractéristiques visibles de ses « Orangeries éphémères », en expliquant la mesure dans laquelle elle se rattachent ou non, selon elle, à deux courants architecturaux antérieurs. Elle n'explicite toutefois aucun choix artistique, ni aucun processus créatif, et moins encore en quoi ces choix refléteraient la personnalité d'un auteur. Les attestations de la personne ayant créé les dessins et les plans (pièce Va évènements no4) n'expliquent pas davantage les choix effectués, et n'expriment ni au demeurant ne revendiquent aucun processus créatif. 18. Ne sont en définitive invoqués qu'un ensemble d'éléments descriptifs. La plupart se retrouvent dans les halles de type [F] : le double toit à 4 pentes, la structure en acier et les façades en verre donnant une grande ouverture sur l'extérieur, avec des lignes verticales régulières et dont la partie haute est arrondie ; la charpente avec une structure en croisillons, inclinée selon la pente du toit ; les rosaces ; tous éléments qui, y compris envisagés ensemble, appartiennent au fonds commun de l'architecture, et que la société Va évènements ne peut s'approprier. 19. Les caractéristiques nouvelles sont ainsi seulement l'alignement des éléments hauts avec les éléments bas qui est un choix par défaut ; la couleur grise, qui est banale, tout comme le toit en PVC pour des structures extérieures démontables ; quant à la taille de 83 cm pour les fenêtres de 2 carreaux de large, elle permet de former des modules de 5 mètres pour 3 fenêtres double, ce qui est avant tout fonctionnel. 20. Ajouter ces éléments banals ou pratiques à un ensemble repris à des créations antérieures ne caractérise donc pas en soi un choix créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur, et à défaut pour la demanderesse d'indiquer en quoi, malgré les apparences, il s'agirait du fruit de la personnalité et de la créativité d'un auteur, il ne peut être conclu que l'objet revendiqué est une oeuvre de l'esprit éligible au droit d'auteur. 21. Ses demandes, qui sont toutes fondées sur la contrefaçon de cet objet, sont par conséquent rejetées. 22. En revanche, elle n'a pas pu commettre de faute à réitérer, certes à tort, une demande qui avait déjà été accueillie par plusieurs juridictions. La demande reconventionnelle pour abus doit donc être rejetée. Dispositions finales 23. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie. 24. La société Va évènements, qui perd le procès, est tenue aux dépens, et doit indemniser les défenderesses des frais qu'elles ont dû exposer pour le procès et qui peuvent être estimés à 10 000 euros chacune. 25. L'exécution provisoire est de droit et rien ne justifie de l'écarter. PAR CES MOTIFS Le tribunal, REJETTE l'ensemble des demandes de la société Va évènements ; REJETTE la demande reconventionnelle de la société Orangerie val de Loire pour abus ; CONDAMNE la société Va évènements aux dépens ainsi qu'à payer 10 000 euros à la société Orangerie val de Loire et 10 000 euros à la société Mtech events au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; Fait et jugé à Paris le 13 Septembre 2022 La Greffière La Présidente
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Tribunal judiciaire de Paris, Chambre civile 3, 13 septembre 2022, 20/08389
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2022-09-13
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/08389
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 20/08389 No Portalis 352J-W-B7E-CSWCB No MINUTE : Assignation du :14 août 2020 JUGEMENT rendu le 13 septembre 2022 DEMANDERESSE LA FONDATION 30 MILLIONS D'AMIS[Adresse 2][Localité 3] représentée par Maître Vanessa GRYNER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0792 DÉFENDERESSE Association SOCIETE PROTECTRICE DES ANIMAUX[Adresse 1][Localité 4] représentée par Maître Bénédicte ROCHET de l'AARPI BARON AIDENBAUM & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0389 COMPOSITION DU TRIBUNAL Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeArthur COURILLON-HAVY, jugeLinda BOUDOUR, juge assistés de Lorine MILLE, greffière lors des débats et de Quentin CURABET, greffier lors de la mise à disposition DÉBATS A l'audience du 07 Avril 2022 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 07 juin 2022 et prorogé en dernier lieu au 13 Septembre 2022. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort Exposé du litige 1. La fondation 30 Millions d'amis reproche à la Société protectrice des animaux (SPA), qui oeuvre comme elle à la protection animale, d'avoir, lors d'une campagne publicitaire en juin 2020, copié les images de sa propre campagne menée en 2016, en reproduisant leurs caractéristiques tenant au « focus » sur l'oeil d'un animal, dans lequel se reflète une scène. Elle qualifie ces faits de contrefaçon de droits d'auteur, de concurrence déloyale en raison d'un risque de confusion, et de parasitisme. 2. Estimant que les réponses données par la SPA les 26 et 29 juin 2020 à sa mise en demeure étaient tardives, 13 et 16 jours après sa première lettre, et laissaient le préjudice s'aggraver pendant une « période cruciale », la fondation 30 Millions d'amis a, le 14 aout 2020, assigné la SPA en dommages et intérêts, confiscation, interdiction, et publication du jugement. L'instruction a été close le 28 octobre 2021, et l'affaire plaidée le 7 avril 2022. 3. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 7 avril 2021, la fondation 30 Millions d'amis demande de :? condamner la SPA à lui payer ? 50 000 euros de dommages et intérêts pour les atteintes à ses droits patrimoniaux et moraux d'auteur, ? 130 161,63 euros au titre du parasitisme et ? 50 000 euros au titre de la concurrence déloyale par risque de confusion, ? « la confiscation des visuels contrefaisants », à son profit, l'interdiction sous astreinte de (faire) fabriquer, exposer ou publier ces « visuels », et leur restitution ou destruction en présence d'un huissier? ainsi que la publication du jugement sur le site internet de la SPA et dans 3 journaux, selon certaines modalités,? outre 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les dépens (« y-compris ceux exposés pour procéder aux opérations de constats ») et l'exécution provisoire. 4. Elle soutient que sa campagne est originale en ce qu'elle est le fruit de choix artistiques effectués lors de la phase préparatoire, de la matérialisation, du choix des photographies et des retouches ultérieures ; que l'allégorie réalisée par le biais d'un focus sur l'oeil d'un animal, et le reflet renvoyant à la scène qui pourrait se dérouler devant ses yeux constituent des choix esthétiques et portent l'empreinte de la personnalité de l'auteur (elle-même en l'occurrence) ; que les 3 animaux choisis dans sa campagne correspondent à 3 animaux réels ayant subi des maltraitances qu'elle a choisi de dénoncer ; et qu'en définitive, elle est la première dans le domaine de la protection animale à avoir représenté un oeil (ou des yeux) d'animal de manière centrée, en plan plus ou moins serré, avec le reflet de ce que voit ou a vu l'animal, ce qui permet au public de comprendre le vécu des animaux abandonnés ou maltraités ; et que la SPA a commis une contrefaçon en reproduisant la caractéristique originale tenant au focus sur l'oeil de l'animal et la scène se déroulant devant ses yeux. 5. Sur la concurrence déloyale, elle fait valoir qu'il a déjà été jugé que la reprise d'une idée publicitaire était déloyale ; de même que la copie servile créant un risque de confusion ; qu'or les visuels des parties ont ici « une impression d'ensemble d'identité » et que « la confusion est d'ores et déjà semée dans l'esprit du public ». Sur le parasitisme, elle expose avoir déboursé 26 544,63 euros pour sa campagne, et 103 607 euros pour la diffuser, et que la portée de ces investissements est réduite voire anéantie du fait de la SPA. 6. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 5 octobre 2021, l'association Société protectrice des animaux soulève l'irrecevabilité de « l'action » en contrefaçon, résiste à l'ensemble des demandes sur le fond, et réclame elle-même 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens recouvrés par son avocat. 7. Elle fait valoir qu'en application du principe de la liberté d'expression, dont découle la liberté de création, les idées sont de libre parcours ; que seule une création de forme originale peut donner lieu à protection par un droit d'auteur. Et elle estime que la demanderesse tente ici de s'approprier l'idée d'un focus sur l'oeil d'un animal et de la reproduction d'images au centre dudit oeil ; que cette idée serait au demeurant largement reprise, par exemple sur un article de 2012 dans un forum de photographie, sur des affiches ou dans des scènes de films ; que le traitement que chacune a fait de cette idée n'a aucune ressemblance, d'un côté la maltraitance, de l'autre l'abandon, d'un côté la représentation d'une scène éventuelle, de l'autre celle du passé réellement vu ; qu'en tout état de cause il ne s'agirait que d'une rencontre fortuite car elle n'avait pas connaissance, dit-elle, de cette campagne de 2016 de la fondation 30 Millions d'amis. 8. Sur la concurrence déloyale, après avoir rappelé le principe de la liberté du commerce et de l'industrie, elle expose que la demanderesse ne procèderait que par allégations sans démontrer un risque de confusion au cas présent ; que dans l'affaire dont se prévaut la demanderesse, une idée publicitaire a été considérée comme distinctive, mais du fait de son usage ininterrompu depuis 1988, tandis que la campagne de la demanderesse aurait été ponctuelle et limitée à 12 parutions dans la presse et quelques posts sur les réseaux sociaux en 2016 ; outre que les idées des deux campagnes sont différentes, l'une valorisant le rôle de la fondation 30 Millions d'amis dans la poursuite des « tortionnaires », l'autre portant sur l'abandon en montrant le « spectre de l'après-abandon ». 9. Sur le parasitisme, elle avance qu'elle ne pouvait pas se placer dans le sillage de la demanderesse, ne connaissant pas cette campagne qui ne figurait pas même au rapport annuel de celle-ci, ni parmi les campagnes annuelles mentionnées à son site internet ; qu'elle a précisément voulu se démarquer de la demanderesse en insistant sur l'abandon, qui correspond à sa « raison d'être » au regard de l'importante activité de ses refuges, tandis que la fondation 30 Millions d'amis ne gère pas de refuge ; enfin qu'elle a elle-même dépensé 296 835,88 euros TTC pour sa campagne. Motifs 1) Demandes fondées sur la contrefaçon de droit d'auteur 10. Conformément à l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur l'oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. La protection d'une oeuvre de l'esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale, en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. 11. Pour l'application de la directive 2001/29 sur l'harmonisation de certains aspects des droits d'auteur, la notion d'oeuvre, qui conditionne la protection exigée par ce texte, implique un objet original, c'est-à-dire une création intellectuelle propre à son auteur, qui en reflète la personnalité en manifestant ses choix libres et créatifs ; et cet objet doit être identifiable avec suffisamment de précision et d'objectivité, ce qui exclut une identification reposant essentiellement sur les sensations de la personne qui reçoit l'objet (CJUE, 12 septembre 2019, Cofemel, C-683/17, points 29 à 35). 12. Dans ce cadre, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur dont l'existence est contestée de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il allègue. En effet, seul l'auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole. 13. Aux termes de l'article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. Les articles L. 335-2 et L. 335-3 du même code qualifient de contrefaçon et incriminent, notamment, la reproduction d'une oeuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur. 14. La fondation 30 Millions d'amis fonde l'originalité des oeuvres qu'elle invoque sur des « choix créatifs », dont deux seulement sont explicités, à savoir d'une part un gros plan sur l'oeil d'un animal dans lequel se reflète un objet ou une scène, et le choix de 3 animaux précis (une jeune chienne nommée Ivory, un veau trouvé dans une ferme en Alsace, et une panthère nommée Maoni). 15. Mais, comme le soulève la défenderesse, les idées sont de libre parcours. Le fait de présenter dans l'oeuvre un oeil d'animal en gros plan dans lequel se reflète quelque chose est avant tout une idée, ou un concept, inappropriable en lui-même ; sa simple mise en oeuvre n'est pas en elle-même un choix créatif reflétant la personnalité de son auteur. La façon dont elle est appliquée dans un cas particulier peut certes relever de choix créatifs, mais au cas présent la fondation 30 millions d'amis n'allègue rien d'autre que l'idée du reflet d'une scène dans l'oeil en gros plan d'un animal ; ce qui n'est pas un choix créatif. 16. Quant au choix des trois animaux individuels représentés dans les photographies, il n'est pas davantage, en lui-même, le fruit d'un choix empreint de la personnalité de son auteur : le choix de chaque animal est expliqué selon son histoire aux fins du message de la campagne, pas selon ce que l'auteur a voulu exprimer de sa personnalité. 17. Les photographies invoquées ne sont donc, à l'évidence, pas des oeuvres de l'esprit au sens de l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle. Les demandes en contrefaçon de droit d'auteur (dommages et intérêts, confiscation, interdiction, destruction, publication), manifestement mal fondées, doivent par conséquent être rejetées. 2) Demandes fondées sur la concurrence déloyale ou le parasitisme 18. La concurrence déloyale, sanctionnée en application de l'article 1240 du code civil, doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement commercialisé sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur son origine, circonstance attentatoire à l'exercice loyal des affaires. L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de l'espèce prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité et la notoriété de la prestation copiée. 19. Le parasitisme, qui s'apprécie dans le même cadre que la concurrence déloyale dont il constitue une déclinaison mais dont la caractérisation est toutefois indépendante du risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et de façon injustifiée des investissements, d'un savoir-faire ou d'un travail intellectuel d'autrui produisant une valeur économique individualisée, et générant un avantage concurrentiel. 20. En l'espèce, la fondation 30 millions d'amis ne démontre pas avoir continué à exploiter les photographies litigieuses après sa campagne de 2016 : le seul fait que son site internet les mentionne aujourd'hui selon une capture d'écran postérieure à l'introduction de l'instance est sans portée, dès lors que la défenderesse avait préalablement produit une autre capture d'écran de la page de ce site relative aux campagnes, sur laquelle la campagne en cause n'apparaissait pas et n'était pas mentionnée. Au demeurant, le seul rappel, sur son propre site internet, d'une campagne passée, n'est pas la preuve que cette campagne est encore exploitée. 21. En toute hypothèse, la fondation 30 Millions d'amis n'allègue pas que l'exploitation qu'elle a faite de l'idée d'un reflet sur un oeil en gros plan ait été particulièrement durable (4 ans seulement, même à supposer démontrée une exploitation continue), massive, ou retentissante. Il est donc loin d'être établi que cette idée soit devenue, dans l'esprit du public, un signe distinctif associé à la fondation 30 Millions d'amis, ce qui ne saurait évidemment se déduire du seul fait qu'elle ait été la première à utiliser cette idée dans le domaine de la protection animale. Il ne peut dès lors résulter un risque de confusion dans l'esprit du public par la réutilisation de ce concept. 22. Et, pour le reste, les images et le texte qui les accompagne ne présentent pas de similitudes prêtant à confusion. 23. Aucun risque de confusion n'est ainsi caractérisé. La demande en concurrence déloyale, manifestement malfondée, est par conséquent rejetée. 24. Sur le parasitisme, les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en oeuvre par un concurrent ne constitue pas un acte de parasitisme (Cass., 1re Civ., 22 juin 2017, no14-20.310, partie de l'arrêt sur laquelle a délibéré la chambre commerciale ; arrêt cité par la défenderesse). 25. Or il n'est reproché ici à la SPA que la reprise du concept du reflet dans l'oeil d'animal en gros plan. La demande en parasitisme, manifestement mal fondée, est par conséquent rejetée. 26. Doivent par suite être rejetées les demandes en confiscation, interdiction, destruction, et publication. 3) Dispositions finales 27. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie. 28. La fondation 30 Millions d'amis, qui perd le procès pour lequel elle n'avait formé que des demandes manifestement vouées à l'échec, est tenue aux dépens, et doit indemniser la défenderesse de l'intégralité des frais qu'elle a dû exposer indûment pour se défendre, qui peuvent être estimés à 10 000 euros. 29. Enfin, rien ne justifie d'écarter l'exécution provisoire. PAR CES MOTIFS Le tribunal, REJETTE la demande de la fondation 30 Millions d'amis en dommages et intérêts pour contrefaçon de droit d'auteur ; REJETTE ses demandes en dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitisme ; REJETTE ses demandes en confiscation, interdiction, destruction et en publication du jugement ; CONDAMNE la fondation 30 Millions d'amis aux dépens (avec recouvrement par l'avocat de la SPA dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile) ainsi qu'à payer 10 000 euros à l'association Société protectrice des animaux, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; Fait et jugé à Paris le 13 Septembre 2022 Le Greffier La Présidente
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JURITEXT000047304642
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, Chambre civile 3, 13 septembre 2022, 19/08173
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2022-09-13
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Tribunal judiciaire de Paris
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19/08173
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CHAMBRE_CIVILE_3
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 19/08173 - No Portalis 352J-W-B7D-CQIJE No MINUTE : Assignation du :02 et 03 juillet 2019 JUGEMENT rendu le 13 Septembre 2022 DEMANDERESSE S.A.S. E-SWIN[Adresse 6][Localité 5] représentée par Maître Virginie BERNARD de LA BRUYERE CDC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0436 DÉFENDEURS Monsieur [W] [X][Adresse 1][Localité 3] représenté par Maître Martial JEAN de la SELARL NABONNE-BEMMER-JEAN, avocat au barreau d'ESSONNE Monsieur [F] [V][Adresse 2][Localité 4] représenté par Maître Clémence HILLEL-MANOACH, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #C1444 et par Maître Eve-Marine BOLLECKER de la SELARL CAA, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant COMPOSITION DU TRIBUNAL Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeArthur COURILLON-HAVY, jugeLinda BOUDOUR, juge assistés de Lorine MILLE, greffière DEBATS A l'audience du 14 Avril 2022 tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 05 juillet 2022 et prorogé au 13 Septembre 2022. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSE DU LITIGE 1. La SAS E-SWIN a pour activité l'industrialisation, la fabrication et la création de tous produits et systèmes destinés aux secteurs esthétique, médical et paramédical. 2. Elle dit avoir développé en 2012 un dispositif d'optique, solution de traitement technologique utilisant le procédé de lampe flash pour traiter le syndrome de la sécheresse oculaire, dont les premiers équipements dénommés « E-EYE » ont été commercialisés à compter du 11 janvier 2013, puis essentiellement en 2015 auprès des professionnels distributeurs spécialisés dans les domaines de l'optique médicale et paramédicale (opticiens et optométristes) et plus accessoirement auprès des médecins ophtalmologues. 3. Monsieur [W] [X] et le docteur [F] [V], ophtalmologue, se présentent comme ayant mis au point le projet d'un dispositif matériel et d'un protocole permettant de traiter spécifiquement le syndrome de l'« ?il sec par dysfonctionnement des glandes de Meibomius » par une méthode douce d'utilisation de la lumière pulsée. 4. Le 4 avril 2012, Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] ont déposé une demande de brevet français no FR 2 988 998 intitulé « dispositif pour traiter le dysfonctionnement dit ‘‘de l'?il sec'' ». 5. Respectivement les 27 et 28 juin 2012, le docteur [F] [V] et Monsieur [W] [X] ont chacun conclu un protocole avec la SAS E-SWIN ayant, selon leur article 2, pour objet de « définir les conditions auxquelles les parties conviennent de coopérer, dans le domaine technique, à l'étude et au développement de l'appareil ou d'un nouvel appareil en vue, pour E-SWIN, de les fabriquer et de les commercialiser aux seuls médecins spécialistes des pathologies de l'?il ». 6. Le brevet français no FR 2 988 998, intitulé « dispositif pour traiter le dysfonctionnement dit ‘‘de l'?il sec'' », a été délivré le 26 décembre 2014. 7. Par courriers recommandés du 1er octobre 2018, la SAS E-SWIN a informé Monsieur [W] [X] et le docteur [F] [V] de ce qu'à la suite de la réorganisation du groupe E-SWIN, elle a procédé à une vérification de l'ensemble des commissions qui leur ont été versées au regard des conventions signées et n'avoir pas tenu compte par erreur que les protocoles ne concernaient que la commercialisation de l'appareil « E-EYE » aux seuls médecins spécialistes des pathologies de l'?il. Elle a précisé ne pas solliciter le remboursement des sommes versées à tort, mais imputer leur montant sur les prochaines échéances de paiement. 8. Par courrier recommandé du 5 novembre 2018, Monsieur [W] [X] a dit contester cette limitation contractuelle de la SAS E-SWIN, s'opposer à l'imputation de la somme de 57.000 euros sur sa rémunération à venir, et a sollicité un relevé certifié par expert-comptable ou commissaire aux comptes du nombre d'appareils vendus, loués et placés par zones géographiques et par canal de distribution depuis 2014. 9. Par courrier recommandé de son conseil du 26 novembre 2018, le docteur [F] [V] a contesté l'interprétation contractuelle de la SAS E-SWIN et l'a invitée à y renoncer et à le commissionner de l'intégralité des appareils ou nouvel appareil vendus, loués et placés en France et en Europe. 10. Par courriers recommandés du 15 février 2019, la SAS E-SWIN a indiqué à Monsieur [W] [X] et au docteur [F] [V] « mettre fin » aux protocoles des 27 et 28 juin 2012. 11. Par acte d'huissier du 25 février 2019, Monsieur [W] [X] a fait sommation à la SAS E-SWIN de lui communiquer les relevés trimestriels, certifiés par son expert-comptable ou son commissaire aux comptes, du nombre d'appareils vendus, loués et placés, depuis 2014, ventilés par zones géographiques et, le cas échéant, par canal de distribution en vertu de l'article 6-2 du protocole du 28 juin 2012. 12. Par courrier recommandé de son conseil du 4 mars 2019, le docteur [F] [V] a contesté la résiliation du protocole du 27 juin 2012 et sollicité à nouveau la communication d'un relevé certifié par son expert-comptable ou son commissaire aux comptes, du nombre d'appareils vendus, loués et placés à compter du 27 juin 2012, ventilé par zones géographiques et, le cas échéant, par canal de distribution en vertu de l'article 5-2 du protocole. 13. C'est dans ces circonstances que par actes d'huissier des 2 et 3 juillet 2019, la SAS E-SWIN a fait assigner Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de PARIS, en répétition de l'indu. 14. Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 novembre 2021, la SAS E-SWIN demande au tribunal, au visa des articles 1302, 1302-1, 1303 du code civil, de l'ancien article 1131 du code civil, des anciens articles 1108, 1109, 1116, 1304 et 1382 du code civil, des articles L. 611-10, L. 611-11 et L. 613-8 du code de la propriétéŽ intellectuelle, des anciens articles L. 442-6, I, 1o et L. 442-6, III du code de commerce, de : « A titre principal, sur la répétition de l'indu : - CONDAMNER Monsieur [W] [X] a` payer a` la société E-SWIN la somme de 272.000 euros en répétition de l'indu des redevances versées entre 2015 et septembre 2018, déduction faite de la somme de 20.000 euros HT contre remise d'une facture correspondante, soit la somme de 252.000 euros ; - CONDAMNER Monsieur [F] [V] a` payer a` la société E-SWIN la somme de 133.250 euros en répétition de l'indu des redevances versées entre 2015 et septembre 2018 ; A titre subsidiaire, sur la nullité et la restitution : - ANNULER les clauses des protocoles signés le 27 juin 2012 entre E-SWIN d'une part et Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] d'autre part relatives aux rémunérations variables (redevances) ; - CONDAMNER Monsieur [W] [X] a` payer a` la société E-SWIN la somme de 272.000 euros en restitution des redevances versées entre 2015 et septembre 2018, déduction faite de la somme de 20.000 euros HT contre remise d'une facture correspondante, soit la somme de 252.000 euros ; - CONDAMNER Monsieur [F] [V] a` payer a` la société E-SWIN la somme de 133.250 euros en restitution des redevances versées entre 2015 et septembre 2018 ; En tout état de cause : - DEBOUTER Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] de toutes leurs demandes, fins et conclusions ; - ORDONNER la mainlevée de l'opposition de Monsieur [F] [V] au paiement du prix de cession du fonds de commerce de la sociétéŽ E-SWIN a` la société ESW BEAUTE ; - CONDAMNER in solidum Monsieur [F] [V] et Monsieur [W] [X] a` 50.000 euros au titre du préjudice moral subi par E-SWIN ; - CONDAMNER Monsieur [W] [X] a` payer a` la société E-SWIN la somme de 25.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; - CONDAMNER Monsieur [F] [V] a` payer a` la société E-SWIN la somme de 25.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; - CONDAMNER in solidum Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL LA BRUYERE CDC, avocat au barreau de Paris, conformément a` l'article 699 du code de procédure civile ». 15. Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 novembre 2021, Monsieur [W] [X] demande au tribunal, au visa des articles 1303 et suivants et 1134 du code civil, de : « - DECLARER la société E-SWIN irrecevable en l'intégralité de ses demandes ; - Subsidiairement, l'en DEBOUTER purement et simplement ; - DECLARER, en revanche, M. [W] [X] recevable et fondeŽ en ses demandes reconventionnelles. Y faisant droit, A titre principal : - CONDAMNER la société E-SWIN a` payer au concluant une somme de 235.000 euros correspondant aux rémunérations éludées arrêtée au 15 mai 2019 ; - CONDAMNER la société E-SWIN a` payer au concluant une somme de 3.000.000 euros au titre de la perte du gain prévisible de percevoir sa rémunération contractuelle sur l'Appareil et le Nouvel Appareil et tout autre Nouvel Appareil jusqu'au terme du protocole. A titre subsidiaire, si le tribunal retenait la nullitéŽ de la convention ou l'existence d'un indu : - CONDAMNER la société E-SWIN a` payer au concluant une somme de 12.000.000 euros au titre de son enrichissement sans cause au préjudice du concluant. En tout état de cause : - DEBOUTER la société E-SWIN de l'intégralitéŽ de ses demandes, singulièrement financières, a` l'égard du concluant ; - CONDAMNER la société E-SWIN a` payer au concluant une somme de 50.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; - La CONDAMNER en tous les dépens ; - ORDONNER l'exécution provisoire ». 16. Par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 9 novembre 2021, Monsieur [F] [V] demande au tribunal, au visa des articles 1109 et 1116 anciens du code civil, de l'article 1117 ancien du code civil, de l'article 1134 ancien du code civil, de l'article 1147 ancien du code civil, des articles 1231-1 et suivants du code civil, de l'article 1137 du code civil, de l'ancien article 1304 du code civil, de l'article 32 du code de procédure civile, de : « - DECLARER l'action fondée sur le dol irrecevable comme étant prescrite ; - DECLARER infondées en droit et/ou fait l'intégralité des demandes de la société E-SWIN. A titre reconventionnel, - CONDAMNER la socieŽteŽ E-SWIN au paiement de 82.750 euros au Docteur [V] au titre des commissions qui auraient du^ e^tre percžues au titre de la peŽriode allant du 27 juin 2012 au 31 août 2015 ; - CONDAMNER la socieŽteŽ E-SWIN au paiement de 69.375 euros au Docteur [V] au titre des commissions qui auraient du^ e^tre percžues au titre de la peŽriode allant du 1er juillet 2018 au 15 mai 2019 ; - CONDAMNER la socieŽteŽ E-SWIN au paiement de 1.225.000 euros a` parfaire au Docteur [V] a` titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la résiliation fautive du protocole conclu le 27 juin 2012 ; - CONDAMNER la socieŽteŽ E-SWIN au paiement de 15.000 euros au Docteur [V] a` titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du caractère abusif de la présente procédure. En tout état de cause, - CONDAMNER la socieŽteŽ E-SWIN au paiement de 8.000 euros au Docteur [V] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ; - ORDONNER l'exécution provisoire du jugement a` venir ». 17. L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 novembre 2021. 18. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, le présent jugement, rendu en premier ressort, sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile. MOTIFS DE LA DÉCISION Sur les demandes principales en répétition de l'indu Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription 19. Monsieur [W] [X] soulève la prescription de l'action en répétition de l'indu en ce que la SAS E-SWIN avait déjà connaissance lors de la signature du protocole le 28 juin 2012 de ce qu'elle ne disposait pas d'une licence de brevet, lequel a par ailleurs été délivré le 26 décembre 2014 soit plusieurs années après la signature du contrat, et qu'elle avait connaissance au plus tard à la date du début de la commercialisation de l'appareil E-EYE, le 11 janvier 2013, de ce qu'elle n'exploitait pas le brevet. 20. La SAS E-SWIN répond que la prescription de 5 ans ne fait pas obstacle à sa demande de remboursement des redevances versées depuis 2015 dès lors que l'action a été intentée le 3 juillet 2019 et que le point de départ du délai de prescription de l'action en répétition de l'indu ne peut être antérieur au paiement. SUR CE, 21. Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. 22. L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. 23. L'action en répétition de l'indu, quelle que soit la source du paiement indu, se prescrit selon le délai de droit commun applicable, à défaut de disposition spéciale, aux quasi-contrats (Cass. 2e civ., 4 juillet 2013, no12-17.427), et ne peut être utilement engagée qu'à compter de la date où le paiement est devenu indu (Cass. 3e civ., 31 mai 2007, no06-13.224). 24. En l'espèce, la demande en répétition de l'indu formée par la SAS E-SWIN porte sur les paiements effectués à Monsieur [W] [X] sur la période de juillet 2015 à septembre 2018. 25. L'assignation ayant été délivrée au défendeur le 2 juillet 2019, soit avant l'expiration du délai de prescription quinquennal dont le point de départ est la date de chacun des paiements prétendument indus dont la répétition est sollicitée, la demande n'est pas prescrite. La SAS E-SWIN est donc recevable en sa demande. Sur la répétition de l'indu 26. La SAS E-SWIN expose avoir versé aux défendeurs pendant plusieurs années et sans aucune contrepartie des redevances de licence de brevet tandis que les protocoles ne prévoient pas de licence de la demande de brevet, que ces derniers ne lui ont pas consenti de licence du brevet français no FR 2 988 998 et qu'elle n'a pas exploité le brevet selon une consultation du cabinet de conseil en propriété industrielle PLASSERAUD du 8 novembre 2019. Elle ajoute que l'invention visée dans ce brevet n'a été protégée qu'en France et ne pouvait donc pas donner lieu au paiement de redevances pour la commercialisation de produits en dehors de la France, que seules les ventes aux médecins spécialistes des pathologies de l'?il donnaient lieu à rémunération et que bien qu'elle ne nie pas leur implication dans le développement de l'appareil E-EYE en 2012, les défendeurs ne démontrent pas leur implication dans sa commercialisation qui aurait pu justifier le versement de la rémunération variable. 27. Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] répondent que la SAS E-SWIN tente de requalifier les contrats, que les protocoles ne constituent pas une licence de brevet mais un contrat de coopération tel qu'énoncé à l'article 2 « OBJET DU CONTRAT », que la SAS E-SWIN ne s'est pas engagée à payer des commissions sans contrepartie, que la rémunération variable est la contrepartie de l'apport de leurs connaissances et de leur savoir-faire pour le développement de l'appareil E-EYE en amont de sa fabrication et de sa commercialisation par la SAS E-SWIN, que l'exploitation de leur savoir-faire a permis à la SAS E-SWIN de pénétrer le marché des traitements de pathologies ophtalmiques, que la consultation du cabinet de conseil en propriété industrielle PLASSERAUD du 8 novembre 2019 ne démontre pas l'absence d'exploitation de leur savoir-faire mais indique seulement que l'appareil E-EYE ne reproduirait pas les revendications 6, 9 et 11 du brevet français no FR 2 988 998. SUR CE, 28. L'article 1302 du code civil dispose que tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution. La restitution n'est pas admise à l'égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées. 29. Aux termes de l'article 1302-1 du code civil, celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit la restitution à celui de qui il l'a indûment reçu. 30. Selon l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. 31. C'est au demandeur en restitution des sommes qu'il prétend avoir indûment payées qu'il incombe de prouver le caractère indu du paiement (Cass. 1re civ., 16 novembre 2004, no01-17.182). 32. En l'espèce, l'article 2 « OBJET DU CONTRAT » de chacun des protocoles des 27 et 28 juin 2012 (pièces E-SWIN no3 et 6) stipule : « Le présent contrat a pour objet de définir les conditions auxquelles les parties conviennent de coopérer, dans le Domaine technique, à l'étude et au développement de l'Appareil ou d'un Nouvel appareil en vue, pour E-SWIN, de les fabriquer et de les commercialiser aux seuls médecins spécialistes des pathologies de l'?il ». 33. Les protocoles précisent à l'article 1 « DEFINITIONS » que : « 1.2 – Domaine technique recouvre l'ensemble des opérations d'ordre technologique (acquisition de connaissances techniques, analyses théoriques, études et expérimentations, y compris la production expérimentale et les tests techniques ou cliniques de produits ou de procédés ou matériels) nécessaires à la conception et au développement de l'Appareil ou d'un Nouvel Appareil, ainsi que la mise au point de ses méthodes de fabrication et/ ou de contrôle ». 34. L'article 3 « PROPRIETE INTELLECTUELLE » desdits protocoles stipule que : « 3.1 – Chaque partie conservera la propriété exclusive et personnelle des Connaissances antérieures lui appartenant en propre. En particulier, la Demande de Brevet co-déposée par le Médecin et [W] [X] et les droits qui pourraient en découler ne sauraient être altérés par le présent protocole ». 35. L'article 6 « PRESTATIONS DU MEDECIN » du protocole du 27 juin 2012 conclu avec le Docteur [F] [V] stipule :« 5-1 Réalisation d'une Etude Le Médecin fournira à la société E-SWIN, sous la forme d'un rapport, une étude (ci-après l'« Etude » relative à l'utilisation thérapeutique de l'Appareil pour le traitement du dysfonctionnement dit de « l'?il sec » dans sa forme d'atteinte cornéenne par déficit de la couche lipidique lacrymale, faisant plus particulièrement apparaître :Les moyens actuellement les plus couramment utilisés pour le traitement de l'?il sec ;Les avantages et inconvénients de ces traitements ;Les apports du traitement de l'?il sec par lampe flash ;Les avantages et les inconvénients de ce type de procédé ;Les contre-indications de ce type de traitement ;Les résultats constatés par l'usage de ce type de traitement ;Les forces et les faiblesses de l'Appareil dans le traitement ;Les préconisations pour que l'Appareil soit en mesure de traiter l'?il sec dans les meilleures conditions d'efficacité et de sécurité des patients.Les études et notes établies par le Médecin seront la propriété exclusive de la société E-SWIN. En conséquence, le Médecin s'interdit d'utiliser, à titre personnel, ou professionnel, quel qu'en soit l'usage ou la destination, les éléments et informations qui ont été portés à sa connaissance par la société E-SWIN pour la réalisation de l'Etude, comme l'étude elle-même, notamment dans la perspective d'une publication professionnelle ou scientifique, sauf accord écrit et préalable de la société E-SWIN.Le Médecin ne pourra en aucun cas sous-traiter tout ou partie de la réalisation de l'Etude.Le Médecin devra avoir remis l'Etude à la société E-SWIN, au plus tard le 30/06/212.La société E-SWIN se réserve la faculté de compléter l'Etude ou réaliser une Etude concurrente par toute personne de son choix, sous réserve, dans cette hypothèse, d'identifier, dans toute publication ultérieure les conclusions relevant de chacune des Etudes concurrentes en faisant apparaître le nom de son auteur. 5-2 Rémunération du Médecin5.2.1 En contrepartie de l'Etude que le Médecin aura réalisé et dont il communiquera un rapport circonstancié à la société E-SWIN, le Médecin percevra une rémunération de 10.000 euros à titre d'honoraire.5.2.2 En outre, et en contrepartie de l'usage par E-SWIN de la demande de brevet déposée comme dit en EXPOSE, le Médecin percevra une rémunération complémentaire égale à 250 € pour chaque Appareil ou Nouvel Appareil vendu, loué ou placé en France et en Europe par E-SWIN ou toute entité à qui E-SWIN pourrait en concéder la commercialisation ou concéder une licence de fabrication et de vente des Appareils.Le versement de cette redevance ne cessera pas si la Demande de Brevet ne pouvait aboutir pour une raison indépendante de la volonté du Médecin et de la Partie intervenante.Dans ce cas la redevance sera alors considérée comme portant sur le savoir-faire transmis.Monsieur [W] [X] intervient aux présentes pour consentir à ces dispositions et fera son affaire de conclure, en ce qui le concerne, un accord séparé avec E-SWIN à ce sujet.Cette rémunération sera calculée par trimestre civil et sera versée au plus tard le 15 du mois suivant le trimestre civil considéré. A cet effet, la société E-SWIN communiquera au Médecin, en même temps que le règlement, un relevé faisant apparaître le nombre d'Appareils vendus, loués et placés au cours du trimestre considéré, ventilé par zones géographiques et, le cas échéant, par canal de distribution.Sur demande expresse du Médecin, E-SWIN devra communiquer un relevé certifié par l'Expert-Comptable ou le commissaire aux Comptes de la société E-SWIN ». 36. L'article 6 « PRESTATIONS DE L'APPORTEUR » du protocole du 28 juin 2012 conclu avec Monsieur [W] [X] stipule : « 6-1 Nature des prestations de l'Apporteur :- L'Apporteur s'est mis en rapport avec E-SWIN en vue d'explorer une possible collaboration dans le domaine du traitement de l'?il sec par lampe flash. Un accord de confidentialité bilatéral signé entre les parties en juin 2011 a formalisé cette phase.- En collaboration avec le Médecin, il a défini les caractéristiques souhaitables de la pulsation lumineuse émise par l'Appareil.- Il s'est assuré du bon déroulement de l'essai clinique avec le Médecin en vue de la rédaction d'une étude montrant l'efficacité de la méthode sur un nombre significatif de patients.- Il collabore à la mise en forme des résultats des essais cliniques initiaux.- Il informe E-SWIN des remarques et suggestions d'améliorations de l'Appareil.- Il définit avec le Médecin le protocole opératoire ainsi que la forme et la nature du couplant optique interface entre l'Appareil et la peau du Patient.- Il peut être amené à participer, à la demande et aux frais de E-SWIN et dans la mesure de ses disponibilités, aux évènements et congrès médicaux destinés à promouvoir les ventes de l'Appareil. 6-2 Rémunération de l'ApporteurEn contrepartie de son intervention et de l'usage par E-SWIN de la Demande de Brevet, l'Apporteur percevra un montant de 500 euros Hors Taxes pour chaque Appareil ou Nouvel Appareil vendu, loué ou placé par E-SWIN ou toute entité à qui E-SWIN pourrait concéder la commercialisation ou concéder une licence de fabrication et de vente des Appareils.Le versement de cette redevance ne cessera pas si la Demande de Brevet ne pouvait aboutir pour une raison indépendante de la volonté de l'Apporteur.Dans ce cas la redevance sera alors considérée comme portant sur le savoir-faire transmis.Cette rémunération sera calculée par trimestre civil et sera versée au plus tard le 15 du mois suivant le trimestre civil considéré. A cet effet, la société E-SWIN communiquera à l'Apporteur, en même temps que le règlement, un relevé faisant apparaître le nombre d'Appareils vendus, loués et placés au cours du trimestre considéré, ventilé par zones géographiques et, le cas échéant, par canal de distribution.Sur demande expresse de l'Apporteur, E-SWIN devra communiquer un relevé certifié par l'Expert-Comptable ou le commissaire aux Comptes de la société E-SWIN ». 37. Dès lors, contrairement à ce qu'affirme la SAS E-SWIN, il ressort des stipulations contractuelles, notamment de l'article 2 « OBJET DU CONTRAT », que les protocoles constituent des contrats de coopération avec Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V], lesquels apportent leurs connaissances et leur savoir-faire dont ceux de la demande de brevet français no FR 2 988 998 intitulé « dispositif pour traiter le dysfonctionnement dit ‘‘de l'?il sec'' » sans toutefois en concéder une licence, en vue du développement d'un appareil, en l'occurrence l'appareil E-EYE, moyennant le versement d'une rémunération variable appelée « redevance » pour chaque appareil vendu, loué et placé par elle. La SAS E-SWIN ne peut donc prétendre avoir indûment payé des redevances d'une licence de brevet qui ne lui a pas été concédée, ce d'autant que l'article 3.1 « PROPRIETE INTELLECTUELLE » des protocoles stipule expressément que « la Demande de Brevet co-déposée par le Médecin et [W] [X] et les droits qui pourraient en découler ne sauraient être altérés par le présent protocole ». 38. Son moyen tiré de ce qu'elle n'a pas exploité le brevet français no FR 2 988 998 délivré le 26 décembre 2014 est également inopérant dès lors qu'aucune licence de brevet ne lui a été concédée et que, comme l'indiquent les défendeurs, la consultation du 8 novembre 2019 qu'elle verse aux débats (sa pièce no11), réalisée à sa demande par le cabinet de conseil en propriété industrielle PLASSERAUD, n'exclut pas l'usage de leur savoir-faire pour le développement de l'appareil E-EYE mais se borne à indiquer que l'appareil E-EYE « ne semble pas reproduire au moins les revendications 1 et 6 à 11 du brevet », étant observé que cette consultation est silencieuse s'agissant d'une éventuelle reproduction des revendications 2, 3, 4 et 5 du brevet. 39. Quant au caractère prétendument indu des redevances versées pour les ventes de l'appareil E-EYE à d'autres acheteurs que « les médecins spécialistes des pathologies de l'?il » visés à l'article 2 « OBJET DU CONTRAT » et les ventes réalisées hors France, force est de constater que la SAS E-SWIN, à laquelle incombe la charge de la preuve, n'identifie pas les redevances litigieuses, aucun décompte des ventes ventilé par catégories d'acheteurs n'étant produit, et n'établit pas davantage avoir versé des redevances pour des ventes autres qu'aux médecins spécialistes des pathologies de l'?il. 40. Par ailleurs, les stipulations contractuelles ne cantonnent pas les redevances aux ventes d'appareils réalisées uniquement sur le territoire français. Au contraire, l'article 5-2 « Rémunération du médecin » du protocole du 27 juin 2012 conclu avec Monsieur [F] [V] stipule que « le Médecin percevra une rémunération complémentaire égale à 250 € pour chaque Appareil ou Nouvel Appareil vendu, loué ou placé en France et en Europe par E-SWIN » ; et l'article 6-2 « Rémunération de l'apporteur » du protocole du 28 juin 2012 conclu avec Monsieur [W] [X] stipule que « l'Apporteur percevra un montant de 500 € Hors Taxes pour chaque Appareil ou Nouvel Appareil vendu, loué ou placé par E-SWIN », et vise donc les ventes sans distinction territoriale, ce qui est corroboré par l'alinéa suivant du même article qui stipule qu'« à cet effet, la société E-SWIN communiquera à l'Apporteur, en même temps que le règlement, un relevé faisant apparaître le nombre d'Appareils vendus, loués et placés au cours du trimestre considéré, ventilé par zones géographiques ». 41. Au vu de l'ensemble de ces éléments, la SAS E-SWIN sera en conséquence déboutée de ses demandes principales en répétition de l'indu. Sur les demandes subsidiaires en nullité pour dol Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription 42. Monsieur [W] [X] soulève la prescription de la demande subsidiaire en nullité pour dol de la clause du protocole du 28 juin 2012 relative à sa rémunération en ce que la SAS E-SWIN avait déjà connaissance lors de la signature du protocole qu'il ne lui conférait pas une licence de brevet, lequel a été délivré postérieurement le 26 décembre 2014, qu'elle a eu connaissance des travaux du docteur [C] dès l'étude du 25 avril 2012 transmise par Monsieur [F] [V] et avait d'ailleurs mis en avant les différences entre l'appareil QUADRA Q4 de DERMAMED SOLUTIONS utilisé par le docteur [C] et son appareil E-EYE lors de sa présentation aux distributeurs. 43. Monsieur [F] [V], qui soulève également la prescription de cette demande, ajoute que le contrat a reçu exécution. 44. La SAS E-SWIN répond sa demande en nullité pour dol n'est pas prescrite dès lors que « le point de départ de la prescription n'a commencé à courir qu'à compter du 26 décembre 2014, date à partir de laquelle Monsieur [X] et Monsieur [V] auraient pu consentir à E-SWIN une licence de brevet ou une licence de savoir-faire, ce qui ne s'est pas produit ». SUR CE, 45. Aux termes de l'article 1144 du code civil, le délai de l'action en nullité ne court, en cas d'erreur ou de dol, que du jour où ils ont été découverts et, en cas de violence, que du jour où elle a cessé. 46. L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. 47. La prescription quinquennale de l'action en nullité pour dol a pour point de départ le jour où le contractant a découvert l'erreur qu'il allègue (Cass. 1re civ., 11 septembre 2013, no12-20.816). 48. En l'espèce, la SAS E-SWIN allègue un vice du consentement pour dol en ce que les défendeurs ne lui ont pas concédé de licence de brevet, ce dont elle avait déjà connaissance au jour de la signature des protocoles les 27 et 28 juin 2012 dont elle sollicite la nullité de la clause de rémunération, et ne l'a pas découvert à la date de délivrance du brevet FR 2988998 le 26 décembre 2014. 49. De même qu'il ressort des pièces versées aux débats que la SAS E-SWIN avait à tout le moins connaissance des travaux du docteur [P] [C], prétendument destructeurs de nouveauté de l'utilisation de la technologie IPL pour le traitement de la maladie de l'?il sec, dès l'étude du 25 avril 2012 que lui a remis le docteur [F] [V] (sa pièce no6.1), soit antérieurement à la signature des protocoles. 50. Ses demandes subsidiaires en nullité pour dol ayant été formées pour la première fois dans ses conclusions no2 notifiées par voie électronique le 14 septembre 2021, celles-ci prescrites, y compris dans l'hypothèse d'un point de départ du délai de prescription quinquennal à la date de délivrance du brevet le 26 décembre 2014 tel qu'allégué par la SAS E-SWIN. 51. En conséquence, la SAS E-SWIN sera déclarée irrecevable en ses demandes subsidiaires en nullité pour dol des clauses de rémunération stipulées aux protocoles conclus les 27 et 28 juin 2012 avec Monsieur [F] [V] et Monsieur [W] [X]. Sur la demande de mainlevée de l'opposition 52. Dans le dispositif de ses conclusions, la SAS E-SWIN demande au tribunal d'« ordonner la mainlevée de l'opposition de Monsieur [F] [V] au paiement du prix de cession du fonds de commerce de la société E-SWIN à la société ESW BEAUTE ». 53. Monsieur [F] [V] ne répond pas sur ce point. SUR CE, 54. Conformément à l'article 768 du code de procédure civile, les écritures des parties doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. 55. En l'espèce, dans la partie discussion de ses conclusions, la SAS E-SWIN n'invoque aucun fondement textuel et n'expose aucun moyen en droit au soutien de sa demande de mainlevée de l'opposition formée par Monsieur [F] [V] au paiement du prix de cession du fonds de commerce de la SAS E-SWIN à la SAS ESW BEAUTY, laquelle sera en conséquence rejetée. Sur la demande indemnitaire pour préjudice moral 56. La SAS E-SWIN soutient avoir subi un « préjudice moral du fait de l'atteinte à la réputation qu'elle subit et des soucis et inquiétudes pour la pérennité de l'exploitation de l'équipement E-EYE, causés par les menaces et mensonges des défendeurs ». 57. Les défendeurs contestent l'existence d'un quelconque préjudice moral subi par la SAS E-SWIN. SUR CE, 58. L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. 59. Aux termes de l'article 1241 du code civil, chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. 60. En l'espèce, tandis que la charge de la preuve lui incombe, la SAS E-SWIN, qui procède par voie d'affirmation dans ses écritures, n'établit ni la faute des défendeurs ni le préjudice moral qu'elle allègue, et sera en conséquence déboutée de sa demande indemnitaire. Sur les demandes reconventionnelles 61. Monsieur [W] [X] soutient que des rémunérations lui restent dues en exécution du protocole depuis le troisième trimestre de l'année 2018, que sa rémunération est fixée par le protocole sans considération de la personne à laquelle l'appareil est vendu, de sorte qu'il a droit à une rémunération pour tout appareil vendu dans le monde entier à tous les professionnels, qu'en dépit d'une sommation de communiquer signifiée par huissier la SAS E-SWIN n'a pas produit les décomptes trimestriels conformément au protocole, que la résiliation unilatérale du protocole par la SAS E-SWIN est fautive car de pure convenance et ne formule aucun reproche à son égard, et que cette dernière doit donc indemniser son préjudice relevant d'une perte de chance de percevoir cette rémunération qu'il évalue à la somme de 3.000.000 euros sur une base de 300 appareils par an sur les 14 prochaines années. 62. Monsieur [F] [V] fait valoir que des commissions lui sont encore dues en application du protocole sur la période du 1er juillet 2018 au 15 mai 2019 et sur la période du 27 juin 2012 au 31 août 2015, que la résiliation unilatérale du protocole par la SAS E-SWIN est fautive, qu'il subit un préjudice à hauteur de la somme de 1.225.000 euros à parfaire sur une base de 350 appareils par an au titre des 14 années restant à courir. Il invoque également le caractère abusif de la procédure engagée par la SAS E-SWIN. 63. La SAS E-SWIN répond que les rémunérations de Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V], manifestement disproportionnées par rapport à la valeur des services rendus, justifient la résiliation anticipée des protocoles « même si cela n'est pas mentionné dans les lettres de résiliation », et conteste tant leur chiffrage des redevances restant dues que leur évaluation du préjudice de perte de chance. SUR CE, Sur la résiliation unilatérale fautive des protocoles 64. Aux termes de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi. 65. L'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. 66. Selon l'article 1212 alinéa 1er du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016, lorsque le contrat est conclu pour une durée déterminée, chaque partie doit l'exécuter jusqu'à son terme (déjà en ce sens, Cass. com. 12 novembre 1996, no94-14.329). 67. En l'espèce, l'article 9 « DUREE » de chacun des protocoles des 27 et 28 juin 2012 stipule :« 9.1 – Le présent contrat entrera en vigueur dès sa signature par la dernière des parties à le signer.9.2 – Sauf résiliation anticipée, il durera jusqu'au vingtième anniversaire de la mise sur le marché de l'Appareil, puis se renouvellera ensuite par tacite reconduction, par périodes successives d'un an, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties, par lettre recommandée avec avis de réception, trois mois au moins avant le terme de la période de reconduction en cours.9-3 – Si l'une des parties vient à défaillir dans l'exécution de l'une quelconque de ses obligations au titre du présent contrat, et si cette défaillance n'est imputable ni à un cas de force majeure indépendant de sa volonté, ni à une faute de l'autre partie, elle sera tenue de dédommager cette autre partie du préjudice résultant pour elle de cette défaillance, et le présent contrat pourra être résilié de plein droit par la partie lésée, trois mois après mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception restée sans effet, chacune des parties retrouvant alors son entière liberté ». 68. Chacune des lettres de résiliation en date du 15 février 2019 adressées par la SAS E-SWIN à Monsieur [F] [V] et Monsieur [W] [X] est rédigée comme suit : « Monsieur,Conformément aux dispositions de l'article 9 du contrat qui nous lie, en date du 27 juin 2012 [28 juin 2012 s'agissant de M. [X]], nous vous notifions par la présente notre décision de mettre fin à la convention qui nous lie.Cette convention prendra définitivement fin à l'issue du délai de prévenance de trois mois qui commencera à courir à la date de la première présentation de la présente.Jusqu'à la date d'expiration de la convention, nous vous adresserons le décompte de la rémunération convenue dans le respect des conditions contractuelles et tout particulièrement l'article 2 de la convention. Le règlement vous sera fait dès réception de votre accord.Nous vous prions de croire, Monsieur à l'assurance de ma considération distinguée ». 69. Dès lors, aucune des lettres de résiliation du 15 février 2019 ne vise une quelconque inexécution contractuelle des défendeurs et aucune d'elles n'est précédée d'une mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception demeurée infructueuse pendant trois mois conformément à l'article 9-3 des protocoles. Les lettres n'indiquent d'ailleurs aucun motif de résiliation. Cette résiliation unilatérale en violation des stipulations contractuelles est constitutive d'une faute de la SAS E-SWIN engageant sa responsabilité contractuelle sur le fondement de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable au présent litige. 70. Cette faute cause un préjudice à Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] résultant d'une perte de chance de percevoir, postérieurement au 15 mai 2019 eu égard au délai de préavis de trois mois, les redevances futures contractuellement convenues jusqu'au 20ème anniversaire de la mise sur le marché de l'appareil, soit jusqu'au 11 janvier 2033, étant précisé que le préjudice subi ne peut être mesuré qu'à la chance perdue sans pouvoir être égal à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. 71. Il ressort des chiffres de ventes par zones géographiques dont dispose le tribunal jusqu'au 30 juin 2021 (pièces E-SWIN no13 et 13-1), la clôture ayant été prononcée le 25 novembre 2021, que 88 appareils ont été vendus en Europe (dont France) et 372 ont été vendus dans le monde (hors Europe) sur la période du 16 mai 2019 au 30 juin 2021, correspondant alors à des redevances à hauteur de la somme de 22.000 euros pour Monsieur [F] [V] et la somme de 230.000 euros pour Monsieur [W] [X]. 72. Pour la période postérieure, à compter du 1er juillet 2021, il convient d'effectuer une moyenne des années pré-covid 2018-2019, de lui appliquer une décote de 30% annuelle pour tenir compte de la progressive obsolescence de l'appareil eu égard aux évolutions technologiques, cette baisse des ventes s'observant déjà dans les années passées. Cela permet d'estimer la perte de chance d'obtenir des redevances sur les ventes de l'appareil jusqu'à la fin prévisible de sa commercialisation, que cette évolution permet de retenir à l'année 2026 inclus pour l'Europe et l'année 2027 inclus pour le monde (hors Europe). 73. Cette perte de chance correspond alors aux redevances sur la vente de 185 appareils en Europe et la vente de 306 appareils dans le monde (hors Europe), soit la somme de 46.250 euros pour Monsieur [F] [V], et la somme de 245.500 euros pour Monsieur [W] [X]. De sorte que, en additionnant avec les redevances pour la période antérieure au 1er juillet 2021, le préjudice total de Monsieur [F] [V] s'élève à la somme de 68.250 euros et celui de Monsieur [W] [X] à la somme de 475.500 euros. La SAS E-SWIN sera en conséquence condamnée au paiement de ces sommes à titre de dommages et intérêts. Sur le paiement des redevances restant dues 74. Selon l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. 75. Tandis que sa lettre de résiliation unilatérale est en date du 15 février 2019 avec un délai de préavis de trois mois, la SAS E-SWIN n'établit pas avoir versé des redevances à Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] postérieurement au 29 août 2018, ce qu'elle ne conteste pas au demeurant et ressort tant de son décompte des redevances versées que des notes de frais et quittances établies par les défendeurs (ses pièces no5, 8 et 9). 76. Par ailleurs, le tribunal constate qu'en dépit des courriers recommandés et sommation par acte d'huissier qui lui ont été adressés par les défendeurs antérieurement à la présente instance, la SAS E-SWIN n'a jamais communiqué, y compris en cours de procédure, les relevés trimestriels du nombre d'appareils vendus, loués et placés, ventilés par zones géographiques, et le cas échéant, par canal de distribution conformément aux articles 5.2 et 6.2 des protocoles. 77. Dès lors, la SAS E-SWIN a elle-même manqué à ses deux obligations contractuelles. 78. En outre, il ressort des attestations de Monsieur [I] [E], expert-comptable de la SAS E-SWIN (ses pièces no13 et 13-1) que le nombre d'appareils E-EYE vendus par zones géographiques entre le 1er janvier 2018 et le 15 mai 2019 est le suivant :- année 2018 : 100 ventes en Europe (dont 2 en France) et 219 ventes dans le monde (hors Europe), étant précisé que seront déduites les 72 ventes d'appareils ayant déjà fait l'objet d'un paiement de redevances au 29 août 2018 selon les notes d'honoraires et quittances établies par les défendeurs (pièces E-SWIN no8 et 9) ;- du 1er janvier au 15 mai 2019 : 32 ventes en Europe (dont 0 en France) et 86 ventes dans le monde (hors Europe). 79. Au regard des stipulations contractuelles de l'article 5.2 « Rémunération du médecin » du protocole du 27 juin 2012 conclu avec Monsieur [F] [V] et de l'article 6.2 « Rémunération de l'apporteur » du protocole du 28 juin 2012 conclu avec Monsieur [W] [X], les redevances leur restants dues sur la période du 30 août 2018 au 15 mai 2019 s'élèvent à :- la somme totale de 15.000 euros pour Monsieur [F] [V] pour les ventes de l'appareil E-EYE en Europe (dont France) ;- la somme totale de 182.500 euros hors taxes pour Monsieur [W] [X] pour les ventes de l'appareil E-EYE dans le monde (dont Europe) dès lors que les stipulations du protocole ne cantonnent pas sa rémunération à une zone géographique à la différence de Monsieur [F] [V]. 80. En revanche Monsieur [F] [V], qui procède par voie d'affirmation dans ses écritures tandis que la charge de la preuve lui incombe conformément à l'article 1353 alinéa 1 du code civil, n'est pas fondé à solliciter également le paiement de la différence entre le nombre d'appareils effectivement vendus de 2013 à 2015 et les quantités minimales mentionnées à l'article 5 « clause de quota » du protocole du 27 juin 2012 dès lors que l'obligation de paiement qu'il allègue ne résulte d'aucune stipulation contractuelle du protocole, pas même de l'article 6-2 « Rémunération du médecin ». Cet article 5 « clause de quota » ne prévoit qu'une faculté de résiliation du protocole si les quantités minimales de ventes, locations ou placements de l'appareil n'étaient pas atteintes par la SAS E-SWIN. Sa demande reconventionnelle en paiement sera donc rejetée. Sur la procédure abusive 81. L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. 82. Aux termes de l'article 1241 du code civil, chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. 83. Le droit d'agir en justice dégénère en abus constitutif d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil lorsqu'il est exercé en connaissance de l'absence totale de mérite de l'action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant le défendeur à se défendre contre une action que rien ne justifie sinon la volonté d'obtenir ce que l'on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté. 84. La résiliation unilatérale fautive du protocole du 27 juin 2012 sans aucun motif, suivie d'une action en justice manifestement vouée à l'échec, caractérise un abus constitutif d'une faute causant un préjudice moral à Monsieur [F] [V], distinct du préjudice matériel résultant de la nécessité d'exposer des frais pour se défendre, qu'il convient de réparer à hauteur de la somme de 2.000 euros. Sur les demandes accessoires Sur les dépens 85. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie. 86. La SAS E-SWIN, qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens. Sur l'article 700 du code de procédure civile 87. L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation. 88. En l'espèce, l'équité commande de condamner la SAS E-SWIN à payer à Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] la somme de 5.000 euros chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile. Sur l'exécution provisoire 89. Aux termes de l'article 515 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable au présent litige, hors les cas où elle est de droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d'office, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi. Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation. 90. En l'espèce, l'exécution provisoire, nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, sera ordonnée. PAR CES MOTIFS Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, DECLARE la SAS E-SWIN recevable en sa demande principale en répétition de l'indu formée à l'encontre de Monsieur [W] [X] ; DEBOUTE la SAS E-SWIN de ses demandes principales en répétition de l'indu formées à l'encontre de Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] ; DECLARE la SAS E-SWIN irrecevable en ses demandes subsidiaires en nullité pour dol des clauses de rémunération stipulées aux protocoles des 27 et 28 juin 2012 ; DEBOUTE la SAS E-SWIN de sa demande de « mainlevée de l'opposition de Monsieur [F] [V] au paiement du prix de cession du fonds de commerce de la société E-SWIN à la société ESW BEAUTE » ; DEBOUTE la SAS E-SWIN de sa demande indemnitaire pour préjudice moral ; CONDAMNE la SAS E-SWIN à payer à Monsieur [F] [V] la somme de 15.000 euros au titre des redevances restant dues au 15 mai 2019 ; CONDAMNE la SAS E-SWIN à payer à Monsieur [W] [X] la somme de 182.500 euros hors taxes au titre des redevances restant dues au 15 mai 2019 ; CONDAMNE la SAS E-SWIN à payer à Monsieur [F] [V] la somme de 68.250 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de la résiliation unilatérale fautive du protocole du 27 juin 2012 ; CONDAMNE la SAS E-SWIN à payer à Monsieur [W] [X] la somme de 475.500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de la résiliation unilatérale fautive du protocole du 28 juin 2012 ; CONDAMNE la SAS E-SWIN à payer à Monsieur [F] [V] la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ; DEBOUTE Monsieur [F] [V] de sa demande reconventionnelle en paiement de redevances sur la période du 27 juin 2012 au 31 août 2015 ; CONDAMNE la SAS E-SWIN à payer à Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] la somme de 5.000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; CONDAMNE la SAS E-SWIN aux dépens ; ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision. Fait et jugé à Paris le 13 Septembre 2022 La Greffière La Présidente
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JURITEXT000047304643
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, Chambre civile 3, 11 octobre 2022, 20/05840
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2022-10-11
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/05840
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CHAMBRE_CIVILE_3
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 20/05840 - No Portalis 352J-W-B7E-CSJVT No MINUTE : Assignation du :01 Juillet 2020 JUGEMENT rendu le 11 Octobre 2022 DEMANDERESSE S.A.S. LABORATOIRES NOREVA-LED[Adresse 2][Localité 3] représentée par Maître Christelle VERRECCHIA, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #C1200 et par Maître Fabienne MARECHAL de la SELARL YDES, substituée par Maître Albane LAFANECHERE, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant. DÉFENDERESSE S.A.R.L. DERMACONCEPT JMC[Adresse 1][Localité 4] représentée par Maître Damien REGNIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0451 COMPOSITION DU TRIBUNAL Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeArthur COURILLON-HAVY, jugeLinda BOUDOUR, juge assistés de Lorine MILLE, greffière DEBATS A l'audience du 11 mai 2022 tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 02 août 2022 et prorogé au 11 octobre 2022. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSE DU LITIGE La SAS LABORATOIRES NOREVA-LED a pour activité la recherche dans l'industrie et les domaines pharmaceutiques, biotechnologiques, parapharmaceutiques, cosmétologiques et diététique, ainsi que la promotion et distribution en France et à l'étranger de produits dermo-cosmétiques et notamment de cosmétiques solaires. Elle commercialise des produits dermo-cosmétiques sous la marque « NOREVA ». La SARL DERMACONCEPT JMC a pour activité l'étude et la recherche dans l'industrie et les domaines pharmaceutiques, biotechnologiques, parapharmaceutiques, cosmétologiques et diététiques, sous toutes ses formes, ainsi que la conception de tous produits correspondant à ces études. Le 5 mai 1997, la SAS LABORATOIRES D'EVOLUTION DERMATOLOGIQUE, devenue SAS LABORATOIRES NOREVA-LED, et la SARL DERMACONCEPT JMC ont conclu un contrat de mission de consultant, confiant notamment à cette dernière la réévaluation et nouvelle conceptualisation des produits existants de la gamme L.E.D, et la mise au point de concepts ou de produits nouveaux dans de nouvelles indications visant à élargir la gamme des produits L.E.D. Le 3 septembre 2007, la société LABORATOIRES NOREVA-LED et la société DERMACONCEPT JMC ont conclu un contrat de prestation de services confiant à cette dernière la réalisation de diverses prestations en vue du développement de produits, concepts et formes galéniques dans le domaine de la dermatologie et de la dermo-cosmétique. Par courrier du 9 février 2018, la société LABORATOIRES NOREVA-LED a indiqué ne pas reconduire le contrat de mission de consultant du 15 mai 1997 et que celui-ci cessera de produire effet à compter du 14 mai 2018. Par courrier du 6 juin 2018, la société DERMACONCEPT JMC a résilié le contrat de prestation de services avec effet au 6 décembre 2018, estimant que le contrat de mission de consultant et le contrat de prestation de services devaient s'exécuter conjointement et que la fin du premier contrat entraînait un déséquilibre financier à son détriment. Par courrier du 9 juillet 2018, la société LABORATOIRES NOREVA-LED a pris acte de la résiliation mais indiqué ne pas partager l'analyse de la société DERMACONCEPT JMC quant à l'exécution conjointe des deux contrats dès lors qu'ils sont distincts et prévoient chacun des prestations et une rémunération propre. Estimant que la mise sur le marché du produit STRIVADIANE porte atteinte à la demande de brevet français no FR 19 01393, intitulé « composition cosmétique et/ou dermatologique pour lutter contre les vergetures », qu'elle a déposée le 12 février 2019, la société DERMACONCEPT JMC a, par courrier de son conseil du 21 juin 2019, mis en demeure la société LABORATOIRES NOREVA-LED de lui payer les redevances dues, de lui communiquer des documents comptables et de retirer de la vente une liste de produits. Par lettre officielle de son conseil du 20 août 2019, la société LABORATOIRES NOREVA-LED a contesté le bien-fondé de la mise en demeure et a elle-même mis en demeure la société DERMACONCEPT JMC de lui transférer la propriété de la demande de brevet no FR 19 01393, estimant que le produit STRIVADIANE a été développé dans le cadre du contrat de prestation de services du 3 septembre 2007 et que l'invention lui appartient en application de l'article 8-3 du contrat. Par courrier de son conseil du 30 septembre 2019, la société DERMACONCEPT JMC a refusé de lui transférer la propriété de la demande de brevet noFR 19 01393. Le 23 janvier 2020, la société DERMACONCEPT JMC a déposé une demande internationale de brevet no PCT/FR2020/050092 sous priorité de la demande de brevet français no FR 19 01393. C'est dans ces circonstances que par acte d'huissier du 1er juillet 2020, la société LABORATOIRES NOVERA-LED a fait assigner la société DERMACONCEPT JMC devant le tribunal judiciaire de PARIS en revendication de la propriété des demandes de brevet et indemnisation de son préjudice. Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 septembre 2021, la SAS LABORATOIRES NOREVA-LED demande au tribunal, au visa des articles L. 611-6, L. 611-8, R. 611-16 et R. 611-18 du code de la propriété intellectuelle, de : « - DIRE ET JUGER que les dépôts de la demande de brevet français no19 01393 et de la demande de brevet PCT noWO 2020/165514 A1 ont été effectués par la société DERMACONCEPT JMC en violation d'une obligation conventionnelle ; - DIRE ET JUGER que la société LABORATOIRES NOREVA-LED est légitime propriétaire de la demande de brevet français no19 01393 et de la demande de brevet PCT noWO 2020/165514 A1 ; - ORDONNER le transfert au profit de la société LABORATOIRES NOREVA-LED, avec effet rétroactif au jour du dépôt, de la propriété de la demande de brevet français no19 01393 et de la demande de brevet PCT noWO 2020/165514 A1 ; - DIRE que la société LABORATOIRES NOREVA-LED se trouvera subrogée dans les droits de la société DERMACONCEPT JMC relativement à la demande de brevet français no19 01393 et de la demande de brevet PCT noWO 2020/165514 A1 à compter de la date respective de ces demandes ; - DIRE que le présent jugement, une fois définitif, sera porté à la connaissance du l'Institut National de la Propriété Industrielle et de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle aux fins d'inscription au Registre des brevets de chacun de ces offices à la requête de la partie la plus diligente - CONDAMNER la société DERMACONCEPT JMC à payer à la société LABORATOIRES NOREVA-LED la somme de 30.000 euros (trente mille euros) en réparation du préjudice subi du fait du dépôt des demandes de brevets ; - CONDAMNER la société DERMACONCEPT JMC à payer à la société LABORATOIRES NOREVA-LED la somme de 20.425,20euros TTC (vingt mille quatre cent vingt-cinq euros et vingt cents) au titre des prestations payées par la société LABORATOIRES NOREVA-LED et à la charge de la société DERMACONCEPT JMC ; - ORDONNER la publication du jugement à intervenir par extrait dans cinq journaux ou revues au choix de la société LABORATOIRES NOREVA-LED et aux frais de la société DERMACONCEPT JMC, à hauteur de 2.000 euros HT par publication ; - CONDAMNER la société DERMACONCEPT JMC à payer à la société LABORATOIRES NOREVA-LED la somme de 18.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; - DÉBOUTER la société DERMACONCEPT JMC de toutes demandes ou prétentions ; - CONDAMNER la société DERMACONCEPT JMC aux entiers dépens de l'instance, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ». Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 novembre 2021, la SARL DERMACONCEPT JMC demande au tribunal de : « - Débouter la société Laboratoires Noreva-Led de toutes ses demandes, fins et conclusions ; - Subsidiairement, subordonner le transfert de propriété de la demande de brevet français no19 01393 et de toutes ses extensions réalisées sous priorité de la demande initiale, y compris la demande PCT no WO 2020/165514 A1, au remboursement par la société Laboratoires Noreva-Led de l'ensemble des frais afférents à leur dépôt, soit 18.583 euros HT ; - Condamner la société Laboratoires Noreva-Led à payer à la société Dermaconcept JMC la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; - Condamner la société Laboratoires Noreva-Led aux entiers dépens de l'instance, et dire que ceux-ci pourront être directement recouvrés par Maître Damien Régnier, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ». L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 décembre 2021. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, le présent jugement, rendu en premier ressort, sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile. MOTIFS DE LA DÉCISION Sur la revendication des demandes de brevet La société LABORATOIRES NOREVA-LED soutient que la demande de brevet français no FR 1901393 et la demande internationale de brevet no PCT/FR2020/050092, dont elle revendique la propriété, ont été déposées frauduleusement par la société DERMACONCEPT JMC dès lors qu'elles portent sur la composition cosmétique développée dans le cadre du contrat de prestation de services du 3 septembre 2007 dont les articles 1-5, 8-2 et 8-3 lui confèrent seule la propriété des résultats et la faculté de déposer un brevet en son nom et à ses frais. Elle précise commercialiser la composition objet des demandes de brevet sous l'appellation STRIVADIANE et que le lancement de ce produit anti-vergetures a eu lieu en avril 2019. Elle ajoute que le caractère brevetable ou non de la composition cosmétique n'a aucune incidence sur la propriété des résultats qui lui est conférée par le contrat de prestation de services, et qu'en tout état de cause la nouveauté et l'activité inventive nécessaires à sa brevetabilité existaient dès l'achèvement de la préparation cosmétique en avril 2018, soit antérieurement à la date d'effet de la résiliation du contrat de prestation de services le 6 décembre 2018. La société DERMACONCEPT JMC, qui indique ne pas contester le déroulement des faits tel qu'exposé par la société LABORATOIRES NOREVA-LED et confirmer que la composition objet des demandes de brevet est celle du produit STRIVADIANE, répond que l'article 8-3 du contrat de prestation de services implique la réalisation d'une « invention brevetable » antérieurement au 6 décembre 2018, date d'effet de la résiliation du contrat, de sorte que la société LABORATOIRES NOREVA-LED n'est pas fondée à revendiquer la propriété des demandes de brevet puisque la brevetabilité de la composition a été révélée postérieurement à cette date par un rapport d'étude de la société BIOEXIGENCE réalisé à son initiative et à ses frais en décembre 2018. SUR CE, Aux termes de l'article L. 611-6 du code de la propriété intellectuelle, le droit au titre de propriété industrielle mentionné à l'article L. 611-1 appartient à l'inventeur ou à son ayant cause. Si plusieurs personnes ont réalisé l'invention indépendamment l'une de l'autre, le droit au titre de propriété industrielle appartient à celle qui justifie de la date de dépôt la plus ancienne. Dans la procédure devant le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle, le demandeur est réputé avoir droit au titre de propriété industrielle. L'article L. 611-8 du même code dispose que si un titre de propriété industrielle a été demandé soit pour une invention soustraite à l'inventeur ou à ses ayants cause, soit en violation d'une obligation légale ou conventionnelle, la personne lésée peut revendiquer la propriété de la demande ou du titre délivré. L'action en revendication se prescrit par cinq ans à compter de la publication de la délivrance du titre de propriété industrielle. Toutefois, en cas de mauvaise foi au moment de la délivrance ou de l'acquisition du titre, le délai de prescription est de cinq ans à compter de l'expiration du titre. En l'espèce, l'article 1 « OBJET » du contrat de prestation de services conclu le 3 septembre 2007 entre la SAS LABORATOIRE D'EVOLUTION DERMATOLOGIQUE – LED, devenue la SAS LABORATOIRES NOREVA-LED, dénommée « le donneur d'ordre (DO) », et la SARL DERMACONCEPT JMC, dénommée « le prestataire (P) », stipule que : « 1-1 Le DO confie à P qui accepte, en qualité de prestataire indépendant, la réalisation des prestations ci-après, en vue du développement de produits, concepts et formes galéniques dans le domaine de la Dermatologique et de la Dermo-cosmétique.1-2 Dans ce cadre, P effectuera les prestations suivantes :1.1.1 Développement, mise au point et validation de concepts et choix de principes actifs,1.1.2 Développement, mise au point et validation des formes galéniques,1.1.3 Mise en oeuvre et suivi du développement du Produit :1.1.3.1 stabilité,1.1.3.2 compatibilité contenu-contenant,1.1.3.3 validation du système conservateur par challenge test,1.1.3.4 faisabilité industrielle,1.1.3.5 tests d'innocuité oculaire et cutanée, dont les coûts seront supportés par le DO1.1.4 Validation du procédé de fabrication sur TROIS (3) lots, dont le coût sera supporté par le DO,1.1.5 Fourniture de tous éléments nécessaires à l'établissement du dossier technique cosmétique européen du Produit permettant la déclaration du dossier aux Centres Anti-Poisons comprenant entre autre :- une description du produit,- la composition qualitative, quantitative et la spécification du produit,- l'identification et les fiches de sécurité des matières premières,- une analyse de stabilité et de compatibilité,- la spécification microbiologique et analytique du produit,- une attestation d'innocuité oculaire et cutanée,- une analyse de ses propriétés et son (ses) application(s). P pourra réaliser des use tests en interne à sa charge afin d'évaluer un produit en cours de développement. Les tests complémentaires d'efficacité seront à la charge de DO ». La demande de brevet français no FR 1901393 et la demande internationale de brevet no PCT/FR2020/050092, revendiquées par la société LABORATOIRES NOREVA-LED, sont intitulées « composition cosmétique et/ou dermatologique pour lutter contre les vergetures » et précisent que « la présente invention concerne une composition cosmétique et/ou dermatologique, pour l'application topique, comprenant :- de l'acide hyaluronique, ou un de ses sels, ayant un poids moléculaire d'au plus 1000 kDa,- de l'acide ascorbique ou un de ses dérivés, et - un extrait de Peucedanum graveolens ». Il ressort des pièces versées aux débats, notamment du cahier des charges de développement du produit contre les vergetures du 24 février 2015 signé par la société LABORATOIRES NOREVA-LED, la société DERMACONCEPT JMC et la société EFFERVESCENCE LAB (pièce NOREVA no14) et du compte-rendu de la réunion du 27 avril 2018 entre ces trois sociétés, à laquelle ont participé le Docteur [O] [D] et le Docteur [V] [P] (pièce NOREVA no15), mentionnés co-inventeurs sur les demandes de brevet litigieuses déposées par la société DERMACONCEPT JMC dont ils sont les fondateurs et associés, que la « composition cosmétique et/ou dermatologique pour lutter contre les vergetures », objet des demandes de brevet litigieuses, correspond au produit STRIVADIANE développé et mis au point dans le cadre du contrat de prestation de services du 3 septembre 2007. La défenderesse le confirme elle-même dans ses dernières conclusions lorsqu'elle écrit en page 8 :« En effet, la demande de brevet FR, ayant pour titre ‘‘composition cosmétique et/ou dermatologique pour lutter contre les vergetures'', revendique une composition associant :a) de l'acide hyaluronique de poids moléculaire inférieur à 1.000 kDa,b) de l'acide ascorbique (vitamine C) ou un de ses dérivés,c) un extrait de Peucedanum graveolens (extrait d'aneth),plus particulièrement pour le traitement des vergetures.Cette composition est précisément celle du produit lancé par Noreva sous la marque STRIVADIANE ». Il est également observé que la société DERMACONCEPT JMC alléguait déjà antérieurement à la présente action en revendication que le produit STRIVADIANE correspond à la demande de brevet français no FR 1901393 puisque celle-ci avait adressé à la société LABORATOIRES NOREVA-LED un courrier de mise en demeure le 21 juin 2019 en ces termes : « Je vous informe qu'en date du 12 février 2019, la société DERMACONCEPT a déposé un brevet no190139301393 qui protège l'association acide hyaluronique, acide ascorbique, et un extrait peucedanum graveolens qui tend à lutter contre les vergetures. Or, elle a constaté que vous commercialisez les produits STRIVADIANE correspondant à l'association d'actifs protégée, alors qu'aucun contrat de licence ne vous a été concédé relativement à l'invention brevetée et alors même qu'aucune discussion n'était en cours au sujet d'une éventuelle licence ». C'est d'ailleurs par ce courrier de mise en demeure que la société LABORATOIRES NOREVA-LED a eu connaissance du dépôt par la défenderesse de la demande de brevet français litigieuse. Or, le contrat de prestation de services du 3 septembre 2007 stipule à l'article 1-5 que : « Le DO aura seul, la libre et entière disposition de l'ensemble des connaissances, informations et résultats afférents à l'exécution des missions ci-dessus visées ». Par ailleurs, et surtout, l'article 8 « PROPRIETE ET DROITS D'UTILISATION DES RESULTATS » dudit contrat prévoit que : « 8-2. Les droits d'utilisation des informations et des résultats des travaux effectués par P pour le compte du DO appartiennent exclusivement au DO ;P s'interdit, pendant la présente convention et pendant une durée de cinq (5) années à compter de la fin du contrat quelle qu'en soit la cause, de communiquer tout ou partie des informations obtenues par la présente convention ainsi que des résultats de travaux à des tiers sans l'accord préalable et écrit de l'autre partie à l'exception des tiers contractuellement liés à P pour l'exécution de cet accord et qui seront tenus de la même obligation de confidentialité. 8-3. Dans le cas où les résultats du développement aboutiraient à la réalisation d'une invention brevetable en relation avec le(s) produit(s), le(s) brevet(s) seront déposés au nom et aux frais du DO. En cas d'une demande de dépôt de brevet, il est d'ores et déjà convenu entre les parties que la rémunération de P ci-avant visées à l'article 4 comprend toute rémunération de P au titre de ce brevet ». En outre, la société DERMACONCEPT JMC ne conteste pas avoir reçu de la société LABORATOIRES NOREVA-LED, conformément à l'article 8-3 alinéa 2 précité, une rémunération de 2% du chiffre d'affaires réalisé sur le produit STRIVADIANE depuis sa première commercialisation, soit la somme de 1.553, 57 euros HT pour l'année 2019 et la somme de 1.985,96 euros HT pour l'année 2020 (ses pièces no18 et 30), en application de l'article 4-2 « REMUNERATION » du contrat de prestation de services, lequel stipule : « En contrepartie du développement et de la mise au point de concepts, de formes galéniques ou de produits dans le domaine de la Dermatologie et des droits relatifs au savoir-faire et/ou technologique de P, le DO s'engage, pendant une durée de DIX (10) années à compter de la commercialisation de chaque produit développé, à verser à P une rémunération de deux pour cent (2%) calculé sur le chiffre d'affaires hors taxes résultant de l'exploitation de chaque produit auprès de la clientèle exclusive suivante : Pharmacie et Para-pharmacie ». Le moyen de la défenderesse, tiré de ce que l'article 8-3 alinéa 1 requiert une « invention brevetable » alors que la brevetabilité de la composition a été révélée postérieurement à la résiliation du contrat par le rapport d'étude de la société BIOEXIGENCE réalisé à son initiative et à ses frais (ses pièces no9 et 10), est inopérant, étant observé, d'une part, que contrairement à ce qu'elle affirme ce rapport d'étude, en date du 3 décembre 2018, est antérieur au 6 décembre 2018, date d'effet de la résiliation du contrat de prestation de services (pièce NOREVA no8), et que, d'autre part, les « résultats de développements devant aboutir à une invention brevetable », à savoir la composition anti-vergetures objet des demandes de brevet, sont la propriété de la société LABORATOIRES NOREVA-LED en application des articles 1-5 et 8-2 du contrat, dont l'article 8-3 alinéa 1 lui confère seule la faculté de déposer un brevet en son nom et à ses frais. Il s'ensuit que la demande de brevet français no FR 1901393 et la demande internationale de brevet no PCT/FR2020/050092 intitulées « composition cosmétique et/ou dermatologique pour lutter contre les vergetures », dont il est constant qu'elles correspondent au produit STRIVADIANE développé et mis au point dans le cadre du contrat de prestation de services du 3 septembre 2007, ont été déposées par la société DERMACONCEPT JMC en violation des stipulations contractuelles, en particulier des articles 1-5, 8-2 et 8-3 précités. En conséquence, la société LABORATOIRES NOREVA-LED est fondée à en revendiquer la propriété. Conformément à l'article 8-3 du contrat de prestation de services et à l'article 1134 du code civil, la société LABORATOIRES NOREVA-LED aura la charge des frais exposés pour le dépôt des demandes de brevet auprès des offices et devra donc les rembourser à la défenderesse à hauteur de la somme totale de 9.158,40 euros dont celle-ci justifie par factures des 14 février 2019, 12 décembre 2019, 3 février 2020, 6 juillet 2020 et 23 février 2021 de la société IPSILON (sa pièce no18). La société DERMACONCEPT JMC sera en revanche déboutée du surplus de sa demande reconventionnelle en remboursement s'agissant des frais exposés pour les deux études d'efficacité réalisées par la société BIOEXIGENCE, lesquels ne constituent pas des frais de dépôt, étant par ailleurs observé que l'une d'elles ne concerne pas la composition objet des demandes de brevet. Sur les demandes en paiement La société LABORATOIRES NOREVA-LED sollicite le paiement de la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultat de la violation par la défenderesse de l'obligation de confidentialité stipulée à l'article 7 du contrat de prestation de services, le dépôt des demandes de brevet l'ayant privée du choix de garder secrète la formulation de son produit STRIVADIANE, ainsi que de l'atteinte à sa réputation professionnelle et commerciale dès lors qu'elle peut apparaître moins innovante aux yeux de ses clients et des professionnels de la dermo-cosmétique, et du préjudice moral résultant de la menace par la défenderesse d'être poursuivie en justice pour violation d'un droit de brevet. Elle sollicite également le remboursement par la défenderesse des sommes qu'elle a payées à plusieurs prestataires dans le cadre du développement du produit STRIVADIANE dès lors que ces prestations correspondent à celles que la défenderesse devait fournir en application du contrat de prestation de services. La société DERMACONCEPT JMC, qui conteste tout préjudice subi par la demanderesse, fait valoir que la composition du produit STRIVADIANE figure sur l'emballage, que les informations relatives à la formulation peuvent être facilement obtenues par diverses méthodes et appareillages disponibles dans tout laboratoire d'analyse et que la mise sur le marché du produit STRIVADIANE constitue une divulgation. S'agissant de la demande en remboursement, elle répond ignorer la nature exacte des travaux objet de ces prestations dont la société LABORATOIRES NOREVA-LED a eu l'initiative sans y être associée ni même informée de leur existence et de leurs résultats. SUR CE, Aux termes de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi. L'article 1147 du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. Selon l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. Sur la demande indemnitaire L'article 8-2, alinéa 2 du contrat de prestation de services du 3 septembre 2007 stipule que « P s'interdit, pendant la présente convention et pendant une durée de cinq (5) années à compter de la fin du contrat quelle qu'en soit la cause, de communiquer tout ou partie des informations obtenues par la présente convention ainsi que des résultats de travaux à des tiers sans l'accord préalable et écrit de l'autre partie à l'exception des tiers contractuellement liés à P pour l'exécution de cet accord et qui seront tenus de la même obligation de confidentialité ». En outre, aux termes de l'article 7 « CONFIDENTIALITE » dudit contrat :« Les parties conviennent que toutes les informations de quelque sorte qu'elles soient, qu'elles concernent notamment les produits, les formules, les méthodes, les études, les fournisseurs ou autres, sans que cette liste soit limitative, dont ils auront connaissance à l'occasion de la mise en oeuvre des présentes, sont considérées comme des informations confidentielles.En conséquence, les parties s'engagent expressément, sans condition, limitation ou restriction aucune à :* n'utiliser les informations qu'aux seules fins du présent accord ;* considérer les informations confidentielles comme destinées à leur seul usage, comme à celui des personnes et entreprises qu'elles sont appelées à faire travailler ou faire intervenir sous leur responsabilité dans le cadre du présent accord et après avoir fait souscrire aux dites personnes et entreprises un engagement de confidentialité similaire et un engagement d'interdiction de recourir à leur tour à d'autres entreprises tierces ;* s'interdire de la manière la plus absolue, à moins d'avoir obtenu préalablement l'accord de l'autre partie à procéder différemment, de :- divulguer à toutes personnes ou sociétés tierces autres que celles nécessaires à la réalisation des travaux définis aux présentes, un quelconque élément des termes, conditions et résultats de l'étude et du projet de développement ;- divulguer l'état d'avancement de l'étude et du projet ;Pour les besoins du présent engagement de confidentialité, il est convenu cependant que cette obligation de confidentialité ne couvrira pas les informations confidentielles mais qui :* à l'époque où elles ont été relevées aux parties étaient déjà tombées dans le domaine public ;* ou tombent dans le domaine public après qu'elles aient été révélées aux parties, du seul fait de leur utilisation normale en exécution du présent contrat ». La société LABORATOIRES NOREVA-LED est fondée à solliciter l'indemnisation de son préjudice résultant de la violation par la société DERMACONCEPT JMC de son obligation de confidentialité dès lors que la « composition cosmétique et/ou dermatologique pour lutter contre les vergetures », objet des demandes de brevet français et PCT litigieuses, publiées respectivement le 14 août 2020 sous le no 3 092 493 A1 et le 20 août 2020 sous le no W0 2020/165514 A1, correspond au produit STRIVADIANE développé et mis au point dans le cadre du contrat de prestation de services, dont la demanderesse avait fait le choix de ne pas déposer de brevet et de privilégier le secret de la formulation. Or, la publication des demandes de brevet en a divulgué les informations, notamment dans les revendications 4 à 8 du brevet relatives au poids moléculaire et à la concentration de chacun des trois principes actifs de la composition, lesquels ne figurent pas sur l'emballage du produit STRIVADIANE (pièce NOREVA no17), dont la commercialisation ne dispensait pas la défenderesse de respecter son obligation de confidentialité. Le préjudice en résultant pour la demanderesse sera alors indemnisé à hauteur de la somme de 10.000 euros. En revanche, la société LABORATOIRES NOREVA-LED, qui procède par voie d'affirmation dans ses écritures, n'établit aucunement l'atteinte à la « réputation professionnelle et commerciale » qu'elle allègue. Par ailleurs, contrairement à ce qu'elle affirme, elle n'apparaîtra pas moins innovante puisque sa demande en revendication a été accueillie. Quant au préjudice moral prétendument subi du fait d'une « menace de la défenderesse de la poursuivre en justice pour violation d'un droit de brevet », force est constater que celui-ci n'est pas caractérisé dès lors qu'un courrier de mise en demeure par la voie d'un avocat ne saurait constituer « une menace » engendrant un préjudice moral pour une personne morale et qu'il a été fait droit à sa demande en revendication de la propriété des demandes de brevet litigieuses. Sur la demande en remboursement L'article 1-1 du contrat de prestation de services stipule que : « Le DO confie à P qui accepte, en qualité de prestataire indépendant, la réalisation des prestations ci-après, en vue du développement de produits, concepts et formes galéniques dans le domaine de la Dermatologique et de la Dermo-cosmétique.1-2 Dans ce cadre, P effectuera les prestations suivantes :1.1.6 Développement, mise au point et validation de concepts et choix de principes actifs,1.1.7 Développement, mise au point et validation des formes galéniques,1.1.8 Mise en oeuvre et suivi du développement du Produit :1.1.8.1 stabilité,1.1.8.2 compatibilité contenu-contenant,1.1.8.3 validation du système conservateur par challenge test,1.1.8.4 faisabilité industrielle,1.1.8.5 tests d'innocuité oculaire et cutanée, dont les coûts seront supportés par le DO1.1.9 Validation du procédé de fabrication sur TROIS (3) lots, dont le coût sera supporté par le DO,1.1.10 Fourniture de tous éléments nécessaires à l'établissement du dossier technique cosmétique européen du Produit permettant la déclaration du dossier aux Centres Anti-Poisons comprenant entre autre :- une description du produit,- la composition qualitative, quantitative et la spécification du produit,- l'identification et les fiches de sécurité des matières premières,- une analyse de stabilité et de compatibilité,- la spécification microbiologique et analytique du produit,- une attestation d'innocuité oculaire et cutanée,- une analyse de ses propriétés et son (ses) application(s). P pourra réaliser des use tests en interne à sa charge afin d'évaluer un produit en cours de développement. Les tests complémentaires d'efficacité seront à la charge de DO ». La société LABORATOIRES NOREVA-LED n'est pas fondée à solliciter le remboursement par la société DERMACONCEPT JMC des factures qu'elle a réglées à la société EFFERVESCENCE LAB, à la société LABORATOIRE DERMSCAN et à la société EUROSAFE (ses pièces no21 à 27) dès lors que :- lesdites factures sont toutes établies à son nom pour des prestations commandées par elle ; - aucune pièce relative aux travaux résultant de chacune des prestations réalisées par ces sociétés tierces n'est produite, de sorte qu'il n'est pas démontré que leurs prestations correspondent effectivement aux prestations de la société DERMACONCEPT JMC stipulées à l'article 1-1 du contrat, étant précisé que les mentions figurant sur les factures produites ne permettent pas à elles seules de le démontrer tandis que la charge de la preuve lui incombe ; - il n'est ni allégué ni établi que les prestations commandées à ces sociétés tierces étaient destinées à pallier une inexécution contractuelle de la défenderesse. Sa demande sera en conséquence rejetée. Le préjudice de la société LABORATOIRES NOREVA-LED étant suffisamment réparé par l'octroi de dommages et intérêts, la publication du jugement apparaît disproportionnée et sera par conséquent rejetée. Sur les demandes accessoires Sur les dépens Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie. L'article 699 du code de procédure civile dispose que les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision. La partie contre laquelle le recouvrement est poursuivi peut toutefois déduire, par compensation légale, le montant de sa créance de dépens. La société DERMACONCEPT JMC, qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens, dont distraction au profit de la SELARL YDES conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Sur l'article 700 du code de procédure civile L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation. L'équité commande de condamner la société DERMACONCEPT JMC à payer à la société LABORATOIRES NOREVA-LED la somme de 15.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Sur l'exécution provisoire Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement. En l'espèce, la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire et il n'y a pas lieu d'y déroger. PAR CES MOTIFS Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, ORDONNE le transfert à la SAS LABORATOIRES NOREVA-LED de la propriété de la demande de brevet français no FR 1901393 et de la demande internationale de brevet no PCT/FR2020/050092 déposées par la SARL DERMACONCEPT JMC en violation des stipulations du contrat de prestation de services du 3 septembre 2007, à effet rétroactif au jour de leur dépôt ; DIT que la présente décision, une fois devenue définitive, sera transmise à l'Institut national de la propriété industrielle aux fins d'inscription aux registres à l'initiative de la partie la plus diligente ; CONDAMNE la SAS LABORATOIRES NOREVA-LED à payer à la SARL DERMACONCEPT JMC la somme de 9.158,40 euros en remboursement des frais de dépôt desdites demandes de brevet ; DEBOUTE la SARL DERMACONCEPT JMC du surplus de sa demande reconventionnelle en remboursement ; CONDAMNE la SARL DERMACONCEPT JMC à payer à la SAS LABORATOIRES NOREVA-LED la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts ; DEBOUTE la SAS LABORATOIRES NOREVA-LED de sa demande en remboursement de la somme de 20.425,20 euros TTC ; DEBOUTE la SAS LABORATOIRES NOREVA-LED de sa demande de publication ; CONDAMNE la SARL DERMACONCEPT JMC à payer à la SAS LABORATOIRES NOREVA-LED la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; CONDAMNE la SARL DERMACONCEPT aux dépens, dont distraction au profit de la SELARL YDES conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ; RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire. Fait et jugé à Paris le 11 Octobre 2022 La Greffière La Présidente
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JURITEXT000047304644
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 21 octobre 2022, 19/06127
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2022-10-21
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Tribunal judiciaire de Paris
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19/06127
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CT0087
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG 19/06127 No Portalis 352J-W-B7D-CP532 No MINUTE : Assignation du :14 Mai 2019 INCIDENT ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETATrendue le 21 Octobre 2022 DEMANDERESSE S.A.S. ROSET[Adresse 3][Localité 1] représentée par Maître Carole BERNARDINI, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E0399 et par Maître Jean-Pierre STOULS, de STOULS & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant DEFENDERESSES S.A.S. BROCANTE LAB[Adresse 2][Localité 5] représentée par Maître Hugo BATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2501 Société THIS.SIGN LTD[Adresse 4][Localité 7] (ANGLETERRE) représentée par Maître Claire BOUCHENARD de la SELAS OSBORNE CLARKE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0117 MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Jugeassisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier DÉBATS A l'audience du 22 Septembre 2022 , avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 07 Octobre 2022 puis prorogé au 21 Octobre 2022. ORDONNANCE Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe ContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE Synthèse de l'objet du litige 1. Le présent incident porte d'une part sur la rétractation de l'ordonnance ayant, le 28 septembre 2021, autorisé sur requête une mesure d'instruction consistant à rechercher, dans les locaux de la société Roset, les preuves d'un dénigrement allégué par la société Brocante lab. Il porte d'autre part sur la levée du séquestre sous lequel ont été placés l'ensemble des éléments découverts lors de l'exécution de cette mesure. Faits et procédure 2. La société Roset, titulaire d'une marque verbale française honomyne (no1571757) et de marques verbales française et de l'Union européenne « Ligne Roset » (no98757593 et no000516666), toutes enregistrées dans les années 1990, édite un fauteuil ou canapé intitulé Togo, créé par [D] [Z] en 1973, sur lequel elle revendique des droits d'auteur, et dont elle a déposé la forme à la fois en tant que dessin ou modèle français en 1974 (expirant, dit-elle, en 2024) et en tant que marque tridimensionnelle de l'Union européenne (no016691537, enregistrée le 12 septembre 2017). 3. Elle reproche à la société Brocante lab, qui exploite un site internet spécialisé dans la vente de meubles à l'adresse selency.fr, d'y vendre des fauteuils Togo d'occasion (mal) retapissés et sur lesquels est apposé le signe Ligne Roset, en contrefaçon de ses droits d'auteur, son dessin ou modèle, et ses marques ; et, après une mise en demeure infructueuse, elle a assigné le 15 mai 2019 la société Brocante lab de ces chefs. 4. La société Brocante lab a assigné le 9 décembre 2019 en intervention forcée la société de droit anglais This.sign, qui a rénové et vendu sur le site selency.fr des fauteils Togo litigieux. 5. Au terme d'un premier incident initié par la société Roset 19 mois après l'assignation, le 8 décembre 2020, le juge de la mise en état, constatant en passant que l'instruction était sur le point d'être achevée, a, le 25 juin 2021, ordonné sous astreinte aux sociétés This.sign et Brocante lab de communiquer à la demanderesse un état exhaustif des ventes réalisées par la première à la seconde. La société Roset a alors formé un deuxième incident le 19 juillet 2021 en interdictions et indemnité provisoires ; un nouveau juge de la mise en état a rejeté ces demandes par ordonnance du 11 février 2022, au motif notamment que l'instruction était sur le point d'être achevée. 6. Entre temps, la société Brocante lab, alléguant reconventionnellement un dénigrement de la part de la société Roset et cherchant à s'en ménager la preuve a, sur autorisation du (deuxième) juge de la mise en état obtenue sur requête, fait pratiquer le 20 octobre 2021 une mesure d'instruction dans les locaux de la société Roset, lors de laquelle ont été copiés un grand nombre de courriels, dont celle-ci a obtenu de l'huissier le placement sous séquestre. 7. C'est pour obtenir la levée de ce séquestre que la société Brocante lab a formé un troisième incident par conclusions du 17 novembre 2021 ; et la société Roset a demandé pour sa part la rétractation de l'ordonnance ayant autorisé la mesure. Cet incident a été plaidé, après renvoi à la demande des parties, le 22 septembre 2022 devant un troisième juge de la mise en état succédant au précédent. Prétentions pour l'incident 8. Dans ses dernières conclusions d'incident signifiées par voie électronique le 17 mai 2022, la société Brocante lab, en substance :? résiste à la demande incidente en nullité de la requête en mesure d'instruction et de la mesure elle-même, ? demande de lever le séquestre sur les courriels saisis par l'huissier le 20 octobre 2021, et de les lui communiquer ; ? subsidiairement, que le juge de la mise en état procède au tri des pièces, au besoin en désignant un expert, puis en ordonne la communication sur clé USB, en n'écartant que les correspondances couvertes par le secret professionnel, c'est-à-dire « faisant explicitement référence à la stratégie de défense mise en place par » l'avocat de la société Roset, et en ordonnant à celle-ci de caractériser cette référence pour chaque pièce qu'elle entendrait écarter, et en mettant à la seule charge de celle-ci les éventuels « frais de conseil et d'expertise » ;? outre 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens. 9. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 13 septembre 2022, la société Roset demande au juge de la mise en état de :? se déclarer incompétent pour la demande en mainlevée de séquestre, au profit du juge de l'exécution de Bourg-en-Bresse ;? rétracter l'ordonnance du 28 septembre 2021 ayant autorisé la mesure d'instruction? annuler cette mesure et les pièces qui en seraient issues, et lui restituer les documents saisis à cette occasion, sous astreinte ;? subsidiairement, désigner un expert pour distinguer les documents nécessaires à la preuve du « prétendu dénigrement »,? outre 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et réserver les dépens. Moyens des parties pour l'incident 10. Sur la compétence, la société Roset expose que la mise sous séquestre ayant été faite par l'huissier à sa demande, et non ordonnée par le juge, elle relèverait de la mainlevée prévue par l'article L. 512-2 du code des procédures civiles d'exécution, qui la confie au juge de l'exécution ; et ne pourrait en tout état de cause relever de la compétence du juge de la rétractation, comme l'aurait jugé la Cour de cassation. La société Brocante lab répond que cette disposition concerne seulement les mesures conservatoires, et que le juge de la mise en état est ici compétent non seulement en tant que juge de la rétractation, mais aussi en tant que juge chargé du suivi de la mesure d'instruction qu'il a ordonnée. 11. Sur la rétractation, la société Roset soutient en premier lieu que la requête en autorisation de la mesure d'instruction a présenté les faits de manière biaisée ; que, par ailleurs, les mesures ordonnées ne sont pas nécessaires « au droit de la preuve » ; qu'en effet, il y est dit qu'elle aurait investi le marché de l'occasion récemment alors qu'elle y est présente depuis 30 ans, qu'elle voudrait éliminer ses concurrents alors que ce n'est pas démontré ; que le dénigrement allégué ne serait qu'un leurre, un « délire paranoïaque de persécution », fondé sur la répétition des mêmes affirmations et exagérations, sans être démontré ; qu'en particulier, la suspicion entretenue dans la requête en comparant les termes utilisées dans ses conclusions et dans des attestations qu'elle produit ne porte en fait que sur des éléments objectifs, connus, qui ne prouveraient donc rien ; enfin que la société Brocante lab se présenterait de façon mensongère comme une plateforme de revente de meubles alors qu'elle exercerait aussi une activité de retapissage et ne serait pas un intermédiaire. 12. Sur ce premier point, la société Brocante lab estime que sa requête était parfaitement motivée ; qu'en particulier, (1) la société Roset mettrait publiquement en garde les internautes sur des contrefaçons commises sur les « marketplaces en ligne », ce qui la vise directement en tant que première de ces « marketplaces » ; (2) a produit dans la présente instance des pièces « surprenantes », à savoir des courriels et courriers adressés par des tiers à la société Brocante lab, qui reprendraient précisément l'argumentaire de la société Roset, sans que celle-ci réponde à la sommation qu'elle lui avait faite d'attester n'avoir pas renseigné les expéditeurs sur le procès ; (3) qu'elle-même (Brocante lab) aurait reçu des courriels d'un inconnu et de deux clients se plaignant de ce que les canapés Togo vendus étaient des contrefaçons, en utilisant là encore une argumentation proche de celle de la société Roset, ce qui indiquerait que celle-ci les aurait renseignés et incités à écrire ces réclamations ; enfin (4) que la société Roset a écrit à une autre cliente potentielle pour l'avertir du procès en cours et de ce qu'il y aurait sur Selency de nombreux faux Togos en vente. La société Brocante lab, qui ajoute par ailleurs que seul le canapé Togo fait l'objet de ces réclamations parmi plus de 200 000 produits en vente, déduit de ces éléments la nécessité pour elle « d'enrichir la preuve » du dénigrement. 13. La société Roset soutient en deuxième lieu que ni la requête ni l'ordonnance ne justifie suffisamment la dérogation à la contradiction, pas plus que l'urgence ; enfin que les mesures ordonnées sont illégales car trop générales. 14. La société Brocante lab réplique en deuxième lieu que l'urgence était caractérisée par la « continuité » et « la multiplication récente » des faits invoqués, le caractère avéré du dénigrement, qui perturberait gravement son activité économique ; et que la nécessité de déroger à la contradiction était caractérisée par le risque de suppression des données informatiques recherchées. 15. En troisième lieu, la société Roset estime que la mesure autorisée est excessive et disproportionnée dans son ampleur matérielle, pour concerner tous les échanges correspondant aux mots-clés « Brocante lab » ou « Selency », et dans son ampleur temporelle, pour concerner une période de plus de 3 ans, soit depuis l'origine du litige, alors que la sommation de communiquer qui lui avait été réclamée par la société Brocante lab ne concernait qu'un nombre très limité d'informations. Elle ajoute que parmi les nombreux courriels appréhendés, beaucoup sont des transferts internes de la correspondance avec son avocat, et n'auraient donc pas dû être saisis, en application de l'article 66-5 de la loi no71-1130. 16. La société Brocante lab répond que la mesure était suffisamment limitée dans son objet, à la recherche des seuls fichiers « en rapport avec les faits litigieux », correspondant à des mots-clés précis, à l'exclusion des échanges avec les avocats et conseils en propriété industrielle, l'huissier ayant en outre examiné avec les personnes présentes les correspondances à exclure ; qu'elle était suffisamment limitée dans le temps. 17. La société Brocante lab en déduit également que le séquestre peut être levé à son profit, les éléments découverts étant indispensables selon elle à sa demande reconventionnelle en dénigrement. Elle propose subsidiairement un tri selon deux groupes de deux catégories : en premier lieu les correspondances échangées d'une part entre des employés ou dirigeants de Roset, et d'autre part entre Roset et des tiers ; en second lieu, d'une part les correspondances ne faisant pas explicitement référence à une stratégie de défense, et d'autre part les correspondances y faisant explicitement référence. MOTIFS 1) Rétractation de l'ordonnance autorisant la mesure d'instruction 18. L'ordonnance sur requête est définie par l'article 493 du code de procédure civile comme une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse. L'article 496 prévoit que s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance, et l'article 497 précise que le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance. 19. L'ordonnance ici contestée a autorisé une mesure d'instruction, qui est donc régie par les articles 143 et suivants du code de procédure civile. L'article 143 autorise de façon générale « toute mesure d'instruction légalement admissible. ». 20. Doivent ainsi être examiné, au cas présent, la légalité de la mesure d'instruction qui a été autorisée, et la possibilité de l'autoriser sur requête. Conditions d'une autorisation sur requête 21. En application de l'article 493 du code de procédure civile, le juge ne peut être saisi sur requête que si « le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse ». L'article 845 applique cette faculté devant le tribunal judiciaire. Cette dérogation au principe de la contradiction est remplie, notamment, si l'appel de la partie adverse poserait un risque sérieux d'inefficacité de la mesure, tel que la disparition des preuves dont la recherche est demandée. 22. Tel est le cas de correspondances sur support électronique, aisément effaçables. La recherche de telles correspondances pour prouver des faits de dénigrement, donc de concurrence déloyale, justifie que l'auteur allégué de ces faits, chez qui le requérant veut obtenir ces correspondances, ne soit pas averti de la mesure avant que celle-ci soit réalisée. 23. Dès lors, en visant ce risque d'effacement de preuves électroniques, la requête et l'ordonnance qui en a adopté les motifs ont suffisamment justifié la dérogation au principe de la contradiction et, partant, la saisine du juge sur requête. Légalité de la mesure 24. La Cour de cassation, rappelant l'existence d'un droit à la preuve, a jugé que constituent des mesures légalement admissibles, les mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi ; et qu'il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence (Cass. 2e Civ., 10 juin 2021, no20-11.987, point 11). 25. S'agissant de la longueur de la période visée par la mesure en cause, la société Roset dit elle-même qu'elle correspond à la durée de la procédure devant le présent tribunal. Il s'agit d'une période pertinente pour rechercher des faits de dénigrements qui auraient été causés à l'occasion de cette procédure. Et la longueur anormale de cette procédure vient, au moins en partie, du propre comportement procédural de la société Roset, qui ne peut dès lors s'en prévaloir pour critiquer l'ampleur des recherches liées à cette procédure. La limitation temporelle de la recherche aux correspondances postérieures au 24 mai 2018 était ainsi suffisante. 26. S'agissant de son ampleur matérielle, la mesure d'instruction portait sur toute correspondance mentionnant le nom de la société Brocante lab ou son nom commercial, Selency, ce qui est particulièrement général. Il faut alors apprécier si, et dans quelle mesure, cette recherche est proportionnée, au regard de sa nécessité pour prouver les faits allégués, et de la gravité de l'atteinte qu'elle cause pour la personne visée. 27. En premier lieu, le dénigrement qui serait commis par une mention sur le site internet de la société Roset est en lui-même public ; la mesure demandée est sans utilité pour le démontrer. 28. En deuxième lieu, parmi les pièces « surprenantes » invoquées par la société Brocante lab, toutes sauf une émanent, aux dires mêmes de la requérante, de revendeurs de la société Roset, qui ne sont manifestement pas des clients de la société Brocante lab, laquelle s'adresse à des particuliers. Or comme celle-ci le soulève elle-même, le dénigrement est caractérisé par une communication à l'égard de la clientèle de la victime ; la mesure réclamée est donc manifestement inutile pour rapporter une preuve de dénigrement à l'égard de ces échanges avec ces revendeurs. 29. En revanche, la société Roset n'a pas expliqué pourquoi elle a pu communiquer elle-même (sa pièce no15) un courriel envoyé par une société BCI [Localité 6] à la société Brocante lab, qui critique les pratiques de celle-ci. Et la qualité de cette société n'est pas connue, de sorte qu'il ne peut être exclu qu'elle puisse être cliente de Brocante lab. Il est alors nécessaire de savoir ce que la société Roset a pu indiquer à cette société, ce qui consiste en une recherche très limitée. 30. De la même manière, des particuliers et clients de la société Brocante lab lui ont directement reproché des faits analogues à ceux que lui reproche la société Roset. Si cette seule coïncidence ne suffit évidemment pas à caractériser un dénigrement, elle rend légitime, pour la société Brocante lab, la recherche de l'existence d'une communication éventuelle de la part de la société Roset envers ces personnes, qui aurait pu les influencer. Cet intérêt est certes relativement fragile, mais dans la mesure où la société Roset n'allègue elle-même aucun motif légitime d'avoir adressé la moindre correspondance à ces personnes, la recherche de cette seule correspondance ne porte aucune atteinte à ses intérêts. 31. Plus généralement, à cet égard, la concomitance, d'une part, de critiques très argumentées émanant de particuliers, et d'autre part, de la concertation de la société Roset avec ses revendeurs (puisque a minima ceux-ci lui ont remis les courriels qu'ils ont adressés à la société Brocante lab), rend plausible l'allégation de la requérante selon laquelle la société Roset aurait adressé des propos dénigrants à d'autres clients que les seuls qui ont été identifiés. Il est alors nécessaire pour elle de rechercher l'existence de ces échanges, ce qui passe nécessairement par une recherche générale des courriers et courriels émis par la société Roset à des tiers et contenant le mot-clé « Brocante lab » (en deux mots ou en un seul) ou le mot-clé « Selency ». 32. Dans la mesure où la société Roset n'allègue aucun motif pour lequel elle aurait écrit à des tiers, autres que son CPI ou son avocat, pour parler de Brocante lab et Selency, l'atteinte que cause cette recherche à ses intérêts légitimes est faible. Certes, le domaine assez étendu d'une telle recherche est susceptible d'entrainer la découverte de correspondances relevant du secret des affaires ; mais cela peut se résoudre par la règlementation de l'accès aux documents découverts, de sorte que, à la condition de prévoir la protection du secret des affaires dans l'accès aux documents, la mesure tenant à la recherche des correspondances émise à des tiers et contenant les mots clés précités est proportionnée au regard des intérêts en présence. 33. En revanche, rien ne justifie de rechercher des courriels internes à la société Roset, qui, par nature non destinés à des clients, ne sont pas susceptibles de prouver un dénigrement. La mesure d'instruction était disproportionnée à cet égard. 34. Par conséquent, l'ordonnance est rétractée, mais seulement en tant qu'elle a excédé le domaine de recherche qui suit ; et la mesure sollicitée par la requête est corrélativement autorisée telle que sollicitée par la requête, à ceci près qu'elle est limitée à la seule recherche des éléments suivants : - les courriers et courriels a) adressés par la société Roset (ou l'un de ses préposés) à des tiers, c'est-à-dire les courriers ou courriels dont au moins un destinataire, manifestement, ne travaille ni n'a travaillé pour la société Roset, ni pour son avocat, ni pour son conseil en propriété industrielle ; ET b) qui contiennent le mot-clé « Brocante lab », ou le mot-clé « Brocantelab », ou le mot-clé « Selency » ; - la qualité de tiers d'au moins un des destinataires doit s'apprécier tel qu'elle ressort à l'évidence du libellé de la correspondance, ou de l'adresse du destinataire (telle qu'une extension d'adresse électronique n'indiquant aucune affiliation professionnelle liées à Roset, son avocat, son CPI, ou une adresse postale personnelle...) 35. Il en résulte que les documents appréhendés lors de l'exécution de la mesure, et ne correspondant pas au conditions de la recherche fixées au point précédent, doivent être restitués à la société Roset. Le tri des éléments incombe à l'huissier chargé de la mesure, aux frais de la société Brocante lab. 2) Levée du séquestre a. Compétence du juge de la mise en état pour la demande en mainlevée du séquestre 36. L'article 789 du code de procédure civile donne compétence exclusive au juge de la mise en état, jusqu'à son dessaisissement, pour ordonner toute mesure d'instruction ; et l'article 796 précise qu'il contrôle l'exécution des mesures d'instruction qu'il ordonne. Il est donc compétent pour trancher une difficulté née de l'exécution de cette mesure, telle qu'un différend entre les parties sur la possibilité d'accéder aux documents découverts. 37. Quant à l'article R 512-2 du code des procédures civiles d'exécution, il concerne la « demande de mainlevée » d'une mesure conservatoire, c'est-à-dire une mesure sur les biens d'un débiteur chargée de favoriser le recouvrement futur d'une créance qui parait fondée en son principe. Il ne concerne donc en rien le présent incident et ne remet évidemment pas en cause la compétence que le juge de la mise en état tire de l'article 796 du code de procédure civile. 38. L'exception d'incompétence, manifestement infondée, est donc écartée. b. Possibilité et domaine de la levée du séquestre 39. Dans un premier temps, seuls les correspondances adressées par la société Roset aux personnes déjà identifiées par la société Brocante lab et qui fondent ses suspicions peuvent lui être remises. Ces personnes sont la société BCI [Localité 6] ; Mme [L] [X] ; Mme ou M. [E]-[H] ; Mme [N] [T] ; Mme [O] [J] ; 40. Si ces correspondances existent, et qu'elles révèlent que la société Roset a communiqué à ces personnes des informations ou des opinions susceptibles de caractériser un dénigrement de la société Brocante lab, alors il sera nécessaire de lui donner l'accès, sur nouvelle saisine du juge de la mise en état. 3) Suite de la procédure et dispositions finales 41. Cette procédure est anormalement ancienne ; à deux reprises, un juge de la mise en état a estimé que l'instruction pouvait être close. Il convient de permettre aux parties de s'en assurer au plus vite. 42. Si la demande reconventionnelle envisagée en dénigrement ne peut être instruite aussi vite que la demande principale en contrefaçon, les parties seront invitées à se prononcer sur l'opportunité d'une disjonction. 43. Le présent incident n'a pas mis fin à l'instance et il n'y a donc pas lieu de statuer sur les dépens. En revanche, la société Roset, qui le perd pour l'essentiel, doit indemniser en partie la société Brocante lab de ses frais, soit à hauteur de 3 000 euros. PAR CES MOTIFS Le juge de la mise en état : RÉTRACTE partiellement l'ordonnance du 28 septembre 2021, c'est-à-dire seulement en tant qu'elle a autorisé une mesure excédant le domaine de recherche qui suit ; et AUTORISE corrélativement la mesure sollicitée par la requête telle qu'elle a été autorisée le 28 septembre 2021, à ceci près qu'elle est limitée à la seule recherche des éléments suivants : - les courriers et courriels a) adressés par la société Roset (ou l'un de ses préposés) à des tiers, c'est-à-dire les courriers ou courriels dont au moins un destinataire, manifestement, ne travaille ni n'a travaillé pour la société Roset, ni pour son avocat, ni pour son conseil en propriété industrielle ; ET b) qui contiennent le mot-clé « Brocante lab », ou le mot-clé « Brocantelab », ou le mot-clé « Selency » ; - la qualité de tiers d'au moins un des destinataires doit s'apprécier tel qu'elle ressort à l'évidence du libellé de la correspondance, ou de l'adresse du destinataire (telle qu'une extension d'adresse électronique n'indiquant aucune affiliation professionnelle liées à Roset, son avocat, son CPI, ou une adresse postale personnelle...) ORDONNE la levée partielle du séquestre, c'est-à-dire seulement sur les correspondances adressées aux personnes suivantes :- la société BCI [Localité 6] ; - Mme [L] [X] ; - Mme ou M. [E]-[H] ; - Mme [N] [T] ; - Mme [O] [J] ; DIT que l'identification des documents concernés se fera, sauf meilleur accord des parties, par l'huissier ayant accompli la mesure, aux frais avancés de la société Brocante lab ; SURSOIT à statuer sur la levée du séquestre pour le surplus, les parties étant invitées à s'accorder sur la levée du séquestre pour les autres documents, ou à défaut à saisir le juge de la mise en état, si les documents déjà révélés contiennent des propos susceptibles d'être qualifiés de dénigrants à l'égard de la société Brocante lab ; CONDAMNE la société Roset à payer 3 000 euros à la société Brocante lab au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de cet incident ; RENVOIE l'affaire à la mise en état du 15 décembre 2022 pour ultimes échanges et clôtures avec :- ultimes conclusions de la société Roset sur la contrefaçon pour le 25 novembre ;- ultimes conclusions de la société Brocante lab sur la contrefaçon pour le 8 décembre ; Faite et rendue à Paris le 21 Octobre 2022 Le Greffier Le Juge de la mise en état
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JURITEXT000047304645
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 25 octobre 2022, 20/03828
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2022-10-25
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/03828
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CT0087
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 20/03828 - No Portalis 352J-W-B7E-CSASU No MINUTE : Assignation du :07 et 10 avril 2020 JUGEMENT rendu le 25 octobre 2022 DEMANDERESSES Société EUROPE WATCH GROUP II BV[Adresse 6][Localité 1] (PAYS BAS) Société EUROPE WATCH GROUP BV[Adresse 6][Localité 1] (PAYS BAS) représentées par Maître Sylvie BENOLIE- CLAUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0415 DÉFENDERESSES S.A. TIME AND DIAMONDS (T.A.D)[Adresse 3][Localité 5] Madame [V] [H] épouse [B][Adresse 2][Localité 4] représentées par Maître Emmanuelle HOFFMAN ATTIAS de la SELARL HOFFMAN, avocat au barreau de PARIS,vestiaire #C0610 COMPOSITION DU TRIBUNAL Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeArthur COURILLON-HAVY, jugeLinda BOUDOUR, juge assistés de Lorine MILLE, greffière, DÉBATS A l'audience du 23 juin 2022 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 11 octobre 2022 et prorogé au 25 octobre 2022. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort ______________________________ EXPOSÉ DU LITIGE : 1. Les sociétés Europe watch Group B.V et Europe Watch Group II B.V conçoivent et commercialisent des montres et des bijoux fantaisie. La société Europe Watch Group II est titulaire de deux marques de l'Union européenne : une marque verbale no12849361 "CLUSE" enregistrée le 27 août 2014 pour désigner en classes 14 les "instruments de mesure du temps" et 35 les "services de vente au détail concernant les instruments de mesure du temps", ainsi qu'une marque semi-figurative "CLUSE" (le signe est écrit en caractères noirs et en gras sur fond blanc) no15833858 enregistrée le 25 janvier 2017 pour désigner en classe 14 les produits de "joaillerie" et les "instruments chronométriques ; horloges ; horloges électriques ; montres". 2. La société Time And Diamonds (ci après "la société TAD") exploite le site internet accessible à l'adresse <www.cluelesswatches.com>, ainsi que la marque verbale française "CLUELESS" no4351010, déposée le 31 mars 2017, pour désigner en classe 14 notamment les produits d "horlogerie et instruments chronométriques", par Mme [V] [H], épouse [B]. 3. Par une lettre de leur conseil en date du 23 septembre 2019, les sociétés Europe Watch Group ont mis en demeure la société TAD de cesser l'utilisation du signe CLUELESS et de retirer de la vente une série de montres qui étaient selon elles des copies de celles commercialisées sous leur marque CLUSE, demande auxquelles n'a pas déféré la société TAD. 4. Les sociétés Europe Watch Group ont fait procéder le 6 décembre 2019 à un constat d'huissier sur le site internet <www.cluelesswatches.com>, exploité par la société TAD et ont ensuite fait assigner Mme [V] [H] et la société TAD, par actes d'huissier des 7 et 10 avril 2020, devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de marques et concurrence déloyale et parasitaire. 5. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 30 novembre 2021, les sociétés Europe Watch Group demandent au tribunal de :- Déclarer la pièce no22 recevable ; - Juger que Mme [V] [H], épouse [B] et la société TIME AND DIAMONDS se sont rendues coupables d'actes de contrefaçon des marques de l'Union européenne CLUSE no12849361 et no15833858 dont la société EUROPE WATCH GROUP II B.V est titulaire ; - Juger que la société TIME AND DIAMONDS s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitaire ; En conséquence, sous exécution provisoire de droit selon l'article 514 du code de procédure civile, - Faire interdiction, sous astreinte de 1 000 € par infraction constate et par jour de retard à compter du prononcé du jugement, à Mme [V] [H], épouse [B] et à la société TIME AND DIAMONDS de faire usage de la dénomination CLUELESS ou de toute autre dénomination similaire, à quelque titre que ce soit et sur tout support, y compris au sein du nom de domaine www.cluelesswatches.com, pour désigner des produits identiques et/ou similaires à ceux visés par les marques antérieures de l'Union européenne CLUSE no12849361 et 15833858 ; - Ordonner que les produits contrefaisants commercialisés sous la dénomination CLUELESS soient rappelés des circuits commerciaux et écartés définitivement de ces circuits aux fins de destruction devant un huissier de justice aux seuls frais in solidum de Mme [V] [H], épouse [B] et de la société TIME AND DIAMONDS, sous astreinte d'un montant de 1 000 € par infraction constate à compter d'un délai de 15 jours suivant la signification du jugement à intervenir ;- Ordonnerla destruction ou la remise à une association caritative, aux frais avancés de Mme [V] [H], épouse [B] et de la société TIME AND DIAMONDS, de tous les produits contrefaisants commercialisés sous la dénomination CLUELESS détenus en stock ainsi que la destruction de l'ensemble des supports et documents commerciaux représentant lesdits produits et ce par huissier, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard compter d'un délai de 15 jours suivant la signification du jugement à intervenir ; - Faire interdiction, sous astreinte de 1 000 € par infraction constate et par jour de retard à compter du prononcé du jugement, à Mme [V] [H], épouse [B] et à la société TIME AND DIAMONDS, de vendre ou d'offrir à la vente des produits contrefaisants sous la dénomination CLUELESS et ce, sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne ; - Faire injonction à la société TIME AND DIAMONDS, conformément à l'article L.716-4-9 du code de la propriété intellectuelle de communiquer des documents comptables certifiés permettant de déterminer les quantités exactes de produits contrefaisants commercialisés sous la marque CLUELESS importés, commandés, reçus, livrés et vendus par la société TIME AND DIAMONDS en France et sur le territoire de l'Union Européenne, sous astreinte de 500 € par jour de retard, pass le délai de 8 jours suivant la signification du jugement à intervenir ; - Ordonner à la société TIME AND DIAMONDS de procéder à la radiation du nom de domaine www.cluelesswatches.com sous astreinte de 1 000 € par jour de retard compter du prononcé du jugement ; - Se réserver la liquidation des astreintes précitées ; - Condamner in solidum Madame [V] [H], épouse [B] et la société TIME AND DIAMONDS à verser aux sociétés EUROPE WATCH GROUP B.V et EUROPE WATCH GROUP II B.V la somme provisionnelle de 500 000 € titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice commercial, à parfaire après justification de l'intégralité de la masse contrefaisante ; - Condamner in solidum Mme [V] [H], épouse [B] et la société TIME AND DIAMONDS à verser aux sociétés EUROPE WATCH GROUP B.V et EUROPE WATCH GROUP II B.V la somme de 80 000 € en rparation du préjudice moral causé du fait des actes de contrefaçon de marques ; - Condamner la société TIME AND DIAMONDS à verser à la société EUROPE WATCH GROUP B.V la somme de 300 000 € titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire ; - Annuler la marque française verbale CLUELESS déposée et enregistrée le 31 mars 2017 sous le no4351010 pour l'ensemble des produits qu'elle désigne ; - Ordonner l'inscription du jugement à intervenir au Registre National des Marques de l'INPI et DIRE que cette inscription pourra être effectuée sur présentation d'une copie exécutoire, dans les conditions de l'article R.714-3 du Code de la Propriété Intellectuelle; - Ordonner la publication du jugement à intervenir dans trois journaux ou revues au choix des sociétés EUROPE WATCH GROUP B.V et EUROPE WATCH GROUP II B.V aux frais exclusifs et avancés des défenderesses dans la limite d'un montant global de 30 000 € HT ; - Débouter Mme [V] [H], épouse [B] et la société TIME AND DIAMONDS de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ; - Condamnerin solidum Madame [V] [H], épouse [B] et la société TIME AND DIAMONDS à verser aux sociétés EUROPE WATCH GROUP B.V et EUROPE WATCH GROUP II B.V la somme de 30 000 € au titre de l'article 700 du code de procdure civile ainsi qu'aux entiers dépens. 6. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 14 octobre 2021,la société TAD et Mme [H] demandent au tribunal de : - Les Recevoir en toutes leurs demandes, fins et conclusions, - Ecarter des débats la pièce 22 communiquée par les sociétés EUROPE WATCH GROUP BV et EUROPE WATCH GROUP II BV comme non traduite en langue française ; - Débouter les sociétés EUROPE WATCH GROUP BV et EUROPE WATCH GROUP II BV de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ; - Dire qu'aucun acte de contrefaçon de marque ne peut être reproché à la société TIME AND DIAMONDS du fait de l'exploitation de la marque CLUELESS faute de risque de confusion avec les marques CLUSE revendiquées ; - Dire qu'aucun acte de contrefaçon de marque ne peut être reproché à Mme [V] [H] du fait du dépôt de la marque française CLUELESS numéro 4351010 faute de risque de confusion avec les marques CLUSE revendiquées ; - Débouter les sociétés EUROPE WATCH GROUP II et EUROPE WATCH GROUP BV de toutes leurs demandes au titre de la contrefaçon de marques y compris leurs demandes indemnitaires; - Débouter les sociétés EUROPE WATCH GROUP BV et EUROPE WATCH GROUP II BV de toutes leurs au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, y compris leurs demandes indemnitaires : - Débouter les sociétés EUROPE WATCH GROUP BV et EUROPE WATCH GROUP II BV de l'ensemble de leurs demandes complémentaires y compris d'exécution provisoire ; - Condamner solidairement les sociétés EUROPE WATCH GROUP BV et EUROPE WATCH GROUP II BV à verser à la société TIME AND DIAMONDS la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; - Condamner solidairement les sociétés EUROPE WATCH GROUP BV et EUROPE WATCH GROUP II BV à verser à Mme [V] [H] la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; - Condamner solidairement les sociétés EUROPE WATCH GROUP BV et EUROPE WATCH GROUP II BV aux entiers dépens. 7. L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 9 décembre 2021 et l'affaire plaidée à l'audience du 23 juin 2022. MOTIFS DE LA DÉCISION 1o) Sur la contrefaçon de marques Moyens des parties 8. Les sociétés Europe Watch Group soutiennent que le risque de confusion, apprécié globalement, est inévitable ici, et d'ailleurs avéré, vu l'identité des produits et la similarité des signes. Elles font ainsi valoir que les produits couverts par l'enregistrement de la marque CLUELESS sont similaires voire identiques à ceux désignés par l'enregistrement des marques CLUSE. Elles font également valoir que les deux signes "CLUSE" et "CLUELESS" sont visuellement et phonétiquement proches, sans qu'une signification conceptuelle puisse les différencier. En particulier, elles soutiennent que les deux termes seront prononcés de la même manière par un consommateur français et relèvent surtout que l'attaque des deux mots étant identique et l'intégralité des lettres du signe des demanderesses étant repris dans celui des défenderesse, le risque de confusion est caractérisé. Elles invoquent à cet égard la confusion faite par deux clientes ayant acquis des montres "Clueless", l'une en proposant la revente comme montre de marque "Cluse" et la seconde s'adressant au service après-vente "Cluse" pour se plaindre de la mauvaise qualité du bracelet. 9. Les défenderesses contestent cette analyse et soutiennent qu'une appréciation globale des signes en comparaison permet de conclure à une absence de risque de confusion. En effet, si les produits en cause sont bien identiques, la société TAD et Mme [H] relèvent que les deux mots sont d'une longueur différente et composés de lettres différentes, tandis qu'une similarité entre eux ne peut pas être déduite de la seule identité de leurs trois premières lettres, ce d'autant moins que le consommateur français ne les prononcera pas de la même manière, tandis qu'aucun des deux signes n'a selon elles de signification incontestable qui permettrait de les rapprocher. Réponse du tribunal 10. Aux termes de l'article 9 "Droit conféré par la marque de l'Union européenne" du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne (rédigé en termes en substance identiques à l'article 10 de la Directive 2015/2436 rapprochant les législations sur les marques): "1. L'enregistrement d'une marque de l'Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif. 2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque : (...) b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque ; (...) 3. Il peut notamment être interdit, en vertu du paragraphe 2: a) d'apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement; b) d'offrir les produits, de les mettre sur le marché ou de les détenir à ces fins sous le signe, ou d'offrir ou de fournir des services sous le signe; c) d'importer ou d'exporter les produits sous le signe; (...)." 11. Afin d'apprécier le degré de similitude existant entre les signes en conflit, il y a lieu de déterminer leur degré de similitude visuelle, phonétique et conceptuelle et, le cas échéant, d'évaluer l'importance qu'il convient d'accorder à ces différents éléments, en tenant compte de la catégorie de produits ou de services en cause ou des conditions dans lesquelles ils sont commercialisés (arrêts du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, C-342/97, point 27, et du 12 juin 2007, OHMI/Shaker, C-334/05 P, point 36 ; et récemment arrêt du 4 mars 2020, Equivalenza Manufactory SL, C-328/18 P, point 68). 12. Il n'est pas contesté que les produits couverts par les marques en litige sont au moins pour partie identiques s'agissant dans les deux cas de produits d'horlogerie et en particulier de montres. Les produits sont donc fortement similaires et le public pertinent d'attention moyenne à élevée. 13. Visuellement, les signes "Cluse" et "Clueless" partagent incontestablement la même attaque "CLU" et, ainsi que le relèvent à juste titre les sociétés demanderesses, la partie initiale des marques verbales peut être susceptible de retenir l'attention du consommateur davantage que les parties suivantes (voir par exemple les arrêts du tribunal du 17 mars 2004, El Corte Inglés/OHMI – [J] [G] et Iberia Líneas Aéreas de España (MUNDICOR), aff. T-183/02 et T-184/02, Rec. p. II-965, point 81, du 16 mars 2005, L'Oréal/OHMI – Revlon (FLEXI AIR), T-112/03, points 64 et 65, du 13 février 2008, Sanofi-Aventis SA,/ OHMI - GD Searle LLC (URION /ATURION), aff. T146/06, point 49). En outre, si le consommateur français prononcera sans doute cette attaque [kly] s'agissant de la marque "Cluse" et [klu] s'agissant de la marque "Clueless", dès lors qu'il percevra immédiatement qu'il s'agit d'un terme de la langue anglaise, le public pertinent du reste de l'Union prononcera lui l'attaque des deux signes de la même manière à savoir [klu]. 14. Ceci étant, les signes se distinguent visuellement par l'ajout de 3 lettres dans la marque "Clueless", ce qui en modifie assez nettement l'apparence, et se distinguent surtout phonétiquement par l'ajout d'une syllabe, ici "less". Il en résulte que la ressemblance, visuelle et auditive des signes, est moyenne voire faible en dépit de l'identité de leurs 3 premières lettres. 15. Il est également rappelé que, si le consommateur moyen perçoit normalement une marque comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails, il n'en demeure pas moins que, en percevant un signe verbal, il décomposera celui-ci en des éléments verbaux qui, pour lui, suggèrent une signification concrète ou qui ressemblent à des mots qu'il connaît (voir arrêt du 13 février 2007, Mundipharma/OHMI - Altana Pharma (RESPICUR), aff. T-256/04, point 57). En l'occurrence, si le signe "Cluse" n'a apparemment pas de signification particulière, le signe "Clueless" est quand à lui un terme de la langue anglaise qui signifie "sans aucune idée", voire "confus", "perdu" et, si le public français n'attribuera pas nécessairement immédiatement à ce signe son sens exact, il comprend qu'il s'agit d'un terme de langue anglaise, renvoyant littéralement, par l'ajout du suffixe "less" au terme "clue", à l'absence d'indice. Les signes "Cluse" et "Clueless" sont donc conceptuellement distincts. 16. Il en résulte que le public pertinent, d'attention moyenne à élevée, en dépit de l'identité des produits, ne sera pas amené à leur attribuer une origine commune en raison de la faible ressemblance des signes dont ils sont revêtus et plus particulièrement en raison de leurs différences auditive et conceptuelle. Le risque de confusion apparaît donc exclu et les deux événements rapportés par les sociétés demanderesses apparaissent susceptibles d'avoir d'autres causes qu'une réelle confusion entre les signes par les consommateurs au moment de l'achat des produits. 17. La contrefaçon de marques n'étant pas caractérisée, toutes les demandes présentées à ce titre (interdiction, rappel des produits, communication forcée de pièces, annulation de la marque "Clueless", radiation de nom de domaine, paiement de dommages-intérêts) ne peuvent qu'être rejetées. 2o) Sur la concurrence déloyale et paratisaire Moyens des parties 18. Les sociétés demanderesses reprochent à la société TAD d'avoir repris de manière quasi identique 5 montres, parmi les plus caractéristiques et "emblématiques" des collections commercialisées sous leur marque "CLUSE". Les sociétés Europe Watch Group fondent également leurs demandes en concurrence déloyale et parasitaire sur la reprise par la société TAD d'éléments de communication, à savoir 6 visuels publiés sur leur compte Instagram repris à l'identique sur le compte Instagram "Clueless" après modification des produits présentés. 19. La société TAD conclut au rejet des demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire soutenant que, si les produits qu'elle-même commercialise ressemblent à ceux des sociétés Europe Watch Group, c'est parce que leurs produits s'inscrivent dans une même tendance de la mode horlogère, reprise par de nombreux autres opérateurs économiques, celle des montres de poignet "vintage" à boîtier rond ou carré et bracelet en maille milanaise (effet côte de maille), que les sociétés demanderesses ne sauraient s'approprier. La société TAD ajoute avoir exposé ses propres frais de promotion de ses produits et soutient que les sociétés demanderesses ne détiennent aucun droit privatif sur les photographies qu'elles lui reprochent d'avoir reprises. Réponse du tribunal 20. Selon les articles 1240 et 1241 du code civil « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. » 21. La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, qui implique qu'un signe ou un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute, laquelle peut être constituée par la création d'un risque de confusion. L'appréciation de cette faute doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté de l'usage, l'originalité et la notoriété du produit copié. 22. Le parasitisme, qui n'exige pas de risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et sans bourse délier des investissements, d'un savoir-faire ou d'un travail, produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel. Il incombe à celui qui allègue de parasitisme d'établir le savoir-faire ainsi que les efforts humains et financiers consentis par lui, ayant permis la création d'une valeur économique individualisée. 23. Force est en l'occurrence de constater que les sociétés demanderesses n'établissent (ni d'ailleurs n'allèguent), que les 5 montres "copiées" par la société TAD seraient particulièrement originales ou particulièrement anciennes, s'agissant de créations datées de 2015 et 2018. Les deux parties commercialisent en outre une gamme bien plus vaste de produits, les sociétés Europe Watch Group revendiquant la commercialisation de 122 produits, et la société TAD 555 références. En outre, les sociétés Europe Watch Group ne caractérisent pas en quoi ces 5 modèles bénéficieraient d'une notoriété particulière ou encore représenteraient une valeur économique individualisée, leur propre communication sur Instagram concernant ces produits n'apparaissant de ce chef pas particulièrement convaincante, en l'absence d'autres éléments démontrant les investissements spécialement consacrés à ces 5 modèles de montres ou encore leur part dans le chiffre d'affaires de 69 millions d'euros réalisé en 2017 sur la vente de montres, qui est invoqué au titre de leur préjudice. Il en résulte que la "copie", qui n'est au demeurant pas servile, des modèles Boho Chic, Tetragonne et Triomphe, ne saurait en elle-même être constitutive d'un agissement parasitaire ou déloyal. 24. En revanche, la reprise de 6 visuels divulgués et exploités par les sociétés demanderesses, révélateurs de leur univers, pour présenter (manifestement par des retouches réalisées sur ces photographies) des montres similaires aux leurs, caractérise la volonté de la société TAD, tout à la fois de créer un risque de confusion entre ses produits et ceux de la marque "Cluse", et de tirer partie sans bourse délier des investissements promotionnels sur les réseaux sociaux des sociétés Europe Watch Group, ce qui caractérise l'existence d'une faute de concurrence déloyale et parasitaire. 25. Une telle faute cause nécessairement un préjudice aux sociétés demanderesses (Cass. Com., 12 févr. 2020, pourvoi no 17-31.614) dont une part des investissements publicitaires est ainsi captée et qui subissent le risque qu'une partie de leur clientèle se détourne. Ce préjudice sera réparé par le versement de la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts, cette somme, au paiement de laquelle sera condamnée la société TAD, prenant en compte l'importance de la communication digitale pour les deux parties qui commercialisent leurs produits principalement sur internet auprès d'une clientèle plutôt jeune. Le préjudice apparaissant ainsi suffisamment réparé, la demande de publication de la présente décision sera rejetée. 26. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société TAD sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer aux sociétés Europe Watch Group la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, cette somme tenant compte du fait que ces parties perdent sur l'essentiel de leurs demandes, tandis qu'il n'apparaît pas inéquitable ici que Mme [H] conserve la charge de ses frais irrépétibles. 27. Aucune circonstance ne justifie enfin d'écarter l'exécution provisoire de droit dont est assortie la présente décision conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS Le tribunal, REJETTE les demandes des sociétés Europe Watch Group et Europe Watch Group II fondées sur la contrefaçon des marques de l'Union Européenne "CLUSE" no12849361 et no15833858 (interdiction, rappel des produits, communication forcée de pièces, annulation de la marque "Clueless", radiation de nom de domaine, paiement de dommages-intérêts); CONDAMNE la société Time And Diamond à payer à la société Europe Watch Group la somme de 15.000 euros en réparation du préjudice causé par les faits de concurrence déloayale et parasitaire résultant de la reprise de 6 visuels lui appartenant ; REJETTE la demande de publication de la présente décision ; CONDAMNE la société Times And Diamonds aux dépens ; CONDAMNE la société Time And Diamond à payer à la société Europe Watch Group la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; DÉBOUTE Mme [V] [H] épouse [B] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; RAPPELLE que la présente décision est de plein droit assortie de l'exécution provisoire.Fait et jugé à Paris le 25 Octobre 2022. La Greffière La Présidente
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JURITEXT000047304646
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 7 novembre 2022, 22/56579
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2022-11-07
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Tribunal judiciaire de Paris
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22/56579
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CT0087
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS No RG 22/56579 - No Portalis 352J-W-B7G-CXCTI FMNo : 1 Assignation du :07 Juin 2022 ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ rendue le 07 novembre 2022 par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal, Assistée de Flore MARIGNY, Faisant fonction de Greffier. DEMANDERESSE Association QUALIFELEC[Adresse 1][Localité 3] représentée par Maître Charlotte ABATI de la SELARL AYRTON AVOCATS, avocats au barreau de PARIS - #C1289 DEFENDERESSE S.A.S. MD FIBRE[Adresse 4][Localité 2] non comparante DÉBATS A l'audience du 03 Octobre 2022, tenue publiquement, présidée par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe, assistée de Flore MARIGNY, Faisant fonction de Greffier, Nous, Président, Après avoir entendu les conseils des parties, Vu l'assignation en référé introductive d'instance, délivrée le 07 juin 2022, et les motifs y énoncés, EXPOSÉ DU LITIGE : 1. L'association QUALIFELEC (Association Professionnelle et Technique de Qualification des Entreprises du Génie Electrique, Energétique et Numérique), créée en 1955 sous l'impulsion des pouvoirs publics et de représentants de la filière électrique, a pour mission, notamment, la promotion de la qualité des prestations des professionnels de l'électricité par l'attribution, à la demande des entreprises de ce secteur, de qualifications "QUALIFELEC". L'association est accréditée par le COFRAC en tant qu'organisme de qualification et expose que sa mission est de permettre aux particuliers, aux maîtres d'oeuvre et aux bureaux d'études, de choisir en toute confiance le professionnel électricien compétent et adapté à leurs besoins pour sécuriser l'exécution de leurs travaux. 2. L'association est titulaire de la marque semi-figurative collective française "QE Qualifelec" no1609713, déposée le 13 février 1990 et régulièrement renouvelée pour désigner les produits et services des classes 9,11, 35, 37, 38 et 42 : 3. La société MD Fibre, dont le siège est situé, selon son extrait de récépissé [Adresse 4]) a pour activité déclarée l'installation, la réparation et la maintenance de fibre optique et de réseau informatique. 4. L'association QUALIFELEC fait valoir que cette société, qui n'a jamais été qualifiée par elle, a reproduit sa marque sur des documents supposés attester de sa qualification (certificat et facture) adressés le 20 avril 2022 à l'association Avere France, et qu'une plainte pénale a d'ailleurs été déposée contre cette société MD Fibre. 5. Par acte d'huissier du 7 juin 2022, l'association QUALIFELEC a fait assigner la société MD Fibre devant le délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris, statuant en référé en contrefaçon vraisemblable de marque. Aux termes de son assignation, l'association QUALIFELEC demande au juge des référés de : - Constater que le logo et la marque QUALIFELEC figurent sur les documents transmis par la société MD Fibre auprès de tiers à une date où cette société ne dispose pas de droit sur cette marque, - Constater que la société MD Fibre porte une atteinte vraisemblable aux droits de l'association QUALIFELEC sur sa marque nationale collective semi-figurative no1609713, En conséquence : - Interdire à la société MD Fibre la poursuite des actes de contrefaçon sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée et sur tout support, après un délai de trois jours à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir, - Condamner la société MD Fibre aux dépens ainsi qu'au paiement de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens. 6. A l'audience du 3 octobre 2022, le conseil de l'association QUALIFELEC a réitèré oralement les termes de son assignation. Bien que régulièrement citée par dépôt de l'acte à l'étude (l'adresse étant confirmée par la société de domiciliation Idom You qui refuse de recevoir l'acte), personne n'a comparu pour la société MD Fibre. La présente ordonnance est réputée contradictoire. MOTIFS DE l'ORDONNANCE 7. En application de l'article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée. 8. Aux termes de l'article L.716-4-6 du code de la propriété intellectuelle, "Toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l'encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d'actes argués de contrefaçon. (...) Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à ses droits ou qu'une telle atteinte est imminente. La juridiction peut interdire la poursuite des actes argués de contrefaçon, la subordonner à la constitution de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du demandeur ou ordonner la saisie ou la remise entre les mains d'un tiers des produits soupçonnés de porter atteinte aux droits conférés par le titre, pour empêcher leur introduction ou leur circulation dans les circuits commerciaux. (...) Lorsque les mesures prises pour faire cesser une atteinte aux droits sont ordonnées avant l'engagement d'une action au fond, le demandeur doit, dans un délai fixé par voie réglementaire, soit se pourvoir par la voie civile ou pénale, soit déposer une plainte auprès du procureur de la République. A défaut, sur demande du défendeur et sans que celui-ci ait à motiver sa demande, les mesures ordonnées sont annulées, sans préjudice des dommages et intérêts qui peuvent être réclamés." 9. Le caractère vraisemblable de l'atteinte alléguée dépend, d'une part, de l'apparente validité du titre sur lequel se fonde l'action et, d'autre part, de la vraisemblance de la contrefaçon alléguée. 10. Selon l'article L. 715-6 (auparavant L. 715-1) du code de la propriété intellectuelle, "Une marque collective est une marque ainsi désignée lors de son dépôt et propre à distinguer les produits ou les services des personnes autorisées à l'utiliser en vertu de son règlement d'usage." L'article L. 715-7 du même code prévoit que "Peut déposer une marque collective toute association ou tout groupement doté de la personnalité morale représentant des fabricants, des producteurs, des prestataires de services ou des commerçants, ainsi que toute personne morale de droit public. Le dépôt d'une demande d'enregistrement de marque collective est accompagné d'un règlement d'usage. Toute modification ultérieure du règlement d'usage est portée à la connaissance de l'Institut national de la propriété industrielle." 11. Aux termes de l'article L.716-4 du code de la propriété intellectuelle, l'atteinte portée au droit du titulaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits attachés à la marque la violation des interdictions prévues aux articles L. 713-2 à L. 713-3-3 et au deuxième alinéa de l'article L. 713-4. L'article L.713-2 du code de la propriété intellectuelle dispose qu'est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services: 1o D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée; 2o D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque. 12. L'expression « usage dans la vie des affaires », qui figure dans la disposition précitée, implique que les droits exclusifs conférés par une marque ne peuvent en principe être invoqués par le titulaire de cette marque que vis-à-vis des opérateurs économiques et, en conséquence, que dans le contexte d'une activité commerciale (CJUE, 12 juillet 2011, C-324/09, L'Oréal e.a., point 54 ; CJUE, 30 avril 2020, C-772/18, A c/ B, point 23). Toutefois, si les opérations effectuées dépassent, en raison de leur volume, de leur fréquence ou d'autres caractéristiques, la sphère d'une activité privée, celui qui les accomplit se place dans le cadre de la vie des affaires (CJUE, 12 juillet 2011, L'Oréal e.a., C-324/09, point 55 ; CJUE, 30 avril 2020, C-772/18, A c/ B, point 23). 13. L'association QUALIFELEC justifie ici de ses droits sur la marque collective française no1609713, par la production du certificat d'enregistrement de la marque délivré par l'INPI et ses déclarations de renouvellement effectuées les 8 octobre 2009 et 13 février 2020. Cette marque désigne de nombreux produits et services en rapport avec les travaux électriques du bâtiment et en particulier ceux relatifs aux conduits et raccordements électriques. Sont également produites les "Règles de fonctionnement" relatives à la marque collective "QE Qualifelec". 14. Aucun moyen n'est opposé en défense de nature à caractériser que la marque opposée, qui est en vigueur, ne serait manifestement pas valable. 15. Il est en outre constaté que la société MD Fibre a transmis à l'association Avere France, aux fins de remboursement à ses clients d'une part des travaux qu'elle réalise au moyen du versement d'une prime, un courriel, un certificat de qualification ainsi qu'une facture (pièces Qualifelec no3, 4, 6 et 7), reproduisant tous à l'identique la marque "QE Qualifelec" et ce, pour désigner les services d'installations électriques (en particulier les services d'infrasctructures de recharge des véhicules électriques IRVE), alors que cette société ne bénéficie d'aucune certification. 16. Cette reproduction de la marque à l'identique pour désigner, dans la vie des affaires (cet usage visant pour elle à obtenir des marchés), des services identiques à ceux figurant à l'enregistrement, caractérise la contrefaçon vraisemblable par imitation de la marque no1609713. Il sera donc fait interdiction à la société MD Fibre, dans les termes du dispositif de la présente ordonnance, de faire usage, de quelque manière que ce soit, pour désigner son activité, de tout signe reproduisant ou imitant cette marque. 17. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société MD Fibre sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à l'association QUALIFELEC la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS Le juge des référés, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par ordonnance réputée contradictoire et en premier ressort, Dit que la société MD Fibre a commis des actes de contrefaçon vraisemblable de la marque semi-figurative collective française "QE Qualfelec" no1609713 ; Fait interdiction à la société MD Fibre de faire usage dans la vie des affaires, de quelque manière que ce soit, pour identifier les services qu'elle propose d'installations électriques et en particulier les services de pose d'infrasctructures de recharge des véhicules électriques, de tout signe reproduisant ou imitant la marque semi-figurative collective française no1609713, et ce, sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée (c'est à dire par usage du signe "QE Qualifelec"), courant à l'expiration d'un délai de 10 jours suivant la signification de la présente décision et pendant 180 jours ; Condamne la société MD Fibre aux dépens, Condamne la société MD Fibre à payer à l'association QUALIFELEC la somme de 2.500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, Rappelle que la présente ordonnance est exécutoire de plein droit par provision. Fait à Paris le 07 novembre 2022. Le Greffier, Le Président, Flore MARIGNY Nathalie SABOTIER
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JURITEXT000047304647
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 7 novembre 2022, 22/51514
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2022-11-07
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Tribunal judiciaire de Paris
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22/51514
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CT0087
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS No RG 22/51514 - No Portalis 352J-W-B7G-CVYIP FMNo : 2 Assignation du :06 Janvier 2022 ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ rendue le 07 novembre 2022 par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal, Assistée de Flore MARIGNY, Faisant fonction de Greffier. DEMANDERESSES Société SHARK ROBOTICS[Adresse 4][Localité 2] représentée par Me Marguerite DE PRÉMOREL-HIGGONS, avocat au barreau de PARIS - #W0007 Société ELWEDYS[Adresse 4][Localité 2] représentée par Me Marguerite DE PRÉMOREL-HIGGONS, avocat au barreau de PARIS - #W0007 DEFENDERESSE S.A.S. ANGATEC[Adresse 1][Localité 3]/FRANCE représentée par Maître Charles-antoine JOLY de la SELAS DS AVOCATS, avocats au barreau de PARIS - #T007 DÉBATS A l'audience du 03 octobre 2022, tenue publiquement, présidée par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe, assistée de Flore MARIGNY, Faisant fonction de Greffier, Après avoir entendu les conseils des parties, EXPOSÉ DU LITIGE : 1. La société Shark Robotics se présente comme spécialisée dans la conception et la fabrication de robots terrestres destinés à assister l'homme au cours de différentes missions Elle exploite notamment les brevets dont est propriétaire la société Elwedys et en particulier les demandes de brevets suivants : - la demande de brevet français no FR 2 101 454 déposée le 16/02/2021 et ayant pour titre "Robot equipé d'un dispositif agencé pour recevoir des capteurs de grandeurs physiques et transmettre des informations relatives aux grandeurs physiques" publiée le 19/08/2022 (BOPI 2022-33), - la demande de brevet français no FR 2 111 102 déposée le 19/10/2021 et qui se veut une demande complémentaire de la précédente, ayant le même titre ("Robot equipé d'un dispositif agencé pour recevoir des capteurs de grandeurs physiques et transmettre des informations relatives aux grandeurs physiques") et la même date de publication au BOPI : 19/08/2022 (BOPI 2022-33), - la demande de brevet français no FR 2 108 020 déposée le 23 juillet 2021 intitulée "Dispositif de distribution d'oxygène sur un lieu d'intervention" laquelle n'a pas été publiée à ce jour. 2. La société Angatec se présente quant à elle comme spécialisée dans la conception de robots d'assistance opérationnelle et de lutte contre l'incendie. 3. Soupçonnant que des modules complémentaires du robot TEC 800 de la société Angatec reproduisait les revendications des demandes de brevets précitées, les sociétés Elwedys et Shark Robotics l'ont, par une lettre du 2 novembre 2021, mise en demeure de cesser d'offrir à la vente ces produits, ce à quoi la société Angatec opposait un refus qu'elles qualifient de "véhément". 4. C'est dans ce contexte que les sociétés Elwedys et Shark Robotics ont, par acte d'huissier du 6 janvier 2022, fait assigner la société Angatec devant le délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris aux fins qu'il ordonne, sous astreinte, à cette société, de cesser tout acte de fabrication, de promotion, de distribution ou de commercialisation de ses dispositifs Air Tank Support et Support for sensor devices, ou de tout autre produit ou dispositif contrefaisant les demandes de brevets FR2101454, FR2111102 et FR2108020, dès le prononcé de l'ordonnance à intervenir. 5. Après plusieurs renvois, l'affaire a finalement été appelée à l'audience du 3 octobre 2022, à laquelle les sociétés Elwedys et Shark Robotics demandent au juge des référés, à titre principal, de surseoir à statuer dans l'attente de la délivrance des brevets et, subsidiairement, d'ordonner, sous astreinte, à cette société, de cesser tout acte de fabrication, de promotion, de distribution ou de commercialisation de ses dispositifs Air Tank Support et Support for sensor devices, ou de tout autre produit ou dispositif contrefaisant les demandes de brevets FR2101454, FR2111102 et FR2108020, dès le prononcé de l'ordonnance à intervenir. Elles sollicitent également la condamnation de la société Angatec à leur payer la somme de 50.000 euros à titre de provision à valoir sur la réparation de leur préjudice, la "saisie" de tous les dispositifs contrefaisants et de tout document en lien avec l'exploitation de ces dispositifs. Les sociétés Elwedys et Shark Robotics sollicitent encore la condamnation de la société Angatec au paiement de la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 6. Elles soutiennent avoir régulièrement notifié les demandes de brevets, par notification entre avocats le 20 janvier 2022, puis par acte d'huissier le 29 juillet 2022, de sorte que la contrefaçon est selon elles a minima établie à compter de cette dernière date. 7. A l'audience du 3 octobre 2022, la société Angatec conclut à l'irrecevabilité des demandes, les demandes de brevets qui lui sont opposées ne lui ayant jamais été régulièrement notifiées. Subsidiairement, elle conclut au sursis à statuer ainsi qu'au rejet des demandes rappelant qu'elle n'a pu contrefaire un brevet dont elle n'avait pas connaissance, tandis que la prétendue contrefaçon n'est démontrée par aucun élément sérieux (ici des extraits de comptes Linkedin et Twitter). Elle sollicite également la condamnation des sociétés demanderesses à lui payer la somme de 25.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, ainsi que 17.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. MOTIFS DE LA DÉCISION 8. Selon l'article L. 611-1 du code de la propriété intellectuelle, "Toute invention peut faire l'objet d'un titre de propriété industrielle délivré par le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle qui confère à son titulaire ou à ses ayants cause un droit exclusif d'exploitation. La délivrance du titre donne lieu à la diffusion légale prévue à l'article L. 612-21." En outre, il résulte de l'article L. 613-1 de ce même code, que "Le droit exclusif d'exploitation mentionné à l'article L. 611-1 prend effet à compter du dépôt de la demande." Aux termes de l'article L. 615-4 "Par exception aux dispositions de l'article L. 613-1, les faits antérieurs à la date à laquelle la demande de brevet a été rendue publique en vertu de l'article L. 612-21 ou à celle de la notification à tout tiers d'une copie certifiée de cette demande ne sont pas considérés comme ayant porté atteinte aux droits attachés au brevet.(...) Le tribunal saisi d'une action en contrefaçon sur le fondement d'une demande de brevet surseoit à statuer jusqu'à la délivrance du brevet." 9. En outre, l'article L. 615-3 du code de la propriété intellectuelle prévoit que "Toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l'encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d'actes argués de contrefaçon. (...) Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à ses droits ou qu'une telle atteinte est imminente. La juridiction peut interdire la poursuite des actes argués de contrefaçon, la subordonner à la constitution de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du demandeur ou ordonner la saisie ou la remise entre les mains d'un tiers des produits soupçonnés de porter atteinte aux droits conférés par le titre, pour empêcher leur introduction ou leur circulation dans les circuits commerciaux. (...) Elle peut également accorder au demandeur une provision lorsque l'existence de son préjudice n'est pas sérieusement contestable. (...)" 10. Cette dernière disposition réalise la transposition en droit interne de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, qui prévoit à son article 9 "Mesures provisoires et conservatoires" que : "1. Les États membres veillent à ce que les autorités judiciaires compétentes puissent, à la demande du requérant: a) rendre à l'encontre du contrevenant supposé une ordonnance de référé visant à prévenir toute atteinte imminente à un droit de propriété intellectuelle, à interdire, à titre provisoire et sous réserve, le cas échéant, du paiement d'une astreinte lorsque la législation nationale le prévoit, que les atteintes présumées à ce droit se poursuivent, ou à subordonner leur poursuite à la constitution de garanties destinées à assurer l'indemnisation du titulaire du droit; (...) 3. Les autorités judiciaires sont habilitées, dans le cadre des mesures visées aux paragraphes 1 et 2, à exiger du requérant qu'il fournisse tout élément de preuve raisonnablement accessible afin d'acquérir avec une certitude suffisante la conviction qu'il est le titulaire du droit et qu'il est porté atteinte à son droit ou que cette atteinte est imminente. (...)" Ces dispositions de la directive sont précédées d'un "considérant" no22 selon lequel "Il est également indispensable de prévoir des mesures provisoires permettant de faire cesser immédiatement l'atteinte sans attendre une décision au fond, dans le respect des droits de la défense, en veillant à la proportionnalité des mesures provisoires en fonction des spécificités de chaque cas d'espèce, et en prévoyant les garanties nécessaires pour couvrir les frais et dommages occasionnés à la partie défenderesse par une demande injustifiée. Ces mesures sont notamment justifiées lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au titulaire d'un droit de propriété intellectuelle.La demande est recevable ici à compter du 29 juillet 2022 date de la notificaton de la copie certifiée des demandes de brevets en litige." 11. Il est en l'occurrence sollicité un sursis à statuer "à titre principal". 12. Il est à cet égard rappelé que l'article L.615-4 du code de la propriété intellectuelle, seul applicable ici, vise « le tribunal ». Ce terme est générique et ne crée en lui-même aucune dérogation aux pouvoirs respectifs des différentes formations du tribunal. 13. Or, ainsi qu'il a été rappelé, les pouvoirs du juge des référés en matière de contrefaçon ne sont conçus que pour faire cesser immédiatement une atteinte vraisemblable, en veillant au caractère proportionné des mesures qu'il ordonne à cette fin. 14. Le sursis à statuer, quant à lui, est une exception de procédure qui relève de la compétence, non pas du "tribunal", mais du juge de la mise en état, ce dont il se déduit que l'application du dernier alinéa de l'article L.615-4 du code de la propriété intellectuelle (qui plus est lorsqu'il est sollicité à titre principal par le demandeur lui-même) ne se conçoit que dans le cadre d'une action au fond. 15. En outre, les mesures sollicitées, désormais à titre subsidiaire, apparaissent disproportionnées, la date alléguée de découverte des faits qui est concomitante des dépôts rendant douteuse la vraisemblance de la contrefaçon, ainsi que le relève à juste titre la société défenderesse. Il est par ailleurs observé, à titre surabondant, que les rapports de recherche établis dans le cadre des deux demandes publiées concluent à l'absence d'activité inventive de l'ensemble des revendications des demandes de brevets FR'454 et FR'102. 16. Il ne peut donc qu'être dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes, aussi bien de sursis à statuer qu'aux fins de mesures d'interdiction. 17. La société Angatec, qui ne caractérise pas autre chose qu'une mauvaise appréciation de leurs droits par les sociétés Elwedys et Shark Robotics (personnes distinctes de leur dirigeant ayant frauduleusement selon elle déposé la marque "Angatec"), sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive. 18. En revanche, parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, les sociétés Elwedys et Shark Robotics supporteront les dépens et seront condamnées à payer à la société Angatec la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS, Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort, Le juge des référés, Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes des sociétés Elwedys et Shark Robotics ; Rejette la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive présentée par la société Angatec ; Condamne les sociétés Elwedys et Shark Robotics aux dépens ; Condamne les sociétés Elwedys et Shark Robotics à payer à la société Angatec la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; Rappelle que la présente décision est de plein droit assortie de l'exécution provisoire. Fait à Paris le 07 novembre 2022. Le Greffier, Le Président, Flore MARIGNY Nathalie SABOTIER
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JURITEXT000047304648
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 8 novembre 2022, 20/03744
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2022-11-08
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/03744
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CT0087
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 20/03744 - No Portalis 352J-W-B7E-CSAM5 No MINUTE : Assignation du :06 et 29 mai 2020 JUGEMENT rendu le 08 novembre 2022 DEMANDERESSE Association FEDERATION FRANCAISE DE TENNIS[Adresse 4][Localité 5] représentée par Maître Louis DE GAULLE de la SELAS DE GAULLE FLEURANCE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #K0035 et par Maître Serge LEDERMAN de la SELAS DE GAULLE FLEURANCE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0035 DÉFENDERESSES Société VIAGOGO AG[Adresse 1][Localité 2] (SUISSE) Société VIAGOGO ENTERTAINMENT INC.[Adresse 3][Adresse 7] (ETATS-UNIS) représentées par Maîtres Diane MULLENEX et Mélina WOLMAN du PARTNERSHIPS PINSENT MASONS FRANCE LLP, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0020 COMPOSITION DU TRIBUNAL Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeArthur COURILLON-HAVY, jugeLinda BOUDOUR, juge assistés de Lorine MILLE, greffière, DEBATS A l'audience du 29 juin 2022, tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 11 octobre 2022 et prorogé en dernier lieu au 08 novembre 2022. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE 1. La Fédération Française de Tennis (ci-après FFT), est une association régie par les dispositions de la loi du 1er juillet 1901. En tant que fédération sportive agréée conformément aux dispositions du code du sport, elle a pour mission d'organiser les compétitions de tennis sur le territoire national, d'assurer et de contrôler le développement de ce sport en France. Dans ce cadre, elle organise annuellement un tournoi de tennis se déroulant à [Localité 8] entre les mois d'octobre et de novembre dénommé "Rolex [Localité 8] Masters" (ou encore "Masters de [Localité 8] [Adresse 6]"). En tant qu'organisatrice de cette manifestation sportive, la FFT revendique la propriété des droits d'exploitation portant sur ce tournoi. 2. La société de droit américain Viagogo Entertainment exploite le site internet accessible à l'adresse <www.viagogo.com> ainsi que ses extensions internationales, tandis que la société de droit suisse Viagogo AG exploite le site internet accessible à l'adresse <www.viagogo.fr>. Elles présentent le site "Viagogo" comme hébergeant une plateforme offrant des services de vente directe ou de mise en relation d'acheteurs et de vendeurs de billets d'accès à des manifestations sportives ou culturelles. 3. En octobre 2019, la FFT expose avoir découvert que les sociétés Viagogo commercialisaient sur leur plateforme des billets d'accès à l'édition 2019 des "Rolex [Localité 8] Masters", ce qu'elle a fait constater par un huissier de justice le 11 octobre 2019, l'huissier constatant l'offre à la vente de billets, ces derniers ne pouvant toutefois être acquis par un internaute français (au moyen d'une adresse IP française) un achat n'étant possible qu'au moyen d'unVPN. 4. Aussi, la FFT a-t'elle fait assigner ces sociétés en référé à heure indiquée devant le délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris, lequel a, par une ordonnance du 25 octobre 2019, ordonné aux sociétés Viagogo de cesser la commercialisation des billets litigieux et de fournir certaines informations relatives à l'origine des billets litigieux et à l'ampleur de leur commercialisation. Les sociétés Viagogo ont interjeté appel de cette décision le 23 janvier 2020 mais n'ayant exécuté que leurs obligations pécuniaires à l'exclusion de l'injonction de communiquer certaines pièces, leur appel a été radié le 28 octobre 2020. 5. Puis, par actes d'huissier en dates respectivement des 06 et 29 mai 2020 , la FFT a fait assigner la société Viagago AG et la société Viagogo Entertainment afin d'obtenir leur condamnation au paiement de diverses sommes en réparation de l'atteinte au monopole d'exploitation qu'elle détient sur les "Rolex [Localité 8] Masters", ainsi qu'en réparation de leurs agissements déloyaux et parasitaires. 6. Par une ordonnance du 13 avril 2021, le juge de la mise en état a rejeté la demande de communication d'informations présentée par la FFT au visa des articles 132 et suivants du code de procédure civile les pièces sollicitées n'apparaissant pas nécessaires à la solution du présent litige. 7. Dans ses dernières conclusions notifiées électroniquement le 11 février 2022, la FFT demande au tribunal, au visa des articles 15 de la Convention de La Haye du 15 novembre 1965, 5§3 de la Convention de Lugano, 46, 74, 688 et 789 du code de procédure civile, 4 du Règlement no864/2007, L. 333-1 du code du sport, 1240 du code civil, et L. 121-2 et L. 121-4 du code de la consommation, de : - La Dire recevable et bien fondée en ses demandes, fin, moyens et prétention et, y faisant droit : - Se déclarer incompétent pour juger l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés Viagogo ; - Juger qu'il est compétent pour trancher le présent litige et que la loi française applicable à l'ensemble des faits commis sur la plateforme "Viagogo", quiels que soient le lieu de la vente de billets d'accès, la nationalité ou le domicile de l'acheteur, l'accessibilité et la destination du site, de ses extensions et de ses offres ; A titre subsidiaire, - Juger irrecevable et à tout le moins non-fondée l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés Viagogo ; En conséquence, - Débouter les sociétés Viagogo de leur exception d'incompétence ; En tout état de cause, - Juger que, en proposant à la vente dans le monde entier des billets pour assister à l'édition 2019 du Rolex [Localité 8] Masters puis celle de 2020 sans autorisation de la FFT, les sociétés Viagogo ont violé le droit exclusif de la FFT de commercialiser la billetterie de cette compétition ; - Juger que, en proposant à la vente des billets pour assister aux édition 2019 et 2020 du Rolex [Localité 8] Masters sans autorisation de la FFT dans le monde entier, les sociétés Viagogo ont tiré illégitimement profit des investissements de la FFT et se sont ainsi rendues coupables d'actes de parasitisme au préjudice de la FFT ; - Juger que les sociétés Viagogo se sont également rendues coupables d'actes de concurrence déloyale dans le monde entier à l'occasion des éditions 2019 et 2020 du tournoi Rolex [Localité 8] Masters : " En désorganisant le réseau de distribution mis en place par la FFT; " En violant, de manière directe ou indirecte, des conditions particulières de la billetterie Rolex [Localité 8] Masters 2019 et 2020 ; " En se rendant coupables de pratiques commerciales trompeuses. En conséquence, - Condamner in solidum et à titre provisionnel la société Viagogo Entertainment INC et la société Viagogo AG à payer à la FFT la somme de 150.000 €, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la FFT du fait de l'atteinte à son droit exclusif d'exploitation imputables aux défenderesses ; - Condamner in solidum et à titre provisionnel la société Viagogo Entertainment INC et la société Viagogo AG à payer à la FFT la somme de 250.000€, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la FFT du fait des actes de parasitisme imputables aux défenderesses ; - Condamner in solidum et à titre provisionnel la société Viagogo Entertainment INC et la société Viagogo AG à payer à la FFT la somme supplémentaire de 100.000€, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la FFT du fait des actes de concurrence déloyale imputables aux défenderesses; - Ordonner aux sociétés Viagogo de communiquer à la FFT, sous astreinte de 10 000 € par jour de retard passé un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir les informations et documents suivants devant être certifiés par des commissaires aux comptes indépendants : " La quantité de billets d'accès au Rolex [Localité 8] Masters 2019 et 2020 mis en vente sur l'ensemble des extensions du site Viagogo ; " La quantité de billets d'accès au Rolex [Localité 8] Masters 2019 et 2020 vendus sur l'ensemble des extensions du site Viagogo ainsi que le chiffre d'affaires brut correspondant réalisé par elles (avant les éventuels remboursements des billets s'agissant de l'édition 2020) ; " La localisation territoriale (non pas l'intégralité de leur adresse) ou à tout le moins l'adresse de facturation déclarée par chacun des acheteurs lors de son achat en ligne et l'ouverture de son compte ; " La liste des fournisseurs des billets d'accès au tournoi (entendu comme les utilisateurs utilisant la plateforme pour revendre des billets) auprès desquels les sociétés ont obtenu illicitement ces billets revendus illégalement, le prix de revente des billet ainsi que les numéros de série. - Autoriser la FFT à faire publier le dispositif du jugement à intervenir dans cinq journaux ou revues, papier ou en ligne, au choix de la FFT, aux frais avancés des sociétés défenderesses, dans la limite de la somme de sept mille euros (7 000 €) par publication à la charge des sociétés Viagogo ; - Ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir en tête des pages d'accueil du site www.viagogo.com et de ses extensions, ou à toutes autres adresses qui leur seraient substituées, accompagné de sa traduction dans toutes les langues dans lesquelles ce site serait disponible, en caractères lisibles et noirs sur un fond blanc et sur une surface égale à au moins 30% de cette page d'accueil, pendant une durée de 3 mois dans un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et ce sous astreinte de 2 000 € par jour de retard ; - Autoriser la FFT à faire publier, pendant ce même délai, sur son propre site internet accessible à l'adresse www.fft.fr, le dispositif du jugement à intervenir en langue française et anglaise ; - Condamner in solidum la société Viagogo Entertainment INC et la société Viagogo AG à payer à la FFT la somme de quatre-vingt-cinq mille euros (85.000 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à laquelle s'ajoutera le remboursement des frais exposés pour diligenter les constats d'huissiers ; - Ordonner l'exécution provisoire de droit du jugement à intervenir en toutes ses dispositions, nonobstant appel et sans constitution garantie; - Condamner in solidum la Société Viagogo Entertainment INC et la société Viagogo AG aux entiers dépens, en ceux compris notamment les frais exposés pour la signification des actes de procédure et leur traduction dont distraction au profit de la SAS De Gaulle Fleurance et Associés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. 8. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 27 janvier 2022, les sociétés Viagogo demandent au tribunal, au visa des articleq 56 du code de procédure civile, L. 514-1 du même code, de la norme AFNOR NF Z67-147 relative au mode opératoire de procès-verbal de constat sur internet effectué par huissier de justice, de l'article 1240 du code civil, de: In limine litis, - Se déclarer incompétent au profit des juridictions du Canton de Genève et du Delaware; A titre principal - Rejeter les constats d'huissier du 11 octobre 2019 produits par la FFT ; - Rejeter les captures d'écran de la FFT ; - Débouter la FFT de l'ensemble de ses demandes ; A titre subsidiaire, - Écarter l'exécution provisoire du jugement à intervenir ; En tout état de cause, - Condamner la FFT aux entiers dépens ; - Condamner la FFT à verser à viagogo AG la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de la procédure civile. 9. L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 17 février 2022 et l'affaire plaidée à l'audience du 29 juin 2022. MOTIFS DE LA DÉCISION 1o) Sur la compétence du tribunal et la loi applicable Moyens des parties 10. La FFT rappelle que le juge de la mise en état, lorsqu'il est saisi, est seul compétent pour connaitre des exceptions d'incompétence. Elle ajoute en tout état de cause que le critère pour déterminer le tribunal compétent est l'existence d'un lien particulièrement étroit entre le lieu du dommage et le lieu de la juridiction saisie. A cet égard, elle fait valoir que l'intégralité du dommage s'est matérialisée sur le territoire français, qu'en conséquence le juge français est compétent et que la loi applicable est la loi française. 11. Les sociétés Viagogo expliquent que la seule accessibilité de la plateforme litigieuse depuis le territoire français ne suffit pas à matérialiser le dommage en France dès lors que le contenu litigieux n'était pas destiné au public français. Elles soulignent en effet que les mesures de géo-blocage appliquées à la version française de son site empêchaient non seulement l'acquisition des billets mais plus généralement la consultation des annonces litigieuses avec une adresse IP française. Elles en déduisent que le tribunal français n'est pas compétent et que la loi française n'est pas applicable au litige. Appréciation du tribunal 12. Selon l'article 789 du code de procédure civile "Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour: 1o Statuer sur les exceptions de procédure. Les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu'ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge". 13. Force est de constater que l'exception de procédure tirée de l'incompétence de ce tribunal n'a pas été soulevée par la voie de conclusions spécialement adressées au juge de la mise en état conformément aux dispositions précitées, combinées aux articles 73 et 74 du même code. L'exception de procédure tirée de l'incompétence du tribunal n'est donc plus recevable. 14. S'agissant de la détermination de la loi applicable au présent litige, il convient de se référer au Règlement (CE) no 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (dit «Rome II») dont l'objet est de déterminer des règles de conflit de lois identiques au sein de l'Union et dont l'article 4 "Règles générales" prévoit que : "1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent. 2. Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique. 3. S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question." 15. En l'occurrence, la FFT a pour activité l'organisation de tournois et d'événements liés au tennis en France ainsi que le développement de ce sport dans ce pays. Elle organise à ce titre le tournoi professionnel "Rolex [Localité 8] Masters" à [Localité 8]. Ainsi, tant l'activité générale de la FFT que le déroulement de la manifestation sportive en cause, ont lieu sur le territoire français. Le monopole dont bénéficie la FFT vise en outre la protection des licenciés français de ce sport (contre le renchérissement du coût des billets lié à leur revente) et la sécurité de ces événements (par la maîtrise de l'identité des spectateurs de l'événement). Il s'en déduit nécessairement que c'est en France que se réalise le dommage causé par la commercialisation de billets d'accès au tournoi en cause, en violation du monopole de la FFT, même si la commercialisation des billets a lieu hors de France et si l'achat d'un billet sur la plateforme litigieuse n'est en principe pas possible pour un internaute français. 16. Aucun élément ne permet de retenir que le dommage présente avec un autre pays (tel celui du siège des sociétés défenderesses) un lien plus étroit. La loi française apparaît donc applicable au présent litige. 2o) Sur le rejet des constats d'huissier en date du 11 octobre 2019 et des captures d'écran Moyens des parties 17. Les sociétés Viagogo affirment que les constats d'huissier du 11 octobre 2019 doivent être rejetés dans la mesure où l'huissier instrumentaire n'aurait pas effectué les différentes mesures définies par la norme AFNOR NF Z67-147, pensées pour assurer la force probante des constatations réalisées. Elles soulignent tout particulièrement que l'huissier n'indique pas avoir supprimé l'historique de navigation, les cookies, fichiers temporaires et données de formulaire, avant d'accéder à chacun des sites litigieux. Elles expliquent à cet égard que ces omissions sont de nature à impacter les résultats de recherche de l'huissier et donc à compromettre la fiabilité des constatations effectuées et ce, en particulier, sur le dernier site, sur lequel les billets litigieux ont été découverts. Les défenderesses exposent en outre que, s'agissant du constat réalisé à partir d'un ordinateur distant, la simple connexion à cet appareil a entrainé le téléchargement de métadonnées propres à impacter les résultats de recherche. Les sociétés Viagogo soutiennent enfin que les captures d'écran versées au débat par la FFT manquent de force probante et doivent être écartées des débats. Elles considèrent en effet que de simples captures d'écran produites sans que soit décrit le cheminement de l'internaute ne peuvent constituer une preuve valable. 18. La FFT soutient que le respect des normes AFNOR NF Z67-147 n'est pas une condition de validité des constats d'huissier. Elle rappelle à ce titre que l'appréciation de la force probante d'un constat relève de l'appréciation du tribunal. La demanderesse souligne en tout état de cause que l'huissier a, pour les deux constats, décrit le matériel informatique et le navigateur utilisé, vidé le cache du navigateur, supprimé les données de navigation, vérifié que la connexion à partir d'un serveur Proxy était désactivée, vidé la corbeille et synchronisé l'horloge. Elle en conclut que les normes en cause ont été en tous points respectées. Elle ajoute que les normes AFNOR ne doivent être respectées qu'au début des constatations et que l'huissier n'est pas contraint de réitérer ces manipulations techniques entre chacune des connexions. Elle précise également que le choix d'utiliser un VPN ou un ordinateur distant a effectivement modifié les résultats de recherche mais qu'il s'agissait là du but recherché afin de démontrer l'accessibilité des offres de billets depuis une adresse IP étrangère. S'agissant des copies d'écran, la FFT rappelle que l'appréciation de leur force probante relève des prérogatives du tribunal. A cet égard elle explique que les copies d'écran présentées sont fiables dès lors que chaque billet est accompagné d'une date précise, que les impressions d'écrans font apparaître la date et l'URL de connexion et que la FFT démontre avoir pris le soin de s'assurer qu'elle se connectait avec une adresse IP française. Appréciation du tribunal 19. En l'occurrence, le tribunal constate que l'huissier a décrit le matériel informatique et le navigateur utilisé, vidé le cache du navigateur, supprimé les données de navigation, vérifié que la connexion à partir d'un serveur Proxy était désactivée, vidé la corbeille et synchronisé l'horloge. Ces éléments permettent de garantir l'intégrité des contenus numériques téléchargés par l'huissier lors de ses opérations, tandis que les sociétés défenderesses n'offrent pas de caractériser quelle vérification manquante pourrait apparaître comme étant de nature à vicier ses opérations. Il n'y a donc pas lieu d'écarter des débats les constats d'huissier, non plus que les captures d'écrans qui toutes sont nettes et laissent clairement apparaître la date à laquelle elles ont été réalisées, ainsi que l'URL du site visité et les dates des billets offerts à la vente sur le site. En outre, la FFT a pris soin d'opérer une vérification de son adresse IP sur un site dédié, vérification dont elle produit une copie d'écran, elle aussi nette et datée. Le tribunal ne voit donc aucun motif d'écarter les pièces produites. 3o) Sur l'imputabilité des faits litigieux aux sociétés Viagogo Moyens des parties 20. La FFT soutient que les sociétés Viagogo jouent un rôle actif sur leur plateforme, de nature à leur conférer la connaissance ou le contrôle des données qui y sont stockées. Elle indique en particulier que plusieurs éléments démontrent ce rôle actif : le classement en rubriques des offres litigieuse ; la promotion réalisée sur le site ; les illustrations qui accompagnent les offres de billets ; la vente de billets en fonction des prix, des dates, de l'emplacement ; la garantie de bonne réception des billets assurée par les sociétés Viagogo ; le service de remplacement de billets au cas où le vendeur initial renoncerait à la vente ; la possibilité de procéder à un échange de billets ; la possibilité pour la plateforme de contacter spécifiquement les utilisateurs par courriel ; le fait que les sociétés Viagogo se présentent comme les interlocuteurs uniques de l'acquéreur. Surtout, la FFT rappelle que les sociétés Viagogo offraient à la vente des billets d'accès au tournoi avant même l'ouverture de la billetterie officielle, billets qui ne pouvaient donc être mis en vente par des personnes tierces. Enfin, la FFT considère que le fait que les sociétés Viagogo aient mis en place un système de géo-blocage visant les billets pour le tournoi litigieux démontre bien qu'elles avaient connaissance de ces offres. La demanderesse en conclut que les sociétés Viagogo éditent les sites en cause. 21. Les sociétés Viagogo affirment au contraire qu'elles se contentent d'héberger sur leur plateforme des offres mises en ligne par des tiers. Elles précisent que le fonctionnement de la plateforme est entièrement automatisé et ne leur confère aucune connaissance sur les offres effectivement mises en ligne et qu'une telle activité doit s'analyser en un rôle passif. Elles ajoutent que leurs conditions générales d'utilisation indiquent expressément aux internautes qu'elles n'exercent aucun contrôle sur le contenu des offres publiées. Elles déduisent de ce qui précèdent qu'elles bénéficient du statut d'hébergeur et qu'en conséquence elles ne peuvent voir leur responsabilité engagée, qu'à condition d'avoir eu connaissance des offres illicites et de ne les avoir pas promptement retirées. Or, elles estiment ne pas avoir eu connaissance des offres litigieuses et de ne pas en avoir été valablement notifiées (au sens de l'article 6-I 5o de la LCEN) par la FFT. Appréciation du tribunal 22. L'article 6-I de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN), laquelle réalise la transposition en droit interne de la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, prévoit que: "2. Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère manifestement illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible. (...) 7. Les personnes mentionnées aux 1 et 2 ne sont pas soumises à une obligation générale de surveiller les informations qu'elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites." 23. Par un arrêt du 12 juillet 2011 (aff. C-324/09, L'Oréal c/ eBay) la Cour de Justice de l'Union Européenne a dit pour droit que "L'article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (" directives sur le commerce électronique "), doit être interprété en ce sens qu'il s'applique à l'exploitant d'une place de marché en ligne lorsque celui-ci n'a pas joué un rôle actif qui lui permette d'avoir une connaissance ou un contrôle des données stockées. Ledit exploitant joue un tel rôle quand il prête une assistance laquelle consiste notamment à optimiser la présentation des offres à la vente en cause ou à promouvoir celles-ci. Lorsque l'exploitant de la place de marché en ligne n'a pas joué un rôle actif au sens visé à l'alinéa précédent et que sa prestation de service relève, par conséquent, du champ d'application de l'article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31, il ne saurait néanmoins, dans une affaire pouvant résulter dans une condamnation au paiement de dommages et intérêts, se prévaloir de l'exonération de responsabilité prévue à cette disposition s'il a eu connaissance de faits ou de circonstances sur la base desquels un opérateur économique diligent aurait dû constater l'illicéité des offres à la vente en cause et, dans l'hypothèse d'une telle connaissance, n'a pas promptement agi conformément au paragraphe 1, sous b), dudit article 14." 24. En l'espèce, la FFT démontre que les défenderesses, loin d'adopter un rôle neutre purement technique, sont à l'origine de l'architecture du site et notamment du classement des billets en rubriques spécifiques (les rubriques "sport" ou "tennis" en particulier), assurent la promotion du tournoi "Rolex [Localité 8] Masters" en publiant des messages, visant notamment à indiquer l'état des stocks de billets aux internautes, offrent à ces derniers la possibilité de choisir leur place et leur positionnement dans les tribunes à l'aide d'un plan schématique de l'AccorHotels Arena où se déroule l'événement, sont les interlocutrices uniques de l'acquéreur lors de la transaction, ne permettent pas à l'acquéreur de connaître l'identité ou l'identifiant du vendeur, assurent la délivrance du billet via leur site internet et garantissent le remplacement du billet en cas de problème par un billet similaire ou plus avantageux. Ces différents éléments établissent amplement que les sociétés défenderesses ne jouent pas un rôle purement passif, ne leur conférant ni connaissance ni contrôle sur le contenu de leur plateforme marchande. Au contraire, il en résulte que les sociétés Viagogo organisent leur plateforme en toute connaissance des billets qui y sont commercialisés, optimisant la présentation de l'offre en vente et la promotion. 25. En conséquence, le sociétés Viagogo ne peuvent se prévaloir du statut d'hébergeur tel que défini par l'article 6-I 2o de la LCEN et ne peuvent bénéficier du régime de responsabilité atténuée qui lui est associé. Partant, il n'est pas nécessaire de déterminer si les sociétés Viagogo avaient, ou non, été valablement informées par la FFT de l'illicéité de son activité. 4o) Sur l'atteinte au monopole d'exploitation de la FFT Moyens des parties 26. La FFT soutient que, conformément à l'article L. 333-1 du code du sport, elle bénéficie d'un monopole d'exploitation relatif aux manifestations sportives qu'elle organise. Elle ajoute qu'à ce titre, elle dispose d'un droit exclusif concernant la commercialisation des billets permettant l'accès à ses évènements et notamment aux "Rolex [Localité 8] Masters". S'agissant de l'étendue de son monopole, elle estime que le lieu de la vente, la nationalité de l'acquéreur ou son domicile sont indifférents dès lors notamment qu'il est possible de contourner la mesure de géo-blocage visant la France avec l'aide d'un logiciel VPN. Elle ajoute que le monopole d'exploitation dont elle bénéficie s'étend au marché secondaire et donc à la revente non-autorisée de billets à titre habituel comme inhabituel. Elle précise à cet égard que l'extension de ce monopole est nécessaire à la réalisation des objectifs de démocratisation et de développement de leur sport poursuivis par les fédérations. Elle explique enfin que l'interdiction de revente repose sur un texte légal et non seulement sur ses conditions générales de vente, de telle sorte que le moyen tiré du caractère abusif de certaines clauses de ses conditions générales de vente est inopérant pour définir l'étendue de son monopole. Or, elle constate que les internautes français utilisant un VPN ou tout internaute étranger ont pu accéder aux offres litigieuses et faire l'acquisition de billets pour les éditions 2019 et 2020 des "Rolex [Localité 8] Masters" depuis la plateforme Viagogo. Elle en conclut que l'activité menée sur cette plateforme porte atteinte à son monopole et lui cause un préjudice en captant injustement une partie du flux économique généré par son événement et en l'empêchant d'atteindre les objectifs d'intérêt général qu'elle poursuit. 27. En réponse, les sociétés Viagogo font valoir que le monopole d'exploitation en cause doit être limité et proportionné. Elles affirment à cet égard que l'article 333-1 du code du sport n'a vocation à s'appliquer que sur le territoire français et qu'il ne porte en tout état de cause que sur l'exploitation des droits audiovisuels ou des paris sportifs. Elles estiment également n'avoir pas porté atteinte à ce monopole dès lors qu'étant une plateforme de revente permettant à des tiers de publier des offres, elle ne capte aucun flux économique devant revenir aux organisateurs et ne font pas une exploitation directe de l'événement. Elles expliquent enfin que les conditions générales de vente de la FFT, en ce qu'elles interdisent la revente de billets, ne lui sont pas opposables et en tout état de cause abusives. Appréciation du tribunal 28. Selon les articles L. 100-1 et L. 100-2 du code du sport, "Le développement du sport pour tous et le soutien aux sportifs de haut niveau et aux équipes de France dans les compétitions internationales sont d'intérêt général. L'Etat, les collectivités territoriales et leurs groupements, les associations, les fédérations sportives, les entreprises et leurs institutions sociales contribuent à la promotion et au développement des activités physiques et sportives. Ils veillent à assurer un égal accès aux pratiques sportives sur l'ensemble du territoire. Ils veillent également à prévenir et à lutter contre toutes formes de violence et de discrimination dans le cadre des activités physiques et sportives. L'Etat et les associations et fédérations sportives assurent le développement du sport de haut niveau, avec le concours des collectivités territoriales, de leurs groupements et des entreprises intéressées." Aux fins de permettre aux fédérations sportives d'assurer cette mission d'intérêt général de développement de la pratique du sport et d'égal accès aux pratiques sportives, l'article L. 333-1 alinéa 1er du même code prévoit que : "Les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives mentionnés à l'article L. 331-5, sont propriétaires du droit d'exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu'ils organisent." 29. Ce monopole n'est pas limité au droit d'autoriser la prise de paris, non plus qu'au droit de consentir aux retransmissions audiovisuelles des compétitions, mais inclut évidemment les services de billeterie de même que le marché secondaire. D'ailleurs, le code pénal réprime le fait de vendre de manière habituelle les billets d'accès à une manifestation sportive sans l'accord du propriétaire de cette manifestation, de même que le fait, de manière habituelle, de fournir des moyens en vue de la revente de ces billets. Ainsi l'article 313-6-2 du code pénal prévoit que : "Le fait de vendre, d'offrir à la vente ou d'exposer en vue de la vente ou de la cession ou de fournir les moyens en vue de la vente ou de la cession des titres d'accès à une manifestation sportive, culturelle ou commerciale ou à un spectacle vivant, de manière habituelle et sans l'autorisation du producteur, de l'organisateur ou du propriétaire des droits d'exploitation de cette manifestation ou de ce spectacle, est puni de 15 000 € d'amende. Cette peine est portée à 30 000 € d'amende en cas de récidive. Pour l'application du premier alinéa, est considéré comme titre d'accès tout billet, document, message ou code, quels qu'en soient la forme et le support, attestant de l'obtention auprès du producteur, de l'organisateur ou du propriétaire des droits d'exploitation du droit d'assister à la manifestation ou au spectacle." 30. Les travaux parlementaires ayant précédé l'adoption de ce texte renseignent sur l'objectif poursuivi par le législateur au moyen de ce renforcement du monopole des fédérations sportives sur les événements sportifs qu'elles organisent (et qu'elles sont, selon le code du sport, seules à pouvoir organiser) : "Depuis quelques années, les pratiques de revente massive de billets ou de titres d'accès à des manifestations tant sportives que culturelles, dans le but d'en tirer un bénéfice, ont tendance à s'amplifier. Il est fréquent que, dès les premiers jours de mise en vente de billets par un producteur ou un organisateur de spectacle ou de manifestation sportive, la pénurie soit créée : une grande partie, voire la totalité des titres d'accès à la manifestation est achetée par une poignée d'individus, qui les revendent ensuite à un prix qui leur permet d'en tirer un substantiel bénéfice. Lors des événements très courus, cette pratique est devenue? très courante. À voir le nombre de sites de revente de billets sur Internet, on est conduit à penser qu'il s'agit d'une activité des plus lucratives ! Les contentieux fleurissent entre les sociétés qui se sont spécialisées dans cette activité et les organisateurs, producteurs ou institutions proposant des spectacles, concerts, matchs et compétitions sportives, voire des expositions. (...)" 31. Il n'apparaît pas inutile en outre de rappeler que ces dispositions légales ont été validées en ces termes par le Conseil constitutionnel : "6. D'autre part, le législateur a également souhaité garantir l'accès du plus grand nombre aux manifestations sportives, culturelles, commerciales et aux spectacles vivants. En effet, l'incrimination en cause doit permettre de lutter contre l'organisation d'une augmentation artificielle des prix des titres d'accès à ces manifestations et spectacles. 7. En deuxième lieu, la vente de titres d'accès et la facilitation de la vente ou de la cession de tels titres, ne sont prohibées que si elles s'effectuent sans l'autorisation du producteur, de l'organisateur ou du propriétaire des droits d'exploitation de la manifestation ou du spectacle. 8. En dernier lieu, il résulte des travaux parlementaires qu'en ne visant que les faits commis «de manière habituelle», le législateur n'a pas inclus dans le champ de la répression les personnes ayant, même à plusieurs reprises, mais de manière occasionnelle, vendu, cédé, exposé ou fourni les moyens en vue de la vente ou de la cession des titres d'accès à une manifestation ou à un spectacle. 9. Il résulte de ce qui précède que l'infraction ainsi définie ne méconnaît ni le principe de nécessité des délits et des peines, ni celui de légalité des délits et des peines. 10. Il est loisible au législateur d'apporter aux conditions d'exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l'article 2 de la Déclaration de 1789, ainsi qu'à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de son article 4, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. 11. Compte tenu, d'une part, des objectifs de valeur constitutionnelle et d'intérêt général énoncés aux paragraphes 5 et 6 et, d'autre part, de ce que le législateur a réprimé la seule revente de titres d'accès, sa facilitation et celle de la cession de tels titres, uniquement lorsqu'elles sont réalisées à titre habituel et sans l'accord préalable des organisateurs, producteurs ou propriétaires des droits d'exploitation, le législateur n'a méconnu ni la liberté d'entreprendre ni la liberté contractuelle ni le droit de propriété. 12. L'article 313-6-2 du code pénal, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution." (Décision no 2018-754 QPC du 14 décembre 2018, Société Viagogo et autres) 32. En l'espèce, il n'est pas contestable que la FFT organise chaque année à [Localité 8] le tournoi international de tennis professionnel masculin appartenant aux "Masters 1000", intitulé "Rolex [Localité 8] Masters". En conséquence, la FFT doit être regardée comme propriétaire du droit d'exploitation portant sur cet événement et en particulier sur ses éditions 2019 et 2020. La FFT dispose donc d'un monopole sur l'exploitation de ces événements et notamment sur leurs billetteries, lequel s'analyse en un droit de propriété permettant notamment d'interdire à toute autre personne la commercialisation, sans son autorisation, de billets permettant d'assister à cette compétition sportive. 33. En outre, les deux procès-verbaux en date du 11 octobre 2019 versés aux débats démontrent ici que des billets d'accès à l'édition 2019 des "Rolex [Localité 8] Masters" étaient offerts à la vente sur la plateforme "Viagogo" sans autorisation de la fédération. Ces billets pouvaient être acquis par tout internaute n'utilisant pas une adresse IP française. De la même manière, les captures d'écran réalisées par la FFT le 20 mars 2020 et le 22 juin 2020 témoignent à nouveau de la présence non consentie sur la plateforme "Viagogo" de billets d'accès à l'édition 2020 des "Rolex [Localité 8] Masters". 34. Il est en outre indifférent que l'achat de billets n'ait pas été possible pour un internaute français, le dommage, alors même que le fait générateur est commis à l'étranger, étant ici entièrement subi en France, s'agissant de la vente de billets concernant une manifestation sportive ayant lieu en France et organisée par une personne morale ayant son siège en France. 35. Enfin, ainsi que le relève à juste titre la FFT, les sociétés Viagogo ne peuvent prétendre contourner l'effet d'un monopole légal, dont la violation est au surplus incriminée pénalement, et dont elles ont une parfaite connaissance, en contestant la validité et l'opposabilité des clauses figurant dans les conditions générales de vente de la FFT. 36. Il en résulte qu'en proposant à la vente, dans le monde entier, des billets pour assister aux éditions 2019 et 2020 du "Rolex [Localité 8] Masters", sans autorisation de la FFT, les sociétés Viagogo ont porté atteinte au monopole d'exploitation de la FFT et engagé leur responsabilité à ce titre. 37. En revanche, ainsi que le relèvent à juste titre les sociétés Viagogo, la FFT, auprès de qui les billets ont nécessairement été régulièrement acquis en raison du monopole, n'a pas subi un préjudice équivalent aux gains générés par l'activité de revente de ces billets. Il en résulte que la demande aux fins de communication de pièces aux fins de réparation d'un préjudice économique basé sur les gains générés par l'activité des sociétés Viagogo ne peut qu'être rejetée. 38. La FFT est cependant en droit, en vue d'un litige futur et sur le fondement du droit commun tel qu'il résulte des articles 132 et suivants du code de procédure civile, et en particulier de l'article 145 de ce même code, de connaître "la liste des fournisseurs des billets d'accès au tournoi (entendu comme les utilisateurs utilisant la plateforme pour revendre des billets) auprès desquels les sociétés ont obtenu illicitement ces billets revendus illégalement, le prix de revente des billet ainsi que les numéros de série". Il sera donc fait droit à cette demande de communication de pièces sous astreinte, le tribunal se réservant la liquidation de l'astreinte conformément aux dispositions de l'article L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution. 39. La FFT a en outre subi un préjudice d'image résultant de l'augmentation artificielle des prix des titres d'accès aux "Rolex [Localité 8] Masters" à laquelle aboutit l'activité des sociétés défenderesses, dont le consommateur est amené à croire, à tort, qu'elle lui bénéficie. Les pièces versées aux débats établissent en effet que les prix des billets sur la plateforme "Viagogo" sont sensiblement plus élevés que ceux proposés par la FFT (de plusieurs centaines d'euros pour des billets d'accès à l'édition 2020 des "Rolex [Localité 8] Masters" par exemple). L'activité des sociétés défenderesses est en outre à l'origine d'un risque en terme de sécurité de l'événement également source d'un préjudice moral. Ces préjudices seront réparés par le versement de la somme de 100.000 euros "à titre provisionnel" comme demandé par la FFT, cette somme tenant compte de la non exécution de l'ordonnance de référé du 25 octobre 2019 par les sociétés défenderesses. 40. Il sera en outre fait droit à la demande de publication du présent selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision. 5o) Sur les autres demandes (parasitisme et fautes distinctes de concurrence déloyale) 41. Aux termes des articles 1240 et 1241 du code civil, "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer." et "Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence." 42. Au visa de ces deux textes, il est constamment jugé que la liberté du commerce autorise tout acteur économique à attirer vers lui la clientèle de son concurrent. Aussi, l'imitation d'un concurrent n'est, en tant que telle, pas fautive, à moins que ne soient utilisés des procédés illicites ou contraires aux usages loyaux du commerce. Est à cet égard fautif le fait, pour un professionnel, de s'immiscer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire particulier (Cass. Com. 26 janvier 1999, pourvoi no96-22.457 ; Cass. Com. 10 septembre 2013, pourvoi no12-20.933), ce qui constitue un acte de parasitisme. 43. Il est par ailleurs admis que le non-respect par un opérateur économique des règles du droit de la consommation créé une distorsion dans le jeu de la concurrence constitutive, en soi, d'un acte de concurrence déloyale par désorganisation du marché de nature à ouvrir un droit à réparation sur le fondement de la responsabilité délictuelle, ce dont il résulte qu'une partie est fondée à se prévaloir de pratiques commerciales réalisées en méconnaissance de la réglementation prescrite par le code de la consommation, dès lors qu'elles lui ont causé un préjudice. 44. Même en supposant que les défenderesses ont commis des actes distincts de concurrence déloyale, de parasitisme, ou encore des pratiques commerciales trompeuses, il n'est en l'occurrence justifié d'aucun préjudice distinct de celui résultant de l'atteinte au monopole d'exploitation de la compétition sportive objet du présent litige, déjà indémnisé, de sorte que les demandes de ces chefs seront toutes rejetées. 45. Parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, les sociétés Viagogo seront condamnées in solidum aux dépens, ainsi qu'à payer à la FFT, sous la même solidarité imparfaite, la somme de 40.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile (cette somme incluant le remboursement des frais de constats par huissier de justice). 46. Aucune circonstance ne justifie ici d'écarter l'exécution provisoire de plein droit dont bénéficie la présente décision en application de l'article 514 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS, Le tribunal, DÉCLARE irrecevable l'exception de procédure tirée de l'incompétence de ce tribunal pour connaître de la présente affaire ; CONDAMNE in solidum les société Viagogo AG et Viagogo Entertainment à payer à la Fédération française de tennis, à titre provisionnel, la somme de 100.000 euros en réparation du préjudice causé par l'atteinte portée à son monopole d'exploitation sur les éditions 2019 et 2020 des "Rolex [Localité 8] Masters" par la revente sur la plateforme "Viagogo" aux internautes domiciliés hors de France de billets donnant accès à cette compétition ; ORDONNE aux sociétés Viagogo AG et Viagogo Entertainment de communiquer à la Fédération française de tennis, la liste des fournisseurs auprès desquels elles ont obtenu les billets d'accès aux éditions 2019 et 2020 des "Rolex [Localité 8] Masters" offerts à la vente sur leur site, ainsi que les numéros de série de ces billets, et ce, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à exécuter la présente décision, courant à l'expiration d'une délai de 30 jours suivant la signification du présent jugement, et pendant 180 jours ; AUTORISE la Fédération française de tennis à faire publier le dispositif du présent jugement dans trois journaux ou revues, papier ou en ligne, au choix de la FFT, aux frais avancés des sociétés défenderesses, dans la limite de la somme de 7 000 € par publication à la charge des sociétés Viagogo ; ORDONNE la publication du communiqué suivant, en tête des pages d'accueil du site accessible à l'adresse <www.viagogo.com> ,et ses extensions, pendant une durée de 60 jours, à commencer au plus tard 15 jours suivant la signification du jugement, et sous astreinte de 2.000 euros par jour de retard qui courra pendant 180 jours, en grand format, d'une façon immédiatement visible pour tout internaute se rendant sur cette page d'accueil:« By judgement of [Localité 8] Central Court of first instance, Viagogo's activity regarding the second-hand sale of tickets for French sport competitions without the consent of their organisers has been found illegal, and Viagogo has been ordered to pay the French Tennis Federation 100.000 euros in damages. » ; SE RESERVE la liquidation des astreintes ; REJETTE toutes les autres demandes de la Fédération française de tennis ; CONDAMNE in solidum les société Viagogo AG et Viagogo Entertainment aux dépens et autorise la SAS De Gaulle Fleurance et Associés à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile; CONDAMNE in solidum les société Viagogo AG et Viagogo Entertainment à payer à la Fédération française de tennis la somme de 40.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile (cette somme incluant le remboursement des frais de constats par huissier de justice); RAPPELLE que la présente décision est de plein droit assortie de l'exécution provisoire. Fait et jugé à Paris le 08 novembre 2022. La Greffière La Présidente
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JURITEXT000047304649
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 10 novembre 2022, 20/02607
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2022-11-10
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/02607
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CT0087
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG 20/02607No Portalis 352J-W-B7E-CR3CP No MINUTE : Assignation du :06 Mars 2020 INCIDENT ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETATrendue le 10 Novembre 2022DEMANDERESSE Société SCANIA CV AKTIEBOLAGSödertälje (SE-15187)SODERTALJE / SUÈDE représentée par Maître Olivier MANDEL de la SELAS MANDEL-ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #W0013 DÉFENDERESSES Monsieur [H] [B][Adresse 5] [Adresse 5][Localité 1] représentée par Maître Aurelien GAZEL, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #T0004 et par Maître Jean-Paul ARMAND de la SCP BOLLET et ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant, Société INTERNATIONAL DELIVERY PARTS 2008 S.L - intervenante forcéeC/[Adresse 2][Localité 6] (ESPAGNE) représentée par Maître Morgane BLOTIN de la SELARL CENTAURE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #P0500 et par Maître François-Xavier LANGLAIS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, Société URS OTOMOTIV SANAYI VE TICARET LIMITED SIRKETI - intervenante forcée[N] [K] [E][Adresse 3][Localité 4] (TURQUIE) défaillant MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Jugeassisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier DÉBATS A l'audience du 22 Septembre 2022, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 21 Octobre 2022, puis prorogé le 10 Novembre 2022. ORDONNANCE Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe ContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE 1. La société de droit suédois Scania CV Aktiebolag (la société Scania), ayant été avisée d'une retenue en douane en France de filtres à huile provenant de Turquie et à destination d'Espagne, soupçonnés de contrefaire ses marques, a assigné les personnes suivantes en contrefaçon des deux marques de l'Union européenne no017015835 et no017769597 :- le 5 mars 2020, M. [H] [B], entrepreneur individuel, établi en France, dont elle allègue qu'il serait le déclarant en douane et le détenteur des marchandises ;- le 25 juin 2020, la société de droit espagnol ‘International delivery parts 2008 S.L.' (La société Indeparts), destinataire des marchandises, - le 24 septembre 2020, la société de droit turc ‘Urs otomotiv sanayi ve ticaret limited sirketi' (la société Urs otomotiv), expéditeur des marchandises. 2. M. [B] et la société Indeparts ont soulevé une exception d'incompétence, et M. [B] a soulevé une fin de non-recevoir tirée d'un défaut d'intérêt et de qualité à agir à son encontre ; ces moyens ont été écartés par le juge de la mise en état par une ordonnance du 26 mars 2021, confirmée par la cour d'appel le 14 janvier 2022. 3. La société Scania a ensuite formé, par mémoire confidentiel du 9 mai et conclusions du 12 mai 2022, un nouvel incident tendant à organiser la communication confidentielle d'un document dont elle entend se prévaloir, figurant à son bordereau de pièces dès l'assignation en tant que pièce no14. Les défenderesses ont alors demandé que la société Scania soit contrainte de communiquer cette pièce, sans confidentialité. L'incident a été entendu en ce qu'il portait sur la demande de communication forcée à l'audience du 22 septembre 2022 et la décision a été mise en délibéré sur l'ensemble. 4. Dans ses dernières conclusions d'incident signifiées par voie électronique le 12 mai 2022, la société Scania, en substance, demande que soit organisée d'une façon qu'elle détaille la communication et l'utilisation confidentielles de sa pièce no14, et réclame 5 000 euros aux défendeurs au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 5. Dans ces conclusions, elle expose que cette pièce, qui est la comparaison technique du filtre litigieux avec son produit « authentique », a une valeur commerciale en ce qu'elle dévoile les différences entre un produit authentique et un produit contrefaisant et permettrait aux contrefacteurs de tromper véritablement le public s'ils y avaient accès ; que ses concurrents n'ont pas accès à ces informations car ils n'ont aucune raison d'avoir deux filtres ; et qu'elle a mis en place des procédures internes pour en préserver la confidentialité. Par ailleurs, dans son mémoire confidentiel du 9 mai, elle expose également en quoi le document relève selon elle du secret des affaires. 6. Dans ses dernières conclusions d'incident signifiées par voie électronique le 13 juin 2022, M. [B], en substance, demande la communication de la pièce sans aucun régime de confidentialité, et réclame à la société Scania 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 7. Il estime que les conditions de l'article L. 151-1 du code de commerce ne sont pas réunies, et que les parties doivent pouvoir analyser la pièce no14. 8. Dans ses dernières conclusions d'incident signifiées par voie électronique le 13 juin 2022, la société Indeparts demande la communication de la pièce sans aucun régime de confidentialité, et réclame elle-même à la société Scania 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 9. Elle fait valoir que n'importe qui peut acheter librement les pièces comparées et procéder ainsi à la même comparaison ; et que savoir si les filtres litigieux sont fabriqués par Scania est nécessaire à la solution du litige, au sens de l'article L. 153-6 du code de commerce. 10. La société Urs otomotiv a été assignée conformément à la convention de La Haye du 15 novembre 1965, l'autorité requise turque ayant attesté le 13 octobre 2020 de ce que l'acte avait été remis au destinataire conformément au droit local le 24 septembre ; mais elle n'a pas comparu. MOTIFS 1) Protection de la pièce no14 par le secret des affaires 11. Aux termes de l'article L. 151-1 du code de commerce, « est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants : 1o Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ; 2o Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; 3o Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. » 12. Le rapport invoqué par la société Scania consiste simplement en la comparaison visuelle entre un des filtres saisis en douane et un filtre authentique Scania, et relève deux différences visibles à l'oeil nu pour justifier la conclusion selon laquelle les produits saisis sont des copies. Comme le soulèvent les défendeurs, le filtre authentique est une pièce détachée, accessible aux professionnels, qui sont aisément capables de procéder à la même comparaison visuelle. Ainsi, la seule information contenue dans le rapport et qui n'est pas publique est l'opinion émise par le personnel de la société Scania sur les éléments visuellement différents entre les deux produits. 13. Il certes envisageable qu'une telle opinion puisse se fonder sur des éléments très discrets, ou une interprétation révélant l'importance d'un élément certes visible mais ne pouvant être directement compris par un professionnel concurrent, de sorte qu'elle contiendrait des informations difficilement accessibles et ayant une valeur commerciale. Tel n'est toutefois manifestement pas le cas ici, où la comparaison porte sur des éléments très visibles, à l'évidence discernables par n'importe quel professionnel du secteur même sans que son intention soit attirée par l'analyse du fabricant de la pièce « authentique ». Le rapport ne contient donc que des informations aisément accessibles. 14. La 1re condition posée par l'article L. 151-1 n'étant pas caractérisée, les demandes fondées sur le secret des affaires sont rejetées. 2) Communication forcée de la pièce 15. En application des articles 132 et 133 du code de procédure civile, la partie qui fait état d'une pièce doit la communiquer à toute autre partie à l'instance. L'article 142 prévoit par ailleurs que les éléments de preuve détenus par une partie et dont une autre entend se prévaloir peuvent être produits sur ordre du juge. 16. Et l'article L. 153-6 du code de commerce, cité par la société Indeparts, prévoit seulement le principe selon lequel la pièce demandée, et dont la confidentialité est alléguée, doit être communiquée si elle est nécessaire à la solution du litige. 17. La « pièce no14 » est certes visée au bordereau de la société Scania, mais comme document de nature confidentielle, ce qui indique que la demanderesse n'entendait pas s'en prévaloir autrement que de façon confidentielle ; au demeurant elle ne la cite pas dans son assignation à l'appui de ses allégations. Il ne s'agit donc pas d'une pièce dont la demanderesse fait état au sens de l'article 132. 18. Par ailleurs, la société Indeparts estime cette pièce nécessaire pour apprécier l'authenticité des produits litigieux, qu'elle invoque au fond pour caractériser l'épuisement des droits. Toutefois, comme indiqué précédemment, la seule information contenue dans ce document, au-delà de l'apparence des produits que la société Indeparts peut se procurer elle-même, est l'opinion de la société Scania sur les ressemblances entre eux. Cette opinion relève de sa stratégie pour le procès ; autrement dit, elle n'est nécessaire à la solution du litige que dans la mesure où elle est utilisée dans le litige par la société Scania. Ce qu'il appartient seulement à celle-ci de décider, sauf le cas d'une déloyauté procédurale, d'une dissimulation ou d'une contradiction préjudiciable, ce qui n'est pas allégué ici. 19. La demande de communication forcée est par conséquent rejetée. 3) Suite de l'instruction et dispositions finales 20. L'article 782 du code de procédure civile permet au juge de la mise en état d'inviter les avocats à répondre aux moyens sur lesquels ils n'auraient pas conclu, et à fournir les explications de fait et de droit nécessaires à la solution du litige. 21. Dans ses conclusions au fond, la société Indeparts fonde sa défense sur l'épuisement des droits, caractérisé selon elle en ce que la société Scania ne démontrerait pas que les produits litigieux ne sont pas des produits « authentiques ». Elle n'indique toutefois pas en quoi c'est dans l'espace économique européen que ces produits auraient été mis dans le commerce pour la première fois, alors qu'il est constant que ces produits ont été expédiés depuis la Turquie. La société Indeparts est donc invitée à conclure sur ce point, dans la mesure où elle l'estimerait utile. 22. L'article 700 du code de procédure civile permet au juge de condamner la partie qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie. 23. Les parties perdent toutes en leurs demandes formées pour le présent incident, de sorte qu'aucune ne doit en indemniser une autre pour les frais exposés à ce titre. Les demandes en ce sens sont donc rejetées. PAR CES MOTIFS Le juge de la mise en état : REJETTE les demandes de la société Scania tendant à organiser la communication confidentielle de sa pièce intitulée « Rapport technique établi par la société Scania CV AB le 27 février 2020, à la suite de l'inspection des marchandises et du prélèvement d'échantillons effectués le 14 février 2020 » ; REJETTE les demandes de M. [B] et de la société Indeparts en communication forcée de cette pièce ; REJETTE les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; INVITE la société Indeparts à conclure sur le lieu de la première commercialisation des produits en cause, dans un jeu de conclusions attendu pour le 2 décembre 2022 ; ou, à défaut, à indiquer sans délai son intention de ne pas reconclure en l'état, auquel cas la société Scania est invitée à conclure sur le tout pour le 6 janvier 2023 ; RENVOIE l'examen de la mise en état de l'affaire au 15 décembre 2022 ; Faite et rendue à Paris le 10 Novembre 2022 Le Greffier Le Juge de la mise en état
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JURITEXT000047304650
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 17 novembre 2022, 21/04712
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2022-11-17
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/04712
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CT0087
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 21/04712 No Portalis 352J-W-B7F-CUECW No MINUTE : Assignation du :19 mars 2021 JUGEMENT rendu le 17 novembre 2022 DEMANDERESSE S.A.S. FATHER AND SONS[Adresse 1][Localité 5] représentée par Me Jean-Daniel BOUHÉNIC de la SCP DEPREZ GUIGNOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P221 DÉFENDERESSE S.A.S.U MARVIC[Adresse 3][Localité 2] représentée par Me Francis NOGUE, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #C1582 & Me Vincent MARIS de la SELARL PLUMANCY, avocat au barreau de PERIGUEUX, avocat plaidant COMPOSITION DU TRIBUNAL Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeElodie GUENNEC, Vice-présidenteMalik CHAPUIS, Juge, assistés de Caroline REBOUL, Greffière DEBATS A l'audience du 20 septembre 2022 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 17 novembre 2022. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort Magistrat signataire (article 456 du code de procédure civile) : Elodie GUENNEC, Vice-présidente, la présidente Nathalie SABOTIER, étant empêchée. EXPOSÉ DU LITIGE Créée en 1995, la société Father and Sons est spécialisée dans la conception et la commercialisation de vêtements et de costumes pour homme. Elle vend ses produits dans 53 boutiques éponymes, en France et à l'étranger. À ce titre, la société Father and Sons est titulaire des marques verbales suivantes : - La marque verbale française « FATHER AND SON » enregistrée sous le no95561209 le 3 mars 1995 en classes 18, 24 et 25 ; - La marque verbale française « FATHER AND SONS » enregistrée sous le no3317290 le 8 octobre 2004 en classes 9, 14, 18, 24 et 25 ; - La marque verbale française « FATHER & SONS » enregistrée sous le no3317291 le 8 octobre 2004 en classes 9, 14, 18, 24 et 25 ; - La marque verbale de l'Union européenne « FATHER & SONS » enregistrée sous le no17444035 le 7 novembre 2017 en classes 3, 9, 14, 18, 24, 25 et 35. La société Father and Sons possède également le nom de domaine : www.fatherandsons.fr, enregistré le 23 mars 2005. La société Marvic, dont l'associé unique est M. [X] [W], expose avoir acquis de la société Magasins du Périgord, le 21 août 2019, un fonds de commerce qu'elle avait commencé à exploiter en 2008 sous une franchise « Serge Blanco », avant de le renommer « Brothers and Son » en 2016. La société Father and Sons a été informée par l'un de ses affiliés de l'existence de cette boutique « Brothers & Son », située [Adresse 4] à [Localité 7], dédiée à l'univers du prêt-à-porter masculin. Elle a en outre constaté que la société Marvic fait également la promotion de son enseigne par le biais du réseau social Facebook et vend ses produits sur une page du site internet www.voscommercants-dordogne.fr. La société Father and Sons, a procédé à un achat dans la boutique précitée avant de faire réaliser un procès-verbal de constat par un huissier de justice le 26 août 2021. Entre temps, le 16 septembre 2020, la société Father and Sons a mis en demeure la société Marvic de cesser d'utiliser le signe « Brothers and Son », à quelque titre que ce soit. Plusieurs courriers officiels ont été échangés en vue de parvenir à une résolution amiable du litige entre les parties. La société Marvic a accepté de ne plus apposer le signe « Brothers & son » sur une chemise en lin commercialisée dans son magasin, mais a opposé une fin de non-recevoir au surplus des demandes de la société Father and Sons. C'est ainsi que par acte d'huissier de justice du 19 mars 2021, la société Father and Sons a fait assigner la société Marvic devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de marques. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 11 février 2022, la société Father and Sons demande au tribunal, au visa des articles L. 713-2, L. 713-3-1, L. 716-4, L.716-14 du code de la propriété intellectuelle et des pièces versées aux débats, de : ? Juger que la reproduction des signes « BROTHERS & SONS » et « BROTHERS AND SON » sur des vêtements, ainsi qu'à titre de nom commercial et d'enseigne pour vendre des vêtements, constitue une contrefaçon des marques françaises antérieures « FATHER AND SONS » no95561209 enregistrée le 3 mars 1995 et no3317290, enregistrée le 8 octobre 2004 pour les produits de la classe 25, de la marque française antérieure « FATHER & SONS » no3317291 enregistrée le 8 octobre 2004 en classe 25 et de la marque antérieure de l'Union européenne «FATHER & SONS » no17444035 enregistrée le 7 novembre 2017 en classe 25 et 35; ? Juger que l'utilisation des signes « BROTHERS & SONS » et « BROTHERS AND SON » par la société MARVIC a porté atteinte au nom commercial et à la dénomination sociale FATHER & SONS et que la captation de l'identité visuelle et de l'axe de communication de Father & Sons, constitue une faute civile; ? Débouter la société Marvic de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ; En conséquence : ? Faire interdiction à la société Marvic de faire usage directement ou indirectement des signes « BROTHERS & SONS » et « BROTHERS AND SON » ou de tout autre signe reproduisant ou imitant les marques lui appartenant, à quelque titre que ce soit, sur quelque support que ce soit, sous quelque forme que ce soit, pour des produits similaires, sous astreinte de cinq cents (500) euros par infraction constatée dans les dix (10) jours à compter de la signification du jugement à intervenir ; ? Condamner la société Marvic à lui payer, la somme de cinquante mille (50.000) euros, sauf à parfaire, en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon des marques « FATHER & SONS » lui appartenant ; ? Condamner la société Marvic à lui payer, la somme de vingt-cinq mille (25.000) euros, sauf à parfaire, en réparation du préjudice résultant des fautes civiles commises ; ? Condamner la société Marvic à lui verser une somme de dix mille (10.000) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; ? Condamner la société Marvic aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Deprez Guignot & Associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 6 janvier 2022, la société Marvic demande au tribunal, vu notamment les dispositions de l'article L.713-2 du code de la propriété intellectuelle, de : ? Dire et juger qu'elle est recevable et fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ; ? Débouter purement la société Father and Sons de l'ensemble de ses prétentions comme radicalement mal fondées ; ? Dire et juger qu'en tout état de cause, la société Father and Sons n'est en rien fondée à se voir allouer la moindre somme à titre de dommages et intérêts ; À titre reconventionnel, ? Condamner la société Father and Sons à lui verser à la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens. L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 février 2022. MOTIFS Sur la contrefaçon des marques françaises et de l'Union européenne de la société Father and sons Moyens des parties: La société Father and Sons soutient que la société Marvic a commis des faits constitutifs de contrefaçon de ses marques, en ce qu'elle a utilisé comme enseigne et nom commercial les signes ?BROTHERS & SON" et ?BROTHERS AND SON", qui sont étroitement similaires à ses marques, tant sur plan visuel qu'auditif et conceptuel, pour vendre dans sa boutique et sur un site internet des produits identiques à ceux désignés par ses marques, à savoir des vêtements et accessoires pour homme. Rappelant être titulaire de marques verbales, elle souligne que l'aspect visuel des signes en litige est très proche, qu'ils ont la même structure, l'utilisation de l'esperluette et de la locution anglaise ?and" étant marquantes visuellement. Phonétiquement, elle conclut à la proximité des sonorités, soulignant des syllabes identiques à l'exception de l'accroche. Sur le plan conceptuel enfin, elle insiste sur les ressemblances entre les signes, entre l'utilisation de la langue anglaise et la mise en exergue du lien familial masculin. Elle considère que la société Marvic a fait un usage de ces signes litigieux à titre de marque dans la vie des affaires dans la mesure où son nom commercial et son enseigne sont employés en lien direct avec les vêtements commercialisés et que cela génère un risque de confusion dans l'esprit du public pertinent qui peut croire que les deux sociétés sont liées économiquement. Cette impression d'ensemble est, selon elle, accentuée par la notoriété de sa marque. En réponse aux moyens soulevés en défense, elle affirme qu'il n'est pas sérieux de soutenir qu'elle n'exploiterait pas d'enseigne du même nom à [Localité 7], la bonne foi étant par ailleurs indifférente en matière de contrefaçon. La société Marvic conclut, quant à elle, à l'absence d'acte de contrefaçon. Rappelant que le choix de cette enseigne s'explique par une exploitation familiale de longue date du magasin de prêt-à-porter, elle considère qu'il n'y a aucune similitude entre les signes en litige. Se prévalant de typologies très différentes, elle ajoute que le sens du mot d'attaque, en anglais, est parfaitement compréhensible par le public français et que le ?and sons" se retrouve dans de nombreuses marques de prêt-à-porter qu'elle énumère (Kapten & son, Mom & sons, Only & sons par exemple). Elle invite le tribunal à observer les différences notables existant entre les signes dénoncés (trait sous l'enseigne, taille de l'esperluette ou encore différence de logos). Elle souligne que son site internet a peu de rayonnement, ce qui empêche toute confusion aux yeux de la clientèle de la société Father and Sons, qui n'est de surcroît pas implantée dans le département de la Dordogne. Elle s'oppose à toute atteinte à la fonction de la marque, dont elle critique le manque d'originalité, dans la mesure où elle ne vend plus aucun produit sous le signe ?Brother & sons", mais se veut un commerce dit multimarque. Elle soutient à ce titre qu'une simple utilisation à titre de dénomination commerciale ne permet pas de caractériser une atteinte à la fonction de la marque au sens des textes. Elle ajoute enfin que l'utilisation d'un logo représentant un renard n'est pas distinctif et qu'il ne saurait lui être reproché d'avoir utilisé des ours en peluche pendant la période des fêtes. Appréciation du tribunal: En application de l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle, « Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :1o D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;2o D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque. » L'article L. 713-3-1 du même code dispose que ? Sont notamment interdits, en application des articles L. 713-2 et L. 713-3, les actes ou usages suivants :1o L'apposition du signe sur les produits ou sur leur conditionnement ;2o L'offre des produits, leur mise sur le marché ou leur détention à ces fins sous le signe, ou l'offre ou la fourniture des services sous le signe ;3o L'importation ou l'exportation des produits sous le signe ;4o L'usage du signe comme nom commercial ou dénomination sociale ou comme partie d'un nom commercial ou d'une dénomination sociale ;5o L'usage du signe dans les papiers d'affaires et la publicité ;6o L'usage du signe dans des publicités comparatives en violation des dispositions des articles L. 122-1 à L. 122-7 du code de la consommation ;7o La suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée.Ces actes et usages sont interdits même s'ils sont accompagnés de mots tels que : " formule, façon, système, imitation, genre, méthode ". L'article L.716-4 du code de la propriété intellectuelle dispose en outre que « L'atteinte portée au droit du titulaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits attachés à la marque la violation des interdictions prévues aux articles L. 713-2 à L. 713-3-3 et au deuxième alinéa de l'article L. 713-4. » En application des dispositions de l'article L. 717-1 du code de propriété intellectuelle, « Constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur la violation des interdictions prévues aux articles 9, 10, 13 et 15 du règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne. » Enfin, l'article 9 du règlement (UE) 2017/1001 du parlement européen et du conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne intitulé « Droit conféré par la marque de l'Union européenne », dispose que :« 1. L'enregistrement d'une marque de l'Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif.2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque :a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée ; [?]b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque;c) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans l'Union et que l'usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l'Union européenne ou leur porte préjudice.3. Il peut notamment être interdit, en vertu du paragraphe 2 : a) d'apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement;b) d'offrir les produits, de les mettre sur le marché ou de les détenir à ces fins sous le signe, ou d'offrir ou de fournir des services sous le signe;c) d'importer ou d'exporter les produits sous le signe;d) de faire usage du signe comme nom commercial ou dénomination sociale ou comme partie d'un nom commercial ;ou d'une dénomination sociale;e) d'utiliser le signe dans les papiers d'affaires et la publicité;f) de faire usage du signe dans des publicités comparatives d'une manière contraire à la directive 2006/114/CE.[...] En l'espèce, il n'est pas contesté que la société Father and Sons est titulaire des marques verbales françaises « FATHER AND SON » enregistrée sous le no95561209 le 3 mars 1995 en classes 18, 24 et 25, « FATHER AND SONS » enregistrée sous le no3317290 le 8 octobre 2004 en classes 9, 14, 18, 24 et 25, « FATHER & SONS » enregistrée sous le no3317291 le 8 octobre 2004 en classes 9, 14, 18, 24 et 25 et de la marque verbale de l'Union européenne « FATHER & SONS » enregistrée sous le no17444035 le 7 novembre 2017 en classes 3, 9, 14, 18, 24, 25 et 35. Cette dernière établit, au moyen de l'extrait Kbis de la société Marvic, à jour à la date du 3 février 2021, que cette dernière exploite dans une rue commerçante de la ville de [Localité 7], sous le nom commercial et l'enseigne ?BROTHERS & SON", un magasin spécialisé de vente de vêtements au détail depuis le 21 août 2019, ce qui n'est pas discuté. Cet élément est étayé par la production de la copie d'un ticket de caisse portant le nom de l'enseigne ?BROTHERS & SON", preuve d'achat d'un article au sein de la boutique le 8 septembre 2020 ainsi que par le procès-verbal de constat dressé par Me [S], huissier de justice à [Localité 6], au terme duquel il constate que le commerce exploité sous l'enseigne ?BROTHERS & SON" est référencé par le moteur de recherche google lorsqu'est opérée une recherche avec les termes ?Father – son - [Localité 7]". Les signes utilisés par la société Marvic n'étant pas identiques aux marques dont est titulaire la société Father and Sons, il importe de rechercher s'ils sont similaires aux marques verbales telles qu'elles ont été enregistrées. Pour ce faire, il importe de ?déterminer leur degré de similitude visuelle, auditive et conceptuelle et, le cas échéant, d'évaluer l'importance qu'il convient d'attacher à ces différents éléments en tenant compte de la catégorie de produits ou services en cause et des conditions dans lesquelles ils sont commercialisés." (CJUE arrêt du 22 juin 1999 Lloyd Schuhfabrik Meyer & Co. GmbH contre Klijsen Handel BV, Aff. C-342/97). Sur le plan visuel, en premier lieu, il est constant que la similitude s'apprécie dans la construction des signes, leur structure et leur composition. En l'espèce, les deux groupes nominaux soumis à la comparaison, de longueur équivalente (à une lettre près), sont constitués de deux noms communs, en langue anglaise, ?father" ou ?brothers", en lettres majuscules, auxquels s'ajoutent une terminaison identique ? son" ou ?sons", reliés de manière semblable par la locution anglaise ?and" ou une esperluette. Cette structure globale leur confère ainsi une certaine similarité visuelle. Sur le plan phonétique, les deux signes sont rédigés en langue anglaise. Le rythme est par ailleurs identique, les groupes nominaux étant composés chacun de quatre syllabes. Certes, les sonorités phonétiques d'attaque des deux signes, auxquelles le consommateur pertinent prête généralement une plus grande attention, sont différentes, entre [BRO] et [FA]. Néanmoins, les syllables suivantes [THER], les sonorités finales [SON] / [SONS] ainsi que l'emploi identique de la locution [AND] ou de l'esperluette qui se prononce de la même manière, sont parfaitement identiques, ce qui leur confère, en dépit d'une amorce différente, une certaine proximité phonétique. Sur le plan conceptuel, le signe litigieux met en exergue, au même titre que les marques ?Father and Sons", un lien masculin intra-familial suggérant dans l'esprit du consommateur que les produits vendus répondent aux attentes d'un public inter-générationnel. Cette lecture intellectuelle de la marque, axe de communication dominant de la société Father and Sons, vient donc compenser une proximité phonétique plus relative. Enfin, les termes ?father" et ?brother", dont la traduction est, certes, accessible sans difficulté au public français qui ne maîtriserait qu'un anglais rudimentaire, appartiennent toutefois au même champ lexical. Au regard de l'ensemble de ces considérations, le tribunal retient que les ressemblances entre les signes sont prépondérantes par rapport aux dissemblances. Les produits concernés, constitués par du prêt-à-porter masculin de milieu de gamme, sont identiques. Il s'agit en effet de services de vente au détail de vêtements et accessoires pour hommes, classes dans lesquelles les marques de la société Father and Sons sont enregistrées, qu'il s'agisse des marques françaises (classe 25) ou de la marque européenne (classe 35). La caractérisation de la contrefaçon est également subordonnée à la démonstration de l'usage du signe litigieux dans la vie des affaires, c'est-à-dire dans le contexte d'une activité commerciale visant à un avantage économique (CJUE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal) et non dans le domaine privé, de telle manière que cela porte atteinte aux fonctions de la marque. Dans le cas d'espèce, la société Marvic utilise le signe ?BROTHERS & SON" à titre de dénomination sociale et d'enseigne. A la suite de la mise en demeure adressée par la société Father and Sons, elle ne commercialise plus de vêtement sur lequel le signe serait apposé. Il est constant qu'une dénomination sociale, un nom commercial ou une enseigne n'a pas, en soi, pour finalité de distinguer des produits ou des services. La Cour de justice de l'Union Européenne a ainsi dit pour droit, dans un arrêt no C-17/06 Céline SARL contre Céline SA du 11 septembre 2007, considérant 21, qu' ?une dénomination sociale a pour objet d'identifier une société, tandis qu'un nom commercial ou une enseigne a pour objet de signaler un fonds de commerce. Dès lors, lorsque l'usage d'une dénomination sociale, d'un nom commercial ou d'une enseigne se limite à identifier une société ou à signaler un fonds de commerce, il ne saurait être considéré comme étant fait ?pour des produits ou des services", au sens de l'article 5, paragraphe 1, de la directive." La Cour ajoute toutefois, au considérant no23 de l'arrêt précité, que ?même en l'absence d'apposition, il y a usage ?pour des produits ou des services" au sens de ladite disposition lorsque le tiers utilise ledit signe de telle façon qu'il s'établit un lien entre le signe constituant la dénomination sociale, le nom commercial ou l'enseigne du tiers et les produits commercialisés ou les services fournis par les tiers". Or, en l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que si la boutique vend des produits dits ?multimarque", le signe constituant sa dénomination sociale et son enseigne est rappelé non seulement dans les rayons du magasin lui-même, à proximité des articles proposés à la vente, mais également sur le ticket de caisse et le sac remis à la clientèle lors d'un achat. L'usage pour les produits dans la vie des affaires, à titre de marque, est ainsi caractérisé. Enfin, il y a lieu de rechercher si, au regard d'une appréciation des degrés de similitude entre les signes et entre les produits désignés, il existe un risque de confusion comprenant un risque d'association dans l'esprit du public concerné. Ce risque de confusion doit être apprécié de manière globale en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, étant rappelé que "le consommateur moyen per[çoit] normalement une marque comme un tout et ne se livr[e] pas à un examen de ses différents détails." (Cour de justice de l'Union européenne, 11 novembre 1997, aff. C-251/95, Sabel BV c/ Puma AG,, § 23 ). De fait, le consommateur moyen n'a que rarement la possibilité de procéder à une comparaison directe des différents signes mais doit se fier à l'image non parfaite qu'il a gardée en mémoire. La connaissance de la marque sur le marché est également un facteur pertinent du risque de confusion. En l'espèce, le public pertinent est un consommateur de produits de prêt-à-porter masculin de moyenne gamme, qui dispose d'un éventail assez large d'enseignes proposant un vaste choix de produits. Son degré d'attention est moyen. Or, la marque Father and sons, exploitée depuis plus de 25 ans et qui dispose aujourd'hui d'un réseau de 53 boutiques en France et à l'étranger, jouit, sur ce segment de marché concurrentiel, d'une notoriété qui constitue un facteur pertinent dans l'appréciation du risque de confusion. Ainsi, le consommateur, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, pourrait-il, compte-tenu des similarités précédemment mises en exergue, penser que l'enseigne ?BROTHERS & SON" est une déclinaison de la marque Father and Sons ou que les produits proposés dans ce magasin proviennent d'entreprises liées économiquement. Le fait que le magasin BROTHERS & SON apparaisse parmi les résultats du moteur de recherche utilisé par l'huissier de justice lors de l'établissement du procès-verbal de constat précité ne fait que conforter cette analyse. Il est à ce titre indifférent que la société Father and Sons n'exploite pas de magasin dans le Périgord. Il n'est pas discuté que les produits sont bien commercialisés par la société Marvic sur le territoire français, sur lequel les marques de la société demanderesse sont protégées. De la même manière, la bonne foi n'a aucune incidence sur la caractérisation de la contrefaçon, si bien qu'il est indifférent que la société Marvic n'ait eu aucune intention de créer une quelconque confusion. Il résulte par conséquent de ce qui précède, qu'outre une identité de produits, la similitude visuelle et conceptuelle entre les signes en cause, pris dans leur ensemble, ainsi que leur utilisation dans la vie des affaires, entraîne un risque de confusion pour le public pertinent qui pourrait attribuer les produits vendus sous enseigne ?BROTHERS & SON" à la société Father and Sons. La différence phonétique d'accroche entre les signes ne permet pas, à elle seule, d'écarter le risque de confusion, si bien que l'atteinte à la fonction essentielle d'identification de la marque est caractérisée. La contrefaçon de marque est en conséquence démontrée. Sur la réparation de la contrefaçon de marqueMoyens des parties: La société Father and Sons sollicite en premier lieu l'indemnisation forfaitaire de son préjudice financier et moral qui résulte des ventes et du bénéfice réalisé par la société Marvic en utilisant des signes similaires à ses marques en lien avec ses produits. Elle souligne que ces agissements portent atteinte aux investissements humains, financiers, créatifs et publicitaires qu'elle supporte pour développer son réseau, ajoute que cela affaiblit la valeur distinctive et la force attractive de ses marques et qu'elle perd, par ce biais, le contrôle de son image. Elle soutient que cela constitue également un obstacle illégitime au développement de son réseau, et que cela se traduit, en tout état de cause, pour elle, par un manque à gagner. La société Father and Sons sollicite en second lieu le prononcé de mesures d'interdiction afin que les agissements illicites prennent fin et ne se reproduisent pas. En réponse, la société Marvic estime que la société Father and Sons succombe dans la démontration du principe de son préjudice et du quantum des dommages-intérêts sollicités, alors que la réparation d'un préjudice au forfait est, selon elle, à proscrire. Appréciation du tribunal: Aux termes des dispositions de l'article L.716-4-10 du code de la propriété intellectuelle, ?pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement : 1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ; 2o Le préjudice moral causé à cette dernière ; 3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon. Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée." En outre, l'article 130 alinéa 1. du règlement (UE) 2017/1001 du parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne intitulé « Sanctions » dispose que « 1. Lorsqu'un tribunal des marques de l'Union européenne constate que le défendeur a contrefait ou menacé de contrefaire une marque de l'Union européenne, il rend, sauf s'il a des raisons particulières de ne pas agir de la sorte, une ordonnance lui interdisant de poursuivre les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon. Il prend également, conformément au droit national, les mesures propres à garantir le respect de cette interdiction. » Enfin, l'article L. 717-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que « Les dispositions des articles L. 716-4-10, L. 716-4-11 et L. 716-8 à L. 716-13 sont applicables aux atteintes portées au droit du titulaire d'une marque de l'Union européenne. » En l'espèce, il n'est pas contesté que la société Marvic a, dans un premier temps, commercialisé une chemise en lin en apposant sur le produit le signe litigieux ?BROTHERS & SON", avant de cesser cet agissement à la suite de la mise en demeure de la société Father and sons. Ce comportement a néanmoins occasionné un préjudice financier à cette dernière dont elle peut légitimement demander réparation. La preuve d'achat de la chemise versée aux débats mentionne un prix de 39 euros après l'application d'une promotion de 40%. Aucun élément ne permet toutefois de connaître le nombre de produits vendus. De même, la société Father and sons est bien fondée à invoquer un préjudice compte-tenu des ventes réalisées par la société Marvic dans la boutique sous enseigne ?BROTHERS & SON" depuis 2019, des bénéfices réalisés par cette dernière et du manque à gagner corrélatif. Ces éléments, à défaut de données commerciales et financières précises, doivent toutefois être appréciés en considération du lieu d'exercice de l'activité et du rayonnement du magasin, à savoir principalement une boutique dans la ville de [Localité 7], et du site internet. Enfin, le tribunal admet que la société Father and Sons puisse se prévaloir d'un préjudice lié à ses investissements en particulier publicitaires et créatifs, alors que la similitude intellectuelle entre les signes est, comme cela a été précédemment exposé, particulièrement notable. En revanche, la société Father and Sons ne démontre pas utilement, au moyen de l'attestation de M. [F] versée aux débats, dont les termes sont contestés par l'attestation de M. [R] versée aux débats par la société Marvic, que le comportement de cette dernière aurait fait obstacle au développement de son réseau dans le secteur géographique. En considération de l'ensemble de ces éléments, il sera alloué à la société Father and Sons une somme forfaitaire de 3.000 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi au titre des actes de contrefaçon. Il sera également fait droit aux mesures d'interdiction légitimement sollicitées, dans les termes prévus au dispositif de la présente décision. Sur la concurrence déloyale et parasitaire Moyens des parties: La société Father and Sons estime, à titre complémentaire, que la société Marvic a commis une faute civile en utilisant des signes portant atteinte à ses droits antérieurs au titre de sa dénomination sociale, de son nom commercial et de son nom de domaine, dont elle justifie être propriétaire. Elle considère également qu'est fautif l'utilisation par la société Marvic de plusieurs éléments distinctifs de l'identité visuelle de ses boutiques, codes graphiques qui sont propres à rallier sa clientèle. Elle dénonce à ce titre l'utilisation du logo ou encore l'agencement de la boutique et de l'enseigne qui reprendrait le style, les caractéristiques graphiques et visuelles et la combinaison de bleu et blanc qu'elle a adoptés sur ses propres devantures, dans les rayons et sur sa communication publicitaire et promotionnelle. Elle reproche enfin à l'enseigne d'utiliser des personnages à tête d'animaux bicolores pour promouvoir ses produits, en imitant ses campagnes promotionnelles et dénonce, de manière générale, la communication organisée par la société Marvic, qui reprend, selon elle, les grands axes de celle qu'elle a mise en oeuvre. La société Marvic conteste avoir commis la moindre faute délictuelle ou quasi-délictuelle. Indiquant utiliser une typologie qui lui est propre pour son enseigne, au demeurant d'une relative banalité, elle revendique le droit d'utiliser des ours en peluche dans sa vitrine, contestant que la société Father and sons ait pu en faire un élément distinctif. Enfin, elle expose n'avoir eu aucune intention de générer la moindre confusion, rappelant qu'elle est une petite entreprise locale. Appréciation du tribunal: L'article 1240 du code civil dispose que « tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité civile édicté par l'article 1240 du code civil, consiste en des agissements s'écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre. Le parasitisme se définit comme l'ensemble des comportements par lequel un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire. Ces actions supposent la caractérisation d'une faute génératrice d'un préjudice, reposant sur des faits distincts de ceux invoqués au titre de l'atteinte au droit privatif de la marque d'ores et déjà pris en compte par l'action en contrefaçon. En l'espèce, il est établi et non discuté que la société Marvic utilise une dénomination sociale, une enseigne et un nom de domaine similaires à ceux de la société Father and sons, qui sont eux-mêmes identiques aux marques dont elle a revendiqué la protection sur le fondement de la contrefaçon. Cependant, ce seul usage par une société concurrente ne peut constituer une faute distincte. En effet, l'étendue de la protection de la marque justifie qu'un concurrent qui imite un signe protégé en tant que marque en l'utilisant pour son enseigne ou encore son nom commercial, soit poursuivi sur le terrain de la contrefaçon, ce qui a été le cas en l'espèce. La société Father and Sons dénonce toutefois une atteinte à l'identité visuelle de sa marque et de son axe de communication, ce qui constitue des comportements distincts d'une atteinte aux marques. En effet, lorsqu'une marque verbale, déposée sans graphisme particulier, est exploitée sous une calligraphie distinctive, cette présentation, non couverte par l'enregistrement de la marque, peut être protégée au titre de la concurrence déloyale lorsque le risque de confusion est établi. De même, est également protégé à ce titre, le fait d'utiliser un élément figuratif tel qu'un logo ou un dessin, non déposé à titre de marque, pour commercialiser un produit, lorsqu'il est établi une exploitation antérieure et que la ressemblance avec le logo ou le dessin utilisé par le concurrent est de nature à créer dans l'esprit du public un risque de confusion entre les produits ou sur leur origine. En l'espèce, l'utilisation d'une combinaison de bleu marine sur blanc ou vice-versa pour l'inscription de l'enseigne en lettres capitales est d'une relative banalité. Par ailleurs, il ressort des pièces versées aux débats que les magasins franchisés Father and Sons disposent d'une certaine liberté dans la présentation de la devanture de leur boutique, si bien que cette dernière n'est pas homogène sur l'ensemble du territoire. Il ne saurait donc être retenu, à l'encontre de la société Marvic, un comportement fautif. Il en est de même de l'utilisation d'un logo à tête de renard, revendiqué par la société Father and Sons. S'il est effectivement utilisé par certains de ses magasins, ainsi que cela ressort du cahier des vitrines 2021 produit aux débats, la société demanderesse succombe à démontrer que cela constitue un élément dominant de son identité visuelle. En tout état de cause, la société Marvic n'a pas repris à son compte l'utilisation d'un renard et il ne saurait lui être raisonnablement reproché d'avoir utilisé des ours en peluche dans sa vitrine, de surcroît pendant une période de fête. A défaut de démontrer que cela fait partie intégrante de son identité visuelle, la société Father and Sons ne rapporte pas la preuve d'une faute commise à ce titre par la société Marvic. Enfin, il est constant que peut constituer un acte de concurrence déloyale distinct de la contrefaçon de marque, le fait de reproduire un moyen publicitaire mis en oeuvre par le titulaire de la marque, de nature à aggraver le risque de confusion. En l'espèce, les photographies des campagnes de communication de la société Marvic produites aux débats, outre le fait qu'elles portent mention d'un slogan en gros caractères « des hommes et du style » propre à la société défenderesse, représentent des groupes d'hommes portant les vêtements commercialisés par la société. Force est de constater que les ressemblances entre les créations publicitaires invoquées, qui résident principalement dans la présence commune d'un groupe d'hommes d'âges différents, portent sur des caractéristiques assez usuelles compte-tenu des produits vantés, à savoir du prêt-à-porter masculin. Par conséquent, à défaut de démontrer l'existence d'une faute commise par la société Marvic, la société Father and Sons ne peut prospérer en sa demande tendant à voir engager sa responsabilité civile. Sur les demandes annexes Succombant à titre principal, la société Marvic sera condamnée aux dépens de l'instance. Supportant les dépens, elle sera condamnée à payer à la société Father and Sons la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe et en premier ressort, FAIT INTERDICTION à la SASU Marvic de faire usage des signes « BROTHERS & SON » et « BROTHERS AND SON » ou de tout autre signe reproduisant ou imitant les marques appartenant à la SAS Father and Sons, à quelque titre et sous quelque support que ce soit, pour des produits similaires, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée à l'issue d'un délai de trois mois à compter de la signification de la présente décision, courant pendant un délai de six mois ; CONDAMNE la SASU Marvic à payer à la SAS Father and Sons la somme de 3.000 euros (trois mille euros) en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon ; DÉBOUTE la SAS Father and Sons de sa demande de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire ; CONDAMNE la SASU Marvic aux dépens de l'instance qui seront recouvrés directement par la SCP Deprez Guignot & Associés sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ; CONDAMNE la SASU Marvic à payer à la SAS Father and Sons la somme de 5.000 euros (cinq mille euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Fait et jugé à Paris le 17 novembre 2022 LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000047304651
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 17 novembre 2022, 20/09782
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2022-11-17
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/09782
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CT0087
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 20/09782 No Portalis 352J-W-B7E-CS55M No MINUTE : Assignation du :28 août 2020 JUGEMENT rendu le 17 novembre 2022 DEMANDEURS Monsieur [D] [X][Adresse 4][Localité 5] S.A.R.L. LCP FRANCE[Adresse 2][Localité 6] représentées par Me Noémie SAIDI COTTIER, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #C1850 & Me Olivier YAU, avocat au barreau de NANTES, avocat plaidant DÉFENDERESSE S.A.S. SC INVEST "AUTOTRUCK 42"[Adresse 1][Localité 3] représentée par Me Antoine MORAVIE, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #D0363 & Me Jean-Louis ROBERT de la SELARL ROBERT, avocat au barreau de ROANNE, avocat plaidant COMPOSITION DU TRIBUNAL Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeElodie GUENNEC, Vice-présidenteMalik CHAPUIS, Juge, assistés de Caroline REBOUL, Greffière DEBATS L'audience s'est tenue sans débats, les avocats ayant procédé par dépôt des dossiers. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort Magistrat signataire (article 456 du code de procédure civile) : Elodie GUENNEC, Vice-présidente, la présidente Nathalie SABOTIER étant empêchée. EXPOSE DU LITIGE Au début des années 2000, Monsieur [D] [X] a mis sur le marché des signaux acoustiques permettant de réduire les nuisances sonores générées notamment par les signaux de recul des engins de chantiers, qui permettent d'éviter collisions et accidents, grâce à un procédé de modulation automatique de la puissance sonore de l'avertisseur de recul, adaptée à environ cinq décibels au-dessus du bruit ambiant. L'objet est de garantir la sécurité tout en améliorant le confort du personnel et en réduisant la pollution sonore. À ce titre, il est titulaire des marques suivantes : - La marque semi-figurative « LE CRI DU LYNX® » no 3153067 déposée le 12 mars 2002 dans la classe 9 pour les « appareils de signalisation » : - La marque verbale « LE CRI DU LYNX® » no 4474984 déposée le 7 août 2018 dans les classes 9 et 12 notamment pour les « alarmes et systèmes d'alarme, capteurs de détection d‘objets, avertisseurs sonores pour véhicules? ». Ces marques sont utilisées pour commercialiser des produits de signaux de recul à faible acoustique, la SARL LCP France, dont M. [X] est le gérant, disposant d'une licence exclusive sur ces marques. La SAS SC Invest exerçant sous le nom commercial Autotruck 42 (ci-après la société SC Invest) intervient quant à elle dans le commerce de détail d'équipement automobile et exploite un site d'e-commerce en proposant à la vente divers produits et plus particulièrement des pièces détachées automobiles, poids lourds, tracteurs et bateaux. M. [X] indique avoir constaté que la société SC Invest, utilise la dénomination « cri du lynx » pour vendre ses produits et les référencer sur son site internet. Le 23 juillet 2019, M. [X] et la société LCP France ont demandé à la société SC Invest de cesser d'utiliser les marques « LE CRI DU LYNX ». Ils ont vainement réitéré leur demande le 5 septembre 2019, avant lui délivrer une mise en demeure par courrier du 4 novembre 2019. La société SC Invest n'a pas répondu à ces courriers. M. [X] et la société LCP France ont fait dresser un procès-verbal de constat le 20 novembre 2019, relevant notamment que le site internet de la société exerçant sous le nom Autotruck 42 référence un lien internet proposant la vente d'un avertisseur « représentant le cri d'un lynx ». Après une ultime tentative de résolution amiable du litige, M. [X] et la société LCP France ont fait assigner, par acte d'huissier du 28 août 2020, la société SC Invest devant le tribunal judiciaire de Paris. Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 octobre 2021, Monsieur [D] [X] et la SARL LCP France demandent au tribunal, vu les dispositions des articles L. 713-2, L. 716-4, L. 716-4-6, L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle et 1240 du code civil, de: - Débouter la société Autotruck 42 de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions; - Déclarer bien fondées leurs demandes; En conséquence : - Rejeter la demande de nullité de la marque « LE CRI DU LYNX » ; - Dire et juger que les agissements d'Autotruck 42 liés à l'utilisation des marques « LE CRI DU LYNX » sont de nature à porter atteinte aux marques dont ils sont titulaires ; - Interdire à Autotruck 42 de poursuivre de quelque manière que ce soit l'utilisation des marques « LE CRI DU LYNX » et ce, sous astreinte définitive et non comminatoire de 500 euros par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir ; - Dire et juger que le président du tribunal restera compétent pour connaître de la liquidation éventuelle des astreintes qu'il aura ordonnées ; - Condamner Autotruck 42 à réparer les préjudices qu'ils subissent et à leur verser une somme de 55.283,88 euros de dommages-intérêts ; - Condamner Autotruck 42 au paiement de la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens. - Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 31 mai 2021, la SAS SC Invest exerçant sous le nom commercial Autotruck 42 demande au tribunal, au visa de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, de : - Prononcer la nullité de la marque française « LE CRI DU LYNX » ; - Dire que le jugement à intervenir sera transmis à l'Institut National de la Propriété Intellectuelle pour transcription ; - Déclarer les demandes en contrefaçon de marque irrecevables ; - Débouter la société LCP France et M. [X] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ; - Condamner solidairement la société LCP France et M. [X] à lui verser la somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens ; - Dire n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir. L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 janvier 2022, et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 19 septembre 2022. Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions notifiées aux dates mentionnées ci-dessus, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile. MOTIFS Sur la demande reconventionnelle en nullité de la marque semi-figurative « LE CRI DU LYNX® » no 3153067 et de la marque verbale « LE CRI DU LYNX® » no 4474984 Moyens des parties : La SAS SC Invest oppose en premier lieu, à titre reconventionnel, la nullité de la marque « LE CRI DU LYNX » dont est titulaire M. [X]. Elle soutient que la marque litigieuse ne serait pas distinctive mais purement descriptive, dans la mesure où elle ne ferait que décrire le bruit émis par les appareils de recul qui s'apparente au cri du félin. M. [X] et la société LCP France défendent au contraire le caractère fortement distinctif de la marque. Ils soulignent qu'elle ne décrit nullement le bruit des produits et que l'expression « CRI DU LYNX » a été au contraire choisie de manière totalement arbitraire pour distinguer les produits sur le marché. Appréciation du tribunal : L'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que :« Ne peuvent être valablement enregistrés et, s'ils sont enregistrés, sont susceptibles d'être déclaré nuls :1o Un signe qui ne peut constituer une marque au sens de l'article L. 711-1 ;2o Une marque dépourvue de caractère distinctif;3o Une marque composée exclusivement d'éléments ou d'indications pouvant servir à désigner, dans le commerce, une caractéristique du produit ou du service, et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation du service ; [?] ». Aux termes de l'article L.714-3 du code de la propriété intellectuelle, "Est déclaré nul par décision de justice l'enregistrement d'une marque qui n'est pas conforme aux dispositions des articles L. 711-1 à L. 711-4." En application de ces dispositions, une marque, pour être valable, doit être perçue comme un signe distinctif. L'exigence de distinctivité du signe se justifie, en droit, par la fonction essentielle de la marque qui est de garantir au consommateur ou à l'utilisateur final l'identité d'origine du produit ou du service qu'elle désigne, en lui permettant de le distinguer sans confusion possible de ceux ayant une autre provenance. A ce titre, il est constant qu'un signe décrivant une caractéristique du produit ou du service qu'il désigne, telle que sa qualité, sa composition, sa destination, ou encore sa provenance, n'est pas arbitraire. Le caractère distinctif de la marque s'apprécie par rapport aux produits et/ou services qu'elle désigne et la perception qu'en a le public pertinent. En l'espèce, la marque semi-figurative « LE CRI DU LYNX® » no 3153067 a été déposée le 12 mars 2002 dans la classe 9 pour les « appareils de signalisation » et la marque verbale « LE CRI DU LYNX® » no 4474984 a été déposée le 7 août 2018 dans les classes 9 et 12, cette dernière classe visant « les systèmes d'alarme pour véhicules terrestres, les avertisseurs sonores pour véhicules, les avertisseurs sonores de marche arrière pour véhicules, les dispositifs sonores pour véhicules ». Des produits de signaux acoustiques de recul sont commercialisés sous cette marque par M. [X], par l'intermédiaire de la société LCP France, licenciée exclusive, ce qui n'est pas discuté. Le public pertinent est composé principalement de professionnels faisant usage de ce type d'appareil de signalisation. Il ressort du dossier de présentation de la marque « LE CRI DU LYNX », versé en pièce no 22 par les demandeurs, et en particulier des données techniques relatives au signal sonore émis par les produits de la marque, qu'il « est formé d'un ensemble de fréquences allant de 500 à 11 000HZ, contrairement à un signal classique (« bip bip ») qui n'émet que sur une seule fréquence ». Or, le dossier technique comprend une comparaison entre le bruit d'un lynx et le son produit par l'avertisseur de la marque, illustrée par des graphiques qui traduisent l'absence totale de similitude entre ces deux sons. Il est ainsi précisé que « le signal sonore discontinu délivré par l'avertisseur n'est pas aléatoire mais constant, il est parfaitement régulier puisque généré électroniquement. La seule variable est sa puissance sonore. On ne peut pas en dire autant d'un cri d'animal, qui est sujet à de nombreuses variations et vocalises. Son bruit/son cri sera différent s'il chasse, cherche à se reproduire, à intimider? ». Cette analyse est par ailleurs confortée par l'écoute de la pièce no23 versée aux débats par les demandeurs, constituée d'un extrait audio du son émis par un produit de la marque « LE CRI DU LYNX » et du cri d'un lynx, au demeurant peu connu, dont il ne résulte pas la moindre similarité. Le choix de ce vocable rend donc la marque arbitraire par rapport au produit vendu. N'étant ni descriptive ni dépourvue de caractère distinctif au regard des produits et services qu'elle désigne, la marque « LE CRI DU LYNX », qui remplit sa fonction de marque à l'endroit du public pertinent, sera par conséquent déclarée valable. La demande de nullité de la marque formée par la SAS SC Invest sera rejetée. Sur la contrefaçon des marques semi-figurative et verbale « LE CRI DU LYNX® » Moyens des parties : Invoquant la titularité des marques « LE CRI DU LYNX », M. [X] et la société LCP France, qui invoque une licence exclusive d'exploitation sur ces marques, soutiennent que la société SC Invest en utilisant les marques « LE CRI DU LYNX » sur son site internet, dans le descriptif de ses produits et dans l'adresse du lien renvoyant vers ses produits a commis des actes de contrefaçon. Ils ajoutent que l'utilisation sur son site internet des mots « bruit du lynx » ou « cri du lynx » lui permet d'être mieux référencée sur les moteurs de recherche internet ce qui contribue à créer une confusion dans l'esprit des clients et des clients potentiels de la société LCP France et concluent à un comportement parasitaire de captation de la clientèle. Elles sollicitent le prononcé d'une mesure d'interdiction ainsi que la réparation de leur préjudice subi par l'octroi de dommages-intérêts. La société SC Invest soutient que la demande en contrefaçon de marque de M. [X] et la société LCP France est irrecevable. Elle critique le montant des dommages-intérêts sollicité et conclut que ne peut être interdite la commercialisation de produits imitant le bruit du lynx, alors qu'elle ne les fabrique pas et qu'ils sont acquis auprès de sociétés qui les commercialisent au niveau mondial. Appréciation du tribunal : 1. Sur la caractérisation de la contrefaçon Conformément aux dispositions de l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle, « est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :1o D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;2o D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque. » L'article L. 713-3-1 du code de la propriété intellectuelle précise que « sont notamment interdits, en application des articles L. 713-2 et L. 713-3, les actes ou usages suivants :1o L'apposition du signe sur les produits ou sur leur conditionnement ;2o L'offre des produits, leur mise sur le marché ou leur détention à ces fins sous le signe, ou l'offre ou la fourniture des services sous le signe ;3o L'importation ou l'exportation des produits sous le signe ;4o L'usage du signe comme nom commercial ou dénomination sociale ou comme partie d'un nom commercial ou d'une dénomination sociale ;5o L'usage du signe dans les papiers d'affaires et la publicité ;6o L'usage du signe dans des publicités comparatives en violation des dispositions des articles L. 122-1 à L. 122-7 du code de la consommation ;7o La suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée.Ces actes et usages sont interdits même s'ils sont accompagnés de mots tels que : " formule, façon, système, imitation, genre, méthode ». Aux termes des dispositions de l'article L. 716-4 du code de la propriété intellectuelle, l'atteinte portée au droit du titulaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits attachés à la marque la violation des interdictions prévues aux articles L. 713-2 à L. 713-3-3 et au deuxième alinéa de l'article L. 713-4 du code de la propriété intellectuelle. Interprétant les dispositions de l'article 5 § 1 de la première Directive du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques (89/104/CEE), dont les dispositions précitées réalisent la transposition en droit interne, la Cour de Justice des Communautés européennes a dit pour doit que, constitue un risque de confusion au sens de ce texte, le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d'entreprises liées économiquement (voir arrêt Canon, C-39/97, point 29 ; arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97 ). Selon cette même jurisprudence, l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce (voir, arrêt SABEL, C-251/95, point 22), cette appréciation globale impliquant une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte (voir arrêt Canon, point 17). L'appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par celles-ci, en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants. Aux fins de cette appréciation globale, le consommateur moyen de la catégorie de produits concernée est censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (voir, arrêt Gut Springenheide et Tusky, C-210/96, point 31 ; arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97, point 26). En l'espèce, il ressort du procès-verbal de constat dressé le 20 novembre 2019 par Maître [G] [C], clerc habilitée aux constats au sein de la SAS Huissiers Réunis à [Localité 7], que la société SC Invest, exerçant sous l'enseigne Autotruck 42, utilise les terminologies « cri du Lynx », « cri d'un lynx », « bruit d'un lynx » pour désigner des avertisseurs ou alarmes de recul qu'elle commercialise sur son site internet. En effet, les demandeurs établissent au moyen de ce procès-verbal de constat, que la société SC Invest offre à la vente, sur son site internet, à destination de la clientèle : un « avertisseur représentant le cri d'un lynx (12/14v)97DB » décrit comme étant un « avertisseur de recul représentant un bruit ou le cri d'un lynx (animal) » pour 119,90 euros TTC ou encore une « alarme de recul, ultrason (bruit d'un lynx) 87DB 12/24V ». Il ressort également du procès-verbal de constat que la société SC Invest utilise cette référence dans le chemin d'accès conduisant le consommateur sur une page du site internet, accessible en France, où sont commercialisés les produits, tel que par exemple : https://autotruck42.com/alarme-et-bip-de-recul/86-avertisseur-cri-du-lynx.html, la désignation litigieuse étant reprise également sur le site de manière quasiment générique, comme dans un article publié le 4 février 2020 sur la page de son site internet, sous le titre « alarme et bip de recul : tou[t] savoir, ultrason, cri du lynx etc? ». L'emploi du mot « Lynx » associé à une référence expresse au son émis par le félin en utilisant les termes « bruit » ou « cri », permet d'établir le caractère sinon identique, du moins parfaitement similaire, aux plans tant visuel, qu'auditif et surtout conceptuel, des dénominations utilisées par la société SC Invest pour désigner les produits en vente, à la marque dont est titulaire M. [X]. Les demandeurs font également la démonstration de son utilisation par la défenderesse pour désigner, sur le marché, un produit parfaitement identique à celui proposé par la société LCP France à sa clientèle, puisqu'il s'agit de radars, alarmes de recul ou avertisseurs sonores. L'absence d'autorisation pour ce faire n'est pas discutée, et la société SC Invest ne conteste pas avoir vendu un certain nombre de ces produits, l'usage dans la vie des affaires étant ainsi pleinement démontré. Dès lors, le risque d'association des produits ainsi désignés avec ceux de la marque protégée, par le public pertinent, en l'espèce un professionnel dont le degré d'attention est plutôt élevé, pour les classes 9 et 12, est réel. En effet, il pourrait attribuer à tort à ces produits une origine commune, permettant de caractériser un risque de confusion, alors que la marque est fortement distinctive. De surcroît, l'utilisation du signe dans le chemin d'accès conduisant sur une page du site commerçant, lui permet d'être référencée dans les résultats des moteurs de recherche lorsque le consommateur recherche le produit de la demanderesse. Le mots clés « lynx » associé au produit « alarme et bip de recul », déclenche l'affichage du lien commercial de la défenderesse et oriente le consommateur vers son site internet. La société SC Invest fait ainsi connaître ses propres produits à l'internaute qui rechercherait des informations ou des offres sur les produits du titulaire de la marque. Cela porte atteinte à la fonction essentielle de la marque dans le domaine du commerce électronique. Un tel comportement entre sous le coup de la contrefaçon de marque, qui est ainsi caractérisée. 2. Sur les mesures réparatrices L'article 1240 du code civil dispose que ?tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer". En application des dispositions de l'article L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle, « pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. » En l'espèce, il convient tout d'abord, afin de faire cesser les actes contrefaisant, de faire droit, en tant que de besoin, à la demande d'interdiction, selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision. En application des dispositions précitées, le montant des dommages- intérêts alloué doit s'apprécier non seulement par référence au préjudice subi par la partie lésée mais aussi en tenant compte des bénéfices retirés de la contrefaçon, ce qui implique de prendre en compte d'une part, les gains manqués et pertes subies et d'autre part, le profit du contrefacteur. En l'espèce, s'agissant des conséquences économiques négatives de la contrefaçon, il ressort des pièces versées aux débats, en particulier de la grille tarifaire de ses produits pour l'année 2020, que la société LCP France commercialise, à cette date, une alarme 87 DB 12-24 volts pour un montant de 49,50 euros HT, soit 59,40 euros TTC. Elle justifie, dans la même période de temps, que la société SC Invest commercialise une alarme de recul 12/24 volt /87 DB qui « remplace le cri du lynx » au prix de 69,90 euros TTC, soit un prix supérieur de 10,50 euros. La société LCP France affirme vendre environ 500 exemplaires par an de ce produit et énonce qu'elle aurait pu, depuis 2018, en vendre 300 exemplaires de plus. Ces affirmations ne sont toutefois nullement étayées ce qui ne permet pas d'établir précisément le manque à gagner de la société LCP France, qui n'établit pas non plus que ses ventes ont chuté depuis les faits constatés. S'agissant du bénéfice du contrefacteur, la société SC Invest démontre, quant à elle, au moyen d'un extrait de son journal de vente du 1er janvier 2019 (date de son immatriculation) au 06 mai 2021, qu'elle a vendu, entre le 31 mars 2019 et le 13 mars 2020, 21 alarmes de recul 87 DB et 97 DB. Son chiffre d'affaire pour ce produit, pour la période citée, en retenant un tarif moyen TTC de 69,90 euros, est donc de 1.463 euros. Les parties ne donnent pas d'élément permettant d'établir avec précision la marge applicable et de calculer le bénéfice réel de la société. En revanche, il y a lieu de considérer que la part des ventes due à l'emploi de la dénomination litigieuse est significative compte-tenu de son utilisation sur un site internet. Enfin, les demandeurs produisent un tableau des frais investis pour l'enregistrement et l'exploitation de la marque afin de justifier des économies d'investissement réalisées par le défendeur. Ce tableau énumère des dépenses diverses (publicité, dépôt et protection de la marque, participation à des salons), exposés depuis 2018 pour un montant total de 32.133,88 euros, sans produire les justificatifs afférents. Seules sont justifiées à ce titre les participations à des forum et congrès destinés à promouvoir les produits, néanmoins tous antérieurs à l'enregistrement de la première marque. Dès lors, au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient d'octroyer à M. [X] et la société LCP, en réparation du préjudice matériel subi du fait de la contrefaçon, une somme de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts. En raison de l'inertie de la société SC Invest, en dépit des demandes de suppression de toutes références au « CRI DU LYNX » sur son site internet, les faits de contrefaçon ont perduré et occasionné en cela un préjudice moral à M. [X] et la société LCP France causé par la banalisation de la marque. Ce préjudice sera intégralement réparé par l'octroi d'une somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts. Sur les demandes annexes Succombant, la société SC Invest sera condamnée aux dépens de l'instance. Supportant les dépens, elle sera condamnée à payer à M. [D] [X] et à la société LCP France la somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. L'exécution provisoire de la présente décision est de droit en application des dispositions de l'article 514-1 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort, LE TRIBUNAL, DÉBOUTE la SAS SC Invest exerçant sous le nom commercial Autotruck 42 de sa demande de nullité des marques semi-figurative et verbale « LE CRI DU LYNX® » enregistrées respectivement sous les no 4474984 et no 3153067 ; FAIT INTERDICTION à la SAS SC Invest d'user sur son site internet, à l'adresse pour commercialiser ses produits, des éléments verbaux et figuratifs constituant la marque semi-figurative « LE CRI DU LYNX® » no 3153067 et la marque verbale « LE CRI DU LYNX® » no 4474984 dont M. [D] [X] est titulaire, et ce, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée courant à l'expiration d'un délai de 30 jours suivant la signification de la présente décision et pendant 180 jours ; DIT n'y avoir lieu à se réserver le contentieux de la liquidation de l'astreinte ; CONDAMNE la SAS SC Invest à payer à M. [X] et à la SARL LCP France la somme totale de 5.000 euros (cinq mille euros) à titre de dommages-intérêts; CONDAMNE la SAS SC Invest aux dépens de l'instance ; CONDAMNE la SAS SC Invest à payer à M. [X] et à la SARL LCP France la somme de 4.000 euros (quatre mille euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; RAPPELLE que la présente décision est exécutoire par provision. Fait et jugé à Paris le 17 novembre 2022 LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000047304652
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 25 novembre 2022, 21/05502
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2022-11-25
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/05502
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CT0087
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG 21/05502No Portalis 352J-W-B7F-CUHZ3 No MINUTE : Assignation du :07 Avril 2021 INCIDENT ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETATrendue le 25 Novembre 2022 DEMANDERESSE S.A.S. DRONE PROTECT SYSTEM[Adresse 1][Localité 3] représentée par Maître Ron SOFFER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2110 DEFENDERESSE S.A.S. AZUR DRONES venant aux droits de la société SKEYETECH, suivant fusion-absorption du 25 juillet 2018 [Adresse 2][Localité 4] représentée par Maître Julie BELLESORT de la SELAS KPMG AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2515 MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Jugeassisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier DEBATS A l'audience du 22 Septembre 2022, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 04 Novembre 2022 puis le 25 Novembre 2022. ORDONNANCE Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe ContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE Naissance du litige et brevet invoqué 1. La société Drone protect system (ci-après « DPS »), qui se donne l'objectif de « proposer et de promouvoir des solutions de sécurité autonomes utilisant, notamment, des drones », a cherché à développer un procédé de vidéosurveillance utilisant un drone autonome pouvant se déplacer sans intervention humaine pour inspecter un lieu où la sécurité semble compromise (et procéder à une « levée de doute »). Elle a pour cela fait appel à une société capable de concevoir et produire les « éléments techniques nécessaires à la mise en oeuvre » de ce procédé. Un premier partenaire qui avait établi un cahier des charges en novembre 2015 ne l'ayant finalement pas satisfaite, elle a présenté son projet en janvier 2016 au « Cluster drones aquitain Aetos » fondé par le groupe Thalès et la région Aquitaine (que les parties nomment « le cluster Thalès »), par lequel elle a pu contacter en mars 2016 un nouveau partenaire, la société Skeyetech, aux droits de laquelle vient la société Azur drones. 2. Toutefois, la société DPS a estimé que les matériels commandés n'étaient pas opérationnels, et la société Skeyetech, se plaignant de violations répétées du contrat de distribution conclu entre elles, a résilié celui-ci par courrier du 30 octobre 2017. 3. Parallèlement, la société DPS a déposé le 9 juillet 2017 une demande de brevet français publiée sous le numéro FR 3 067 473, intitulée « procédé de vidéosurveillance utilisant au moins un drone autonome et dispositif pour sa mise en oeuvre ». Le brevet a été délivré le 28 juin 2019 ; c'est le brevet invoqué dans le présent procès en contrefaçon (ci-après « le brevet »). La société DPS a déposé une demande internationale désignant l'Europe sous priorité de ce brevet, mais a depuis retiré la France des territoires visés par la demande de brevet européen. Procédures 4. La société Azur drones a revendiqué ce brevet devant le présent tribunal, qui a rejeté sa demande par un jugement du 21 janvier 2021 dont elle a relevé appel. 5. Préalablement, la société DPS avait assigné la société Azur drones en responsabilité contractuelle devant le tribunal de commerce de Bordeaux, mais celui-ci a sursis à statuer dans l'attente de la décision sur la propriété du brevet. 6. Puis, cherchant à prouver la contrefaçon du brevet, la société DPS a obtenu le 26 février 2021 l'autorisation de pratiquer contre la société Azur drones une saisie-contrefaçon, mais cette autorisation a été rétractée par le tribunal, approuvé en cela par la cour d'appel pour déloyauté dans la présentation de la procédure (en substance, pour avoir présenté la requête au délégué du président du tribunal désigné pour assurer la permanence pendant une période de service allégé, sans faire état de la compétence du juge déjà saisi de la revendication de brevet, alors que celui-ci avait visé, lors d'un premier rejet de la requête pour un autre motif, l'article du code de procédure civile fondant sa compétence à ce titre, plutôt que l'article qui aurait fondé sa compétence en tant que délégué du président du tribunal). 7. Enfin, la société DPS a assigné la société Azur drones en contrefaçon du brevet, le 7 avril 2021. C'est la procédure donnant lieu au présent incident, lequel a été plaidé, après renvois demandés par l'une ou l'autre des parties, le 22 septembre 2022. Prétentions des parties pour l'incident 8. Dans ses dernières conclusions d'incident signifiées par voie électronique le 9 septembre 2022, la société Azur drones demande de? déclarer nulle l'assignation, ou à défaut :? surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la cour d'appel sur la revendication, et de l'issue de la procédure d'examen du brevet européen demandé sous priorité du brevet ;? subsidiairement, ? rejeter des débats la pièce no33 de la société DPS issue de la saisie-contrefaçon, ? rejeter les demandes de celle-ci, ? et la condamner à lui payer 35 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens. 9. Dans ses dernières conclusions d'incident signifiées par voie électronique le 15 septembre 2022, la société Drone protect system résiste aux exceptions de nullité et de sursis à statuer et demande de? interdire à la société Azur drones de commercialiser le « produit argüé de contrefaçon », chercher un financement ou un partenariat pour développer tout produit contrefaisant le brevet, sans avoir obtenu une licence, et ce en devant dénoncer la présente ordonnance à ses co-contractants pour suspendre l'exécution de ses obligations à leur égard ; ? subsidiairement, de la condamner à consigner 2 000 000 d'euros pour la condamnation à venir ? ordonner le renversement de la charge de la preuve et ainsi présumer que le système Skyetech a été obtenu en violation du brevet, ou subsidiairement fixer un calendrier pour trancher cette demande en tant qu'incident mais devant la formation de jugement ;? ordonner sous astreinte à la société Azur drones de lui communiquer des documents techniques relatifs au « système Skeyetech » (manuel d'installation, plan de câblage complet, plan d'adressage réseau, manuel d'utilisation et d'entretien, une attestation démontrant le prix et le nombre de ces systèmes qu'elle a vendus, et plus généralement « les documents ou informations qui [lui] permettront d'établir l'étendue de son préjudice »? la condamner à lui payer 35 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens. MOTIFS 1) Validité de l'assignation Moyens des parties 10. Selon la société Azur drones, l'assignation est nulle, en premier lieu car n'y est mentionné qu'un avocat « plaidant » et aucun avocat « constitué », ce qui serait une irrégularité de fond, et non régularisable ; en deuxième lieu car elle contient les mentions obligatoires des assignations en référé au lieu de celles imposées aux assignations au fond, n'indique donc pas les modalités réelles de comparution, et annonce une « ordonnance » au lieu d'un « jugement », ce qui était « de nature » à la tromper et lui cause donc « nécessairement » un grief ; en troisième lieu, car elle ne contiendrait pas des moyens de fait et de droit, en ce qu'elle mentionnerait le brevet « de façon globale et confusante » en faisant référence au brevet français et à la demande internationale qui en est issue, sans identifier les revendications qui seraient reproduites et en quoi elles le seraient, sans décrire les caractéristiques essentielles de l'invention ni du produit litigieux, en se contenant, en définitive, d'invoquer des déclarations anciennes de la défenderesse. 11. La société DPS répond que malgré la mention « plaidant », son avocat s'est bien constitué dans l'assignation, et qu'en toute hypothèse il s'agit d'un vice de forme ; que les erreurs sur l'audience et la qualification de la décision recherchée n'ont causé aucun grief ; que pour déclarer nulle l'assignation, il faut que le défendeur ne puisse connaitre le périmètre de la contrefaçon alléguée, ni en quoi son produit est susceptible de reproduire les éléments protégés ; qu'en l'espèce, elle a exposé dans son assignation que le produit de la défenderesse reproduisait les 4 étapes de la revendication no1 ; qu'au demeurant la défenderesse connait le brevet, pour l'avoir revendiqué ; que l'assignation détaille sur 8 pages les ressemblances entre le produit litigieux et les caractéristiques de l'invention. Réponse du juge de la mise en état Constitution d'avocat 12. L'article 752 du code de procédure civile impose, à peine de nullité, que l'assignation contienne la constitution de l'avocat du demandeur 13. La première page de l'assignation délivrée par la société DPS mentionne que la demanderesse a « pour avocat plaidant » Me Ron Soffer. Que cet avocat soit « plaidant » n'indique pas en soi qu'il ne se constituerait pas. Il ressort donc à l'évidence de cette assignation que Me Soffer est constitué pour la demanderesse. Mentions obligatoires relatives à l'audience et au type de décision 14. L'article 114 du code de procédure civile prévoit, s'agissant des irrégularités de forme, que la nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité. 15. Que des mentions erronées soient « de nature » à causer un grief ne suffit pas à retenir qu'elles le font « nécessairement ». Au cas présent, la défenderesse n'expose pas, au-delà de ces affirmations de principe, en quoi le fait qu'une audience soit annoncée à tort et qu'il soit indiqué qu'une « ordonnance » serait rendue si elle ne se constituait pas (au lieu d'un jugement) lui aurait porté préjudice, au-delà d'une hypothétique « désorganisation » de sa défense, qu'elle ne caractérise pas. Aucun grief n'est donc démontré. Moyens en fait et en droit 16. L'article 56 du code de procédure civile impose à l'assignation de contenir, à peine de nullité, un exposé des moyens en fait et en droit. Il en est souvent déduit, en matière de propriété intellectuelle, que l'assignation doit permettre au défendeur d'identifier le périmètre de la protection invoquée, ainsi que les faits qui lui sont reprochés, afin d'assurer sa défense. 17. Au cas présent, l'assignation identifie le brevet par son numéro d'enregistrement, ce qui suffit à identifier les droits invoqués, l'absence de mention expresse de certaines revendications indiquant par défaut que le brevet est invoqué dans son entier. Elle n'en cite certes pas la totalité des revendications, mais identifie celles qui sont, pour elle, essentielles, et communique en toute hypothèse la demande de brevet, qui contient les revendications. Elle identifie le produit de la défenderesse qui serait contrefaisant, et rien ne lui interdit de se prévaloir des propos de celle-ci pour caractériser la contrefaçon. Les critiques émises par la société Azur drones portent en réalité non sur l'absence de moyens en fait et en droit, mais sur leur capacité à fonder une condamnation, ce qui est l'objet du procès, et non une cause de nullité de l'assignation. 18. Par conséquent, l'exception de nullité, dont aucun des griefs n'est caractérisé, doit être écartée. 2) Sursis à statuer Moyens des parties 19. La société Azur drones fait valoir en substance que la titularité du brevet, qui est la condition du droit d'agir en contrefaçon, demeure contestée devant la cour d'appel ; et que la procédure d'examen devant l'OEB, dont elle avait certes demandé la suspension en raison de l'action en revendication, mais dont elle a désormais demandé la reprise, serait utile pour apprécier la présente action en contrefaçon même si la demande européenne ne désigne plus la France, car il s'agit des mêmes revendications. Au demeurant, selon elle, il n'est pas possible de renoncer à une désignation nationale avant la délivrance du brevet, et cette renonciation n'est pas encore publiée au bulletin officiel de l'Office, de sorte que l'article L. 614-15 du code de la propriété intellectuelle imposerait toujours un sursis. 20. La société DPS répond qu'elle est la titulaire inscrite du brevet et que cela l'autorise à agir même si une action en revendication est en cours ; que cette action a déjà été jugée infondée par le tribunal ; et qu'attendre jusqu'à une décision définitive permettrait à la défenderesse de continuer à violer ses droits. À l'égard de la procédure d'examen du brevet européen, elle fait valoir qu'elle a retiré la France de la liste des États désignés, de sorte que l'article L. 614-15 imposant un sursis ne trouverait plus à s'appliquer ; et aucun sursis ne serait opportun selon elle. Réponse du juge de la mise en état 21. Aux termes de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable. Attente de la décision définitive sur la revendication 22. S'il pouvait être opportun d'attendre le jugement de premier instance sur la revendication avant d'instruire et juger en première instance la contrefaçon du même brevet, attendre la décision de seconde instance, voire de cassation, éventuellement de renvoi après cassation, reviendrait à refuser de statuer dans un délai raisonnable. 23. Au contraire, le fait que le différend sur la titularité du brevet a déjà reçu une réponse judiciaire en première instance autorise à en tirer les conséquences en première instance dans les litiges dépendants. Le présent litige aurait au demeurant pu être joint avec l'instance en revendication si elle n'était pas aussi avancée lorsqu'il a été introduit, et l'ensemble aurait ainsi reçu une réponse simultanée. Dans l'un et l'autre cas, le droit d'appel de la partie perdante est également préservé. Attente de l'issue de la procédure devant l'Office européen des brevets 24. L'article L 614-15 prévoit que le tribunal saisi d'une action en contrefaçon d'un brevet français qui couvre la même invention qu'un brevet européen demandé par le même inventeur ou délivré à celui-ci ou à son ayant cause avec la même date de priorité sursoit à statuer jusqu'à la date à laquelle le brevet français cesse de produire ses effets aux termes de l'article L. 614-13 ou jusqu'à la date à laquelle la demande de brevet européen est rejetée, retirée ou réputée retirée, ou le brevet européen révoqué. 25. Il est constant que la demande de brevet européen a été retirée en ce qui concerne la France, et ne demeure que pour d'autres États ; cette renonciation a été inscrite au registre européen le 26 aout 2022 (puis publiée au bulletin européen des brevets no39 2022 du 28 septembre 2022, page 786). L'article L. 614-15 ne s'applique donc pas ici. 26. Et le brevet français donne lieu dans la présente procédure à un contentieux déjà avancé, qui soulève des enjeux financiers importants pour les parties ; il ne serait donc pas légitime d'en retarder davantage l'issue dans l'espoir que l'Office européen procède à l'analyse à la place du tribunal. 27. Enfin, même cumulées, les deux circonstances de l'existence d'une instance d'appel sur la revendication et de l'examen en cours devant un office administratif d'un brevet identique ne suffisent pas à justifier de retarder pour une durée indéterminée, mais assurément longue, le jugement de la demande en contrefaçon. 28. Par conséquent, l'exception de sursis à statuer est écartée. 3) Inversion de la charge de la preuve (article L. 615-5-1) Moyens des parties 29. La société DPS estime que le juge de la mise en état est compétent, au titre des mesures d'instructions, pour ordonner au défendeur de prouver que son produit n'est pas obtenu par le procédé breveté, en application de l'article L. 615-5-1 du code de la propriété intellectuelle ; et que les conditions de cet article sont réunies, dès lors, notamment, que le brevet protège un procédé et le dispositif mettant en oeuvre ce procédé, c'est-à-dire le produit destiné à le mettre en oeuvre. 30. La société Azur drones soutient que cette disposition, qui suppose de trancher plusieurs questions de fond, ne relève pas des pouvoirs du juge de la mise en état ; qu'en toute hypothèse, elle n'est pas applicable au cas présent, notamment car le procédé objet du brevet ne permet l'obtention d'aucun produit, et qu'au contraire, c'est le produit qui met en oeuvre le procédé. Réponse du juge de la mise en état 31. En vertu de l'article 780 du code de procédure civile, le juge de la mise en état, qui est un magistrat de la chambre saisie de l'affaire, contrôle l'instruction de celle-ci ; il peut adresser des injonctions aux parties. L'article 782 lui permet de demander aux parties de fournir les explications de fait nécessaires à la solution du litige, et l'article 788 lui confie tous les pouvoirs nécessaires à la communication, à l'obtention et à la production des pièces. 32. L'article L. 615-5-1 du code de la propriété intellectuelle organise un mécanisme d'inversion de la charge de la preuve dans les termes suivants : « Si le brevet a pour objet un procédé d'obtention d'un produit, le tribunal pourra ordonner au défendeur de prouver que le procédé utilisé pour obtenir un produit identique est différent du procédé breveté. Faute pour le défendeur d'apporter cette preuve, tout produit identique fabriqué sans le consentement du titulaire du brevet sera présumé avoir été obtenu par le procédé breveté dans les deux cas suivants : a) Le produit obtenu par le procédé breveté est nouveau ; b) La probabilité est grande que le produit identique a été obtenu par le procédé breveté, alors que le titulaire du brevet n'a pas pu, en dépit d'efforts raisonnables, déterminer quel procédé a été en fait utilisé. Dans la production de la preuve contraire, sont pris en considération les intérêts légitimes du défendeur pour la protection de ses secrets des affaires. » 33. Il procède ainsi en deux étapes, d'abord l'ordre fait au défendeur de prouver que son produit est obtenu par un autre procédé que celui du brevet, ensuite une présomption défavorable au défendeur, mais à deux conditions alternatives tenant à la nouveauté du produit obtenu par le procédé breveté, ou la grande probabilité que le produit identique est obtenu par ledit procédé. 34. Cette dissociation des deux étapes est cohérente avec la nécessité d'annoncer préalablement au défendeur qu'il court le risque de cette présomption défavorable afin de lui permettre de produire une preuve qui incombe en principe au demandeur : un tribunal qui dans une même décision ordonnerait au défendeur de prouver la différence de procédé tout en constatant que cette preuve n'est pas apportée empêcherait en pratique ce défendeur de déférer à l'ordre qu'on lui fait et viderait de sa substance la première phrase de l'article L. 615-5-1. Plus généralement, par une inversion non annoncée d'une règle établie de charge de la preuve, il violerait le principe de la contradiction. 35. Cette dissociation temporelle sert également l'intérêt du demandeur, qui cherche à s'éviter la recherche excessivement complexe et couteuse de l'identité du procédé ; ce qui l'amène à rechercher l'assurance le plus tôt possible dans l'instruction qu'il sera déchargé de cette preuve et que le risque probatoire reposera in fine sur le défendeur. 36. La question posée par les parties est alors de savoir si le juge de la mise en état, qui est procéduralement le seul à même d'apporter la réponse anticipée que chacun peut souhaiter, en a le pouvoir. 37. À cet égard, la formulation employée par l'article L. 615-5-1, qui vise « le tribunal », est générique, et ne permet pas d'y voir une dérogation aux pouvoirs respectifs des différentes formations du tribunal : ce terme n'apporte pas de réponse en lui-même, et il faut se référer aux prérogatives du juge de la mise en état telles qu'elles sont prévues par ailleurs. 38. Or le juge de la mise en état n'a pas le pouvoir de trancher le principal, et s'il peut statuer sur certains moyens, il s'agit seulement de ceux qui sont énumérés par l'article 789, à savoir les exceptions et les fins de non-recevoir. L'appréciation des preuves soutenant les prétentions au principal n'en fait évidemment pas partie. 39. En revanche, le juge de la mise en état peut ordonner la communication de pièces et inviter les parties à former des explications de fait. Il peut alors, en constatant que le brevet porte sur un procédé d'obtention d'un produit, et en appréciant tant la difficulté probatoire du demandeur, que la nécessité de protéger le secret des affaires du défendeur, ordonner la communication, par celui-ci, de la preuve de la différence de procédé. Ce faisant, sans s'avancer sur la décision du tribunal, il apporte au défendeur l'utilité de la première étape prévue par l'article L. 615-5-1, qui est de lui annoncer le risque d'une inversion de la charge de la preuve et ainsi le mettre en mesure d'apporter une preuve qui, en principe, ne lui incombe pas. 40. Et si, à l'égard du demandeur, le juge de la mise en état n'a pas le pouvoir de l'assurer qu'il sera déchargé du risque probatoire, cette communication forcée de pièce est le meilleur moyen d'atteindre l'équilibre des intérêts en présence, à savoir le droit à la preuve, l'économie (ou proportionnalité) procédurale, la célérité du procès, le principe de la contradiction, et la préservation du secret des affaires (sur le rappel de l'existence d'un droit à la preuve, voir par exemple Cass. 2e Civ., 10 juin 2021, no20-11.987, point 11). 41. Il faut donc interpréter l'article 782 du code de procédure civile, lu à la lumière de l'objectif de l'article L. 615-5-1 du code de la propriété intellectuelle, comme permettant au juge de la mise en état, en fonction du degré de difficulté probatoire du demandeur dans le cas d'un brevet protégeant un procédé d'obtention d'un produit, et de la gravité de l'atteinte portée au secret des affaires du défendeur, d'ordonner à celui-ci d'apporter la preuve que le procédé utilisé pour obtenir un produit identique est différent du procédé breveté. Application au cas présent 42. La demande de « renversement de la charge de la preuve » formée par la société DPS est irrecevable, pour défaut de pouvoir, dans la mesure où elle cherche à faire trancher l'appréciation des preuves par le juge de la mise en état ; en revanche, dans la mesure où elle peut être analysée comme visant en réalité à ordonner au défendeur de prouver que son produit n'est pas obtenu selon le procédé breveté, elle relève du pouvoir du juge de la mise en état, comme il vient d'être démontré. 43. Toutefois, comme le soulève la société Azur drones, le procédé objet du brevet n'est pas un procédé d'obtention d'un produit, mais un procédé de vidéosurveillance, qui n'entre dans la fabrication d'aucun produit, et est seulement mis en oeuvre par un produit, ce qui est différent. Ainsi, la demande, même analysée comme portant seulement sur un ordre de preuve, est manifestement infondée et doit par conséquent être rejetée. 4) Interdiction provisoire, consignation, droit d'information Moyens des parties - DPS 44. La société DPS fait valoir que la loi no2007-1544 a supprimé la condition tenant au caractère sérieux de la demande, et que désormais, l'article L. 615-3 du code de la propriété intellectuelle exige seulement, pour prendre une interdiction provisoire, l'existence d'un titre et le caractère vraisemblable de l'atteinte portée au droit qu'il confère ; que plusieurs cours d'appel ont ainsi jugé, entre 2008 et 2012, que seule la nullité manifeste du titre empêche de faire droit à une telle demande d'interdiction ; que telle était au demeurant la volonté du législateur, exprimée selon elle par le rapporteur du projet de loi. 45. Dans ce cadre, elle expose que comme l'a retenu l'Inpi, la caractéristique essentielle de son invention est que le plan de vol du drone chargé d'aller « lever le doute » (c'est-à-dire filmer la zone où un capteur a été déclenché) est déterminé dans la station d'accueil du drone, et non à distance dans la « centrale ». 46. Elle soutient alors, d'une part, qu'elle est titulaire du brevet comme l'a jugé ce tribunal et qu'il est vain de la part de la défenderesse de chercher à le contester ; et qu'au regard des preuves limitées qui lui sont accessibles, il est très vraisemblable que le produit Skeyetech met en oeuvre le brevet, la société Azur drones l'ayant même admis, selon elle. 47. Elle soutient, d'autre part, que même à supposer que le caractère sérieux de la contestation soulevée par le défendeur soit un facteur pertinent, ici les moyens soulevés par la société Azur drones tenant à la revendication, à la possession personnelle antérieure et à la nullité du brevet ne sont pas sérieux. 48. En particulier, sur la validité du brevet, outre qu'elle estime la contestation opportuniste et donc non crédible, elle expose en premier lieu qu'il n'y a eu aucune divulgation ; qu'en effet, si elle a communiqué en janvier 2016 les caractéristiques de son invention à M. [N], responsable du Cluster Thalès, il s'agit selon elle d'une communication tacitement confidentielle, M. [N] étant de par sa fonction nécessairement astreint à la confidentialité, outre que contrairement à ce que soutient la défenderesse, il ne serait pas ingénieur et ne saurait s'assimiler au « public ». 49. En second lieu, elle affirme que l'invention est nouvelle et inventive, notamment en ce que la caractéristique essentielle tenant au calcul du plan de vol par la station d'accueil résout les problèmes techniques de sécurité et d'efficacité lié à l'envoi de données sensibles à un contrôleur central éloigné. - Azur drones 50. La société Azur drones fait valoir en substance que l'article L. 615-3, dans sa version actuelle, au regard notamment de sa condition tenant au caractère vraisemblable de la contrefaçon, est interprété en ce sens que le juge doit apprécier la proportionnalité des mesures provisoires demandée, et statuer sur les contestations élevées en défense, y-compris lorsque celles-ci portent sur la validité du titre lui-même (CA Paris, 25 mai 2022, RG 21/18398). 51. Elle soutient alors que la vraisemblance de la contrefaçon ne repose que sur des déclarations passées qu'elle a faites, et en particulier sur le comparatif qu'elle a produit dans l'instance en revendication entre les caractéristiques de son produit et celles de la revendication 1 du brevet ; ce qui serait inopérant, et ne ferait que démontrer qu'elle possédait l'invention avant le dépôt du brevet. 52. Elle rappelle ensuite son argumentaire relatif à la revendication, qui rend selon elle disproportionnée une mesure d'interdiction. 53. Elle invoque enfin la nullité du brevet. En premier lieu, il serait nul faute de nouveauté, car la société DPS aurait divulgué l'invention elle-même en la communiquant en janvier 2016 au Cluster Thalès ; et car de précédents brevets, D1 (le document Marr), D6 (le document Trundle), D7 (le document Peeters), et D8 (le document Baranger) divulgueraient toutes les caractéristiques de l'invention ou priveraient à tout le moins celle-ci de caractère inventif. Réponse du juge de la mise en état 54. En application de l'article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle, le titulaire d'un brevet peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, à l'encontre du prétendu contrefacteur, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d'actes argüés de contrefaçon. La juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à ses droits ou qu'une telle atteinte est imminente. Le deuxième alinéa de cet article précise que la juridiction peut subordonner la poursuite des actes argüés de contrefaçon à la constitution de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du demandeur. 55. Selon le 22ème considérant de la directive no2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, dont les dispositions précitées réalisent la transposition en droit interne, s'il est indispensable de prévoir des mesures provisoires afin de faire cesser immédiatement l'atteinte, ce doit être « en veillant à la proportionnalité des mesures provisoires en fonction des spécificités de chaque cas d'espèce ». Ce même considérant ajoute que « ces mesures sont notamment justifiées lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au titulaire d'un droit de propriété intellectuelle. » 56. Il en résulte que, comme le juge de façon constante ce tribunal, le juge des référés ou le juge de la mise en état saisi de demandes fondées sur l'article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle doit statuer sur les contestations élevées en défense, y compris lorsque celles-ci portent sur la validité du titre lui-même. Il lui appartient alors d'apprécier le caractère sérieux ou non de la contestation et, en tout état de cause, d'évaluer la proportion entre les mesures sollicitées et l'atteinte alléguée par le demandeur et de prendre, au vu des risques encourus de part et d'autre, la décision ou non d'interdire la commercialisation du produit prétendument contrefaisant. 57. L'article L. 613-25, point a), du code de la propriété intellectuelle dispose qu'un brevet est déclaré nul, notamment, si son objet n'est pas brevetable aux termes de l'article L. 611-10, lequel prévoit que sont brevetables, dans tous les domaines technologiques, les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle. L'article L. 611-14 précise en particulier qu'une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique. 58. L'examen de la demande du brevet a donné lieu à une opinion écrite (pièce DPS no45) par laquelle l'examinateur a estimé que seules les revendications 5 et 9 étaient inventives (mais qu'elles manquaient de clarté en ce qu'elles mentionnaient une station d'accueil « associée » à un capteur, sans plus de précision, alors qu'il « n'y a a priori aucune relation technique ou fonctionnelle entre les stations d'accueil (28) des drones et les capteurs (20) »). 59. Il a ainsi relevé que le document ‘D1' (qui sera appelé ici, pour éviter toute confusion entre les antériorités, le document Marr ; pièce Azur drones no54), dont il est constant qu'il était accessible au public à la date de priorité du brevet, divulguait l'ensemble des caractéristiques de la revendication 1 de celui-ci, à l'exception de celle selon laquelle le procédé de vidéosurveillance comprend, « à réception par la station d'accueil (28) de la requête d'inspection, une étape de détermination, de manière automatique et autonome, d'un plan de vol (45) » ; et la société DPS ne conteste pas que seule cette caractéristique soit nouvelle à l'égard de ce document. 60. L'examinateur a relevé que cette différence entre le brevet et le document Marr, qui tient seulement à ce que le plan de vol est déterminé par la station d'accueil du drone elle-même plutôt que par le contrôleur central, avait pour seul effet de délocaliser cette tâche et consistait en une alternative de design banale, affectant à la station d'accueil une tâche existante, sans aucun effet surprenant, et donc dépourvue d'activité inventive. 61. Si la société DPS rétorque que cet effet technique résout un problème d'efficacité et de sécurité en évitant la transmission de données volumineuses et sensibles à l'extérieur du site à protéger, la simple délocalisation de la tâche de détermination du plan de vol est toutefois une solution évidente pour obtenir l'avantage recherché : elle consiste seulement à supprimer de façon évidente pour l'homme du métier la cause connue du problème, qui est la distance. 62. Au demeurant, la société DPS ne conteste pas que le problème technique allégué n'est décrit nulle part dans le brevet, et la solution invoquée (délocaliser le calcul dans la station d'accueil) n'est elle-même revendiquée qu'indirectement, de façon très implicite : n'est en effet revendiquée explicitement qu'une étape consistant à déterminer le plan de vol ; et ce n'est que parce que cette étape a lieu « à réception » de la requête d'inspection « par la station d'accueil » que l'examinateur en a déduit que la détermination du plan de vol avait lieu dans la station d'accueil. Outre que cette interprétation de la revendication n'a rien d'évident (la rédaction de la revendication exprime d'abord une succession chronologique, et non en elle-même une localisation), il est douteux que la localisation de l'étape serait la caractéristique essentielle de l'invention. Au contraire, à supposer que le problème technique invoqué soit réel, et que la revendication 1 le résolve réellement, le fait qu'il ne soit pas décrit, et que sa solution ne soit pas revendiquée explicitement, ne fait que confirmer que la compréhension et la solution de ce problème découlaient en réalité de façon évidente de l'état de la technique pour l'homme du métier. 63. Par ailleurs, si la société Azur drones a en effet affirmé que son produit reproduisait toutes les caractéristiques de la revendication 1 dans ses conclusions pour l'instance en revendication du brevet dans un passage invoqué par la société DPS (pièce DPS no30, p. 21), il ne s'agit que de la revendication 1 (et indirectement de la revendication 8, qui est le dispositif mettant en oeuvre la revendication 1). La société DPS n'expose pas en quoi les autres revendications seraient vraisemblablement contrefaites par la défenderesse. 64. Ainsi, au regard de la faible vraisemblance de l'activité inventive de la revendication invoquée au soutien de l'allégation de contrefaçon, il serait disproportionné d'interdire à la société Azur drones de commercialiser en France son unique produit, dont le lancement est encore récent, ce qui aurait pour conséquence de rendre entièrement vains ses investissements de développement et de promotion, avec le risque de conséquences irrémédiables tenant à l'impossibilité pour elle de revenir ultérieurement sur le marché si la demande de la société DPS était finalement rejetée au fond. 65. Et la faiblesse de la vraisemblance de la contrefaçon ne justifie pas à elle seule de subordonner la poursuite des actes litigieux à la constitution d'une garantie. 66. Par conséquent, la demande en interdiction est rejetée. Droit d'information 67. L'article L. 615-5-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit que, s'il n'existe pas d'empêchement légitime, la juridiction peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des produits ou procédés argués de contrefaçon qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits argüés de contrefaçon ou mettant en oeuvre des procédés argüés de contrefaçon ou qui fournit des services utilisés dans de prétendues activités de contrefaçon ou a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits, la mise en oeuvre de ces procédés ou la fourniture de ces services. 68. Ce texte réalise la transposition en droit français de l'article 8 de la directive 2004/48, lequel précise, à son paragraphe 1, que le droit d'information n'est accordé qu'en réponse à une demande proportionnée. 69. Au cas présent, la société DPS demande des informations confidentielles, susceptibles de lui donner un avantage sur son concurrent, causant ainsi aux droits de celui-ci une atteinte disproportionnée au regard de la vraisemblance de la contrefaçon examinée plus haut. La demande est donc rejetée. 5) Demande d'écarter des débats la pièce DPS no33 70. La pièce critiquée par la société Azur drones, no33 du bordereau de l'assignation, est intitulée « Note de l'expert sur le constat Azur drones du 1er avril 2021 » ; comme l'expose l'assignation, il s'agit des notes prises par l'informaticien lors de la saisie-contrefaçon du 1er avril 2021. Il est constant que l'ordonnance ayant autorisé cette saisie-contrefaçon a été rétractée ; les informations qui y ont été obtenues ne peuvent donc être utilisées, et la note réalisée à cette occasion doit être écartée du procès, ce que la société DPS, au demeurant, ne conteste pas. 6) dispositions finales 71. L'article 700 du code de procédure civile permet au juge de condamner la partie qui perd le procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie. 72. L'incident a généré pour les parties des frais spécifiques qui peuvent donner lieu à indemnisation. Chaque partie voit l'ensemble de ses moyens ou prétentions formées à titre incident écartés ou rejetées. Si les débats sur les mesures provisoires ont manifestement nécessité des diligences plus importantes que les exceptions soulevées par la défenderesse, une partie de ces diligences auraient quoiqu'il en soit dû être accomplies lors du débat sur le fond du droit, de sorte qu'il n'y a pas lieu à faire supporter par une partie la charge des frais exposés par l'autre pour le présent incident. Les demandes en ce sens sont rejetées. 73. Enfin, il incombe désormais à la défenderesse de conclure sur le fond. PAR CES MOTIFS Le juge de la mise en état : ÉCARTE l'exception de nullité de l'assignation ; ÉCARTE l'exception de sursis à statuer ; REJETTE la demande de « renversement de la charge de la preuve » ; REJETTE la demande d'interdiction provisoire REJETTE la demande d'informations ; INTERDIT l'usage dans la présente instance de la pièce no33 visée à l'assignation, intitulée « note de l'expert sur le constat Azur drones du 1er avril 2021 » ; REJETTE les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; INVITE la société Azur drones à conclure pour le 6 janvier 2023, et RENVOIE la mise en état de l'affaire au 12 janvier. Faite et rendue à Paris le 25 Novembre 2022 Le Greffier Le Juge de la mise en étatQuentin CURABET Arthur COURILLON-HAVY
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JURITEXT000047304653
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 25 novembre 2022, 21/03795
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2022-11-25
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/03795
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CT0087
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG 21/03795No Portalis 352J-W-B7F-CT7R4 No MINUTE : Assignation du :25 Février 2021 INCIDENT ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETATrendue le 25 Novembre 2022 DEMANDERESSES S.A.S. LES ECHOS[Adresse 1][Localité 5] S.A.S. SOCIETE DU FIGARO[Adresse 2][Localité 5] S.A.S. LE PARISIEN LIBERE[Adresse 1][Localité 5] représentées par Maître Christophe CARON de l'AARPI Cabinet Christophe CARON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0500 DÉFENDERESSE S.A. DIGIMIND[Adresse 4][Localité 3] représentée par Maître Jean-baptiste SOUFRON de la SELARL FELTESSE WARUSFEL PASQUIER & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #K0028 MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Jugeassisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier DÉBATS A l'audience du 04 Novembre 2022, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 25 Novembre 2022. ORDONNANCE Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe ContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE 1. Les sociétés Les Echos, Société du figaro, et Le Parisien libéré reprochent à la société Digimind de rendre accessibles à ses propres clients des articles que celles-là éditent, en violation selon elles de leurs droits d'auteur, droit voisin d'éditeur de publications presse, et de producteur de base de données, et subsidiairement en commettant un parasitisme. 2. Après une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Digimind le 2 février 2021, elles l'ont assignée en contrefaçon le 25 février 2021. Une médiation judiciaire a eu lieu à partir d'octobre 2021, sans permettre de mettre fin au litige. 3. La défenderesse a ensuite formé une exception de nullité de l'assignation, qui a été écartée par ordonnance du 5 aout 2022. Elle a également formé des fins de non-recevoir, que le juge de la mise en état a renvoyées au tribunal, et demandé que des pièces soient écartées des débats, ce dont le juge de la mise en état a « dit n'y avoir lieu ». 4. Ayant fait appel de cette ordonnance, la société Digimind a formé le 13 octobre 2022 un nouvel incident afin qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de l'arrêt de la cour d'appel, pour une bonne administration de la justice. Les demanderesses au principal, dans des conclusions du 31 octobre 2022, s'en sont remises à la décision du juge de la mise en état, en indiquant que l'attitude de la défenderesse étaient dilatoire selon elles. Cet incident a été entendu à l'audience du 4 novembre 2022, et la décision mise en délibéré. MOTIFS 5. Aux termes de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable. 6. L'article 795 du code de procédure civile prévoit que les ordonnances du juge de la mise en état peuvent être immédiatement frappées d'appel, notamment, dans les cas et conditions prévus en matière d'expertise ou de sursis à statuer, ou lorsqu'elles statuent sur une exception de procédure. 7. Il est constant que le litige dont le tribunal est saisi dépend de la validité de l'assignation. Toutefois, aucune disposition n'impose de surseoir à statuer lorsque la décision qui tranche cette question préalable dont dépend la solution du litige fait l'objet d'un recours (contrairement, par exemple, au cas de la décision statuant sur la compétence, où l'article 80 du code de procédure civile prévoit que l'instance est suspendue en cas d'appel). Comme l'indique la société Digimind, la décision de surseoir à statuer relève seulement dans un tel cas de la bonne administration de la justice. 8. Ainsi, pour déterminer s'il est opportun de suspendre l'instance, il faut apprécier les incidences du risque de contrariété de décisions, le risque de travail inutile imposé aux parties pour instruire une affaire en vain, et l'atteinte causée par le sursis demandé au droit de voir toute cause entendue dans un délai raisonnable. 9. La contrariété éventuelle de décisions entre, d'une part, le jugement du tribunal si l'instruction va à son terme, et d'autre part l'arrêt de la cour d'appel si elle infirme l'ordonnance sur la nullité de l'assignation, n'entrainera aucune conséquence irrémédiable, dès lors que le jugement du tribunal sera susceptible d'appel. Ainsi, soit la cour d'appel infirme l'ordonnance avant que le tribunal ait statué, et ainsi aucune contrariété de décision n'est possible, soit le tribunal statue avant la cour, et l'appel contre le jugement suffira à corriger, en tant que de besoin, toute contrariété éventuelle. 10. Ne reste alors que la charge imposée au défendeur pour le procès alors que, peut-être, la décision de la cour d'appel la lui aurait évitée. Toutefois, au cas présent, il ressort des termes de la demande que cette charge n'est pas exceptionnelle, et que, rapportée au délai déjà très important qui s'est écoulé depuis l'introduction de l'instance, même en tenant compte du temps de la médiation, elle ne suffit pas à justifier de retarder davantage le jugement. 11. Il n'est dès lors pas justifié de surseoir à statuer, et la demande en ce sens est rejetée. 12. En l'absence de demande des parties, il n'y a pas lieu de statuer sur les frais. PAR CES MOTIFS Le juge de la mise en état : REJETTE la demande de sursis à statuer ; ENJOINT à la société Digimind de conclure sur le fond pour le 6 janvier 2023, à défaut de quoi l'instruction sera close, et renvoie l'examen de la mise en état de l'affaire au 12 janvier 2023. Faite et rendue à Paris le 25 Novembre 2022 Le Greffier Le Juge de la mise en étatQuentin CURABET Arthur COURILLON-HAVY
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Tribunal judiciaire de Paris, 25 novembre 2022, 20/05448
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2022-11-25
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/05448
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG 20/05448No Portalis 352J-W-B7E-CSHXD No MINUTE : Assignation du :15 Juin 2020 JUGEMENT rendu le 25 Novembre 2022 DEMANDERESSES Société DOLCEZZA INC[Adresse 4][Localité 7] (CANADA) Société DOLCEZZA EUROPE LTD[Adresse 11][Adresse 10], [Localité 6] (IRLANDE) Société EMC HAZIR GIYIM SANAYI LIMITED SIRKETI - Intervenant volontaire[Adresse 9]r[Localité 8] (TURQUIE) représentée par Maître Stéphane GUERLAIN de l'AARPI ARMENGAUD - GUERLAIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #W0007 DÉFENDERESSES S.A.R.L. GIORGIO DI MARE FRANCE[Adresse 3][Localité 2] représentée par Maître David BARIS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C1810 S.A.R.L. SHOWROOMPRIVE.COM[Adresse 1] [Adresse 1][Localité 5] représentée par Maître Béatrice CREVIEUX, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #L0237 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Irène BENAC, Vice-PrésidenteMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge assisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier DEBATS A l'audience du 29 Septembre 2022 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 25 Novembre 2022. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe ContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE 1. La société de droit turc EMC Hazir Giyim Sanayi Ltd Sirketi (ci-après « la société EMC »), ayant pour activité la confection de vêtements commercialisés sous la marque « Dolcezza », et les sociétés de droit canadien Dolcezza Inc et de droit irlandais Dolcezza Europe, ayant pour activité la commercialisation dans le monde et en Europe des vêtements de la marque précitée, reprochent aux sociétés Giorgio di Mare et Showroomprive.com d'avoir commis des actes de contrefaçon de marque du fait de la commercialisation de doudounes revêtues du signe « Dolcezza » sur le site www.showroomprive.com en décembre 2019 et janvier 2020. 2. Est invoquée la marque semi-figurative de l'Union européenne « Dolcezza » no 017928118 dont est titulaire la société EMC, déposée le 9 juillet 2018 et enregistrée le 20 novembre 2018 pour désigner notamment des produits en classe 25 : 3. Etait également invoquée la marque verbale de l'Union européenne « Dolcezza » no 16445793 dont est titulaire la société Dolcezza Inc, déposée le 8 mars 2017 et enregistrée le 6 juillet 2017 pour désigner des produits en classe 25. 4. Les sociétés Dolcezza Inc et Dolcezza Europe ont mis en demeure les sociétés Showroomprive.com et Giorgio di Mare de cesser la commercialisation de doudounes qu'elles estiment contrefaisantes et de retirer les annonces de vente en ligne, puis les ont assignées les 15 et 22 juin 2020 en contrefaçon de marque et concurrence déloyale et parasitaire. La société EMC est intervenue volontairement à l'instance le 30 mars 2021, formulant des demandes en contrefaçon de sa marque semi-figurative précitée. 5. Par ordonnance du 7 mai 2021, le juge de la mise en état a déclaré la société Dolcezza Inc irrecevable en ses demandes de contrefaçon de la marque de l'Union européenne no 16445793, mais a déclaré les sociétés Dolcezza Inc et Dolcezza Europe recevables à agir en concurrence déloyale. 6. Par ordonnance du 4 mars 2022, le juge de la mise en état a débouté les demanderesses de leur demande de mesure d'instruction. 7. L'instruction a été close le 21 avril 2022 et l'affaire plaidée le 29 septembre 2022. 8. Dans leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 22 mars 2022, les sociétés EMC Hazir Giyim Sanayi Ltd Sirketi, Dolcezza Inc et Dolcezza Europe résistent aux demandes reconventionnelles et demandent elles-mêmes :? invoquant une contrefaçon de marque, de : ? condamner « conjointement et solidairement » les sociétés Giorgio di Mare et Showroomprive.com à payer à la société EMC la somme de 26 000 euros en réparation de son préjudice, ? condamner la société Giorgio di Mare à verser à la société EMC la somme de 96 628 euros à titre provisionnel en réparation du manque à gagné subi,? invoquant des actes de concurrence déloyale et parasitaire, de condamner « conjointement et solidairement » les sociétés Giorgio di Mare et Showroomprive.com à verser à chacune des sociétés Dolcezza Inc. et Dolcezza Europe la somme de 20 000 euros en réparation de leur préjudice,? invoquant subsidiairement la qualité d'éditeur de la société Showroomprive.com, de la condamner au titre de la contrefaçon et de la concurrence déloyale pour les mêmes montants,? invoquant encore plus subsidiairement le manquement de la société Showroomprive.com en qualité d'hébergeur, de la condamner à verser aux sociétés Dolcezza Inc et Dolcezza Europe la somme de 20 000 euros en réparation de leur préjudice,? en tout état de cause, des mesures d'interdiction et de publication sous astreinte,? de condamner « conjointement et solidairement » les défenderesses au paiement de la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, recouvrés par leur avocat. 9. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 7 février 2022, la société Giorgio di Mare conteste le droit des sociétés Doclezza Inc et EMC à agir en contrefaçon, demande le rejet d'une pièce et résiste à l'ensemble des demandes au fond, demande reconventionnellement la condamnation des demanderesses au paiement de la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice résultant de l'atteinte à son image et de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens. 10. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 28 mars 2022, la société Showroomprive.com soulève l'irrecevabilité à agir de la société Dolcezza Inc en contrefaçon de marque, résiste aux demandes, sollicite à titre reconventionnel la condamnation de la société Giorgio di Mare à la garantir des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle, et demande 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens. MOTIFS DE LA DÉCISION 1- Demandes fondées sur l'atteinte au droit de marque 1.1- Sur la qualité à agir de la société EMC Moyens des parties 11. La société Giorgio di Mare soutient que la société EMC ne démontre pas son intérêt et sa qualité à agir dès lors qu'elle ne prouve pas d'atteinte à sa propre marque ni de préjudice propre. Elle considère en effet que la société EMC reprend les griefs que la société Dolcezza Inc formulait dans l'assignation, fondés sur une marque dont la société EMC n'est pas titulaire. Dans le dispositif de ses conclusions, la société Giorgio di Mare sollicite l'irrecevabilité des demandes de la société EMC mais également celles de la société Dolcezza Inc en contrefaçon. 12. La société Showroomprive.com ne formule aucune demande similaire dans le corps de ses conclusions, mais sollicite, dans son dispositif, que la société Dolcezza Inc soit déclarée irrecevable en sa demande de contrefaçon de marque. 13. La société EMC ne répond pas sur ce point. Réponse du tribunal 14. En application de l'article L. 716-4-2, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle, « L'action civile en contrefaçon est engagée par le titulaire de la marque ou par le licencié avec le consentement du titulaire, sauf stipulation contraire du contrat. Toutefois, le bénéficiaire d'un droit exclusif d'exploitation peut agir en contrefaçon si, après mise en demeure, le titulaire n'exerce pas ce droit dans un délai raisonnable ». 15. Les fins de non-recevoir consistent, selon l'article 122 du code de procédure civile, en « tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond, pour défaut du droit d'agir, tel que le défaut de qualité (...) ». 16. Le juge de la mise en état ayant déclaré, par ordonnance du 7 mai 2021, la société Dolcezza Inc irrecevable en sa demande de contrefaçon de la marque verbale de l'Union européenne « Dolcezza » no 16445793, cette marque n'étant plus invoquée et les demandes formulées à ce titre ayant été retirées par les demanderesses, les demandes formées par les défenderesses portant sur le défaut de qualité à agir de la société Dolcezza Inc sont sans objet. 17. Par ailleurs, la société EMC invoque, au fondement de sa demande de contrefaçon de marque, la marque semi-figurative de l'Union européenne « Dolcezza » no 017928118, déposée le 9 juillet 2018 et enregistrée le 20 novembre 2018, dont elle est titulaire (pièce demanderesses no 25). Or, la société Giorgio di Mare reproche seulement à la société EMC de faire siens les arguments précédemment énoncés par la société Dolcezza Inc, mais ne conteste pas la titularité de la marque « Dolcezza » no 017928118. En conséquence, la demande de la société Giorgio di Mare est rejetée. 1.2- Sur la contrefaçon de marque Moyens des parties 18. La société EMC soutient que la commercialisation, sur le site www.showroomprive.com, de doudounes sur lesquelles est reproduite la marque « Dolcezza » constitue une contrefaçon de sa marque semi-figurative de l'Union européenne, imputable tant à la société Giorgio di Mare qu'à la société Showroomprive.com, laquelle a procédé à l'achat des produits contrefaisants et à leur mise en vente. Il importe peu, selon elle, que la marque figure en petit sur la fermeture éclair. Elle ajoute que la société Giorgio di Mare a également commis des actes de contrefaçon par suppression de la marque « Dolcezza » à un autre endroit sur la doudoune. Elle réplique aux défenderesses que la bonne foi est inopérante en la matière de sorte que la société Giorgio di Mare ne peut argüer de ce que cette suppression est le fait de son fournisseur turc. 19. Elle répond par ailleurs à la demande de rejet de pièce qu'il appartient au tribunal d'apprécier la valeur probante d'une capture d'écran, sans qu'il y ait lieu d'écarter la pièce en cause no 3, et que les pièces en langue anglaise compréhensibles par le tribunal peuvent être acceptées. 20. En réplique, la société Giorgio di Mare demande tout d'abord le rejet de la pièce no 3 des demanderesses au motif que, s'agissant d'une capture d'écran, elle est dénuée de force probante. Elle soutient ensuite que la marque « Dolcezza » n'est reproduite sur les fermetures éclairs que sur les deux modèles de doudounes sans manches, dont seules seize ont été vendues de sorte que la probabilité pour le consommateur d'apercevoir la marque est faible. S'agissant de la suppression de la marque, elle soutient qu'il n'est fait aucune référence à la marque « Dolcezza » sur l'acte de vente et que c'est son fournisseur turc qui l'a recouvert. 21. La société Showroomprive.com considère, pour sa part, que la contrefaçon n'est pas établie et se rapporte sur ce point aux écritures de la société Giorgio di Mare. Réponse du tribunal 22. Aux termes de l'article 9, paragraphes 1 et 2, du règlement (UE) no 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne :« 1. L'enregistrement d'une marque de l'Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif. 2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque : a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée; b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque ». a. Sur la contrefaçon par imitation 23. En l'espèce, il est démontré, notamment par des procès-verbaux de constat d'huissier, et non contesté, que seize doudounes vendues sur le site www.showroomprive.com sous la marque « Giorgio di Mare » comportent une fermeture éclair sur laquelle est apposé le signe « Dolcezza » (pièces demanderesses no 14 et 15). A ce titre, il n'y a pas lieu d'écarter la pièce no 3 des demanderesses au seul motif qu'il s'agit de captures d'écran, cela influant seulement sur sa valeur probante qu'il revient au tribunal d'apprécier. 24. L'appréciation de la similitude visuelle, auditive et conceptuelle des signes doit être fondée globalement à partir de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce et sur l'impression d'ensemble produite par ceux-ci, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants. 25. En l'occurrence, les produits en cause étant des vêtements, le public concerné est le grand public. 26. La marque européenne semi-figurative « Dolcezza » a été déposée notamment en classe 25 pour désigner des vêtements. Les produits litigieux sont quant à eux des doudounes, qui sont des vêtements. Les produits sont donc identiques. 27. S'agissant de la comparaison des signes, la marque invoquée est une marque semi-figurative, le terme « Dolcezza » étant écrit dans une police de caractère stylisée et les quatre dernières lettres étant reliées par une même barre : 28. Le signe litigieux est une fermeture éclair ronde, comportant sur le bord le terme « Dolcezza » écrit dans une police de caractère classique et à l'intérieur un élément figuratif floral : 29. Ce signe, qui n'a pas de fonction dans le produit, peut être perçu par le public comme la désignation de l'entreprise à l'origine du produit. Il s'agit donc d'un usage pour des produits, au sens de l'article 9, paragraphe 2, du règlement précité. 30. Visuellement, la différence de police de caractère et l'absence, au sein du signe litigieux, de la barre commune aux quatre dernières lettres sont des différences minimes. En revanche, la présence de l'élément figuratif floral au sein du signe litigieux se distingue de la marque invoquée de sorte que la ressemblance visuelle est moyenne à faible. 31. D'un point de vue phonétique, il ressort une ressemblance forte entre les signes, seul le terme « Dolcezza », identique aux deux signes, étant prononcé. 32. Conceptuellement, enfin, la ressemblance est moyenne à forte dès lors que la seule différence tient à la présence d'un élément floral au sein du signe litigieux. 33. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, eu égard à la stricte identité des produits concernés alliée à une certaine similitude entre le signe litigieux en cause et la marque « Dolcezza », le risque de confusion est caractérisé, le public concerné étant amené à attribuer aux produits proposés une origine commune. 34. La contrefaçon par imitation est donc caractérisée, peu important que les produits litigieux soient présentés sur le site internet www.showroomprive.com comme des vêtements de la marque « Giorgio di Mare » et que les défendeurs n'aient pas eu l'intention de tromper les consommateurs, la bonne foi étant indifférente en matière de contrefaçon. 35. Il ressort par ailleurs de l'article 1er des contrats d'achat de marchandises, conclus entre la société Showroomprive.com et la société Giorgio di Mare, que « le Fournisseur vend sous condition suspensive les Produits à [la société Showroomprive.com] et [la société Showroomprive.com] les commercialise auprès de ses Membres sur les Sites compris dans le Territoire lors de Ventes Privées » (pièce SRP no 2). 36. La société Showroomprive.com commercialise ainsi elle-même les produits contrefaisants et est donc responsable, aux côtés de son fournisseur, la société Giorgio di Mare, des faits de contrefaçon. 37. La demande en contrefaçon à l'encontre de la société Showroomprive.com étant accueillie, les demandes subsidiaires formées contre cette dernière ne seront pas examinées. b. Sur la contrefaçon par suppression de marque 38. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que « le titulaire d'une marque peut s'opposer à ce qu'un tiers, sans son consentement, supprime tous les signes identiques à cette marque et appose d'autres signes sur des produits [...] en vue de les importer ou de les mettre dans le commerce dans l'Espace économique européen (EEE) où ils n'ont jamais été commercialisés » (CJUE, 25 juillet 2018, C-129/17, Mitsubishi c/ Duma et GSI). La Cour de justice énonce en effet que parmi les fonctions de la marque, figurent notamment celles de communication, d'investissement ou de publicité. Elle définit la fonction d'investissement comme la « possibilité pour le titulaire d'une marque d'employer celle-ci pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d'attirer et de fidéliser des consommateurs », et la fonction de publicité comme le fait « d'employer une marque à des fins publicitaires visant à informer ou à persuader le consommateur » (points 34 à 37). Or, selon la Cour de justice, « la suppression des signes identiques à la marque et l'apposition de nouveaux signes sur les produits entravent la possibilité pour le titulaire de la marque de s'attacher la clientèle par la qualité de ses produits et affectent les fonctions d'investissement et de publicité de la marque lorsque, comme en l'occurrence, le produit en question n'est pas encore commercialisé sous la marque du titulaire sur ce marché par celui-ci ou avec son consentement » (point 46). 39. Il est constant que les doudounes litigieuses sont revêtues, dans le haut du dos, d'une étiquette sur laquelle figure le signe « Giorgio di Mare », cousue sur une seconde étiquette portant quant à elle le signe « Doclezza ». 40. Toutefois, la société EMC se contente d'affirmer que la société Giorgio di Mare a procédé à la suppression de sa marque régulièrement apposée sur les doudounes, sans démontrer qu'elle avait effectivement apposé des étiquettes revêtues de la marque « Dolcezza » sur les doudounes litigieuses, et que ces dernières ont été fabriquées à sa demande, en vue d'être commercialisées par elle sous sa marque. Il ressort au contraire des pièces versées aux débats que les doudounes commercialisées par la demanderesse ne sont revêtues d'aucune étiquette en haut du dos (pièce demanderesses no 4). 41. Dès lors qu'il n'est pas établi que les doudounes revêtues des deux étiquettes, l'une recouvrant l'autre, sont des produits fabriqués sous la responsabilité de la société EMC et destinés à être vendus sous sa marque « Dolcezza », il ne peut être considéré que l'apposition de l'étiquette « Giorgio di Mare » a empêché la société EMC de s'attacher une clientèle par la qualité de ses produits, et donc qu'il a été porté atteinte à aux fonctions d'investissement et de publicité de la marque. 42. La contrefaçon par suppression de marque n'est donc pas établie et les demandes formées à ce titre seront rejetées. 1.3- Sur les mesures sollicitées a. Sur le préjudice subi par la société EMC Moyens des parties 43. En réparation de son préjudice résultant des actes de contrefaçon, la société EMC sollicite la condamnation des sociétés Giorgio di Mare et Showroomprive.com à lui verser la somme de 26 000 euros, correspondant aux bénéfices réalisés estimés à 5 489,5 euros, au gain manqué évalué à la somme de 15 684,5 euros, qui résulte de la différence de 65 % entre le prix de vente des produits litigieux et le prix de vente des produits de la marque « Dolcezza », et au préjudice moral évalué à la somme de 5 000 euros. Elle sollicite par ailleurs la somme de 96 628 euros à titre provisionnel – sans toutefois formuler de demande au titre du droit à l'information – à l'encontre de la société Giorgio di Mare en raison du manque à gagner subi du fait de l'offre en vente de 3 332 produits. Elle demande enfin des mesures d'interdiction et de publication sous astreinte. 44. La société Giorgio di Mare conteste les montants sollicités, estimant que seules 95 doudounes ont été vendues, parmi lesquelles seize reproduisent la marque invoquée sur les fermetures éclairs de sorte qu'un nombre très limité de consommateurs est susceptible d'avoir vu la marque. Elle considère en conséquence le préjudice moral inexistant. S'agissant du préjudice économique, elle dit avoir réalisé un bénéfice de 2 744,75 euros qu'elle a partagé avec la société Showroomprive.com ainsi qu'une marge faible de sorte qu'aucun manque à gagner n'a été subi par la société EMC. Elle ajoute enfin que les stocks invoqués en demande étaient entreposés en Turquie et que la demanderesse ne rapporte pas la preuve de ce que la marque « Dolcezza » a été retirée sur tous ces produits. 45. La société Showroomprive.com fait valoir que le nombre de produits achetés à la société Giorgio di Mare correspond au nombre de produits effectivement vendus sur le site www.showroomprive.com, les 3 427 produits en stock invoqués correspondant seulement aux produits « réservés » par elle à la société Giorgio di Mare. Elle conteste également le montant des dommages et intérêts sollicités, au motif que les calculs sont hypothétiques, ainsi que la mesure de publication qu'elle estime injustifiée. Réponse du tribunal 46. En application de l'article L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle, « Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée ». 47. En l'espèce, les doudounes litigieuses sont vendues sur le site www.showroomprive.com sans aucune référence à la marque « Dolcezza » et l'imitation de cette marque sur la fermeture éclair des doudounes sans manches n'est pas visible par les consommateurs lors de l'acte d'achat, qui se fait exclusivement sur internet, la marque étant gravée en caractères très petits et imperceptibles sur les photographies (pièce demanderesses no 14 et pièce SRP no 2). La contrefaçon de marque n'a donc généré en elle-même aucune vente, de sorte que la société EMC ne peut justifier d'aucun préjudice commercial. 48. En revanche, la commercialisation de seize doudounes revêtues du signe « Dolcezza » sur les fermetures éclairs cause à la société EMC un préjudice moral qu'il convient de réparer à hauteur de 100 euros. 49. Il sera par ailleurs fait droit aux mesures d'interdiction sous astreinte. La demande de publication sera quant à elle rejetée, car disproportionnée au regard des faits d'espèce, et le préjudice de la société EMC étant déjà réparé par l'octroi de dommages et intérêts. b. Sur le préjudice subi par la société Dolcezza Europe Moyens des parties 50. La société Dolcezza Europe fait valoir qu'elle commercialise en Europe les vêtements revêtus de la marque « Dolcezza » avec l'autorisation de la société EMC, de sorte que les actes de contrefaçon, imputables tant à la société Giorgio di Mare qu'à la société Showroomprive.com, lui causent un préjudice qu'elle évalue à la somme de 20 000 euros. 51. La société Giorgio di Mare répond n'avoir jamais cherché à tromper le consommateur et qu'aucune référence à la marque « Dolcezza » n'est faite dans l'acte de vente. 52. La société Showroomprive.com soutient également que la marque « Dolcezza » n'apparaissant pas sur le site www.showroomprive.com, il ne peut lui être reproché d'actes de concurrence déloyale pour la vente de produits revêtus de ladite marque. Réponse du tribunal 53. Bien que fondant ses demandes sur la concurrence déloyale, la société Dolcezza Europe invoque en réalité la contrefaçon de la marque « Dolcezza » dont est titulaire la société EMC. Elle dit en effet subir un préjudice résultant des faits de contrefaçon par imitation de la marque « Dolcezza » dès lors qu'elle commercialise en France les produits revêtus de cette marque. 54. L'article L. 716-4-2, alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle, dispose que : « L'action civile en contrefaçon est engagée par le titulaire de la marque ou par le licencié avec le consentement du titulaire, sauf stipulation contraire du contrat ». 55. Et la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le licencié pouvait agir en contrefaçon d'une marque de l'Union européenne faisant l'objet de la licence bien que cette dernière n'ait pas été inscrite au registre des marques communautaires (CJUE, 4 février. 2016, C-163/15, Breiding). 56. Or, la société Dolcezza Europe démontre commercialiser elle-même en Europe les produits de la marque « Dolcezza » (pièce demanderesses no 17bis), de sorte qu'elle peut être considérée comme bénéficiant implicitement d'une licence d'usage de cette marque. La demande de la société Dolcezza Europe doit donc être analysée comme une demande en contrefaçon de marque, et non comme une demande en concurrence déloyale. 57. La société Dolcezza Europe commercialisant en France les produits de la marque « Dolcezza », la fabrication et la commercialisation, par les sociétés Giorgio di Mare et Showroomprive.com, de doudounes imitant cette marque, peuvent lui causer un préjudice. 58. En l'occurrence cependant, et comme jugé précédemment, la contrefaçon de la marque « Dolcezza » n'a pu générer en elle-même aucune vente dès lors qu'il n'est pas fait référence à cette marque dans l'offre de vente et que la marque n'est pas visible lors de l'acte d'achat car située en petit sur la fermeture éclair de certaines doudounes. La société Dolcezza Europe n'a donc subi aucun préjudice du fait de cette commercialisation et sa demande est rejetée. 2- Demandes de concurrence déloyale et parasitaire Moyens des parties 59. Les sociétés Dolcezza Inc et Dolcezza Europe soutiennent que la commercialisation de doudounes qui reprennent à l'identique les imprimés présents sur les doudounes qu'elles commercialisent pour lesquels elles bénéficient de licences d'usage, entraîne un risque de confusion dans l'esprit du public et constitue dès lors un acte de concurrence déloyale. 60. Elles exposent par ailleurs qu'en revendant des produits finis détournés, les sociétés Giorgio di Mare et Showroomprive.com se sont épargnées des frais d'élaboration des motifs, de design et de confection des doudounes, bénéficiant ainsi indûment des investissements qu'elles ont réalisé pour la conception, la fabrication et la vente des doudounes. 61. Elles sollicitent en conséquence la somme de 20 000 euros chacune en réparation de leur préjudice, correspondant au gain manqué du fait de la différence de prix pratiqués et à leur préjudice moral, outre des mesures d'interdiction. 62. En réplique, la société Giorgio di Mare énonce que les demanderesses ne rapportent pas la preuve de la commercialisation en France des imprimés invoqués et conteste les montants sollicités. 63. La société Showroomprive.com soutient quant à elle que les demanderesses ne rapportent pas la preuve d'investissements dont elle aurait bénéficié, et que le caractère réduit du nombre de produits vendus confirme l'absence de préjudice commercial. Réponse du tribunal 64. Sont sanctionnés au titre de la concurrence déloyale, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, les comportements distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon, fautifs car contraires aux usages dans la vie des affaires, tels que ceux visant à créer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, ou ceux, parasitaires, qui tirent profit sans bourse délier d'une valeur économique d'autrui procurant à leur auteur, un avantage concurrentiel injustifié, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements. 65. En l'occurrence, la collection automne 2019 de la marque « Dolcezza » est composée de neufs types de doudounes, déclinés en plusieurs coloris à motifs (pièce demanderesses no 4). Ces motifs correspondent pour la plupart à des dessins dont une licence d'utilisation pour des vêtements a été concédée par les auteurs à la société Dolcezza Inc (pièce demanderesses no 10bis). Il est par ailleurs établi que la société Dolcezza Europe a commercialisé en France ces doudounes (pièce demanderesses no 17bis). 66. Or, il ressort du procès-verbal de constat d'huissier du 4 décembre 2019 qu'ont été commercialisées, sur le site www.showroomprive.com, neufs types de doudounes sous la marque « Giorgio di Mare » reprenant cinq coloris à motifs identiques à ceux commercialisés par la société Dolcezza Europe, et dont quatre correspondent aux dessins concédés en licence. Il n'est toutefois pas établi que les motifs en cause soient associés, dans l'esprit du public, à la société Dolcezza Europe ou à la marque « Dolcezza » et que la commercialisation, par la société Giorgio di Mare, de doudounes revêtues de ces mêmes motifs, ait engendré un risque de confusion dans l'esprit des consommateurs. La seule commercialisation sur le site www.showroomprive.com des doudounes en cause ne saurait, au surplus, caractériser la faute de la société Showroomprive.com. Les demandes formées à ce titre sont donc rejetées. 67. Par ailleurs, si les demanderesses disent avoir réalisé d'importants investissements d'élaboration des motifs, de leur design et de leur confection, elles n'en rapportent pas la preuve, ce d'autant qu'il est établi qu'elles n'ont pas elles-mêmes élaboré les motifs qui correspondent à des dessins sur lesquels elles ont acquis une licence d'utilisation – dont le prix n'est au demeurant pas révélé –. Elles ne démontrent pas non plus en quoi leurs investissements ont fait de leurs doudounes une valeur économique individualisée dont les défenderesses ont indûment profité. La demande au titre du parasitisme est en conséquence également rejetée. 3- Demandes reconventionnelles d'appel en garantie Moyens des parties 68. A titre reconventionnel, dans le cas où les faits de contrefaçon et de concurrence déloyale seraient reconnus, la société Showroomprive.com sollicite la garantie de la société Giorgio di Mare en sa qualité de fournisseur des produits, et au titre de l'article 6 du contrat qu'elles ont conclu. 69. La société Giorgio di Mare ne répond pas sur ce point. Réponse du tribunal 70. En application de l'article 1626 du code civil, « le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente ». 71. L'article 6 des contrats d'achat de marchandises, conclus entre les sociétés Giorgio di Mare et Showroomprive.com, stipule que le fournisseur « sera responsable envers [la société Showroomprive.com] et fera son affaire de toutes réclamations, instances, actions ou poursuites qui pourraient être engagées à l'occasion de la diffusion, la distribution et/ou la commercialisation des Produits et relèvera et garantira [la société Showroomprive.com] de toutes charges, condamnations, frais raisonnables (y compris d'avocats) et de toute autre somme de quelque nature qu'elle pourrait être amenée à supporter de son fait ou par sa faute » (pièce SRP no 2). 72. La société Showroomprive.com ayant été reconnue coupable d'actes de contrefaçon à l'encontre de la société EMC, et condamnée en conséquence à réparer son préjudice, du fait de la commercialisation de produits fournis par la société Giorgio di Mare, elle est bien fondée à obtenir la garantie de cette dernière. 4- Demandes reconventionnelles pour atteinte à l'image commerciale Moyens des parties 73. A titre reconventionnel, la société Giorgio di Mare sollicite la somme de 20 000 euros à l'encontre des sociétés Dolcezza Inc et Dolcezza Europe pour atteinte à son image commerciale, les demanderesses ayant, selon elle, tenté de la discréditer auprès de la société Showroomprive.com. 74. Les demanderesses répondent qu'aucune faute n'a été commise dans l'action entreprise, et qu'en tout état de cause, la défenderesse ne justifie d'aucun préjudice. Réponse du tribunal 75. L'article 1240 du code civil dispose que « tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». 76. En l'espèce, la société Giorgio di Mare affirme que la lettre de mise en demeure, adressée par la société Dolcezza Europe à la société Showroomprive.com le 12 novembre 2019 lui a causé de graves désagréments commerciaux et frais à l'égard de la société Showroomprive.com, sans toutefois en rapporter la preuve. Si le fait pour la société Dolcezza Europe de faire état d'un vol dans sa lettre de mise en demeure peut être qualifié de faute, la société Giorgio di Mare ne démontre aucun préjudice en découlant et notamment pas une détérioration de ses relations avec la société Showroomprive.com. Sa demande formée à ce titre est en conséquence rejetée. 5- Demandes accessoires 77. Les sociétés Giorgio di Mare et Showroomprive.com, qui succombent pour partie, supporteront les dépens et leurs propres frais. 78. En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la partie tenue aux dépens ou à défaut, la partie perdante, est condamnée au paiement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en tenant compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. 79. En l'espèce, au regard de la solution du litige, il n'y a pas lieu de faire droit à une condamnation au titre de l'article 700. 80. L'exécution provisoire est de droit et rien ne justifie de l'écarter au cas présent. PAR CES MOTIFS Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe et en premier ressort, REJETTE la demande de la société EMC Hazir Giyim Sanayi Limited Sirketi en contrefaçon par suppression de marque, FAIT INTERDICTION aux sociétés Giorgio di Mare et Showroomprive.com de faire usage, pour désigner des vêtements, du signe « Dolcezza » dans l'Union européenne et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé un délai de 30 jours à compter de la signification du présent jugement, l'astreinte courant sur 91 jours, SE RÉSERVE la liquidation de l'astreinte, CONDAMNE in solidum les sociétés Giorgio di Mare et Showroomprive.com à payer à la société EMC Hazir Giyim Sanayi Limited Sirketi la somme de 100 euros en réparation de son préjudice moral résultant des faits de contrefaçon par imitation de sa marque « Dolcezza » no 017928118, DÉBOUTE la société EMC Hazir Giyim Sanayi Limited Sirketi de sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice économique résultant des faits de contrefaçon, DÉBOUTE la société Dolcezza Europe de sa demande de dommages et intérêts pour contrefaçon, DÉBOUTE les sociétés Dolcezza Inc et Dolcezza Europe de leurs demandes en concurrence déloyale et parasitaire, CONDAMNE la société Giorgio di Mare à garantir la société Showroomprive.com des condamnations prononcées à son encontre, DÉBOUTE la société Giorgio di Mare de sa demande reconventionnelle, REJETTE la demande de publication, REJETTE les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile, CONDAMNE in solidum les sociétés Giorgio di Mare et Showroomprive.com aux dépens, dont distraction au profit de Me Stéphane Guerlain de la SEP Armengaud-Guerlain, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Fait et jugé à Paris le 25 Novembre 2022 Le Greffier La PrésidenteQuentin CURABET Irène BENAC
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JURITEXT000047324632
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 12 janvier 2018, 18/00407
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2018-01-12
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Tribunal judiciaire de Paris
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18/00407
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CT0087
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 1?3ème chambre 3ème section No RG 18/00407 - No Portalis352J-W-B7C-CMDG7No MINUTE : Assignation du :12 janvier 2018 JUGEMENT rendu le 08 novembre 2022 DEMANDERESSESociété INTELLECTUAL VENTURES I LLC[Adresse 4][Adresse 4][Localité 3] (ETATS-UNIS D'AMERIQUE) représentée par Maître Julien FRENEAUX de la SAS BARDEHLEPAGENBERG, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0390 DÉFENDERESSESS.A. SOCIÉTÉ FRANÇAISE DU RADIOTÉLÉPHONE[Adresse 1][Localité 5] représentée par Maître Michel ABELLO de la SELARL LOYER &ABELLO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0049 Société HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE, intervenante volontaire[Adresse 2][Localité 6] représentée par Maître Grégoire DESROUSSEAUX de la SCPAUGUST & DEBOUZY et associés, avocat au barreau de PARIS,vestiaire #P0438Décision du 08 novembre 2022 3ème chambre 3ème sectionNo RG 18/00407 - No Portalis 352J-W-B7C-CMDG7Page 2 COMPOSITION DU TRIBUNALNathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeArthur COURILLON-HAVY, jugeLinda BOUDOUR, jugeassistés de Lorine MILLE, greffière DEBATSA l'audience du 01 juin 2022 tenue en audience publique, avis a été donné auxparties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 11octobre 2022 et prorogé au 08 novembre 2022. JUGEMENTPrononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE :1. La société de droit américain Intellectual Ventures I LLC appartient augroupe Intellectual Ventures, spécialisé depuis sa création en 2000, dansl'acquisition et l'exploitation d'inventions. Le groupe se présente commeparticulièrement actif dans le domaine des réseaux de télécommunications.2. La société Intellectual Ventures I est ainsi la titulaire inscrite du breveteuropéen désignant la France EP 1 327 374 (ci-après "EP'374") ayant pourtitre "Priorités des services dans un réseau multi-cellulaire". Ce brevet,déposé le 9 octobre 2001 par la société Nokia Corporation, est issu d'unedemande internationale PCT WO 02/32160 revendiquant la priorité de quatredemandes anglaises. En cours de procédure, la propriété de la demande a étécédée à la société Spyder Navigations L.L.C. aux droits de laquelle se trouveaujourd'hui la société Intellectual Ventures I. La publication de la délivrancede ce brevet est intervenue le 22 juillet 2009 . Ce brevet a expiré le 9 octobre2021.3. Convaincue que la Société Française du Radiotéléphone (SFR), l'un desprincipaux opérateurs de télécommunications en France, exploitait l'inventionprotégée par ce brevet dans le cadre de son réseau, au moyen de latransmission par ses stations de base équipées des technologies 2G; 3G et 4G,aux équipements d'utilisateurs d'un message rrcConnexionRelease contenantune table de priorité attribuant à ces appareils une fréquence porteuse associéeà une technologie (GSM, 3GPP ou LTE) en fonction de leur marque de classe(ce qui correspond selon elle à la table de priorité 2 du brevet "mode inactif),la société Intellectual Ventures I l'a, par acte d'huissier délivré le 12 janvier2018, assignée devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon desrevendications 1 et 15 de la partie française du brevet EP 374.4. La Société Huawei Technologies France, fournisseur des équipements deréseau de la société SFR est intervenue volontairement à l'instance par desconclusions du 22 mai 2018, tandis que la société SFR a, par actes d'huissierdu 28 mai 2018, fait assigner les sociétés Alcatel Lucent International et NokiaSolutions and Networks, également fournisseurs d'équipements de réseau, enintervention forcée, afin d'obtenir leur garantie pour le cas où descondamnations viendraient à être prononcées à son encontre.5. Ces deux sociétés ayant conclu un accord de licence avec la société IntellectualVentures I, la société SFR a alors signifié des conclusions de désistementpartiel d'instance à l'égard des sociétés Nokia Solutions And Networks etAlcatel Lucent International. Les désistements ont été constatés par uneordonnance du juge de la mise en état du 6 novembre 2020.6. Dans ses dernières conclusions no8 notifiées électroniquement le 11 mai2022, la société INTELLECTUAL VENTURES I, demande au tribunal,Vu l'article 64 de la Convention de Munich sur le brevet européen et lesarticles L.613-3, L.613-4, L.614-7 et s, et L.615-1 du code de la propriétéintellectuelle, de :- Déclarer irrecevables ou à tout le moins infondées, les demandes dela Société Française du Radiotéléphone – SFR et de la société HuaweiTechnologies France en nullité des revendications 1 et 15 de lapartie française du brevet européen EP 1 327 374 ; les endébouter ;- Dire qu'en exploitant en France, entre le 12 janvier 2013 et le 9octobre 2021, un réseau de télécommunication mobile supportantnotamment la technologie 4G, la Société Française du Radiotéléphone– SFR a commis des actes de contrefaçon par utilisation du procédéobjet de la revendication 1 de la partie française du brevet européen EP1 327 374 appartenant à la société Intellectual Ventures I ;- Dire qu'en fabricant, utilisant et détenant à cette fin en France, entrele 12 janvier 2013 et le 9 octobre 2021, un réseau de télécommunicationmobile supportant notamment la technologie 4G, la Société Françaisedu Radiotéléphone – SFR a commis des actes de contrefaçon de larevendication 15 de la partie française du brevet européen EP 1 327 374appartenant à la société Intellectual Ventures I ;- Donner acte à la société Intellectual Ventures I de ce que sesdemandes à l'encontre de la Société Française du Radiotéléphone –SFR pour contrefaçon de la partie française du brevet EP 1 327 374ne s'étendent pas à des équipements de communication (àl'exclusion des Terminaux Cellulaires), logiciels ou services de laSociété Nokia Corporation et de ses filiales, y compris Alcatel LucentInternational et Nokia Solutions and Networks France (ci-aprèscollectivement désignées "Nokia"), considérés seuls ou dans touteéventuelle combinaison arguée de contrefaçon dans laquelle ilsreproduisent l'un quelconque des éléments de l'une quelconque desrevendications invoquées (y compris dans le cas où ils réalisent uneétape d'une revendication de procédé), dans la mesure où lesditséquipements de communication, logiciels ou services ont étéfabriqués, utilisés, vendus, offerts à la vente, loués, importés oudistribués par Nokia, ou dans la mesure où Nokia les a fait fabriquer ;- Donner acte à la société Intellectual Ventures I de ce que lalimitation de l'étendue de ses demandes à l'encontre de la SociétéFrançaise du Radiotéléphone – SFR, telle que formulée ci-dessus, nebénéficie en aucun cas aux produits d'autres fournisseurs, y comprisla société Huawei Technologies France, et/ou à l'utilisation de telsproduits ;- Condamner la Société Française du Radiotéléphone – SFR à payerà la société Intellectual Ventures I des dommages et intérêts au titredes actes de contrefaçon des revendications 1 et 15 de la partie françaisedu brevet EP 1 327 374 qu'elle a commis au cours de la période du 12janvier 2013 au 9 octobre 2021 ;Avant dire droit sur le montant des dommages et intérêts :§ Ordonner à la Société Française du Radiotéléphone – SFR decommuniquer à la société Intellectual Ventures I, sous astreinte de50.000 € par jour de retard à compter de la signification du jugement àintervenir, la part que représente, dans le nombre total de stations debase en service dans son réseau mobile au cours de la période du 12janvier 2013 au 9 octobre 2021, le nombre de celles qui lui ont étéfournies par des sociétés autres que Nokia Corporation et ses filiales ;§ Commettre tel expert qu'il plaira au tribunal de désigner, aux fraisavancés de la Société Française du Radiotéléphone – SFR, avec pourmission de vérifier l'exactitude et l'exhaustivité des informationscommuniquées par cette dernière en exécution du jugement àintervenir ;Dans l'attente de l'issue des mesures de droit d'information et d'expertise,- Condamner d'ores et déjà la Société Française du Radiotéléphone –SFR à payer à la société Intellectual Ventures I la somme de30.000.000 € à titre de provision à valoir sur le montant des dommageset intérêts ;- Ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenirdans cinq journaux ou magazines au choix de la société IntellectualVentures I, et aux frais la Société Française du Radiotéléphone – SFR,dans la limite de 15.000,00 € HT par insertion ;- Ordonner à la Société Française du Radiotéléphone – SFR d'afficheren page d'accueil du site internet www.sfr.fr un encart occupant aumoins 10% de la surface de la page d'accueil au-dessus de la ligne deflottaison et contenant le lien hypertexte suivant : "Publication Judiciaire: condamnation de la société SFR pour contrefaçon du brevet EP 1 327374 appartenant à la société Intellectual Ventures I ", lequel liendevra renvoyer vers une copie intégrale de la minute du jugement àintervenir, et ce pendant une durée de deux mois sous astreinte de 50.000€ par jour de retard à compter de la signification du jugement àintervenir;- Déclarer irrecevables, et en tout cas infondés, l'ensemble des moyens,fins, conclusions et demandes des sociétés SFR et Huawei TechnologiesFrance ; les en débouter ;- Condamner in solidum la Société Française du Radiotéléphone – SFRet la société Huawei Technologies France à payer la somme de 600.000€ à la société Intellectual Ventures I, sur le fondement de l'article 700du code de procédure civile ;- Ordonner l'exécution provisoire des condamnations qui serontprononcées contre les sociétés SFR et Huawei Technologies France ;- Condamner in solidum la Société Française du Radiotéléphone – SFRet la société Huawei Technologies France aux entiers dépens, quipourront être directement recouvrés par la Sas Spe Bardehle Pagenberg,Avocats, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.7. Dans ses dernières conclusions no8 notifiées par la voie électronique le 24mai 2019, la société Huawei Technologies France demande quant à elle autribunal, au visa des articles L. 613-2, L. 613-3, L. 614-12 du code de lapropriété intellectuelle, 138(1)a), 54 (1) (2), 138(1)b) et 56 de la Conventionde Munich, 2224 du code civil et 699 et suivants du code de procédurecivile, de :- Annuler les revendications 1 et 15 de la partie française du brevet EP1 327 374 ; - Dire que l'invention objet du brevet EP 1 327 374 est insuffisammentdécrite ou à tout moins que les revendications 1 et 15 de la partiefrançaise du brevet EP 1 327 374 sont dénuées de nouveauté oud'activité inventive, ; - Dire que la Société Française du Radiotéléphone n'a commis aucunacte de contrefaçon des revendications 1 et 15 du brevet EP 1 327 374; Par conséquent, - Débouter la société Intellectual Ventures I de l'ensemble de sesmoyens, fins et prétentions; En tout état de cause, - Condamner la société Intellectual Ventures I à payer à la sociétéHuawei Technologies France la somme de 600 000 euros au titre del'article 700 du code de procédure civile ; - Condamner la société Intellectual Ventures I aux entiers dépens dontdistraction au profit de Maître Desrousseaux en application de l'article699 du code de procédure civile; - Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir, en ce quiconcerne la condamnation de la société Intellectual Ventures I à payer àla société Huawei Technologies France les frais et les dépens,nonobstant appel et sans constitution de garantie. 8. Dans ses dernières conclusions no6 notifiées électroniquement le 27 avril2022, la société SFR demande au tribunal, au visa des articles L.613-2,L.613-3, L.614-12 du code de la propriété intellectuelle, 138 (1) a) et b),54 (1) (2) et 56 de la Convention de Munich, 2224 du code civil, de :A titre principal - Dire que les revendications 1 et 15 de la partie française du brevet EP1 327 374 sont nulles pour insuffisance de description, défaut denouveauté et d'activité inventive, - Ordonner l'inscription de la décision à intervenir sur le RegistreNational des Brevets dès qu'elle sera devenue définitive, sur réquisitiondu Greffe ou à la requête de la partie la plus diligente et aux frais de lasociété Intellectual Ventures I, - Dire que l'action en contrefaçon fondée sur le brevet EP 1 327 374 estirrecevable pour les faits antérieurs à l'inscription de la transmission dubrevet au registre national des brevets, soit le 8 février 2016, - Dire que l'action en contrefaçon fondée sur le brevet EP 1 327 374 estirrecevable à l'égard de tout produit ayant été fourni à la SociétéFrançaise du Radiotéléphone -SFR par la société Alcatel LucentInternational, la société Nokia Solutions and Networks France, ou touteautre société appartenant au groupe Nokia, en raison de l'épuisement desdroits, - Dire que la société Intellectual Ventures I ne démontre pas lacontrefaçon des revendications 1 et 15 de la partie française du brevet EP1 327 374, En conséquence, - Débouter la société Intellectual Ventures I de l'ensemble de sesdemandes, comme étant irrecevables et à tout le moins mal fondées, Pour le surplus- Condamner la Société Intellectual Ventures I à payer à la SociétéFrançaise du Radiotéléphone - SFR la somme de 260.000 euros au titrede l'article 700 du code de procédure civile, quitte à parfaire ; - Condamner la société Intellectual Ventures I aux entiers dépens quiseront directement recouvrés par Maître Abello en application del'article 699 du code de procédure civile;- Ordonner l'exécution provisoire de la seule condamnation au titrede l'article 700 du code de procédure civile, nonobstant appel et sansconstitution de garantie. 9. L'instruction de l'affaire a été clôturée le 30 mai 2022 et l'affaire plaidée àl'audience du 1 juin 2022. MOTIFS DE LA DÉCISION1o) Présentation du brevet EP 1 327 374 10. Selon le paragraphe [0001] de la partie descriptive du brevet, l'inventionconcerne les réseaux de communication sans fil exploitant plusieurs normesde communication et en particulier, mais pas exclusivement, les fonctionnalitésde 2 et 3 génération. ème ème11. Le paragraphe [0002] du fascicule enseigne que dans un proche avenir, lesréseaux mobiles de deuxième génération (2G) seront complétés etpartiellement remplacés par des réseaux mobiles de troisième génération(3G), ce qui entraînera la passage d'une situation où la norme 2G est la seuletechnologie de réseaux mobiles, à une situation où coexistent deux technologiesde réseaux mobiles dominantes, la 2G et la 3G. En Europe par exemple, onpassera d'une situation où le GSM est la norme dominante à une situation oùle GSM et le 3GPP (3rd Generation Partnership Project) seront les normesdominantes. 12. Ainsi, un opérateur de réseau devra, à l'avenir, proposer un réseau mobilebasé sur les technologies GSM et 3GPP, où la technologie 3GPP pourraêtre déployée en utilisant plusieurs porteuses 3GPP à 5 MHz. De même,la taille des cellules dans les deux normes (GSM et 3GPP) peut différer, allantdes pico-cellules et des micro-cellules en intérieur ou au niveau de la rue,jusqu'aux grandes macro-cellules. Il conviendra alors que l'opérateur décidecomment desservir le trafic demandé avec les différentes technologies deréseau et les types de cellules disponibles (paragraphe [0003]) avec commeobjectif de maximiser le nombre d'utilisateurs desservis et d'assurer une certaineprobabilité de couverture prédéfinie dans la zone de couverture (paragraphe[0004]). 13. Selon le paragraphe [0006], dans les systèmes proposés actuellement,l'opérateur doit s'appuyer sur des algorithmes de sélection de cellule oude transfert intercellulaire fournis par le fabricant, ce qui peut ne pas aboutirà une répartition satisfaisante des différents types de connexions dans lestechnologies et les types de cellules disponibles du point de vue de l'opérateur.(Voir également paragraphe [0035])14. Aussi, selon le paragraphe [0011], un objet de la présente invention est deproposer une technique améliorée de sélection d'une cellule cible dans unsystème de communication sans fil prenant en charge plus d'une norme decommunication. 15. A cette fin, le paragraphe [0012] poursuit en indiquant que l'invention proposeun procédé pour déterminer une attribution de cellule pour un utilisateurdans un réseau sans fil, le réseau comportant une pluralité de types decellules et les utilisateurs ayant au moins l'un d'une pluralité de types deservices, comprenant l'établissement d'une table de priorités comprenant,pour chaque type de service, une priorité pour chaque type de cellule.16. Selon le paragraphe [0026], le premier type de table de priorités peut êtreutilisé pour déterminer une attribution de cellule pour un équipementd'utilisateur connecté au réseau, tandis que le second type de table depriorités peut être utilisé pour déterminer une attribution de cellule pour unéquipement d'utilisateur qui est inactif (paragraphe [0029]).17. Selon le paragraphe [0032] L'invention propose par conséquent une table depriorités qui permet à un opérateur de réseau d'associer facilementdifférents types de connexions demandées à une technologie et un type decellule priorisés. La table de priorités est de préférence utilisée en modeinactif ou en mode connecté quand l'équipement d'utilisateur effectue unesélection de cellule ou un transfert intercellulaire. 18. Au paragraphe [0033], la description précise que, pour maximiser le nombred'utilisateurs desservis, les différents types de connexions doivent êtredesservis dans un type de cellule et avec une technologie qui le permettent.A cette fin, l'invention propose une table de priorités qui permet àl'opérateur d'associer facilement différents types de connexions demandéesà une technologie et un type de cellule priorisés. La table de priorités seraalors utilisée en mode inactif ou en mode connecté quand un équipementd'utilisateur effectue une sélection de cellule (mode inactif) ou un transfertintercellulaire (mode connecté).19. A partir du paragraphe [0037], la description enseigne deux exemples qu'elleprésente comme non limitatifs. L'exemple choisi est celui d'un réseau ayantà la fois des services 2G (GSM) et 3G (3GPP) et prenant également en chargedes services 2G améliorés (de type EDGE). En outre, pour chacun des services,l'exemple suppose que le réseau fournit à la fois des micro-cellules et desmacro-cellules. Selon le paragraphe [0038] la figure 1 illustre une couverturecomportant trois cellules GSM ainsi qu'une couverture cellulaire 3GPP àl'intérieur de chaque cellule GSM. Dans l'exemple, on suppose que lacouverture 3GPP est plus restreinte que la couverture GSM. Chacune descellules 3GPP est prise en charge par une station de base. Les stations debase GSM peuvent également prendre en charge des opérations GSMaméliorées, de type EDGE par exemple. En outre, la structure cellulaireproprement dite, pour chaque type de norme, peut varier. Par exemple,certaines cellules peuvent combiner des micro-cellules et des macro-cellules. 20. Selon le paragraphe [0040], l'équipement de l'utilisateur (en principe untéléphone mobile) se trouve à l'intérieur de la zone de couverture cellulaireGSM et 3GPP et peut donc potentiellement être connecté au réseau enutilisant l'une ou l'autre norme. Un objet de la présente invention est donc deveiller à ce que l'équipement de l'utilisateur se connecte au réseau enutilisant celle des normes de réseau qui est la plus appropriée pouroptimiser l'efficacité générale du réseau. Les paragraphes suivants [0041] à[0046] décrivent les éléments de réseau aptes à mettre en oeuvre le procédé.21. Les paragraphes [0048] et [0049] décrivent ensuite le procédé en ces termes :chaque table de priorités, spécifique à une cellule, recense tous les typesde services disponibles dans le réseau (voix, navigation sur internet,synchronisation des applications,...) en fonction de tous les types de cellulesdisponibles dans le réseau, et attribue une priorité à chacune de ces cellulesdonnées pour chacun de ces types de services donnés. La table de prioritésest définie pour être spécifique à une cellule. Si un équipement d'utilisateurnécessitant un certain type de service est actuellement connecté à une celluledonnée et peut être connecté, par transfert intercellulaire, à plus d'un type decellule, la cellule est choisie conformément à la table de priorités définiepour la cellule dans laquelle l'équipement d'utilisateur est actuellementconnecté. 22. En mode inactif, l'équipement d'utilisateur est allumé mais le canal quitransmet des informations d'utilisateur (par exemple le canal deconversation) n'est pas établi. Le réseau de base, et plus spécifiquementle centre de commutation mobile, connaît la zone de localisation del'équipement d'utilisateur inactif, laquelle zone se compose d'un groupe decellules. En mode inactif, l'équipement d'utilisateur (UE) est domicilié dans unecellule donnée et si l'équipement d'utilisateur inactif se déplace dans le réseau,le contrôleur de réseau radio (RNC) ou le contrôleur de station de base (BSC)sélectionne la nouvelle cellule dans laquelle l'UE sera domicilié. Ceprocessus est appelé sélection de cellule. En mode inactif, l'UE doit écouter lesmessages de recherche émanant du réseau et envoyer au réseau de base uneactualisation de sa zone de localisation. (Paragraphe [0051])23. En mode « connecté », un canal pour transmettre des informationsd'utilisateur est établi. Le réseau de base connaît spécifiquement l'emplacementde la cellule de l'UE et un transfert intercellulaire intervient quand un UEchange de cellule. (paragraphe [0053]) Dans le mode connecté, comme dansle mode inactif, l'UE effectue des mesures (de transfert intercellulaire et desélection de cellule) et les envoie au contrôleur de réseau radio (RNC) ou aucontrôleur de station de base (BSC), lequel décide ensuite à quelle cellule l'UEdoit être associé. (paragraphe [0054] De ce fait, en mode connecté commeen mode inactif, il convient d'effectuer une attribution de cellule, soit pourla sélection de cellule dans le mode inactif, soit pour le transfertintercellulaire dans le mode connecté. (Paragraphe [0052])24. Le paragraphe [0056] présente ensuite une table de priorité (tableau 1 ci-dessous), pour un équipement d'utilisateur connecté, laquelle présente, enordonnée, les différents types de cellules et, en abscisse, les différents types deservices disponibles :25. Le paragraphe [0056] décrit encore un exemple d'attribution de cellule au moyende la table de priorités présentée dans le tableau 1 ci-dessus : Conformémentaux techniques connues de transfert intercellulaire, l'UE renvoie des mesuresde cellules au contrôleur de station de base 18 lequel détermine que troiscellules renvoient des valeurs de mesure qui sont suffisamment bonnes poureffectuer un transfert : une micro-cellule GSM, une micro-cellule EDGE et unemicro-cellule 3GPP. (paragraphe [0057]) Comme l'UE est actuellement connectédans une micro-cellule GSM spécifique, le contrôleur de station de basecompare le type des cellules disponibles à la table de priorités de cettecellule. En référence à cette table (le tableau 1 ci-dessus), le BSC examine lacolonne 5, qui correspond à l'usage de l'équipement en cours (ici interactif 32kbit/s). Cette colonne 5 indique que les trois cellules disponibles pour letransfert intercellulaire correspondent à des cellules ayant des priorités de1 (micro-cellule EDGE), 3 (micro-cellule 3GPP) et 5 (micro-cellule GSM).Sur cette base, la cellule ayant la priorité la plus élevée pour le transfertintercellulaire est donc la micro-cellule EDGE et par conséquent, c'est cettecellule qui est sélectionnée pour le transfert qui s'effectue par l'intermédiaire ducontrôleur de station de base.26. Le tableau 2 correspond à une table de priorité établie pour un équipementd'utilisateur en mode inactif ; il comporte, en ordonnée, les différents types decellules et, en abscisse, les normes que l'équipement peut prendre en charge : 27. Les paragraphes [0062] et suivants récapitulent ensuite l'invention à savoir quel'équipement d'utilisateur effectue des mesures de sélection de cellule (modeinactif) ou de transfert intercellulaire (mode connecté), qu'il envoie au contrôleurde station de base ou au contrôleur de réseau radio, lequel sélectionne alors lacellule cible en utilisant les tables de priorités décrites ci-dessus (mode inactifou mode connecté), en commençant par le type de cellule ayant la priorité la plusélevée dans la colonne correspondant au service recherché (ou à la norme priseen charge en mode inactif) et l'équipement utilisateur est alors connecté à cettecellule (si cette cellule figurait dans le rapport de mesures de l'équipementd'utilisateur). Dans le cas contraire, la priorité suivante est alors sélectionnée et,si aucune des cellules de la liste de priorités ne figure dans le rapport de mesuresde l'équipement d'utilisateur, il n'est pas tenu compte de l'étape d'attributionbasée sur le service et les autres critères de sélection de la meilleure cellule sontappliqués (paragraphes [0021] et [0066] in fine).28. Aux fins de l'invention, le brevet comporte 24 revendications dont seules sontopposées les revendications 1 et 15 suivantes :1. Procédé pour déterminer une attribution de cellule pour un utilisateurdans un réseau sans fil, le réseau comportant une pluralité de types decellules et les utilisateurs ayant au moins l'un d'une pluralité de types deservices, comprenant l'établissement d'une table de priorités comprenant,pour chaque type de service, une priorité pour chaque type de cellule.15. Réseau de communication sans fil comportant une pluralité de typesde cellules pour prendre en charge des utilisateurs ayant au moins l'und'une pluralité de types de services, dans lequel on établit une table depriorités dans laquelle, pour chaque type de service, une priorité estdéfinie pour chaque type de cellule. 2o) Sur la validité du brevet contestée en défenseMoyens des parties29. La société Huawei Technologies France conclut à la nullité manifeste du brevetEP'374. Elle rappelle d'abord que la description et les revendications enseignentune méthode pour l'attribution d'une cellule cible au moyen de l'élaborationd'une table de priorités. Or, elle soutient que l'homme du métier se trouve, à lalecture du fascicule de brevet, qui n'enseigne aucune étape supplémentairesuivant l'établissement de la table de priorités, dans l'incapacité de réaliserl'invention en présence de plusieurs cellules de type et de technologieidentiques. Elle soutient en effet que la description et les exemples ne divulguentque des hypothèses dans lesquelles les cellules sont toutes de types et detechnologies différents, tandis que la société Intellectual Ventures I se dispensede fournir au tribunal la documentation technique appartenant selon elle auxconnaissances générales de l'homme du métier et qui lui permettrait desélectionner une cellule cible parmi plusieurs cellules cibles du même type (tailleet technologie). Elle ajoute que l'argument tiré de mesures complémentairesréalisées par l'équipement d'utilisateur après l'élaboration et l'envoi de la table,à la supposer techniquement envisageable (ce qui n'est selon elle pas le cas)n'est de toutes façons pas décrite par le brevet EP'374.30. La société Huawei Technologies France fait également valoir que le brevet esten tout état de cause dépourvu de nouveauté, au regard notamment du documentUS'581, qui ne se distingue selon elle du brevet EP'374 que par de simplesreprésentations graphiques. Elle soutient en effet que le document US'581enseigne un "organigramme" d'attribution de cellule en fonction des capacitésdu téléphone et de la taille de la cellule, dont elle propose une présentation sousla forme d'un tableau à double entrée, en tous points identiques selon elle à latable de priorité enseignée par le brevet EP'374 lorsque l'équipementd'utilisateur est en mode inactif. Elle précise que la partie allemande du brevetEP'374 a été annulée sur la base de ce document dont les juges allemands ontconsidéré qu'il était destructeur de la nouveauté du brevet.31. Cette société ajoute que, pour le cas où le tribunal ne serait pas convaincu du faitque l'homme du métier serait parvenu à l'élaboration d'une table de priorités enmode connecté au moyen du seul document US 581, il lui suffirait alors deconsidérer que celui-ci aurait nécessairement combiné le document US'581avec la demande PCT noWO 95/07010 publiée le 9 mars 1995 (document Leih),ayant pour titre "Système de communication mobile sélectionnant des domainesdisponibles", et qui divulgue l'établissement d'une liste de "préférences"d'attribution de "domaine" selon le type de services supportés. La sociétéHuawei Technologies France en déduit que, combinant ce document, quienseigne l'établissement d'une table de priorités d'attribution de cellule enfonction du type de services, l'homme du métier serait parvenu à l'inventionrevendiquée, laquelle se trouve ainsi selon elle dépourvue de toute activitéinventive.32. La société SFR déclare faire sienne l'argumentation de la société Huaweitechnologies Franceaux fins d'obtenir l'annulation des revendications opposéesdu brevet EP'374.33. La société Intellectual Ventures I demande quant à elle au tribunal d'écarterl'ensemble des moyens de nullité du brevet EP'374. Elle soutient en premier lieuque le fascicule de brevet ne prétend à aucun moment que l'établissement de latable de priorité soit en lui-même suffisant pour la détermination d'une seule etunique cellule cible. Elle ajoute que dans une hypothèse telle que celle visée parles défendeurs (présence de plusieurs cellules de type et de technologieidentiques), l'opérateur doit réaliser des opérations supplémentaires quel'homme du métier trouverait selon elle aisément dans les techniques connues,lesquelles sont indique-t'elle au demeurant décrites dans le brevet, sous la formed'une mesure, par l'équipement d'utilisateur, de l'intensité des signaux reçusdes cellules transmise par la station de base.34. La société Intellectual Ventures I conclut également à la nouveauté du brevetEP'374 au regard du document US'581. Elle rappelle que ce document est citédans la description au titre de l'état de la technique et que l'OEB a considéréqu'il ne détruisait pas la nouveauté du présent brevet. La société IntellectualVentures I soutient à cet égard que le document US'581 ne divulgue uneattribution de cellule qu'en fonction de la taille de cette cellule et non de satechnologie, non plus que de la fréquence porteuse qu'elle utilise. Elle ajoute quela sélection de cellule enseignée par le brevet US'581 ne s'effectue pas sur labase d'une table de priorités mais selon un parcours, mis en oeuvre au moyend'un algorithme HCS, au sein d'un arbre décisionnel comprenant des tests àréaliser suivant l'ordre des couches défini en fonction des capacités du terminalmobile. Elle en déduit que l'arbre décisionnel enseigné par ce brevet américainn'est pas une table de priorités au sens du brevet EP'374, lequel ne souffred'aucune absence de nouveauté.35. Elle soutient que les autres documents invoqués ne sont pas davantagedestructeurs de nouveauté. Ainsi, le document EP'798 concerne l'établissementd'une table de priorité concernant une unique technologie (GSM ou 2G) ayantdeux fréquences porteuses possibles (GSM 900 et GSM 1800 dite aussi DCS),ce qui ne correspond pas à la pluralité de types de cellules enseignée par lebrevet. La société Intellectual Ventures I ajoute que la sélection opérée par lebrevet EP'798 n'est pas fonction d'une pluralité de types de services au sens dubrevet mais de la vitesse de déplacement de l'équipement d'utilisateur (slow oufast).36. La société Intellectual Ventures I conclut de la même manière à l'absence depertinence du document Leih qui ne concerne que la technologie 2G et nedivulgue aucun réseau comportant une pluralité de types de cellule, mais unréseau mettant en oeuvre deux cellules identiques. Il ne peut dès lors enseignerune table de priorité au sens du brevet EP'374. Le document EP'006 enfin, n'apas le même objet que le présent brevet puisqu'il décrit une procédure detransfert, à l'intérieur d'un réseau dans lequel est progressivement déployé unenouvelle technologie telle que la 3G, d'une unité mobile d'une cellule mettanten oeuvre la technologie 2G vers la cellule plus appropriée. Ce document nedistingue pas les cellules selon leur taille et leur fréquence porteuse, nin'enseigne l'établissement d'une liste de priorités au sens du brevet.37. Selon la société demanderesse, aucun de ces documents, même en lescombinant, n'aurait permis à l'homme du métier de parvenir à l'inventionrevendiquée, laquelle n'avait donc, pour ce dernier, rien d'évident. Appréciation du tribunalá - Sur l'insuffisance de description38. Aux termes de l'article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle, "Lanullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France pardécision de justice pour l'un quelconque des motifs visés à l'article 138,paragraphe 1, de la Convention de Munich." Selon l'article 138 "Nullité desbrevets européens" de cette Convention "(1) Sous réserve de l'article 139, lebrevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un État contractant,que si : a) l'objet du brevet européen n'est pas brevetable en vertu des articles 52à 57 ;b) le brevet européen n'expose pas l'invention de façon suffisammentclaire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter ;" 39. Il est en outre rappelé que l'article 83 "Exposé de l'invention" de la Conventionprévoit que "L'invention doit être exposée dans la demande de brevet européende façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puissel'exécuter." 40. Ces dispositions sont constamment interprétées en ce sens qu'une invention estsuffisamment décrite lorsque l'homme du métier est en mesure, à la lecture dela description et grâce à ses connaissances professionnelles normales, théoriqueset pratiques, d'exécuter l'invention ( Cass. Com 23 mars 2005, pourvoi no 03-16.532 ; Cass. Com., 20 mars 2007, pourvoi no 05-12.626, Bull. 2007, IV, no89 ; Cass. Com., 13 novembre 2013, pourvoi no 12-14.803, 12-15.449). 41. Le fait que certains éléments indispensables au fonctionnement de l'invention nefigurent ni explicitement dans le texte des revendications ou de la description,ni dans les dessins représentant l'invention revendiquée, n'implique pasnécessairement que l'invention n'est pas exposée dans la demande de façonsuffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter,dès lors que ces éléments indispensables appartiennent à ses connaissancesgénérales (Cass. Com., 23 janvier 2019, pourvois no 17-14.673 et 16-28.322 :dans cette affaire le diagramme fer-carbone, qui fournit avec précision latempérature de fusion des fontes et des aciers en fonction de leur teneur encarbone, a été retenu comme appartenant aux connaissances générales del'homme du métier pouvant compléter les enseignements du brevet).42. L'homme du métier est celui du domaine technique où se pose le problème quel'invention, objet du brevet, se propose de résoudre (Cass. Com., 20 novembre2012, pourvoi no11-18.440). L'objet du brevet EP'374 étant de proposer unetechnique "améliorée" de sélection d'une cellule cible dans un système decommunication sans fil prenant en charge plus d'une norme de communication(cf paragraphe [0011]), il s'agit ici d'un ingénieur spécialiste des technologiesde communication mises en oeuvre dans les réseaux de téléphonie mobile.43. Il est au cas particulier rappelé que "l'invention propose un procédé pourdéterminer une attribution de cellule pour un utilisateur dans un réseausans fil, le réseau comportant une pluralité de types de cellules et lesutilisateurs ayant au moins l'un d'une pluralité de types de services,comprenant l'établissement d'une table de priorités comprenant, pourchaque type de service, une priorité pour chaque type de cellule." (Cfparagraphe [0012] de la description et revdnication 1) Dit autrement, le brevetpropose, en fonction du type de services utilisé par un équipement mobile setrouvant à un moment donné au sein d'une même zone couverte par des cellulesde différents "types", l'attribution d'une cellule, après établissement d'une listede cellules classées par ordre de "priorité".44. Certes, ainsi que le relèvent les sociétés défenderesses, le brevet ne décrit pasl'attribution d'une cellule dans le cas où au moins deux cellules sont de même"type", c'est à dire de même taille et supportant une technologie identique, et quiseraient dès lors classées avec le même ordre de priorité par la table. Dans tousles exemples fournis, les cellules sont en effet toutes de "types" différents.45. Force est toutefois de constater que le fascicule de brevet (paragraphe [0008])rappelle l'art antérieur le plus proche et en particulier le document US'386 quienseigne l'établissement d'une structure hiérarchique de cellule, sur la base dela force du signal de leurs canaux respectifs, et qu' "une décision sur la celluleoffrant la meilleure desserte pour la station mobile (l'équipement d'utilisateur)est prise sur la base à la fois de la valeur préférentielle des cellules associéeset de l'intensité de signal de leurs canaux radio respectifs". 46. Le paragraphe [0021] du brevet EP'374 mentionne en outre l'étape de réalisationdes mesures d'intensité de signal des cellules et de détermination des valeurs deseuil, tandis que la paragraphe [0066] rappelle que dans la situation inverse àcelle évoquée par les sociétés défenderesses (aucune cellule attribuée par la"table" ne figure dans le rapport de mesures de l'équipement d'utilisateur) iln'est pas tenu compte de l'étape d'attribution basée sur le service (enseignée icipar le brevet EP'374 aux fins d'optimisation du réseau) et "on applique lesautres critères de sélection de la meilleure cellule", c'est à dire en fonction,notamment, de la force du signal radio ( US'386).47. Il en résulte que, dans un tel cas, l'homme du métier doit effectivement réaliserune étape supplémentaire de sélection pour parvenir à l'attribution d'une celluledécrite et revendiquée par le fascicule du brevet EP'374, laquelle n'est passpécialement décrite, mais se trouve, ainsi que le fait valoir à juste titre la sociétéIntellectual Ventures I, connue de lui, et au demeurant mentionnée ici au titre del'art antérieur le plus proche (document US'386).48. Il doit en être déduit que le brevet expose l'invention de façon suffisammentclaire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter. Ce grief denullité est donc écarté.â - Sur l'absence de nouveauté49. Il résulte de l'article 54 "Nouveauté" de la Convention sur le brevet européen qu'"Une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dansl'état de la technique."50. En application de ces dispositions, l'élément de l'art antérieur n'est destructeurde nouveauté que s'il renferme tous les moyens techniques essentiels del'invention dans la même forme, le même agencement et le mêmefonctionnement en vue du même résultat technique. L'antériorité, qui est un faitjuridique dont l'existence, la date et le contenu doivent être prouvés par tousmoyens par celui qui l'invoque, doit être unique et être révélée dans un documentunique dont la portée est appréciée globalement. 51. Les sociétés défenderesses invoquent à cet égard le document US'581 du 10 juin1997 ayant pour titre "Structures cellulaires hiérarchiques sur mesure dans unsystème de communication", qui propose un procédé de sélection d'une cellule,parmi une pluralité de cellules ayant des zones de service différentes les unes parrapport aux autres, destinée à être utilisée par une unité mobile (revendication1 du brevet US'581), aux fins d'optimisation globale du réseau, une cellule étantattribuée en fonction des caractéristiques du mobile et les fonctionnalités descellules (dernier paragraphe de la partie "arrière-plan de la description). 52. Ce document enseigne en particulier que les cellules sont définies par leur taille(micro, macro,...) et le standard supporté (GSM, GPRS,...) et affectées à une"couche" (layer). Les unités mobiles sont quand à elles affectées à une "couche"en fonction de leur "classe" (c'est à dire en fonction notamment de la normeavec laquelle ils sont compatibles : GPRS, GSM).53. En outre, ainsi que le font valoir à juste titre les sociétés défenderesses, la figure2a de ce brevet US'581 peut être également représentée sous la forme d'une"table de priorités" telle qu'enseignée par le brevet EP'374 (cf les conclusionsde la société Huawei Technologies France no171 page 50 et ci-dessous la figure2a du brevet US'581 et la conversion de cette figure en tableau proposée par lasociété Huawei Technologies France) :54. Le tribunal ne peut donc que constater que le document US'581 enseigne uneattribution de cellule pour un équipement d'utilisateur, dans un réseaucomprenant une pluralité de types de cellules (la revendication, ni d'ailleurs ladescription, ne contenant aucune autre précision qui pourrait amener à laconclusion que la notion de "type" de cellule serait différente dans les deuxdocuments) et les équipements d'utilisateurs ayant l'un au moins d'une pluralitéde types de service (sans davantage de précision tandis que les deux documentsenvisagent exactement le même exemple en fonction de la norme supportée parle mobile), et comprenant l'établissement d'une liste de priorités comprenantpour chaque type de service, une priorité pour chaque type de cellule.55. En définitive, les documents ne se distinguent que par une étape de "découpage"supplémentaire du procédé (l'établissement d'une "table"), étape qui en elle-même n'apporte rien à l'invention qui dans les deux cas consiste à attribuer,pour chaque type de service, une priorité pour chaque type de cellule.56. Il en résulte que le brevet US'581 renferme tous les moyens techniquesessentiels de l'invention dans la même forme, le même agencement et le mêmefonctionnement, en vue du même résultat technique. Le moyen de nullité tiré dudéfaut de nouveauté des revendications 1 de procédé et 15 de dispositif (en tous points identique à l'exclusion de la "table") du brevet EP'374 doit donc êtreaccueilli.57. L'annulation des revendications opposées 1 et 15 du brevet EP'374 prive defondement les demandes au titre de la contrefaçon (communication d'élémentssous astreinte, paiement d'une provision de 30 millions d'euros, publication dujugement), qui ne peuvent dès lors qu'être rejetées, sans qu'il y ait lieud'examiner les autres moyens de nullité du brevet.58. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la sociétéIntellectual Ventures I sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la sociétéBouygues Télécom la somme de100.000 euros sur le fondement de l'article 700du code de procédure civile, et celle de 200.000 euros à la société HuaweiTechnologies France au même titre.59. Nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, l'exécution provisoire seraordonnée, sauf en ce qui concerne la transcription au Registre National desBrevets. PAR CES MOTIFS,Le tribunal,DIT que les revendications 1 et 15 de la partie française du brevet EP1 327 374 sont nulles pour insuffisance de description ;ORDONNE, à l'initiative de la partie la plus diligente, la transmission de laprésente décision, une fois passée en force jugée, à l'INPI aux fins d'inscriptionau Registre National des Brevets ;REJETTE par conséquent toutes les demandes fondées sur la contrefaçon dece brevet ;CONDAMNE la Société Intellectual Ventures I aux dépens et autorise MaîtresAbello et Desrousseaux à recouvrer directement ceux dont ils auraient faitl'avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article699 du code de procédure civile ;CONDAMNE la société Intellectual Ventures I à payer à la société SFR lasomme de 100.000 euros par application des dispositions de l'article 700 ducode de procédure civile et celle de 200.000 euros à la société HuaweiTechnologies France sur le même fondement ;ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision, sauf en ce quiconcerne sa transcription au Registre National des Brevets. Fait et jugé à Paris le 08 novembre 2022.La Greffière La Présidente
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JURITEXT000047324633
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 18 novembre 2022, 20/00616
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2022-11-18
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/00616
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CT0087
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG 20/00616 No Portalis 352J-W-B7E-CRPNF No MINUTE : Assignation du :14 Janvier 2020 JUGEMENT rendu le 18 Novembre 2022 DEMANDERESSE Madame [Y] [X] épouse [K][Adresse 2][Localité 10] représentée par Maître Thibault LENTINI de l'AARPI ARENAIRE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G252 DÉFENDEURS S.A.R.L. GALERIE D'ART CASTIGLIONE[Adresse 3] [Localité 4] représentée par Maître Maryse CASSAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1495 Monsieur [S] [J][Adresse 1][Localité 5] représenté par Maître Constance DELACOUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0804 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Irène BENAC, Vice-PrésidenteMme Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge assisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier DÉBATS A l'audience du 23 Septembre 2022 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile. Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 18 Novembre 2022. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe ContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE Mme [Y] [X], épouse [K], se présente comme une sculptrice, auteure notamment d'une série de sculptures dénommées "Baby Bouddha" en 2008 et d'une sculpture dénommée "Lapin Doudou", en septembre 2012. La SARL Galerie d'art Castiglione, immatriculée au RCS de Paris depuis le 6 janvier 1977 et dont le gérant est M. [V] [Z], a pour activité l'achat et la vente d'objets d'art, notamment dans ses neuf galeries [V] [Z].Elle a exposé et vendu certaines sculptures de Mme [K], parmi lesquelles 7 exemplaires en bronze de 2,20 mètres de la sculpture Lapin Doudou et 24 exemplaires de 38 centimètres de deux déclinaisons de Baby Bouddha, réalisés en Thaïlande en 2013 et 2014. M. [S] [J] se présente comme un peintre-sculpteur, auteur notamment d'une sculpture "Lapin qui court" en 2015. Il indique avoir créé en 2008 une société thaïlandaise nommée [J]bronze Co. Ltd dont il a été, jusqu'à sa retraite, artiste designer salarié. Soutenant que la SARL Galerie d'art Castiglione avait fait éditer et mis en vente, d'une part, des sculptures Lapin Doudou en laiton (et non en bronze) et Baby Bouddha d'une qualité d'exécution médiocre et, d'autre part, des sculptures contrefaisant son Lapin Doudou, signées de M. [J], Mme [K], après une vaine tentative d'accord amiable, a fait procéder à une saisie-contrefaçon au sein de la galerie [V] [Z] de [Localité 12] le 19 décembre 2019. Par acte du 14 janvier 2020, Mme [K] a assigné M. [J] et la SARL Galerie d'art Castiglione devant le tribunal judiciaire de Paris en réparation de ses préjudices résultant des atteintes à ses droits d'auteur sur les sculptures Lapin Doudou et Baby Bouddha. Par ordonnance du 17 décembre 2021, le juge de la mise en état a rejeté les fins de non-recevoir soulevées par M. [J] tirées du défaut de qualité à agir de Mme [K] et de son propre défaut de qualité à défendre à la demande incidente de la SARL Galerie d'art Castiglione et condamné M. [J] à payer à Mme [K] la somme de 3.000 euros en réparation de son préjudice moral du fait du caractère dilatoire de l'incident. Dans ses dernières conclusions signifiées le 23 décembre 2021, Mme [K] demande au tribunal, au visa des articles L.111-1 et suivants, L.121-1 et suivants, L.122-1 et suivants, L.122-4 et L.331-1-4 du code de la propriété intellectuelle, de : - rejeter la demande de nullité de la saisie-contrefaçon formée par la SARL Galerie d'art Castiglione ; - condamner la SARL Galerie d'art Castiglione à lui payer la somme 50.000 euros en réparation de l'atteinte à son droit moral sur son oeuvre Lapin Doudou, du fait de la fabrication, de l'offre à la vente et de la vente de sculptures défectueuses et présentée à tort comme étant en bronze ; - condamner la SARL Galerie d'art Castiglione à lui payer la somme 50.000 euros en réparation de l'atteinte à son droit moral sur son oeuvre Baby Bouddha, du fait de la fabrication, de l'offre à la vente et de la vente de sculptures de qualité médiocre ; - condamner solidairement la SARL Galerie d'art Castiglione et M. [J] à lui payer : - la somme 170.000 euros en réparation de l'atteinte à ses droits patrimoniaux d'auteur, - la somme 30.000 euros en réparation de son préjudice moral, - la somme 50.000 euros en réparation de l'atteinte à son droit moral,du fait des actes de contrefaçon de son oeuvre Lapin Doudou ; - faire interdiction à la SARL Galerie d'art Castiglione et à M. [J] de fabriquer, d'exposer, d'offrir à la vente et de vendre la sculpture litigieuse contrefaisante sous astreinte définitive de 10.000 euros par infraction constatée, à compter de la signification de la décision à intervenir ;- ordonner le rappel des circuits commerciaux et la destruction dans le délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard de la totalité des sculptures grand Lapin Doudou défectueuses, la totalité des sculptures Baby Bouddha de qualité médiocre et la totalité des sculptures contrefaisantes de la sculpture Lapin Doudou ; - dire que le tribunal judiciaire de Paris sera compétent pour connaître de la liquidation des astreintes qu'il aura ordonnées ; - ordonner la publication dans cinq journaux et sur la page d'accueil du site Internet de M. [J] aux frais des défendeurs de la décision rendue ;- condamner solidairement la SARL Galerie d'art Castiglione et M. [J] aux dépens (comprenant les frais de saisie-contrefaçon) qui seront recouvrés par Me Thibault Lentini, avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile, et à lui payer la somme de 28.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; - rejeter la demande formée par M. [J] sur le fondement de la procédure abusive. Dans ses dernières conclusions signifiées le 13 janvier 2022, la SARL Galerie d'art Castiglione demande au tribunal, au visa des articles L. 111-1 et suivants, L. 121-1 et suivants, L. 122-4, L. 331-3-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle et 1156, 1231, 1240, 1302-1 et 1998 du code civil, de : A titre principal : - débouter Mme [K] de l'intégralité de ses demandes à son encontre, - débouter M. [J] de l'intégralité de ses demandes,- annuler la saisie-contrefaçon du 19 décembre 2020 et en donner mainlevée, A titre reconventionnel : - à titre principal, condamner M. [J] à lui payer la somme de 67.450 euros en remboursement des sommes payées pour la fonte des 7 Lapin Doudou défectueux, ainsi que la somme 100.000 euros réglée à la galerie RJD Gallery au titre des préjudices causés par la vente de deux Lapin Doudou défectueux ; - à titre subsidiaire, condamner M. [J] au remboursement de la somme de 167.450 euros en vertu de la théorie du mandat apparent, ainsi que de la double confusion de patrimoine et de dénomination avec "[J] Bronze",- à titre infiniment subsidiaire, condamner M. [J] au remboursement de la somme de 67.450 euros au titre de la répétition de l'indu, En tout état de cause : - condamner solidairement Mme [K] et M. [J] à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'intégralité des dépens. Dans ses dernières conclusions signifiées le 20 janvier 2022, M. [J] demande au tribunal, au visa des articles 122 du code de procédure civile, L. 112-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle et 1353 du code civil, de : A titre principal : - débouter Mme [K] de l'ensemble de ses demandes formulées à son encontre en l'absence de protection par le droit d'auteur du Lapin Doudou, A titre subsidiaire :- débouter Mme [K] de l'ensemble de ses demandes formulées à son encontre pour absence de caractère contrefaisant du Lapin qui court par rapport au Lapin Doudou, A titre principal :- le mettre hors de cause,- débouter la SARL Galerie d'art Castiglione de ses demandes à son encontre, A titre subsidiaire : - débouter la SARL Galerie d'art Castiglione de ses demandes à son encontre, en l'absence de preuve tant d'une défectuosité que de son origine, En tout état de cause : - condamner Mme [K] à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son action abusive,- condamner solidairement Mme [K] et la société SARL Galerie d'art Castiglione à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Pour un exposé complet de l'argumentation des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions précitées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile. L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 février 2022. MOTIVATION Les demandes des parties de "dire et juger" ne sont pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile mais constituent en réalité le rappel des moyens invoqués ; en conséquence, elles ne sont pas rappelées dans le résumé des demandes et le tribunal ne statuera pas sur celles-ci. I . Sur la sculpture "Lapin Doudou" 1 . Sur la qualité d'oeuvre protégée Moyens des parties Mme [K] fait valoir que la notion d'oeuvre au sens de l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle ne recoupe pas celle, plus restrictive, d'oeuvre d'art au sens du code général des impôts et que la notion d'oeuvre originale au sens de l'article L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle est distincte de celle d'exemplaire original.Elle justifie l'originalité de la sculpture Lapin Doudou dans les termes suivants : "ces sculptures Lapin Doudou évoquant un lapin en peluche mais nettement plus grandes que la taille réelle d'une peluche (la version la plus grande atteignant 2,20 mètres) (...) le paradoxe produit par la représentation en grande taille de cet objet intime, normalement toujours de petite taille car à destination des enfants. Les yeux figurent un regard à la fois affectueux et étonné. Ils sont matérialisés par deux disques en relief, pour affirmer le regard, et apposés sur un visage ovale totalement lisse. L'extrémité basse du visage figure le museau par une forme ovale. Les oreilles, longues et fines, s'élargissent au fur et à mesure pour former en leur extrémité une masse oblongue. Elles comportent une brisure en leur début, peu après la tête, de sorte que les oreilles retombent vers le dos du lapin. Le lapin se tient debout, très droit, comme sur la pointe des pieds, ce qui produit une nette sensation de verticalité. Il adopte une posture humaine. Les bras sont tendus, en retrait du buste. Le buste est élancé et adopte la forme schématisée d'un buste humain. Les jambes sont courtes et aboutissent sur des longs pieds de forme oblongue. La sculpture est lisse et monochrome. L'aspect lisse de la sculpture est une invitation à caresser l'objet pour créer une intimité avec lui, comme pour l'enfant avec sa peluche. La forme générale des terminaisons (pattes, bras, mains, oreilles) est arrondie, afin de produire un effet de douceur. Cet effet de douceur est renforcé par l'aspect totalement lisse de la sculpture et son caractère monochrome". La SARL Galerie d'art Castiglione fait valoir que la description de l'oeuvre correspond au genre "bestiaire monochrome", qui n'est pas protégeable au titre du droit d'auteur. M. [J] soutient que, en application du code général des impôts et de l'article 122-8 du code de la propriété intellectuelle, le nombre des reproductions du Lapin Doudou, dépassant 8, empêche sa qualification d'oeuvre d'art et celle d'oeuvre originale et que le Lapin Doudou, tel que décrit par Mme [K], n'a que des caractéristiques banales et usuelles pour représenter un lapin. Réponse du tribunal L'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création et dès lors qu'elle est originale, d'un droit de propriété incorporelle exclusif comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. L'originalité de l'oeuvre, qu'il appartient à celui invoquant la protection de caractériser, suppose qu'elle soit issue d'un travail libre et créatif et résulte de choix arbitraires révélant la personnalité de son auteur.La reconnaissance de la protection par le droit d'auteur ne repose donc pas sur un examen de l'oeuvre invoquée par référence aux antériorités produites, même si celles-ci peuvent contribuer à l'appréciation de la recherche créative.L'originalité de l'oeuvre peut résulter du choix des couleurs, des dessins, des formes, des matières ou des ornements mais également, de la combinaison originale d'éléments connus. La protection du droit d'auteur bénéficie à toute oeuvre originale.Il est indifférent que celle-ci soit une oeuvre d'art au sens du code général des impôts.Elle n'est pas plus limitée aux exemplaires originaux des oeuvres graphiques ou plastiques dont l'article 122-8 du code de la propriété intellectuelle réglemente le droit de suite. Les défendeurs font observer à juste titre que la représentation sculpturale du lapin, surdimensionné, fortement stylisé, monochrome et traité en matériaux lisses, est courante dans l'art depuis le XXème siècle. Cela n'exclut pas l'originalité d'oeuvres appartenant à ce genre, qui s'apprécie au cas par cas. S'agissant du Lapin Doudou, Mme [K] a choisi de représenter non pas un lapin mais un objet transitionnel destiné aux petits enfants, le doudou, caractérisé par des formes simples, non articulées et dépourvues de détails figuratifs.Il s'agit d'un objet et non d'un animal, réalisé en très grand format.Elle lui a aussi donné une posture inattendue, en élongation verticale, qui le distingue à la fois des doudous et des lapins qui l'inspirent. Les caractéristiques de cette sculpture, à savoir : - la représentation surdimensionnée d'un objet intime destiné aux enfants,- prenant la forme d'un lapin à silhouette humanoïde en posture verticale,- des formes simples, arrondies, douces et lisses, sans détails figuratifs, à l'exception des yeux, - des membres à peine ébauchés et des oreilles sans aucun détail retombant sur le dos du lapin après une brisure,- la monochromie (rouge, blanc ou chocolat),ne sont ni banales, ni usuelles pour représenter tant un doudou qu'un lapin. La sculpture Lapin Doudou résulte de choix esthétiques et d'un travail créatif propres de Mme [K]. Elle doit donc bénéficier de la protection par le droit d'auteur. 2 . Sur la qualité d'auteur Moyens des parties Mme [K] fait valoir que :- elle est auteur pour avoir imaginé la sculpture et réalisé des maquettes avant de faire exécuter un moule et tirer des exemplaires ;- la qualité d'auteur n'est pas soumise à la preuve d'être à l'origine du moulage du premier exemplaire de l'oeuvre et, en toute hypothèse, ce premier moulage a été fait sous sa direction ;- les oeuvres ont été divulguées sous son nom de sorte qu'elle bénéficie de la présomption de l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle . M. [J] fait valoir que Mme [K] ne rapporte pas la preuve de sa qualité d'auteur du premier exemplaire, qui a été réalisé par la SARL Fathec. Réponse du tribunal L'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que : "L'oeuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l'auteur." et aux termes de l'article L. 113-1 du même code "La qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée." Mme [K] verse aux débats plusieurs factures à partir du 25 septembre 2012 portant sur la réalisation de moules de la sculpture "doudou lapin" ou "lapin" dans divers formats ainsi que du coulage et de la peinture des pièces. Elle produit aussi des catalogues à son nom faisant figurer le Lapin Doudou et des attestations, démontrant que cette oeuvre est divulguée exclusivement sous son nom. Mme [K] est donc titulaire du droit d'auteur sur cette sculpture. 3 . Sur l'atteinte au droit moral par les reproductions défectueuses Moyens des parties Mme [K] fait grief à la SARL Galerie d'art Castiglione d'avoir fait réaliser et mis en vente des reproductions de mauvaise qualité, en laiton et non en bronze conduisant à ce qu'elles, "se fissurent et se détériorent au contact des intempéries" sans le révéler préalablement aux clients de sorte que "son oeuvre Lapin Doudou est ainsi détériorée aux yeux du public". Elle fait valoir que les exemplaires en grande taille de son Lapin Doudou ont été réalisés à l'initiative de la SARL Galerie d'art Castiglione, qui en est maître d'ouvrage, par un prestataire qu'il a choisi et rémunéré, et que, de l'aveu même de la SARL Galerie d'art Castiglione, 5 des 7 exemplaires coulés ont dû être remplacés ce qui démontre leur caractère défectueux, également établi par les photographies envoyées par la galerie RDJ Gallery. La SARL Galerie d'art Castiglione fait valoir que- les reproductions ont été faites à partir d'une pièce originale que Mme [K] a envoyée en Thaïlande à ses frais et sous sa supervision ;- elle a appris, en même temps que l'artiste, que les reproductions étaient en laiton, métal qu'il n'est pas aisé de différencier du bronze car ce sont tous deux des alliages de cuivre ;- Mme [K] a quand même signé deux exemplaires de ces sculptures, les sachant en laiton,- elle a pris en charge l'indemnisation des clients ayant acheté des sculptures dégradées et un seul des sept exemplaires est encore chez un client ; - les oeuvres en bronze coulées en Italie présentent aussi des dégradations de surface ;- l'absence de cote de Mme [K] au marché de l'art justifie de ne pas lui reconnaître une atteinte à son droit moral. M. [J] souligne que les prétendues défectuosité de ces lapins ne sont pas prouvées et ne reposent que sur les déclarations de M. [H], sans aucune expertise. Il précise que des fissures peuvent avoir de multiples causes, et notamment des chocs, et que toutes les parties connaissaient les particularités du "bronze thaï". Réponse du tribunal L'article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit : "L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre." Le respect de l'oeuvre implique qu'elle ne soit ni altérée ni déformée, conditions qui s'apprécient en fonction notamment de la destination de l'oeuvre.La réalisation de l'oeuvre dans un matériau inadapté ou ne permettant pas d'assurer son intégrité est susceptible d'affecter le droit moral de l'auteur s'il l'altère ou la dénature. Les pièces du dossier démontrent que la reproduction du Lapin Doudou dans le format 2,20 mètres par une entreprise thaïlandaise a été commandée sans aucun formalisme contractuel. Ni la SARL Galerie d'art Castiglione, ni Mme [K] n'ont formulé de spécifications particulières quant à la réalisation du modèle à la cire, du moule, de la composition du matériau de coulage et du traitement des finitions. Sur le plan technique, Mme [K] a envoyé une de ses propres réalisations dans le format 1,60 mètres et a donné des instructions à M. [J] pour l'agrandissement du modèle et la réalisation du moule en visioconférence, mais aucune quant au matériau à utiliser, ni aux exigences de durabilité, notamment en cas de conservation en plein air. A l'issue, elle a validé la réalisation ainsi qu'en témoignent les termes de son courriel du 5 octobre 2013 à M. [J] : "La sculpture est validée. Merci beaucoup pour ton travail." (pièce 46 de M. [J]). S'agissant du matériau, il est constant que les sept exemplaires de 2,20 mètres du Lapin Doudou ont été réalisé en laiton, alors que leur facturation, les 9 août 2013 et 28 octobre 2014, est intitulée "bronze sculpture" et mentionne des "sculptures originales en bronze". Les courriels échangés entre Mme [K] et la SARL Galerie d'art Castiglione montrent que toutes deux savaient, au plus tard le 15 avril 2015, que les sculptures étaient en laiton. En effet, dans son courriel de cette date, Mme [K] indique qu'elle préfère faire couler les pièces moyennes et petites en Italie "c'est le même prix qu'[S], voire peut-être moins cher et c'est à 4 heures de [Localité 10], c'est du bronze pas du laiton" et elle n'a fait aucune réserve sur ce point. Ces éléments démontrent que le choix de couler les statues en laiton et la qualité du résultat final permettant la mise en vente ont été validés par Mme [K] aussi bien que par la SARL Galerie d'art Castiglione. Dans ces conditions, Mme [K] est mal fondée à le reprocher à la SARL Galerie d'art Castiglione. Trois ans plus tard, le 25 avril 2018, Mme [K] a écrit à la SARL Galerie d'art Castiglione : "Des clients m'ont contacté pour se plaindre de leurs sculptures, me demandant d'intervenir, de réparer leurs lapins, qu'il m'est impossible d'identifier numérotage etc. Ils m'indiquent que les sculptures se sont abîmées. Cette fabrication est décidément un mauvais choix, quand tu m'as annoncé que ce n'était pas du bronze mais du laiton et quand on voit tous les problèmes que cela occasionne. La sculpture est belle, mais d'avoir choisi des matériaux de mauvaise qualité, cela finit par coûter plus cher en fin de course plus que le bronze. Si cela jette le discrédit sur mon propre travail et me décrédibilise, ce n'est pas ce qui m'inquiète le plus, c'est l'état des sculptures chez les clients." et le 16 juillet 2019, son conseil en a demandé le retrait. L'étendue et la gravité des défauts de ces statues ressort d'un courriel du 1er juin 2018 de M. [H], directeur de la galerie RJD Gallery ayant acheté, le 28 janvier 2017 "two original sculptures by artist Veronique [K] (...) Media : BRONZE painted in white" indiquant que les deux lapins se fissurent et comportent beaucoup de petites fractures comme si ces sculptures avaient été faites en morceaux et non moulée, assorti de quelques photographies en gros plan des fissures. La SARL Galerie d'art Castiglione indique elle-même dans ses conclusions qu'elles a dû rembourser ces deux sculptures et que la troisième vendue a dû être remplacée, sans préciser les causes de ce remplacement. Dès lors, s'il apparaît que les sculptures sont altérées, il n'est pas établi que les dégradations résultent de la fabrication en laiton plutôt qu'en bronze, ni en quoi elles seraient imputables à la SARL Galerie d'art Castiglione. Mme [K] ne saurait donc reprocher à cette dernière d'avoir porté atteinte à son droit moral d'auteur. La facture de vente de deux exemplaires du grand Lapin Doudou de la SARL Galerie d'art Castiglione à la galerie RJD du 28 janvier 2017 indique "two original sculptures by artist Veronique [K] (...) Media : BRONZE painted in white" (pièce 9.3 de Mme [K]), ce qui démontre que la SARL Galerie d'art Castiglione a vendu ces sculptures comme du bronze (bronze) à cette galerie américaine alors qu'elle savait qu'elles étaient en laiton (brass). Si cette indélicatesse était susceptible d'entacher la réputation de probité de Mme [K], elle n'a pas altéré ou dénaturé la représentation de son oeuvre qu'elle a toujours jugé très belle, et n'a pas porté atteinte à son droit moral. Il y a lieu de débouter Mme [K] de l'ensemble de ces demandes au titre de son droit moral sur son oeuvre Lapin Doudou. 4 . Sur la contrefaçon par le Lapin qui court de M. [J] Moyens des parties Mme [K] soutient que :- la sculpture "Lapin qui court" signée [J] exposée, offerte à la vente et vendue par la SARL Galerie d'art Castiglione constitue une adaptation non autorisée, et donc la contrefaçon de sa sculpture Lapin Doudou ; - la contrefaçon s'apprécie selon les ressemblances et non les différences ; - les différences entre la sculpture lapin de M. [J] et sa sculpture lapin Doudou (l'une est en mouvement et l'autre immobile) sont insignifiantes et n'écartent pas l'impression d'ensemble identique dégagée par les ressemblances de "la forme ovale du visage et les deux disques sobres figurant les yeux sur un visage totalement lisse" la forme générale des oreilles, des bras, du buste et des jambes, les extrémités arrondies, la position "debout sur la pointe des pieds", l'aspect général "lisse et monochrome" et le grand format de réalisation ; - elle déclinait le Lapin Doudou dans d'autres sculptures de sorte que le Lapin qui court semblait s'inscrire dans ce mouvement ;- M. [J] a réalisé cette pièce, très différente du reste de sa production, immédiatement après avoir travaillé sur son Lapin Doudou et les deux oeuvres, dans le même coloris blanc, ont été présentées ensemble dans la galerie [V] [Z] de [Localité 6] en janvier 2016, puis le Lapin qui court seul à [Localité 12] ;- en fabricant, en offrant à la vente et en vendant la sculpture Lapin qui court signée [J], la SARL Galerie d'art Castiglione et M. [J] portent atteinte à ses droits patrimoniaux et moraux d'auteur sur son oeuvre Lapin Doudou. La SARL Galerie d'art Castiglione soutient que :- le Lapin qui court d'[S] [J] ne contrefait pas le Lapin Doudou en l'absence de reprise des éléments caractéristiques portant l'empreinte de la personnalité de Mme [K] que sont la forme du visage, des yeux, des oreilles et des membres ;- le bestiaire monochrome aux formes simplifiées relève d'un genre que Mme [K] ne saurait revendiquer ;- il n'existe aucun risque de confusion. M. [J] fait valoir que le seul point commun des deux sculptures est qu'elles sont inspirées d'un lapin, mais l'une est une peluche et l'autre un lapin anthropomorphe. De plus, les yeux et les oreilles sont bien différents, de même que les proportions du corps (les cuisses sont charnues et musclées, les fesses galbées) et il y a une queue. Enfin, la posture du Lapin qui court est dynamique tandis que le Lapin Doudou est inerte. Réponse du tribunal En application des dispositions des articles L122-1 et L122-4 du code de la propriété intellectuelle, le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction, et toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. La contrefaçon d'une oeuvre protégée par le droit d'auteur, qui n'implique pas l'existence d'un risque de confusion, consiste dans la reprise de ses caractéristiques reconnues comme étant constitutives de son originalité.La contrefaçon s'apprécie selon les ressemblances et non d'après les différences. Elle ne peut toutefois être retenue lorsque les ressemblances relèvent de la reprise d'un genre et non de la reproduction de caractéristiques spécifiques de l'oeuvre première. La SARL Galerie d'art Castiglione a commandé à M. [J], qui venait de réaliser la reproduction de 2,20 m du Lapin Doudou de Mme [K], une sculpture Lapin qui court (en 4 exemplaires de 2,40 mètres et 6 exemplaires de 1,20 mètres).Elle a ensuite exposé cette sculpture en décembre 2015 dans sa galerie de [Localité 6], avec un exemplaire du Lapin Doudou dans le même coloris mais non le même format, et en novembre 2019 dans sa galerie de [Localité 12]. La sculpture Lapin qui court de M. [J] présente des ressemblances avec la sculpture Lapin Doudou : le sujet du lapin plus ou moins humanoïde, sa taille, son traitement lisse et monochrome en blanc, rouge ou chocolat et l'absence de détails figuratifs à l'exception des yeux, soit certains des traits retenus supra pour caractériser l'originalité de l'oeuvre mais dont deux sont typiques du genre bestiaire monochrome. Toutefois, le Lapin Doudou est figuré comme un objet - inerte - dont la position verticale est paradoxale au regard de ses membres inférieurs fléchis et ses pieds superposés, tandis que le Lapin qui court représente une créature en mouvement, animée. De plus, le Lapin Doudou présente une forme humanoïde à peine ébauchée, sans queue, sans articulation des bras avec des membres inférieurs très courts et des oreilles sans aucun détail alors que les oreilles du Lapin qui court sont creusées, ses coudes, ses poignets et ses membres inférieurs sont bien marqués, notamment les cuisses et les fesses, et il porte une queue. Le Lapin qui court est donc dépourvu de trois des caractéristiques essentielles (représentation d'un objet inerte, aux formes à peine ébauchées et aux oreilles tombantes) dont la combinaison a été jugée originale. Enfin, si Mme [K] avait effectivement représenté le Lapin Doudou dans plusieurs autres sculptures auparavant, elle n'invoque pas la contrefaçon de ces autres oeuvres.En toute hypothèse, le tribunal observe que, dans ces autres représentations, le doudou lapin n'était ni animé, ni plus détaillé, ni surdimensionné, mais apparaissait seulement en tant que jouet entre les mains d'enfants. Il y a donc lieu de rejeter toutes les demandes de Mme [K] relatives à la contrefaçon de son oeuvre par celle de M. [J], tant à titre de dommages et intérêts que les mesures d'interdiction et de publication du jugement. La demande de la SARL Galerie d'art Castiglione à la fois d'annuler la saisie-contrefaçon du 19 décembre 2020 et d'en donner mainlevée n'est aucunement motivée.Or, aucun grief de nullité n'entache la mesure et sa mainlevée est sans objet, s'agissant d'une saisie-contrefaçon descriptive.Il y a donc lieu de rejeter ces demandes. II . Sur la série de sculptures Baby Bouddha 1 . Sur l'originalité Moyens des parties Mme [K] fait valoir que la notion d'oeuvre originale au sens du code de la propriété intellectuelle est distincte de celle d'exemplaire original.Elle justifie l'originalité de la série de sculptures "Baby Bouddha" dans les termes suivants : "cette sculpture reprend les formes rondes des bouddhas japonais (en particulier concernant le crâne, les yeux, le nez et le buste) afin de donner une impression de douceur, de bonté et de sagesse et les mélange avec la forme générale d'un bébé (dont on retrouve l'aspect joufflu, ainsi que les petits pieds et les petites mains dépassant de la tunique) (...) : le bouddha (symbole d'expérience, de sagesse et de savoir) se retrouve dans le corps d'un bébé (par définition inexpérimenté, fragile et vierge de toute connaissance) (...) Ces sculptures Baby Bouddha étaient déclinées en différentes attitudes (dormant, souriant, en position du lotus, distrait)" La SARL Galerie d'art Castiglione soutient que la sculpture Baby Bouddha ne se distingue pas des multiples sculptures de bébés Bouddha vendues sur Internet, de même forme et même posture, ni des jizos japonais qui l'inspirent, et ne porte pas d'empreinte de créativité propre à l'artiste, de sorte qu'elle est dépourvue d'originalité. Réponse du tribunal L'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création et dès lors qu'elle est originale, d'un droit de propriété incorporelle exclusif comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. La SARL Galerie d'art Castiglione souligne à juste titre que la représentation sculpturale de bébés Bouddah aussi bien que de Jizô, Bouddha protecteur, est courante. Cela n'exclut pas l'originalité d'oeuvres appartenant à ces genres, qui s'apprécie au cas par cas. S'inspirant de statuettes de Jizô observées au Japon, Mme [K] a choisi de représenter fidèlement un bébé assis, enveloppé dans un manteau ne laissant voir que ses pieds et ses mains aux doigts croisés, et dont la physionomie et le léger sourire évoquent la douceur, la bonté et la sagesse. Le corps est traité sans autres détails que les doigts et les orteils tandis que le visage détaille les yeux, le nez, la bouche et les oreilles. L'ensemble est monochrome et réalisé dans des matériaux lisses. La série de sculptures Baby Bouddha représente un bébé, et non un Bouddha auquel il emprunte seulement l'expression de sérénité et de bonté, dans différentes attitudes (orientation de la tête, yeux ouverts ou fermés et jambes plus ou moins fléchies) mais conservant la même position du corps et des bras, assise et stable, et s'inscrivant dans un volume identique. Ces caractéristiques traduisent une source d'inspiration ayant guidé des choix arbitraires, lesquels portent l'empreinte personnelle de leur créatrice. Mme [K] fait justement valoir que les différents exemples de bébés Bouddha et de Jizô présentés en défense sont très différents en ce que les têtes de bébé sont disproportionnées aux corps, leurs positions ne sont pas celles d'un bébé, leurs pieds ne sont pas représentés et leurs dos sont différents. De plus, aucun ne présente l'aspect lisse et coloré de la série Baby Bouddha. Ces différences avec les différentes représentations de bébés Bouddha et de Jizô versées aux débats démontrent de plus fort l'existence de choix esthétiques propres à Mme [K]. La série de sculptures Baby Bouddha, et particulièrement ses déclinaisons baby distracting et baby king doit donc bénéficier de la protection par le droit d'auteur. 2 . Sur l'atteinte au droit moral Moyens des parties Mme [K] fait grief à la SARL Galerie d'art Castiglione d'avoir fait réaliser et mis en vente des reproductions de mauvaise qualité de l'oeuvre Baby Bouddha dans ses déclinaisons baby king et distracting baby et présentant des défauts par rapport au modèle : "les doigts des mains sont effacés, les yeux sont absents et sans pupille, les oreilles sont écrasées, le nez a perdu le volume de ses narines et le dessin en relief de la bouche est effacé", portant atteinte à son droit moral sur cette oeuvre. Elle soutient que la réalisation des 24 exemplaires de ses sculptures Baby Bouddha a été réalisé à l'initiative de la SARL Galerie d'art Castiglione, qui en est maître d'ouvrage, par un prestataire qu'il a choisi et rémunéré et que ces exemplaires ont été commercialisés malgré ses réserves et offres de reprise.Elle évalue son préjudice à 50.000 euros. La SARL Galerie d'art Castiglione conteste le défaut de qualité allégué. Elle ajoute que la comparaison est faite entre un modèle en résine et un moulage en bronze, nécessairement moins précis.Elle fait valoir que les reproductions ont été faites à partir d'une pièce originale que Mme [K] a envoyée en Thaïlande à ses frais et sous sa supervision, qu'elle pouvait assurer elle-même les finitions comme c'est l'usage et qu'elle ne s'est pas opposée à leur vente. Réponse du tribunal L'article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit : "L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre."Le respect de l'oeuvre implique qu'elle ne soit ni altérée ni déformée. Il n'est pas contesté que l'auteur de cette oeuvre est Mme [K].La notoriété de l'artiste est sans incidence sur l'étendue à la protection par le droit d'auteur. Mme [K] avait été d'emblée très réticente à faire réaliser ces petites sculptures en Thaïlande et l'a exprimé dans les termes suivants à M. [Z] le 24 juillet 2014 : " j'ai réfléchi faire des bb en Thailande , c'est pas une bonne idée faisons d'autres sculptures la-bas. Après réflexion cela va galvauder mes pièces, elles ont bien marché ici en France et continuent encore . quand tu les vendras, elles seront pas très belles pas bien peintes avec des coulures ou des manques de peinture (...) Tandis qu'ici en France je contrôle la qualité de la fabrication elles sont bien faites bien peintes et aussi belles que je le souhaite, fidèles à l'original.". M. [Z] s'étant borné à lui répondre "Merde", elle a accepté de faire réaliser les sculptures en Thaïlande et a envoyé les pièces ayant servi de modèle. 12 exemplaires de baby king et 12 de distracting baby de 38 centimètres ont été réalisés sur la base d'une offre de prix du 23 juillet 2014 de la société thaïlandaise [J]bronze Co. Ltd. Ils ont été facturés le 28 octobre 2014 à la SARL Galerie d'art Castiglione qui les a mis en vente. Après avoir vu ces reproductions à [Localité 8], Mme [K] a écrit à M. [Z], le 27 janvier 2015, que les pièces étaient défectueuses (yeux et narines mal dessinés, volumes insuffisants) et a proposé de les reprendre une à une avant vente, ce qu'il a refusé.Par courriel du 8 octobre 2015, elle a demandé l'arrêt de la production, la destruction des moules de ces deux oeuvres et la restitution des modèles, en vain. Pour preuve des altérations alléguées, Mme [K] verse seulement deux photographies d'un distracting baby réalisé en résine par elle-même et d'un autre réalisé par la société thaïlandaise [J]bronze Co. Ltd permettant de constater des finitions beaucoup moins nettes sur le second que sur le premier. M. [Z] n'a pas contesté ce fait lorsque Mme [K] lui en a fait le reproche par courriel du 27 janvier 2015 et en a poursuivi la commercialisation.De plus les 24 pièces ont été réalisées à partir de seulement deux moules, de sorte que le tribunal retient comme suffisamment établi que l'ensemble des 24 exemplaires sont affectés des mêmes défauts. Il a été retenu supra que l'association de formes globalement lisses et indistinctes avec des yeux, un nez, une bouche, des oreilles, des doigts et des orteils bien détaillés est une caractéristique de l'originalité de l'oeuvre.Dès lors, le caractère indistinct de ces détails dans les 24 exemplaires coulés en Thaïlande caractérisent une mauvaise exécution altérant la forme de l'oeuvre dont la destination est purement esthétique. En ne déferrant pas à la demande de Mme [K] du 8 octobre 2015 de cesser la vente de ces pièces malgré leurs défauts, la SARL Galerie d'art Castiglione a porté atteinte à son droit moral au respect de l'intégrité de l'oeuvre. Mme [K] ne donne aucune explication à sa demande de 50.000 euros. 24 exemplaires ont été réalisés. Ils étaient encore en vente à [Localité 9] au printemps 2016 et à [Localité 11] le 18 avril 2019. Au regard de ces éléments, le tribunal fixe à 12.000 euros la réparation de l'atteinte portée à son droit moral par la SARL Galerie d'art Castiglione, qui sera condamnée à lui payer cette somme. La gravité de l'atteinte ne justifie cependant pas d'ordonner le rappel et la destruction des 24 exemplaires litigieux des sculptures Baby Bouddha mais seulement de ceux restant à ce jour dans les stocks de la SARL Galerie d'art Castiglione. Au vu des très nombreuses demandes formées en ce sens par Mme [K] et restées sans suite, il est justifié de prononcer une astreinte.Il y a également lieu de rejeter la demande de publication du jugement. III . Sur la demande incidente de la SARL Galerie d'art Castiglione contre M. [J] Moyens des parties La SARL Galerie d'art Castiglione soutient qu'elle a confié à M. [J], et non à la société thaïlandaise [J]bronze Co. Ltd, l'exécution des sept exemplaires du « Lapin Doudou » de 2,20 mètres qu'elle lui a payés selon factures des 9 août 2013 et 28 octobre 2014, de sorte qu'il est responsable de leur mauvaise qualité et des coûts qu'elle a subis de ce fait.Subsidiairement, elle invoque, d'une part, le mandat apparent de M. [J] et, d'autre part, la confusion de patrimoine entre M. [J] et la société thaïlandaise [J]bronze Co. Ltd.Très subsidiairement, elle invoque la répétition de l'indû.M. [J] fait valoir que le co-contractant de la SARL Galerie d'art Castiglione est la société thaïlandaise [J]bronze Co. Ltd et que lui-même est tiers à ce contrat. Il indique avoir été salarié de cette société, qui a travaillé plusieurs années avec la SARL Galerie d'art Castiglione, dont il était l'interlocuteur dès lors qu'il parlait la langue fraçaiseIl conteste la défectuosité des sculptures réalisées, déniée par le fait que la SARL Galerie d'art Castiglione a continué à travailler avec la société thaïlandaise [J]bronze Co. Ltd et ajoute qu'elle savait, tout comme Mme [K], à quoi correspond la qualité « bronze thaï ».Réponse du tribunalL'article 1156 du code civil invoqué par la SARL Galerie d'art Castiglione n'était pas entré en vigueur à la date de la réalisation de la prestation litigieuse et ne saurait donc être appliqué au litige. Les articles 1231, 1240 et 1302-1 du code civil ne l'étaient pas plus mais le tribunal retient que la SARL Galerie d'art Castiglione pouvait invoquer les articles 1147, 1382 et 1376 dans leur rédaction en vigueur lors de l'exécution des prestations et qui prévoient :- "Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part." ;- "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer." ;- "Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu.". L'article 1998 du code civil dispose : "Le mandant est tenu d'exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné.Il n'est tenu de ce qui a pu être fait au-delà, qu'autant qu'il l'a ratifié expressément ou tacitement." La réalisation des sept exemplaires du Lapin Doudou de 2,20 mètres n'a pas fait l'objet d'un contrat écrit.La SARL Galerie d'art Castiglione est malvenue de faire grief à M. [S] [J] de ne pas produire la preuve de ce contrat, la charge de la preuve d'une obligation pesant sur le prétendu créancier. La prestation a été facturée par la société thaïlandaise [J]bronze Co. ltd à la société Galerie d'art Castiglione les 9 août 2013 (modèle de cire, moule et 3 exemplaires) et 28 octobre 2014 (4 exemplaires) pour un total de 103.575 euros.Les factures sont libellées en français et en anglais, elles sont intitulées "bronze sculpture" et mentionnent des "sculptures originales en bronze", elles sont détaillées et assorties de photographies. La SARL Galerie d'art Castiglione affirme avoir réglé 67.475 euros à ce titre à M. [S] [J], et non à la société thaïlandaise [J]bronze Co. Ltd. Elle n'en justifie cependant pas dès lors que sa pièce no29, présentée comme la preuve de ce paiement, fait état de deux virements respectivement de 52.300 euros le 14 février 2013 et 50.000 euros le 20 juin 2013, soit pour un total différent de celui allégué et réglé bien avant la facturation des sculptures litigieuses. Les allégations de la SARL Galerie d'art Castiglione selon lesquelles M. [J] aurait personnellement et seul reçu la commande, réalisé les sculptures et encaissé leur prix ne sont donc corroborées par aucune pièce. En revanche, M. [S] [J] produit de nombreux courriels envoyés en 2014 de [J] [S] < [Courriel 13] > à [V] [Z] < [Courriel 7] > au sujet de la réalisation de ces sept exemplaires du Lapin Doudou et leur paiement, signés par [D] [O], nom suivi de [J]bronzeCo. Ltd ainsi que l'adresse et le numéro de téléphone de cette société. Il est par ailleurs démontré par une attestation du 21 février 2019 du ministère du commerce de Thaïlande que cette société, enregistrée le 24 juillet 2008, a pour objet, notamment, la "vente de produits manufacturés en fer, en cuivre, en laiton", le "coulage et moulage de métaux" et la "fabrication, achat, importation, exportation d'objets décoratifs". Une attestation de son general manager du 12 septembre 2018 établit que M. [J] en était salarié. Il est donc démontré que la société thaïlandaise [J]bronze Co. Ltd, et non M. [S] [J], était titulaire du contrat de reproduction de l'oeuvre Lapin Doudou. La responsabilité contractuelle de M. [S] [J] au titre de l'exécution de ce contrat ne saurait donc être engagée, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'éventuel manquement contractuel et ses conséquences. Sur le premier des moyens subsidiaires, M. [J] oppose à juste titre que la théorie du mandat apparent peut être invoquée par un créancier pour obtenir que le mandant exécute une obligation contractée par son mandataire apparent, mais non afin que le mandataire soit tenu des obligations du mandant.Ce mandat apparent – à le supposer démontré – n'est donc pas de nature à engager la responsabilité de M. [J]. Sur le second moyen subsidiaire, la confusion de patrimoine permet d'étendre une procédure collective d'une entreprise à une autre, en cas de mélange inextricable des patrimoine et non de substituer un débiteur à un autre. En toute hypothèse, le fait que la SARL Galerie d'art Castiglione ait parfois effectué des paiements à M. [J], artiste à qui elle a commandé des oeuvres, pas plus que la circonstance qu'il soit enregistré en tant qu'entrepreneur individuel en France et ait nommé sa galerie d'[Localité 5] "[J] Bronze" ne caractérise pas la confusion des patrimoines entre M. [J] et la société thaïlandaise [J]bronze Co. ltd.Aucune demande ne saurait donc prospérer sur ce fondement. Quant à la répétition de l'indû, la SARL Galerie d'art Castiglione ne peut s'en prévaloir dès lors qu'elle ne démontre pas avoir réglé les factures précitées à M. [S] [J]. Il y a donc lieu de rejeter la demande incidente de la SARL Galerie d'art Castiglione contre M. [J]. IV . Sur la demande reconventionnelle de M. [J] contre Mme [K] Moyens des parties M. [J] soutient que Mme [K] a agi en justice de mauvaise foi car elle n'avait aucune doléance quant à la réalisation de la sculpture Lapin Doudou. Mme [K] conclut au rejet Réponse du tribunal L'article 32-1 du code de procédure civile dispose : "Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés." Mme [K] a été reconnue titulaire d'un droit d'auteur sur les trois oeuvres en litige et de réelles ressemblances ont été observées entre le Lapin Doudou et le Lapin qui court, réalisé par M. [J] peu après l'agrandissement et l'exécution de sept exemplaires du Lapin Doudou. Elle a donc pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits et aucune intention de nuire, dilatoire ou abusive n'est démontrée. La demande est rejetée. VI . Sur les autres demandes Mme [K] et la SARL Galerie d'art Castiglione, qui succombent chacune partiellement, sont condamnées aux dépens de l'instance. L'équité justifie de condamner la SARL Galerie d'art Castiglione à payer à Mme [K] la somme de 4.000 euros et à M. [J] celle de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner Mme [K] à payer à M. [J] la somme de 2.000 euros au même titre. PAR CES MOTIFS Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe et en premier ressort, DIT que les sculptures "Lapin Doudou" et la série "Baby Bouddha", dont Mme [Y] [X], épouse [K], est l'auteure, sont des oeuvres protégées par le droit d'auteur ; DIT que la SARL Galerie d'art Castiglione a porté atteinte au droit moral de Mme [Y] [X], épouse [K], sur les déclinaisons king baby et distracting baby de l'oeuvre Baby Bouddha ; CONDAMNE la SARL Galerie d'art Castiglione à payer à Mme [Y] [X], épouse [K], la somme de 12.000 euros en réparation de cette atteinte ; CONDAMNE la SARL Galerie d'art Castiglione à détruire, à ses frais, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la décision à intervenir, les sculptures Baby Bouddha réalisées par la société [J]bronze Co. Ltd en 2014 et d'en justifier auprès de Mme [Y] [X], épouse [K], sous le même délai sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard durant 3 mois ; DIT que le tribunal se réserve la liquidation de l'astreinte ; CONDAMNE Mme [Y] [X], épouse [K], et la SARL Galerie d'art Castiglione aux dépens de l'instance ; CONDAMNE la SARL Galerie d'art Castiglione à payer à Mme [Y] [X], épouse [K], la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; CONDAMNE Mme [Y] [X], épouse [K], à payer à M. [S] [J] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; CONDAMNE la SARL Galerie d'art Castiglione à payer à M. [S] [J] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires. Fait et jugé à Paris le 18 Novembre 2022 Le Greffier La Présidente
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JURITEXT000047324634
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 8 décembre 2022, 21/00313
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2022-12-08
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/00313
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CT0087
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 21/00313 No Portalis 352J-W-B7F-CTRXK No MINUTE : Assignation du :17 décembre 2020 JUGEMENT rendu le 08 décembre 2022 DEMANDERESSE S.A.S. EHEALTH FWD[Adresse 2][Localité 4] représentée par Me Guillaume DAUCHEL de la SELARL CABINET SEVELLEC DAUCHEL, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #W0009 & Me Myriam JEAN de la SELARL JEAN LOUVEL SAOUDI, avocat au barreau de METZ, avocat plaidant DÉFENDERESSE S.A.R.L. MEDIATHLETE[Adresse 3][Localité 1] représentée par Me Diane RATTALINO de la SELARL PONTHIEU AVOCATS , avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #C1352 & Me François PONTHIEU de la SELARL PONTHIEU AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant COMPOSITION DU TRIBUNAL Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeElodie GUENNEC, Vice-présidenteMalik CHAPUIS, Juge, assistés de Caroline REBOUL, Greffière DÉBATS A l'audience du 06 septembre 2022 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 03 novembre 2022. Le délibéré a été prorogé au 17 novembre puis au 08 décembre 2022. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE : 1. La société Ehealth se présente comme spécialisée dans la conception et l'exploitation de solutions dans le domaine de la santé connectée adaptée au sport. Elle est titulaire de deux marques de l'Union européenne : - La marque verbale "Dr Sport" enregistrée le 18 avril 2013, sous le no 11750692 et désignant des produits et services en classes 9, 10, 35, 38, 41 et 44, et notamment, en classe 35 les services de publicité et en classe 41 la "mise à disposition gratuite ou payante de contenus à caractère informatif, éducatif ou de type mode d'emploi dans le domaine du sport, de la santé, de la forme, de l'hygiène, de la nutrition" ; - La marque semi-figurative "Dr Sport" enregistrée le 23 juin 2015 sous le no14287395 pour désigner des produits et services des classes 5, 10, 28, 35, 38, 41 et 44 : 2. La société Mediathlète se présente quant à elle comme une société d'édition publiant des revues dédiées à la santé des sportifs. 3. La société Ehealth expose avoir constaté que la société Mediathlète exploite un site internet de vente de magazines et de diffusion en ligne d'informations spécialement dédiés aux soins et à la santé des sportifs, sous l'appellation et le nom de domaine <www.docdusport.com>. 4. Aussi, par une lettre du 29 novembre 2019, la société Ehealth a mis en demeure la société Mediathlète de cesser tous usages du signe "docdusport" pour désigner une activité d'information et de conseil en matière de santé et de sport. Par une lettre du 18 décembre 2019, la société Mediathlète a contesté toute atteinte aux droits de la demanderesse et n'a pas donné suite aux demandes. 5. C'est dans ce contexte que, par acte d'huissier du 17 décembre 2020, la société Ehealth a fait assigner la société Mediathlète devant le tribunal judiciaire de Paris, en contrefaçon de marques et subsidiairement en concurrence déloyale. 6. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 8 octobre 2021, la société Ehealth demande au tribunal de : - DIRE la demande de la société Ehealth recevable et bien fondée, En conséquence et à titre principal, - DIRE que la société Mediathlete a accompli des agissements de contrefaçon par imitation des marques européennes no 11750692 et no 14287395 appartenant à la Société EHealth, - PRONONCER la radiation et l'interdiction pour la société Mediathlete d'avoir à utiliser le nom de domaine www.docdusport.com pour désigner un site internet spécialisé dans la santé des sportifs et de cesser toute exploitation de cette dénomination sous astreinte de 10.000 € par jour de retard et par infraction constatée suite à la signification de la décision à intervenir, - ORDONNER la cessation de l'utilisation de l'expression "Doc du Sport" pour désigner tout produit, support ou média ayant pour objet la diffusion d'informations ou de conseils liés à la santé et le sport sous astreinte de 2.000 € par jour de retard et par infraction constatée suite à la signification de la décision à intervenir, - ENJOINDRE à la défenderesse de communiquer le chiffre d'affaire réalisé dans le cadre de la publication et la diffusion en ligne et sur les réseaux sociaux des produits, supports et magazines litigieux, sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, - CONDAMNER la société Mediathlete à payer à la société Ehealth la somme de 200.000 € à titre de provision à valoir sur le préjudice économique du fait des agissements de contrefaçon de marque, - CONDAMNER la société Mediathlete à payer à la société Ehealth la somme de 20.000 € en réparation du préjudice d'image subi fait des agissements de contrefaçon de marque, A titre subsidiaire, - DIRE que la société Mediathlete a accompli des agissements de concurrence déloyale en imitant et reproduisant les signes distinctifs au préjudice de la société Ehealth, - PRONONCER la radiation et l'interdiction pour la société Mediathlete d'avoir à utiliser le nom de domaine www.docdusport.com et d'une manière générale l'expression "Doc du Sport" pour désigner un site internet, un blog, un revue ou un média, quel que soit le support spécialisé dans la santé des sportifs et de cesser toute exploitation de cette dénomination sous astreinte de 500 € par jour de retard ou d'infraction constatée à compoter de la signification de la décision à intervenir, - CONDAMNER la société Mediathlete à payer à la société Ehealth la somme de 200.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des agissements de confusion et de parasitisme, - CONDAMNER la Société Mediathlete à payer à la société Ehealth la somme de 20.000 € en réparation du préjudice d'image subi fait des agissements de concurrence déloyale, Quoi qu'il en soit, - ORDONNER la publication de la décision à intervenir dans deux périodiques aux choix de la société Ehealth et aux frais de la société Mediathlete dans la limite de 5.000 € par parution, - ORDONNER la publication de la décision à intervenir sur la première page du site de la défenderesse pendant une période minimale de 6 mois à intervenir et sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, - CONDAMNER la société Mediathlete à payer à la société Ehealth la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens de la procédure en ce y compris les frais de constats d'huissier. 7. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 29 octobre 2021, la société Mediathlete demande quant à elle au tribunal de : - Rejeter comme non fondées les demandes de Ehealth, tant au titre de la contrefaçon qu'à celui de la concurrence déloyale, - Permettre à la société Mediathlete de continuer à utiliser le nom de domaine "docdusport" pour sa revue en ligne, - Ne pas prononcer l'exécution provisoire de la décision à intervenir, - Condamner la société Ehealth à payer à la société Mediathlete la somme de 7.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance. 8. L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 14 décembre 2021 et l'affaire plaidée à l'audience du 6 septembre 2022. MOTIFS DE LA DÉCISION Moyens des parties 9. La société Ehealth soutient que la marque et le signe désignent des activités similaires voire identiques et, en particulier, que le signe "DrSport" désigne à l'enregistrement les services de publication d'articles et de livres qui correspondent à l'activité exercée par la société défenderesse. La société Ehealth ajoute que les similitudes visuelle, phonétique et conceptuelle des signes sont fortes, de sorte que le public pertinent, d'attention moyenne à élevée, est nécessairement selon elle amené à attribuer à leurs produits et services une origine commune, ce qui caractérise une contrefaçon de marque. La société Ehealth précise que l'Office européen de la propriété intellectuelle a reconnu à la marque "DrSport" une distinctivité normale. 10. Subsidiairement, pour le cas où le tribunal estimerait qu'aucne contrefaçon de marque n'est caractérisée, la société Ehealth soutient que les agissements de la société Mediathlete sont fautifs, s'agissant selon elle d'actes de concurrence déloyale et parasitaire. 11. La société Mediathlete conclut pour sa part au rejet des demandes fondées sur la contrefaçon de marque. Elle fait valoir en substance que la distinctivité de la marque est faible et que la société demanderesse ne peut revendiquer aucun monopole sur un signe aussi générique pour désigner tous types d'activités dans le domaine de la santé des sportifs dans lesquelles les parties sont l'une et l'autre actives, encore que selon la défenderesse, les services qu'elles proposent sont différents, la demanderesse commercialisant une application d'aide au diagnostic dédiée aux sportifs, tandis qu'elle même exerce une activité de vente de supports publicitaires dans des revues (papier et en ligne, ces dernières étant accessibles par le nom de domaine <www.docdusport.com> ) dédiées à la santé des sportifs et dans lesquelles paraissent des interviews et des articles. 12. La société Mediathlete conclut de la même manière au rejet des demandes basées sur les mêmes faits au titre de la concurrence déloyale et parasitaire. Appréciation du tribunal a - Sur la contrefaçon de marque 13. Aux termes de l'article 9 du règlement "1. L'enregistrement d'une marque de l'Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif. « 2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque: (...) b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque; (...)" 14. Interprétant les dispositions rédigées en termes identiques de l'article 5 § 1 de la première Directive du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques (89/104/CEE), la Cour de Justice des Communautés européennes a dit pour doit que, constitue un risque de confusion au sens de ce texte, le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d'entreprises liées économiquement (voir arrêt Canon, C-39/97, point 29 ; arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97). Selon cette même jurisprudence, l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce (voir, arrêt Sabel, C-251/95, point 22), cette appréciation globale impliquant une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte (voir arrêt Canon, point 17). 15. Afin d'apprécier le degré de similitude existant entre les marques concernées, la juridiction nationale doit déterminer leur degré de similitude visuelle, auditive et conceptuelle et, le cas échéant, évaluer l'importance qu'il convient d'attacher à ces différents éléments, en tenant compte de la catégorie de produits ou services en cause et des conditions dans lesquelles ils sont commercialisés ainsi que de leurs éléments distinctifs et dominants (voir arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97 ). Enfin, pour apprécier la similitude entre des produits ou des services, il y a lieu de tenir compte de tous les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport entre ces produits ou ces services ; ces facteurs incluent, en particulier, leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire (voir arrêt Canon, C-39/97, point 23). 16. La partie initiale des marques verbales est susceptible de retenir l'attention du consommateur davantage que les parties suivantes (voir par exemple les arrêts du tribunal du 17 mars 2004, El Corte Inglés/OHMI – González Cabello et Iberia Líneas Aéreas de España (MUNDICOR), aff. T-183/02 et T-184/02, Rec. p. II-965, point 81, du 16 mars 2005, L'Oréal/OHMI – Revlon (FLEXI AIR), T-112/03, points 64 et 65, du 13 février 2008, Sanofi-Aventis SA,/ OHMI - GD Searle LLC (URION /ATURION), aff. T146/06, point 49). 17. Force est en l'occurrence de constater que les services désignés à l'enregistrement sont, au moins pour partie, identiques à ceux exploités sous le signe argué de contrefaçon. 18. Même s'il n'est guère contestable que la marque sera prononcée "docteur sport" par le public pertinent, les signes ("Dr Sport" et "Doc du sport") ne sont néanmoins, visuellement et phonétiquement, que moyennement similaires, leurs signes d'attaques ("dr" ou "docteur" dans le cas de la marque et "doc" s'agissant du signe) étant distincts. 19. Les signes sont en revanche conceptuellement fortement similaires renvoyant l'un et l'autre sous une forme abrégée à un "docteur du sport", encore que le second signe "doc" apparaisse plus familier que le signe "Dr" qui constitue l'abréviation usuelle du mot "docteur". 20. Comme le relève à juste titre la société défenderesse les signes sont faiblement distinctifs pour désigner des services en lien avec la santé des sportifs, le risque de confusion étant d'autant plus élevé que le caractère distinctif de la marque antérieure s'avère important (voir par exemple l'arrêt BSH Bosch und Siemens Hausgeräte GmbH, C-45/16, point 62). 21. Le public pertinent, enfin, est d'attention élevée s'agissant des personnes à la recherche d'informations dans le domaine de la santé en lien avec la pratique d'un sport. Aussi, il sera sensible à la différence entre les signes. 22. Il en résulte que la forte similitude entre une partie des services concernés et la forte ressemblance conceptuelle entre les signes sera ici compensée par leurs différences visuelle et auditive qui, même faibles dans le cadre d'une comparaison purement verbale, seront nécessairement perçues par le public pertinent dont l'attention est élevée, ce d'autant plus ici que la partie verbale des marques est faiblement distinctive et que les signes sont principalement exploités sous leurs formes semi-figuratives lesquelles sont sensiblement différentes. Il s'en déduit que le public pertinent ne sera pas amené ici à attribuer une origine commune aux produits et services de sorte que la contrefaçon n'est pas établie. b - Sur la concurrence déloyale et parasitaire 23. Selon les articles 1240 et 1241 du code civil « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. » 24. La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, qui implique qu'un signe ou un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute, laquelle peut être constituée par la création d'un risque de confusion. L'appréciation de cette faute doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté de l'usage, l'originalité et la notoriété du produit copié. 25. Le parasitisme, qui n'exige pas de risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et sans bourse délier des investissements, d'un savoir-faire ou d'un travail, produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel. Il incombe à celui qui allègue de parasitisme d'établir le savoir-faire ainsi que les efforts humains et financiers consentis par lui, ayant permis la création d'une valeur économique individualisée. 26. En l'absence de risque de confusion la concurrence déloyale apparaît exclue. Il en va de même de la concurrence parasitaire, la demanderesse ne pouvant revendiquer aucune valeur économique individualisée résultant de l'usage d'un signe verbal descriptif de son activité dans le domaine de la santé des sportifs. La demande subsidiaire ne peut donc qu'être rejetée. 27. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile la société Ehealth sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la société Mediathlète la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 28. Aucune circonstance ne justifie d'écarter l'exécution provisoire de droit dont est assortie la présente décision conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS, Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement rendu contradictoirement et en premier ressort, LE TRIBUNAL, REJETTE les demandes de la société Ehealth fondées sur la contrefaçon de marques comme la concurrence déloyale et parasitaire ; CONDAMNE la société Ehealth aux dépens ; CONDAMNE la société Ehealth à payer à la société Mediathlète la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; RAPPELLE que la présente décision est de plein droit assortie de l'exécution provisoire. Fait et jugé à Paris le 08 décembre 2022. LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
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JURITEXT000047324635
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 6 décembre 2022, 20/12527
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2022-12-06
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/12527
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 20/12527 - No Portalis 352J-W-B7E-CTLZC No MINUTE : Assignation du :02 décembre 2020 JUGEMENT rendu le 06 décembre 2022 DEMANDERESSE Société VITRY FRERES[Adresse 1][Localité 3] représentée par Maître Delphine BRUNET-STOCLET de la SELARL SCHMIDT BRUNET LITZLER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0183 DÉFENDERESSE S.A.S. LABORATOIRES INNOXA[Adresse 2][Localité 3] représentée par Maître Stéphanie CALERO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0204 COMPOSITION DU TRIBUNAL Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjointLinda BOUDOUR, jugeArthur COURILLON-HAVY, juge assistés de Lorine MILLE, greffière, DÉBATS A l'audience du 22 septembre 2022, tenue en audience publique devant Jean-Christophe GAYET et Linda BOUDOUR, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir donné lecture du rapport et entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 06 décembre 2022. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort ____________________________ EXPOSE DU LITIGE La SA VITRY FRERES a notamment pour activité la fabrication et la vente de tous articles et accessoires dans le domaine de l'hygiène et beauté. Elle est titulaire de deux modèles communautaires sur des coupe-ongles déposés le 8 avril 2003 sous les numéros 000019187-0001 et 000019187-0002 et publiés le 8 juillet 2003. La SAS LABORATOIRES INNOXA a pour activité la fabrication de parfums et de produits pour la toilette. Elle a, par acte sous seing privé du 25 février 2020, fait l'acquisition partielle du fonds de commerce de la SAS VISIOMED, comprenant notamment des coupe-ongles de manucure et de pédicure. Ayant découvert la commercialisation en pharmacie et sur les sites internet <www.innoxa.fr> et <www.santediscount.com> de coupe-ongles référencés « Coupe-Ongles Manucure Extra-Plat 3700609709959 » et « Coupe-Ongles Pédicure Extra-Plat 3700609709973 », dont elle estime qu'ils reproduisent les caractéristiques de ses modèles de coupe-ongles spatule manucure et pédicure, la société VITRY FRERES a effectué des achats dans une pharmacie sise à [Localité 4] selon tickets de caisse des 15 février et 30 juin 2020, et fait procéder à un constat d'huissier sur ces sites internet selon procès-verbal du 30 juin 2020. Puis, autorisée par ordonnance du 12 octobre 2020, la société VITRY FRERES a fait procéder à une saisie-contrefaçon au siège social de la société LABORATOIRES INNOXA selon procès-verbal du 3 novembre 2020. Par courrier recommandé du 16 novembre 2020, la société VITRY FRERES a ensuite mis en demeure la société LABORATOIRES INNOXA de : - reconnaitre ses droits antérieurs sur les modèles opposés ;- reconnaitre ses droits d'auteur sur les modèles opposés ;- cesser l'exploitation des coupe-ongles argués de contrefaçon ;- procéder au retrait et à la destruction des stocks de coupe-ongles litigieux ;- lui verser la somme forfaitaire de 75.000 euros en réparation de son préjudice. La société VITRY FRERES a fait procéder à un second constat d'huissier sur le site internet <www.santediscount.com> selon procès-verbal du 27 novembre 2020. Estimant que ses demandes n'étaient pas satisfaites, la société VITRY FRERES a, par acte d'huissier du 2 décembre 2020, fait assigner la société LABORATOIRES INNOXA devant le tribunal judiciaire de PARIS en contrefaçon de droit d'auteur et de modèles communautaires, et en concurrence déloyale. L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 janvier 2022 et l'affaire fixée à l'audience de plaidoirie du 22 septembre 2022. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, le présent jugement, rendu en premier ressort, sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile. PRETENTIONS DES PARTIES Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 21 octobre 2021, la société VITRY FRERES demande au tribunal, au visa des articles 4, 19, 82 83 et 90 du Règlement no6/2002 du 12 décembre 2001, des articles L. 112-1, L. 112-2, L.122-4, L.331-1-2, L. 515-1, L.521-4 ; L. 521-7, L. 522-1 et R. 221-1 du code de la propriété intellectuelle, des articles 1240 et 1241 du code civil, de : « - DECLARER la société VITRY FRERES recevable et bien fondée en ses demandes formées à l'encontre de la société LABORATOIRES INNOXA ; - VALIDER le procès-verbal des opérations de saisie-contrefaçons effectué le 3 novembre 2020 au siège social de la société LABORATOIRES INNOXA ; - DIRE ET JUGER que la création et le modèle de coupe-ongles spatule revendiqué par la société VITRY FRERES bénéficient de la protection des Livres I, III et V du code de la propriété intellectuelle et du règlement no6/2002 du 12 décembre 2001 ; - DIRE ET JUGER que la société LABORATOIRES INNOXA s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon de droit d'auteur et de modèle communautaire no000019187-0001 et no000019187-0002 en acquérant, stockant, mettant sur le marché, offrant en vente, vendant et commercialisant les produits contrefaisants référencés Coupe-Ongles Manucure Extra-Plat 3700609709959 et Coupe-Ongles Pédicure Extra-Plat 3700609709973 ; - DIRE ET JUGER que la société LABORATOIRES INNOXA s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitisme en dénigrant la société VITRY FRERES et en présentant ses coupe-ongles litigieux de manière à créer un risque de confusion dans l'esprit du public, avec les produits de la société VITRY FRERES ; - CONDAMNER la société LABORATOIRES INNOXA à payer, à la société VITRY FRERES la somme de 122 277,25 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice né des actes de contrefaçon de ses droits d'auteur et de ses modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 ; - CONDAMNER la société LABORATOIRES INNOXA à payer, à la société VITRY FRERES la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice né des actes de concurrence déloyale ; - FAIRE INTERDICTION à la société LABORATOIRES INNOXA de poursuivre la commande, l'acquisition, le stockage, la mise sur le marché, l'offre en vente, la vente et la commercialisation des coupe-ongles contrefaisants sur quelque territoire de l'Union Européenne que ce soit sous astreinte de 1.500 euros par infraction soit par modèle de coupe-ongles fabriqué, importé, exporté, offert en vente ou vendu ; - ORDONNER la destruction, aux frais de la société LABORATOIRES INNOXA de l'intégralité du stock de produits jugés contrefaisants, sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard passé le délai de 30 jours suivants la signification du jugement à intervenir ; - SE RESERVER la liquidation des astreintes ordonnées ; - AUTORISER la société VITRY FRERES à publier, en français et en anglais, le jugement à intervenir, par extraits, dans cinq revues ou journaux français ou internationaux de son choix et aux frais de la société LABORATOIRES INNOXA sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 8.000 euros H.T ; - AUTORISER la société VITRY FRERES à diffuser, en toutes langues de son choix, la décision à intervenir sur son site Internet www.vitry.com ; - CONDAMNER la société LABORATOIRES INNOXA à verser à la société VITRY FRERES la somme de 20.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; - ORDONNER l'exécution provisoire du jugement à intervenir ; - CONDAMNER la société LABORATOIRES INNOXA aux entiers dépens de l'instance en ce compris les frais d'huissier exposés par la société VITRY FRERES au titre des opérations de saisie-contrefaçon du 3 novembre 2020, et des constats d'huissier ». Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 janvier 2022, la société LABORATOIRES INNOXA demande au tribunal, au visa des articles L. 111-1 et L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle, des articles 4, 5, 6, 7 et 8 du Règlement (CE) 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires, des articles 1240 et 1241 du code civil, de : « A titre principal, - DIRE ET JUGER que la saisie-contrefaçon pratiquée dans les locaux de Laboratoires Innoxa le 3 novembre 2020 est nulle ; - DIRE ET JUGER que les modèles de coupe-ongles spatule revendiqués par Vitry Frères ne sauraient constituer une création originale protégée au titre du droit d'auteur par les Livres I, III et V du code de la propriété intellectuelle ; - DIRE ET JUGER que les modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 déposés par Vitry Frères le 8 avril 2003 ne répondent pas aux conditions de validité prévus par le Règlement (CE) no6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires ; - DIRE ET JUGER qu'aucun prétendu acte de contrefaçon et de concurrence déloyale ne saurait pouvoir être retenu à l'encontre de Laboratoires Innoxa ; En conséquence, - ANNULER l'intégralité de la saisie pratiquée le 3 novembre en exécution de l'ordonnance du 12 octobre 2020 et des actes subséquents :* Ordonner sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir, la restitution à Laboratoires Innoxa des éléments saisis en suite de ces opérations et détenus tant par Vitry Frères que par l'huissier instrumentaire ;* Faire défense à Vitry Frères de se prévaloir dans ses écritures dans la présente procédure, et dans toute autre action judiciaire ou extrajudiciaire qu'elle viendrait à engager et en tout état de cause de manière générale, du contenu des procès-verbaux de l'huissier instrumentaire, des pièces appréhendées lors des opérations de saisie, et des informations, pièces et documents dont elle a obtenu la communication dans le cadre de la saisie opérée le 3 novembre 2020 ; - DEBOUTER Vitry Frères de l'intégralité de ses demandes ; - PRONONCER la nullité des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 déposés par Vitry Frères relative à son modèle de coupe-ongles spatule pour raison d'absence de nouveauté et de caractère individuel ; A titre subsidiaire, - DIRE ET JUGER que les modèles de coupe-ongles commercialisés par Vitry Frères et Laboratoires Innoxa présentent des différences nombreuses et substantielles excluant tout risque de confusion entre eux ; En conséquence, - DEBOUTER Vitry Frères de son action en contrefaçon ; A titre infiniment subsidiaire, - DIRE ET JUGER que Vitry Frères n'apporte aucune démonstration des préjudices dont elle demande la réparation au titre d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale ; En conséquence, - DEBOUTER Vitry Frères de l'intégralité de ses demandes indemnitaires ; Et en tout état de cause, - CONDAMNER Vitry Frères à verser à Laboratoires Innoxa la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; - CONDAMNER Vitry Frères aux entiers dépens par application de l'article 699 du code de procédure civile ». MOTIFS DE LA DÉCISION Sur l'originalité du coupe-ongles spatule La société VITRY FRERES revendique l'originalité de la combinaison des caractéristiques suivantes de son coupe-ongles spatule : « - le corps et le levier du coupe-ongles sont courbés et se superposent parfaitement ; - le levier a pour caractéristique originale une forme de spatule (rétrécissement central, bout élargi et arrondi) ; - le levier, une fois retourné, présente par sa courbure un angle d'ouverture à 45o ; - le coupe-ongles spatule présente un point de contact entre le levier et le corps de forme arrondie et bombée ».Elle soutient que cette combinaison est un parti pris esthétique qui n'est pas imposé par la fonction technique du coupe-ongles et porte l'empreinte de la personnalité de son auteur. La société LABORATOIRES INNOXA, qui conteste l'originalité alléguée, fait valoir que les caractéristiques revendiquées par la demanderesse ne révèlent aucun effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de leur auteur, qu'elles sont au contraire banales et dictées par la fonction classique d'un coupe-ongles. Elle ajoute que de nombreux coupe-ongles commercialisés sur le marché et de nombreux modèles déposés présentent des caractéristiques similaires. SUR CE, Aux termes de l'article L. 111-1 alinéas 1 et 2 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. Selon l'article L. 112-1 du même code, ce droit appartient aux auteurs sur toutes les oeuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination. L'originalité d'une oeuvre résulte notamment de partis pris esthétiques et de choix arbitraires de son auteur qui caractérisent un effort créatif portant l'empreinte de sa personnalité, et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. Lorsque la protection par le droit d'auteur est contestée en défense, l'originalité d'une oeuvre doit être explicitée par celui qui s'en prétend l'auteur, seul ce dernier étant à même d'identifier les éléments traduisant sa personnalité. En effet, le principe de la contradiction prévu à l'article 16 du code de procédure civile commande que le défendeur puisse connaître précisément les caractéristiques revendiquées de l'oeuvre qui fondent l'atteinte alléguée et apporter la preuve de l'absence d'originalité de l'oeuvre. En l'espèce, la société VITRY FRERES revendique l'originalité de la combinaison des caractéristiques suivantes : - le corps et le levier du coupe-ongles sont courbés et se superposent parfaitement ;- le levier est en forme de spatule ;- le point de contact entre le corps et le levier est de forme arrondie et bombée ;- le levier, une fois retourné, présente par sa courbure un angle d'ouverture à 45o. Or, elle n'explicite pas en quoi la combinaison de ces caractéristiques du coupe-ongles spatule porte l'empreinte de la personnalité de son auteur. Elle se borne à effectuer une simple description objective qui ne permet pas de démontrer l'originalité qu'elle allègue tandis que celle-ci est contestée. Dans ces conditions, le coupe-ongles spatule ne peut bénéficier d'une protection par le droit d'auteur. En conséquence, la société VITRY FRERES sera déboutée de l'ensemble de ses demandes fondées sur la contrefaçon de droit d'auteur. Sur la validité des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 La société LABORATOIRES INNOXA sollicite la nullité des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 :- pour défaut de nouveauté en ce que des modèles français, japonais et américains déposés antérieurement présentent les mêmes caractéristiques ;- pour défaut de caractère individuel en ce que deux modèles japonais déposés antérieurement produisent une impression globale quasi-identique ;- pour apparence exclusivement imposée par leur fonction technique en ce que la présence d'un levier est nécessaire pour actionner les lames coupantes ; la forme de spatule du coupe-ongles est indispensable pour un meilleur maintien de l'appareil au moment de la prise en main du coupe-ongles ; les fabricants de coupe-ongles sont techniquement contraints de respecter la présence d'un emboîtement du corps et du levier du coupe-ongles une fois replié ; la superposition parfaite entre le levier et le corps du coupe-ongles a vocation à permettre une bonne rotation du levier ; un levier présentant, par sa courbure, un angle d'ouverture à 45o permet d'obtenir une meilleure amplitude au moment de la découpe. En réplique, la société VITRY FRERES fait valoir que :- la nouveauté et le caractère individuel de ses modèles résident dans les caractéristiques suivantes : « le corps et le levier du coupe-ongles sont courbés et se superposent parfaitement » ; « le point de contact entre le levier et le corps de forme arrondie et bombée », et qu'aucun des modèles de coupe-ongles produits par la défenderesse à titre d'antériorité de toutes pièces ne présente la combinaison de ces caractéristiques et ne produit une impression globale identique à ses modèles ;- l'apparence de ses modèles, qui n'est pas imposée par leur fonction technique, est esthétique. SUR CE, L'article 4.1 « conditions de protection » du Règlement (CE) no6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires dispose que « la protection d'un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n'est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel ». Aux termes de l'article 5 « nouveauté » du même règlement, « 1. Un dessin ou modèle est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué au public : a) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou le modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois ;b) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement du dessin ou modèle pour lequel la protection est demandée ou, si une priorité est revendiquée, la date de priorité.2. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants ». L'article 6 « caractère individuel » dudit règlement énonce que « 1. Un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l'impression globale qu'il produit sur l'utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public :a) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou le modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois ;b) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité.2. Pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle ». Selon l'article 7 « divulgation » du même règlement, « 1. Aux fins de l'application des articles 5 et 6, un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué au public s'il a été publié à la suite de l'enregistrement ou autrement, ou exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière, avant la date visée à l'article 5, paragraphe 1, point a), et à l'article 6, paragraphe 1, point a), ou à l'article 5, paragraphe 1, point b), et à l'article 6, paragraphe 1, point b), selon le cas, sauf si ces faits, dans la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant dans la Communauté. Toutefois, le dessin ou modèle n'est pas réputé avoir été divulgué au public s'il a seulement été divulgué à un tiers sous des conditions explicites ou implicites de secret.2. Aux fins des articles 5 et 6, il n'est pas tenu compte d'une divulgation si un dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée au titre de dessin ou modèle communautaire enregistré a été divulgué au public :a) par le créateur ou son ayant droit ou par un tiers sur la base d'informations fournies ou d'actes accomplis par le créateur ou son ayant droit, et ce,b) pendant la période de douze mois précédant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou la date de priorité, si une priorité est revendiquée.3. Le paragraphe 2 est également applicable lorsque le dessin ou modèle a été divulgué au public à la suite d'une conduite abusive à l'égard du créateur ou de son ayant droit ». L'article 8.1 « dessins ou modèles imposés par leur fonction technique et dessins ou modèles d'interconnexions » dudit règlement précise que « un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l'apparence d'un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique ». La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que « l'article 8, paragraphe 1, du règlement (CE) no6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires doit être interprété en ce sens que, pour apprécier si des caractéristiques de l'apparence d'un produit sont exclusivement imposées par la fonction technique de celui-ci, il y a lieu d'établir que cette fonction est le seul facteur ayant déterminé ces caractéristiques, l'existence de dessins ou modèles alternatifs n'étant pas déterminante à cet égard. Afin de déterminer si les caractéristiques concernées de l'apparence d'un produit sont exclusivement imposées par la fonction technique de celui-ci, au sens de cette disposition, il incombe au juge national de tenir compte de toutes les circonstances objectives pertinentes de chaque cas d'espèce. Il n'y a pas lieu, à cet égard, de se fonder sur la perception d'un « observateur objectif » (CJUE, 8 mars 2018, C-395/16). Sur la nouveauté En l'espèce, la société LABORATOIRES INNOXA oppose les antériorités suivantes :- le point de contact arrondi et bombé et l'angle à 45o du modèle français no 56307 déposé le 14 mai 1957 ;- le levier courbé du modèle français no984708 déposé le 11 août 1998 ;- le levier en forme de spatule du modèle français no016664 déposé le 15 novembre 2001 ;- la superposition parfaite des corps et levier courbés et le point de contact arrondi et bombé du modèle japonais no D1119484 déposé le 6 février 1998 ;- le levier courbé en forme de spatule et le point de contact arrondi et bombé du modèle japonais no D2001 1054 déposé le 22 janvier 2001 ;- le point de contact arrondi et bombé du modèle américain D437457 déposé le 13 décembre 2001. Or, aucune de ces antériorités, prises individuellement, ne présente toutes les caractéristiques des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002, de sorte qu'aucune d'elles ne constitue une antériorité de toutes pièces. Au contraire, chacune d'elles présente des caractéristiques différentes dans ses lignes et formes qui ne peuvent être qualifiées de détails insignifiants. Dès lors, aucune des antériorités opposées par la société LABORATOIRES INNOXA n'est destructrice de nouveauté. Sur le caractère individuel A l'examen des deux antériorités opposées par la société LABORATOIRES INNOXA, force est de constater que les modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 suscitent une impression visuelle globale différente de chacune d'elles chez l'observateur averti qui est une personne qui s'intéresse au marché des accessoires de manucure et pédicure et se tient régulièrement informée, de sorte que le caractère individuel n'est mis à mal ni par le modèle japonais no D1119484 déposé le 6 février 1998 ni par modèle japonais no D2001 1054 déposé le 22 janvier 2001. Au contraire, en dépit du degré de liberté restreint dans l'élaboration des modèles eu égard aux contraintes imposées par la fonction technique du produit, le créateur a conféré aux coupe-ongles des lignes et formes qui se détachent des antériorités opposées, de sorte que ceux-ci présentent un caractère individuel. Dès lors, les modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 n'encourent pas davantage la nullité pour ce motif. Sur les caractéristiques de l'apparence du produit imposées par sa fonction technique Contrairement à ce qu'affirme la défenderesse, les caractéristiques de l'apparence des coupe-ongles objet des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002, en particulier la superposition parfaite du corps et du levier formant une courbe harmonieuse, la forme en spatule du levier et sa courbure lorsqu'il est retourné, la forme arrondie et bombée du point de contact entre le corps et le levier, ne sont pas imposées par leur fonction technique mais résultent d'une recherche esthétique. En conséquence, au regard de tout ce qui précède, la société LABORATOIRES INNOXA sera déboutée de sa demande en nullité des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002. Sur la validité de la saisie-contrefaçon La société LABORATOIRES INNOXA soutient que la saisie-contrefaçon du 3 novembre 2020 est nulle en ce que :- il n'est pas démontré que la requête et l'ordonnance lui ont été signifiées préalablement aux opérations de saisie-contrefaçon et qu'elle a disposé du temps nécessaire pour en prendre connaissance ;- il n'est pas établi qu'elle s'est vue remettre une copie du procès-verbal de saisie-contrefaçon à l'issue des opérations ou dans un délai raisonnable postérieurement à celles-ci, de sorte que cela lui a nécessairement causé un grief en ce qu'elle n'a pu ni organiser utilement sa défense préalablement à l'assignation ni agir en rétractation devant le président du tribunal judiciaire autorisé la saisie-contrefaçon par ordonnance du 12 octobre 2020. La société VITRY FRERES répond que l'huissier instrumentaire a signifié la requête et l'ordonnance à la société LABORATOIRES INNOXA vingt-quatre (24) minutes avant le début des opérations de saisie-contrefaçon du 3 novembre 2020, et lui a signifié une copie du procès-verbal de saisie-contrefaçon le même jour à l'issue des opérations. SUR CE, Aux termes de l'article 114 du code de procédure civile, aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public. La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public. L'article 495 du code de procédure civile dispose que l'ordonnance sur requête est motivée. Elle est exécutoire au vu de la seule minute. Copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée. Selon l'article R. 521-3, alinéa 2 du code la propriété intellectuelle, à peine de nullité et de dommages-intérêts contre l'huissier, celui-ci doit, avant de procéder à la saisie, donner copie aux détenteurs des objets saisis ou décrits de l'ordonnance. Copie doit être laissée aux mêmes détenteurs du procès-verbal de saisie. Le respect du principe de la contradiction, qui fonde l'exigence posée à l'alinéa 3 de l'article 495 du code de procédure civile, requiert que copie de la requête et de l'ordonnance soit remise à la personne à laquelle elle est opposée antérieurement à l'exécution des mesures d'instruction qu'elle ordonne (Cass. 2e civ., 10 février 2011, no10-13.894 et 1er septembre 2016, no15-23.326). En l'espèce, il ressort tant de l'acte de « signification d'une ordonnance rendue sur requête » que du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 20 novembre 2020 (pièce VITRY FRERES no24) que seule la copie de l'ordonnance du 12 octobre 2020 a été signifiée par l'huissier instrumentaire. Il n'est aucunement fait état de la remise d'une copie de la requête. Par ailleurs, aucun acte de l'huissier instrumentaire ne fait état de la signification du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 3 novembre 2020. Dès lors, contrairement à ce qu'affirme la société VITRY FRERES, il n'est aucunement établi que la requête aux fins de saisie-contrefaçon et le procès-verbal de saisie-contrefaçon ont été signifiés à la société LABORATOIRES INNOXA. Ces irrégularités, constitutives d'un vice de forme, lui font nécessairement grief dès lors qu'elle n'a pu ni prendre connaissance contradictoirement, tel que requis à l'alinéa 3 de l'article 495 du code de procédure civile, des droits revendiqués, moyens et pièces de la requête ayant déterminé la décision du juge, ni prendre connaissance contradictoirement, tel que requis à l'alinéa 2 de l'article R. 521-3 du code de la propriété intellectuelle, du contenu du procès-verbal de saisie-contrefaçon à l'issue des opérations ou dans un délai raisonnable, et ainsi apprécier en toute connaissance de cause l'opportunité d'un éventuel recours. En conséquence, le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 3 novembre 2020 sera déclaré nul. La restitution à la société LABORATOIRES INNOXA des éléments saisis au cours des opérations de saisie-contrefaçon sera ordonnée. Sur la contrefaçon de modèles communautaires La société VITRY FRERES soutient que les coupe-ongles litigieux dégagent la même impression d'ensemble que ses modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 dès lors que les dimensions, les proportions et la courbure du corps et du levier sont identiques, et que le point de contact bombé et arrondi, la matière et la couleur sont également repris. La société LABORATOIRES INNOXA fait valoir que les coupe-ongles litigieux présentent des différences permettant d'écarter la contrefaçon en ce que « la courbure est moins accentuée ; la superposition entre le corps et le levier n'est pas parfaite ; le point de contact est plus petit, plus bombé et plus prononcé ; l'épaisseur du levier n'est pas la même ; l'absence de lime oblongue ». Elle indique avoir puisé dans le fond commun dont elle a proposé son interprétation. SUR CE, L'article 10 du Règlement (CE) no6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires dispose que : 1. La protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente. 2. Pour apprécier l'étendue de la protection, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle. Aux termes de l'article 19, 1o du même règlement, le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l'utiliser et d'interdire à tout tiers de l'utiliser sans son consentement. Par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation ou l'utilisation d'un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins. Selon l'article L. 515-1 du code de la propriété intellectuelle, toute atteinte aux droits définis par l'article 19 du Règlement (CE) no6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que :- « la notion d'utilisateur averti s'entend comme une notion intermédiaire entre celle de consommateur moyen, applicable en matière de marque, auquel il n'est demandé aucune connaissance spécifique et qui en général n'effectue pas de rapprochement direct entre les marques en conflit, et celle de l'homme de l'art expert doté de compétences techniques approfondies. Ainsi, la notion d'utilisateur averti peut s'entendre comme désignant un utilisateur doté non d'une attention moyenne mais d'une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré » ;- « S'agissant du niveau d'attention de l'utilisateur averti, il y a lieu de rappeler que, si celui-ci n'est pas le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé qui perçoit habituellement un dessin ou un modèle comme un tout et ne se livre pas à un examen de ces différents détails, il n'est pas non plus l'expert ou l'homme de l'art capable d'observer dans le détail les différences minimes susceptibles d'exister entre les modèles ou dessins en conflit. Ainsi, le qualificatif « averti » suggère que, sans être un concepteur ou un expert technique, l'utilisateur connaît différents dessins ou modèles existant dans le secteur concerné, dispose d'un certain degré de connaissance quant aux éléments que ces dessins ou modèles comportent normalement, et du fait de son intérêt pour les produits concernés, fait preuve d'un degré d'attention relativement élevé lorsqu'il les utilise » (CJUE, 20 octobre 2011, C-281/10, points 53 et 59). La reproduction des caractéristiques essentielles d'un modèle enregistré, engendrant la même impression visuelle globale, en constitue la contrefaçon (en ce sens, Cass. com., 26 mars 2008, no06-22.013). En l'espèce, l'utilisateur averti pour apprécier l'existence d'une contrefaçon est une personne qui s'intéresse au marché des accessoires de manucure et pédicure et se tient régulièrement informée. Son niveau d'attention est élevé. Il ressort de l'examen comparatif que les coupe-ongles litigieux référencés « coupe-ongle manucure extra-plat 5,7 cm 3700609709959 » et « coupe-ongles pédicure extra-plat 9 cm 3700609709973 » reproduisent les caractéristiques essentielles des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002, en particulier la courbure et la superposition parfaite du corps et du levier, la forme arrondie et bombée du point de contact entre le corps et le levier ainsi que la forme en spatule du levier, et produisent sur l'utilisateur averti sus-défini la même impression visuelle globale. Contrairement à ce qu'affirme la société LABORATOIRES INNOXA, les différences qu'elle invoque ne sont pas de nature à écarter la contrefaçon. Celles-ci sont minimes et ne confèrent pas aux coupe-ongles litigieux une impression visuelle globale différente sur l'utilisateur averti. La contrefaçon de modèles communautaires est alors caractérisée. Sur la concurrence déloyale La société VITRY FRERES soutient que la défenderesse a commis des actes de concurrence déloyale en ce que :- les représentants de la société LABORATOIRES INNOXA l'ont dénigrée auprès de plusieurs pharmaciens « en laissant entendre que sa situation économique serait critique » dans l'unique but de détourner sa clientèle ;- la reprise de la mention « garantie à vie » sur l'emballage des coupe-ongles litigieux et les catalogue de la marque INNOXA « génère incontestablement un risque de confusion dans l'esprit du public, lequel sera porté à croire que ces coupe-ongles litigieux proviennent de la société VITRY FRERES, ou sont issus d'un partenariat avec cette dernière ». La société LABORATOIRES INNOXA, qui conteste avoir commis des actes de dénigrement, fait valoir que l'attestation d'une pharmacienne produite par la demanderesse n'est pas probante et que la mention « garantie à vie », dont la demanderesse n'établit pas les investissements réalisés pour que cette mention constitue une valeur économique et dont elle ne saurait priver un concurrent, est utilisée par de nombreuses sociétés dans la description de leurs produits. Elle souligne que la demanderesse ne rapporte pas la preuve d'un préjudice. SUR CE, L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Aux termes de l'article 1241 du code civil, chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. Selon l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce, ce qui implique qu'un signe ou un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute, laquelle peut être constituée par la création d'un risque de confusion sur l'origine du produit dans l'esprit de la clientèle, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce. L'appréciation de cette faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté de l'usage, l'originalité et la notoriété de la prestation copiée. En l'espèce, la société VITRY FRERES, qui procède par voie d'affirmation dans ses écritures, échoue à établir les actes de dénigrement auprès de plusieurs pharmaciens qu'elle allègue. Elle se borne à produire une seule attestation d'une opératrice conseillère en pharmacie dénuée de valeur probante dès lors que ni la pharmacie qui l'emploie ni la prétendue « représentante du laboratoire Innoxa » ne sont identifiées (sa pièce no17). En outre, la mention « garantie à vie », souvent utilisée par les opérateurs économiques, n'est pas appropriable. Surtout, la société VITRY FRERES ne produit aucune pièce pour établir qu'elle utilise elle-même cette mention sur les emballages de ses coupe-ongles spatule et ses catalogues, et se borne à produire une page de son site internet <www.vitry.com> expliquant ce qu'est la garantie à vie qu'elle propose (ses pièces no20.1 et 20.2). Enfin, même à supposer qu'elle utilise cette mention, le risque de confusion tel qu'elle l'allègue n'est pas établi dès lors qu'il n'est pas démontré que la clientèle identifie l'origine de ses coupe-ongles spatule par la seule mention « garantie à vie », prise isolément. En conséquence, la société VITRY FRERES sera déboutée de sa demande formée au titre de la concurrence déloyale. Sur les mesures réparatrices au titre de la contrefaçon La société VITRY FRERES, qui soutient que les chefs de préjudice visés à l'article L. 521-7 du code de la propriété intellectuelle sont cumulatifs, expose avoir subi un préjudice économique et un préjudice moral à hauteur de la somme totale de 122.277,25 euros. La société LABORATOIRES INNOXA répond que la société VITRY FRERES ne rapporte pas la preuve de la réalité et du quantum de son préjudice et que ses demandes indemnitaires sont disproportionnées. SUR CE, Selon l'article L. 521-7 du code de la propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. L'article L. 521-8 du même code prévoient qu'en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaisants, les matériaux ou instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée. La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise. Ces mesures sont ordonnées aux frais du contrefacteur. Selon l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. A titre liminaire, il sera rappelé qu'un préjudice hypothétique ne donne pas lieu à indemnisation et que le principe de la réparation intégrale implique une indemnisation du préjudice sans perte ni profit. En outre, l'article L. 521-7 du code de la propriété intellectuelle, lequel emploie l'adverbe « distinctement » et non « cumulativement », commande une appréciation distincte des chefs de préjudice et non pas cumulative. En l'espèce, le préjudice économique allégué par la société VITRY FRERES, tiré des prétendus bénéfices réalisés par la défenderesse et de son prétendu manque à gagner, n'est pas établi dès lors que les éléments du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 3 novembre 2020 annulé ne peuvent être pris en considération et que les autres pièces versées aux débats ne permettent pas de l'établir. En outre, force est de constater qu'en dépit des contestations de la défenderesse à cet égard, la société VITRY FRERES, qui procède par voie d'affirmation dans ses écritures, n'établit aucunement que les investissements qu'elle allègue correspondent à ses coupe-ongles spatule manucure et pédicure. Elle n'est pas davantage fondée à solliciter le remboursement des frais de dépôt et de renouvellement des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 et le remboursement du coût des présentoirs de ses produits en pharmacies et parapharmacies, lesquels ne constituent pas un préjudice résultant de la contrefaçon. En revanche, en tout état de cause, la commercialisation des coupe-ongles contrefaisants référencés « coupe-ongle manucure extra-plat 5,7 cm 3700609709959 » et « coupe-ongles pédicure extra-plat 9 cm 3700609709973 » entraîne une banalisation et l'avilissement des coupe-ongles spatule manucure et pédicure causant ainsi un préjudice moral à la société VITRY FRERES qui sera indemnisé à hauteur de la somme de 10.000 euros au titre de la contrefaçon des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002. Des mesures d'interdiction et de destruction seront ordonnées selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision. Le préjudice étant entièrement réparé par l'indemnité pécuniaire, la demande de publication du jugement apparait disproportionnée et sera alors rejetée. Sur les demandes accessoires Sur les dépens Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie. La société LABORATOIRES INNOXA, qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens à l'exclusion des frais d'huissier exposés au titre de la saisie-contrefaçon du 3 novembre 2020 annulée. Les dépens ne comprennent que les seuls débours relatifs à des actes ou procédures judiciaires. Dès lors, les procès-verbaux de constat d'huissier sur internet des 30 juin 2020 et 27 novembre 2020 (pièces VITRY FRERES no12 et 22) n'ayant pas été dressés sur autorisation judiciaire, les frais exposés ne constituent pas des dépens au sens de l'article 695 du code de procédure civile, mais des frais irrépétibles indemnisés au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Sur l'article 700 du code de procédure civile L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation. L'équité commande de condamner la société LABORATOIRES INNOXA à payer à la société VITRY FRERES la somme de 8.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, en ce compris les frais des procès-verbaux de constat d'huissier sur internet des 30 juin 2020 et 27 novembre 2020. Sur l'exécution provisoire Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement. En l'espèce, la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire et il n'y a pas lieu d'y déroger. PAR CES MOTIFS Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, DEBOUTE la société VITRY FRERES de l'ensemble de ses demandes fondées sur la contrefaçon de droit d'auteur ; DEBOUTE la société LABORATOIRES INNOXA de sa demande en nullité des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 ; DECLARE nul le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 3 novembre 2020 ; ORDONNE la restitution à la société LABORATOIRES INNOXA des éléments saisis au cours des opérations de saisie-contrefaçon ; CONDAMNE la société LABORATOIRES INNOXA à payer à la société VITRY FRERES la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de la contrefaçon des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 ; FAIT INTERDICTION à la société LABORATOIRES INNOXA d'offrir à la vente et de commercialiser, sur le territoire de l'Union européenne, les coupe-ongles référencés « coupe-ongle manucure extra-plat 5,7 cm 3700609709959 » et « coupe-ongles pédicure extra-plat 9 cm 3700609709973 », et ce dans un délai de 15 jours à compter de la signification du présent jugement, puis sous astreinte de 200 euros par jour de retard qui courra pendant 180 jours ; ORDONNE la destruction, sous le contrôle d'un commissaire de justice, des coupe-ongles référencés « coupe-ongle manucure extra-plat 5,7 cm 3700609709959 » et « coupe-ongles pédicure extra-plat 9 cm 3700609709973 », restant en stock à la société LABORATOIRES INNOXA, aux frais de cette dernière, à charge pour elle d'en justifier à la société VITRY FRERES, et ce dans un délai de 30 jours une fois le jugement devenu définitif, puis sous astreinte de 200 euros par jour de retard qui courra pendant 180 jours ; DIT que le tribunal se réserve la liquidation des astreintes prononcées ; REJETTE la demande de publication du jugement ; DEBOUTE la société VITRY FRERES de sa demande formée au titre de la concurrence déloyale ; CONDAMNE la société LABORATOIRES INNOXA aux dépens, à l'exclusion des frais d'huissier exposés au titre de la saisie-contrefaçon du 3 novembre 2020 annulée ; CONDAMNE la société LABORATOIRES INNOXA à payer à la société VITRY FRERES la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en ce compris les frais des procès-verbaux de constat d'huissier sur internet des 30 juin 2020 et 27 novembre 2020 ; RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire. Fait et jugé à Paris le 06 Décembre 2022 La Greffière Le Président
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JURITEXT000047324636
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 1 décembre 2022, 20/12295
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2022-12-01
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/12295
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CT0087
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 20/12295 No Portalis 352J-W-B7E-CTKZO No MINUTE : Assignation du :20 novembre 2020 JUGEMENT rendu le 01 décembre 2022 DEMANDERESSE Société VLISCO NETHERLANDS B.V.[Adresse 4][Localité 2] (PAYS-BAS) représentée par Me Sophie MICALLEF de la SAS HOYNG ROKH MONEGIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0512 DÉFENDERESSE S.A.R.L. BATEX[Adresse 1][Localité 3] représentée par Me Yves CLAISSE de la SELARL CLAISSE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #P0500 & Me François-Xavier LANGLAIS de l'AARPI QUANTIC AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant COMPOSITION DU TRIBUNAL Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeElodie GUENNEC, Vice-présidenteMalik CHAPUIS, Juge, assistés de Caroline REBOUL, Greffière DEBATS A l'audience du 06 septembre 2022 tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que la décision serait rendue le 03 novembre 2022.Le délibéré a été prorogé au 17 novembre 2022 puis au 1er décembre 2022. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort Exposé du litige 1. La société de droit néerlandais Vlisco Netherlands BV (ci-après Vlisco) est spécialisée dans la création et la confection de tissus dits " Wax", qui se caractérisent par des motifs colorés et graphiques, répétés à l'identique sur l'ensemble d'un tissu selon une technique dérivée du batik indonésien, sur lesquels elle revendique des droits d'auteur. Elle commercialise ces tissus, notamment en ligne, sur le site Internet à l'adresse <www.vlisco.com>. 2. Ayant constaté que les sociétés Giltex, Queen Lola et les Coupons de [Localité 3], proposaient à la vente des tissus reproduisant, selon elle, plusieurs de ses créations, la société Vlisco a fait réaliser des opérations de saisie-contrefaçon le 20 octobre 2020 qui ont permis de révéler l'identité d'un fournisseur commun à ces sociétés, à savoir la société de droit français Batex, spécialisée dans le commerce de gros, notamment de tissus wax d'origine chinoise. 3. Par actes d'huissier du 20 novembre 2020, la société Vlisco a fait assigner ces quatre sociétés en contrefaçon de droits d'auteur et en concurrence déloyale. 4. Ces parties étant parvenues à un accord amiable, la société Vlisco s'est désistée de ses demandes dirigées contre les sociétés Les coupons de [Localité 3] et Queen Lola le 23 mars 2021, et contre la société Giltex le 28 septembre 2021. 5. Par une ordonnance du 8 juin 2021, le juge de la mise en état a écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de titularité de la société Vlisco sur les tissus litigieux, soulevée par la société Batex. 6. Dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 04 février 2022, la société Vlisco demande au tribunal, au visa des articles L. 111-1, L. 112-1, L. 113-5, L. 122-4, L. 331-1-3 et suivants du code de la propriété intellectuelle, 10 bis de la Convention d'Union de Paris et 1240 du code civil, de : A titre principal : ? Déclarer la société Batex coupable d'actes de contrefaçon de droit d'auteur à son encontre et à lui payer en conséquence 866.700 euros, ou à tout le moins 577.800 euros au titre des conséquences économiques négatives engendrées par la contrefaçon (à parfaire), 65.000 euros en réparation de son préjudice moral ? Déclarer la société Batex coupable d'actes de concurrence déloyaleet à lui payer en conséquence 470.000 euros au titre du préjudice économique subi (à parfaire) et 235.000 euros en réparation du préjudice moral engendré par ces actes (à parfaire); A titre subsidiaire : ? Condamner la société Batex au titre des actes de concurrence déloyale commis au préjudice de la société Vlisco, à lui payer 866.700 euros, ou à tout le moins 577.800 euros au titre du préjudice économique subi (à parfaire), et 65.000 euros chacune en réparation de son préjudice moral ; En tout état de cause : ? Ordonner la communication des noms et adresses des producteurs, distributeurs, fournisseurs et tous autres détenteurs des produits incriminés au titre de la contrefaçon ou de la concurrence déloyale, mais aussi des grossistes, détaillants et clients, des quantité exactes de produits vendus, fournis, reçus ou commandés, à quel prix d'achat et de vente, ainsi que tout document justificatifs et/ou certifiée par un expert comptable, le tout sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé un délai de 8 jours ;? Interdire la poursuite des actes de contrefaçon, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard ; ? Ordonner le rappel des produits contrefaisant sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard ; ? Ordonner la publication à la charge des défenderesses du jugement à intervenir dans 5 journaux ou revues au choix de la société Vlisco pour un coût fixé à 4.500HT euros ;? Se réserver la liquidation de l'astreinte ; ? Rejeter la demande de condamnation de la société Vlisco en dommage et intérêts ; ? Condamner les défenderesses à lui verser 70.000 euros au titre de l'article 700 et aux entiers dépens. 7. Dans ses dernières conclusions signifiées par la voie électronique le 10 janvier 2022, la société Batex demande au tribunal, au visa des articles 6 et 700 du code de procédure civile, L. 111-1, L. 121-1 et suivants, L. 113-5, L. 122-4 , L.3316162 et suivants du code de la propriété intellectuelle et 1240 et suivants du code civil, de : A titre principal :? Rejeter la revendication de droit d'auteur formulée par la demanderesse sur les dessins en cause et la débouter en conséquence de ses demandes sur ce fondement ;? Rejeter toute qualification de concurrence déloyale en l'absence de preuve et en conséquence l'ensemble des demandes formulées sur ce fondement ; A titre subsidiaire : ? Rejeter toute qualification de contrefaçon et en conséquence l'ensemble des demandes formulées sur ce fondement ; A titre infiniment subsidiaire : ? Déclarer les demandes de documents formulées par la demanderesse injustifiées et disproportionnées et les rejeter ; ? Déclarer que la société Vlisco n'a subi aucun préjufice au titre de la contrefaçon et de la concurrence déloyale ; ? Ramener à de plus justes proportions les demandes indemnitaires formulées par la demanderesse. En tout état de cause : ? Condamner la demanderesse à lui verser 40.000 euros au titre de l'article 700 et aux entiers dépens. 8. L'instruction a été close par une ordonnance du 10 février 2022 et l'affaire plaidée à l'audience du 06 septembre 2022. MOTIFS DE LA DÉCISION 1) Sur l'imputabilité des faits à la société Batex Moyens des parties : 9. La société Vlisco soutient que la société Batex a fourni à plusieurs autres sociétés des tissus reproduisant les motifs sur lesquels elle revendique des droits d'auteur, ce à quoi la société Batex réplique qu'aucun lien n'est établi entre elle-même et les tissus litigieux et qu'il ne peut lui être demandé d'apporter la preuve d'un fait négatif. Appréciation du tribunal : 10. Selon l'article L. 332-1 du code de la propriété intellectuelle, "Tout auteur d'une oeuvre protégée par le livre Ier de la présente partie, ses ayants droit ou ses ayants cause peuvent agir en contrefaçon. A cet effet, ces personnes sont en droit de faire procéder par tous huissiers, le cas échéant assistés par des experts désignés par le demandeur, sur ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle des oeuvres prétendument contrefaisantes ainsi que de tout document s'y rapportant.Par principe, la contrefaçon et la concurrence déloyale sont des faits juridiques, qui par conséquent peuvent être prouvés par tout moyens. (...)" 11. En l'occurrence, lors des opérations de saisie-contrefaçon réalisées le 20 octobre 2020 (pièce Vlisco no15.06), le gérant de la société Giltex a répondu en ces termes aux questions de l'huissier : "aucun produit ne fait l'objet d'une référence précise permettant de la distinguer sur les documents comptables et l'achat de ce type de tissus s'effectue systématiquement en grosse quantité, par lot de coupe sans détail". Il a remis à l'huissier une facture de la société Batex, datant de janvier 2020, et à la société Vlisco l'ensemble des factures émises par la société Batex entre janvier 2019 et octobre 2020. Un rapport d'investigation privée avait établi l'offre en vente des tissus objets du litige reproduisant les caractéristiques des tissus de la société demanderesse par la société Giltex, ce que son gérant a reconnu dans le cadre du protocole d'accord transactionnel conclu avec la société Vlisco. 12. De même, lors des opérations de saisie-contrefaçon réalisées le 20 octobre 2020 au sein de la boutique de la société Queen Lola à l'enseigne Manitex (pièce Vlisco no16.6), le gérant de cette société a fourni une facture de la société Batex, datée de janvier 2020, portant sur une commande de tissus "hitarget wax", et a répondu à l'huissier que "chaque achat s'effectue en grande quantité, par lot de 2 à 5 dessins identiques maximum" et que son unique fournisseur de tissu "wax" est la société Batex. L'expert comptable de cette société a confirmé par une attestation que la société Batex était l'unique fournisseur de produits "wax" de la société Queen Lola / Manitex. Cette société a en outre remis à la société Vlisco les 49 factures émanant de cette société. Un constat réalisé en février 2020 (pièce Vlisco no16.3) par un huissier avait également établi que des tissus reproduisant les motifs sur lesquels la société Vlisco invoque un droit d'auteur ont été exposés en vitrine de l'établissement de la société Queen Lola à l'enseigne Manitex, ce que le gérant de cette société a admis dans le cadre du protocole d'accord transactionnel conclu avec la société Vlisco. 13. Lors de la saisie réalisée le 20 octobre 2020 au siège de la société Les Coupons de [Localité 3], son gérant a reconnu la commercialisation de 6 références reproduisant les caractéristiques des tissus sur lesquels la société Vlisco revendique des droits d'auteur. Il a indiqué que son unique fournisseur de tissus "wax" était la société Batex et a remis à la société Vlisco les factures émanant de cette société entre novembre 2017 et février 2020. 14. Il en résulte que la société Vlisco établit que les sociétés Les Coupons de [Localité 3], Queen Lola / Manitex et Giltex ont commercialisé différents textiles reproduisant les caractéristiques de ses produits, et que ces produits textiles leur ont été fournis par la société Batex, laquelle apparait particulièrement mal fondée à se retrancher derrière l'imprécision de ses propres factures pour conclure à l'absence de lien établi entre elle-même et les références arguées de contrefaçon, alors même qu'elle a l'obligation légale d'établir des factures mentionnant la quantité et la dénomination précise de chaque produit vendu (article L. 444-9 du code de commerce) ce qu'elle n'a pas fait ici. 2) Sur l'originalité Moyens des parties : 15. Pour chaque motif, la société Vlisco fourni une référence, l'identité du créateur, une date certaine, et les caractéristiques de l'oeuvre. 16. La société Batex fait quant à elle valoir que la demanderesse se contente de décrire les caractéristiques des oeuvres revendiquées, sans démontrer en quoi elles seraient originales, tandis que les motifs revendiqués constitue selon elle une reproduction de dessins préexistants appartenant à un fond commun des tissus de ce type. Appréciation du tribunal : 17. Conformément à l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. L'article L.112-1 du même code précise que ce droit appartient à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination. Il en résulte que la protection d'une oeuvre de l'esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. 18. En l'espèce, le motif 6/8511 (pièce Vlisco no 2.3 et 2.4) est décrit comme se caractérisant par la répétition d'un motif composé de six disques dont les centres sont évidés, placés en cercle, cinq d'entre eux se situant autour d'un disque central, les cinq disques disposés autour du disque central évoquent des roues dentelées incomplètes et sur deux d'entre eux sont attachés des groupes de deux ou trois formes, dont les contours sont ajourés et l'intérieur composé d'une succession de flèches pleines, évoquant d'épais filaments. L'arrière-plan avec un effet craquelé est parcouru de motifs nervurés ou veineux sombres. Il est produit à ce titre, un extrait du site Internet <www.vlisco.com> exploité par Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no 2.1), une facture de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé 8511 (pièce Vlisco no 2.2), ainsi qu'un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. relatif au motif 8511 (pièce Vlisco no 5.4). 19. Le motif "le sac de Michelle Obama", référencé A1106, est issu d'un dessin de 2008 (pièce Vlisco no3.4 et 3.5). Il comporte la représentation d'un sac à main dont le haut est ovale et le fond plat, vu de face et de biais et comportant : une face avant, couverte aux deux tiers de sa hauteur d'un motif en quadrillage ou tressage spécifique, distinct du motif composant la bande supérieure du dernier tiers qui reprend le fond du dessin ; deux anses dont la plus visible dispose d'attaches plates en forme de cloche collées sur la face avant (certaines versions ayant des attaches d'une couleur différentes des anses). Les bords des attaches sont longés d'une surpiqûre fine et sombre ; une des attaches comporte un ?illet, lui-même supportant une languette rectangulaire à laquelle est attachée une fleur d'hibiscus, dont la représentation permet de percevoir les cinq pétales de la corolle ouverte dont la base est plus foncée ainsi que le pistil ; une tranche d'épaisseur homogène allant de bord en bord, découpée en trois bandes dans la longueur, la bande du milieu étant sombre. Les sacs comportent une fermeture allant d'une extrémité à l'autre, ils sont positionnés de biais et superposés les uns aux autres de manière à ce que les côtés avec les fermetures forment une ligne verticale. La société Vlisco produit pour ce motif, un extrait du site internet <www.vlisco.com> exploité par Vlisco Netherlands B.V. (pièces Vlisco no3.1 et 3.2) , des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé A1106 (pièce Vlisco no3.3) , un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V.(pièce Vlisco no 3.4), des publications Instagram du 26 avril 2018 (pièce Vlisco no3.5) et Facebook des 15 mars, 19 et 29 août, 19 octobre 2013, 16 mai 2016, 7 décembre 2017 (pièce Vlisco no3.6) et un extrait du livre "Fabrics" publié en 2012 (pièces Vlisco no3.7). 20. Le dessin "Shoes" créé en 2011, est référencé A1450 (pièce Vlisco no4.1). Il comporte la représentation d'escarpins à talons hauts noirs, vus de l'arrière et dans une orientation en biais, dont on aperçoit la semelle sous la voûte plantaire ornée de stries dégradées, créant un effet d'ombre et dont le contrefort arbore un motif distinct du reste, uni, de la chaussure. L'embout ouvert est orné d'un n?ud plat, un arrière-plan représentant des marches d'escalier, dont les différentes surfaces sont ornées alternativement d'un aplat de couleur ou de motif et de rayures en diagonales. Les escarpins sont disposés par rangées sur les marches de l'escalier, en alternant pour chaque rangée l'orientation vers la gauche ou vers la droite, et l'emplacement des chaussures pour qu'elles soient en alternance en fonction des rangées. Les contreforts présentent des motifs différents, géométriques de cannage ou tressage spécifique, alliant les mêmes couleurs qui rappellent celles de la semelle et du fond du dessin. La société Vlisco communique un extrait du site internet <www.vlisco.com> exploité par Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no 4.1), des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé A1450 (pièce Vlisco no 4.2) , un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no 4.3) et un extrait du livre "Fabrics" publié en 2012 (pièces Vlisco no4.4). 21. Le motif "Santana" porte la référence 14/ 3686 comprend une succession de formes oblongues dont deux côtés longs sont concaves et deux côtés courts convexes ; l'extrémité convexe de chaque forme vient se loger dans la cavité de chaque côté long de la forme mitoyenne ; chaque forme a un mouvement produisant un effet de torsion et la juxtaposition de cette forme en trois orientations distinctes permettantleurparfaite imbrication. Il est produit un extrait du catalogue Vlisco (pièce Vlisco no5.1), un extrait du site Internet <www.vlisco.com> exploité par Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no 5.2), des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé 14/3686 (pièce Vlisco no 5.3) , un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. relatif au motif 14/3686 (pièce Vlisco no 5.4), des publications Facebook des 25 janvier 2013, 13 avril 2013, 14 mars 2014, 19 juillet 2014, 3 septembre 2016, 9 octobre 2016 (pièce Vlisco no 5.5) et un extrait du livre "Fabrics" publié en 2012 (pièces Vlisco no5.6). 22. Le motif intitulé "bullets" ou "Z'ongles de Mme Thérèse" porte la référence 14/ 1682 (pièceVlisco no6.3). Il est constitué de la répétition par superposition alternative de deux arcs de cercle composés de figures positionnées verticalement, de forme oblongue évoquant des bandes de cartouches avec une extrémité inférieure en pointe ou des ongles peints, reliés par un trait plein à mi-hauteur, dont la taille augmente progressivement vers le sommet de l'arc. Ces figures sont soit de couleur sombre et traversées d'une ligne verticale en pointillés plus clairs dans le premier arc de cercle, soit d'une couleur plus claire et dotées d'un contour épais et sombre dans le second arc de cercle. Pour établir la commercialisation sous son nom, la société Vlisco communique un extrait du catalogue Vlisco (pièce Vlisco no 6.1), des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé 14/1682 (pièce Vlisco no6.2), ainsi qu'un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no6.4). 23. Le dessin dénommé « High-life » élaboré en 1966, créé par Ankersmith, porte la référence 14/69400 (pièce Vlisco no7.4). Il est décliné en différentes couleurs (pièce Vlisco no7.2). Il est constitué de l'empilement de formes ovales de deux couleurs différentes, séparées par deux triangles qui se joignent à leurs sommets par un point, l'ensemble évoquant un n?ud papillon et un plastron, à intervalles réguliers certaines formes ovales présentent en leur centre un rectangle d'une couleur contrastante dans lequel est inscrite la mention HIGH LIFE, des lignes verticales de points de différentes couleurs dans l'axe des sommets des triangles et des petits point de couleurs dans certains ovales. Il est produit un extrait du site Internet www.vlisco.com exploité par Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no7.2), des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé 14/69400 (pièce Vlisco no7.3), un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. relatif au motif 14/69400 (pièce Vlisco no7.5) et une publication Instagram du 10 mai 2020 (pièce Vlisco no7.6). 24. Le motif A2156 de 2016, créé en 2016 par T. [D] (pièce Vlisco no 8.3), décliné en différentes couleurs (pièce Vlisco no 8.1), est composé d'une alternance de carreaux comportant deux motifs distincts. Le premier motif consiste ainsi en un fil déroulé de façon irrégulière selon des boucles souples, qui parcourt le carreau dans lequel il est enfermé. L'arrière-plan est composé d'un motif évoquant un maillage très serré. Le second motif représente un empilement de formes rectangulaires ou en équerre en trois dimensions parcourant l'espace du carreau qui le contient et évoquant un labyrinthe. Ces motifs représentent des labyrinthes de formes différentes. La société Vlisco verse au débats, pour ce motif, un extrait du site internet www.vlisco.com exploité par Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no8.1), des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé A2156 (pièce Vlisco no8.2), un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. relatif au motif A2156 (pièce Vlisco no8.3) , des publications Instagram des 12 et 22 août 2017 (pièce Vlisco no8.4) et Facebook des 20 et 24 août 2017 (pièce Vlisco no8.5). 25. Le dessin, référencé A2161 se caractérise par la répétition de motifs évoquant des crochets à tête ronde, en contact les uns avec les autres pour former une arborescence. Leurs contours semblent hérissés de petites pointes et ils sont recouverts de toutes petites écailles. Un motif d'oiseau est également apposé de façon répétée dans les trouées de l'arborescence. Cet oiseau est représenté en vol, de profil, doté d'une longue queue, les ailes déployées, composées de trois des motifs de crochets qui l'entourent, avec un fil sortant du bec et disposé en dessous de son corps, au bout duquel est attachée une pierre taillée dont l'éclat des facettes est représenté par huit traits en halo le long descontours. L'arrière-plan est parcouru de lignes pointillées horizontales. La société Vlisco produit un extrait du site internet <www.vlisco.com> exploité par Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no9.1), des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé A2161 (pièce Vlisco no9.2) et un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. relatif au motif A2161 (pièce Vlisco no9.3). 26. Le motif référencé 6/8761, créé en 1984 par W.w Heeswijk (pièce Vlisco no10.3), comporte une représentation stylisée de couronnes de pointes hérissées, assemblées deux par deux par leur socle. Sur un fond noir, le socle de la couronne se compose d'un liseré évoquant un galon formés de triangles noirs et rouges, d'une bande rouge , d'un liseré de motifs de triangles jaunes et noirs et d'un liseré évoquant une ligne de jours échelle. Ces couronnes sont surmontées de longues pointes, une impression de perspective étant rendue par le fait que les sept pointes en premier plan sont en noir plein tandis que les six pointes en arrière-plan sont en stries noires obliques, les rendant moins distinctes et les faisait paraître plus éloignées de l'observateur. L'arrière-plan est parcouru de fin motifs rappelant des nuages ou une mousse savonneuse. La société Vlisco communique pour ce dessin, un extrait du site Internet <www.vlisco.com> exploité par Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no10.1), une facture de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé 8761 (pièce Vlisco no10.2) et un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. relatif au motif 8761 (pièce Vlisco no10.4). 27. Le dessin portant la référence 14/3739 dénommé « Ampoule électrique » ou « Electric Bulb » créé par A.v.d. Manakker, en 1983 (pièce Vlisco no 11.5), consiste en un motif fantaisiste représentant des ampoules électriques qui sont disposées dans une direction ascendante (au lieu de la direction normale de "suspension") et reliées de manière à ressembler à une plume de paon, décliné en différentes couleurs, l'ampoule étant entourée d'une sorte de contour, dont la couleur varie entre le gris piqueté et le noir. Pour établir la commercialisation de ce dessin, la société Vlisco produit un extrait du catalogue Vlisco (pièce Vlisco no 11.1), un extrait du site Internet <www.vlisco.com> qu'elle exploite (pièce Vlisco no 11.2), des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé 14/3739 (pièce Vlisco no11.3), un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. relatif au motif 14/3739 (pièce Vlisco no11.8) et des publications sur les réseaux sociaux (Instagram des 6, 7 et 8 août 2018 -pièce Vlisco no11.6 et Facebook des 12 janvier 2014, 1er juin 2015, 9 mai 2015, 9 août 2018-pièce Vlisco no11.7). 28. Le dessin Vlisco dénommé « Feuilles » portant la référence 14/4735 (pièce Vlisco no 12.3), créé par M. [T], en 1995, est constitué de feuilles de platane, dont le limbe est coloré en fonction des séparations créées par les nervures principales de la feuille, chaque feuille comportant deux couleurs, l'une étant présente sur une plus grande partie et l'autre sur une ou deux parties uniquement, les nervures étant représentées dans une autre couleur, et des taches noires ou de couleur étant apposées dans le prolongement de certaines nervures. Il est décliné en plusieurs couleurs . La société Vlisco verse aux débats, un extrait de la boutique en ligne www.shop.vlisco.com exploitée par Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no12.1), des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du dessin « Feuilles » référencé 14/4735 (pièce Vlisco no12.3) et un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. relatif au motif 14/3739 (pièce Vlisco no12.3). 29. Le motif "Bague", référencé A2257, conçu en 2016, consiste en un dessin se caractérisant par la répétition, selon des orientations variées, de la représentation stylisée d'une bague en trois dimensions consistant en un anneau surmonté d'un disque comprenant une série de cercles, servant de base au montage d'une pierre taillée sertie par six griffes rondes. Deux pierres sont également incrustées dans l'anneau, de part et d'autre du montage de la pierre. Les trois pierres, qui évoquent des diamants, sont d'une couleur contrastant avec le reste de l'objet et leur facettes semblent refléter la lumière en éclats brillants. Des étoiles à huit branches, quatre courtes et quatre longues, et au c?ur rond et plein, parsèment le dessin, de différentes tailles, elles ajoutent à l'impression de scintillement. Il est produit pour ce motif, un extrait de la boutique en ligne <www.shop.vlisco.com> exploitée par Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no 13.1), un extrait du site internet <www.vlisco.com> exploité par Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no13.2), des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du dessin référencé A2257 (pièce Vlisco no13.3), un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no13.6) et des publications Instagram des 15 novembre et 4 décembre 2017 (pièce Vlisco no13.4) et Facebook des 15 novembre et 4 décembre 2017 et du 4 janvier 2018 (pièce Vlisco no13.5). 30. Le motif, référencé 14/1474, a été réalisé en 1960 (pièce Vlisco no 14.6). Il comporte la répétition de trois ensembles superposés de motifs linéaires évoquant des arabesques et des volutes qui se recroquevillent pour former une arborescence, ces dernières ayant un contour d'une couleur qui se détache du fond. Le premier ensemble comprend deux lignes d'arabesques et volutes horizontales présentant, toutes les huit volutes pour la ligne du haut un bouquet à cinq volutes tournées vers le bas qui s'insèrent toutes les six volutes de la ligne inférieure. Le deuxième ensemble est aussi constitué deux lignes de volutes ; sur la première ligne, après une succession de trois volutes horizontales on trouve un bouquet de sept volutes tournées vers le bas auquel succède quatre volutes horizontales et un bouquet de cinq volutes tournées vers le bas et ainsi de suite, et sur la seconde ligne, les cinq volutes tournées vers le bas du bouquet de la ligne du dessus sont suivies d'une volute horizontale et les sept volutes tournées vers le bas du bouquet de la ligne du dessus sont suivies de trois volutes horizontales et ainsi de suite ; Le dernier ensemble comprend trois lignes d'arabesques et volutes horizontales et de bouquets de volutes tournées vers le bas qui permettent de relier la première à la deuxième ligne et la deuxième à la troisième, la première ligne est constituée de six volutes horizontales dont l'extrémité arrondie est tournée en alternance vers le haut ou le bas, vers la droite ou vers la gauche, suivies d'un bouquet de volutes, l'une horizontale dans la continuité des six volutes précédentes et trois tournées vers le bas pour rejoindre la deuxième ligne. Cette deuxième ligne comprend six volutes horizontales, la première est attachée à la volute du milieu du bouquet de trois volutes descendantes de la première ligne, un bouquet de cinq volutes tournées vers le bas étant inséré entre les quatrième et cinquième volutes. Ce bouquet de cinq volutes rejoint la troisième ligne où il est enserré entre des séries de six volutes horizontales. Pour justifier de l'exploitation sous son nom de ce motif, la société Vlisco produit un extrait du site internet www.shop.vlisco.com exploité par Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no 14.1 et 14.2), des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du dessin référencé 14/1474 (pièce Vlisco no14.3), des publications Instagram des 17 et 18 janvier 2019 (pièce Vlisco no14.4) et Facebook des 18 janvier et 25 septembre 2019 (pièce Vlisco no 14.5) et un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. relatif au motif 14/1474 (pièce Vlisco no14.6). *** 31. La société Vlisco établit donc, pour chaque motif de tissu, l'existence d'un parti pris esthétique singulier au moyen de choix totalement arbitraires, portant dès lors l'empreinte de la personnalité de leur auteur. Il n'est par ailleurs justifié d'aucun tissu dont la création serait antérieure et comportant déjà les caractéristiques de l'une de celles objet du présent litige. Aucun des tissu invoqué ici ne peut donc être regardé comme appartenant à un fonds commun non appropriable. 32. La société Vlisco, qui bénéficie de la présomption prétorienne de tirtularité, ainsi que l'a déjà retenu le juge de la mise en état, peut ainsi revendiquer la protection de ses tissus par le droit d'auteur. 3) Sur la contrefaçon Moyens des parties : 33. La société Vlisco rappelle que la contrefaçon, en matière de droit d'auteur, s'apprécie aux regard des ressemblances uniquement, les divergences de couleur ne permettent donc pas d'écarter cette qualification. Les dessins sur lesquels elle dispose d'un droit d'auteur sont donc reproduits servilement par les défenderesses. 34. La société Batex prétend qu'aucun acte de contrefaçon n'est démontré à son égard. Appréciation du tribunal : 35. En application des dispositions des articles L. 122-1 et L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle, le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction, et toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants-droit ou ayants-cause est illicite. 36. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. La contrefaçon d'une oeuvre protégée par le droit d'auteur, qui n'implique pas l'existence d'un risque de confusion, consiste dans la reprise de ses caractéristiques identifiées comme constitutives de son originalité. 37. La contrefaçon s'apprécie selon les ressemblances et non d'après les différences. Elle ne peut toutefois être retenue lorsque les ressemblances relèvent de la reprise d'un genre et non de la reproduction de caractéristiques spécifiques de l'oeuvre première. 38. Il en résulte que de simples divergences de couleurs ne peuvent permettre d'échapper à la qualification de contrefaçon. De même, l'apposition de la marque de la société demanderesse à l'action en contrefaçon sur le fondement du droit d'auteur, n'est pas une condition à la caractérisation de la contrefaçon. En l'espèce, la comparaison des références de tissus Vlisco avec les constatations de l'huissier de justice, et les éléments saisis lors des opérations de saisie-contrefaçon, établit la copie servile ou quasi servile des 13 références de tissus décrites précedemment, dont les droits sont présumés appartenir à la société Vlisco. 39. Les tissus de la société défenderesse reprennent les mêmes caractéristiques, dans les mêmes dimensions, selon le même agencement. La contrefaçon de droits d'auteur est donc établie, étant rappelé que la bonne foi est indifférente (Cass. Civ. 1ère, 13 novembre 2008, pourvoi no06-19.021, Bull 2008, I, no258). 4) Sur les mesures de réparation Moyens des parties : 40. La société Vlisco demande 866.700 d'euros au titre des conséquences économiques négatives engendrées par la contrefaçon, 65.000 euros en réparation de son préjudice moral, d'interdire la poursuite des actes de contrefaçon sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, le rappel de l'intégralité des produits contrefaisants des circuits commerciaux sous astreinte de 1.000 euros, et la publication du présent jugement. 41. La société Afristyle demande le rejet de l'ensemble des demandes. Appréciation du tribunal : 42. L'article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que " Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1o Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;3o Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits.Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée." 43. La société Vlisco n'a pas fait procéder à des opérations de saisie-contrefaçon concernant la société Batex, tandis que les éléments produits ne démontrent pas que les factures produites ne concernent que des produits contrefaisants. 44. Il convient néanmoins de retenir la vente d'au moins 25.000 coupons de tissus contrefaisants entre 2017 et la constatation de la contrefaçon représentant un chiffre d'affaires de l'ordre de 187.500 euros selon le prix unitaire moyen mentionné sur les factures versées aux débats de l'ordre de 7,5 euros. Il convient d'appliquer à cette somme un taux de report de 50 %, les prix de vente pratiqués par les parties étant très différents et un taux de marge brute de 25%. La perte de la société Vlisco peut ainsi être évaluée à 23.435 euros. 45. La société Vlisco subit en outre un indéniable préjudice moral résultant de la banalisation de ses produits qui sera réparé par le versement de la somme de 5.000 euros. 46. Il convient également de faire droit aux demandes de communication de pièces et d'interdiction, selon les modalités prévues au dispositif de la présente décision. Ces mesures réparant suffisamment le préjudice de la société Vlisco la demande de publication de la présente décision sera rejetée, de même que celle de rappel des produits, qui n'apparaît pas justifiée. 5) Sur la concurrence déloyale Moyens des parties : 47. D'après la société Vlisco, les défenderesses créent un risque de confusion et un effet de gamme en vendant des produits de même nature à destination du même public. Elle demande une réparation à titre additionnel sur le fondement de la concurrence déloyale. 48. Sur ce point, la société Batex considère qu'aucune faute ne peut être établie à son égard en l'absence de risque de confusion. De même, aucun détournement de clientèle, c'est-à-dire aucun préjudice, n'est selon elle démontré. Appréciation du tribunal : 49. Est fautif le fait, pour un professionnel, de s'immiscer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire particulier (Cass. Com., 26 janvier 1999, pourvoi no 96-22.457 ; Cass. Com., 10 septembre 2013, pourvoi no 12-20.933). 50. En outre, l'association par le consommateur de produits précis, peu important leur banalité, peut entrainer un effet de gamme. La répétition de la reprise de ces produits est alors fautive ( Cass. Com., 14 novembre 2018, pourvoi no16-28.091). 51. En l'espèce, la commercialisation d'un très grand nombre de références contrefaisantes (près de 15), est à l'origine d'un effet de gamme, source en lui-même d'un risque de confusion préjudiciable à la société Vlisco, et qui sera réparé par le versement de la somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts. 6) Sur les mesures accessoires 52. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie. 53. La défenderesse, qui perd le procès, doit être tenue aux entiers dépens et à indemniser la demanderesse de ses frais, lesquels peuvent être raisonnablement estimés au regard des diligences qui ressortent de ses écritures et des pièces fournies, à 10. 000 euros. 54. Il n'y a pas de motif dans la présente affaire pour écarter l'exécution provisoire, qui est de droit en application de l'article 514 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS LE TRIBUNAL CONDAMNE la société Batex à payer à la société Vlisco Netherlands la somme de 28.437,50 euros en réparation du préjudice causé par la contrefaçon de ses droits d'auteur ; FAIT DÉFENSE à la société BATEX de poursuivre le débit de tout tissus reproduisant les motifs des tissus référencés 6/8511, 6/8761, A1106, A1450, A2257, A1450, A2156, A2161, 14/3739, 14/3686, 14/4735, 14/1682, 14/1474, 14/69400 de la société Vlisco Netherlands, et ce, sous astreinte provisoire de 100 euros par infraction constatée (c'est à dire par coupon de tissu contrefaisant) courant à l'expiration d'un délai de 30 jours suivant la signification de la présente décision et pendant 180 jours ; ENJOINT à la société BATEX de communiquer à la société Vlisco Netherlands les noms et adresses de son ou ses fournisseurs et de ses clients, les quantités exactes de produits reçus ou commandés et vendus, le tout certifié par un expert comptable, et ce, sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard à exécuter la présente injonction, l'astreinte courant à l'expiration d'un délai de 30 jours suivant la signification de la présente décision et pendant 180 jours ; Se réserve la liquidation des astreintes prononcées ; CONDAMNE la société Batex à payer à la société Vlisco Netherlands la somme de 3.000 euros en réparation du préjudice causé par la concurrence déloyale créée par la reprise d'un nombre très importants de motifs (effet de gamme) ; REJETTE les demandes de rappel des produits et de publication de la présente décision ; CONDAMNE la société Batex aux dépens ; CONDAMNE la société Batex à payer à la société Vlisco Netherlands la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; RAPPELLE que la présente décision est de plein droit exécutoire. Fait et jugé à Paris le 1er décembre 2022. LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
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JURITEXT000047324637
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 1 décembre 2022, 20/12200
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2022-12-01
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/12200
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CT0087
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 20/12200 No Portalis 352J-W-B7E-CTKKC No MINUTE : Assignation du :27 novembre 2020 JUGEMENT rendu le 01 décembre 2022 DEMANDERESSE Société VLISCO NETHERLANDS B.V.[Adresse 3][Adresse 3] (PAYS-BAS) représentée par Me Sophie MICALLEF de la SAS HOYNG ROKH MONEGIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0512 DÉFENDERESSES S.A.R.L. AFRISTYLE[Adresse 2][Adresse 2] S.A.R.L. A&H COMPANY[Adresse 1][Adresse 1] représentées par Me Yannis JOHN de la SELURL KALIANS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1334 COMPOSITION DU TRIBUNAL Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeElodie GUENNEC, Vice-présidenteMalik CHAPUIS, Juge, assistés de Caroline REBOUL, Greffière DÉBATS A l'audience du 06 septembre 2022 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 03 novembre 2022.Le délibéré a été prorogé au 17 novembre 2022 puis au 1er décembre 2022. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort Exposé du litige 1. La société de droit néerlandais Vlisco Netherlands BV (ci-après Vlisco) se présente comme spécialisée dans la création et la confection de tissus dits "wax", qui se caractérisent par des motifs colorés et graphiques, répétés à l'identique sur l'ensemble d'un tissu selon une technique dérivée du batik indonésien, sur lesquels elle revendique des droits d'auteur. Elle commercialise ces tissus en ligne à l'adresse <www.vlisco.com>. 2. La société Afristyle commercialise, notamment, des tissus dits "wax" sur son site internet accessible à l'adresse <www.african-avenue.com>. 3. Ayant constaté que la société Afristyle proposait à la vente des tissus reproduisant selon elle, plusieurs de ses créations, la société Vlisco a fait procédé à un constat d'huissier le 18 septembre 2020. Après y avoir été autorisée par une ordonnance du délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris du 07 octobre 2020, la demanderesse a ensuite fait pratiquer une saisie-contrefaçon le 22 octobre 2020 dans les locaux de la société Afristyle. Ces opérations ont révélé que les marchandises vendues par la société Afristyle étaient expédiées par la société A&H Company située à [Localité 4]. 4. Par actes d'huissier signifiés les 27 et 30 novembre 2020, la société Vlisco a fait assigner les sociétés Afristyle et A&H Company devant ce tribunal, en contrefaçon de droits d'auteur et en concurrence déloyale et parasitaire. 5. Par ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 02 septembre 2021, la société Vlisco demande au tribunal, au visa des articles 122 et 789 du code de procédure civile, L. 111-1, L. 112-1, L. 113-5, L. 122-4, L. 331-1-2, L. 331-1-3 et suivants du code de la propriété intellectuelle, 10 bis de la Convention d'Union de Paris et 1240 du code civil, de : A titre principal : ? Déclarer les sociétés Afristyle et A&H Company coupables d'actes de contrefaçon de droit d'auteur à son encontre et à lui payer en conséquence 2.355.000 euros solidairement au titre des conséquences économiques négatives engendrées par la contrefaçon (à parfaire), 115.000 euros chacune en réparation de son préjudice moral et 600.000 euros solidairement de dommages et intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale ;? Ordonner la communication des noms et adresses des producteurs, distributeurs, fournisseurs et tous autres détenteurs des produits incriminés au titre de la contrefaçon ou de la concurrence déloyale, mais aussi des grossistes, détaillants et clients, des quantité exactes de produits vendus, fournis, reçus ou commandés, à quel prix d'achat et de vente, ainsi que tout document justificatifs et/ou certifiée par un expert comptable, le tout sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé un délai de 8 jours; A titre subsidiaire : ? Condamner les sociétés Afristyle et A&H Company au titre des actes de concurrence déloyale commis au préjudice de la société Vlisco, à lui payer 2.855.000 euros solidairement de dommages et intérêts provisionnels au titre du préjudice économique subi (à parfaire), et 115.000 euros chacune en réparation de son préjudice moral ; En tout état de cause :? Interdire la poursuite des actes de contrefaçon, sous astreinte de 50.000 euros par jour de retard ; ? Ordonner le rappel des produits contrefaisant sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard ; ? Ordonner la publication à la charge des défenderesses du jugement à intervenir dans 5 journaux ou revues au choix de la société Vlisco pour un coût fixé à 4.500HT euros. ? Ordonner la publication du jugement à intervenir sur la page d'accueil du site internet de la société Afristyle dans un encadré visible intitulé "publication judiciaire" ; ? Se réserver la liquidation de l'astreinte ; ? Rejeter la demande de condamnation de la société Vlisco en dommage et intérêts ; ? Condamner les défenderesses à lui verser 75.000 euros solidairement au titre de l'article 700 et aux entiers dépens. 6. Par leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 30 septembre 2021, les sociétés Afristyle et A&H demandent au tribunal, au visa des articles L 111-1, L 112-1, L 113-5, L 122-4, L 331-1-3 et suivants du code de la propriété intellectuelle et 1240 du code civil, de : A titre principal : ? Mettre hors de cause la société A&H ;? Rejeter la revendication de droit d'auteur formulée par la demanderesse sur les dessins en cause et la débouter en conséquence de ses demandes sur ce fondement ;? Rejeter toute qualification de concurrence déloyale en l'absence de preuve et en conséquence l'ensembles des demandes formulées sur ce fondement ; A titre subsidiaire : ? Ramener à de plus justes proportions les demandes indemnitaires formulées par la demanderesse. En tout état de cause :? Dire que la société Vlisco a porté préjudice à la société Afristyle du fait de son action et la condamner à lui verser 150.000 euros à ce titre ; ? Condamner la demanderesse à lui verser 5.000 euros au titre de l'article 700 et aux entiers dépens. 7. L'instruction a été close par une ordonnance du 20 janvier 2022 et l'affaire a été plaidée à l'audience du 06 septembre 2022. MOTIFS 1) Sur la mise hors de cause de la société A&H Moyens des parties : 8. Les défenderesses sollicitent la mise hors de cause de la société A&H dans la mesure où celle-ci ne s'occupe que de l'expédition des colis. Elle ne commet donc selon elles aucun acte de contrefaçon de droits d'auteur. 9. La société Vlisco s'oppose à cette mise hors de cause considèrant que celle-ci, en tant que responsable de la gestion logistique des commandes passées sur le site de la société Afristyle, commet des actes de contrefaçon. Appréciation du tribunal : 10. Aux termes de l'article L. 335-2 du code de la propriété intellectuelle, "Toute édition d'écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit.La contrefaçon en France d'ouvrages publiés en France ou à l'étranger est punie de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende.Seront punis des mêmes peines le débit, l'exportation, l'importation, le transbordement ou la détention aux fins précitées des ouvrages contrefaisants." 11. L'article L. 335-3 de ce même code précise qu'"Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une oeuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi." 12. Les demandes de la société Vlisco sont fondées sur le fait que la société A&H Company prépare et expédie les commandes passées sur le site "african-avenue". Il ressort en effet des procès verbaux de constat d'achat sur internet (pièces Vlisco no25.10 et 25.11) que la société A&H Company est mentionnée comme expéditeur sur les colis des commandes passées par l'huissier de justice, et en assure également le suivi. 13. Il s'en déduit la société A&H, en charge de la logistique des commandes de produits contrefaisants, participe au "débit"des ouvrages contrefaisants. Cette société sera donc déboutée de sa demande de mise hors de cause. 2) Sur l'originalité et la titularité des droits Moyens des parties : 14. Pour chaque motif de tissu, la société Vlisco indique fournir une référence, l'identité du créateur, une date de création et/ou de commercialisation, les caractéristiques de l'oeuvre et la preuve de son exploitation. 15. Selon les sociétés défenderesses, la société Vlisco affirmant elle même commercialiser les tissus du "groupe Vlisco", le véritable auteur des dessins invoqués serait ce "groupe" et non la société demanderesse. Les sociétés défenderesses ajoutent que la société Vlisco ne peut être titulaire d'un droit d'auteur sur les dessins invoqués, car une société ne peut être l'auteur que d'une oeuvre collective. En conséquence, la demanderesse devrait justifier d'une cession de droit pour pouvoir agir. Elle ajoute que les captures d'écran versées aux débats par la société Vlisco doivent être écartées dans la mesure où elles sont dénuées d'une date certaine. De même les factures fournies désignent les tissus par des références de sorte qu'il serait impossible d'identifier à quel produit telle ou telle facture correspond. Ensuite, les croquis présentés par la demanderesse seraient des documents internes qui ne renseignent pas sur des droits qui n'ont fait l'objet d'aucune protection. Enfin, la société Vlisco ne pourrait être auteur car le consommateur ne pourrait l'identifier comme tel sans estampille. Appréciation du tribunal : 16. Conformément à l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. L'article L.112-1 du même code précise que ce droit appartient à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination. Il en résulte que la protection d'une oeuvre de l'esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. 17. Aux termes de l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, "La qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée." Cette présomption peut jouer au bénéfice d'une personne morale, à l'égard d'un tiers recherché en contrefaçon, sous réserve que celle-ci justifie d'une exploitation paisible et non équivoque de l'oeuvre sous son nom, et en l'absence de revendication de l'auteur de la création (notamment : Cass. Civ. 1ère, 10 décembre 2014, pourvoi no13-23.076). Cette présomption simple de titularité des droits la dispense d'établir le processus créatif de l'oeuvre revendiquée et les circonstances dans lesquelles les droits lui ont été cédés. Pour en bénéficier, il lui appartient d'identifier précisément l'oeuvre qu'elle revendique, de justifier de la date à laquelle elle a commencé à en assurer la commercialisation, et de rapporter la preuve d'actes d'exploitation à la date des actes litigieux, et non pas à la date de création, par un ensemble d'éléments précis et concordants, qu'aucun élément contraire ne vient sérieusement contredire, ainsi que l'identité des caractéristiques de l'oeuvre qu'elle revendique et de celle dont elle rapporte la preuve de la commercialisation sous son nom. 18. En l'espèce, le dessin portant la référence 14/3739 dénommé « Ampoule électrique » ou « Electric Bulb » créé par A.v.d. [C], en 1983 (pièce Vlisco no 2.5), consiste en un motif fantaisiste représentant des ampoules électriques qui sont disposées dans une direction ascendante (au lieu de la direction normale de "suspension") et reliées de manière à ressembler à une plume de paon, décliné en différentes couleurs, l'ampoule étant entourée d'une sorte de contour, dont la couleur varie entre le gris piqueté et le noir. Pour établir la commercialisation de ce dessin, la société Vlisco produit un extrait du catalogue Vlisco (pièce Vlisco no 2.1), un extrait du site Internet <www.vlisco.com> qu'elle exploite (pièce Vlisco no 2.2), des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé 14/3739 (pièce Vlisco no 2.3), un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. relatif au motif 14/3739 (pièce Vlisco no 2.8) et des publications sur les réseaux sociaux (Instagram des 6, 7 et 8 août 2018 -pièce Vlisco no 2.6 et Facebook des 12 janvier 2014, 1er juin 2015, 9 mai 2015, 9 août 2018-pièce Vlisco no 2.7). 19. Le dessin dénommé "Fleur de mariage" ou "Rolls Royce" est également créé par A.v.D [C], en 1979 et porte la référence 14/3541 (Pièces Vlisco no3.4). Il se caractérise par des pétales de fleurs d'hibiscus comportant une tige, un pistil avec un motif fantaisiste à sa base, en forme d'éventail déplié. Ces pétales sont soit d'une seule couleur, soit de deux couleurs différentes, l'une des deux couleurs ornant davantage de pétales que la seconde, dans différentes orientations, et disposés sur un fond strié. L'exploitation de ce dessin est étayé par un extrait du catalogue Vlisco (pièce Vlisco no 3.1), un extrait du site Internet <www.vlisco.com> (pièce Vlisco no 3.2), des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé 14/3541 (pièce Vlisco no 3.3), un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. relatif au motif 14/3541 (pièce Vlisco no 3.6) et des publications sur les réseaux sociaux (Instagram des 24 novembre 2019, 10 et 14 septembre 2018, 6 août 2018, 3 mai 2015, 1er novembre, 22 septembre, 14 août et 27 juin 2014-pièce Vlisco no 3.7 et Facebook des 21 mars 2019, 12 et 13 septembre 2018, 4 septembre 2017, 27 janvier 2016, 14 novembre, 17 juin, 31 mai, 29 avril et 2 mars 2015, 31 et 21 octobre, 19 septembre, 16 aout, 19 juillet, 2, 19, 26 et 29 juin, 10 mai 2014, 2 et 19 aout 2013 et 7 août 2012 - pièce Vlisco no 3.8). Au surplus, la société Vlisco fournit des extraits du livre "Fabrics" publié en 2012 (pièce Vlisco 3.9 et 1.6). 20. Le motif "[W]" porte la référence 14/ 3686 comprend une succession de formes oblongues dont deux côtés longs sont concaves et deux côtés courts convexes ; l'extrémité convexe de chaque forme vient se loger dans la cavité de chaque côté long de la forme mitoyenne ; chaque forme a un mouvement produisant un effet de torsion et la juxtaposition de cette forme en trois orientations distinctes permettantleurparfaite imbrication. Il est produit un extrait du catalogue Vlisco (pièce Vlisco no 4.1), un extrait du site Internet <www.vlisco.com> exploité par Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no 4.2), des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé 14/3686 (pièce Vlisco no 4.3) , un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. relatif au motif 14/3686 (pièce Vlisco no 4.4), des publications Facebook des 25 janvier 2013, 13 avril 2013, 14 mars 2014, 19 juillet 2014, 3 septembre 2016, 9 octobre 2016 (pièce Vlisco no 4.6) et un extrait du livre "Fabrics" publié en 2012 (pièces Vlisco no1.6 et 4.7). 21. Le motif 6/8511 (pièce Vlisco no 5.3 et 5.4) est décrit comme se caractérisant par la répétition d'un motif composé de six disques dont les centres sont évidés, placés en cercle, cinq d'entre eux se situant autour d'un disque central, les cinq disques disposés autour du disque central évoquent des roues dentelées incomplètes et sur deux d'entre eux sont attachés des groupes de deux ou trois formes, dont les contours sont ajourés et l'intérieur composé d'une succession de flèches pleines, évoquant d'épais filaments. L'arrière-plan avec un effet craquelé est parcouru de motifs nervurés ou veineux sombres. Il est produit à ce titre, un extrait du site Internet <www.vlisco.com> exploité par Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no 5.1), une facture de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé 8511 (pièce Vlisco no 5.2), ainsi qu'un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. relatif au motif 8511 (pièce Vlisco no 5.4). 22. Le motif "Blocks" ou "1004" référencé 14/3826 (pièce Vlisco no6.4) se caractérise par la répétition d'un assemblage de blocs de différentes tailles et formes à angles droits, dans un ensemble prenant la forme générale d'un losange, par l'usage de plusieurs couleurs dont une dominante, par le maintien d'un espace entre chaque bloc évitant aux côtés de se toucher, par la présence de stries en diagonale de différentes largeurs sur les blocs et par un arrière plan de couleur unie strié de lignes noires horizontales, de longeurs et épaisseurs différentes, discontinues et irrégulières. La société Vlisco produit pour ce motif un extrait du catalogue Vlisco (pièce Vlisco no6.1), un extrait du site internet <www.vlisco.com> exploité par Vlisco Netherlands B.V. (pièceVlisco no 6.3) , des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé A1106 (pièce Vlisco no 3.3) , un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. relative au motif A1106 (pièce Vlisco no 6.5), des publications Instagram des 23 juin et 18 février 2015, et 26 septembre 2014 (pièce Vlisco no6.6) et Facebook des 17 juin et 20 février 2015, 26 septembre et 26 décembre 2014, 27 décembre et 7 juin 2013 (pièce Vlisco no6.7) et un extrait du livre "Fabrics" publié en 2012 (pièces Vlisco no1.6 et6.8). 23. Le motif "Hibiscus", référencé 14/0921 (pièce Vlisco no7.4) se caractérise par la représentation de trois fleurs d'hibiscus, chaque fleur comportant un pistil et des étamines stylisés jaillissant de la corolle, et dont les pétales sont plus foncées à la base, des stries foncés émanantdu centre. L'une des fleurs est représentée d'un point de vue supérieur, avec une corolle de cinq pétales ouverts, l'autre est de côté et sa corolle apparaît en forme d'éventail déplié et la dernière est de profil dans une orientation permettant de percevoir l'intérieur de la corolle. Des tiges supportent les fleurs entrelacées et pourvues de feuilles de forme allongée et aux bords dentelés, dont les nervures sont dessinées en pointillés dans une couleur contrastée. L'ensemble du motif forme un rectangle apposé sur un arrière-plan composé de nervures entrelacées. La demanderesse produit pour ce motif, un extrait du site internet <www.vlisco.com> (pièces Vlisco no 7.1 et 7.2) , des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé 14/0921 (pièce Vlisco no7.3) , un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no 7.5), des publications Instagram des 9 février 2020, 2,3 et 9 juin 2019, 6,8 et 9 août 2018, 20 septembre 2015, 4, 14 et 21 septembre 2014 (pièce Vlisco no7.6) et Facebook des 9 août 2018, 14 août, 15 et 23 juin 2017, 15 septembre, 13 juin, 2 mars 2016, 20 mai, 25 mars 2015, 6 novembre, 4 et 21 septembre, 1er, 12, 25 et 28 mars 2014 (pièce Vlisco no7.7) et un extrait du livre « Fabrics » publié en 2012 (pièces Vlisco no1.6 et 7.8) 24. Le motif "le sac de [Z] [G]", référencé A1106, est issu d'un dessin de 2008 (pièce Vlisco no8.4 et 8.5). Il comporte la représentation d'un sac à main dont le haut est ovale et le fond plat, vu de face et de biais et comportant : une face avant, couverte aux deux tiers de sa hauteur d'un motif en quadrillage ou tressage spécifique, distinct du motif composant la bande supérieure du dernier tiers qui reprend le fond du dessin ; deux anses dont la plus visible dispose d'attaches plates en forme de cloche collées sur la face avant (certaines versions ayant des attaches d'une couleur différentes des anses). Les bords des attaches sont longés d'une surpiqûre fine et sombre ; une des attaches comporte un ?illet, lui-même supportant une languette rectangulaire à laquelle est attachée une fleur d'hibiscus, dont la représentation permet de percevoir les cinq pétales de la corolle ouverte dont la base est plus foncée ainsi que le pistil ; une tranche d'épaisseur homogène allant de bord en bord, découpée en trois bandes dans la longueur, la bande du milieu étant sombre. Les sacs comportent une fermeture allant d'une extrémité à l'autre, ils sont positionnés de biais et superposés les uns aux autres de manière à ce que les côtés avec les fermetures forment une ligne verticale. La société Vlisco produit pour ce motif, un extrait du site internet <www.vlisco.com> exploité par Vlisco Netherlands B.V. (pièces Vlisco no8.1 et 8.2) , des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé A1106 (pièce Vlisco no8.3) , un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V.(pièce Vlisco no 8.4), des publications Instagram du 26 avril 2018 (pièce Vlisco no8.6) et Facebook des 15 mars, 19 et 29 août, 19 octobre 2013, 16 mai 2016, 7 décembre 2017 (pièce Vlisco no8.7) et un extrait du livre "Fabrics" publié en 2012 (pièces Vlisco no1.6 et 8.8). 25. Le dessin "Shoes" créé en 2011, est référencé A1450 (pièce Vlisco no9.3). Il comporte la représentation d'escarpins à talons hauts noirs, vus de l'arrière et dans une orientation en biais, dont on aperçoit la semelle sous la voûte plantaire ornée de stries dégradées, créant un effet d'ombre et dont le contrefort arbore un motif distinct du reste, uni, de la chaussure. L'embout ouvert est orné d'un n?ud plat, un arrière-plan représentant des marches d'escalier, dont les différentes surfaces sont ornées alternativement d'un aplat de couleur ou de motif et de rayures en diagonales. Les escarpins sont disposés par rangées sur les marches de l'escalier, en alternant pour chaque rangée l'orientation vers la gauche ou vers la droite, et l'emplacement des chaussures pour qu'elles soient en alternance en fonction des rangées. Les contreforts présentent des motifs différents, géométriques de cannage ou tressage spécifique, alliant les mêmes couleurs qui rappellent celles de la semelle et du fond du dessin. La société Vlisco communique un extrait du site internet <www.vlisco.com> exploité par Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no 9.1), des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé A1450 (pièce Vlisco no 9.2) , un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no 9.3) et un extrait du livre "Fabrics" publié en 2012 (pièces Vlisco no1.6 et 9.5). 26. Le motif "Ventilateur" créé par T. [X] en 1985 et référencé 6/8759 (Pièce Vlisco no10.4) se caractérise par la représentation d'un ventilateur de table avec une élice trois pales et à axe horizontal, vu de face et avec une légère orientation en biais, composé d'un socle en forme de parallélépipède, bordé d'un fin liséré constitué d'une succession de courtes lignes de couleur claire perpendiculaires au bord et dont la face supérieurest ornée de courtes stries foncées alignées sur trois niveau, comportant également un empiècement rectangulaire divisé en trois portions ; un bras vertical présentant également de courtes stries alignées sur neuf niveaux, séparés par une ligne horizontale ; un arbre moteur coloré d'une nuance plus foncée ou d'une couleur distincte orné de motifs en pointillés plus clairs organisés en un alignement de triangles ; une grille avant dont la plaque centrale formant le centre des rayons de la grille est en forme de disque, dont le bord est orné d'une ligne en trait de couleur distincte et présentant une étoile au large ventre rond à huit brances de même longueur atteignant la line de bordure de la plaque de couleur constrastée ; un anneau concentrique apposé sur la grille avant. L'arrière plan du motif est parcouru de lignes sombres partant des bords des ventilateurs dans le prolongement des rayons de leursgrilles, formant des faisceaux, étroits à leur base, entrecoupés par des traits en diagonales, de fonçon homogène. Pour ce motif, la demanderesse fourni des extraits du site internet <www.vlisco.com> (pièce Vlisco no10.1 et 10.2), des factures de commercialisation par elle du motif référencé 8759 (pièce Vlisco no10.3), un extrait du registre des données de la société Vlisco (pièce Vlisco no10.4), des publications Instagram des 20 novembre 2018 et 9 mai 2020 (pièce Vliso 10.5), des publications Facebook des 9 mai 2020, 14 février 2016, 14 février, 25 avril, 10 mai et 7 juin 2014, 15, 19 et 26 mai, 25 juillet 2013, 3 octobre et 19 décembre 2012 (pièce Vlisco no10.6), et un extrait du livre "Fabrics" publié en 2012 (pièce Vlisco no10.7 et 1.6). 27. Le motif intitulé "bullets" ou "Z'ongles de Mme [D]" porte la référence 14/ 1682 (pièceVlisco no11.3). Il est constitué de la répétition par superposition alternative de deux arcs de cercle composés de figures positionnées verticalement, de forme oblongue évoquant des bandes de cartouches avec une extrémité inférieure en pointe ou des ongles peints, reliés par un trait plein à mi-hauteur, dont la taille augmente progressivement vers le sommet de l'arc. Ces figures sont soit de couleur sombre et traversées d'une ligne verticale en pointillés plus clairs dans le premier arc de cercle, soit d'une couleur plus claire et dotées d'un contour épais et sombre dans le second arc de cercle. Pour établir la commercialisation sous son nom, la société Vlisco communique un extrait du catalogue Vlisco (pièce Vlisco no 11.1), des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé 14/1682 (pièce Vlisco no11.2), ainsi qu'un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no11.5). 28. Le motif "Oignon", référencé 14/2921 (pièce Vlisco no12.4 et 12.1) se caractérise par une forme rappelant une jarre ou un oignon dont le col sombre est évasé et se finit par des dents droites et une dent recourbées vers l'extérieur sur chaque côté. Le col de chaque jarre est soit uni, soit pourvu d'un motif consistant en une forme générale rappelant l'agrégation partielle des trois sphères délimitées par des pointillés, une forme identique étant dessinée à l'intérieur et délimitées par des stries formant des rayons, l'intérieur de cette forme étant occupée par un autre en forme de peigne dont l'extrémité supérieure arrondie est évidée. La partie bombée de la jarre arbore un triangle aux côtés irréguliers. Les parties évidées en dehors du triangle présentent soit une longue feuille de palme, soit la représentation stylisée des rainures d'une feuille.Les formes de jarres sont assemblées en groupe de trois ou quatre, de différentes tailles. Chaque groupe est relié par un trait épais et irrégulier dont le fond sombre est parsemé de motifs plus claires de cannage, de cercles et de formes pointillées. Les espaces délimités par ces traits sont remplis de fonds, de couleurs différentes, et parsemés de petites branches sombres émanant des traits, remplies de pointillés clairs, au bout desquelles sont disposées des fins feuilles ou bourgeons. La commercialisation de ce motif par la société Vlisco est étayé par un extrait du site internet <www.vlisco.com> (pièce Vlisco no12.2), des factures de commercialisation du motif référencé 2921 (pièce Vlisco no12.3), un extrait du registre des données de Vlisco (pièce Vlisco no12.5), des publications Facebook des 11 février, 2018, 20 novembre 2017, 29 janvier, 15 mars et 3 septembre 2016, 25 mars 2015, 5 août, 11 et 21 septembre et 5 octobre 2014, 6 octobre et 8 novembre 2013 (pièce Vlisco no12.6), et par un extrait du livre "Fabrics" publié en 2012 (pièces Vlisco no1.6 et 12.7). 29. Le dessin, référencé A2161 se caractérise par la répétition de motifs évoquant des crochets à tête ronde, en contact les uns avec les autres pour former une arborescence. Leurs contours semblent hérissés de petites pointes et ils sont recouverts de toutes petites écailles. Un motif d'oiseau est également apposé de façon répétée dans les trouées de l'arborescence. Cet oiseau est représenté en vol, de profil, doté d'une longue queue, les ailes déployées, composées de trois des motifs de crochets qui l'entourent, avec un fil sortant du bec et disposé en dessous de son corps, au bout duquel est attachée une pierre taillée dont l'éclat des facettes est représenté par huit traits en halo le long descontours. L'arrière-plan est parcouru de lignes pointillées horizontales. La société Vlisco produit un extrait du site internet <www.vlisco.com> exploité par Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no13.1), des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé A2161 (pièce Vlisco no13.2) et un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. relatif au motif A2161 (pièce Vlisco no13.3) 30. Le motif référencé 6/8761, créé en 1984 par W.w [S] (pièce Vlisco no14.3), comporte une représentation stylisée de couronnes de pointes hérissées, assemblées deux par deux par leur socle. Sur un fond noir, le socle de la couronne se compose d'un liseré évoquant un galon formés de triangles noirs et rouges, d'une bande rouge , d'un liseré de motifs de triangles jaunes et noirs et d'un liseré évoquant une ligne de jours échelle. Ces couronnes sont surmontées de longues pointes, une impression de perspective étant rendue par le fait que les sept pointes en premier plan sont en noir plein tandis que les six pointes en arrière-plan sont en stries noires obliques, les rendant moins distinctes et les faisait paraître plus éloignées de l'observateur. L'arrière-plan est parcouru de fin motifs rappelant des nuages ou une mousse savonneuse. La société Vlisco communique pour ce dessin, un extrait du site Internet <www.vlisco.com> exploité par Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no14.1), une facture de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du motif référencé 8761 (pièce Vlisco no14.2) et un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. relatif au motif 8761 (pièce Vlisco no14.3). 31. Le motif "Bague", référencé A2257, conçu en 2016, consiste en un dessin se caractérisant par la répétition, selon des orientations variées, de la représentation stylisée d'une bague en trois dimensions consistant en un anneau surmonté d'un disque comprenant une série de cercles, servant de base au montage d'une pierre taillée sertie par six griffes rondes. Deux pierres sont également incrustées dans l'anneau, de part et d'autre du montage de la pierre. Les trois pierres, qui évoquent des diamants, sont d'une couleur contrastant avec le reste de l'objet et leur facettes semblent refléter la lumière en éclats brillants. Des étoiles à huit branches, quatre courtes et quatre longues, et au c?ur rond et plein, parsèment le dessin, de différentes tailles, elles ajoutent à l'impression de scintillement. Il est produit pour ce motif, un extrait de la boutique en ligne <www.shop.vlisco.com> exploitée par Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no 15.1), un extrait du site internet <www.vlisco.com> exploité par Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no15.2), des factures de commercialisation par Vlisco Netherlands B.V. du dessin référencé A2257 (pièce Vlisco no15.3), un extrait du registre des données de Vlisco Netherlands B.V. (pièce Vlisco no15.4) et des publications Instagram des 15 novembre et 4 décembre 2017 (pièce Vlisco no15.6) et Facebook des 15 novembre et 4 décembre 2017 et du 4 janvier 2018 (pièce Vlisco no15.7). 32. Le motif "Happy family", référencé H628, est crée en 1952 (pièce Vlisco no16.4). Il se caratérise par la représentation de poules, têtes de coqs, poussins et oeufs, disposée : en losange avec deux sommets constitués par deux têtes de coqs de profil se faisant face, les deux autres sommets par des poules de profil, au centre du losange une poule de profil et de taille plus importante dont la tête est tournée vers l'arrière, huit poussins sont positionnés dans les parties supérieure et inférieure du losange, répartis par deux de part et d'autre de l'axe vertval, vers lequel ils sont tournés, et les côtés sont constitués d'une succession de sept oeufs et de quatre courtes lignes contituées de trois oeufs partant des sommets à têtes de coqs vers le centre de la figure. Autour du losange, se trouve un carré constitué de quatre têtes de coqs tournés vers le centre du motif et comportant deux poussins en son centre, carré qui est répété quatre fois autour du losange ; deux ensemble de trois poussins positionnés en léger arc au niveau des deux sommets supérieur et inférieur du losange, chaque possin étant orienté vers le sommet ; et quatre poussins disposés de part et d'autre du losange et lui tournent le dos. Il est produit pour ce motif, un extrait du site internet <www.vlisco.com> (pièce Vlisco no16.1 et 16.2), des factures de commercialisation de ce motif (pièce no16.3), un extrait du registre des données de Vlisco (pièce Vlisco no16.5), des publication Instagram des 23 janvier et 10 avril 2020, 6 août 2018, 8 et 24 juin, 16 juillet, 22 août, 20 septembre 2015 et 11 mai et 27 juin 2014 (pièce Vlisco no16.6), des publications Facebook des 10 avril 2020, 1er avril 2018, 29 juin et 21 juillet 2016, 15 juillet 2015, 30 avril, 26 juin et 19 juillet 2014, 5 et 10 mai 2013 (pièce Vlisco no16.7) et un extrait du livre "Fabrics" publié en 2012 (pièce Vlisco no16.8 et 1.6). 33. Le motif "Flash", référencé 14/1178, créé en 1955 par [U] (pièce Vlisco no17.3), se caractérise par un motif fantaisiste basé sur des flèches qui se chevauchent et s'emboitent en pointant dans deux directions, l'alternance de flèches de couleur uniforme et de flèches à carreaux très fins, l'ajout d'une sphère au milieu de chaque flèche entourée de tirets noirs, la palette de couleurs dans laquelle un groupe de flèche est dans une couleur particulière et puis dans une autre et dans laqulle la sphère d'un groupe a la couleur de l'autre groupe, et par plusieurs colonnes de flèches séparées par une colonne de flèches d'une couleur uniforme dont le centre est un motif tantôt en forme de diamant, tantôt ovale de la couleur de certaines flèches des colonnes. Il est produit pour ce motif, un extrait d'un catalogue Vlisco (pièce Vlisco no17.1), des factures de commercialisation de ce motif par Vlisco (pièce Vlisco no17.2) et un extrait du registre des données de Vlisco relatif à ce motif (pièce Vlisco no17.4). 34. Le motif "Grotto" (pièce Vlisco no18.4), référencé 14/3639, se caractérise par la représentation répétée et stylisée de plantes grimpantes, aux longues tiges se prolongeant par des longues feuilles étroites et pointues. Les tiges sont souples et semblent être tirées, dans un mouvement d'élévation, par les feuilles auxquelles elles donnent naissance à intervalle irrégulier, pour la plupart orientées vers le haut. Leur centre est de la même couleur que la couleur dominante de l'arrière-plan. Ce dernier consiste en une répétition régulière de sphères de même couleur, des lignes droits et parallèles, d'un espacement irrégulier devenant plus étroit au niveau des sphères. Il est produit pour ce motif, des extraits du site internet <www.vlisco.com> (pièces no18.1 et 18.2), des factures de commercialisation par Vlisco de ce motif (pièce Vlisco no18.3), un extrait du registre des données de Vlisco relatif à ce motif (pièce Vlisco no18.5), une publication Instagram du 28 avril 2018 (pièce Vlisco no18.6), des publications Facebook des 30 septembre 2015 et 31 mai 2012 (pièce no18.7) et un extrait du livre "Fabrics" (pièce Vlisco no1.6 et 18.8). 35. Le dessins A2171, créé en 2016 par T. [O] (pièce Vlisco no19.3), se caractérise par la répétition linéaire des cabosses de cacao représentées en trois dimensions ouvertes par la moitié dans la longueur. Chacune est séparée en deux parties, l'une étant remplie de six fèves de cacao et l'autre de sept. Les fèves sont représentées à même hauteur, leurs faces supérieures planes et colorées par un effet craquelé. Les autres faces des fèves se fondent dans l'obscurité du fond de la cabosse et ne sont distinuables que par des stries plus claires qui laissent deviner leurs contours. Le dessin présente également desfeuilles de cacaoyer représentées en bouquet de six et séparant chaque cabosse. Chacun de ces bouquets est plus petit que la cabosse qu'il jouxte. Les feuilles sont séparées en deux sur la longueur, une partie étant striée de nervures régulières et l'autre consistant en un aplat de couleur sombre. L'arrière plan est composé d'un fond à effet craquelé. La société Vlisco produit pour ce motif, un extrait de son site internet (pièce Vlisco no19.1), des factures de commercialisation (pièce Vlisco no19.2) et un extrait du registre des données de la société (pièce Vlisco no19.3). 36. Le motif A2337 se caractérise par une superposition de plusieurs plans composés chacun de la répétition de motifs différents. Le premier plan consiste en la répétition de formes circulaires composées de différents motifs concentriques, pouvant rappeler un mandala ou une corolle de fleurs vue de dessus. Un motif de rosace à neuf branches en marque le coeur. Au second plan, des bouquets de fleurs aux corolles évasées rappellent des arums, ou encore des fleurs sur le point d'éclore. Ces fleurs se joignent sur une même tige formant à chaque fois un ensemble de six fleurs. L'extrémité des fleurs est teinté d'une couleur délavé afin de les différencier de la tige. Au troisième et dernier plan se trouve un maillage de tiges sans fleurs. Il est produit, pour ce motif, un extrait du site de Vlisco (pièce Vlisco no20.1), des factures de commercialisation du motif en cause (pièce Vlisco no20.2) et un extrait du registre des données de Vlisco (pièce Vlisco no20.3). 37. Le dessin A2260 se caractérise par la répétition de motifs linéaires, rappelant des frises, et consistant en deux rubans. Ils sont disposés de telle sorte que le serpentement alterne de façon régulière entre un virage arrondi et un virage en angle pointu. Les deux rubans qui composent la frise s'entremêlent en symétrie et dessinent une succession d'ovales et de carrés. Ces derniers sont rempli d'un applat de couleur uni. L'arrière-plan, dont la couleur reflète un effet craquelé, est parcouru de nervures sombres et resserrées. Cet arrière-plan se retrouve dans une autre couleur au centre des formes ovales de la frises. La société Vlisco produit, pour ce motif, un extrait de son site internet (pièce Vlisco no21.1), des factures de commercialisation (pièce Vlisco no21.2), un extrait du registre des données de la société (pièce Vlisco no21.3), des publications Instagram des 12 et 30 novembre 2017 (pièce Vlisco no21.4) et des publications Facebook des 8 et 13 décembre 2017 (pièce Vlisco no21.5). 38. Le dessin S7020 se caractérise ar une combinaison de motifs végétaux stylisés et disposés en arrangement floral composés de fleurs dont les pétales sont représentées par quatre pointes et leur imbrication par deux lignes dans la longueur ornées de stries, de fleurs dont la corolle légèrement évasée semble sur le point d'éclore, à trois pointes représentant ses pétales, et de feuilles longues et étroites, scindées par une nervure centrale, sur lesquelles figurent de part et d'autre de cette nervure une succession de triangles, la couleur de ceux-ci et du fond alternant sur chaque moitié. Ces élements sont liés entre eux par des tiges souples formant des arabesque, les composants des motifs se regroupant à intervalle régulier dans un mouvement ascendant. L'arrière-plan de couleur unie est parcouru de petit traits. Il est produit, pour ce motif, un extrait du site de la société demanderesse (pièce Vlisco no22.1), des factures de commercialisation (pièce Vlisco no22.2) et un extrait des registres des données de la société (pièce Vlisco no22.3). 39. Le motif "Cerveau de [T] [Y]", référencé 14/5124, créé en 1997 (pièce Vlisco no23.4) se caractérise la répétition d'un motif de forme de croissant, composé de trois arbres joints en leur base, dénués de feuille. Le tronc de l'arbre centrl est perpendiculaire aux deux autres qui l'entourent. Les extrémités de la ramure de l'arbre central semblent toucher celles des deux arbres qui l'entourent, si bien que ces trois élements peuvent être appréhendés comme un ensemble, les pourtours des ramures formant un croissant. L'impression d'unité est renforcée par le fait que les trois arbres se détachent sur un même fond coloré à effet craquelé. Les différents croissants composant le motif sont de couleur, taille et orientation différentes. La société Vlisco produit, pour ce motif, des extraits de son site internet (pièce Vlisco no23.1 et 23.2), des factures de commercialisation (pièce Vlisco no23.3), un extrait du registre des données de la société (pièce Vlisco no23.4), des publications Instagram des 7 et 10 août 2019 (pièce Vlisco no23.5), des publications Facebook des 7 et 10 août 2019 (pièce Vlisco no23.6) et un extrait du livre "Fabrics" (pièces Vlisco no1.6 et 23.7). 40. Le motif "Conseiller", référencé H907, créé en 1955 (pièce Vlisco no24.4) se caractérise par un fond uniforme sur lequel se trouve un enchevêtrement répété d'arabesque et de volutes fines tournées vers l'intérieur. Elles sont orientées tantôt vers le haut, tantôt vers le bas, tantôt à droite, tantôt à gauche, et composées par une succession de petit traits à distance égales. Les contours des volutes se fondent dans un halo flou, mais laissant percer un arrière-plan coloré. Pour ce motif, il est produit des extraits du site internet de la demanderesse (pièces Vlisco no24.1 et 24.2), des factures de commercialisation (pièce Vlisco no24.3) et un extrait du registre de la société (pièce Vlisco no24.5). *** 41. La société Vlisco établit donc, pour chaque motif de tissu, l'existence d'un parti pris esthétique et totalement arbitraire, portant dès lors l'empreinte de la personnalité de son auteur. La pièce no2 des sociétés défenderesses, qui consiste en des reproductions d'autres tissus "wax", outre qu'elle n'est pas datée, ne comporte aucun tissu reproduisant une ou plusieurs caractéristiques de l'un des dessins objets du présent litige, lesquels ne peuvent en aucun cas être considérés comme relevant d'un fonds commun non appropriable. 42. Force est en outre de constater que la demanderesse fournit tous élements attestant de la commercialisation, antérieure à septembre 2020, paisible et non-équivoque par elle, sous son nom, de l'ensemble des tissus invoqués, sans revendication d'aucun auteur personne physique, peu important à cet égard qu'elle appartienne à un groupe et qu'une autre entité de ce groupe soit en charge de la création. 43. La société Vlisco bénéficie donc de la présomption de titularité des droits d'auteur sur chacun des tissus invoqués, lesquels sont originaux et, partant, éligibles à la protection par le droit d'auteur. 3) Sur la contrefaçon Moyens des parties : 44. La société Vlisco rappelle que la contrefaçon, en matière de droit d'auteur, s'apprécie aux regard des ressemblances uniquement, les divergences de couleur ne permettent donc pas d'écarter cette qualification. Les dessins sur lesquels elle dispose d'un droit d'auteur sont donc reproduits servilement par les défenderesses. 45. La société Afristyle indique qu'aucun des produits vendus ne portent la marque Vlisco comme cela a pû être le cas dans les précédents procès intentés par la demanderesse. Appréciation du tribunal : 46. En application des articles L. 122-1 et L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle, le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction, et toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants-droit ou ayants-cause est illicite. 47. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. La contrefaçon d'une oeuvre protégée par le droit d'auteur, qui n'implique pas l'existence d'un risque de confusion, consiste dans la reprise de ses caractéristiques identifiées comme constitutives de son originalité. 48. La contrefaçon s'apprécie selon les ressemblances et non d'après les différences. Elle ne peut toutefois être retenue lorsque les ressemblances relèvent de la reprise d'un genre et non de la reproduction de caractéristiques spécifiques de l'oeuvre première. 49. Il en résulte que de simples divergences de couleurs ne peuvent permettre d'échapper à la qualification de contrefaçon. De même, l'apposition de la marque de la société demanderesse à l'action en contrefaçon sur le fondement du droit d'auteur, n'est pas une condition de la caractérisation de la contrefaçon. En l'espèce, la comparaison des références de tissus Vlisco avec les copies d'écran effectuées par l'huissier de justice sur le site de la société Afristyle, et les tissus saisis lors des opérations de saisie-contrefaçon, établit la copie servile ou quasi servile des 23 références de tissus décrites précedemment, dont les droits sont présumés appartenir à la société Vlisco. Les tissus des sociétés défenderesses reprennent les mêmes caractéristiques, selon les mêmes dimensions,et un agencement identique. La contrefaçon de droits d'auteur est donc établie, étant rappelé que la bonne foi, quand bien même elle serait établie, est indifférente (Cass. Civ. 1ère, 13 novembre 2008, pourvoi no06-19.021, Bull 2008, I, no258). 4) Sur les mesures de réparation Moyens des parties : 50. La société Vlisco demande 2.355.000 d'euros au titre des conséquences économiques négatives engendrées par la contrefaçon, 115.000 euros en réparation de son préjudice moral, d'interdire la poursuite des actes de contrefaçon sous astreinte de 50.000 euros par jour de retard, le rappel de l'intégralité des produits contrefaisants des circuits commerciaux sous astreinte de 5.000 euros, et la publication du présent jugement. 51. La société Afristyle demande le rejet de l'ensemble des demande. L'onglet "Vlisco" présent sur son site internet démontre selon elle sa bonne foi et le fait qu'elle n'a aucune intention de générer un risque de confusion dans l'esprit du consommateur. Appréciation du tribunal : 52. L'article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que " Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1o Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;3o Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits.Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée." 53. Il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon (pièce Vlisco no25.08) que les coupons de 6 yards de tissus sont proposés à la vente par la société Afristyle à un prix moyen de 12,89 euros le coupon (moyenne du prix des 9 coupons saisis). De plus, d'après les constats réalisés, la société Afristyle propose près de 25 références de tissus contrefaisant à la vente sur son site internet. Le tribunal observe en outre que l'obstruction du gérant de la société Afristyle n'a pas permis de connaître les quantités de produits contrefaisants achetés et vendus par elle et "débités" par la société A&H. Il convient donc de retenir la vente d'au moins 30.000 coupons de tissus depuis la première constatation de l'infraction, pour un chiffre d'affaires global de 386.700 euros, à laquelle il convient d'appliquer un taux de report de 60 % les parties n'étant pas en situation de concurrence directe mais les défenderesses commercialisant également des produits authentiques et un taux de marge brute de 25 %. Il convient donc d'évaluer les pertes subies par la société Vlisco à la somme de 58.000 euros, sans qu'il soit besoin d'ordonner des mesures d'investigation supplémentaires. 54. Il est en outre incontestable que la société Vlisco subit un préjudice moral découlant de la banalisation de ses produits qui sera réparé par le versement de la somme de 20.000 euros. 55. Il sera en outre fait droit à la demande d'interdiction selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision. Ces mesures réparant suffisamment le préjudice de la société Vlisco, la demande de publication de la présente décision sera rejetée. En l'absence de preuve que des produits contrefaisants émanant des sociétés défenderesses se trouveraient entre les mains de tiers, la demande de rappel, qui fait double emploi avec la demande d'interdiction, sera rejetée. 5) Sur la concurrence déloyale Moyens des parties : 56. La société Vlisco invoque des actes distincts de la contrefaçon. D'après la demanderesse, les défenderesses créent un risque de confusion et un effet de gamme en vendant des produits de même nature à l'attention du même consommateur. Elle demande une réparation à hauteur de 600.000 euros. 57. Sur ce point, la société Afristyle prétend qu'il ne peut y avoir d'effet de gamme sur des tissus WAX, ces tissus reposant tous selon elle sur l'association de couleurs et de dessins ou motifs géométiques. Appréciation du tribunal : 58. Est fautif le fait, pour un professionnel, de s'immiscer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire particulier (Cass. Com., 26 janvier 1999, pourvoi no 96-22.457 ; Cass. Com., 10 septembre 2013, pourvoi no 12-20.933), ce qui constitue un acte de parasitisme. 59. En outre, l'association par le consommateur de produits précis, peu important leur banalité, peut entrainer un effet de gamme. La répétition de la reprise de ces produits est alors fautive ( Cass. Com., 14 novembre 2018, pourvoi no16-28.091). 60. En l'espèce, la commercialisation d'un très grand nombre de références de tissus wax constituant des copies serviles ou quasi-serviles des tissus créés par la société Vlisco, a permis à la société Afristyle de tiré indûment profit du savoir-faire et des efforts de la société Vlisco et créé un risque de confusion dans l'esprit du public ce d'autant plus que les défenderesses commercialisent aussi des produits Vlisco authentiques. 61. La société Afristyle sera condamnée à ce titre à payer à la société Vlisco la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 1240 du code civil. 62. La société A&H ne peut être considérée comme ayant participé aux faits distincts de concurrence déloyale dont le régime est distinct de celui de la contrefaçon. 6) Sur les mesures accessoires 63. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie. 64. Les défenderesses, qui perdent le procès, doivent être tenues aux entiers dépens et à indemniser la demanderesse de ses frais, lesquels peuvent être raisonnablement estimés au regard des diligences qui ressortent de ses écritures et des pièces fournies, à 20 000 euros. 65. Il n'y a pas de motif, dans la présente affaire, pour écarter l'exécution provisoire, qui est de droit en application de l'article 514 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS LE TRIBUNAL REJETTE la demande de mise hors de cause de la société A&H ; CONDAMNE in solidum la société Afristyle et la société A&H à payer à la société Vlisco Netherlands la somme de 78.000 euros en réparation du préjudice causé par la contrefaçon de ses droits d'auteur sur les tissus référencés 14/3739, 14/3541, 14/3686, 6/8511, 14/3826, 14/0921, A1106, A1450, 6/8759, 14/1682, 14/2921, A2161, 6/8761, A2257, H628, 14/1178, 14/3639, A2171, A2337, A2260, S7020, 14/5124 et H907 ; FAIT DÉFENSE aux sociétés Afristyle et A&H de commercialiser tout tissu reproduisant les caractéristiques originales des tissus de la demanderesse référencés ci-dessus, et ce, sous astreinte de 100 euros par infraction constatée (c'est à dire par coupon de tissu contrefaisant) courant à l'expiration d'un délai de 30 jours suivant la signification de la présente décision et pendant 180 jours ; SE RÉSERVE la liquidation de l'astreinte ; CONDAMNE la société Afristyle à payer à la société Vlisco la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts au titre des faits distincts de concurrence déloyale (effet de gamme) ; REJETTE les demandes de publication de la présente décision, de rappel de produits et de production de pièces supplémentaires, de la société Vlisco Netherlands ; CONDAMNE in solidum la société Afristyle et la société A&H aux dépens ; CONDAMNE in solidum la société Afristyle et la société A&H à payer à la société Vlisco Netherlands la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; RAPPELLE que la présente décision est de plein droit exécuoire. Fait et jugé à Paris le 1er décembre 2022. LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
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JURITEXT000047324638
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 25 novembre 2022, 21/01835
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2022-11-25
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/01835
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CT0087
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG 21/01835 No Portalis 352J-W-B7F-CTYLO No MINUTE : Assignation du :03 Décembre 2020 JUGEMENT rendu le 25 Novembre 2022 DEMANDERESSE SAS CLECIM anciennement PRIMETALS TECHNOLOGIES FRANCE SAS[Adresse 1][Localité 2] représentée par Maître Bertrand LIARD du LLP WHITE AND CASE LLP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0002 DÉFENDERESSE S.A.S. DEEPGRAY VISION[Adresse 3][Localité 4] représentée par Maître Grégoire DESROUSSEAUX et Maître Charles BOUFFIER de laSCP AUGUST & DEBOUZY et ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0438 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Irène BENAC, Vice-PrésidenteMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge assisté de Quentin CURABET, Greffier DEBATS A l'audience du 29 Septembre 2022 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 25 Novembre 2022. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. La société VAI Clecim, immatriculée le 13 août 2003, a changé plusieurs fois de dénomination, devenant Siemens VAI Metals Technologies à compter du 3 novembre 2006, puis Primetals Technologies France à compter du 8 janvier 2015 et enfin Clecim depuis le 1er avril 2021.Elle se présente comme une spécialiste de la fabrication, la vente, les services et la maintenance d'équipements et logiciels pour la métallurgie et comme la propriétaire, en particulier :- d'un système automatique d'inspection de surface, le système SIAS, incluant différents équipements d'inspection, à savoir des composants matériels, tels qu'au moins une caméra, couplés à une interface logicielle nommée XLine,- des marques française no3391687 et internationale no901458 "XLine" et des marques française no3391684 et internationale no901808 "SIAS". 2. La SAS Deepgray Vision a été créée le 20 janvier 2012 par MM [B] [H], [E] [J] et [Z] [N], salariés de la SAS Clecim jusqu'au 9 septembre 2011 ayant travaillé sur le système SIAS et le logiciel XLine.Elle a principalement pour objet la conception, la réalisation et la fourniture d'équipements, de systèmes ou de prestations de service dans les domaines du traitement du signal, de l'imagerie et de la mesure, pour l'industrie notamment, le développement de logiciels, de sous-ensembles électroniques, optiques et mécaniques, la conception, le développement, le déploiement et la mise en route et la maintenance de systèmes complets. 3. La SAS Deepgray Vision est intervenue en novembre 2014 sur le système d'inspection automatique de surface installé en 2006 par la SAS Clecim sur le site d'[Localité 6] de la société Aperam Stainless France (ci-après Aperam). 4. Soutenant que la SAS Deepgray Vision avait utilisé le code source du logiciel XLine à cette occasion, et ainsi contrefait ses droits d'auteur sur ce logiciel et ses marques XLine et SIAS, la SAS Clecim a obtenu deux ordonnances en saisie-contrefaçon des 21 et 29 novembre 2018 et y a fait procéder au sein des locaux aux deux adresses de la SAS Deepgray Vision le 14 décembre 2018 par un huissier de justice assisté d'un expert en informatique. 5. Par acte du 11 janvier 2019, la SAS Clecim a assigné la SAS Deepgray Vision devant le tribunal judiciaire de Nanterre pour faire interdire la reproduction non autorisée la mise à jour de son logiciel XLine et la reproduction non autorisée de ses marques, sous astreinte. Par ordonnance du 3 décembre 2020, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre a déclaré celui-ci incompétent au profit du tribunal judiciaire de Paris. 6. La clôture des débats a été prononcée le 13 janvier 2022 par le juge de la mise en état mais ils ont été réouverts pour cause grave le 22 février 2022. 7. Dans ses dernières conclusions signifiées le 13 avril 2022, la SAS Clecim demande au tribunal, au visa des articles L. 112-2, L. 122-6, L. 331-1-3, L. 335-3, L. 713-2 et L. 716-1 et L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle et 1240 du code civil, de : - rejeter la demande de nullité de la saisie-contrefaçon,- interdire à la société Deepgray Vision, sous astreinte, de : - poursuivre la mise à jour du logiciel XLine auprès de tout tiers, - poursuivre l'usage des marques XLine et SIAS, - présenter, reproduire, commercialiser, céder et promouvoir le logiciel XLine de quelque façon que ce soit, - faire usage, présenter, reproduire, commercialiser, céder et promouvoir le logiciel de Deepgray Vision et tout autre logiciel qui serait dérivé de celui-ci ou du logiciel XLine, ainsi que de cesser toute activité liée à l'inspection de surface, - ordonner le rappel et la mise à l'écart définitive des circuits commerciaux de tous produits, articles ou documents faisant référence au logiciel XLine et/ou reproduisant les marques XLine et SIAS et leur remise à la société Clecim afin de les détruire, - condamner la société Deepgray Vision à lui payer la somme de 3.000.000 d'euros, dont 1.000.000 d'euros en raison des conséquences économiques négatives de la contrefaçon et 2.000.000 d'euros en raison des bénéfices et des économies d'investissement que la société Deepgray Vision a retirés de son activité contrefaisante,- condamner la société Deepgray Vision à lui payer la somme de 500.000 euros en réparation des actes de concurrence déloyale et parasitaire, - l'autoriser à faire publier le jugement à intervenir, - ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,- débouter la société Deepgray Vision de l'ensemble de ses demandes, la condamner aux dépens et à lui payer la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Dans ses dernières conclusions signifiées le 23 mars 2022, la SAS Deepgray Vision demande au tribunal, au visa des articles 4, 32-1, 42, 46 et 122 du code de procédure civile, L. 122-6, L. 122-6-1, L. 331-1, L. 332-1, L. 332-2, L. 332-4, L. 711-2, L.712-1, L. 713-3-1, L. 713-6, L. 714-6, L.716-4-2, L.716-4-7, L. 716-5 et R. 332-2 du code de la propriété intellectuelle et 1240 du code civil, de : Sur la contrefaçon de droit d'auteur : - déclarer irrecevables les demandes de la société Clecim en contrefaçon de droit d'auteur pour défaut de titularité de droits sur le logiciel XLine ; à titre subsidiaire, - annuler le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 14 décembre 2018 pour défaut de titularité de droits de la société Clecim sur le logiciel XLine et les quatre marques XLine et SIAS, absence de preuve de l'originalité du logiciel XLine, absence de distinctivité des marques SIAS et déloyauté dans la présentation des faits au stade des requêtes en saisie-contrefaçon ; - écarter des débats le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 14 décembre 2018, ainsi que les pièces adverses no23 à 27 et 42 et tous documents recueillis par suite de cette saisie-contrefaçon et, subsidiairement, en prononcer la nullité partielle pour les raisons précitées ; à titre très subsidiaire,- constater la licéité de son opération de tierce-maintenance corrective du logiciel XLine de novembre 2014 sur le site d'[Localité 6] de la société Aperam Stainless France ; - rejeter les demandes de la société Clecim en contrefaçon de droit d'auteur ; à titre infiniment subsidiaire,- désigner un expert informatique avec la mission de comparer la solution d'inspection automatique de surface développée par elle et le logiciel XLine ; Sur la contrefaçon de marque : - déclarer irrecevables les demandes de la société Clecim en contrefaçon de marque pour défaut de production des certificats d'enregistrement originaux des quatre marques françaises et internationales XLine et SIAS ; A titre subsidiaire, - annuler les marques SIAS française et internationale pour absence de distinctivité ; - rejeter les demandes de la société Clecim en contrefaçon des marques SIAS française et internationale compte-tenu de leur nullité ; - annuler le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 14 décembre 2018 pour les raisons précitées; - écarter des débats le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 14 décembre 2018, ainsi que les pièces adverses no23 à 27 et 42 et tous documents recueillis à la suite de cette saisie-contrefaçon et, subsidiairement, prononcer la nullité partielle de ce procès-verbal pour les raisons précitées; A titre très subsidiaire : - constater l'usage des marques françaises et internationales XLine et SIAS à titre de référence nécessaire uniquement pour désigner le système SIAS et le logiciel XLine ; - rejeter les demandes de la société Clecim en contrefaçon de marque ; Sur la concurrence déloyale et le parasitisme : - rejeter les demandes de la société Clecim en concurrence déloyale ou parasitaire ; A titre infiniment subsidiaire, sur le préjudice : - déclarer irrecevables les demandes indemnitaires de la société Clecim sur le fondement de la contrefaçon pour ne pas avoir distingué ses préjudices au titre de la contrefaçon de droit d'auteur d'une part, et au titre de la contrefaçon de marque d'autre part, - rejeter les demandes indemnitaires de la société Clecim sur le fondement de la concurrence déloyale ou parasitaire ; A titre reconventionnel : - condamner la société Clecim à lui payer la somme de 978.000 euros en réparation du préjudice causé par les actes de dénigrement et celle de 88.000 euros en réparation du préjudice causé par la procédure abusive ; - ordonner l'exécution provisoire sur ses seules demandes reconventionnelles ; En tout état de cause : - rejeter l'ensemble des demandes de la société Clecim à son encontre ; - condamner la société Clecim aux dépens, dont distraction au profit de Maître Desrousseaux en application de l'article 699 du code de procédure civile, et à lui payer la somme de 150.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 8. L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 avril 2022. MOTIVATION I - Sur la validité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 14 décembre 2018 et la demande consécutive d'écarter des débats les pièces no 23 à 27 et 41 Moyens des parties 9. La SAS Deepgray Vision fait valoir que le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 14 décembre 2018 doit être annulé compte-tenu de : - l'absence de preuve de la titularité de droits de la société Clecim sur le logiciel XLine lors de la requête ;- l'absence de caractérisation de l'originalité du logiciel XLine lui permettant de revendiquer un droit d'auteur au stade de la requête ;- l'absence de distinctivité des marques SIAS ; - la déloyauté dont a fait preuve la société Clecim dans la présentation des faits pour étayer ses soupçons de contrefaçon, au stade de ses requêtes en saisie-contrefaçon, en soutenant faussement que les employés de Deepgray Vision avaient nécessairement utilisé ses codes sources pour intervenir sur le logiciel installé chez la société Aperam et avaient utilisé des informations confidentielles et démarché des clients de leur ancien employeur.- si le tribunal devait considérer que la société Clecim était recevable à agir en contrefaçon des marques XLine, la nullité partielle du procès-verbal de saisie-contrefaçon concernera uniquement les opérations réalisées sur le fondement du logiciel XLine et des marques SIAS, à l'exclusion des marques XLine. 10. La SAS Clecim soutient que :- elle est titulaire des droits sur le logiciel XLine et en a justifié à la date de la requête en saisie-contrefaçon par les mentions sur les diverses versions du logiciel ;- elle a développé ce logiciel à partir de décembre 2001, bien avant d'être rachetée par la société Siemens AG, qui ne peut donc en être propriétaire ; - l'originalité de ce logiciel, développé sur 10 ans et ayant fait évoluer l'état de l'art, a été démontrée lors de la présentation de la requête en saisie-contrefaçon ;- sa présentation de ses soupçons dans la requête en saisie contrefaçon n'est aucunement déloyale ni mensongère, dès lors que l'intervention de la SAS Deepgray Vision chez la société Aperam est une opération de maintenance évolutive prohibée et nécessitait l'accès aux codes-source du logiciel ;- l'éventuelle nullité de l'un de ses titres ne saurait emporter nullité du procès-verbal de saisie contrefaçon, pas même partielle, car l'huissier n'a pas distingué les opérations en lien avec tel ou tel titre et le procès-verbal forme un tout indivisible. Réponse du tribunal 11. L'article L. 332-4 du code de la propriété intellectuelle dispose notamment : "La contrefaçon de logiciels et de bases de données peut être prouvée par tout moyen.A cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d'experts désignés par le demandeur, en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle du logiciel ou de la base de données prétendument contrefaisants ainsi que de tout document s'y rapportant. La saisie-description peut se concrétiser par une copie des logiciels ou des bases de données prétendument contrefaisants.La juridiction peut ordonner, aux mêmes fins probatoires, la description détaillée ou la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer un logiciel ou une base de données prétendument contrefaisants, ainsi que de tout document s'y rapportant." et l'article L. 722-4 prévoit les mêmes dispositions pour la preuve de la contrefaçon de marques. 12. L'absence de contradictoire et le caractère intrusif de la mesure de saisie-contrefaçon imposent que le requérant ne fasse pas une présentation déloyale des faits susceptibles d'influencer le sens de la décision qui sera rendue. Ce dernier se doit donc de porter à la connaissance du juge l'ensemble des éléments de droit et de faits utiles, afin de permettre à celui-ci de porter une appréciation éclairée sur la demande qui lui est soumise et d'ordonner une mesure proportionnée, en tenant compte des intérêts divergents du saisissant et du saisi. 13. En l'occurrence, à l'appui de ses requêtes des 21 et 25 novembre 2018, la société Clecim a présenté des éléments suffisants pour justifier de sa propriété du logiciel XLine par la production du cartouche de la version 5.1.2 de 2005 et de la version 9.3.4 de celui-ci sur laquelle figurait sa dénomination et d'offres commerciale et technique du 21 février 2006 à la société Ugine&ALZ (devenue Aperam ultérieurement) incluant la licence du logiciel XLine. 14. Il ne lui incombait pas, à ce stade, de justifier de l'originalité de ce logiciel, pas plus que de la validité de ses marques enregistrées. 15. S'agissant de la déloyauté de la présentation des faits à l'appui des requêtes des 21 et 25 novembre 2018, la société Clecim soutenait avoir découvert une intervention de maintenance de la société Deepgray Vision sur le logiciel XLine chez un de ses clients en novembre 2014 au cours de laquelle "les employés de la société Clecim ont nécessairement utilisé les codes sources de la requérante, strictement confidentiels, dont ils ont eu connaissance alors qu'ils étaient salariés de la requérante (Primetals). Plus spécifiquement, il était impossible pour la société Clecim de modifier activement la référence (numérotation et date) de la version du logiciel sans utiliser les codes sources de la requérante" et ajoutait qu'elle soupçonnait cette société, créée par trois de ses anciens salariés démissionnaires, de démarcher ses clients en contrefaisant ses droits d'auteurs sur le logiciels et ses marques XLine et SIAS. 16. A l'appui de ces affirmations, elle avait produit une attestation du 30 août 2018 de l'un de ses salariés, M. [M] [Y], relatant les circonstances dans lesquelles il avait découvert l'intervention de maintenance de la société Deepgray Vision en novembre 2014 sur le site de la société Aperam et indiquant "pour modifier cette partie, pour la compiler, il faut être muni des codes sources de XLine®. Ces codes sources sont la propriété de ma société et ne sont jamais donnés à nos clients. Pour que DEEPGRAY Vision puisse modifier cette partie, il a fallu que DEEPGRAY Vision soit en possession des codes sources du SlAS® et en plus les ait utilisés." 17. Or, la société Deepgray Vision produit à cet égard :- une expertise non contradictoire réalisée le 11 juin 2021 par M. [G] [U], expert en informatique inscrit sur les listes des cours d'appel de Paris et Versailles, selon laquelle les indications de version et de date sont des champs texte qui se modifient avec un éditeur de texte, "il n'est aucunement besoin d'intervenir sur les codes sources de XLine pour modifier les numéros de versions et de date affichés par le logiciel" et la société Clecim "avait largement les moyens de vérifier sa théorie de l'utilisation des codes sources" en comparant ses versions 7.7.1 et 7.7.2 avec celle trouvée chez la société Aperam ;- une attestation du 3 novembre 2021 de M. [O] [W], ingénieur ayant occupé des postes de direction à la société Clecim de janvier 2003 à juin 2010, selon laquelle un simple éditeur de textes permet de renseigner la date d'information, aux fins de traçabilité, que la société Clecim ne critique pas sur le fond. 18. Sur ce point, la société Clecim indique dans ses conclusions qu'elle a fourni avec la requête, à l'appui de l'utilisation des codes sources, "des éléments probants incluant mais ne se limitant pas à l'attestation de M. [Y]". Le tribunal observe cependant que, bien que la question soit abordée à deux reprises dans ses conclusions, elle procède par affirmations et ne vise aucune autre pièce probante. 19. Néanmoins, la société Clelim pouvait légitimement admettre l'exactitude des faits attestés par son préposé et l'absence de vérification technique de celle-ci au stade de la requête ne caractérise pas une présentation déloyale des faits au magistrat. 20. De plus, la requête invoquait également une intervention de mise à jour du logiciel XLine par la société Deepgray Vision ainsi que des faits de contrefaçon de ses marques XLine et SIAS, pour lesquels elle apportait des preuves raisonnablement accessibles qui suffisaient à justifier la saisie-contrefaçon telle qu'elle a été autorisée 21. Il n'y a donc pas lieu de prononcer l'annulation du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 14 décembre 2018. II - Sur la contrefaçon du droit d'auteur sur le logiciel XLine 1- Sur la titularité Moyens des parties 22. La SAS Clecim fait valoir que :- lorsqu'ils étaient ses salariés, MM [H], [J] et [N] ont développé ce logiciel, qui appartient donc à leur employeur ; - son nom a toujours figuré sur les différentes versions du logiciel XLine, développé en interne à partir de 2001,y compris sur deux offres commerciale et technique de février 2006 ;- elle est une filiale à 100 % de la société allemande Siemens AG depuis 2005, année où sa dénomination est devenue Siemens VAI Metals Technologies SAS, nom qui apparaît sur la version 7.7.1 du logiciel, et elle n'a jamais cédé ses droits d'auteur à sa maison-mère. 23. La SAS Deepgray Vision fait valoir que :- la présomption de titularité du droit d'auteur est écartée lorsqu'une oeuvre est exploitée sous le nom d'un tiers ; - les dénominations antérieures de la SAS Clecim sont VAI Clecim, SIEMENS VAI Metals Technologies SAS et Primetals Technologies France SAS ;- il est inscrit "© VAI Clecim (2006). All rights reserved" et "© VAI Clecim (2003) All rights reserved" sur les offres commerciales et techniques communiquées en pièces adverses no7 et 8 et "© Siemens AG 2010 Tous droits réservés" sur les versions 7.7.1 et 7.7.2 du logiciel XLine sur les pièces adverses no2 et 10 ; - la société Siemens AG est distincte de la société Clecim. Réponse du tribunal 24. L'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que "L'auteur, du seul fait de sa création jouit d'un droit de propriété sur celle-ci" et l'article L. 113-1 établit une présomption de qualité d'auteur à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée.L'article L. 113-9, alinéa1, du code de la propriété intellectuelle dispose : "Sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l'exercice de leurs fonctions ou d'après les instructions de leur employeur sont dévolus à l'employeur qui est seul habilité à les exercer." 25. La société Clecim verse aux débats (sa pièce no 36) une description des différentes versions du logiciel XLine entre le 19 décembre 2001 (version 1.0.0) - soit avant son immatriculation - et qui s'arrête le 2 décembre 2010 (version 8.0.2). 26. Sur les versions du logiciel XLine présentées dans les dossiers des parties apparaissent les mentions suivantes :5.1.2 sept 16 2005 XLine Copyright [c] 2002 Tous droits réservés par VAI SIAS6.0.0 nov 14 2005 XLine Copyright [c] 2005 Tous droits réservés par VAI Clecim6.4.1 aug 20 2006 XLine Copyright [c] 2005 Tous droits réservés par VAI Clecim7.7.1 jun 8 2010 XLine © Siemens AG 2010 Tous droits réservés7.7.2 aug 26 2011 XLine © Siemens AG 2011 Tous droits réservés9.3.1.2 nov 7 2014 XLine © Siemens SAS 2014 Tous droits réservés9.3.3 jan 28 2015 XLine © Siemens SAS 2014 Tous droits réservés9.3.1.2 mar 13 2015 XLine © Siemens SAS 2014 Tous droits réservés27. Elles indiquent explicitement que les droits sont réservés, au moins à compter du 8 juin 2010, non pas à la société VAI Clecim (immatriculée au RCS de Saint-Etienne sous le numéro 324 905 165 et dont la dénomination est devenue Siemens VAI Metals Technologies à compter du 3 novembre 2006), comme précédemment, mais à la société Siemens AG (société allemande enregistrée au tribunal d'instance de Munich) et, à partir au moins du 7 novembre 2014 à la SAS Siemens, ce qui signifie que ces droits ont été transférés. Le signe ©, pour copyright, vient renforcer ce sens, bien qu'il s'agisse d'une notion étrangère au droit français. 28. Quoiqu'interpellée sur ce point par les écritures adverses, la société Clecim ne produit aucun élément expliquant ces mentions si les droits sur le logiciel n'ont pas été cédés à ces entités, entretenant l'équivoque. 29. Au surplus, elle ne produit aucune pièce postérieure à février 2006 témoignant d'une exploitation du logiciel sous son nom. 30. Dans ces conditions, la société Clecim ne démontre pas qu'elle est titulaire des droits d'auteur sur logiciel XLine à la date des faits allégués de contrefaçon et ses demandes présentées sur ce fondement sont donc mal fondées. 2 - A titre superfétatoire sur la contrefaçon 31. Le droit d'auteur protège le code source, le code objet et le fichier exécutable des logiciels et l'article L.122-6 du code de la propriété intellectuelle en interdit la reproduction, l'adaptation et la vente non autorisées. 32. L'article L.122-6-1, I, du même code prévoit que : "Les actes prévus aux 1o et 2o de l'article L.122-6 ne sont pas soumis à l'autorisation de l'auteur lorsqu'ils sont nécessaires pour permettre l'utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l ‘utiliser, y compris pour corriger des erreurs. Toutefois, l'auteur est habilité à se réserver par contrat le droit de corriger les erreurs et de déterminer les modalités particulières auxquelles seront soumis les actes prévus aux 1o et 2o de l'article L.122-6, nécessaires pour permettre l'utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l'utiliser." 2. 1 - Sur la maintenance réalisée en novembre 2014 Moyens des parties 33. La SAS Clecim fait valoir que la société Deepgray Vision a commis des faits de contrefaçon de son logiciel lors des opérations de maintenance qu'elle a réalisées en novembre 2014 sur le site d'[Localité 6] de la société Aperam. En effet, pour utiliser à cette occasion la version 7.7.2 du logiciel XLine, elle l'avait nécessairement conservée frauduleusement car elle n'a pu la récupérer, comme elle le prétend, sur le site de [Localité 5] de la même société, dès lors, d'une part, qu'elle ne démontre pas avoir eu une mission sur ce site, et, d'autre part, que celui-ci disposait seulement de la version 7.5.0. Au surplus, même dans ce cas, elle n'avait aucun droit de copier cette version sur le site d'[Localité 6], les deux sites bénéficiant de licences distinctes. La société Deepgray Vision a effectué à cette occasion une opération de maintenance évolutive, la version 7.7.2 apportant des fonctionnalités complémentaires, des améliorations et des enrichissements par rapport à la version 7.7.1 et seul le titulaire d'une licence pouvait exécuter une opération de maintenance corrective. 34. La SAS Deepgray Vision oppose que les actes d'usage et de reproduction du logiciel XLine qui lui sont reprochés relèvent d'une opération de tierce maintenance corrective du logiciel XLine, parfaitement licite au regard de l'article L.122-6-1, I, du code de la propriété intellectuelle dès lors que Clecim ne s'est pas réservé par contrat la maintenance de son logiciel, que les dernières pièces produites ne démontrent pas que la version 7.7.2 n'avait pas été installée sur le site de [Localité 5] de la société Aperam, et que cette opération de tierce-maintenance n'a pas nécessité d'accéder et/ou d'intervenir sur le code source du logiciel XLine. Réponse du tribunal 35. La société Clecim a installé un système SIAS et le logiciel XLine sur le site d'[Localité 6] de la société Aperam selon son offre précitée du 21 février 2006 et indique être réintervenue en 2018.Il est constant que la société Deepgray Vision est intervenue en novembre 2014 auprès de la société Aperam et qu'il en a été fait un compte-rendu écrit dont il en ressort qu'elle a, à cette occasion, réalisé diverses prestations parmi lesquelles une "mise à jour software" permettant "de déporter vers l'appli Master la fonction de code CjP". 36. Aux termes de son offre à la société Ugine&ALZ (devenue Aperam), la société Clecim ne s'est pas réservé par contrat le droit de corriger les erreurs, ni de déterminer les modalités particulières pour la reproduction permanente ou provisoire du logiciel ni pour toute autre modification du logiciel en résultant au sens de l'article L.122-6-1, I, précité. Dès lors, la société Aperam était en droit de réaliser elle-même la maintenance du logiciel, et tout autant, contrairement à ce que soutient la société Clecim, de la faire réaliser par un tiers. 37. S'agissant du caractère curatif ou évolutif de l'intervention du 18 novembre 2014, la société Clecim soutient qu'elle a ajouté une nouvelle fonctionnalité au logiciel, réalisant ainsi une opération prohibée de maintenance évolutive, sur la seule base du compte-rendu d'intervention de la société Deepgray Vision indiquant que son intervention a permis de "déporter vers l'appli Master la fonction de sélection du code CJP (...) Cela permet de centraliser cette configuration au niveau de l'appli Master et de s'affranchir du bug perte des paramètres MIE". Or il ressort expressément de ces termes que le déport vers l'appli Master de la fonction de sélection du code CJP avait pour but de réparer un bug et d'assurer la stabilité du logiciel et non de lui ajouter une nouvelle fonctionnalité. Dès lors, cette pièce, non corroborée par une autre analyse ou un autre document technique, ne saurait justifier que l'intervention réalisée en novembre 2014 n'était pas nécessaire pour permettre l'utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l'utiliser, au sens de l'article L. 122-6.1 précité. 38. S'agissant de l'utilisation des codes sources, l'expert en informatique indépendant ayant assisté l'huissier durant les opérations de contrefaçon a déclaré "Les recherches en visuel et par mots clés n'ont pas permis de relever des éléments démontrant l'existence des sources d'une version du logiciel XLine ni même d'éléments constitutifs de ce logiciel". Ces déclarations ne sont pas réputées non écrites, comme le soutient la société Clecim, dès lors que les ordonnances ayant autorisé la saisie contrefaçon prévoyaient l'autorisation donnée à l'huissier de poser toutes question afin, notamment, "d'obtenir une copie des codes sources et des fichiers exécutables de la requérante que la société Deepgray Vision utilise en violation de ses droits" et que c'est dans ce cadre que s'inscrivaient les déclarations de l'expert précitées. 39. Par attestations des 29 et 30 août 2018, M. [M] [Y] et M. [K] [D], alors salariés de la demanderesse, ont relaté les conditions de leur intervention dans les locaux d'[Localité 6] de la société Aperam le 29 mai 2018 et le fait qu'il ont appris à cette occasion que la SAS Deepgray Vision avait procédé, en novembre 2014, à des opérations de maintenance du logiciel XLine installé en 2006 par leur société.M. [Y] a précisé qu'une modification de la fenêtre de la cartographie du logiciel avait été faite et que "pour modifier cette partie, pour la compiler, il faut être muni des codes sources de XLine®. Ces codes sources sont la propriété de ma société et ne sont jamais donnés a nos clients. Pour que Deepgray Vision puisse modifier cette partie, il a fallu que Deepgray Vision soit en possession des codes sources du SlAS® et en plus les ait utilisés. Ce qui n'aurait pas du être le cas." Outre l'affichage de la date et la version, M. [Y] ne mentionne aucune opération qui aurait requis l'utilisation des codes sources.Cette attestation, émanant d'un salarié, dépendant de la demanderesse, n'est pas corroborée par d'autres éléments ; elle est expressément contredite par deux pièces émanant de tiers décrites supra (avis de l'expert en informatique Aymaret attestation de M. [W]). Or, cet élément est le seul au dossier appuyant les affirmations de la société Clecim selon laquelle l'intervention de maintenance de novembre 2014 nécessitait de disposer des codes source du logiciel ou sa version 7.7.2. Dans ces conditions, la SAS Clecim ne rapporte pas la preuve de son allégation selon laquelle la SAS Deepgray Vision aurait utilisé les codes sources du logiciel XLine, ni qu'elle détenait frauduleusement la version 7.7.2 en novembre 2014. 40. Il n'est donc pas démontré de contrefaçon du logiciel XLine lors de l'opération de maintenance de novembre 2014. 2.2 - Sur la reproduction du logiciel XLine par le logiciel DGSIS Moyens des parties 41. La société Clecim fait valoir que :- la saisie-contrefaçon démontre que la société Deepgray Vision a intégré les codes source et fichiers exécutables de son logiciel dans son propre système d'inspection de surface (DGSIS) qu'elle a développé grâce au savoir-faire et aux éléments protégeables de son logiciel ;- le court délai durant lequel la SAS Deepgray Vision a mis au point son logiciel et le fait que M. [H] a eu accès à un projet de Siemens VAI avec ArcellorMittal en 2007 induit, de toute évidence, qu'elle a utilisé les informations confidentielles recueillies pour ses projets de 2012 et 2013 avec cette même société ;- les observations de l'huissier sur l'absence de similitude entre XLine et DGSIS constituent des appréciations de sa part qui sont réputées non écrites. 42. La société Deepgray Vision soutient que :- dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 14 décembre 2018, l'huissier et l'expert informatique relèvent expressément l'absence de détention du code source du logiciel XLine et l'absence de toute similitude de leur propre solution d'inspection automatique de surface avec ce logiciel ;- son dossier crédit impôt recherche, rédigé en 2013, décrit précisément le caractère obsolète des systèmes industriels alors disponibles sur le marché, dont celui de Clecim ;- le système qu'elle a développé est en tous points distinct du système de Clecim, notamment en termes d'architecture, d'électronique, de langage de programmation, de missions, de caméras et de protocoles ;- en cas de doute du tribunal quant à l'originalité de sa solution d'inspection automatique de surface, il y aurait lieu d'ordonner une expertise sur ce point ; Réponse du tribunal 43. C'est à juste titre que la société Deepgray Vision relève que les allégations de la société Clecim sur la contrefaçon du logiciel XLine par le logiciel DGSIS ne reposent sur aucune pièce probante et sont même expressément démenties par les observations de l'expert en informatique ayant assisté l'huissier durant les opérations de saisie contrefaçon. 44. En effet, celui-ci a déclaré "nous observons que la société Deepgray Vision développe une application en son nom, laquelle est réalisée sur d'autres technologies et langages de développement que ceux indiqués par Primetals". Ces déclarations ne sont pas réputées non écrites, comme le soutient la société Clecim, dès lors que les ordonnances ayant autorisé la saisie contrefaçon autorisaient l'huissier à poser toutes question afin, notamment, "d'obtenir une copie des codes sources et des fichiers exécutables de la requérante que la société Deepgray Vision utilise en violation de ses droits" et que c'est dans ce cadre que s'inscrivaient les déclarations de l'expert précitées. 45. Par ailleurs, il s'est écoulé un délai de 10 mois entre la création de la société Deepgray Vision et sa demande d'éligibilité au statut de jeune entreprise innovante et de crédit impôt recherche. En février 2013, l'administration fiscale, notamment sur la base d'un avis du 11 février 2013 du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, a fait droit à cette demande.Il ressort expressément de cet avis - et de la copie du dossier que la société Deepgray Vision verse aux débats - qu'elle avait engagé 170.000 euros de dépenses de recherche en 2012 pour le recueil de données et que les travaux, notamment de détermination de nouveaux algorithmes, devaient être poursuivis en 2013, de sorte que le logiciel DGSIS n'était aucunement créé et ni développé à cette date. Il en ressortait également l'état de l'art et les défauts des systèmes industriels présents sur le marché (parmi lesquels celui de la demanderesse). 46. Il ne saurait donc en être déduit une quelconque contrefaçon du logiciel XLine et il s'en évince, au contraire, qu'il s'agit d'une solution innovante.La société Clecim ne produisant aucun autre argument, ses allégations de contrefaçon ne sont donc pas établies, sans qu'il y ait lieu d'ordonner une mesure d'instruction sur ce point. 47. Les demandes de réparation et d'interdiction de faire usage du logicielXLine sont rejetées.Par ailleurs, la demande de la société Clecim tendant à interdire à la société Deepgray Vision "toute activité liée à l'inspection de surface" n'est justifiée ni en droit ni en fait et sera également rejetée. III - Sur la contrefaçon des marques XLine et SIAS 1- Sur les titres Moyens des parties 48. La SAS Deepgray Vision fait valoir que la SAS Clecim ne fournit qu'une impression d'écran de la base marque de l'INPI pour les marques françaises SIAS no3391684 et XLine no3391687, et des extraits détaillés du registre de l'OMPI s'agissant des marques internationales SIAS no901 808 et XLine no901 458, et pas de certificat d'enregistrement, seul document susceptible de lui donner qualité pour agir en contrefaçon de marque, de sorte qu'elle n'a pas qualité pour agir. 49. La SAS Clecim soutient que les photocopies du Bulletin officiel de la propriété industrielle délivrées par l'OMPI, tout comme les extraits de la base officielle de l'INPI sont probants. Réponse du tribunal 50. La société Clecim produit deux extraits du Bulletin officiel de la propriété industrielle du 7 novembre 2005 et deux résultats de recherches sur le site de l'INPI en date du 1er septembre 2019 qui font apparaître :- une marque SIAS déposée par la SAS VAI Clecim le 7 novembre 2005 dans les classes 7, 9 et 11 sous le numéro 05 3 391 684,- une marque XLine déposée par la SAS VAI Clecim le 7 novembre 2005 dans les classes 7, 9 et 11 sous le numéro 05 3 391 687,pour divers produits et services parmi lesquels les appareils d'inspection de surface, appareils de détection de défauts pour les produits métallurgiques et sidérurgiques et les logiciels et leur renouvellement à la date du 1er septembre 2019. 51. Les extraits du registre international des marques versés aux débats attestent de l'enregistrement:- le 26 avril 2006, sous le numéro 901 458, au nom de la SAS VAI Clecim (puis Siemens VAI Metals Technologies à partir du 3 décembre 2014, puis Primetals Technologies France à partir du 7 janvier 2016) de la marque XLine dans les classes 9 (appareils d'acquisition d'images) et 42 (programmation par ordinateur), sur la base d'un enregistrement en France du 21 avril 2006 sous le numéro 05/3391687, et renouvelé le 26 avril 2016, désignant la Chine, la Communauté européenne et les Etats-Unis d'Amérique ;- le 26 avril 2006, sous le numéro 901 808, au nom de la SAS VAI Clecim (puis Siemens VAI Metals Technologies à partir du 5 décembre 2007, puis Primetals Technologies France à partir du 7 janvier 2016) de la marque SIAS dans les classes 7 (machines), 9 (appareils d'acquisition d'images), 11 (rampes d'éclairage à diodes électroluminescentes) et 42 (programmation par ordinateur), sur la base d'un enregistrement en France du 21 avril 2006 sous le numéro 05/3391684, et renouvelé le 26 avril 2016, désignant la Chine, la Communauté européenne et les Etats Unis d'Amérique. 52. La titularité de ces marques est donc suffisamment démontrée sans qu'il y ait lieu d'exiger un certificat d'enregistrement. 2- Sur le caractère distinctif de la marque SIAS Moyens des parties 53. La SAS Deepgray Vision fait valoir que :- le signe SIAS est un acronyme des termes Système d'Inspection Automatique de Surface et constitue lui-même un terme générique dans le secteur des équipements et logiciels pour la métallurgie, couramment utilisé par les acteurs du secteur de la métallurgie depuis de nombreuses années, en France comme à l'étranger ; - son utilisation du terme SIAS de manière usuelle, notamment dans ses échanges d'emails avec ses clients et prospects, ne constitue pas une contrefaçon des marques SIAS. 54. La SAS Clecim soutient que :- le terme générique est "système automatique d'inspection de surface" dont l'acronyme est SAIS, et non "système d'inspection automatique de surface", - la marque SIAS est distinctive par son usage et par les produits et services qu'elle désigne. Réponse du tribunal 55. La marque internationale SIAS désigne l'Union européenne et la liste des produits et services associés a été réduite aux produits décrits dans les classes 7, 9 et 11, les services de la classe 42 ayant été supprimés. 56. L'article 189 du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne dispose que : "Tout enregistrement international désignant l'Union produit, à compter de la date d'enregistrement visée à l'article 3, paragraphe 4, du protocole de Madrid ou de la date d'extension postérieure à l'Union prévue à l'article 3 ter, paragraphe 2, du protocole de Madrid, les mêmes effets qu'une demande de marque de l'Union européenne." et l'article 198, 1, que la nullité des effets d'un enregistrement international désignant l'Union peut être prononcée.L'article 14 du même règlement prévoit : "1. Une marque de l'Union européenne ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires: (...) b) de signes ou d'indications qui sont dépourvus de caractère distinctif ou qui se rapportent à l'espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l'époque de la production du produit ou de la prestation du service ou à d'autres caractéristiques de ceux-ci;(...) 2. Le paragraphe 1 ne s'applique que lorsque l'usage par le tiers est fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale."L'article L.711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable à la date d'enregistrement de la marque, disposait : "Le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie à l'égard des produits ou services désignés.Sont dépourvus de caractère distinctif :a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation de service ;c) Les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.Le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c, être acquis par l'usage." 57. Il résulte des pièces du dossier que l'inspection de surface consiste dans la détection de défauts pour les produits métallurgiques et sidérurgiques. 58. La société Deepgray Vision verse aux débats notamment :- un brevet international déposé le 26 septembre 2003 intitulé "Procédé et dispositif de contrôle de positionnement dans un système d'inspection automatique de surface" dont la description indique notamment "la technique connue d'inspection automatique de surface concernée par la présente invention, que l'on dénommera par la suite la technique SIAS",- un article de la revue de Métallurgie d'octobre 1996 intitulé "Système d'inspection automatique de surface SIAS" débutant par "Sollac, l'Irsid et MCS Matra ont développé en commun un système d'inspection automatique défauts de surface à grande vitesse de traitement",- une présentation interne de la société Arcellor du 12 mai 2005 relative aux "contrats de maintenance des SIAS", énumérant plusieurs systèmes existant,ainsi que plusieurs pièces postérieures démontrant l'utilisation courante de l'acronyme SIAS pour désigner les systèmes d'inspection automatiques de surface, à sa voir des systèmes de détection des défauts mécaniques par un ensemble composé d'un éclairage de la bande, de l'enregistrement par caméras et du traitement par informatique des données pour repérer les défauts. 59. La société Clecim, pour sa part, ne verse aucune pièce utilisant l'acronyme SAIS ou la locution "système automatique d'inspection de surface" dont elle prétend qu'elle est la désignation générique de ce système. 60. Dès lors, il y a lieu de retenir, au vu des références précitées et des pièces émanant d'au moins trois grands acteurs du secteur de l'industrie métallurgique, que les systèmes d'inspection des pièces similaires à celui de la société Clecim sont désignés de façon générique par l'acronyme SIAS, et que son usage, pour désigner les mêmes produits et services que ceux des dépôts de la marque SIAS par la SAS VAI Clecim (machines, appareils d'acquisition d'images, rampes d'éclairage à diodes électroluminescentes et programmation par ordinateur), préexistait à ce dépôt. 61. La société Clecim n'apporte pas plus de justification à son affirmation selon laquelle sa marque a acquis un caractère distinctif par l'usage et celle-ci est manifestement contredite par les différentes pièces produites datant de l'année 2019 et utilisant le l'acronyme SIAS dans l'acception ci-dessus décrite et non pour désigner le système de la société Clecim. 62. Dans ces conditions, la marque française SIAS numéro 05 3 391 684 déposée par la SAS VAI Clecim le 7 novembre 2005 est nulle et l'enregistrement de la marque internationale, en tant qu'elle désigne l'Union l'Union européenne, est de nul effet pour défaut de distinctivité pour l'ensemble des produits visés aux dépôts. 63. Il y a donc lieu de prononcer leur annulation et de rejeter les demandes fondées sur sa contrefaçon. 3- Sur la contrefaçon de la marque XLine Moyens des parties 64. La SAS Clecim soutient que :- la SAS Deepgray Vision a utilisé et reproduit la marque XLine dans "ses différentes propositions commerciales" saisies ;- il existe une double identité de signe et de produit ;- cette reproduction pour des produits et services similaires porte atteinte à la fonction essentielle de la marque en ce qu'elle laisse croire que la société Deepgray Vision est sa successeure ;- il ne s'agit aucunement d'une référence nécessaire pour indiquer la destination du produit. 65. La SAS Deepgray Vision fait valoir qu'elle n'a utilisé les marques SIAS et XLine qu'à titre de référence nécessaire pour désigner le système et le logiciel éponyme, en particulier pour satisfaire aux demandes de maintenance de ces éléments qui émanent de ses clients et elle ne les a jamais reproduites. Réponse du tribunal 66. L'article 14 du règlement (UE) 2017/1001 précité prévoit : "1. Une marque de l'Union européenne ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires:(...) c) de la marque de l'Union européenne pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque, en particulier lorsque l'usage de cette marque est nécessaire pour indiquer la destination d'un produit ou d'un service, notamment en tant qu'accessoire ou pièce détachée.2. Le paragraphe 1 ne s'applique que lorsque l'usage par le tiers est fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale."L'article L. 713-6, I, 3o, du code de la propriété intellectuelle prévoit: "Une marque ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires, conformément aux usages loyaux du commerce, (...) de la marque pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque, en particulier lorsque cet usage est nécessaire pour indiquer la destination d'un produit ou d'un service, notamment en tant qu'accessoire ou pièce détachée." 67. En l'occurrence, la société Clecim n'a pas cru bon de viser précisément les pièces démontrant la contrefaçon de la marque XLine.Il résulte des pièces saisies (communiquées sous le no25 dans les pièces de la demanderesse) que le terme "XLine" figure 9 fois dans 7 courriels émanant de M. [H] de la société Deepgray Vision et sert à chaque fois à désigner le système équipant le client comme accessoire de la prestation de maintenance.Dans toutes ces hypothèses, il s'agissait d'un usage nécessaire pour désigner le produit du titulaire de la marque sans aucune mention de nature à laisser croire que la société Deepgray Vision succédait à la société Clelim. 68. La contrefaçon de la marque, ni la moindre atteinte à celle-ci, n'est donc pas démontrée et il y a lieu de rejeter les demandes de la société Clecim de ce chef. IV - Sur la concurrence déloyale et parasitaire Moyens des parties 69. La SAS Clecim soutient que :- la SAS Deepgray Vision s'est appropriée sa notoriété et le succès des produits qu'elle commercialise et a détourné la clientèle qui lui était traditionnellement attachée ;- la SAS Deepgray Vision a commis les manoeuvres suivantes : utilisation d'informations confidentielles, commercialisation d'un logiciel prétendument nouveau, démarchage de ses clients, utilisation des marques, valorisation de l'expérience acquise alors que les fondateurs étaient ses salariés. 70. La SAS Deepgray Vision fait valoir que :- aucune des pièces adverses n'établit d'acte de concurrence déloyale et/ou parasitaire qui lui soit imputable ;- aucun de ses fondateurs n'était lié à la société Clecim par une clause de non-concurrence lorsque s'est déroulée l'opération de tierce maintenance litigieuse, en novembre 2014 ;- elle ne procède à aucune publicité mensongère sur son site Internet et n'a jamais indiqué à ses clients que la société Clecim ne maintenait plus ses systèmes ;- la solution qu'elle commercialise a été développée de façon autonome et indépendante, sur plus d'une année, en rupture avec l'état de l'art existant alors en la matière ;- la simple détention / information sur les tarifs de sa concurrente ne constitue pas un acte de concurrence déloyale en l'absence de preuve d'une utilisation de ces informations pour pratiquer des tarifs systématiquement plus bas ;- ce sont les clients de la société Clecim eux-mêmes qui font appel à elle (et non l'inverse). Réponse du tribunal 71. La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité édicté par l'article 1240 du code civil, consiste dans des agissements s'écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans les activités économiques et régissant la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre opérateur, ceux parasitaires visant à s'approprier de façon injustifiée et sans contrepartie une valeur économique résultant d'un savoir-faire, de travaux ou d'investissements ou encore, ceux constitutifs d'actes de dénigrement ou de désorganisation d'une entreprise. 72. Il est constant que les fondateurs de la société Deepgray Vision sont d'anciens salariés de la société Clecim, démissionnaires en 2011, et non liés par une clause de non concurrence. Il n'est pas contesté que la démission des fondateurs de la société Deepgray Vision était motivée par la fermeture de l'établissement de [Localité 7] dans lequel ils étaient employés, et non par un projet personnel de création d'entreprise. 73. Aucune des pièces versées aux débats ne corrobore les manoeuvres énumérées par la société Clecim. Au contraire les pièces recueillies dans le cadre de la saisie-contrefaçon accréditent les affirmations de la société Deepgray Vision sur le fait qu'aucune information confidentielle n'a été exploitée, que le système Deepgray fonctionne avec une technologie différente du système SIAS de la société Clecim et qu'aucune confusion n'a été entretenue entre la société Deepgray Vision et la société Clecim, la première tendant au contraire à se démarquer de la seconde. 74. Il est certain que les fondateurs de la société Deepgray Vision ont valorisé, notamment, leur expérience acquise alors qu'ils étaient les salariés de la société Clecim et qu'ils ont approché ou été approchés par ses anciens clients.Pour autant cette valorisation d'expérience est parfaitement légitime et ne saurait être reprochée ni être qualifiée d'agissement s'écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle. Quant au démarchage d'anciens clients, corollaire du principe de liberté du commerce, il n'est pas plus contraire à lui seul aux usages de la vie des affaires. 75. La concurrence déloyale n'étant pas établie, il y a lieu de rejeter les demandes de ce chef. V . Sur les demandes reconventionnelles 1- Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour dénigrement Moyens des parties 76. La SAS Deepgray Vision fait valoir que :- en janvier 2019 les dirigeants de Clecim se sont livrés à une véritable campagne de dénigrement à son encontre, présentant la contrefaçon comme avérée, alors qu'il n'existait qu'une ordonnance de saisie-contrefaçon non-publique et non-contradictoire ;- la SAS Clecim a cherché par ses agissements à dissuader leurs clients communs de contracter avec elle, voire même de remettre en cause les contrats déjà conclus et a été condamnée par ordonnance de référé du 19 mars 2019 à cesser ce dénigrement sous astreinte de 5.000 euros par infraction considérée ;- ce dénigrement a nécessité beaucoup d'énergie et de temps à rassurer les clients et lui a fait perdre la clientèle de son principal client, le groupe ArcelorMittal, avec lequel elle réalisait alors 71% de son chiffre d'affaires, et qui a suspendu leur collaboration du fait de la présente procédure. 77. La SAS Clecim soutient que : - les termes de sa lettre du 22 janvier 2019 étaient modérés et non péremptoires, faisant état d'une décision qui, quoique non contradictoire, n'en était pas moins publique ;- il n'est pas démontré que les destinataires de la lettre auraient, à la suite de sa réception, interrompu toute relation commerciale avec la SAS Deepgray Vision ;- il n'existe aucun lien de causalité entre la prétendue décision d'Arcelor Mittal d'arrêter les nouvelles commandes auprès de la SAS Deepgray Vision et sa prétendue perte de chiffre d'affaires ;- en 2016, soit seulement trois ans après sa création, la SAS Deepgray Vision réalisait déjà un chiffre d'affaires de 285.000 euros, soit la moitié du chiffre d'affaires de Clecim ; dès 2017, elle réalisait le même chiffre d'affaires que Clecim, pour le dépasser en 2018, et presque le doubler en 2019, tandis que la chute en 2020 s'explique par la crise sanitaire due au Covid-19 ainsi. Réponse du tribunal 78. Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié et se distingue de la critique dans la mesure où il émane d'un acteur économique qui cherche à bénéficier d'un avantage concurrentiel en jetant le discrédit sur son concurrent ou sur les produits de ce dernier. 79. Comme l'a constaté le juge des référés du tribunal de commerce de Bobigny dans son ordonnance du 19 mars 2019, la société Clecim a diffusé une lettre circulaire du 22 janvier 2019, notamment à la société ArcellorMittal le 24 janvier 2019, rédigée en anglais et dont la traduction - non contestée - démontre qu'elle est intitulée "Détournement et contrefaçon des droits de propriété intellectuelle de Primetals sur la technologie SIAS" et indique notamment que "le 21 novembre 2018, un tribunal français, accédant à notre requête, a admis le détournement et la contrefaçon potentiels de nos droits de propriété intellectuelle par cette société" et"Par les présentes, nous souhaitons officiellement informer votre société que, sur la base des éléments de preuve pertinents collectés, Primetals a initié, le 11 janvier 2019 une procédure judiciaire à l'encontre de la société Deepgray Vision afin de faire cesser définitivement le détournement et la contrefaçon de la propriété intellectuelle de Primetals et de prévenir tout risque pour nos clients en relation d'affaires avec cette société, dans le domaine de l'inspection de surface". 80. Il résulte de cette lettre, que la société Clecim qualifie elle-même de "communiqué", qu'elle a présenté à plusieurs clients comme acquis en justice le principe d'une contrefaçon par la société Deepgray Vision, sans user du conditionnel, seul l'adjectif "potentiel" venant nuancer légèrement le propos. Elle tendait également à dissuader ses destinataires, parmi lesquels la société ArcelorMittal, de poursuivre leurs relations avec à la société Deepgray Vision et donc de déstabiliser ce nouveau concurrent, en lui faisant perdre la clientèle d'un acteur majeur du secteur. 81. Bien qu'il ne soit pas nécessaire que l'information divulguée soit fausse pour caractériser le dénigrement, le tribunal observe en l'occurrence que la société Clelim ne pouvait ignorer à cette date que la saisie contrefaçon avait montré, d'une part, que la société Deepgray Vision ne détenait pas de copie, même partielle, du logiciel XLine et, d'autre part, qu'elle avait développé un système d'inspection de surface différent. 82. Ce procédé peut être qualifié de dénigrement et s'écarte des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans les activités économiques et régissant la vie des affaires. 83. La société Deepgray Vision démontre que, dès réception de cette lettre, par courriel du 24 janvier 2019, le vice-président de la société Arcelor Mittal a donné instruction aux services achats du groupe de suspendre toute nouvelle activité avec elle et de signaler tous les contrats en cours dont la suspension pourrait devenir nécessaire. 84. Il en résulte qu'elle a dû essayer de rassurer ses interlocuteurs et argumenter pour tenter de redresser la situation.Elle démontre également par une attestation circonstanciée de la société d'expertise comptable Exponens du 23 mars 2022 que :- ce client représentait alors 70 % de son chiffre d'affaires,- celui-ci, qui était en forte hausse depuis 2016 (de 285.000 euros à 764.000 euros en 2018) a diminué sensiblement en 2019 (711.000 euros), a été réduit à néant en 2020 et ressortissait à 152.200 euros en 2021,- que son taux de marge nette était de 35 % en 2017, 52 % en 2018 et 46 % en 2019. 85. C'est à juste titre que la société Clecim fait observer que la pandémie de Covid-19 survenue en 2020 est à l'origine d'une suspension de l'activité d'Arcelor Mittal, de sorte que le chiffre d'affaire de 2020 ne saurait être expliqué par l'effet négatif du dénigrement opéré. En revanche, la baisse de l'activité de 2019 avec cette société apparaît directement corrélée avec celui-ci. 86. Au regard de ces éléments et de l'activité de la société, il y a lieu de fixer à 100.000 euros le montant de la réparation des actes de concurrence déloyale et de condamner la société Clecim à payer cette somme à la société Deepgray Vision. 2 - Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive Moyens des parties 87. La SAS Deepgray Vision fait valoir que la société Clecim a abusé de son droit d'agir en ce que :- la présente procédure a été engagée dans le seul but de lui nuire afin de l'écarter du marché de l'inspection de surface, comme en témoignent le montant exorbitant des demandes indemnitaires destinées à la mener à la ruine et son instrumentalisation pour ternir sa réputation et son image sur le marché de l'inspection de surface ;- les griefs de contrefaçon n'ont aucun fondement ni aucune base factuelle autre qu'une unique attestation d'un salarié. 88. La SAS Clecim soutient qu'il n'existe aucun abus de sa part du droit d'agir en justice. Réponse du tribunal 89. Le droit d'agir en justice participe des libertés fondamentales ; il est néanmoins susceptible de dégénérer en abus et toute faute dans l'exercice des voies de droit est susceptible d'engager la responsabilité des plaideurs. 90. En l'espèce, la société Clecim a entrepris une saisie-contrefaçon sur la seule base de l'attestation de l'un de ses salariés selon laquelle, à l'occasion d'une intervention de maintenance antérieure de 4 ans, la société Deepgray Vision aurait utilisé les codes-source du logiciel XLine ainsi qu'en témoignait la modification de la version et la date du logiciel.Elle a aussitôt diffusé auprès de leurs clients communs l'existence de cette procédure ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus. 91. Dans l'instance au fond, outre de nombreux jugements de valeur négatifs, et en dépit des maigres résultats de la saisie-contrefaçon, elle a soutenu péremptoirement des arguments dont elle ne pouvait ignorer la faiblesse et qu'elle s'est dispensée de démontrer techniquement (sur l'utilisation des codes source du logiciel XLine par la société Deepgray Vision, sur la similarité logiciels XLine et DGSIS et sur le caractère descriptif du terme SIAS) à l'appui de demandes financières considérables (des millions d'euros de dommages-intérêts et des astreintes élevées, sans la moindre pièce attestant des dommages allégués) et l'interdiction pure et simple pour la société Deepgray Vision d'exercer "toute activité liée à l'inspection de surface". 92. Le tribunal observe au surplus que la société Clecim a rejeté sans contreproposition l'offre transactionnelle de la société Deepgray Vision de mai 2019 et s'est déclarée défavorable à une mesure de médiation proposée par le tribunal. 93. Ces éléments caractérisent de la part de la société Clélim d'une intention de nuire à la société Deepgray Vision et de détourner le but de l'action en justice, faisant dégénérer en abus son droit d'agir. 94. Il y a lieu de la condamner à payer à la société Deepgray Vision la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice en résultant. VI . Sur les autres demandes 95. La société Clecim, qui succombe, est condamnée aux dépens de l'instance et à payer à la société Deepgray Vision la somme de 40.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS Le Tribunal, REJETTE la demande d'annulation du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 14 décembre 2018 ; DÉBOUTE la société Clecim de l'ensemble de ses demandes au titre de la contrefaçon du logiciel XLine ; PRONONCE la nullité de la marque française SIAS déposée le 7 novembre 2005 dans les classes 7, 9 et 11 sous le numéro 05 3 391 684 ; PRONONCE la nullité de s effets de l'enregistrement la marque internationale SIAS sous le numéro 901 808 en ce qu'il désigne l'Union européenne ; REJETTE l'ensemble des demandes de la société Clecim au titre de la contrefaçon de la marque XLine ; REJETTE l'ensemble des demandes de la société Clecim au titre de la concurrence déloyale ; CONDAMNE la société Clecim à payer à la société Deepgray Vision la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale ; CONDAMNE la société Clecim à payer à la société Deepgray Vision la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ; CONDAMNE la société Clecim aux dépens de l'instance, qui pourront être recouvrés par Me Desrousseaux en application de l'article 699 du code de procédure civile ; CONDAMNE la société Clecim à payer à la société Deepgray Vision la somme de 40.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; RAPPELLE que l'exécution provisoire est de droit. Fait et jugé à Paris le 25 Novembre 2022 Le Greffier La PrésidenteQuentin CURABET Irène BENAC
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JURITEXT000047324639
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 8 décembre 2022, 20/09239
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2022-12-08
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/09239
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CT0087
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 20/09239 No Portalis 352J-W-B7E-CS2UV No MINUTE : Assignation du :29 septembre 2020 JUGEMENT rendu le 08 décembre 2022 DEMANDERESSE S.A.R.L. NEXTONE RESIDENCE[Adresse 4][Localité 2] représentée par Me Eléonore GASPAR de la SELARL DUCLOS THORNE MOLLET-VIEVILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P75 DÉFENDERESSES S.A.S. HELIONWOOD[Adresse 3][Localité 2] S.A.S. HOTEL DUPLEIX SUFFREN[Adresse 1][Localité 2] représentées par Me Constance MONOD de l'AARPI VALMY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0386 COMPOSITION DU TRIBUNAL Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeElodie GUENNEC, Vice-présidenteMalik CHAPUIS, Juge, assistés de Caroline REBOUL, Greffière DEBATS A l'audience du 20 septembre 2022 tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que la décision serait rendue le 17 novembre 2022.Le délibéré a été prorogé au 08 décembre 2022. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE : 1. La société Nextone Résidence est spécialisée dans l'exploitation immobilière notamment de résidences hôtelières. Elle exploite depuis 2013 un hôtel classé 5 étoiles dénommé "Marquis Faubourg Saint-honoré", situé dans le [Localité 2]. Aux fins de cette exploitation elle a déposé les marques françaises suivantes désignant les services d'hôtellerie et de restauration en classe 43 : - la marque verbale no3815966 "Marquis" déposée le 20 mars 2011; - la marque verbale no3941569 "Marquis Faubourg Saint-honoré" déposée le 23 août 2012 ;- la marque semi-figurative no3865066 "Marquis Cur Non" déposée le 7 octobre 2011 : 2. La société Helionwood est la holding d'un groupe spécialisé dans le domaine de l'hôtellerie désigné sous le signe "Inwood Hotels". Elle est la mère de la société Hôtel Dupleix Suffren, immatriculée en 2001, laquelle exploite depuis 2008 un hôtel (classé 4 étoiles) dénommé "Le Marquis" situé dans le [Localité 2], cette dénomination étant protégée par les marques verbales françaises suivantes, déposées le 10 juin 2015 et enregistrée le 2 octobre suivant, pour désigner les services de publicité en classe 35, d'affaires immobilières et de gestion financière en classe 36 et d'hôtellerie et restauration en classe 43 : "Marquis" no4187747, "Marquis Hôtel" no4187746, "Le Marquis Hôtel" no4187741, "Hôtel Marquis" no4187756, "Hôtel Le Marquis" no4187760, "Marquis Effeil" no4187750, "Le Marquis Effeil" no4187751 et "Hôtel Le Marquis Effeil" no4187764. 3. Par une lettre du 28 juillet 2020, la société Helionwood a mis en demeure la société Nextone Résidence de cesser tous usages du signe "Le Marquis", celle-ci exposant avoir découvert en 2020 l'existence de cet établissement hôtelier concurrent portant le même nom. 4. Considérant de son côté que la société Helionwood était forclose à contester la validité de ses marques au regard de leur exploitation publique et continue et qu'elle ne pouvait justifier de l'usage d'un nom commercial antérieur, la société Nextone Résidence a, par une lettre du 19 août 2020, parallèlement mis en demeure la société Helionwood de cesser l'utilisation du signe "Le Marquis" et de retirer l'ensemble des marques françaises précitées déposées en 2015. 5. C'est dans ce contexte que, par actes d'huissier en date du 29 septembre 2020, la société Nextone Résidence a fait assigner les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren devant le tribunal judiciaire de Paris, en nullité des marques "Marquis" no4187747, "Marquis Hôtel" no4187746, "Le Marquis Hôtel" no4187741, "Hôtel Marquis" no4187756, "Hôtel Le Marquis" no4187760, "Marquis Effeil" no4187750, "Le Marquis Effeil" no4187751 et "Hôtel Le Marquis Effeil" no4187764 ainsi qu'en contrefaçon et concurrence déloyale et parasitaire. 6. Par une ordonnance du 9 juillet 2021, le juge de la mise en état a notamment : - DIT la société Helionwood irrecevable en ses demandes en nullité des marques Marquis et Marquis Faubourg-Saint Honoré fondées sur le nom commercial " Le Marquis " (seule la société Hôtel Dupleix Suffren étant recevable à invoquer l'usage du nom commercial "Le Marquis" tandis que l'effectivité de cet usage est un moyen de fond) ; - DIT la société Helionwood irrecevable en ses demandes en concurrence déloyale fondée sur le nom commercial "Le Marquis"; - DIT que les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren sont irrecevables en leurs demandes du fait de la forclusion par tolérance du fait de leur connaissance de l'usage des marques no3815966, no39411569 et no3865066 de la société Nextone depuis plus de 5 années. 7. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 19 janvier 2022, la société Nextone Résidence demande au tribunal de : A titre liminaire, - DÉCLARER irrecevables et en tout état de cause mal fondées l'ensemble des demandes de Hôtel Dupleix Suffren tendant à voir interdire l'usage du signe " Marquis" par Nextone, - DÉCLARER irrecevables et en tout état de cause mal fondées les demandes en concurrence déloyale de Hôtel Dupleix Suffren fondée sur le nom commercial " Le Marquis " ; - DÉCLARER irrecevables et en tout état de cause mal fondées les demandes de Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren tendant à contester la validité des marques de Nextone ainsi que leurs usages; En tout état de cause, - DIRE que Hôtel Dupleix Suffren n'a pas de droit antérieur sur le nom commercial " LE MARQUIS "; - CONSTATER les droits antérieurs de Nextone sur les marques "Marquis " no3815966 et " Marquis Faubourg Saint Honore " no39411569 ; - CONSTATER l'absence de risque de confusion entre la marque no 3865066 et le nom commercial " Le Marquis " ; En conséquence, - DÉBOUTER Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren de leur demande en illicéité des marques no3815966 et Marquis Faubourg-saint Honore no39411569 ; - DÉBOUTER Hôtel Dupleix Suffren de ses demandes en concurrence déloyale et parasitisme. - DÉBOUTER Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren de leur demande pour procédure abusive ; - DÉBOUTER Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren de leur demande en publication du jugement ; - JUGER qu'en utilisant le signe "Le Marquis" pour des services hôteliers, la société Helionwood et la société Hôtel Dupleix Suffren ont commis des actes de contrefaçon de marque "Marquis" no3815966 et de la marque "Marquis Faubourg Saint-honore" no39411569 et ont porté atteinte aux noms commerciaux de Nextone ; - INTERDIRE à la société Helionwood et la société Hôtel Dupleix Suffren sous astreinte de 1000€ par jour de retard dans un délai de 15 jours calendaires à compter de la signification du jugement à intervenir, l'exploitation à quelque titre que ce soit, du signe " Le Marquis " ; - JUGER qu'en déposant les marques Marquis no4187747, Marquis Hôtel no4187746, Le Marquis Hôtel no4187741, Hôtel Marquis no4187756, Hôtel Le Marquis no4187760, Hôtel Marquis Effeil no4187753, Marquis Effeil no4187750, Le Marquis Effeil no4187751 et Hôtel Le Marquis Effeil no4187764 le 10 Juin 2015, la société Helionwood a porté atteinte aux marques Marquis No3815966 et Marquis Faubourg Saint-honore no39411569 et a porté atteinte aux noms commerciaux de Nextone ; - ANNULER en conséquence les marques Marquis No4187747, Marquis Hôtel No4187746, Le Marquis Hôtel No4187741, Hôtel Marquis No4187756, Hôtel Le Marquis No4187760, Hôtel Marquis Effeil No4187753, Marquis Effeil No4187750, Le Marquis Effeil No4187751 et Hôtel Le Marquis Effeil No4187764, de la société Helionwood ; - INSCRIRE le jugement au Registre national des marques ; - CONDAMNER solidairement la société Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren à verser à Nextone la somme de 50.000 Euros ; - ORDONNER la publication du jugement à intervenir, constatant la contrefaçon commise par la société Helionwood et la société Hôtel Dupleix Suffren au détriment de la société Nextone, dans trois publications au choix de la demanderesse, dans la limite de 1000€, par publication ; - DIRE que les condamnations porteront sur tous les faits illicites commis jusqu'au jour du prononcé du jugement à intervenir ; - CONDAMNER solidairement la société Helionwood et la société Hôtel Dupleix Suffren à payer à la société Nextone la somme de 20.000€ à titre de remboursement des peines et soins du procès, conformément à l'article 700 du code de procédure civile ; - CONDAMNER solidairement la société Helionwood et la société Hôtel Dupleix Suffren aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de la Selarl Duclos Thorne Mollet-Vieville & Associés, avocat aux offres de droit, conformément à l'article 699 du code de procédure civile. 8. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 13 janvier 2022, les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren demandent au tribunal de : - DIRE que la société Hôtel Dupleix Suffren exploite de manière continue, paisible, non-équivoque et publique la dénomination commerciale "Le Marquis " depuis 2001 et qu'elle possède ainsi un droit privatif antérieur ; En conséquence, - DÉBOUTER la société Nextone Résidence de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ; A titre reconventionnel, - DIRE que la société Nextone Résidence a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire en reprenant fautivement le nom commercial antérieure "Le Marquis" exploitée par la Société Hôtel Dupleix Suffren ; - INTERDIRE à la société Nextone Résidence toute utilisation, sous quelque forme que ce soit et sur quelque support que ce soit (physique ou digital), de ses noms commerciaux litigieux reprenant le terme " Marquis ", et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard dans un délai de quinze (15) jours calendaires à compter de la signification du jugement à intervenir ; - DIRE qu'en application de l'article L131-3 du code de procédure civile d'exécution, les astreintes prononcées seront liquidées, s'il y a lieu, par le Tribunal ayant statué sur la présente demande ; - CONDAMNER la société Nextone Résidence à verser à la société Hôtel Dupleix Suffren la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts. - PRONONCER l'illicéité des marques françaises no3815966 "Marquis", no3941569 "Marquis Faubourg Saint-honoré" et no3865066 "Marquis Cur Non" de la société Nextone Résidence. - INSCRIRE le jugement au registre national des marques. - ORDONNER l'insertion dans cinq journaux, au choix des sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren, et aux frais de la société Nextone Résidence, dans limite de 5.000 euros H.T., par insertion, du communiqué suivant, sous astreinte définitive de 1.500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir : "Par décision du..., le Tribunal Judiciaire de Paris a condamné la société Nextone Résidence pour avoir commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire par reprise illicite de la dénomination commerciale de l'hôtel "Le Marquis" de la chaîne d'hôtel Inwood Hotels et à verser à la société Hôtel Dupleix Suffren des dommages-intérêts." ; - ORDONNER la diffusion dudit communiqué, pendant un délai d'un mois, en première page du site www.marquisfaubourgsainthonore.com/fr, dans sa partie supérieure, de façon immédiatement visible par le consommateur, dans une taille de caractères d'une valeur au moins égale à 12, sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir. - CONDAMNER la société Nextone Résidence à verser à la société Hôtel Dupleix Suffren la somme de 10.000 euros pour procédure abusive. - ORDONNER l'exécution provisoire du jugement à intervenir en toutes ses dispositions, nonobstant appel et sans constitution de garantie. - CONDAMNER la société Nextone Résidence à payer à la société Hôtel Dupleix Suffren la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'au paiement des entiers dépens. 9. L'instruction a été close par une ordonnance du 21 avril 2022 et l'affaire plaidée à l'audience du 20 septembre 2022. MOTIFS DE LA DÉCISION 10. Il est observé à titre liminaire que la demande en "illicéité" des marques de la société Nextone présentées à titre reconventionnel (et préalable) par les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren, laquelle s'analyse indiscutablement en une demande de nullité de ces marques, a déjà été déclarée irrecevable par le juge de la mise en état, les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren en ayant toléré l'usage pendant plus de cinq ans. Cette demande apparaît donc irrecevable conformément aux dispositions de l'article 794 du code de procédure civile qui confère autorité de chose jugée aux ordonnances du juge de la mise en état statuant sur une fin de non-recevoir. 1o) Sur la nullité et la contrefaçon des marques "Marquis", "Marquis Hôtel", "Le Marquis Hôtel", "Hôtel Marquis", "Hôtel Le Marquis", "Hôtel Marquis Effeil", "Marquis Effeil", "Le Marquis Effeil" et "Hôtel Le Marquis Effeil", de la société Helionwood Moyens des parties 11. La société Nextone Résidence soutient que les marques "Marquis", "Marquis Hôtel", "Le Marquis Hôtel", "Hôtel Marquis", "Hôtel Le Marquis", "Hôtel Marquis Effeil", "Marquis Effeil", "Le Marquis Effeil" et "Hôtel Le Marquis Effeil", de la société Helionwood, enregistrées en 2015 soit postérieurement aux siennes, mais il y a moins de cinq années de sorte qu'aucune forclusion ne lui est opposable, sont nulles. Elle fait à cet égard valoir que, déposées pour des services identiques voire similaires aux siens et, eu égard à leurs fortes ressemblances visuelle, auditive et conceptuelle, elles sont de nature à créer un indéniable risque de confusion dans l'esprit du public pertinent. 12. La société Nextone conteste toute antériorité de l'usage du nom commercial "Le Marquis" par la société Hôtel Dupleix Suffren et soutient à cet égard que les défenderesses ne peuvent se prévaloir de l'exception prévue à l'article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle. Selon elle en effet, les pièces versées aux débats ne permettent en aucun cas de conclure à la preuve d'un usage personnel, public, continu et non équivoque du signe "Le Marquis". En particulier, la société Nextone soitient que les courriers produits en pièce no6 ne sont pas destinés à la clientèle, tandis que les éléments relevés par M. [O] n'ont pas pour origine les sociétés défenderesses (en particulier l'url www.lemarquis.com . La société Nextone soutient encore que le nom commercial de la société Hôtel Dupleix Suffren n'a cessé d'évoluer au cours des années (Le Marquis Suffren, puis Le Marquis Eiffel) pour ne devenir "Le Marquis" qu'en période récente et postérieure au dépôt de ses marques. 13. Les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren concluent au rejet des demandes de nullité de leurs marques, les marques antérieures de la société Nextone qui servent de fondement à cette demande, étant selon elles "illicites" comme constitutives d'agissements déloyaux et parasitaires en raison de leurs droits antérieurs sur le nom commercial "Le Marquis". 14. Ces sociétés demandent en tout état de cause au tribunal de retenir qu'elles sont fondées à invoquer l'exception de l'usage antérieur à titre de nom commercial du signe "Le Marquis" et d'écarter, en conséquence, la demande en contrefaçon de marques, dont elles soulignent qu'elle ne pourra concerner qu'une partie des produits et services désignés à leur enregistrement. Elles indiquent verser aux débats des preuves de l'exploitation publique du signe "Le Marquis" en pièce no6, un dossier de présentation de l'hôtel Le Marquis en pièce no20, ainsi qu'un dossier de presse en pièce no21, et un rapport d'analyse de la présence du signe sur internet en pièce no22. Appréciation du tribunal 15. Aux termes de l'article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle, "La marque de produits ou de services est un signe servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale de ceux d'autres personnes physiques ou morales. Ce signe doit pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l'objet de la protection conférée à son titulaire." L'article L. 711-3 de ce code précise que "I.-Ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle une marque portant atteinte à des droits antérieurs ayant effet en France, notamment : 1o Une marque antérieure : a) Lorsqu'elle est identique à la marque antérieure et que les produits ou les services qu'elle désigne sont identiques à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée; b) Lorsqu'elle est identique ou similaire à la marque antérieure et que les produits ou les services qu'elle désigne sont identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association avec la marque antérieure ; (...)" 16. S'agissant de la contrefaçon, l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit que "Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services : 1o D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ; 2o D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque." 17. L'article L. 713-1 du code de la propriété intellectuelle précise toutefois que "L'enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits ou services qu'il a désignés. Ce droit s'exerce sans préjudice des droits acquis par les tiers avant la date de dépôt ou la date de priorité de cette marque.", tandis qu'aux termes de l'article L.713-6 II de ce même code "II. - Une marque ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires, d'un nom commercial, d'une enseigne ou d'un nom de domaine, de portée locale, lorsque cet usage est antérieur à la date de la demande d'enregistrement de la marque et s'exerce dans les limites du territoire où ils sont reconnus." 18. Il convient ici de comparer les signes "Marquis", "Marquis Hôtel", "Le Marquis Hôtel", "Hôtel Marquis", "Hôtel Le Marquis", "Hôtel Marquis Effeil", "Marquis Effeil", "Le Marquis Effeil" et "Hôtel Le Marquis Effeil", de la société Helionwood, avec les signes "Marquis", "Marquis Faubourg Saint-honoré", "Marquis Cur Non" (signe semi-figuratif constitué d'un "M" stylisé figurant une bague, surmontée d'une courrone, entouré de deux licornes cabrées se faisant face, au-dessus d'un phylactère contenant une devise en latin signifiant "pourquoi pas") de la société Nextone Résidence. 19. Force est à cet égard de constater que les signes "Marquis" sont identiques. Ils sont déposés pour désigner des services au moins pour partie identiques à savoir les services d'hôtellerie. La nullité de la marque no4187747 est donc encourue. 20. Les autres signes constituent des imitations des marques antérieures de la société Nextone. Aussi, il convient de rappeler que, interprétant les dispositions de l'article 5 § 1 de la première Directive du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques (89/104/CEE), dont l'article L.713-2 réalise la transposition en droit interne, la Cour de Justice des Communautés européennes a dit pour doit que, constitue un risque de confusion au sens de ce texte, le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d'entreprises liées économiquement (arrêt Canon du 29 septembre 1998, C-39/97, point 29 ; arrêt Lloyd Schuhfabrik du 22 juin 1999, C-342/97). Selon cette même jurisprudence, l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce (voir, arrêt Sabel du 11 novembre 1997, C-251/95, point 22), cette appréciation globale impliquant une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte (arrêt Canon, point 17). 21. En outre, l'appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par celles-ci, en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants. Aux fins de cette appréciation globale, le consommateur moyen de la catégorie de produits concernée est censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (arrêt Gut Springenheide et Tusky du 16 juillet 1998, C-210/96, point 31 ; arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97, point 26). 22. Afin d'apprécier le degré de similitude existant entre les marques concernées, la juridiction nationale doit déterminer leur degré de similitude visuelle, auditive et conceptuelle et, le cas échéant, évaluer l'importance qu'il convient d'attacher à ces différents éléments, en tenant compte de la catégorie de produits ou services en cause et des conditions dans lesquelles ils sont commercialisés (arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97 ). Enfin, pour apprécier la similitude entre des produits ou des services, il y a lieu de tenir compte de tous les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport entre ces produits ou ces services ; ces facteurs incluent, en particulier, leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire (arrêt Canon, C-39/97, point 23). 23. Les produits et services désignés à l'enregistrement sont au moins pour partie les mêmes. Le public pertinent est en outre ici un consommateur à la recherche d'un hébergement hôtelier ; il est donc plutôt attentif, voire très attentif. 24. Les signes reproduisent en outre tous le mot "Marquis", lequel apparaît très distinctif pour désigner des services d'hôtellerie, les signes ne se distinguant que par l'ajout (pour certains signes des défenderesses) de l'article "Le" ou des éléments purement descriptifs "hôtel" ou de l'emplacement géographique de cet hôtel. Il en résulte que, si les signes sont visuellement et phonétiquement relativement distincts, ils apparaissent conceptuellement très proches, renvoyant l'un et l'autre à un univers noble et masculin. 25. Cette forte ressemblance conceptuelle, ainsi que l'identité au moins partielle des services concernés, ne sont pas compensées ici par les différences visuelle et auditive entre les signes, non plus que par le degré plutôt élevé d'attention du public pertinent, qui sera indéniablement amené à croire que les services d'hôtellerie proposés par les parties proviennent d'entités économiquement liées, ce qui n'est pas le cas. Le risque de confusion apparaît donc établi. Il entrainera l'annulation des marques pour les services de restauration, bars, hôtellerie, hébergement temporaire. 26. En ce qui concerne la contrefaçon, les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren s'en défendent en concluant à l'antériorité de leurs droits sur le nom commercial "Le Marquis" ou encore "Le Marquis Eiffel" exposant exploiter ce nom commercial pour désigner un hôtel classé 4 étoile situé à proximité de la Tour Eiffel depuis 2001. 27. La société Helionwood et sa filiale à 100% la société Hôtel Dupleix Suffren, versent en premier lieu aux débats une revue de presse portant sur la période 2003 / 2008 correspondant à la période où l'hôtel était la propriété des fondateurs du groupe Helionwood. L'hôtel était à cette époque connu du public sous le nom commercial "Le Marquis" les articles produits émanant aussi bien de la presse spécialisée à l'attention des professionnels du secteur, que généraliste (ex : magazine "ELLE" de 2008). 28. Les sociétés défenderesses produisent également en pièce no6 des contrats avec différents partenaires, ou encore des courriers à ces mêmes partenaires, portant sur la période 2004/2012 lesquels démontrent l'usage par elles, du nom commercial "Le Marquis" (ainsi que "Le Marquis Eiffel") pour désigner leur hôtel de la [Adresse 1]. Il s'agit pour l'essentiel d'accords d'hébergement et il apparaît peu crédible que ces hébergements concernent un hôtel présenté à la clientèle sous un autre nom, contrairement à ce que suggère la société Nextone. 29. Par leur pièce no22, enfin, les défenderesses démontrent la réservation du nom de domaine <www.lemarquisparis.com> dès le 26 octobre 2005, et, par les extraits du site archive.org, une activité à cette adresse url dès l'année 2006 et sans discontinuer jusqu'en 2021. 30. Ce faisant, les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren démontrent l'existence de leur droit antérieur sur le nom commercial "Le Marquis" ou "Le Marquis Eiffel". Les demandes fondées sur la contrefaçon, laquelle porte sur l'exploitation de l'hôtel situé [Adresse 1], seront donc rejetées. 2o) Sur la concurrence déloyale et parasitaire a - Sur la demande à ce titre de la société Nextone 31. La société Nextone reproche à ce titre aux défenderesses la reprise de son nom commercial "Le Marquis" par l'effet dun "glissement" de leur nom dont elles suppriment progressivement la référence à leur lieu d'implantation (Suffren, Eiffel). Or, les droits antérieurs établis des sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren sur le nom commercial "Le Marquis" ne peuvent que conduire au rejet de cette demande. b - Sur les demandes à ce titre des sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren : 32. Ces sociétés fondent leurs demandes de ce chef sur la reprise de leur nom commercial "Le Marquis" par la société Nextone pour désigner la même activité d'hôtellerie, ainsi que la modification de son référencement sur internet en 2020. Or, les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren ayant toléré depuis 2013 l'exploitation de l'hôtel de la demanderesse peuvent difficilement invoquer ici l'existence d'une faute de la part de la société Nextone, et ne rapportent surtout la preuve d'aucun préjudice en lien avec la reprise de ce nom, étant observé ici que le "Marquis Faubourg Saint-honoré" est un hôtel classé 5 étoiles et "Le Marquis Eiffel" un hôtel classé 4 étoiles, dont les clientèles sont relativement distinctes en raison des prix pratiqués par les établissements concernés. Les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren, qui se bornent à l'affirmer, n'offrent pas davantage de caractériser en quoi le "référencement Google" de l'hôtel "Marquis Faubourg Saint-honoré" serait depuis 2020 fautif comme imputable à la "refonte" (fautive) de son site internet par la société Nextone. Aussi, les demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire formées par ces sociétés seront rejetées. 3o) Sur les autres demandes 33. Le succès des prétentions de la société Nextone commande de rejeter la demande fondée sur un abus de procédure présentée par les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren. 34. Parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren seront condamnées in solidum aux dépens, ainsi qu'à payer, sous la même solidarité imparfaite, à la société Nextone la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 35. Aucune circonstance ne justifie d'écarter l'exécution provisoire dont est de plein droit assortie la présente décision conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile, sauf en ce qui concerne la transcription au Registre des marques compte tenu des effets irrémédiables d'une telle transcription. PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL, DÉCLARE IRRECEVABLE la demande en "illicéité" des marques présentée par les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren ; DÉCLARE nulles pour atteinte aux droits de marques antérieures de la société Nextone Résidence, les marques verbales françaises suivantes : "Marquis" no4187747, "Marquis Hôtel" no4187746, "Le Marquis Hôtel" no4187741, "Hôtel Marquis" no4187756, "Hôtel Le Marquis" no4187760, "Marquis Effeil" no4187750, "Le Marquis Effeil" no4187751 et "Hôtel Le Marquis Effeil" no4187764, de la société Helionwood, mais uniquement en ce qu'elles désignent en classe 43 les services de restauration (alimentation) ; hébergement temporaire ; services de bars , services de traiteurs ; services hôteliers ; réservation de logements temporaires ; DIT que la présente décision, une fois passée en force de chose jugée, sera transmise à l'INPI pour sa transcription sur le registre national des marques à l'initiative de la partie la plus diligente ; REJETTE les demandes fondées sur la contrefaçon de ses marques en raison de l'usage antérieur démontré du nom commercial "Le Marquis" par les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren pour désigner un hôtel situé [Adresse 1] ; Rejette les demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire présentées par les sociétés Nextone d'une part et Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren d'autre part ; REJETTE la demande de dommages-intérêts pour abus de procédure présentée par les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren ; CONDAMNE in solidum les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren aux dépens et autorise la Selarl Duclos Thorne Mollet-Vieville & Associés à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ; CONDAMNE in solidum les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren à payer à la société Nextone Résidence la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; RAPPELLE que la présente décision est de plein droit assortie de l'exécution provisoire sauf en ce qui concerne la transcription au Registre des marques. Fait et jugé à Paris le 08 décembre 2022. LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000047324640
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 23 novembre 2022, 22/5668
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2022-11-23
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Tribunal judiciaire de Paris
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22/5668
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CT0760
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x
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS No RG 22/56668 - No Portalis 352J-W-B7G-CXOGP No : 1/MM Assignation du :26 Juillet 2022 ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ rendue le 23 novembre 2022 par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal, Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier. DEMANDERESSE S.A.S. TCS[Adresse 1][Adresse 1] représentée par Me Albert ANSTETT, avocat au barreau de PARIS - #B1201 DEFENDEURS Monsieur [I] [V][Adresse 4][Localité 2] non comparant S.A.S. [V] MEDICAL MOTEUR[Adresse 3][Localité 2] non comparante DÉBATS A l'audience du 03 Octobre 2022, tenue publiquement, présidée par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe, assistée de Flore MARIGNY, Faisant fonction de Greffier, Après avoir entendu les conseils des parties, EXPOSÉ DU LITIGE : 1. La société TCS se présente comme ayant développé un module électronique permettant de réaliser des économies de carburant qu'elle commercialise sous la marque verbale de l'Union européenne "Ecolow" déposée le 9 janvier 2017 pour désigner en classe 7 notamment les économiseurs de carburant. 2. Elle indique avoir découvert l'usage par M. [I] [V], fondateur de la société [V] Médical Moteur en avril 2021, du signe "Eco l'eau" pour commercialiser un kit d'injection d'eau dans le moteur d'un véhicule automobile permettant de réduire sa consommation de carburant, dont le premier fait la promotion sur un site internet accessible à l'adresse <www.auto-eco-leau.fr> depuis à tout le moins 2012. 3. Estimant l'usage de ce signe contrefaisant de sa marque "Ecolow", la société TCS a, par une lettre du 24 février 2022, renouvelée le 6 juillet suivant, mis en demeure M. [V] et la société [V] Medical Moteur d'en cesser l'usage. Ces mises en demeure n'ayant été suivies d'aucun effet, la société TCS a, par actes d'huissier du 26 juillet 2022 fait assigner en référé M. [I] [V] et la société [V] Medical Moteur devant le délégataire du président de ce tribunal siégeant à l'audience du 3 octobre 2022 aux fins d'obtenir, notamment, des mesures d'interdiction d'usage du signe "Eco l'eau" sous astreinte, ainsi que le paiement d'une provision d'un montant de 80.000 euros. 4. Bien que régulièrement cités par dépôt des actes à l'étude de l'huissier (la certitude du domicile étant confirmée par le voisinnage et M. [V] joint par téléphone), M. [I] [V] et la société [V] Medical Moteur n'ont pas comparu. MOTIFS DE LA DÉCISION 5. Selon l'article 472 du code de procédure civile, "Lorsque le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure oùil l'estime recevable, régulière et bien fondée." 6. Aux termes de l'article L.716-4-6 du code de la propriété intellectuelle, "Toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l'encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d'actes argués de contrefaçon. (...) Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à ses droits ou qu'une telle atteinte est imminente. La juridiction peut interdire la poursuite des actes argués de contrefaçon, la subordonner à la constitution de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du demandeur ou ordonner la saisie ou la remise entre les mains d'un tiers des produits soupçonnés de porter atteinte aux droits conférés par le titre, pour empêcher leur introduction ou leur circulation dans les circuits commerciaux. (...) Elle peut également accorder au demandeur une provision lorsque l'existence de son préjudice n'est pas sérieusement contestable. (...)" 7. Le caractère vraisemblable de l'atteinte alléguée dépend, d'une part, de l'apparente validité du titre sur lequel se fonde l'action et, d'autre part, de la vraisemblance de la contrefaçon alléguée. 8. En outre, selon le 22ème considérant de la directive no2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, dont les dispositions précitées constituent la transposition en droit interne, "Il est également indispensable de prévoir des mesures provisoires permettant de faire cesser immédiatement l'atteinte sans attendre une décision au fond, dans le respect des droits de la défense, en veillant à la proportionnalité des mesures provisoires en fonction des spécificités de chaque cas d'espèce, et en prévoyant les garanties nécessaires pour couvrir les frais et dommages occasionnés à la partie défenderesse par une demande injustifiée. Ces mesures sont notamment justifiées lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au titulaire d'un droit de propriété intellectuelle." 9. Aux termes de l'article 9 du règlement : « 1. L'enregistrement d'une marque de l'Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif. « 2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque : (...) b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque; (...)" 10. Interprétant les dispositions rédigées en termes identiques de l'article 5 § 1 de la première Directive du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques (89/104/CEE), la Cour de Justice des Communautés européennes a dit pour doit que, constitue un risque de confusion au sens de ce texte, le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d'entreprises liées économiquement (voir arrêt Canon, C-39/97, point 29 ; arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97). Selon cette même jurisprudence, l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce (voir, arrêt SABEL, C-251/95, point 22), cette appréciation globale impliquant une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte (voir arrêt Canon, point 17). 11. Afin d'apprécier le degré de similitude existant entre les marques concernées, la juridiction nationale doit déterminer leur degré de similitude visuelle, auditive et conceptuelle, en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants et, le cas échéant, évaluer l'importance qu'il convient d'attacher à ces différents éléments, en tenant compte de la catégorie de produits ou services en cause et des conditions dans lesquelles ils sont commercialisés (voir arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97 ). 12. Il résulte en l'occurrence des pièces produites aux débats par le demandeur lui-même que le défendeur fait usage du signe "Eco l'eau" depuis au moins 2012, ayant notamment réservé le nom de domaine correspondant à ce signe. 13. Il est encore observé que la marque, comme d'ailleurs le signe argué de contrefaçon, est constituée de signes pouvant servir à désigner les caractéristiques du produit (réduire la consommation d'énergie fossile). 14. Le public pertinent est en outre constitué ici de professionnels ou de particuliers possédant un ou plusieurs véhicules, ou cherchant à équiper ces véhicules, à la recherche d'un dispositif permettant d'économiser le carburant, lequel n'est pas fourni par le constructeur. Il s'agit d'un public attentif, voire très attentif, aux différences entre les signes et les produits. 15. Les signes sont visuellement relativement similaires, présentant le même signe d'attaque "éco", lequel est néanmoins faiblement distinctif ici au regard des produits désignés. Les signes sont en outre faiblement similaires au plan conceptuel, le second signe renvoyant à un économiseur de carburant selon un procédé utilisant de l'eau, ce qui n'est pas le cas du signe de la société demanderesse. Il n'est d'ailleurs pas allégué par la société demanderesse que ses produits mettent en oeuvre un procédé identique ou similaire utilisant de l'eau. Les signes sont en revanche phonétiquement fortement similaires, la prononciation des signes l'eau [lo] et low [lo ]étant très proche. 16. Il s'en déduit que la forte ressemblance phonétique des signes et la relative similitude produits concernés est compensée ici par les différences, visuelle et surtout conceptuelle, des signes, auxquelles sera sensible le public pertinent en raison de son degré d'attention élevé. Ce public n'attachera pas, en effet, une forte importance au signe d'attaque commun aux deux signes ("éco") en raison de la faible distinctivité de ce terme pour désigner des produits permettant d'économiser le carburant. Il en résulte que la vraisemblance de la contrefaçon n'est pas caractérisée. Il doit donc être dit n'y avoir lieu à référé. 17. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société TCS sera condamnée aux dépens. PAR CES MOTIFS, Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par ordonnance réputée contradictoire et en premier ressort, Le juge des référés, Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société TCS ; Condamne la société TCS aux dépens ; Rappelle que la présente décision est de plein droit exécutoire par provision. Fait à Paris le 23 novembre 2022. Le Greffier, Le Président, Minas MAKRIS Nathalie SABOTIER
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JURITEXT000047096735
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ARRET
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Cour d'appel de Nouméa, 26 novembre 2020, 20/001761
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2020-11-26
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Cour d'appel de Nouméa
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Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
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20/001761
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01
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NOUMEA
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No de minute : 256 COUR D'APPEL DE NOUMÉA Arrêt du 26 novembre 2020 Chambre civile Numéro R.G. : No RG 20/00176 - No Portalis DBWF-V-B7E-RAB Décision déférée à la cour : ordonnance rendue le 10 avril 2020 par le président du tribunal de première instance de Nouméa (RG no :20/119) Saisine de la cour : 27 mai 2020 APPELANTS DIRECTION DES FINANCES PUBLIQUES EN NOUVELLE-CALÉDONIE représentée par son directeur en exercice, M. [N] [B]demeurant [Adresse 3]Représentée à l'audience par Mme [J] [C] selon délégation permanente M. LE TRÉSORIER DE LA PROVINCE SUD DE NOUVELLE-CALÉDONIEdemeurant [Adresse 1]Représenté à l'audience par M. [L] INTIMÉ M. [O] [R]né le [Date naissance 2] 1982 à [Localité 5]demeurant [Adresse 4]Représenté par Me Marie-Katell KAIGRE, avocat au barreau de NOUMEA COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 15 octobre 2020, en audience publique, devant la cour composée de : M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,M. Charles TELLIER, Conseiller,Mme Zouaouia MAGHERBI, Conseiller,qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Charles TELLIER. Greffier lors des débats : Mme Guylaine BOSSIONGreffier lors de la mise à disposition : Mme Guylaine BOSSIONARRÊT :- contradictoire,- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Guylaine BOSSION, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire. *************************************** PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE Par ordonnance de référé du 2 septembre 2016, le président du tribunal du travail de Nouméa a, en substance, constaté la nullité du licenciement par la commune du MONT DORE de M. [R], a ordonné sa réintégration et a condamné la commune à une provision de 1.000.000 FCFP à valoir sur ses dommages et intérêts. M. [R] soutient que la commune ne lui a versé qu'une somme de 371.349 FCFP pour les salaires de mars à septembre 2016, qu'elle a opéré une saisie sur salaire de 686.670 FCFP et qu'elle n'a toujours pas versé la somme provisionnelle de 1.000.000 FCFP. Il indique que la commune n'aurait dû saisir que la somme de 99.702 FCFP et non 686.670 FCFP. M. [R] était en effet débiteur de sommes au titre de loyers impayés, puisqu'il a été condamné par ordonnance de référé du 24 octobre 2018 à la somme de 556.590 FCFP solidairement avec son épouse, et faisait l'objet d'une saisie-arrêt. M. [R] a saisi le président du tribunal de première instance de Nouméa en référé, qui a débouté M. [R] par ordonnance du 14 décembre 2017. Par arrêt en date du 24 mai 2018, la cour d'appel de Nouméa a infirmé cette ordonnance et a renvoyé M. [R] devant le tribunal de première instance statuant en matière de saisie-arrêt. Par jugement en date du 22 janvier 2019, le tribunal du travail de Nouméa a, en substance, déclaré nul le licenciement de M. [R] du 4 novembre 2015 et a condamné la commune du MONT DORE à lui verser la somme de 1.456.230 FCFP au titre des salaires échus entre mars et septembre 2016 à la suite de sa réintégration, avec intérêts, et a condamné la commune à 1.000.000 FCFP à titre de dommages et intérêts. Le tribunal a déclaré que le licenciement prononcé le 15 décembre 2016 était dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné l'employeur à 1.941.640 FCFP au titre des indemnités de licenciement. Par acte d'huissier en date du 30 janvier 2020, M. [R] a fait assigner la direction des finances publiques prise en la personne du trésorier de la Province Sud en référé devant le président du tribunal de première instance de Nouméa. Par ordonnance de référé du 10 avril 2020, le président du tribunal de première instance de Nouméa a, par provision, condamné la trésorerie de la Province Sud à régler à M. [R] la somme de 586.968 FCFP à valoir sur le préjudice lié à la saisie sur salaire, 1.000.000 FCFP à valoir sur le préjudice lié à la retenue de la provision sur l'indemnité de licenciement, 250.000 FCFP au titre de l'article 24-1 de la délibération no 482 du 13 juillet 1994 réformant l'aide judiciaire, a rappelé que la décision était exécutoire par provision et a condamné la trésorerie de la Province Sud aux dépens. PROCÉDURE D'APPEL Par mémoire déposé le 27 mai 2020, la direction générale des finances publiques a fait appel de l'ordonnance de référé du 10 avril 2020. Dans ses dernières écritures, à savoir un mémoire en réplique déposé le 7 octobre 2020, la direction des finances publiques et le trésorier de la Province Sud demandent à la cour de débouter M. [R] de ses demandes, d'infirmer partiellement l'ordonnance déférée en ce qu'elle condamne le trésorier de la Province Sud à verser les sommes de 586.968 FCFP et 1.000.000 FCFP, et de condamner M. [R] à verser à la direction des finances publiques la somme de 250.000 FCFP au titre des frais irrépétibles. Dans ses dernières écritures, à savoir un mémoire en réponse déposé le 17 septembre 2020, M. [R] demande à la cour de débouter la direction des finances publiques de ses demandes, de confirmer l'ordonnance déférée, de condamner le trésorier de la Province Sud à lui verser les sommes provisionnelles de 1.000.000 FCFP au titre de l'indemnisation provisionnelle du préjudice subi du fait du refus d'exécuter l'ordonnance de référé du 2 septembre 2016 depuis octobre 2016, soit 3 ans et demi, et 500.000 FCFP au titre de l'indemnisation du préjudice de retard dans le paiement des salaires. Il demande à la cour de condamner la DGFP à lui verser la somme de 250.000 FCFP au titre des frais irrépétibles, à défaut de fixer les unités de valeur dues à son conseil intervenant à l'aide judiciaire, et de statuer ce que de droit sur les dépens. MOTIFS DE LA DÉCISION Attendu qu'il y a lieu de constater l'intervention volontaire du trésorier de la Province Sud ; Attendu que le fait que M. [R] était débiteur et que ses créanciers ont bien été désintéressés grâce aux sommes retenues au titre de la saisie des rémunérations pratiquée n'est pas contestable ; que l'objet de la présente procédure n'est pas de savoir si les sommes retenues étaient dues ou non, mais de savoir si la procédure utilisée, la saisie-arrêt, était adaptée dans son principe et dans son montant ; Attendu qu'il n'est pas contestable que la somme de 686.670 FCFP qui a fait l'objet d'une retenue est excessive au regard du salaire de M. [R] et des sommes qui, dans le cadre de cette procédure, auraient dû être prélevées proportionnellement à ce salaire et compte tenu de la situation de famille du débiteur en application de l'article R. 144-4 du code du travail ; que, par ailleurs, il ne peut être non plus contesté qu'une provision à valoir sur des dommages et intérêts n'est pas une rémunération au sens de l'article Lp. 144-15 du code du travail et ne peut donc être saisie au titre de la procédure de la saisie-arrêt ou de la saisie des rémunérations ; que la cour ne peut que constater que la procédure engagée était donc irrégulière ; qu'il s'agit là d'un trouble manifestement illicite au sens de l'article 809 du code de procédure civile ; Attendu que la restitution des sommes indûment prélevées n'est pas constitutive d'un enrichissement sans cause mais d'une remise en l'état de la situation antérieure des parties compte tenu des irrégularités constatées ; que les créanciers de M. [R] ont ainsi tout loisir d'utiliser les voies de droit légalement permises pour obtenir paiement de leurs créances ; Attendu qu'il y a lieu de confirmer la décision entreprise, y compris concernant les demandes de dommages et intérêts, dont M. [R] a été débouté, notamment compte tenu du délai de deux ans entre la faute de l'administration et le préjudice allégué, ne permettant pas d'établir un lien direct entre les deux ; Attendu qu'en application de l'article 24-1 de la délibération no482 du 13 juillet 1994, il y a lieu de condamner la trésorerie de la Province Sud à régler à Me Kaigre la somme de 150.000 FCFP ainsi qu'aux dépens ; PAR CES MOTIFS La cour, Constate l'intervention volontaire du trésorier de la Province Sud ; Confirme l'ordonnance déférée ; Condamne le trésorier de la Province Sud à verser à Me Kaigre la somme de 150.000 FCFP au titre de l'article 24-1 de la délibération no482 du 13 juillet 1994 ; Condamne le trésorier de la Province Sud aux dépens. Le greffier,Le président.
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JURITEXT000047805392
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 28 février 2023, 22/53943
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2023-02-28
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Tribunal judiciaire de Paris
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22/53943
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CT0264
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Les associations « Les amis de la terre France », « The national association of professionnal environmentalists » et « Africa institute for energy governance » d'une part, et, d'autre part, les associations « Survie », « Civic response to Environment and Development » et « Navigators of development association », ont saisi séparément la juridiction des référés afin, notamment, d'enjoindre à la société TotalEnergies d'exécuter ses obligations en matière de vigilance issues de la loi no2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, spécifiquement concernant deux projets de développement pétrolier en Ouganda. Ces associations ont également demandé la suspension des travaux afférents à ces deux projets. Ces deux affaires portant sur les mêmes demandes et soulevant les mêmes questions juridiques, la juridiction des référés a rendu le même jour deux décisions. Le tribunal a d'abord rappelé que les mesures de vigilance instaurées par la loi no2017-399 du 27 mars 2017 codifiée aux articles L.225-102-4 L.225-102-5 sont générales et sans contours précis, le décret en Conseil d'Etat susceptible de préciser le contenu de ces mesures n'étant pas paru à ce jour. Il a ensuite constaté les points suivants : - La loi précise a minima les moyens qui doivent être mis en Suvre par certaines catégories d'entreprises pour atteindre les buts de protection des droits humains et de l'environnement. - La loi exige que le plan de vigilance mis à la charge des entreprises soit élaboré dans le cadre d'une collaboration entre les parties prenantes et l'entreprise pour en garantir l'efficacité, cette volonté du législateur se concrétisant par un mécanisme de mise en demeure préalable à la saisine du juge instauré par l'article L.225-102-4 du code de commerce. - Les demandes et griefs formulés par les associations demanderesses dans le cadre de la présente instance sont substantiellement différents de ceux indiqués dans la mise en demeure adressée par ces mêmes associations le 24 juin 2019 à la société Total. Le tribunal en a déduit que les griefs soulevés devant lui n'avaient pas fait l'objet d'une mise en demeure préalable comme l'exige l'article L.225-102-4 du code de commerce, rendant les demandes des associations irrecevables. Le tribunal a enfin ajouté que l'appréciation des griefs et des manquements reprochés à la société TotalEnergies du chef de son devoir de vigilance relève du juge du fond.
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS No RG 22/53943 - No Portalis 352J-W-B7G-CXC7V No : 1/MC Assignation du 29 octobre 2019 JUGEMENT RENDU EN ETAT DE REFERE (article 487 du Code de procédure civile) le 28 février 2023 par le Tribunal judiciaire de Paris, composé de : Fabrice VERT, Premier Vice-PrésidentViolette BATY, Vice PrésidentKarine THOUATI, Juge Assistés de Marion COBOS, Greffier. DEMANDERESSES L'association SURVIE[Adresse 2][Localité 3] L'association "Civic response to Environment and Development"(CRED)Association de droit ougandais ayant son siège social[Adresse 8][Localité 6] - OUGANDA L'association "Navigators of development association" (NAVODA)Association de droit ougandais ayant son siège social[Adresse 7] District d'[Localité 5] - OUGANDA représentées par Me Celine GAGEY, Cabinet MRC Avocats, avocat au barreau de PARIS - #P0301 DEFENDERESSE La Société TotalEnergies SE[Adresse 1][Adresse 1][Localité 4] représentée par Maître Antonin LEVY et Ophélia CLAUDE de l'A.A.R.P.I Antonin Levy et associés, avocats au barreau de PARIS - #G0612 DÉBATS A l'audience du 07 Décembre 2022, tenue publiquement, présidée par Fabrice VERT, Premier Vice-Président, EXPOSE DU LITIGE La société TotalEnergies SE est une société française fondée en 1924, mère de la firme multinationale éponyme composée de 1140 filiales implantées sur cinq continents et plus de cent trente pays; elle emploie, approximativement, cent mille salariés, et exerce des activités d'exploration, de production et de distribution d'énergie. Elle est soumise, depuis le 28 mars 2017, à la loi no2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, laquelle a introduit les articles L. 225-102-4 et -5 au sein du code de commerce. La société TotalEnergies SE détient, en totalité, la société Total Energies Holdings International BV, laquelle détient, également en totalité, la société TotalEnergies EP Uganda, d'une part, et la société TotalEnergies Holdings EACOP SAS, qui détient elle-même à 62% la société anglaise East African Crude Oil Pipeline Ltd ou EACOP Ltd (8% étant détenus par la société chinoise China National Offshore Oil Cooperation, ou CNOOC, 15% par la société ougandaise Compagnie Pétrolière Nationale d'Ouganda ou UNOC, et 15% par la société tanzanienne Compagnie Pétrolière Nationale de Tanzannie, ou TPDC). La filiale TotalEnergies EP Uganda est l'opérateur d'un projet de développement pétrolier, d'une usine de traitement du brut, des canalisations enterrées et des infrastructures dans les districts de Buliisa et de Nwoya en Ouganda, dénommé TILANG, et réalisé en collaboration avec la société chinoise CNOOC dans le cadre d'une coentreprise ("joint-venture") au sein de laquelle les partenaires détiennent, individuellement, une licence d'exploitation octroyée par l'Etat ougandais. La société EACOP Ltd est l'opérateur d'un autre projet, dit EACOP, également mené en collaboration avec la société CNOOC, et consistant en la construction d'une canalisation enterrée de transport d'hydrocarbures d'une longueur de 1.147 kilomètres dont les extrémités sont situées en Ouganda et en Tanzanie, ainsi qu'en la création d'un terminal de chargement en mer, dans la ville de Tanga. L'association Survie, fondée en 1984 selon les dispositions de la loi du 1er juillet 1901, milite "pour des réformes politiques visant à renforcer, améliorer et réorienter les efforts de coopération de la France et de l'Europe, afin qu'ils contribuent efficacement à abolir la misère qui asservit une partie de l'humanité et fait périr chaque année des millions d'êtres humains ; pour la promotion des biens publics mondiaux ; pour que soit soumise aux règles de la démocratie et aux principes de l'équité la politique africaine de la France ; contre les risques de banalisation des risques de génocide ; pour la défense des droits humains et des libertés fondamentales, de l'environnement, de la santé et de la sécurité des personnes et contre les violations ou potentielles violations de ces droits commises par les institutions françaises, notamment l'armée ou par des entreprises ou autres personnes publiques ou privées". L'association Civic Response to Environment and Development, ou CRED, est une organisation non gouvernementale, apolitique et non confessionnelle, à but non lucratif, fondée en 2016 en Ouganda afin de favoriser, participer et promouvoir la recherche et le développement dans de multiples domaines, et notamment ceux de la technologie, l'environnement et la bio diversité, l'agriculture, le pétrole, les droits humains et une gouvernance transparente et éclairée. Elle garantit également l'accès à des services de conseil juridique à destination de personnes confrontées à des difficultés pécuniaires, et participe à des actions charitables et d'insertion sociale. L'association Navigators of Development Association, ou NAVODA, fondée en 2015 en Ouganda, agit pour la préservation des ressources naturelles, de l'environnement et de la biodiversité, le développement durable, et la défense des droits et l'instruction des personnes vulnérables. Le 20 mars 2019, la société TotalEnergies EP a publié son document d'enregistrement universel pour l'exercice clos, lequel comprenait un plan de vigilance pour l'année 2018. Suivant un courrier en date du 24 juin 2019, six associations, dont les associations Survie, NAVODA et CRED ont dénoncé ce plan de vigilance concernant, spécifiquement, les projets Tilenga et EACOP et mis en demeure la société TotalEnergies EP "de satisfaire à ses obligations en matière de vigilance eu égard tant aux insuffisances de son plan que de sa mise en oeuvre effective ainsi que de sa publication". Suivant courrier en réplique en date du 24 septembre 2019, la société TotalEnergies EP a défendu son plan, arguant de ce qu'il contenait tous les éléments nécessaires à une information adéquate de ses destinataires, que les risques d'atteintes graves envers les personnes et l'environnement avaient été correctement identifiés au sein du plan, et des mesures adéquates déployées afin de les prévenir ou de les atténuer, sans que celles-ci, spécifiques à chaque projet, n'aient à être détaillées dans ce document, précisant toutefois qu'elles étaient accessibles au public par le biais des études d'impacts disponibles en ligne. C'est dans ces circonstances que les associations Survie, NAVODA et CRED ont, par acte d'huissier du 29 octobre 2019, fait assigner la société Total Energies EP par devant le président du tribunal judiciaire de Nanterre statuant en référé, aux fins, principalement, d'enjoindre, cette société, d'exécuter ses obligations en matière de devoir de vigilance. Par ordonnance du 30 janvier 2020, cette juridiction, retenant l'exception d'incompétence matérielle soulevée par la société TotalEnergies EP, s'est déclarée incompétente au profit du tribunal de commerce de Nanterre. Les associations demanderesses ont a interjeté appel de cette décision par déclaration du 16 mars 2020. Par arrêt du 10 décembre 2020, la cour d'appel de Versailles a confirmé l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ; les associations appelantes ont formé un pourvoi en cassation contre cette décision. Par arrêt du 15 décembre 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation a partiellement cassé la décision attaquée, au motif qu'il existait au bénéfice des non-commerçants un droit d'option entre le tribunal judiciaire et le tribunal de commerce pour l'action exercée sur le fondement de la loi no2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre. L'affaire a ainsi été renvoyée devant la juridiction des référés près le tribunal de Nanterre. Cependant, la loi no2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, entrée en vigueur le 24 décembre suivant, a donné compétence exclusive pour connaître des actions introduites sur le fondement de la loi no2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, au tribunal judiciaire de Paris. Par ordonnance du 21 avril 2022, la juridiction des référés du tribunal judiciaire de Nanterre s'est ainsi déclarée incompétente au profit de la juridiction des référés du tribunal judiciaire de Paris. Le 1er juin 2022, le juge des référés du tribunal de céans a rendu une ordonnance d'injonction de rencontrer un médiateur. Les parties ont déféré à cette injonction, mais seule la société TotalEnergies a fait part de son acceptation d'entrer en médiation. A l'audience du 26 octobre 2022, le tribunal, compte tenu de la nature de l'affaire, a procédé à l'audition des professeurs [N] [R], [D] [I] et [X] [T] comme amici curiae. L'affaire a été entendue à l'audience du 7 décembre 2022. Selon leurs dernières écritures déposées et soutenues à l'audience du 7 décembre 2022, les associations Survie, NAVODA et CRED, représentées par leur conseil, demandent à la juridiction des référés: A titre principal, au visa de l'article 835 du code de procédure civile, ou à titre subsidiaire, de l'article 834 du même code : - d'enjoindre à la société TotalEnergies SE, en vertu du II de l'article L. 225-102-4 du code de commerce sous astreinte de 50.000 euros par jour de retard et dans un délai de 15 jours à compter de l'ordonnance à intervenir : (1) d'établir et publier dans son plan de vigilance, à inclure dans son prochain rapport de gestion l'ensemble des mesures de vigilance prévues aux 2o et 5o de l'article L.225-104 I propres à prévenir les risques identifiés dans la cartographie des risques et prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi qu'à l'environnement résultant des activités des filiales de la société TotalEnergies SE, et leurs sous-traitants, dans la conduite des projets Tilenga et EACOP, incluant notamment : Une cartographie des risques conforme à l'article L. 225-102-4 I 1o, comprenant une analyse hiérarchisée des risques ainsi que les risques identifiés résultant des activités des filiales de la société TotalEnergies SE et de leurs sous-traitants et notamment : - Les risques associés à l'expropriation des terres, dont l'atteinte au droit de propriété, au droit au logement, et aux droits à une nourriture et un niveau de vie suffisants ; - Les risques d'atteintes à la liberté d'expression, de violences policières et d'arrestations arbitraires des personnes affectées par le projet (PAP) ou s'y opposant ; - Les risques d'atteintes au droit à un environnement sain des populations au sein et autour des zones pétrolières ; - Les risques pour les écosystèmes, la faune, la flore, l'eau, l'air et les sols, notamment les écosystèmes marins ; - Les risques de fuites et de déversement pétroliers, notamment une identification précise des risques résultants de fuites suite à des tsunamis et séismes, ainsi que leurs impacts sur les cours d'eaux, rivières et lacs et sur la santé et sécurité des personnes ; - Les risques pour l'air et l'atmosphère et notamment l'identification de la totalité des émissions de gaz à effet de serre des projets : les émissions liées au transport maritime, du pétrole par les navires, celles provenant du raffinage du pétrole brut, et enfin, les émissions liées à la combustion du produit final, et leurs impacts sur le réchauffement climatique (sécheresse, inondations...) et ses conséquences pour l'environnement sain ; - Les risques associés à l'utilisation des ressources en eau par les projets, notamment leurs impacts sur l'accès à l'eau des communautés riveraines ainsi que sur les écosystèmes. Une procédure d'évaluation régulière conforme à l'article L. 225-102-4 I 2o, de la situation des filiales susvisées et leurs sous-traitants avec lesquels une relation commerciale est établie et au regard des risques identifiés dans la cartographie des risques conforme à l'article L. 225- 102-4 I 1o dans la conduite des projets Tilenga et EACOP ; Les actions adaptées d'atténuation des risques ou de prévention des risques identifiés dans la cartographie des risques conforme à l'article L. 225-102-4 I 1o, notamment ceux listés ci-dessus, résultant des activités des filiales susvisées et leurs sous-traitants, dans la conduite des projets Tilenga et EACOP, notamment celles contenues dans les EIES, le LARF et les RAP ainsi que celles listées ci-dessous. Ces mesures de prévention doivent être élaborées après une consultation publique effective des parties prenantes, experts et personnes concernées. Elles devront également être rendues publiques, facilement accessibles, et ceci avant le début des travaux : - En premier lieu, afin d'éviter tout dommage grave et irréparable à l'environnement, la société TotalEnergies SE se devra d'inclure, dans son plan de vigilance, la mise en place d'un moratoire sur le développement des projets Tilenga et EACOP, jusqu'à ce que soient identifiés les risques listés ci-dessus, et mises en oeuvre de manière effective toutes les actions adaptées de prévention ou d'atténuation des risques ou de prévention correspondantes, ainsi que les actions de prévention et atténuation suivantes : - Exclure les aires naturelles protégées et les écosystèmes fragiles, en particulier le parc national des Murchison Falls et les zones avoisinantes (zones tampons) du périmètre des projets, et donc n'y entreprendre aucun travaux ni forage, afin de préserver ces écosystèmes et éviter des dommages irréversibles ; - S'assurer que les installations et le tracé des projets n'affectent pas les corridors de migration de la faune, notamment les éléphants ; - Préparer un plan de prévention et de gestion des fuites, prenant notamment en compte les risques de séismes et tsunamis, incluant les mesures adéquates visant à prévenir les risques qui y sont associés ; - Prendre des mesures de prévention adaptées visant à prévenir les impacts des projets sur les ressources en eau, notamment en excluant l'utilisation d'eau du Lac Albert ou d'autres sources d'eau essentielles pour les populations de la région ; - Mettre en conformité la totalité des installations pétrolières de Tilenga et EACOP avec les meilleures pratiques de l'industrie (BAT), notamment (mais pas seulement) en ce qui concerne les traversées de zones humides et rivières en utilisant la technique du forage directionnel horizontal (HDD), en rajoutant des valves de blocage, et en évitant de couper le flux des cours d'eau, et également, plus généralement, en réduisant le passage autour des tranchées (RoW) de 30 à 15 mètres, et à un maximum de 10 mètres dans les zones sensibles, afin de minimiser les impacts ; Le mécanisme d'alertes et de recueil des signalements relatifs à l'existence ou à la réalisation des risques identifiés dans la cartographie des risques conforme à l'article L.255-102-4 I 1o, résultant des activités des filiales sus visées et de leurs sous-traitants dans la conduite des projets Tilenga et EACOP ; Le dispositif de suivi des mesures de mises en oeuvre et d'évaluation de leur efficacité résultant des activités des filiales de la société TotalEnergies SE et de leurs sous- traitants dans la conduite des projets Tilenga et EACOP ; ce suivi doit être continu, transparent, public, contenir des critères objectifs permettant de mesurer l'efficacité des mesures et inclure la consultation effective des parties prenantes notamment les populations affectées ainsi que la prise en compte effective de leurs retours. Des actions immédiates doivent être prises lorsque le dispositif mis en place identifie des mesures non mises en oeuvre ou inefficaces pour prévenir et remédier aux atteintes aux droits humaines et à l'environnement ; (2) de mettre en oeuvre de manière effective son plan de vigilance conformément aux dispositions du I de l'article L.225-102-4 du code de commerce et plus particulièrement les mesures de vigilance raisonnable afférentes aux projets Tilenga et EACOP telles qu'identifiées au (1) le cas échéant via un ordre donné aux filiales de la société TotalEnergies SE et leurs sous-traitants, et particulièrement : - le principe no10 du LARF en garantissant que les populations qui ont été privées du droit de cultiver leurs terres reçoivent une nourriture suffisante avant qu'elles ne puissent restaurer leurs moyens de subsistances par l'exploitation de terres grâce à la compensation octroyée ; à ce titre, il est demandé à la société TotalEnergies SE de procéder dès maintenant à des livraisons de nourriture en qualité suffisante (adaptée à la taille des foyers) aux PAP jusqu'à ce qu'elles retrouvent des moyens de subsistance grâce à la compensation octroyée, c'est à dire pendant au moins 18 mois après le versement de la compensation ; pour les personnes n'ayant pas encore reçu de compensation, fournir de la nourriture immédiatement et jusqu'à 18 mois après le versement de la compensation; - les principes no6 et 7 du LARF en garantissant que les populations reçoivent une juste et préalable compensation avant qu'elles ne soient privées du droit de cultiver leurs terres ; à ce titre (a) autoriser immédiatement les PAP toujours en attente de compensation à utiliser librement leurs terres pour y semer les cultures de leurs choix et réparer leurs habitations si nécessaire, et mettre en oeuvre les moyens afin de réduire l'impact des restrictions dues à la date limite d'éligibilité notamment via la panification des activités de développement afin que les agriculteurs touchés puissent récolter les cultures avant le déplacement ; (b) verser immédiatement la compensation ; (c) réviser les taux de compensation des terres et des cultures pour s'adapter aux prix actuels du marché et inclure un dédommagement pour les dommages et les pertes subies depuis l'évaluation de leurs terres, du fait de leur incapacité à utiliser leurs terres librement ; (d) verser une compensation complémentaire correspondante à tous les PAP, y compris ceux qui ont déjà reçu leur compensation - le principe no8 du LARF en garantissant que le choix d'option pour une compensation en nature soit effectif et que les compensations en espèces permettent l'acquisition de terres assurant aux population expropriées des revenus équivalents ; - le principe no4 du LARF en garantissant une participation effective des populations affectées aux prises de décisions aux projets Tilenga et EACOP ; - des mécanismes de traitement des plaintes indépendants des projets Tilenga et EACOP conformément aux stipulations du LARF, notamment en révisant le mécanisme de plaintes associés à Tilenga et EACOP et en remédiant aux insuffisances pointées par les communautés et les experts (manque de transparence, d'impartialité, d'indépendance ...) (3) de suspendre les travaux afférents aux projets Tilenga et EACOP, le cas échéant via un ordre donné aux filiales et leurs sous traitants jusqu'à ce que les mesures de vigilance définies au (1) et leur mise en oeuvre définie au (2) soient respectées ; A titre infiniment subsidiaire : - accueillir la demande de passerelle fondée sur l'article 837 du code de procédure civile ; - ordonner le renvoi de l'affaire à une audience afin qu'il soit statué au fond ; En tout état de cause : - condamner la société TotalEnergies SE à verser aux associations demanderesse la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, - condamner la société TotalEnergies SE aux entiers dépens. Les associations demanderesses exposent, en substance : Sur la recevabilité de leur action Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt pour agir : ? Que l'action qu'elles exercent est ouverte, selon la loi relative au devoir de vigilance des entreprises, à toute personne justifiant d'un intérêt pour agir ; ? Qu'il suffit, d'une part que leur objet social vise à lutter contre certaines des atteintes et risques graves liés aux projets en cause et non qu'il vise, expressément, ces projets; d'autre part, qu'elles aient été dûment autorisées à introduire l'action, par leurs représentants respectifs ; ? Qu'il est en revanche indifférent qu'elles ne soient pas mandatées, spécifiquement, par des personnes se déclarant victimes des atteintes liées aux projets en cause ; Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour défendre : ? Que les obligations reposant sur la défenderesse ne concernent pas seulement ses propres activités mais encore celles de ses filiales, et de l'ensemble des partenaires commerciaux avec lesquels elle entretient, pour ces projets, des relations établies, tels que ses sous-traitants ; ? Qu'il existe, de par l'effet de la loi sur le devoir de vigilance, un dépassement de la distinction des personnalités morales ; ? Que la société défenderesse, en sa qualité de société mère, peut donc, sans s'ingérer dans la gestion de ses filiales, leur ordonner de respecter des obligations de vigilance dont elle est personnellement comptable, ce incluant, donc, d'exécuter les principes du LARF, auquel ses filiales opérationnelles sont parties ; ? Que les considérations liées aux personnalités morales distinctes que sont ses filiales sont indifférentes car elle dispose, sur ces dernières, d'un droit de vote majoritaire direct ou indirect, lui octroyant un contrôle exclusif. Sur les fins de non-recevoir tirées, d'une part, de la disparition du plan de 2018, et d'autre part, de l'absence de mise en demeure préalable pour les plans postérieurs : ? Que le litige porte sur le respect par la société défenderesse de ses obligations en matière de vigilance, et non pas, spécifiquement, sur les plans de vigilance qui ne sont que les supports par lesquels elle doit rendre compte des diligences effectuées ; ? Qu'ainsi, le plan de vigilance de 2018, pour avoir disparu et été remplacé par trois plans successifs, n'a pas vidé le litige de son objet, et ne l'a pas même modifié, puisque ces plans sont également insuffisants ; ? Que les obligations en matière de vigilance sont de nature continue et n'appellent donc pas de réitérer les mises en demeure à chaque nouveau plan, sauf à priver la loi de toute sa portée, dès lors qu'un nouveau plan est publié chaque année et qu'elles sont tenues de respecter un délai de trois mois avant d'intenter une action en justice ; ? Qu'aucune demande nouvelle n'a été formée dans le cadre de la présente instance, seules les anciennes demandes ont été précisées en considération de l'évolution de la situation locale et des nouveaux éléments de preuves s'y rapportant, dont l'obtention est difficile ; Sur le bien-fondé de l'action : ? Que les projets en cause sont à l'origine de graves atteintes ou risques d'atteintes aux droits des personnes et de l'environnement, et particulièrement : - des atteintes liées à l'éviction forcées des PAP, en ce que 118.000 personnes ont été expropriées des terres sur lesquelles elles habitaient et qu'elles exploitaient afin d'en tirer leurs moyens de substance, ces personnes ayant bénéficié d'une indemnisation tardive, alors qu'elles étaient empêchées de les cultiver ou d'y réaliser quelques constructions à compter de la "cut off date", d'un montant insuffisant pour permettre l'acquisition de parcelles équivalentes, et monétaire, et sans possibilité d'opter pour une indemnisation en nature, ni d'obtenir des aliments de quantité et de qualité suffisante ; - des atteintes liées à la liberté d'expression : ? Que les PAP, et plus généralement, toute personne souhaitant s'opposer aux projets en cause ou à leurs conditions de mises en oeuvre sont contraintes au silence par des procédés autoritaires, tels que l'intimidation ou la répression ; au moyen, notamment, d'arrestations arbitraires ou de menaces contre les personnes et les biens ; - des atteintes à l'environnement : ? Que les projets en cause seront à l'origine d'émissions massives de gaz à effet de serre, participant du dérèglement climatique ; ? Que le projet Tilenga implique, au surplus, le forage de centaines de puits de pétrole dont certains à l'intérieur du parc national des Murchison Falls, ainsi que la construction, en ce lieu, de routes goudronnées, et le pompage d'importantes quantité d'eau en provenance du lac Albert ; ? Que le projet EACOP suppose de faire passer l'oléoduc par des zones protégées, et des corridors fauniques, ainsi que par des lacs, rivières et autres cours d'eau dont dépendent les populations locales ; * ? Que les plans de vigilance successivement adoptés par la société défenderesse sont insuffisants pour prévenir ou atténuer les atteintes graves ou risques d'atteintes graves sus mentionnés : Sur la cartographie des risques : ? Que cette section du plan ne répond pas aux exigences légales puisqu'elle ne comprend qu'une liste descriptive incomplète des risques d'atteintes, sans analyse ou hiérarchie; ? Que, dès lors, les risques d'atteintes ne sont pas correctement identifiés ; Sur les procédures d'évaluation régulière de la situation des filiales, sous-traitants et fournisseurs : ? Que les filiales, sous traitants ou fournisseurs qui présentent, par leurs activités, comme c'est le cas pour les projets en cause, des risques particuliers, ne sont pas identifiés ; ? Que les procédures décrites le sont de manière générique ou abstraite ce qui rend impossible de les lier aux risques susvisés ; Sur les actions adaptées d'atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves : ? Que cette section ne précise pas, pour chaque risque susvisé, les mesures adoptées pour les prévenir ou les atténuer ; Sur le dispositif de suivi des mesures mises en oeuvre et l'évaluation de leur efficacité : ? Que cette section fait état d'un dispositif de suivi imprécis, en renvoyant à des audits internes ou externes ou à des listes d'indicateurs ou à un cahier des charge dont les contenus ne sont pas développés ; Sur le compte rendu de mise en oeuvre du plan : ? Que cette section, pour être plus étoffée dans le plan de 2021 que dans celui de 2018, demeure lacunaire, puisqu'elle ne comprend des indicateurs chiffrés que pour certains risques ; ? Qu'enfin, elle ne permet pas, en l'état, de comprendre les mesures effectivement mises en oeuvre ou le cas échéant, les difficultés d'application de ces mesures rencontrées ; Selon ses dernières conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience du 7 décembre 2022, la société TotalEnergies SE, représentée par son conseil, demande à la juridiction des référés : A titre principal : - de déclarer irrecevable l'action des associations demanderesses à son encontre s'agissant de la publication du plan de vigilance 2018 en raison de la disparition de son objet ; - de déclarer irrecevable l'action des associations demanderesses à son encontre s'agissant de la publication des plans de vigilance 2019, 2020 et 2021 en raison de l'absence de mise en demeure préalable ; - de déclarer irrecevables les demandes formées à son encontre par les associations demanderesses en raison de leur absence d'intérêt à agir ; - de déclarer irrecevables les demandes no2 et no3 formées à son encontre par les associations demanderesses, en raison de son défaut de qualité à se défendre ; A titre subsidiaire : - de dire n'y avoir lieu à référé ;- de rejeter la demande de passerelle ; En tout état de cause : - de débouter les associations demanderesses de l'ensemble de leurs demandes ; - de condamner "solidairement" les associations demanderesses à lui verser la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens. Au soutien de ses prétentions, la société défenderesse réplique : Sur la recevabilité de l'action : Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt pour agir: ? Que l'action est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir des associations demanderesses dont l'objet social est insuffisamment précis et ne leur permet pas, selon la jurisprudence, d'exercer des actions en justice ; ? Que ces associations ne justifient pas, au surplus, représenter des personnes se déclarant victimes des atteintes ou risques d'atteintes dénoncés ; Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre : ? Que l'action est irrecevable s'agissant des demandes no2 et no3 en raison de son défaut de qualité à se défendre ; ? Qu'en effet, la demande no2 concerne ses seules filiales, et leurs sous-traitants ou fournisseurs, et vise les principes du LARF, convention à laquelle elle n'est pas partie, ? Que la demande no3, consistant dans la suspension des travaux, concerne une mesure qui ne peut être adoptée que par les Etats, souverains, de l'Ouganda et de la Tanzanie ; Sur les fins de non-recevoir tirées, d'une part, de la disparition du plan de 2018, et d'autre part, de l'absence de mise en demeure préalable pour les plans postérieurs: ? Que l'action exercée par les associations demanderesses est dorénavant dépourvue d'objet puisqu'elle repose sur le plan de 2018, lequel a disparu, trois plans successifs ayant été, depuis, publiés ; ? Que le contenu de ces plans a significativement évolué comparativement à celui qui était dénoncé dans la mise en demeure de 2019 ; ? Que les demandes formées sont également nouvelles comparativement à celles exposées dans cette mise en demeure ; ? Or, qu'aucune nouvelle mise en demeure, diligence obligatoire, ne lui a été adressée concernant les plans postérieurs à celui de 2018 ; Sur le bien-fondé de l'action : ? Qu'à titre liminaire, la loi fondant l'action ne s'impose qu'aux sociétés mères et ne crée par d'obligations envers les sociétés tierces, même si le plan doit être décliné au sein des filiales du groupe ; ? Qu'il en résulte que seuls l'établissement, la publication et la mise en oeuvre du plan par les sociétés mères sont soumis au contrôle du présent juge ; Sur la cartographie des risques : ? Que cette section est conforme aux prescriptions légales en ce qu'elle identifie, analyse et hiérarchise les différents risques liés à ses activités, et notamment ceux liés aux projets en cause ; ? Que l'ampleur de ses activités, qui ne se limitent aucunement aux projets en cause, ne permet pas de lister toutes les déclinaisons et toutes les hypothèses dans lesquelles un risque est susceptible de se manifester, sauf à violer les dispositions du code de commerce qui lui impose de rédiger les documents extra-financiers, parmi lesquels figure le plan de vigilance, en termes clairs et concis ; ? Qu'elle n'est pas tenue d'y inclure les risques liés aux atteintes causées par un Etat de sorte qu'il ne peut lui être reproché d'avoir omis les éventuels risques correspondant ; Sur les procédures d'évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs : ? Que cette section est également conforme aux prescriptions légales ; ? Qu'il est impossible de publier, au sein du plan de vigilance, des informations concernant l'identité des filiales, sous-traitants ou fournisseurs présentant des risques particuliers sans dévoiler au public la stratégie commerciale de ces sociétés ; ? Que les procédures d'évaluation y sont suffisamment développées, deux pages y étant d'ailleurs consacrées ; Sur les actions d'atténuation des risques ou de prévention des atteintes : ? Que cette section est elle aussi conforme aux prescriptions légales, et en aucun cas lacunaires, puisque les différentes actions mises en oeuvre y sont explicitées ; ? Qu'il ne peut lui être reproché de renvoyer à des documents extérieurs ou à d'autres sections du même document, pratique courante destinée à éviter de surcharger le plan d'information non significatives, conformément aux préconisation, notamment, de la Commission européenne ; Sur le mécanisme d'alerte et de recueil des signalements: ? Que cette section est également conforme aux prescriptions légales ; ? Qu'un mécanisme, d'ailleurs efficace, a été mis en place, même si elle concède qu'aucun développement n'est consacré aux mesures prises pour assurer l'éthique, l'indépendance ou la neutralité des personnes chargé de la gestion des alertes et signalements, aucune norme n'imposant de telles mentions ; Sur le dispositif de suivi : ? Que le compte-rendu de la mise en oeuvre effective du plan est la traduction concrète du dispositif de suivi de sorte qu'elle a ainsi fait le choix, comme d'autres sociétés soumises au même devoir de vigilance, de consacrer cette section au plan de gouvernance par renvoi à d'autres sections du document d'enregistrement universel ; ? Qu'elle s'est notamment dotée d'un comité de pilotage des droits humains qui se réunit plusieurs fois par an, ainsi que d'un département des droits humains et d'éthique, qui s'appuie sur des responsables répartis dans les pays où le groupe opère, avec pour mission de promouvoir les valeurs du code de conduite auprès des collaborateurs des filiales, et veiller à leur mise en oeuvre au niveau local ; ? Qu'elle fait régulièrement diligenter des audits internes et externes, y compris concernant les projets en cause ; ? Que ce dispositif de suivi est efficace et a permis de mettre en oeuvre les actions afin de remédier concrètement aux difficultés identifiées ; Sur le compte-rendu de mise en oeuvre effective : ? Que cette section est également conforme et que les griefs exprimés par les associations demanderesses sur ce point sont de pure forme ; Sur la mise en oeuvre effective du plan : ? Que l'effectivité du plan de vigilance s'analyse au regard des mesures déployées par la société mère dans le cadre notamment de son dispositif de suivi pour s'assurer du respect de son plan au niveau local ; ? Que l'obligation de vigilance est de moyens, et non de résultat, et que l'ensemble des moyens ont été mis en place, les atteintes ou risques d'atteintes au droit humains et à l'environnement n'étant soit pas avérées, soit ayant été prises en considérations et atténuées autant que de possible, par des mesures adaptées ; ? Que les mesures sollicitées par les associations demanderesses pour pallier à sa carence alléguée présentent un caractère définitif échappant au juge des référés, et sont au surplus contradictoires entres elles puisqu'elles ne peuvent être exécutées simultanément ; ? Qu'au surplus, elles tendent à prévenir ou atténuer des risques qui ne sont pas avérés, et sérieusement contestés, et ne caractérisent pas les dommages imminents ou troubles manifestement illicites et ne se justifient pas davantage par l'existence d'un différend. En application de l'article 446-1 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour un plus ample exposé des moyens qui y sont contenus . A l'issue des débats, il a été indiqué aux conseils des parties que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 28 février 2023. MOTIFS Sur le devoir de vigilance Ces dernières années, plusieurs Etats ont adopté des législations devant permettre de mettre en oeuvre les principes des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme ou ceux de l‘Organisation de coopération et de développement économique. La responsabilité sociale des entreprises, qui participe de cette évolution, désigne un concept selon lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec les parties prenantes, initialement à partir d'une démarche volontaire progressivement complétée par un cadre légal et réglementaire visant à mieux encadrer les mesures déployées et à l'évaluation de leur efficacité. En s'intéressant aux chaînes d'approvisionnement mondiales, ces législations sont nécessairement dotées d'effets extraterritoriaux compatibles avec une certaine interprétation de l'obligation de l'État de faire respecter par les tiers les droits de l'homme, aucune règle ne prohibant à l'État d'édicter des règles à portée extraterritoriale régissant les activités d'entreprises présentes sur son territoire. Le lien de rattachement entre l'État législateur et l'entreprise visée ne se limite pas à une conception stricte de la nationalité de la maison mère de l'entreprise, mais aux critères beaucoup plus larges du « domicile » des entreprises. Parmi les pays européens à l'origine de législations imposant aux entreprises d'adopter un comportement vigilant du point de vue des droits de l'homme et de la protection de l'environnement, se singularise, en particulier, la France avec sa législation sur le devoir de vigilance. En France, la loi no2017-399 du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance a pour objectif de renforcer les obligations des sociétés françaises en matière de prévention des atteintes graves aux droits humains, à l'environnement, à la santé et à la sécurité des personnes et afin d'éviter la survenance de dommages s'y rapportant. La loi instaure une obligation de vigilance à l'égard des sociétés-mères avec un périmètre étendu qui inclut non seulement les activités de la société mère, mais également celles de ses filiales et celles de ses sous-traitants et fournisseurs avec lesquels elle entretient une relation commerciale établie. Cette législation a été codifiée par les articles L. 225-102-4 et 5 du code de commerce qui disposent : « I.-Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l'étranger, établit et met en oeuvre de manière effective un plan de vigilance. Les filiales ou sociétés contrôlées qui dépassent les seuils mentionnés au premier alinéa sont réputées satisfaire aux obligations prévues au présent article dès lors que la société qui les contrôle, au sens de l'article L. 233-3, établit et met en oeuvre un plan de vigilance relatif à l'activité de la société et de l'ensemble des filiales ou sociétés qu'elle contrôle. Le plan comporte les mesures de vigilance raisonnables propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu'elle contrôle au sens du II de l'article L. 233-16, directement ou indirectement, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation. Le plan a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société, le cas échéant dans le cadre d'initiatives pluripartites au sein de filières ou à l'échelle territoriale. Il comprend les mesures suivantes : 1o Une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation ; 2o Des procédures d'évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, au regard de la cartographie des risques ; 3o Des actions adaptées d'atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ; 4o Un mécanisme d'alerte et de recueil des signalements relatifs à l'existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société ; 5o Un dispositif de suivi des mesures mises en oeuvre et d'évaluation de leur efficacité. Le plan de vigilance et le compte rendu de sa mise en oeuvre effective sont rendus publics et inclus dans le rapport de gestion mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 225-100 (1). Un décret en Conseil d'État peut compléter les mesures de vigilance prévues aux 1o à 5o du présent article. Il peut préciser les modalités d'élaboration et de mise en oeuvre du plan de vigilance, le cas échéant dans le cadre d'initiatives pluripartites au sein de filières ou à l'échelle territoriale. II.- Lorsqu'une société mise en demeure de respecter les obligations prévues au I n'y satisfait pas dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure, la juridiction compétente peut, à la demande de toute personne justifiant d'un intérêt à agir, lui enjoindre, le cas échéant sous astreinte, de les respecter. Le président du tribunal, statuant en référé, peut être saisi aux mêmes fins. » « Article L225-102-5 Dans les conditions prévues aux articles 1240 et 1241 du code civil, le manquement aux obligations définies à l'article L. 225-102-4 du présent code engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice que l'exécution de ces obligations aurait permis d'éviter. L'action en responsabilité est introduite devant la juridiction compétente par toute personne justifiant d'un intérêt à agir à cette fin.La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci, selon les modalités qu'elle précise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.La juridiction peut ordonner l'exécution de sa décision sous astreinte. » La loi pose un principe de devoir de vigilance à certaines entreprises qui sont rattachées territorialement à la France, ce principe se concrétisant par l'obligation faite à ces sociétés d'adopter un plan de vigilance comportant 5 catégories de mesures. Le contenu de ces mesures de vigilance demeure général, étant observé que le décret prévu par les dispositions susvisées pouvant apporter des précisions sur le contenu de ces mesures de vigilance n'est pas paru à ce jour. La loi ne vise directement aucun principe directeur, ni aucune autre norme internationale préétablie, ni ne comporte de nomenclature ou de classification des devoirs de vigilance s'imposant aux entreprises concernées. Le droit positif ne prévoit aucun référentiel, aucune typologie précise des droits concernés ou des mesures au sens des dispositions susvisées. Il n'est pas davantage prévu de modus operandi, de schéma directeur, d'indicateurs de suivi, d'instruments de mesure devant présider à l'élaboration , à la mise en oeuvre et à l'évaluation par l'entreprise des mesures générales de vigilance pesant sur elle du chef des dispositions susvisées. Aucun organisme de contrôle indépendant, ou moniteur, ou d'indicateurs de performance ne sont davantage prévus par la loi pour évaluer ex ante le plan de vigilance adopté par l'entreprise ou pour vérifier la réalité de l'exécution de ce plan ex post, le seul contrôle prévu étant dévolu au juge qui pour opérer ce contrôle devra s'appuyer sur une notion standard « le caractère raisonnable » des mesures de vigilances contenues dans le plan de vigilance de l'entreprise, notion imprécise, floue et souple. Cette législation assigne ainsi des buts monumentaux de protection des droits humains et de l'environnement à certaines catégories d'entreprise précisant à minima les moyens qui doivent être mis en oeuvre pour les atteindre. Sur le modus operandi de l'élaboration du plan, il convient cependant de relever que les dispositions susvisées prévoient que : « Le plan a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société, », étant observé que le champ des parties prenantes concernées n'est pas davantage précisé, ni le processus de désignation de ces parties prenantes, à l'exception du mécanisme d'alerte et de recueil des signalements relatifs à l'existence ou à la réalisation des risques, qui doit être établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société. Il y a lieu de considérer que si le législateur n'a pas entendu donner un contour précis aux mesures générales qui s'imposent à certaines entreprises dans le cadre du devoir de vigilance, il a par contre expressément manifesté son intention de voir ce plan de vigilance élaboré dans le cadre d'une co-construction et d'un dialogue entre les parties prenantes de l'entreprise et l'entreprise. En respectant la pluralité des points de vue des parties prenantes et en les associant à l'élaboration du plan, cette concertation, d'une part, est de nature à assurer une meilleure définition du périmètre de vigilance et, d'autre part, à réduire considérablement les risques de contentieux mettant en cause la pertinence du plan, si celui-ci a été défini et validé avec les parties prenantes. Cette méthode voulue de collaboration ex ante entre la société et les parties prenantes à l'occasion de l'élaboration du plan de vigilance a pour objectif d'assurer au mieux l'effectivité du respect de la réglementation sus visée mais aussi de l'efficacité du plan au regard des buts monumentaux fixés par cette réglementation (essentiellement de nature politique en matière de protection de l'environnement et des droit humains). Cette volonté du législateur d'un processus collaboratif d'élaboration du plan de vigilance se manifeste et est concrétisée par le mécanisme de la mise en demeure, préalable à la saisine du juge, prévu par les dispositions susvisées selon lesquelles : « Lorsqu'une société mise en demeure de respecter les obligations prévues au I n'y satisfait pas dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure, la juridiction compétente peut, à la demande de toute personne justifiant d'un intérêt à agir, lui enjoindre, le cas échéant sous astreinte, de les respecter?. ». Cette mise en demeure ne peut avoir pour objet que de permettre à l'entreprise de se mettre en conformité dans le cadre d'un dialogue comme cela ressort des travaux préparatoires de loi sur le devoir de vigilance, et doit nécessairement dès lors être regardée comme une condition nécessaire préalable à la délivrance d'une injonction par le juge. En effet, l'envoi de cette mise en demeure a pour objectif d'instituer une phase obligatoire de dialogue et d'échange amiable au cours de laquelle la société pourra répondre aux critiques formulées à l'encontre de son plan de vigilance et lui apporter les modifications nécessaires.Cette phase de dialogue est d'autant plus importante et nécessaire, pour parvenir à l'objectif fixé par la loi, que cette loi ne comporte aucune méthodologie précise concernant son établissement, ni aucun référentiel précis concernant les droits à préserver, cette configuration étant au surplus source de complexité dans l'élaboration du plan de vigilance . Cette mise en demeure, dont l'exigence poursuit un objectif de sécurité juridique et de développement des alternatives amiables de résolution des litiges, doit être suffisamment ferme et précise pour permettre d'identifier les manquements imputés au plan et permettre la phase de négociation amiable préalable à la saisine du juge. Le défaut de mise en demeure prévue par les dispositions susvisées antérieurement à la saisine du juge, ne peut ainsi qu'entraîner l'irrecevabilité de la demande d'injonction formée auprès du juge fondée sur ces mêmes dispositions. Lorsqu'une société mise en demeure de respecter les obligations prévues au I n'y satisfait pas dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure, « toute personne justifiant d'un intérêt à agir, bénéficie d'une option de juridiction, entre la juridiction et la juridiction des référés pour demander la délivrance d'une injonction aux fins de les faire respecter,Le président du tribunal, statuant en référé, peut être saisi aux mêmes fins. » Ce texte offre ainsi une option entre le juge du fond et le juge des référés. Sur les pouvoirs du juge des référés Le référé est un dispositif judiciaire permettant un examen rapide du contentieux. Le juge des référés est chargé d'apporter une réponse urgente à un litige en prononçant des mesures d'attente, afin de préserver les droits des parties avant leur appréciation par le juge du fond. Aux termes de l'article 484 du Code de procédure civile, l'ordonnance de référé est une décision provisoire rendue dans les cas où la loi confère au juge, qui n'est pas saisi du principal, le pouvoir d'ordonner immédiatement les mesures nécessaires. Au sens de l'article 488, l'ordonnance de référé n'a pas, au principal, autorité de la chose jugée. Le terme provisoire du référé contrairement au terme principal, ne concerne pas le fond du litige. Les mesures prises en référé sont provisoires parce qu'elles sont susceptibles d'être modifiées ou rapportées par une juridiction du fond, qui n'est jamais liée par la décision de référé, en cas de circonstances nouvelles. Aux termes de l'article 835, alinéa 1er, du code de procédure civile, le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit. Le juge des référés doit se placer, pour ordonner ou refuser des mesures conservatoires ou de remise en état, à la date à laquelle il prononce sa décision. Il s'ensuit, pour que la mesure sollicitée soit prononcée, qu'il doit nécessairement être constaté à la date à laquelle le juge statue et, avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage. Un dommage purement éventuel ne saurait donc être retenu pour fonder l'intervention du juge des référés. La constatation de l'imminence du dommage suffit à caractériser l'urgence afin d'en éviter les effets. Aux termes de l'article 835, alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond. Si aucune contestation n'apparaît sérieusement opposable, la provision peut être octroyée ou l'obligation ordonnée, quelle que soit l'obligation en cause. La nature de l'obligation sur laquelle est fondée la demande de provision ou d'exécution d'une obligation de faire est indifférente, qui peut être contractuelle, quasi-délictuelle ou délictuelle. En outre, la juridiction des référés ne peut se livrer à l'interprétation d'un acte sans outrepasser ses pouvoirs ; elle peut, en revanche tirer les conséquences d'un acte clair. Enfin, il est rappelé que le caractère sérieux de la contestation s'apprécie à la date de la décision et non à celle de la saisine. Si la loi sur le devoir de vigilance, lorsqu'une société mise en demeure de respecter les « obligations prévues au I n'y satisfait pas dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure » prévue par les dispositions susvisées, ouvre la possibilité à toute personne justifiant d'un intérêt à agir, de demander au juge des référés la délivrance d'une injonction aux fins de les faire respecter, encore faut-il que les conditions posées par les articles 834 et 835 du code de procédure civile soient réunies. S'il entre dans les pouvoirs du juge des référés de délivrer une injonction en application des dispositions susvisées lorsque la société, soumise au régime du devoir de vigilance n'a pas établi de plan de vigilance, ou lorsque le caractère sommaire des rubriques confine à une inexistence du plan, ou lorsqu'une illicéité manifeste est caractérisée, avec l'évidence requise en référé, en revanche, il n‘entre pas dans les pouvoirs du juge des référés de procéder à l'appréciation du caractère raisonnable des mesures adoptées par le plan, lorsque cette appréciation nécessite un examen en profondeur des éléments de la cause relevant du pouvoir du seul juge du fond . Sur les demandes formées par les associations Survie, NAVODA et CRED aux fins, principalement, d'enjoindre, la société TotalEnergies, d'exécuter ses obligations en matière de vigilance et tendant à voir suspendre les travaux afférents aux projets Tilenga et EACOP Il est constant que la société TotalEnergies SE est soumise, depuis le 28 mars 2017, à la loi no2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, codifié aux articles L. 225-102-4 et -5 du code de commerce. Le 20 mars 2019, la société TotalEnergies SE a publié son document d'enregistrement universel pour l'exercice 2018, lequel comprend le plan de vigilance 2018. Le plan de vigilance comporte les rubriques correspondant aux cinq mesures exigées par la loi. Par une lettre en date du 24 juin 2019, les associations « Les Amis de la Terre France », « The National Association of Professional Environmentalists », « Africa Institute for Energy Governance », « SURVIE », « Civic Response to Environment and Development » (CRED) et « Navigators of development association » (NAVODA) ont mis en demeure TotalEnergies « de satisfaire à ses obligations en matière de vigilance eu égard tant aux insuffisances de son plan que de sa mise en oeuvre effective ainsi que de sa publication ». Aux termes de cette mise en demeure, ces associations ont formulé trois séries de critiques contre le plan de vigilance 2018 de la société TotalEnergies SE invoquant notamment que : - "La cartographie des risques serait incomplète, car les risques causés par les activités de la maison-mère, par celles de ses filiales et celles de ses sous-traitants et fournisseurs, au sens de la Loi Vigilance, ne seraient pas identifiés ou insuffisamment identifiés, analysés et hiérarchisés, en particulier s'agissant des projets TILENGA et EACOP ; - Le plan de vigilance ne comporterait aucune rubrique spécifique s'agissant des risques des projets TILENGA et EACOP ; - Les mesures de vigilance raisonnable concernant les risques d'atteintes graves non identifiées ou insufisamment identifiées dans le Plan de vigilance mais dont l'existence se trouverait rapportée par les associations demanderesses ne seraient assorties d'aucune mise en oeuvre effective". Par lettre du 24 septembre 2019, la société TotalEnergies a répondu de manière détaillée à la mise en demeure des associations . C'est dans ces conditions que les demanderesses ont introduit la présente instance par une assignation en référé délivrée le 29 octobre 2019 devant le président du Tribunal judiciaire de Nanterre, aux fins, principalement, d'enjoindre, cette société, d'exécuter ses obligations en matière de vigilance, les associations demanderesses ayant choisi l'option procédurale de la juridiction des référés et non l'option procédurale de la juridiction du fond . Suite à cette assignation la société TotalEnergies a publié de nouveaux plans de vigilance pour les années 2019, 2020 et 2021 apportant de nombreuses modifications au premier plan de vigilance, étant observé qu'au jour des débats c'est le plan de vigilance de l'année 2021 qui fait l'objet des critiques et des demandes formées par les demanderesse devant le juge des référés du tribunal de Céans. Sur le défaut de mise en demeure Il ressort de la lecture des griefs et demandes allégués dans la mise en demeure du 24 juin 2019, des associations « Les Amis de la Terre France », « The National Association of Professional Environmentalists », « Africa Institute for Energy Governance », « SURVIE », « Civic Response to Environment and Development » (CRED) et « Navigators of development association » (NAVODA) adressée à la société TotalEnergies « aux fins de satisfaire à ses obligations en matière de vigilance eu égard tant aux insuffisances de son plan que de sa mise en oeuvre effective ainsi que de sa publication » que ces derniers sont différents de manière substantielle des demandes et griefs formés au jour des débats devant le juge des référés du tribunal de céans,(étant observé que les présentes demandes se fondent sur plus de deux cents nouvelles pièces par rapport à celles annexées à la mise en demeure de 2019) de sorte qu'il y a lieu de considérer que les griefs, objet des demandes formées par les demanderesses relativement au plan de vigilance pour l'année 2021 n'ont pas été notifiés à la société TotalEnergies SE par une mise en demeure préalable à la saisine du juge, en violation des dispositions susvisées . Faute de mise en demeure préalable à la saisine du juge des référés, il s'en infère qu'il y a lieu de déclarer irrecevables les demandes formées par les demanderesses tendant à voir enjoindre la société TotalEnergies SE d'exécuter ses obligations en matière de vigilance et de suspendre les travaux afférents aux projets Tilenga et Eacop formées par les demanderesses, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens. De manière surabondante, il sera relevé, en premier lieu, que la société TotalEnergies a établi formellement un plan de vigilance comportant les 5 items prévus par la loi sur le devoir de vigilance suffisamment détaillés pour ne pas être regardés comme sommaires, en second lieu, que de très nombreuses pièces contradictoires sont versées aux débats concernant des opérations spécifiques d'une grande complexité, objet du plan de vigilance litigieux, en troisième lieu, qu'il n'existe aucune réglementation précisant les contours du standard d'une entreprise normalement vigilante, de sorte que les griefs et les manquements reprochés à la société TotalEnergies SE du chef de son devoir de vigilance, au cas présent, doivent faire l'objet d'un examen en profondeur des éléments de la cause excédant les pouvoirs du juge des référés. Il s'en infère qu'il n'appartient qu'au seul juge du fond, le cas échéant, de dire si les griefs reprochés à la société TotalEnergies sont caractérisés ou si cette dernière apporte la preuve du respect de son devoir de vigilance au regard des éléments contenus dans le plan de vigilance de la société Total Energies pour l'année 2021, et de procéder au contrôle des outils prévus et mis en oeuvre dans le cadre du plan de vigilance litigieux en en évaluant l'efficacité et l'effectivité au regard des buts monumentaux relatifs aux droits humains à préserver et à l'environnement à protéger relevant de la réglementation du devoir de vigilance, étant observé qu'aucune illicéité, en l'état, n'est caractérisée avec l'évidence requise en référé ou de manière manifeste. Sur la demande tendant à voir accueillir la demande de passerelle fondée sur l'article 837 du code de procédure civile ; Il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande, les conditions de l'article 837 du code de procédure civile n'étant pas réunies. Sur les demandes accessoires Les associations demanderesses échouant dans leurs demandes, elles supporteront la charge des dépens.PAR CES MOTIFS Par jugement, rendu en état de référé, contradictoirement, en premier ressort, par mise à disposition au greffe. Déclarons irrecevables les demandes formées par les associations Survie, NAVODA et CRED aux fins d'enjoindre, la société TotalEnergies SE, d'exécuter ses obligations en matière de vigilance et tendant à voir suspendre les travaux afférents aux projets Tilenga et EACOP ; Disons n'y avoir lieu à l'application de l'article 837 du code de procédure civile. Rejetons les demandes du chef de l'article 700 du code de procédure civile. Condamnons in solidum les demanderesses au paiement des dépens de l'instance. Fait à Paris le 28 février 2023 Le Greffier, Le Président, Marion COBOS Fabrice VERT
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JURITEXT000047805393
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 28 février 2023, 22/53942
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2023-02-28
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Tribunal judiciaire de Paris
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22/53942
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CT0264
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Les associations « Les amis de la terre France », « The national association of professionnal environmentalists » et « Africa institute for energy governance » d'une part, et, d'autre part, les associations « Survie », « Civic response to Environment and Development » et « Navigators of development association », ont saisi séparément la juridiction des référés afin, notamment, d'enjoindre à la société TotalEnergies d'exécuter ses obligations en matière de vigilance issues de la loi no2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, spécifiquement concernant deux projets de développement pétrolier en Ouganda. Ces associations ont également demandé la suspension des travaux afférents à ces deux projets. Ces deux affaires portant sur les mêmes demandes et soulevant les mêmes questions juridiques, la juridiction des référés a rendu le même jour deux décisions. Le tribunal a d'abord rappelé que les mesures de vigilance instaurées par la loi no2017-399 du 27 mars 2017 codifiée aux articles L.225-102-4 L.225-102-5 sont générales et sans contours précis, le décret en Conseil d'Etat susceptible de préciser le contenu de ces mesures n'étant pas paru à ce jour. Il a ensuite constaté les points suivants : - La loi précise a minima les moyens qui doivent être mis en Suvre par certaines catégories d'entreprises pour atteindre les buts de protection des droits humains et de l'environnement. - La loi exige que le plan de vigilance mis à la charge des entreprises soit élaboré dans le cadre d'une collaboration entre les parties prenantes et l'entreprise pour en garantir l'efficacité, cette volonté du législateur se concrétisant par un mécanisme de mise en demeure préalable à la saisine du juge instauré par l'article L.225-102-4 du code de commerce. - Les demandes et griefs formulés par les associations demanderesses dans le cadre de la présente instance sont substantiellement différents de ceux indiqués dans la mise en demeure adressée par ces mêmes associations le 24 juin 2019 à la société Total. Le tribunal en a déduit que les griefs soulevés devant lui n'avaient pas fait l'objet d'une mise en demeure préalable comme l'exige l'article L.225-102-4 du code de commerce, rendant les demandes des associations irrecevables. Le tribunal a enfin ajouté que l'appréciation des griefs et des manquements reprochés à la société TotalEnergies du chef de son devoir de vigilance relève du juge du fond.
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS No RG 22/53942 - No Portalis 352J-W-B7G-CXB4M No : 2/MC Assignation du :29 octobre 2019 JUGEMENT RENDU EN ETAT DE REFERE (article 487 du Code de procédure civile) le 28 février 2023 par le Tribunal judiciaire de Paris, composé de : Fabrice VERT, Premier Vice-PrésidentViolette BATY, Vice PrésidentKarine THOUATI, Juge Assistés de Marion COBOS, Greffier. DEMANDERESSES L'Association "LES AMIS DE LA TERRE FRANCE"[Adresse 2][Adresse 2] L'Association "THE NATIONAL ASSOCIATION OF PROFESSIONNAL ENVIRONMENTALISTS" (NAPE)Association de droit ougandais ayant son siège social[Adresse 5][Adresse 5] [Localité 3] - OUGANDA L'Association "AFRICA INSTITUTE FOR ENERGY GOVERNANCE" (AFIEGO)Association de droit ougandais ayant son siège social[Adresse 4][Adresse 4][Localité 3] - OUGANDA représentées par Me Louis COFFLARD, avocat au barreau de PARIS - #A0826 DEFENDERESSE La Société TotalEnergies SE[Adresse 1][Adresse 1] représentée par Maîtres Antonin LEVY et Ophélia CLAUDE de l'A.A.R.P.I Antonin Levy et associés, avocats au barreau de PARIS - #G0612 DÉBATS A l'audience du 07 Décembre 2022, tenue publiquement, présidée par Fabrice VERT, Premier Vice-Président, EXPOSE DU LITIGE La société TotalEnergies SE est une société française fondée en 1924, mère de la firme multinationale éponyme composée de 1140 filiales implantées sur cinq continents et plus de cent trente pays; elle emploie, approximativement, cent mille salariés, et exerce des activités d'exploration, de production et de distribution d'énergie. Elle est soumise, depuis le 28 mars 2017, à la loi no2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, laquelle a introduit les articles L. 225-102-4 et -5 au sein du code de commerce. La société TotalEnergies SE détient, en totalité, la société TotalEnergies Holdings International BV, laquelle détient, également en totalité, la société TotalEnergies EP Uganda, d'une part, et la société TotalEnergies Holdings EACOP SAS, qui détient elle-même à 62% la société anglaise East African Crude Oil Pipeline Ltd ou EACOP Ltd (8% étant détenu par la société chinoise China National Offshore Oil Cooperation, ou CNOOC, 15% par la société ougandaise Compagnie Pétrolière Nationale d'Ouganda ou UNOC, et 15% par la société tanzanienne Compagnie Pétrolière Nationale de Tanzannie, ou TPDC). La filiale TotalEnergies EP Uganda est l'opérateur d'un projet de développement pétrolier, d'une usine de traitement du brut, des canalisations enterrées et des infrastructures dans les districts de Buliisa et de Nwoya en Ouganda, dénommé Tilenga, et réalisé en collaboration avec la société chinoise CNOOC dans le cadre d'une coentreprise ("joint-venture") au sein de laquelle les partenaires détiennent, individuellement, une licence d'exploitation octroyée par l'Etat ougandais. La société EACOP Ltd est l'opérateur d'un autre projet, dit EACOP, également mené en collaboration avec la société CNOOC, et consistant en la construction d'une canalisation enterrée de transport d'hydrocarbures d'une longueur de 1.147 kilomètres dont les extrémités sont situées en Ouganda et en Tanzanie, ainsi qu'en la création d'un terminal de chargement en mer, dans la ville de Tanga. L'association "Les amis de la Terre France", fondée en 1970 selon les dispositions de la loi 1901, oeuvre pour la protection des êtres humains et de l'environnement, pour bâtir une société durable, et lutte à cette fin contre les excès de la société de consommation, l'iniquité dans la répartition des ressources naturelles entre les pays développés et en voie de développement, et en faveur de l'adoption d'un cadre juridique permettant de sanctionner les responsables de dégradations environnementales, la défense des victimes directes ou indirectes de ces dégradations, la promotion de l'accès des citoyens à l'information, l'exercice de leurs droits civiques et leur participation active dans les décisions relatives, notamment, à l'environnement et au cadre de vie. L'association The National Association of Professionnal Environmentalists (NAPE) est une organisation de droit ougandais fondée en 1997 militant pour la protection de l'environnement et le développement durable, particulièrement en Ouganda. Elle intervient, à cette fin, dans les domaines politiques, économiques, sociaux, et promeut l'éducation et la recherche sur les problématiques qui la concernent. L'association Africa Institute for Energy Governance (AFIEGO) est une organisation à but non lucratif de droit ougandais qui soutient des politiques publiques en matière énergétique favorables aux populations défavorisées ou vulnérables. Le 20 mars 2019, la société TotalEnergies EP a publié son document d'enregistrement universel pour l'exercice clos de 2018, lequel comprenait un plan de vigilance pour l'année 2018. Suivant un courrier en date du 24 juin 2019, six associations, dont les associations "Les Amis de la Terre France", "NAPE" et "AFIEGO" ont dénoncé ce plan de vigilance concernant, spécifiquement, les projets Tilenga et EACOP et mis en demeure la société TotalEnergies EP "de satisfaire à ses obligations en matière de vigilance eu égard tant aux insuffisances de son plan que de sa mise en oeuvre effective ainsi que de sa publication". Suivant courrier en réplique en date du 24 septembre 2019, la société TotalEnergies EP a défendu son plan, arguant de ce qu'il contenait tous les éléments nécessaires à une information adéquate de ses destinataires, que les risques d'atteintes graves envers les personnes et l'environnement avaient été correctement identifiés au sein du plan, et des mesures adéquates déployées afin de les prévenir ou de les atténuer, sans que celles-ci, spécifiques à chaque projet, n'aient à être détaillées dans ce document, précisant toutefois qu'elles étaient accessibles au public par le biais des études d'impacts disponibles en ligne. C'est dans ces circonstances que les associations "Les Amis de la Terre France", "NAPE" et "AFIEGO" ont, par acte d'huissier du 29 octobre 2019, fait assigner la société TotalEnergies EP par devant le président du tribunal judiciaire de Nanterre statuant en référé, aux fins, principalement, d'enjoindre, cette société, à exécuter ses obligations en matière de vigilance. Par ordonnance du 30 janvier 2020, cette juridiction, retenant l'exception d'incompétence matérielle soulevée par la société TotalEnergies EP, s'est déclarée incompétente au profit du tribunal de commerce de Nanterre ; les associations demanderesses ont interjeté appel de cette décision par déclaration du 16 mars 2020. Par arrêt du 10 décembre 2020, la cour d'appel de Versailles a confirmé l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ; les associations appelantes ont formé un pourvoi en cassation contre cette décision. Par arrêt du 15 décembre 2021, la Cour de cassation a partiellement cassé la décision attaquée, au motif qu'il existait au bénéfice des non-commerçants un droit d'option entre le tribunal judiciaire et le tribunal de commerce pour l'action exercée sur le fondement de la loi no2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre. L'affaire a ainsi été renvoyée devant la juridiction des référés près le tribunal de Nanterre. La loi no2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, entrée en vigueur le 24 décembre suivant, a donné compétence exclusive pour connaître des actions introduites sur le fondement de la loi no2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, au tribunal judiciaire de Paris. Par ordonnance du 21 avril 2022, la juridiction des référés du tribunal judiciaire de Nanterre s'est déclarée incompétente au profit de la juridiction des référés près le tribunal judiciaire de Paris. Le 1er juin 2022, a été rendue par le juge des référés du tribunal de céans une ordonnance d'injonction de rencontrer un médiateur. Les parties ont déféré à cette injonction, mais seule la société TotalEnergies a fait part de son acceptation d'entrer en médiation. A l'audience du 26 octobre 2022, le tribunal, compte tenu de la nature de l'affaire, a procédé à l'audition des professeurs [F] [W], [E] [Z] et [S] [T] comme amici curiae. L'affaire a été entendue à l'audience du 7 décembre 2022. Selon leurs dernières écritures déposées et soutenues à l'audience du 7 décembre 2022, les associations "Les Amis de la Terre France", "NAPE" et "AFIEGO", représentées par leur conseil, demandent à la juridiction des référés : A titre principal, au visa de l'article 835 du code de procédure civile, ou à titre subsidiaire, de l'article 834 du même code : - d'enjoindre à la société TotalEnergies SE, en vertu du II de l'article L. 225-102-4 du code de commerce sous astreinte de 50.000 euros par jour de retard et dans un délai de 15 jours à compter de l'ordonnance à intervenir : (1) d'établir et publier dans son plan de vigilance, à inclure dans son prochain rapport de gestion l'ensemble des mesures de vigilance prévues aux 2o et 5o de l'article L.225-104 I propres à prévenir les risques identifiés dans la cartographie des risques et prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi qu'à l'environnement résultant des activités des filiales de la société TotalEnergies SE, et leurs sous-traitants, dans la conduite des projets Tilenga et EACOP, incluant notamment : une cartographie des risques conforme à l'article L. 225-102-4 I 1o, comprenant une analyse hiérarchisée des risques ainsi que les risques identifiés résultant des activités des filiales de la société TotalEnergies SE et de leurs sous-traitants et notamment : - Les risques associés à l'expropriation des terres, dont l'atteinte au droit de propriété, au droit au logement, et aux droits à une nourriture et un niveau de vie suffisants ; - Les risques d'atteintes à la liberté d'expression, de violences policières et d'arrestations arbitraires des personnes affectées par le projet (PAP) ou s'y opposant ; - Les risques d'atteintes au droit à un environnement sain des populations au sein et autour des zones pétrolières ; - Les risques pour les écosystèmes, la faune, la flore, l'eau, l'air et les sols, notamment les écosystèmes marins ; - Les risques de fuites et déversement pétroliers, notamment une identification précise des risques résultants de fuites suite à des tsunamis et séismes, ainsi que leurs impacts sur les cours d'eaux, rivières et lacs et sur la santé et sécurité des personnes ; - Les risques pour l'air et l'atmosphère et notamment l'identification de la totalité des émissions de gaz à effet de serre des projets : les émissions liées au transport maritime, du pétrole par les navires, celles provenant du raffinage du pétrole brut, et enfin, les émissions liées à la combustion du produit final, et leurs impacts sur le réchauffement climatique (sécheresse, inondations...) et ses conséquences pour l'environnement sain ; - Les risques associés à l'utilisation des ressources en eau par les projets, notamment leurs impacts sur l'accès à l'eau des communautés riveraines ainsi que sur les écosystèmes. Une procédure d'évaluation régulière conforme à l'article L. 225-102-4 I 2o, de la situation des filiales susvisées et leurs sous- traitants avec lesquels une relation commerciale est établie et au regard des risques identifiés dans la cartographie des risques conforme à l'article L. 225- 102-4 I 1o dans la conduite des projets Tilenga et EACOP ; Les actions adaptées d'atténuation des risques ou de prévention des risques identifiés dans la cartographie des risques conforme à l'article L. 225-102-4 I 1o, notamment ceux listés ci-dessus, résultant des activités des filiales susvisées et leurs sous-traitants, dans la conduite des projets Tilenga et EACOP, notamment celles contenues dans les EIES, le LARF et les RAP ainsi que celles listées ci-dessous. Ces mesures de prévention doivent être élaborées après une consultation publique effective des parties prenantes, experts et personnes concernées. Elles devront également être rendues publiques, facilement accessibles, et ceci avant le début des travaux : - En premier lieu, afin d'éviter tout dommage grave et irréparable à l'environnement, la société TotalEnergies SE se devra d'inclure, dans son plan de vigilance, la mise en place d'un moratoire sur le développement des projets Tilenga et EACOP, jusqu'à ce que soient identifiés les risques listés ci-dessus, et mises en oeuvre de manière effective toutes les actions adaptées de prévention ou d'atténuation des risques ou de prévention correspondantes, ainsi que les actions de prévention et atténuation suivantes : - Exclure les aires naturelles protégées et les écosystèmes fragiles, en particulier le parc national des Murchison Falls et les zones avoisinantes (zones tampons) du périmètre des projets, et donc n'y entreprendre aucun travaux ni forage, afin de préserver ces écosystèmes et éviter des dommages irréversibles ; - S'assurer que les installations et le tracé des projets n'affectent pas les corridors de migration de la faune, notamment les éléphants ; - Préparer un plan de prévention et de gestion des fuites, prenant notamment en compte les risques de séismes et tsunamis, incluant les mesures adéquates visant à prévenir les risques qui y sont associés ; - Prendre des mesures de prévention adaptées visant à prévenir les impacts des projets sur les ressources en eau, notamment en excluant l'utilisation d'eau du Lac Albert ou d'autres sources d'eau essentielles pour les populations de la région ; - Mettre en conformité la totalité des installations pétrolières de Tilenga et EACOP avec les meilleures pratiques de l'industrie (BAT), notamment (mais pas seulement) en ce qui concerne les traversées de zones humides et rivières en utilisant la technique du forage directionnel horizontal (HDD), en rajoutant des valves de blocage, et en évitant de couper le flux des cours d'eau, et également, plus généralement, en réduisant le passage autour des tranchées (RoW) de 30 à 15 mètres, et à un maximum de 10 mètres dans les zones sensibles, afin de minimiser les impacts ; Le mécanisme d'alertes et de recueil des signalements relatifs à l'existence ou à la réalisation des risques identifiés dans la cartographie des risques conforme à l'article L.255-102-4 I 1o, résultant des activités des filiales sus visées et de leurs sous-traitants dans la conduite des projets Tilenga et EACOP ; Le dispositif de suivi des mesures de mises en oeuvre et d'évaluation de leur efficacité résultant des activités des filiales de la société TotalEnergies SE et de leurs sous traitants dans la conduite des projets Tilenga et EACOP ; ce suivi doit être continu, transparent, public, contenir des critères objectifs permettant de mesurer l'efficacité des mesures et inclure la consultation effective des parties prenantes notamment les populations affectées ainsi que la prise en compte effective de leurs retours. Des actions immédiates doivent être prises lorsque le dispositif mis en place identifie des mesures non mises en oeuvre ou inefficaces pour prévenir et remédier aux atteintes aux droits humaines et à l'environnement ; (2) de mettre en oeuvre de manière effective son plan de vigilance conformément aux dispositions du I de l'article L.225-102-4 du code de commerce et plus particulièrement les mesures de vigilance raisonnable afférentes aux projets Tilenga et EACOP telles qu'identifiées au (1) le cas échéant via un ordre donné aux filiales de la société TotalEnergies SE et leurs sous- traitants, et particulièrement : le principe no10 du LARF en garantissant que les populations qui ont été privées du droit de cultiver leurs terres reçoivent une nourriture suffisante avant qu'elles ne puissent restaurer leurs moyens de subsistances par l'exploitation de terres grâce à la compensation octroyée ; à ce titre, il est demandé à la société TotalEnergies SE de procéder dès maintenant à des livraisons de nourriture en qualité suffisante (adaptée à la taille des foyers) aux PAP jusqu'à ce qu'elles retrouvent des moyens de subsistance grâce à la compensation octroyée, c'est à dire pendant au moins 18 mois après le versement de la compensation ; pour les personnes n'ayant pas encore reçu de compensation, fournir de la nourriture immédiatement et jusqu'à 18 mois après le versement de la compensation ; les principes no6 et 7 du LARF en garantissant que les populations reçoivent une juste et préalable compensation avant qu'elles ne soient privées du droit de cultiver leurs terres ; à ce titre (a) autoriser immédiatement les PAP toujours en attente de compensation à utiliser librement leurs terres pour y semer les cultures de leurs choix et réparer leurs habitations si nécessaire, et mettre en oeuvre les moyens afin de réduire l'impact des restrictions dues à la date limite d'éligibilité notamment via la planification des activités de développement afin que les agriculteurs touchés puissent récolter les cultures avant le déplacement; (b) verser immédiatement la compensation ; (c) réviser les taux de compensation des terres et des cultures pour s'adapter aux prix actuels du marché et inclure un dédommagement pour les dommages et les pertes subies depuis l'évaluation de leurs terres, du fait de leur incapacité à utiliser leurs terres librement ; (d) verser une compensation complémentaire correspondante à tous les PAP, y compris ceux qui ont déjà reçu leur compensation; le principe no8 du LARF en garantissant que le choix d'option pour une compensation en nature soit effectif et que les compensations en espèces permettent l'acquisition de terres assurant aux population expropriées des revenus équivalents ; le principe no4 du LARF en garantissant une participation effective des populations affectées aux prises de décisions aux projets Tilenga et EACOP ; des mécanismes de traitement des plaintes indépendants des projets Tilenga et EACOP conformément aux stipulations du LARF, notamment en révisant le mécanisme de plaintes associés à Tilenga et EACOP et en remédiant aux insuffisances pointées par les communautés et les experts (manque de transparence, d'impartialité, d'indépendance ...) (3) de suspendre les travaux afférents aux projets Tilenga et EACOP, le cas échéant via un ordre donné aux filiales et leurs sous- traitants jusqu'à ce que les mesures de vigilance définies au (1) et leur mise en oeuvre définie au (2) soient respectées ; A titre infiniment subsidiaire : - accueillir la demande de passerelle fondée sur l'article 837 du code de procédure civile ; - ordonner le renvoi de l'affaire à une audience afin qu'il soit statué au fond ; En tout état de cause : - condamner la société TotalEnergies SE à verser aux associations demanderesse la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, - condamner la société TotalEnergies SE aux entiers dépens. Les associations demanderesses exposent, en substance : Sur la recevabilité de leur action Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt pour agir: ? Que l'action qu'elles exercent est ouverte, selon la loi relative au devoir de vigilance des entreprises, à toute personne justifiant d'un intérêt pour agir ; ? Qu'il suffit, d'une part que leur objet social vise à lutter contre certaines des atteintes et risques graves liés aux projets en cause et non qu'il vise, expressément, ces projets ; d'autre part, qu'elles aient été dûment autorisées à introduire l'action, par leurs représentants respectifs ; ? Qu'il est en revanche indifférent qu'elles ne soient pas mandatées, spécifiquement, par des personnes se déclarant victimes des atteintes liées aux projets en cause ; Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour défendre : ? Que les obligations reposant sur la défenderesse ne concernent pas seulement ses propres activités, mais encore celles de ses filiales, et de l'ensemble des partenaires commerciaux avec lesquels elle entretient, pour ces projets, des relations établies, tels que ses sous-traitants ; ? Qu'il existe, de par l'effet de la loi sur le devoir de vigilance, un dépassement de la distinction des personnalités morales ; ? Que la société défenderesse, en sa qualité de société mère, peut donc, sans s'ingérer dans la gestion de ses filiales, leur ordonner de respecter des obligations de vigilance dont elle est personnellement comptable, ce incluant, donc, d'exécuter les principes du LARF, auquel ses filiales opérationnelles sont parties ; ? Que les considérations liées aux personnalités morales distinctes que sont ses filiales sont indifférentes car elle dispose, sur ces dernières, d'un droit de vote majoritaire direct ou indirect, lui octroyant un contrôle exclusif. Sur les fins de non-recevoir tirées, d'une part, de la disparition du plan de 2018, et d'autre part, de l'absence de mise en demeure préalable pour les plans postérieurs : ? Que le litige porte sur le respect par la société défenderesse de ses obligations en matière de vigilance, et non pas, spécifiquement, sur les plans de vigilance qui ne sont que les supports par lesquels elle doit rendre compte des diligences effectuées ; ? Qu'ainsi, le plan de vigilance de 2018, pour avoir disparu et été remplacé par trois plans successifs, n'a pas vidé le litige de son objet, et ne l'a pas même modifié, puisque ces plans sont également insuffisants ; ? Que les obligations en matière de vigilance sont de nature continue et n'appellent donc pas de réitérer les mises en demeure à chaque nouveau plan, sauf à priver la loi de toute sa portée, dès lors qu'un nouveau plan est publié chaque année et qu'elles sont tenues de respecter un délai de trois mois avant d'intenter une action en justice ; ? Qu'aucune demande nouvelle n'a été formée dans le cadre de la présente instance, seules les anciennes demandes ont été précisées en considération de l'évolution de la situation locale et des nouveaux éléments de preuves s'y rapportant, dont l'obtention est difficile ; Sur le bien-fondé de l'action : ? Que les projets en cause sont à l'origine de graves atteintes ou risques d'atteintes aux droits des personnes et de l'environnement; et particulièrement : - des atteintes liées à l'éviction forcées des PAP, en ce que 118.000 personnes ont été expropriées des terres sur lesquelles elles habitaient et qu'elles exploitaient afin d'en tirer leurs moyens de substance, ces personnes ayant bénéficié d'une indemnisation tardive, alors qu'elles étaient empêchées de les cultiver ou d'y réaliser quelques constructions à compter de la "cut off date", d'un montant insuffisant pour permettre l'acquisition de parcelles équivalentes, et monétaire, et sans possibilité d'opter pour une indemnisation en nature, ou d'obtenir des aliments de quantité et de qualité suffisante ; - des atteintes liées à la liberté d'expression : ? Que les PAP, et plus généralement, toute personne souhaitant s'opposer aux projets en cause ou à leurs conditions de mises en oeuvre sont contraintes au silence par des procédés autoritaires, tels que l'intimidation ou la répression ; au moyen, notamment, d'arrestations arbitraires ou de menaces contre les personnes et les biens ; - des atteintes à l'environnement : ? Que les projets en cause seront à l'origine d'émissions massives de gaz à effet de serre, participant du dérèglement climatique ; ? Que le projet Tilenga implique, au surplus, le forage de centaines de puits de pétrole dont certains à l'intérieur du parc national des Murchison Falls, ainsi que la construction, en ce lieu, de routes gouronnées, et le pompage d'importantes quantité d'eau en provenance du lac Albert ; ? Que le projet EACOP suppose de faire passer l'oléoduc par des zones protégées, et des corridors fauniques, ainsi que par des lacs, rivières et autres cours d'eau dont dépendent les populations locale; * ? Que les plans de vigilance successivement adoptés par la société défenderesse sont insuffisants pour prévenir ou atténuer les atteintes graves ou risques d'atteintes graves sus mentionnés : Sur la cartographie des risques : ? Que cette section du plan ne répond pas aux exigences légales puisqu'elle ne comprend qu'une liste descriptive incomplète des risques d'atteintes, sans analyse ou hiérarchie ; ? Que, dès lors, les risques d'atteintes ne sont pas correctement identifiés ; Sur les procédures d'évaluation régulière de la situation des filiales, sous-traitants et fournisseurs : ? Que les filiales, sous-traitants ou fournisseurs qui présentent, par leurs activités, comme c'est le cas pour les projets en cause, des risques particuliers, ne sont pas identifiées ; ? Que les procédures décrites le sont de manière générique ou abstraite ce qui rend impossible de lier aux risques susvisés ; Sur les actions adaptées d'atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves : ? Que cette section ne précise pas, pour chaque risque susvisé, les mesures adoptées pour les prévenir ou les atténuer ; Sur le dispositif de suivi des mesures mises en oeuvre et l'évaluation de leur efficacité : ? Que cette section fait état d'un dispositif de suivi imprécis, en renvoyant à des audits internes ou externes ou à des listes d'indicateurs ou à un cahier des charge dont les contenus ne sont pas développés ; Sur le compte rendu de mise en oeuvre du plan : ? Que cette section, pour être plus étoffée dans le plan de 2021 que dans celui de 2018, demeure lacunaire, puisqu'elle ne comprend des indicateurs chiffrés que pour certains risques ; ? Qu'elle ne permet pas, en l'état, de comprendre les mesures effectivement mises en oeuvres, ou le cas échéant, les difficultés d'application de ces mesures rencontrées ; Selon ses dernières conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience du 7 décembre 2022, la société TotalEnergies SE, représentée par son conseil, demande à la juridiction des référés : A titre principal : - de déclarer irrecevable l'action des associations demanderesses à son encontre s'agissant de la publication du plan de vigilance 2018 en raison de la disparition de son objet ; - de déclarer irrecevable l'action des associations demanderesses à son encontre s'agissant de la publication des plans de vigilance 2019, 2020 et 2021 en raison de l'absence de mise en demeure préalable ; - de déclarer irrecevables les demandes formées à son encontre par les associations demanderesses en raison de leur absence d'intérêt à agir ; - de déclarer irrecevables les demandes no2 et no3 formées à son encontre par les associations demanderesses, en raison de son défaut de qualité à se défendre ; A titre subsidiaire : - de dire n'y avoir lieu à référé ;- de rejeter la demande de passerelle ; En tout état de cause : - de débouter les associations demanderesses de l'ensemble de leurs demandes ; - de condamner "solidairement" les associations demanderesses à lui verser la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens. Au soutien de ses prétentions, la société défenderesse réplique : Sur la recevabilité de l'action : Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt pour agir : ? Que l'action est irrecevable pour défaut d'intérêt pour agir des associations demanderesses dont l'objet social est insuffisamment précis et ne leur permet pas, selon la jurisprudence, d'exercer des actions en justice ; ? Que ces associations ne justifient pas, au surplus, représenter des personnes se déclarant victimes des atteintes ou risques d'atteintes dénoncés ; Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour défendre : ? Que l'action est irrecevable s'agissant des demandes no2 et no3 en raison de son défaut de qualité pour se défendre ; ? Qu'en effet, la demande no2 concerne ses seules filiales, et leurs sous traitants ou fournisseurs, et vise les principes du LARF, convention à laquelle elle n'est pas partie, ? Que la demande no3, consistant dans la suspension des travaux, concerne une mesure qui ne peut être adoptée que par les Etats, souverains, de l'Ouganda et de la Tanzanie ; Sur les fins de non-recevoir tirées, d'une part, de la disparition du plan de 2018, et d'autre part, de l'absence de mise en demeure préalable pour les plans postérieurs : ? Que l'action exercée par les associations demanderesses est dorénavant dépourvue d'objet puisqu'elle repose sur le plan de 2018, lequel a disparu, trois plans successifs ayant été, depuis, publiés ; ? Que le contenu de ces plans a significativement évolué comparativement à celui qui était dénoncé dans la mise en demeure de 2019 ; ? Que les demandes formées sont également nouvelles comparativement à celles exposées dans cette mise en demeure ; ? Or, qu'aucune nouvelle mise en demeure, diligence obligatoire, ne lui a été adressée concernant les plans postérieurs à celui de 2018 ; Sur le bien-fondé de l'action : ? Qu'à titre liminaire, la loi fondant l'action ne s'impose qu'aux sociétés mères et ne crée par d'obligations envers les sociétés tierces, même si le plan doit être décliné au sein des filiales du groupe ; ? Qu'il en résulte que seuls l'établissement, la publication et la mise en oeuvre du plan par les sociétés mères sont soumis au contrôle du présent juge ; Sur la cartographie des risques : ? Que cette section est conforme aux prescriptions légales en ce qu'elle identifie, analyse et hiérarchise les différents risques liés à ses activités, et notamment ceux liés aux projets en cause ; ? Que l'ampleur de ses activités, qui ne se limitent aucunement aux projets en cause, ne permet pas de lister toutes les déclinaisons et toutes les hypothèses dans lesquelles un risques est susceptible de se manifester, sauf violer les dispositions du code de commerce qui lui impose de rédiger les documents extra-financiers, parmi lesquels compte le plan de vigilance, en termes clairs et concis ; ? Qu'elle n'est pas tenue d'y inclure les risques liés aux atteintes causés par un Etat de sorte qu'il ne peut lui être reproché d'avoir omis les éventuels risques correspondant ; Sur les procédures d'évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs : ? Que cette section est également conforme aux prescriptions légales ; ? Qu'il est impossible de publier, au sein du plan de vigilance, des informations concernant l'identité des filiales, sous-traitants ou fournisseurs présentant des risques particuliers sans dévoiler au public la stratégie commerciale de ces sociétés ; ? Que les procédures d'évaluation y sont suffisamment développées, deux pages y étant d'ailleurs consacrées ; Sur les actions d'atténuation des risques ou de prévention des atteintes : ? Que cette section est elle aussi conforme aux prescriptions légales, et en aucun cas lacunaires, puisque les différentes actions mises en oeuvre y sont explicitées ; ? Qu'il ne peut lui être reproché de renvoyer à des documents extérieurs ou à d'autres sections du même document, pratique courante destinée à éviter de surcharger le plan d'information non significatives, conformément aux préconisation, notamment, de la Commission européenne ; Sur le mécanisme d'alerte et de recueil des signalements : ? Que cette section est également conforme aux prescriptions légales ; ? Qu'un mécanisme, d'ailleurs efficace, a été mis en place, même si elle concède qu'aucun développement n'est consacré aux mesures prises pour assurer l'éthique, l'indépendance ou la neutralité des personnes chargées de la gestion des alertes et des signalements, aucune norme n'imposant de telles mentions ; Sur le dispositif de suivi : ? Que le compte-rendu de la mise en oeuvre effective du plan est la traduction concrète du dispositif de suivi de sorte qu'elle a ainsi fait le choix, comme d'autres sociétés soumises au même devoir de vigilance, de consacrer cette section au plan de gouvernance par renvoi à d'autres sections du document d'enregistrement universel; ? Qu'elle s'est notamment dotée d'un comité de pilotage des droits humains qui se réunit plusieurs fois par an, ainsi que d'un département des droits humains et d'éthique, qui s'appuie sur des responsables répartis dans les pays où le groupe opère, avec pour mission de promouvoir les valeurs du code de conduite auprès des collaborateurs des filiales, et veiller à leur mise en oeuvre au niveau local ; ? Qu'elle fait régulièrement diligenter des audits internes et externes, y compris concernant les projets en cause ; ? Que ce dispositif de suivi est efficace et a permis de mettre en oeuvre les actions afin de remédier concrètement aux difficultés identifiées ; Sur le compte-rendu de mise en oeuvre effective : ? Que cette section est également conforme et que les griefs exprimés par les associations demanderesses sur ce point sont de pure forme ; Sur la mise en oeuvre effective du plan : ? Que l'effectivité du plan de vigilance s'analyse au regard des mesures déployées par la société mère dans le cadre notamment de son dispositif de suivi pour s'assurer du respect de son plan au niveau local ; ? Que l'obligation de vigilance est de moyens, et non de résultat, et que l'ensemble des moyens ont été mis en place, les atteintes ou risques d'atteintes au droit humains et à l'environnement n'étant soit pas avérées, soit ayant été prises en considérations et atténuées autant que de possible, par des mesures adaptées ; ? Que les mesures sollicitées par les associations demanderesses pour pallier à sa carence alléguée présentent un caractère définitif échappant au juge des référés, et sont au surplus contradictoires entres elles puisqu'elles ne peuvent être exécutées simultanément; ? Qu'au surplus, elles tendent à prévenir ou atténuer des risques qui ne sont pas avérés, et sérieusement contestés, et ne caractérisent pas les dommages imminents ou troubles manifestement illicites et ne se justifient pas davantage par l'existence d'un différend. En application de l'article 446-1 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour un plus ample exposé des moyens qui y sont contenus . A l'issue des débats, il a été indiqué aux conseils des parties que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 28 février 2023. MOTIFS Sur le devoir de vigilance Ces dernières années, plusieurs Etats ont adopté des législations devant permettre de mettre en oeuvre les principes des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme ou ceux de l‘Organisation de coopération et de développement économique. La responsabilité sociale des entreprises, qui participe de cette évolution, désigne un concept selon lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec les parties prenantes, initialement à partir d'une démarche volontaire progressivement complétée par un cadre légal et réglementaire visant à mieux encadrer les mesures déployées et à l'évaluation de leur efficacité. En s'intéressant aux chaînes d'approvisionnement mondiales, ces législations sont nécessairement dotées d'effets extraterritoriaux compatibles avec une certaine interprétation de l'obligation de l'État de faire respecter par les tiers les droits de l'homme, aucune règle ne prohibant à l'État d'édicter des règles à portée extraterritoriale régissant les activités d'entreprises présentes sur son territoire. Le lien de rattachement entre l'État législateur et l'entreprise visée ne se limite pas à une conception stricte de la nationalité de la maison mère de l'entreprise, mais aux critères beaucoup plus larges du « domicile » des entreprises. Parmi les pays européens à l'origine de législations imposant aux entreprises d'adopter un comportement vigilant du point de vue des droits de l'homme et de la protection de l'environnement, se singularise, en particulier, la France avec sa législation sur le devoir de vigilance. En France, la loi no2017-399 du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance a pour objectif de renforcer les obligations des sociétés françaises en matière de prévention des atteintes graves aux droits humains, à l'environnement, à la santé et à la sécurité des personnes et afin d'éviter la survenance de dommages s'y rapportant. La loi instaure une obligation de vigilance à l'égard des sociétés-mères avec un périmètre étendu qui inclut non seulement les activités de la société mère, mais également celles de ses filiales et celles de ses sous-traitants et fournisseurs avec lesquels elle entretient une relation commerciale établie. Cette législation a été codifiée par les articles L. 225-102-4 et 5 du code de commerce qui disposent : « I.-Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l'étranger, établit et met en oeuvre de manière effective un plan de vigilance. Les filiales ou sociétés contrôlées qui dépassent les seuils mentionnés au premier alinéa sont réputées satisfaire aux obligations prévues au présent article dès lors que la société qui les contrôle, au sens de l'article L. 233-3, établit et met en oeuvre un plan de vigilance relatif à l'activité de la société et de l'ensemble des filiales ou sociétés qu'elle contrôle. Le plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu'elle contrôle au sens du II de l'article L. 233-16, directement ou indirectement, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation. Le plan a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société, le cas échéant dans le cadre d'initiatives pluripartites au sein de filières ou à l'échelle territoriale. Il comprend les mesures suivantes : 1o Une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation ; 2o Des procédures d'évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, au regard de la cartographie des risques ; 3o Des actions adaptées d'atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ; 4o Un mécanisme d'alerte et de recueil des signalements relatifs à l'existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société ; 5o Un dispositif de suivi des mesures mises en oeuvre et d'évaluation de leur efficacité. Le plan de vigilance et le compte rendu de sa mise en oeuvre effective sont rendus publics et inclus dans le rapport de gestion mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 225-100 (1).Un décret en Conseil d'État peut compléter les mesures de vigilance prévues aux 1o à 5o du présent article. Il peut préciser les modalités d'élaboration et de mise en oeuvre du plan de vigilance, le cas échéant dans le cadre d'initiatives pluripartites au sein de filières ou à l'échelle territoriale. II.- Lorsqu'une société mise en demeure de respecter les obligations prévues au I n'y satisfait pas dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure, la juridiction compétente peut, à la demande de toute personne justifiant d'un intérêt à agir, lui enjoindre, le cas échéant sous astreinte, de lesrespecter.Le président du tribunal, statuant en référé, peut être saisi aux mêmes fins. » « Article L225-102-5 Dans les conditions prévues aux articles 1240 et 1241 du code civil, le manquement aux obligations définies à l'article L. 225-102-4 du présent code engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice que l'exécution de ces obligations aurait permis d'éviter. L'action en responsabilité est introduite devant la juridiction compétente par toute personne justifiant d'un intérêt à agir à cette fin. La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci, selon les modalités qu'elle précise. Les frais sont supportés par la personne condamnée. La juridiction peut ordonner l'exécution de sa décision sous astreinte. » La loi pose un principe de devoir de vigilance à certaines entreprises qui sont rattachées territorialement à la France, ce principe se concrétisant par l'obligation faite à ces sociétés d'adopter un plan de vigilance comportant 5 catégories de mesures. Le contenu de ces mesures de vigilance demeure général, étant observé que le décret prévu par les dispositions susvisées pouvant apporter des précisions sur le contenu de ces mesures de vigilance n'est pas paru à ce jour. La loi ne vise directement aucun principe directeur, ni aucune autre norme internationale préétablie, ni ne comporte de nomenclature ou de classification des devoirs de vigilance s'imposant aux entreprises concernées. Le droit positif ne prévoit aucun référentiel, aucune typologie précise des droits concernés ou des mesures au sens des dispositions susvisées. Il n'est pas davantage prévu de modus operandi, de schéma directeur, d'indicateurs de suivi, d'instruments de mesure devant présider à l'élaboration, à la mise en oeuvre et à l'évaluation par l'entreprise des mesures générales de vigilance pesant sur elle du chef des dispositions susvisées. Aucun organisme de contrôle indépendant, ou moniteur, ou d'indicateurs de performance ne sont davantage prévus par la loi pour évaluer ex ante le plan de vigilance adopté par l'entreprise ou pour vérifier la réalité de l'exécution de ce plan ex post, le seul contrôle prévu étant dévolu au juge qui pour opérer ce contrôle devra s'appuyer sur une notion standard « le caractère raisonnable » des mesures de vigilances contenues dans le plan de vigilance de l'entreprise, notion imprécise, floue et souple . Cette législation assigne ainsi des buts monumentaux de protection des droits humains et de l'environnement à certaines catégories d'entreprise précisant à minima les moyens qui doivent être mis en oeuvre pour les atteindre. Sur le modus operandi de l'élaboration du plan, il convient cependant de relever que les dispositions susvisées prévoient que : « Le plan a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société, », étant observé que le champ des parties prenantes concernées n'est pas davantage précisé, ni le processus de désignation de ces parties prenantes, à l'exception du mécanisme d'alerte et de recueil des signalements relatifs à l'existence ou à la réalisation des risques, qui doit être établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société. Il y a lieu de considérer que si le législateur n'a pas entendu donner un contour précis aux mesures générales qui s'imposent à certaines entreprises dans le cadre du devoir de vigilance, il a par contre expressément manifesté son intention de voir ce plan de vigilance élaboré dans le cadre d'une co-construction et d'un dialogue entre les parties prenantes de l'entreprise et l'entreprise. En respectant la pluralité des points de vue des parties prenantes et en les associant à l'élaboration du plan, cette concertation, d'une part, est de nature à assurer une meilleure définition du périmètre de vigilance et, d'autre part, à réduire considérablement les risques de contentieux mettant en cause la pertinence du plan, si celui-ci a été défini et validé avec les parties prenantes. Cette méthode voulue de collaboration ex ante entre la société et les parties prenantes à l'occasion de l'élaboration du plan de vigilance a pour objectif d'assurer au mieux l'effectivité du respect de la règlementation sus visée mais aussi de l'efficacité du plan au regard des buts monumentaux fixés par cette réglementation (essentiellement de nature politique en matière de protection de l'environnement et des droit humains). Cette volonté du législateur d'un processus collaboratif d'élaboration du plan de vigilance se manifeste et est concrétisée par le mécanisme de la mise en demeure, préalable à la saisine du juge, prévu par les dispositions susvisées selon lesquelles : « Lorsqu'une société mise en demeure de respecter les obligations prévues au I n'y satisfait pas dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure, la juridiction compétente peut, à la demande de toute personne justifiant d'un intérêt à agir, lui enjoindre, le cas échéant sous astreinte, de les respecter?. ». Cette mise en demeure ne peut avoir pour objet que de permettre à l'entreprise de se mettre en conformité dans le cadre d'un dialogue comme cela ressort des travaux préparatoires de loi sur le devoir de vigilance, et doit nécessairement dès lors être regardée comme une condition nécessaire préalable à la délivrance d'une injonction par le juge. En effet, l'envoi de cette mise en demeure a pour objectif d'instituer une phase obligatoire de dialogue et d'échange amiable au cours de laquelle la société pourra répondre aux critiques formulées à l'encontre de son plan de vigilance et lui apporter les modifications nécessaires. Cette phase de dialogue est d'autant plus importante et nécessaire, pour parvenir à l'objectif fixé par la loi, que cette loi ne comporte aucune méthodologie précise concernant son établissement, ni aucun référentiel précis concernant les droits à préserver, cette configuration étant au surplus source de complexité dans l'élaboration du plan de vigilance. Cette mise en demeure, dont l'exigence poursuit un objectif de sécurité juridique et de développement des alternatives amiables de résolution des litiges, doit être suffisamment ferme et précise pour permettre d'identifier les manquements imputés au plan et permettre la phase de négociation amiable préalable à la saisine du juge. Le défaut de mise en demeure prévue par les dispositions susvisées antérieurement à la saisine du juge, ne peut ainsi qu'entraîner l'irrecevabilité de la demande d'injonction formée auprès du juge fondée sur ces mêmes dispositions. Lorsqu'une société mise en demeure de respecter les obligations prévues au I n'y satisfait pas dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure, « toute personne justifiant d'un intérêt à agir, bénéficie d'une option de juridiction, entre la juridiction et la juridiction des référés pour demander la délivrance d'une injonction aux fins de les faire respecter.Le président du tribunal, statuant en référé, peut être saisi aux mêmes fins. » Ce texte offre ainsi une option entre le juge du fond et le juge des référés. Sur les pouvoirs du juge des référés Le référé est un dispositif judiciaire permettant un examen rapide du contentieux. Le juge des référés est chargé d'apporter une réponse urgente à un litige en prononçant des mesures d'attente, afin de préserver les droits des parties avant leur appréciation par le juge du fond. Aux termes de l'article 484 du Code de procédure civile, l'ordonnance de référé est une décision provisoire rendue dans les cas où la loi confère au juge, qui n'est pas saisi du principal, le pouvoir d'ordonner immédiatement les mesures nécessaires. Au sens de l'article 488, l'ordonnance de référé n'a pas, au principal, autorité de la chose jugée. Le terme provisoire du référé contrairement au terme principal, ne concerne pas le fond du litige. Les mesures prises en référé sont provisoires parce qu'elles sont susceptibles d'être modifiées ou rapportées par une juridiction du fond, qui n'est jamais liée par la décision de référé, en cas de circonstances nouvelles. Aux termes de l'article 835, alinéa 1er, du code de procédure civile, le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit. Le juge des référés doit se placer, pour ordonner ou refuser des mesures conservatoires ou de remise en état, à la date à laquelle il prononce sa décision. Il s'ensuit, pour que la mesure sollicitée soit prononcée, qu'il doit nécessairement être constaté à la date à laquelle le juge statue et, avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage. Un dommage purement éventuel ne saurait donc être retenu pour fonder l'intervention du juge des référés. La constatation de l'imminence du dommage suffit à caractériser l'urgence afin d'en éviter les effets. Aux termes de l'article 835, alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond. Si aucune contestation n'apparaît sérieusement opposable, la provision peut être octroyée ou l'obligation ordonnée, quelle que soit l'obligation en cause. La nature de l'obligation sur laquelle est fondée la demande de provision ou d'exécution d'une obligation de faire est indifférente, qui peut être contractuelle, quasi-délictuelle ou délictuelle. En outre, la juridiction des référés ne peut se livrer à l'interprétation d'un acte sans outrepasser ses pouvoirs ; elle peut, en revanche tirer les conséquences d'un acte clair. Enfin, il est rappelé que le caractère sérieux de la contestation s'apprécie à la date de la décision et non à celle de la saisine. Si la loi sur le devoir de vigilance, lorsqu'une société mise en demeure de respecter les « obligations prévues au I n'y satisfait pas dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure » prévue par les dispositions susvisées, ouvre la possibilité à toute personne justifiant d'un intérêt à agir, de demander au juge des référés la délivrance d'une injonction aux fins de les faire respecter, encore faut-il que les conditions posées par les articles 834 et 835 du code de procédure civile soient réunies. S'il entre dans les pouvoirs du juge des référés de délivrer une injonction en application des dispositions susvisées lorsque la société, soumise au régime du devoir de vigilance n'a pas établi de plan de vigilance, ou lorsque le caractère sommaire des rubriques confine à une inexistence du plan, ou lorsqu'une illicéité manifeste est caractérisée, avec l'évidence requise en référé, en revanche, il n‘entre pas dans les pouvoirs du juge des référés de procéder à l'appréciation du caractère raisonnable des mesures adoptées par le plan, lorsque cette appréciation nécessite un examen en profondeur des éléments de la cause relevant du pouvoir du seul juge du fond . Sur les demandes formées par les associations Les Amis de la Terre France, NAPE et AFIEGO aux fins, principalement, d'enjoindre, la société TotalEnergies SE, d'exécuter ses obligations en matière de vigilance et tendant à voir suspendre les travaux afférents aux projets Tilenga et EACOP Il est constant que la société TotalEnergies SE est soumise, depuis le 28 mars 2017, à la loi no2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, codifié aux articles L. 225-102-4 et -5 du code de commerce. Le 20 mars 2019, la société TotalEnergies SE a publié son document d'enregistrement universel pour l'exercice 2018, lequel comprend le plan de vigilance 2018. Le plan de vigilance comporte les rubriques correspondant aux cinq mesures exigées par la loi. Par une lettre en date du 24 juin 2019, les associations « Les Amis de la Terre France », « The National Association of Professional Environmentalists », « Africa Institute for Energy Governance », « SURVIE », « Civic Response to Environment and Development » (CRED) et « Navigators of development association » (NAVODA) ont mis en demeure TotalEnergies « de satisfaire à ses obligations en matière de vigilance eu égard tant aux insuffisances de son plan que de sa mise en oeuvre effective ainsi que de sa publication ». Aux termes de cette mise en demeure, ces associations ont formulé trois séries de critiques contre le plan de vigilance 2018 de la société TotalEnergies SE invoquant notamment que : -"La cartographie des risques serait incomplète, car les risques causés par les activités de la maison-mère, par celles de ses filiales et celles de ses sous-traitants et fournisseurs, au sens de la Loi Vigilance, ne seraient pas identifiés ou insuffisamment identifiés, analysés et hiérarchisés, en particulier s'agissant des projets TILENGA et EACOP ; - Le plan de vigilance ne comporterait aucune rubrique spécifique s'agissant des risques des projets TILENGA et EACOP ; -Les mesures de vigilance raisonnable concernant les risques d'atteintes graves non identifiées ou insuffisamment identifiées dans le Plan de vigilance mais dont l'existence se trouverait rapportée par les associations demanderesses ne seraient assorties d'aucune mise en oeuvre effective". Par lettre du 24 septembre 2019, la société TotalEnergies a répondu de manière détaillée à la mise en demeure des associations . C'est dans ces conditions que les demanderesses ont introduit la présente instance par une assignation en référé délivrée le 29 octobre 2019 devant le président du Tribunal judiciaire de Nanterre, aux fins, principalement, d'enjoindre, cette société, d'exécuter ses obligations en matière de vigilance, les associations demanderesses ayant choisi l'option procédurale de la juridiction des référés et non l'option procédurale de la juridiction du fond . Suite à cette assignation, la société TotalEnergies a publié de nouveaux plans de vigilance pour les années 2019, 2020 et 2021 apportant de nombreuses modifications au premier plan de vigilance, étant observé qu'au jour des débats c'est le plan de vigilance de l'année 2021 qui fait l'objet des critiques et des demandes formées par les demanderesse devant le juge des référés du tribunal de céans. Sur le défaut de mise en demeure Il ressort de la lecture des griefs et demandes allégués dans la mise en demeure du 24 juin 2019, des associations « Les Amis de la Terre France », « The National Association of Professional Environmentalists », « Africa Institute for Energy Governance », « SURVIE », « Civic Response to Environment and Development » (CRED) et « Navigators of development association » (NAVODA) adressée à la société TotalEnergies « aux fins de satisfaire à ses obligations en matière de vigilance eu égard tant aux insuffisances de son plan que de sa mise en oeuvre effective ainsi que de sa publication » que ces derniers sont différents de manière substantielle des demandes et griefs formés au jour des débats devant le juge des référés du tribunal de céans, (étant observé que les présentes demandes se fondent sur plus de deux cents nouvelles pièces par rapport à celles annexées à la mise en demeure de 2019) de sorte qu'il y a lieu de considérer que les griefs, objet des demandes formées par les demanderesses relativement au plan de vigilance pour l'année 2021 n'ont pas été notifiés à la société TotalEnergies SE par une mise en demeure préalable à la saisine du juge, en violation des dispositions susvisées . Faute de mise en demeure préalable à la saisine du juge des référés, il s'en infère qu'il y a lieu de déclarer irrecevables les demandes formées par les demanderesses tendant à voir enjoindre la société TotalEnergies SE d'exécuter ses obligations en matière de vigilance et de suspendre les travaux afférents aux projets Tilenga et Eacop formées par les demanderesses, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens. De manière surabondante, il sera relevé, en premier lieu, que la société TotalEnergies a établi formellement un plan de vigilance comportant les 5 items prévus par la loi sur le devoir de vigilance suffisamment détaillés pour ne pas être regardés comme sommaires, en second lieu, que de très nombreuses pièces contradictoires sont versées aux débats concernant des opérations spécifiques d'une grande complexité, objet du plan de vigilance litigieux, en troisième lieu, qu'il n'existe aucune règlementation précisant les contours du standard d'une entreprise normalement vigilante, de sorte que les griefs et les manquements reprochés à la société TotalEnergies SE du chef de son devoir de vigilance, au cas présent, doivent faire l'objet d'un examen en profondeur des éléments de la cause excédant les pouvoirs du juge des référés. Il s'en infère qu'il n'appartient qu'au seul juge du fond, le cas échéant, de dire si les griefs reprochés à la société TotalEnergies sont caractérisés ou si cette dernière apporte la preuve du respect de son devoir de vigilance au regard des éléments contenus dans le plan de vigilance de la société TotalEnergies pour l'année 2021, et de procéder au contrôle des outils prévus et mis en oeuvre dans le cadre du plan de vigilance litigieux en en évaluant l'efficacité et l'effectivité au regard des buts monumentaux relatifs aux droits humains à préserver et à l'environnement à protéger relevant de la réglementation du devoir de vigilance, étant observé qu'aucune illicéité, en l'état, n'est caractérisée avec l'évidence requise en référé ou de manière manifeste. Sur la demande tendant à voir accueillir la demande de passerelle fondée sur l'article 837 du code de procédure civile; Il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande, les conditions de l'article 837 du code de procédure civile n'étant pas réunies. Sur les demandes accessoires Les associations demanderesses échouant dans leurs demandes, elles supporteront la charge des dépens. L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS Par jugement, rendu en état de référé, contradictoirement, en premier ressort, par mise à disposition au greffe. Déclarons irrecevables les demandes formées par les associations "Les Amis de la Terre France", NAPE et AFIEGO aux fins d'enjoindre la société TotalEnergies SE, d'exécuter ses obligations en matière de vigilance et tendant à voir suspendre les travaux afférents aux projets Tilenga et EACOP ; Disons n'y avoir lieu à l'application de l'article 837 du code de procédure civile. Rejetons les demandes du chef de l'article 700 du code de procédure civile . Condamnons in solidum les demanderesses au paiement des dépens de l'instance. Fait à Paris le 28 février 2023 Le Greffier, Le Président, Marion COBOS Fabrice VERT
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JURITEXT000047910860
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 16 février 2023, 19/9934
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2023-02-16
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Tribunal judiciaire de Paris
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19/9934
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 19/09934 No Portalis 352J-W-B7D-CQSA2 No MINUTE : Assignation du :11 juillet 2019 Incident ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETATrendue le 16 février 2023 DEMANDEURS Monsieur [VS] [U], en qualité d'ayant droit de M. [L] [U][Adresse 16][Localité 45] représenté par Me Jean AITTOUARES de la SELARL OX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0966 Monsieur [UE] [U], représenté par sa curatrice Mme [CA] [F], en qualité d'ayant droit de M. [L] [U][Adresse 16][Localité 45] représenté par Me Louis DE GAULLE de la SAS DE GAULLE FLEURANCE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #K0035 & Me Charles-Edouard RENAULT de la SAS DE GAULLE FLEURANCE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant Madame [Y] [U], en qualité d'ayant droit de M. [L] [U][Adresse 23][Localité 25] Monsieur [FB] [U] en qualité d'ayant droit de M. [L] [U][Adresse 22][Localité 33] Madame [C] [OZ]-[U] en qualité d'ayant droit de M. [L] [U][Adresse 24][Localité 48] Monsieur [XF] [XZ] en qualité d'ayant droit de M. [CF] [XZ][Adresse 47][Localité 40] Monsieur [T] [XZ] en qualité d'ayant droit de M. [CF] [XZ][Adresse 19][Localité 44] Madame [I] [XZ] en qualité d'ayant droit de M. [CF] [XZ][Adresse 20][Localité 44] Madame [S] [XZ] en qualité d'ayant droit de M. [CF] [XZ][Adresse 55][Localité 2] (FINLANDE) représentés par Me Cindy GAY, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #L0015 & Me Laurent KLEIN, avocat au barreau de BAYONNE, avocat plaidant DEFENDEURS SOCIETE DES AUTEURS ET COMPOSITEURS DRAMATIQUES (SACD)[Adresse 6][Localité 32] représentée par Me Olivier CHATEL de l'ASSOCIATION D'AVOCATS CHATEL - BLUZAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R039 S.A.R.L. RADIO DAYS[Adresse 8][Localité 35] Société BRINTER COMPANY LIMITED[Adresse 15][Localité 56] (ROYAUME-UNI) Monsieur [WL] [CZ][Adresse 14][Localité 10] (SUISSE) Madame [A] [JG][Adresse 42][Localité 34] S.A. ARTEDIS[Adresse 8][Localité 35] S.A. PANOCEANIC FILMS[Adresse 8][Localité 35] représentés par Me Corinne POURRINET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0096 SOCIETE DES AUTEURS COMPOSITEURS ET EDITEURS DE MUSIQUE (SACEM)[Adresse 18][Localité 46] Défaillante Madame [KK] [IM], en qualité d'ayant droit de M. [RX] [CU][Adresse 12][Localité 36] Défaillante Monsieur [T] [M], en qualité d'ayant droit de M. [K] [ES]domicilié : chez Agence Littéraire LENCLUD[Adresse 27][Localité 32] Défaillant Monsieur [AD] [N] [MS], en qualité d'ayant droit de M. [K] [ES]domicilié : chez Agence Littéraire LENCLUD[Adresse 27][Localité 32] Défaillant Madame [CH] [J][Adresse 49][Adresse 49][Localité 11] Défaillante Monsieur [ZM] [UY] dit [V] [HT], en qualité d'ayant droit de M. [NL] [FL] [UY][Adresse 5][Localité 39] Défaillant Succession [H] [X], en qualité d'ayant droit de M. [H] [X]domiciliée : chez Agence ARTMEDIA[Adresse 41][Localité 29] Défaillante Succession [L] [G], en qualité d'ayant droit de M. [L] [G]domiciliée : chez la SACD[Adresse 6][Localité 32] Défaillante Succession [RM] [O], en qualité d'ayant droit de M. [RM] [O]domiciliée : chez EDITIONS PRESSE DE LA CITE[Adresse 7][Localité 37] Défaillante Succession [Z] [W], en qualité d'ayant droit de M. [Z] [W]domiciliée : chez ANNA JAROTA AGENCY[Adresse 38][Localité 30] Défaillante Succession [K] [ES], en qualité d'ayant droit d'[K] [ES]domiciliée : chez Agence Littéraire LENCLUD[Adresse 27][Localité 32] Défaillante Succession [UN] [DN], en qualité d'ayant droit de M. [UN] [DN]domiciliée : chez EURL Agence MICHELLE LAPAUTRE[Adresse 43][Localité 31] Défaillante Succession [TK] [GZ]domiciliée : chez Agence CALMANN LEVY[Adresse 17][Localité 31] Défaillante Succession [E] [P], en qualité d'ayant droit de Mme [E] [P]domiciliée : chez Madame [PT] [GF] BRANDT & HOCHMAN LITERARY AGENTS[Adresse 13][Localité 1] (USA) Défaillante Monsieur [KA] [SG] en qualité d'ayant droit de M. [L] [BV][Adresse 53][Adresse 53][Localité 21] Défaillant Madame [YT] [LE] en qualité d'ayant droit de M. [OF] [LE][Adresse 54][Localité 28] Défaillante MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT Malik CHAPUIS, Juge,assisté de Caroline REBOUL, Greffière DEBATS A l'audience du 15 novembre 2022, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 09 février 2023. Le délibéré a été prorogé au 16 février 2023. ORDONNANCE Prononcée publiquement par mise à dispostition au greffeRéputée contradictoireEn premier ressort 1. Par acte du 11 juillet 2019, Madame [Y] [U], Monsieur [FB] [U], Madame [C] [OZ]-[U], Monsieur [XF] [XZ], Monsieur [T] [XZ], Madame [I] [XZ], Madame [S] [XZ], Monsieur [VS] [U] et Monsieur [UE] [U] (ci-après les « demandeurs ») ont assigné la société SA Artedis, la société de droit anglais Brinter Company Limited, la société SA Panoceanic Films, la société SARL Radio Days, Madame [A] [JG] et Monsieur [WL] [CZ] (ci-après les « défendeurs ») devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droits d'auteur portant sur 14 films réalisés par [L] [U] dont 5 ayant [CF] [XZ] pour co-auteur. 2. Par conclusions d'incident notifiées par voie électronique le 27 janvier 2020, les défendeurs ont soulevé une fin de non-recevoir tirée de l'absence de mise en cause de 19 co-auteurs des films en litige. 3. Par actes distincts placés les 5 mai et 12 juin 2020, les demandeurs ont mis en cause Monsieur [KA] [SG], « succession [E] [P] » (sic.), « succession [H] [X] », « succession [L] [G] », « succession [RM] [O] », « succession [Z] [W] », « succession [K] [ES], Messieurs [T] [M] et [AD] [N] [MS] », Madame [YT] [LE], Monsieur [ZM] [UY] dit [V] [HT], « succession [UN] [DN] », « succession [TK] [GZ] » et Madame [CH] [J] devant le tribunal judiciaire de Paris. 4. Par conclusions notifiées par voie électronique les 21 juin 2022, 24 juin 2022 et 27 juin 2022, Monsieur [UE] [U], Monsieur [VS] [U] et les autres demandeurs ont respectivement saisi le juge de la mise en état de trois incidents ayant le même objet. 5. Par conclusions d'incident notifiées par voie électronique le 14 novembre 2022 Madame [Y] [U], Monsieur [FB] [U], Madame [C] [OZ]-[U], Monsieur [XF] [XZ], Monsieur [T] [XZ], Madame [I] [XZ] et Madame [S] [XZ] demandent au juge de la mise en état s'agissant des films « La Route de Corinthe », « Les Biches », « La Femme infidèle », « Que la bête meure », « Le Boucher », « La Rupture », « Juste avant la nuit », « La Décade prodigieuse », « Docteur Popaul », « Les Noces rouges », « Nada », « Une Partie de plaisir », « Les Innocents aux mains sales » et « Le Cri du hibou » de : -écarter la fin de non-recevoir,-ordonner la communication par les sociétés Brinter Company Ltd, Artedis, Panoceanic, Radio Days, Madame [A] [JG] et Monsieur [WL] [CZ] des coordonnées, dont l'adresse postale des co-auteurs des films, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard au-delà d'un délai de quinze jours courant à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir,-ordonner la communication par les sociétés Brinter Company Ltd, Artedis Panoceanic, Radio Days, Madame [A] [JG] et Monsieur [WL] [CZ] de « tous éléments comptables » de nature à justifier les frais de restauration des films sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard au-delà d'un délai de quinze jours courant à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir,-ordonner à titre provisoire et conservatoire la désignation d'un mandataire ad hoc pour assurer l'exploitation des films, lequel sera chargé notamment d'administrer et gérer les droits d'exploitation, à titre conservatoire avec tous les pouvoirs attachés,-ordonner la « communication entre les mains du mandataire ad hoc » par les sociétés Brinter Company Ltd, Artedis Panoceanic Radio Days, Madame [A] [JG] et Monsieur [WL] [CZ] du matériel des films, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard au-delà d'un délai de quinze jours courant à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir,-condamner les sociétés Brinter Company Ltd, Artedis Panoceanic Radio Days, Madame [A] [JG] et Monsieur [WL] [CZ] à payer à Monsieur [UE] [U] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens. 6. Par conclusions d'incident notifiées par voie électronique le 10 novembre 2022 et reprises à l'audience, Monsieur [UE] [U] demande au juge de la mise en état d'ordonner des mesures similaires à celles formulées par les autres demandeurs qu'il précise selon détail figurant à ses écritures. 7. Par conclusions d'incident notifiées par voie électronique le 14 novembre 2022 et reprises à l'audience, Monsieur [VS] [U] demande au juge de la mise en état d'ordonner des mesures similaires à celles formulées par les autres demandeurs qu'il précise selon détail figurant à ses écritures. 8. Par conclusions d'incident notifiées par voie électronique le 31 août 2022, la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (la « SACD ») demande au juge de la mise en état de : -dire qu'elle ne représente pas Messieurs [X], [O], [W], [DN], [D], [B], [ES] et Mesdames [P] et [GZ], et la mettre hors de cause à ce titre,-débouter Monsieur [VS] [U] de ses prétentions,-statuer ce que de droit sur les demandes des ayants-droit de [L] [U] et [CF] [XZ]. 9. Par conclusion d'incident notifiées par voie électronique le 14 novembre 2022 et reprises à l'audience, la société de droit anglais Brinter Company Limited, la société SA Artedis, la société SA Panoceanic Films, la société SARL Radio Days, Madame [A] [JG] et Monsieur [WL] [CZ] demandent au juge de la mise en état de : -débouter les demandeurs à l'incident de leurs demandes fins et conclusions,-condamner in solidum les demandeurs à leur payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens dont distraction au profit de Me Corinne Pourrinet, avocat. 10. Il est renvoyé aux dernières écritures des parties et à leurs observations à l'audience pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions qui y sont contenus. 11. L'audience sur incident s'est tenue le 15 novembre 2022 et la décision a été mise en délibéré au 9 février 2023. SUR CE I. Sur la fin de non-recevoir 12. Aux termes de l'article 771 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret no2012-66 du 20 janvier 2012 : « lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :1. Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l'article 47 et sur les incidents mettant fin à l'instance ; les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu'ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge ;2. Allouer une provision pour le procès ;3. Accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l'exécution de sa décision à la constitution d'une garantie dans les conditions prévues aux articles 517 à 522 ;4. Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l'exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d'un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ;5. Ordonner, même d'office, toute mesure d'instruction ». 13. Sauf dispositions spécifiques, le juge de la mise en état n'est pas compétent pour statuer sur une fin de non-recevoir en l'état de ce texte. 14. En l'espèce, des conclusions du 27 janvier 2020 présentées par les défendeurs soulèvent l'irrecevabilité de l'action tirée de l'absence de mise en cause de plusieurs coauteurs des films sur le fondement des articles L. 113-3 du code de la propriété intellectuelle, 56 et 648 du code de procédure civile. 15. Les demandeurs estiment qu'il est impossible ou excessivement difficile d'identifier et de mettre en cause les co-auteurs des oeuvres en litige sans disposer de leurs coordonnées. 16. L'acte introductif d'instance date du 11 juillet 2019. A cette date, l'article 771 du code de procédure civile, qui définit strictement les pouvoirs du juge de la mise en état, ne lui permet pas de trancher une fin de non-recevoir. 17. Seul le tribunal, saisi au fond, est donc compétent pour statuer sur la fin de non-recevoir qui ne peut donc être écartée comme le sollicitent les demandeurs. 18. Le juge de la mise en état est donc incompétent pour statuer de ce chef. 19. Pour les mêmes motifs, la fin de non-recevoir présentée par la SACD, tirée de son défaut allégué de qualité à défendre pour Messieurs [X], [O], [W], [DN], [D], [B], [ES] et Mesdames [P] et [GZ] ne peut être tranché par le juge de la mise en état incompétent de ce chef. II. Sur le surplus 20. Il n'est pas contesté que [L] [U] a réalisé les 14 films visés à l'exposé du litige, et que [CF] [XZ] a collaboré à 5 de ces films en qualité d'auteur, coauteur des dialogues du scénario ou de l'adaptation : « Les biches », « Docteur Popaul », « Une partie de plaisir », « Que la bête meure », « La décade prodigieuse ». 21. [L] [U] est décédé le [Date décès 9] 2010 à [Localité 50]. Sont désignés comme héritiers par l'acte de notoriété, fait non contesté :-Madame [Y] [U],-Monsieur [VS] [U],-Monsieur [UE] [U],-Monsieur [FB] [U],-Madame [C] [OZ]-[U]. 22. [CF] [XZ], également décédé, a pour héritier selon fait non contesté :-Monsieur [XF] [XZ],-Monsieur [T] [XZ],-Madame [I] [XZ],-Madame [S] [XZ]. 23. Les sociétés défenderesses reconnaissent, dans leurs écritures sur incident (page 19) ne plus détenir de droits de [L] [U] sur 5 films : « Les Biches »,« La Femme infidèle », « Le Cri du hibou », « La Route de Corinthe »,« Docteur Popaul ». 24. Elles indiquent toutefois détenir les droits de [L] [G], un autre co-auteur, sur le film « La route de Corinthe » et ceux de [CF] [XZ] sur le film « Docteur Popaul ». 1. Les actes portant cession de droits 25. Le litige porte sur 14 films ayant fait l'objet d'actes sous seing privé successifs. Les parties débattent de la titularité des droits. Aux fins de préciser les termes du litige il convient d'énumérer les différents actes versés aux débats ordonnés selon le cédant qu'ils désignent. 1.1 Cessions de droits désignant la société SA Les Films La Boétie et [L] [U] 26. Un acte sous seing privé du 25 mars 1982 indique que Maître [LY] [LN], syndic ès qualité de liquidateur des biens de la société SA Les Films La Boetie cède à la société Brinter Co Limited les « éléments corporels et incorporels pouvant appartenir à la société Les Films La Boetie sur les films et long métrages ci-après (?) ces éléments comprennent « le négatif, ou la part de négatif appartenant à la société débitrice (?) le contretype ou inter-négatif (?) les droits d'exploitation pouvant subsister au profit de la société Les Films La Boétie, ainsi que toutes créances pouvant être attachées ». 27. Douze actes sous seing privé du 8 juin 1990 sont signés par [L] [U]. Ils portent cession des au profit de la société de droit anglais Brinter Company Limited du droit de « poursuivre l'exploitation » de plusieurs films pour une durée de 30 ans comportant la représentation cinématographique commerciale et non commerciale, la télédiffusion, les vidéogrammes (cidéocassettes, vidéodiques ou tous autres supports), par tout procédé technique non encore connu à ce jour et le droit de « remake ». 28. Sont visés à ces actes du 25 mars 1982 et distinctement au sein des actes du 8 juin 1990 les films suivants « La Route de Corinthe » (pièce demandeurs 7), « Les Biches » (pièce 8), « La Femme infidèle » (pièce 10), « Que la bête meure » (pièce 9), « Le Boucher » (pièce 12), « La Rupture » (pièce 11), « La Décade prodigieuse » (pièce 13), « Juste avant la nuit » (pièce 14), « Les Noces rouges » (pièce 15), « Nada » (pièce 17), « Une Partie de plaisir » (pièce 16), « Les Innocents aux mains sales » (pièce 18). 29. Le film « Docteur Popaul » (pièce 19), est mentionné à l'acte du 25 mars 1982 mais ne fait pas l'objet d'un contrat spécifique le 8 juin 1990. Un acte sous seing privé du 4 octobre 1971 est signé entre [L] [U] et la société Les Films La Boétie portant cession de droits d'exploitation sur ce film sous un titre provisoire. 30. Le film « Le Cri du hibou » (pièce 20) n'est visé par aucun de ces actes. Un acte sous seing privé du 27 février 1987 signé par [L] [U] porte cession de droits d'auteur et d'exploitation du film à une société Italfrance. Un acte sous seing privé du 7 août 2000 est signé par Maître [ZX] [R], liquidateur judiciaire de la société Italfrance et la société Artedis. Il porte cession de l'ensemble des éléments corporels et incorporels du film en ce compris « le négatif ou l'internégatif (?) la partie de propriété sur les copies pouvant se trouver entre les mains de tiers (?) les droits d'exploitation subsistant à ce jour, au profit de la société Italfrance sur le film en cause (...) ». Le film fait l'objet d'un acte sous seing privé du 29 septembre 2000 par lequel la société Artedis cède à la société Brinter Company Limited, pour le monde entier, l'intégralité des droits de productions, des éléments corporels et incorporels. 1.2 Cessions de droits désignant les ayants-droit [XZ] 31. Cinq actes sous seing privé du 8 juin 1990 sont signés par Messieurs [XF] et [T] [XZ] et Mesdames [I] et [S] [XZ]. Ils portent cession au profit de la société de droit anglais Brinter Company Limited du droit de « poursuivre l'exploitation » de plusieurs films pour une durée de 30 ans comportant la représentation cinématographique commerciale et non commerciale, la télédiffusion, les vidéogrammes (cidéocassettes, vidéodiques ou tous autres supports), par tout procédé technique non encore connu à ce jour et le droit de « remake ». 32. Ces actes portent sur les films « Les biches » (pièce [Y] [U] et alii 67), « Que la bête meure » (pièce 68), « Une partie de plaisir » (pièce 69), « La décade prodigieuse » (pièce 70) et « Docteur Popaul » (pièce 71). 1.3 Cessions de droits désignant la société Brinter Company Limited 33. Un acte du 17 février 2012 (pièce 23) indique que la société Brinter Company Limited cède pour une durée de 15 ans à la société Panoceanic Films certains droits d'exploitation sur les films « La Route de Corinthe », « Les Biches », « La Femme infidèle »,« Le Boucher », « Les Innocents aux mains sales ». Deux publications du CNC (pièce 22) indiquent une cession de droits pour une durée de 15 ans à la société Panoceanic Films du film « Une partie de plaisir » le 15 janvier 2012 et « Juste avant la nuit » le 7 juin 2013. 34. Les sociétés défenderesses, en particulier la société Brinter Company Limited et la société et la société SA Panoceanic Films, indiquent par leur conseil commun (conclusions sur incident page 6, §1.5) que ces actes de cession ont été annulés. Ils listent parmi ces films objets de l'annulation deux films « Que la bête meure » et « La rupture » qui ne sont pas mentionnés par les pièces précitées. Le film « Les innocents aux mains sales » est cité par la pièce 23 mais ne fait l'objet d'aucune déclaration des défendeurs quant à l'annulation de cette cession. 1.4 Les actes portant mandat de vente 35. Un acte sous seing privé daté du 1er janvier 1990 indique que la société Brinter Company Limited confie mandat de vente à la société SA Artedis pour une durée de 12 mois renouvelables par tacite reconduction l'autorisant à signer directement avec les acheteurs des contrats de vente et à en encaisser le produit. Cet acte mentionne les 14 films en litige à l'exception du film « Juste avant la nuit ». 36. Les sociétés défenderesses, en particulier la société Brinter Company Limited et la société SA Panoceanic Films, indiquent par leur conseil commun (conclusions sur incident page 6, §1.5) qu'un mandat de vente a été confiée par la première à la seconde portant sur les films « La Route de Corinthe », « Les Biches », « La Femme infidèle », « Que la bête meure », « Le Boucher », « La Rupture », « Juste avant la nuit », « Une Partie de plaisir ». 2. La communication de pièce 37. Aux termes de l'article 132 du code de procédure civile « la partie qui fait état d'une pièce s'oblige à la communiquer à toute autre partie à l'instance. / La communication des pièces doit être spontanée ». 38. Selon l'article 133 du même code « si la communication des pièces n'est pas faite, il peut être demandé, sans forme, au juge d'enjoindre cette communication ». 39. Selon l'article 134 du même code « le juge fixe, au besoin à peine d'astreinte, le délai, et, s'il y a lieu, les modalités de la communication ». 40. Selon l'article 142 du même code « les demandes de production des éléments de preuve détenus par les parties sont faites, et leur production a lieu, conformément aux dispositions des articles 138 et 139 ». 41. Selon l'article 770 devenu l'article 788 du même code « le juge de la mise en état exerce tous les pouvoirs nécessaires à la communication, à l'obtention et à la production des pièces ». 42. En l'espèce, et ainsi qu'il précède, les sociétés suivantes ont détenu ou détiennent encore, selon faits débattus, des droits d'exploitation sur les films en litige : -la société Brinter Company Limited.-la société SA Panoceanic Films s'agissant des seuls films « La Route de Corinthe », « Les Biches », « La Femme infidèle », « Que la bête meure », « Le Boucher », « La Rupture », « Juste avant la nuit », « Une Partie de plaisir », « Les innocents aux mains sales ». 43. Elles ont donc à leur charge l'obligation de transmission des informations explicites et transparentes sur l'ensemble des revenus générés par l'exploitation de l'oeuvre en application de l'article L. 131-5-1 du code de la propriété intellectuelle. 44. Par voie de conséquences, elles connaissent l'identité des auteurs et de leurs ayants-droit, qui sont créanciers de cette obligation. 45. Il est relevé que les demandeurs ont attrait en intervention forcée la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques comme représentante de 9 ayants-droit identifiés, qualité que la SACD conteste, et la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique comme représentante de 5 ayants-droit ainsi que Madame [KK] [IM]. Les demandeurs ont signifié 12 actes distincts placés les 5 mai et 12 juin 2020 pour attraire les co-auteurs. 46. Les demandeurs ont encore pris attache avec la SACD, la SACEM et la SIAE aux fins d'obtenir les coordonnées d'autres co-auteurs ou de leurs ayants-droit. 47. La SACD a communiqué plusieurs identités et coordonnées des co-auteurs ou ayants-droit suite à injonction du juge de la mise en état suivant bulletin du 12 juillet 2022. 48. Ce même bulletin enjoint aux autres défendeurs constitués de communiquer les coordonnées, dont l'adresse postale des co-auteurs des films.Ceux-ci n'y ont déféré que partiellement en communiquant les noms et adresse d'une personne décédée et des adresses de mandataires ou représentants. 49. Il convient donc d'ordonner à la société Brinter Company Limited et à la société SA Panoceanic pour les films la concernant, de communiquer ces élément. Elles y seront tenues sous astreinte. 50. Il n'y a pas lieu d'ordonner de nouveau aux autres défendeurs de produire ces éléments. 51. Il n'est pas nécessaire d'enjoindre non plus de communiquer des éléments comptables ou documents mentionnant ces adresses dès lors qu'ils communiquent effectivement les adresses des co-auteurs et non celles de leurs mandataires réels ou supposés. 52. En outre, le débat de fond porte notamment sur la question des éventuels frais de restauration et de la qualité des restaurations des films dont font état les défendeurs. Il y a lieu de faire droit à la demande de communication de pièces présentée par les demandeurs. 53. De la même manière, sera ordonnée la communication d'un inventaire du matériel d'exploitation des films comme le réclame Monsieur [VS] [U] dans les conditions du dispositif. 54. La portée des différents mandants confiés aux autres sociétés défenderesses et les prérogatives des gérants n'étant pas identifiée avec précision, les défendeurs seront tous tenus à cette obligation de communication. 55. Ils y seront tenus sous astreinte au regard de l'inexécution de précédentes injonctions et de la durée de la procédure. 3. Le mandataire ad hoc 56. Aux termes de l'article L. 113-3 du code de la propriété intellectuelle « l'oeuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs. / Les coauteurs doivent exercer leurs droits d'un commun accord. / En cas de désaccord, il appartient à la juridiction civile de statuer. / Lorsque la participation de chacun des coauteurs relève de genres différents, chacun peut, sauf convention contraire, exploiter séparément sa contribution personnelle, sans toutefois porter préjudice à l'exploitation de l'oeuvre commune ». 57. Aux termes de l'article 771 du code de procédure civile devenu l'article 789 du même code : « lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : (?) 4. Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l'exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d'un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ; (...)». 58. En l'espèce, la demande de désignation d'un mandataire ad hoc porte sur l'exploitation des films et la mise à disposition du matériel le permettant, détenu par certaines des défenderesses. 59. Il n'est pas contesté que les sociétés Brinter Company Limited et SA Panoceanic Films ne détiennent plus de droits d'exploitation sur les films :« Les Biches »,« La Femme infidèle » et « Le Cri du hibou ». 60. Il n'est pas contesté que ces sociétés ne détiennent plus les droits d'exploitation de [L] [U] mais revendiquent les droits de [L] [G] et de [CF] [XZ] sur les films :« La Route de Corinthe »,« Docteur Popaul ». 61. L'état des droits d'exploitation revendiqués par les consorts [U] sur les films suivants est contesté :« Que la bête meure », « Le Boucher », « La Rupture », « Juste avant la nuit », « La Décade prodigieuse », « Les Noces rouges », « Nada », « Une Partie de plaisir », « Les Innocents aux mains sales ». 62. L'état des droits d'exploitation revendiqués par les consorts [XZ] sur les films suivants est contesté :« Les biches », « Que la bête meure », « Une partie de plaisir », « La décade prodigieuse » et « Docteur Popaul ». 63. Les demandeurs dénoncent l'absence d'exploitation des films. Les défendeurs le contestent et arguent de ce que ce sont les demandeurs et en particulier [UE] [U] qui s'opposent à l'exploitation. 64. L'examen des éléments de la cause, en particulier les comptes des années 2013 à 2022 (pièces défendeurs 4 à 12 et 16 à 18, pièce demandeurs 106) permettent de constater, qu'en l'état des pièces versées devant le juge de la mise en état, les recettes générées par les films sont marginales : de l'ordre de quelques centaines d'euros par an et par film depuis près de 10 ans. 65. Deux exception sont relevées : au 1er trimestre 2018 le film « Le Boucher » a rapporté la somme de 10 821, 52 euros par une diffusion à la télévision, au 4ème trimestre 2017 le film « Que la bête meure » rapporte la somme de 121 705, 02 euros par deux diffusions télévisées en France et à l'étranger. Une somme équivalente est toutefois déduite en 2022 (pièce demandeurs 106) portant mention « vente déclarée 2 fois ». 66. La société Brinter Company Limited produit un décompte de frais conséquents au titre du « matériel » et de la « restauration » : 72 777, 45 euros en 2013, 53 623, 53 euros en 2018 et 23 760, 24 euros en 2020. Un tableau récapitulatif (pièce défendeur 19) fait état de frais de restauration liquidés à hauteur de 399 890, 40 euros pour trois films dont 198 426, 16 euros payés par la société Brinter Company Limited et 23 436, 24 euros par les consorts [XZ]. Un tableau récapitulatif émanant des demandeurs (pièce 38) fait état de 655 000 euros d'aides versées à la société SA Panoceanic Films sous forme d'avance et de 245 000 euros versés sous forme de subventions. 67. Les recettes exceptionnelles au 4ème trimestre 2017 et au 1er trimestre 2018, même corrigées en 2022, démontrent un potentiel évident et proportionnel à la notoriété de [L] [U] et de son oeuvre. Le contraste avec les recettes générées pour les autres périodes est manifeste. 68. Des échanges écrits entre plusieurs défenderesses et Monsieur [UE] [U] permettent de constater que, pendant la procédure, celui-ci s'est opposé à la diffusion des films « Le Boucher », « La Rupture », « Juste avant la nuit », « La Décade prodigieuse », « Les Noces rouges », « Nada », « Une Partie de plaisir », « Les Innocents aux mains sales » par des plateformes de vidéo à la demande outre une diffusion envisagée pendant un festival. 69. Les parties s'opposent ainsi sur la cause de l'absence d'exploitation et ses conséquences contractuelles. Cette appréciation relève d'un débat de fond. 70. La procédure, ancienne de deux ans et sept mois, en l'absence de toute démarche amiable entreprise, et alors que d'autres ayants-droit doivent être mis en cause, crée un risque d'inexploitation des films en raison de l'intensité du différend. 71. Cette situation de fait est contraire, s'agissant des films « La Route de Corinthe » et « Docteur Popaul », aux droits des co-auteurs et suppose la préservation de leur propriété commune. 72. Elle est contraire, s'agissant des films « Que la bête meure », « Le Boucher », « La Rupture », « Juste avant la nuit », « La Décade prodigieuse », « Les Noces rouges », « Nada », « Une Partie de plaisir », « Les Innocents aux mains sales » aux obligations réciproques des parties devant permettre la poursuite de l'exploitation des films résultant des contrats du 8 juin 1990. 73. Il résulte de ces circonstances que la désignation d'un mandataire ad hoc est une mesure conservatoire nécessaire que les demandeurs sont bien fondés à réclamer s'agissant des films précités. 74. Le mandataire aura pour mission, ainsi qu'il est précisé au dispositif, de s'assurer que les oeuvres sont effectivement exploitées en générant un revenu régulier sans porter atteinte à 75. Les films « Les Biches »,« La Femme infidèle » et « Le Cri du hibou » feront également l'objet de la mesure de mandat ad hoc, les défendeurs n'y opposant aucun argument valable alors qu'ils ne se prévalent d'aucun droit d'exploitation sur ces films. 76. Afin de permettre la bonne exploitation des films, les défendeurs seront tenus de mettre le matériel des films à disposition de l'administrateur provisoire à sa demande. Ils ne seront toutefois pas contraints de lui remettre ces matériels de façon générale ni en dehors de cet objet. III. Sur les demandes accessoires 77. Il convient de réserver les dépens et les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile dans l'attente de l'examen de l'affaire au fond. IV. Sur l'injonction de rencontrer un médiateur 78. L'article 22-1 de la loi no95-125 du 8 février 1995 dans sa rédaction issue de la loi no2019-222 du 23 mars 2019, dit qu'« en tout état de la procédure y compris en référé, lorsqu'il estime qu'une résolution amiable du litige est possible, le juge peut, s'il n'a pas recueilli l'accord des parties, leur enjoindre de rencontrer un médiateur qu'il désigne. Celui-ci informe les parties sur l'objet et le déroulement d'une mesure de médiation », 79. Vu l'article 127 du code de procédure civile, 80. Les parties n'ont pas toutes exprimé leur accord sur l'objet d'une mesure de médiation. 81. L'affaire y présentant pourtant des critères d'éligibilité en particulier : les parties entretiennent des relations de long terme, elles disposent d'intérêts futurs mutuels, d'autres parties que celles à la procédure sont impliquées dans le conflit, une résolution rapide du litige est souhaitable, les parties font état d'une lassitude face au différend, le différend à généré de nombreux litiges devant plusieurs juridictions, la technicité de l'affaire et la nécessité d'organiser le mandat ad hoc. 82. Il convient par voie de conséquence de leur donner injonction aux parties de rencontrer un médiateur aux fins d'information sur l'objet et le déroulement d'une médiation. PAR CES MOTIFS Le juge de la mise en état, statuant par mise à disposition au greffe, par décision réputée contradictoire et en premier ressort : SE DÉCLARE INCOMPÉTENT matériellement pour statuer sur la fin de non-recevoir tirée de l'absence de mise en cause des co-auteurs des films, SE DÉCLARE INCOMPÉTENT matériellement pour statuer sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (la « SACD ») comme représentant Messieurs [X], [O], [W], [DN], [D], [B], [ES] et Mesdames [P] et [GZ], ORDONNE à la société de droit anglais Brinter Company Limited de communiquer à Madame [Y] [U], Monsieur [FB] [U], Madame [C] [OZ]-[U], Monsieur [UE] [U], Monsieur [VS] [U], Monsieur [XF] [XZ], Monsieur [T] [XZ], Madame [I] [XZ], Madame [S] [XZ] dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la présente ordonnance puis sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard pendant un délai maximal de six mois les coordonnées, dont l'adresse postale des co-auteurs des films suivants : « La Route de Corinthe », « Les Biches », « La Femme infidèle », « Que la bête meure », « Le Boucher », « La Rupture », « Juste avant la nuit », « La Décade prodigieuse », « Docteur Popaul », « Les Noces rouges », « Nada », « Une Partie de plaisir », « Les Innocents aux mains sales » et « Le Cri du hibou », ORDONNE à la société SA Panoceanic Films de communiquer à Madame [Y] [U], Monsieur [FB] [U], Madame [C] [OZ]-[U], Monsieur [UE] [U], Monsieur [VS] [U], Monsieur [XF] [XZ], Monsieur [T] [XZ], Madame [I] [XZ], Madame [S] [XZ] dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la présente ordonnance puis sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard pendant un délai maximal de six mois les coordonnées, dont l'adresse postale des co-auteurs des films suivants : « La Route de Corinthe », « Les Biches », « La Femme infidèle », « Que la bête meure », « Le Boucher », « La Rupture », « Juste avant la nuit », « Une Partie de plaisir », « Les innocents aux mains sales », ORDONNE à la société de droit anglais Brinter Company Limited, la société SA Artedis, la société SA Panoceanic Films, la société SARL Radio Days, Madame [A] [JG] et Monsieur [WL] [CZ] de communiquer à Madame [Y] [U], Monsieur [FB] [U], Madame [C] [OZ]-[U], Monsieur [UE] [U], Monsieur [VS] [U], Monsieur [XF] [XZ], Monsieur [T] [XZ], Madame [I] [XZ], Madame [S] [XZ] dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la présente ordonnance puis sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard pendant un délai maximal de six mois, les justificatifs comptables justifiant des frais de restauration des films : « La Route de Corinthe », « Les Biches », « La Femme infidèle », « Que la bête meure », « Le Boucher », « La Rupture », « Juste avant la nuit », « La Décade prodigieuse », « Docteur Popaul », « Les Noces rouges », « Nada », « Une Partie de plaisir », « Les Innocents aux mains sales » et « Le Cri du hibou », DIT qu'à défaut de détenir ces éléments comptables justifiant des frais de restauration des films la société de droit anglais Brinter Company Limited, la société SA Artedis, la société SA Panoceanic Films, la société SARL Radio Days, Madame [A] [JG] et Monsieur [WL] [CZ] pourront se libérer par un écrit officiel signé de leur main ou de celle de leur gérant indiquant que l'intégralité desdits éléments en leur possession ont été communiqués, ORDONNE à la société de droit anglais Brinter Company Limited, la société SA Artedis, la société SA Panoceanic Films, la société SARL Radio Days, Madame [A] [JG] et Monsieur [WL] [CZ] de communiquer à Madame [Y] [U], Monsieur [FB] [U], Madame [C] [OZ]-[U], Monsieur [UE] [U], Monsieur [VS] [U], Monsieur [XF] [XZ], Monsieur [T] [XZ], Madame [I] [XZ], Madame [S] [XZ] dans un délai de 45 jours à compter de la signification de la présente ordonnance puis sous astreinte de 300 euros par jour de retard pendant un délai maximal de trois mois un inventaire complet du matériel d'exploitation des films qu'ils détiennent pour les films : « La Route de Corinthe », « Les Biches », « La Femme infidèle », « Que la bête meure », « Le Boucher », « La Rupture », « Juste avant la nuit », « La Décade prodigieuse », « Docteur Popaul », « Les Noces rouges », « Nada », « Une Partie de plaisir », « Les Innocents aux mains sales » et « Le Cri du hibou », ORDONNE à la SACD de communiquer à Madame [Y] [U], Monsieur [FB] [U], Madame [C] [OZ]-[U], Monsieur [UE] [U], Monsieur [VS] [U], les coordonnées dont l'adresse postale des ayants-droit de [L] [G], ORDONNE à titre conservatoire un mandat ad hoc provisoire portant sur l'exploitation des films « La Route de Corinthe », « Les Biches », « La Femme infidèle », « Que la bête meure », « Le Boucher », « La Rupture », « Juste avant la nuit », « La Décade prodigieuse », « Docteur Popaul », « Les Noces rouges », « Nada », « Une Partie de plaisir », « Les Innocents aux mains sales » et « Le Cri du hibou », DÉSIGNE en qualité de mandataire ad hoc : SARL GLADEL & ASSOCIÉS représentée par Maître Vincent Gladeladministrateur judiciaire,[Adresse 26], tél. : [XXXXXXXX03] - courriel : [Courriel 51] avec pour mission :-de gérer et administrer l'ensemble des droits d'exploitation des films suivants : « Les Biches »,« La Femme infidèle » et « Le Cri du hibou », dans l'intérêt commun des co-auteurs des oeuvres, -de gérer et administrer l'ensemble des droits d'exploitation des films suivants dans les conditions prévues par les contrats du 8 juin 1990 : « La Route de Corinthe », « Que la bête meure », « Le Boucher », « La Rupture », « Juste avant la nuit », « La Décade prodigieuse », « Docteur Popaul », « Les Noces rouges », « Nada », « Une Partie de plaisir », et « Les Innocents aux mains sales », dans l'intérêt commun des co-auteurs des oeuvres et des parties à ces contrats, et à cette fin, d'engager toutes démarches et de conclure toutes conventions en vue de leur exploitation, de prendre toutes mesures judiciaires ou extra-judiciaires nécessaires afin de les faire respecter tant en demande qu'en défense, dans toutes les instances dont l'objet entre dans la limite de ses pouvoirs, DIT que le mandataire ad hoc pourra se faire remettre sans délai toutes pièces, contrats, documents, archives utiles à l'accomplissement de sa mission, ainsi que l'inventaire prévu au dispositif de la présente ordonnance lorsqu'il sera établi, ORDONNE à titre de mesure conservatoire à la société de droit anglais Brinter Company Limited, la société SA Artedis, la société SA Panoceanic Films, la société SARL Radio Days, Madame [A] [JG] et Monsieur [WL] [CZ] de mettre à la disposition du mandataire ad hoc, sur sa demande, l'ensemble des matériels, négatifs et supports des films en leur possession, afin de permettre l'accomplissement de sa mission, DIT que le mandat ad hoc débute à compter de la présente ordonnance et pour une durée maximale de 3 ans, jusqu'à ce qu'une décision définitive statuant au fond sur la présente affaire intervienne, y compris une transaction homologuée, ou que le désistement d'instance et d'action des demandeurs soit constaté, DIT que le mandataire ad hoc rendra compte de sa mission au juge de la mise en état puis, après son dessaisissement, au juge ou conseiller de la mise en état de la juridiction saisie du litige et, à défaut de juridiction saisie du litige, au bureau des administrations judiciaires et séquestres de ce tribunal en vue de son éventuelle prorogation et lui soumettra pour examen les frais exposés ainsi que sa demande d'honoraires, DIT que le mandataire ad hoc peut informer le juge au contradictoire des parties constituées en cas de difficulté, FIXE à 3 000 euros la provision à valoir sur les frais et honoraires de l'administrateur qui sera versée par les demandeurs, directement entre les mains de l'administrateur judiciaire dans le délai de deux mois à compter de la présente décision à peine de caducité de la désignation, DIT que la rémunération du mandataire ad hoc sera fixée sur la base du barème en usage dans le ressort du tribunal judiciaire de Paris pour la rémunération des administrateurs judiciaires civils et sera mise à la charge des demandeurs pour moitié et de droit anglais Brinter Company Limited, la société SA Artedis, la société SA Panoceanic Films, la société SARL Radio Days, Madame [A] [JG] et Monsieur [WL] [CZ] pour l'autre moitié, lors de sa liquidation définitive après le terme de la mission, DONNE INJONCTION aux parties de rencontrer un médiateur : Monsieur [RX] [MH] [Courriel 52][XXXXXXXX04]aux fins d'information sur l'objet et le déroulement d'une médiation au plus tard le : 28 avril 2023 INVITE chaque partie à prendre contact directement par mail avec le médiateur et à se présenter au rendez-vous en personne ayant un pouvoir décisionnel, pouvant être accompagnée de son conseil, DIT que la présente ordonnance est communiquée au mandataire ad hoc et au médiateur à la diligence du greffe, REJETTE le surplus, RÉSERVE les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile, RÉSERVE les dépens, RENVOIE l'affaire à l'audience de mise en état du 13 juin 2023 à 10h00 pour clôture au terme d'un rendez-vous de mise en état en présentiel et après calendrier suivant :-conclusions demandeurs et mise en cause des co-auteurs : 11 avril 2023 (date relais)-conclusions des défendeurs : 5 juin 2023 (date relais)(date de plaidoirie envisagée : 03 octobre 2023 à 15h00) Faite et rendue à PARIS le 16 février 2023 LA GREFFIERE LE JUGE DE LA MISE EN ETAT
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JURITEXT000048389769
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ARRET
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Cour d'appel de Nouméa, 18 décembre 2019, 19/001197
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2019-12-18
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Cour d'appel de Nouméa
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Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes
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19/001197
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02
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NOUMEA
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No de minute : 54 COUR D'APPEL DE NOUMÉA Arrêt du 18 Décembre 2019 Chambre sociale Numéro R.G. : No RG 19/00119 - No Portalis DBWF-V-B7D-QOH Décision déférée à la cour : Arrêt rendu le 21 Novembre 2019 par le Cour d'Appel de NOUMEA (RG no :19/49) Saisine de la cour : 22 Novembre 2019 APPELANTE LA SARL BMS, prise en la personne de son représentant légal[Adresse 2]Représentée par Me Myriam LAGUILLON de la SELARL LEXNEA, avocat au barreau de NOUMEA INTIMÉE LA C.A.F.A.T, représentée par son Directeur en exerciceSiège social : [Adresse 1]Représentée par Me Laure CHATAIN de la SELARL CABINET D'AFFAIRES CALEDONIEN, avocat au barreau de NOUMEA COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 12 Décembre 2019, en chambre du conseiler, devant la cour composée de : Mme Marie-Ange SENTUCQ, Président de Chambre, président,Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,Mme Zouaouia MAGHERBI, Conseiller,qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme Marie-Ange SENTUCQ. Greffier lors des débats : Mme Mikaela NIUMELE Greffier lors de la mise à disposition : M. Petelo GOGO ARRÊT :- contradictoire,- prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,- signé par Mme Marie-Ange SENTUCQ, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire. *************************************** PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE Par un arrêt prononcé par cette cour le 21 novembre 2019, dans le litige opposant la SARL BMS à la Caisse de Compensation des Prestations Familiales des Accidents du Travail et de Prévoyance des Travailleurs de Nouvelle-Calédonie, dite CAFAT, la CAFAT, entre autres dispositions, a été condamnée aux dépens. Les parties ont été convoquées à l'audience du 12 décembre 2020, sur saisine d'office de la cour, en vertu des dispositions de l'article 462 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie, aux fins qu'il soit statué sur l'erreur matérielle affectant le dispositif de l'arrêt relativement à la condamnation de la partie succombante aux dépens. A l'audience, la SARL BMS a fait valoir qu'il ne saurait être admis que la condamnation de la CAFAT aux dépens soit rectifiée sur le fondement de l'erreur matérielle alors que cette condamnation est justifiée par les dispositions de l'article 880-1 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie qui, bien que rappelant le principe général de gratuité de l'accès à la justice, ne prévoit pas pour autant une dispense de frais, les frais de signification étant en l'occurrence le préalable nécessaire à la poursuite de l'exécution de l'arrêt, de même dans les cas où une partie n'est pas touchée par la notification effectuée par le greffe de la juridiction. La CAFAT, se prévalant de la jurisprudence relative à l'application des dispositions de l'article R 144-10 du code de sécurité sociale métropolitain, soutient que la procédure devant les juridictions de sécurité sociale est gratuite est sans frais et que le greffe, dans la procédure applicable en Nouvelle-Calédonie, assume la charge de la notification aux parties des décisions rendues en matière sociale ce qui est exclusif des rémunérations tarifées. SUR QUOILA COUR : Selon les dispositions de l'article 462 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie : "Les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande. Le juge est saisi par simple requête de l'une des parties, ou par requête commune ; il peut aussi se saisir d'office. Le juge statue après avoir entendu les parties ou celles-ci appelées. La décision rectificative est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement. Elle est notifiée comme le jugement. Si la décision rectifiée est passée en force de chose jugée, la décision rectificative ne peut être attaquée que par la voie du recours en cassation." En l'espèce, la question posée est celle du bien fondé de la condamnation de la partie perdante aux dépens au regard d'une part, des dispositions de l'article 880-1 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie selon lequel la procédure devant le tribunal du travail de Nouméa est gratuite, orale et contradictoire et d'autre part, du principe général posé par les dispositions de l'article 696 du même code selon lequel la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Cette question relève d'une analyse juridique et non d'une rectification qui ne peut porter que sur une erreur purement matérielle. Elle ne pourra, le cas échéant, être tranchée que dans le cadre d'un pourvoi en cassation. La CAFAT sera donc déboutée de sa demande en rectification. PAR CES MOTIFS La cour DEBOUTE la Caisse de Compensation des Prestations Familiales des Accidents du Travail et de Prévoyance des Travailleurs de Nouvelle-Calédonie, dite CAFAT, de sa demande en rectification d'erreur matérielle ; DIT n'y avoir lieu à statuer sur les dépens. Le Greffier, Le Président,
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JURITEXT000048389770
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 20 juillet 2023, 21/10327
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2023-07-20
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/10327
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 21/10327 No Portalis 352J-W-B7F-CUXDL No MINUTE : Assignation du :02 juillet 2021 JUGEMENT rendu le 20 juillet 2023 DEMANDERESSE Société NOKIA TECHNOLOGIES OY [Adresse 7][Localité 1] (FINLANDE) représentée par Me David POR du LLP ALLEN & OVERY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0022 DÉFENDERESSES Société GUANGDONG OPPO MOBILE TELECOMMUNICATIONS CORP., LT D[Adresse 6] [Adresse 6] (CHINE) S.A.S. YANG TECHNOLOGY [Adresse 3][Localité 4] S.A.R.L. ARTECH MOBILES [Adresse 2][Localité 4] Société ONEPLUS TECHNOLOGY ([Localité 9]) CO., LTD. [Adresse 5], [Adresse 5], [Localité 9] (CHINE)représentées par Me Stanislas ROUX-VAILLARD du PARTNERSHIPS HOGAN LOVELLS (PARIS) LLP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0033 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation. DEBATS A l'audience du 03 avril 2023 tenue en audience publique avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 06 juillet 2023.Le délibéré a été prorogé au 20 juillet 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE : 1. La société de droit finlandais Nokia Technologies Oy, se présente comme étant en charge de la recherche et du développement au sein du groupe Nokia spécialisé dans le domaine des télécommunications. 2. Elle est titulaire du brevet européen no 1 702 486, ci-après EP 486, intitulé "Procédé pour régler un transfert", issu de la demande internationale no 2005/064976 déposée le 23 décembre 2004 et revendiquant la priorité de la demande américaine no 748088 déposée le 30 décembre 2003. La mention de la délivrance de ce brevet a été publiée le 2 juillet 2014. L'invention selon le brevet EP 486 porte sur l'application d'un algorithme de transfert de communication lorsque le composant d'interface utilisateur d'un terminal se trouve à l'état actif. 3. La société de droit chinois Guangdong Oppo Mobile Telecommunications conçoit des équipements électroniques et plus particulièrement des smartphones qu'elle commercialise sous la marque "Oppo". La société Yang Technology et la sociétéArtech Mobiles (qui exerce sous le nom commercial "Oppo France"), indiquent être spécialisées dans la commercialisation de produits de téléphonie mobile. 4. La société de droit chinois OnePlus Technology ([Localité 9]), est également spécialisée dans les équipements électroniques de type smartphones qu'elle commercialise sous la marque "OnePlus". 5. Selon la société Nokia Technologies, les smartphones commercialisés sous les marques Oppo et OnePlus depuis le 1er juillet 2016 reproduisent les revendications du brevet EP 486. Elle précise que c'est à compter de cette date que ces smartphones ont été nativement équipés de plusieurs versions de leur système d'exploitation propre, ColorOs pour les smartphones Oppo et OxygenOs pour les smartphones OnePlus, qui reproduisent les revendications de ce brevet. 6. Des négociations ont eu lieu entre les parties afin de définir les conditions d'une licence portant sur la technologie développée par le groupe Nokia, mais les parties ne sont pas parvenues à trouver un accord. C'est dans ce contexte que, par actes des 2 et 8 juillet 2021, la société Nokia a fait assigner les sociétés Oppo et OnePlus devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon des revendications 9, 10, 13 et 14 de la partie française du brevet EP 486 (telle que limitée après acceptation de la demande présentée à cette fin au directeur de l'INPI par la société Nokia Technology Oy). 7. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 27 janvier 2023, la société Nokia Technologies demande au tribunal de : - DIRE que les revendications 9, 10, 13 et 14 de la partie française du brevet européen no 1 702 486 sont valides ; - DIRE que les sociétés Guangdong OPPO Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology SAS et Artech Mobiles ont commis des actes de contrefaçon des revendications 9, 10, 13 et 14 de la partie française du brevet européen no 1 702 486, en important, offrant et en distribuant en France les produits OPPO Find X2 Lite, OPPO Find X2 Neo, OPPO Find X2 Pro, OPPO Find X3 Lite, OPPO Find X3 Neo, OPPO Find X3 Pro, OPPO Find X5 Lite, OPPO Find X5, OPPO Find X5 Pro, OPPO Reno 10x Zoom, OPPO Reno2, OPPO Reno4 Z 5G, OPPO Reno4 5G, OPPO Reno4 Pro 5G, OPPO Reno6 5G, OPPO Reno6 Pro 5G, OPPO Reno7, OPPO Reno8 Pro 5G, OPPO Reno8 5G, OPPO Reno8 Lite 5G, OPPO A16, OPPO A53s, OPPO A54 5G, OPPO A57s, OPPO A57, OPPO A74, OPPO A74 5G, OPPO A77 5G, OPPO A94 5G, OPPO A76, OPPO A96 et d'une façon générale tout smartphone utilisant le système d'exploitation « ColorOS » ; - INTERDIRE aux sociétés Guangdong OPPO Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology SAS et Artech Mobiles d'offrir, de mettre dans le commerce, d'importer, et de détenir aux fins précitées en France les produits OPPO Find X2 Lite, OPPO Find X2 Neo, OPPO Find X2 Pro, OPPO Find X3 Lite, OPPO Find X3 Neo, OPPO Find X3 Pro, OPPO Find X5 Lite, OPPO Find X5, OPPO Find X5 Pro, OPPO Reno 10x Zoom, OPPO Reno2, OPPO Reno4 Z 5G, OPPO Reno4 5G, OPPO Reno4 Pro 5G, OPPO Reno6 5G, OPPO Reno6 Pro 5G, OPPO Reno7, OPPO Reno8 Pro 5G, OPPO Reno8 5G, OPPO Reno8 Lite 5G, OPPO A16, OPPO A53s, OPPO A54 5G, OPPO A57s, OPPO A57, OPPO A74, OPPO A74 5G, OPPO A77 5G, OPPO A94 5G, OPPO A76, OPPO A96 utilisant le système d'exploitation « ColorOS » et d'une façon générale tout produit reproduisant les enseignements des revendications 9, 10, 13 et 14 de la partie française du brevet européen no 1 702 486 ; - DIRE que la société OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd. a commis des actes de contrefaçon des revendications 9, 10, 13 et 14 de la partie française du brevet européen no 1 702 486, en important, offrant et en distribuant en France les produits OnePlus 9 Pro, OnePlus 9, OnePlus 8T, OnePlus 8 Pro, OnePlus 8, OnePlus Nord, OnePlus Nord N10 5G, OnePlus Nord N100, OnePlus Nord CE 5G, OnePlus Nord CE 2 5G, OnePlus Nord 2 5G, OnePlus Nord 2T 5G, OnePlus Nord CE 2 Lite 5G, OnePlus 10 Pro 5G, OnePlus 10T 5G et d'une façon générale tout smartphone utilisant le système d'exploitation « OxygenOS» ; - INTERDIRE à la société OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd. d'offrir, de mettre dans le commerce, d'importer, et de détenir aux fins précitées en France les produits OnePlus 9 Pro, OnePlus 9, OnePlus 8T, OnePlus 8 Pro, OnePlus 8, OnePlus Nord, OnePlus Nord N10 5G, OnePlus Nord N100, OnePlus Nord CE 5G, OnePlus Nord CE 2 5G, OnePlus Nord 2 5G, OnePlus Nord 2T 5G, OnePlus Nord CE 2 Lite 5G, OnePlus 10 Pro 5G, OnePlus 10T 5G utilisant le système d'exploitation « OxygenOS » et d'une façon générale tout produit reproduisant les enseignements des revendications 9, 10, 13 et 14 de la partie française du brevet européen no 1 702 486 ; - ORDONNER aux sociétés Guangdong OPPO Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd. de rappeler des circuits commerciaux les produits qui contrefont la partie française du brevet européen no 1 702 486, dans un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 10.000 € par jour de retard ; Avant-dire droit sur le préjudice, - CONDAMNER les sociétés Guangdong OPPO Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology SAS et Artech Mobiles conjointement d'une part, et la société OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd. d'autre part, à payer chacune à la société Nokia Technologies Oy la somme globale de 1 millions € à titre de provision en réparation du préjudice économique qu'elle a subi, sauf à parfaire; - ORDONNER aux sociétés Guangdong OPPO Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology SAS et Artech Mobiles conjointement d'une part, et à la société OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd. d'autre part, de payer chacune à la société Nokia Technologies Oy la somme de 500.000 € en réparation du préjudice moral qu'elle a subi, sauf à parfaire ; - ORDONNER aux sociétés Guangdong OPPO Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd. de communiquer à Nokia Technologies Oy, par écrit et sous une forme appropriée (divisée en mois), les documents comptables et le nombre de vente des produits contrefaisants permettant de déterminer l'étendue des actes de contrefaçon commis sous astreinte de 10.000 € par jour de retard passé un délai de huit jours à compter de la date de signification du jugement à intervenir ; - ORDONNER aux sociétés Guangdong OPPO Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd. de communiquer à Nokia Technologies Oy tous les documents ou informations qu'elles détiennent afin de déterminer les réseaux de distribution des produits contrefaisants, et notamment (i) les noms et adresses des distributeurs, importateurs et autres détenteurs de ces produits, (ii) les quantités importées, commercialisées, livrées, reçues ou commandées et (iii) le prix et autres avantages obtenus pour ces produits contrefaisants, sous astreinte de 10.000 € par jour de retard passé un délai de huit jours à compter de la date de la signification du jugement à intervenir; - ORDONNER la publication de l'intégralité du jugement à intervenir, aux frais exclusifs des sociétés Guangdong OPPO Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd., sous la forme d'un document PDF reproduisant l'entière décision et accessible par un lien hypertexte apparent situé sur la page d'accueil de leur site Internet, quelle que soit l'adresse permettant d'accéder à ces sites Internet, le titre du lien étant, dans la langue appropriée : « Le Tribunal judiciaire de Paris a jugé que les sociétés Guangdong OPPO Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd. ont commis des actes de contrefaçon des droits de Nokia en mettant sur le marché des smartphones mettant en oeuvre les enseignements d'un de ses brevets européens. » dans une police de taille 20 au moins, pendant 6 mois, dans un délai de huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 5.000 € par jour de retard ; - AUTORISER la société Nokia Technologies Oy à faire publier le jugement à intervenir dans cinq journaux ou quotidiens, de son choix et aux frais des sociétés Guangdong OPPO Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd., sans que le coût de ces publications ne dépasse 20.000 € HT au total, selon le texte suivant : « Le Tribunal judiciaire de Paris a jugé que les sociétés Guangdong OPPO Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd. ont commis des actes de contrefaçon des droits de Nokia en mettant sur le marché des smartphones mettant en oeuvre les enseignements d'un de ses brevets européens. » ; - DIRE que le tribunal sera compétent pour statuer, s'il y a lieu, sur la liquidation des astreintes qu'il a fixées ; - DEBOUTER les sociétés Guangdong OPPO Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd. de toutes leurs demandes, fins et prétentions ; - CONDAMNER les sociétés Guangdong OPPO Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd. à payer à la société Nokia Technologies Oy la somme de 300.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ; - CONDAMNER les sociétés Guangdong OPPO Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd. aux entiers dépens et dire que ceux-ci pourront être recouvrés directement par Me David Por, avocat, dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile ; - ORDONNER l'exécution provisoire de la décision à intervenir. 8. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 10 janvier 2023, les sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd. demandent quant à elles au tribunal de: - DIRE que la partie française du brevet EP 1 702 486 de de la société Nokia Technologies Oy est nulle pour insuffisance de description ; - DIRE que les revendications no9, 10, 13 et 14 de la partie française du brevet EP 1 702 486 de de la société Nokia Technologies Oy sont nulles pour défaut de nouveauté et défaut d'activité inventive ; En conséquence, - PRONONCER LA NULLITE des revendications no9, 10, 13 et 14 de la partie française du brevet EP 1 702 486 ; - ORDONNER l'inscription de la décision à intervenir au Registre National des Brevets, à la diligence du greffe ; - DEBOUTER la société Nokia Technologies Oy de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre des sociétés Guangdong OPPO Mobile Telecommunications Corp., Ltd, Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd ; A titre subsidiaire, - CONSTATER que les sociétés Guangdong OPPO Mobile Telecommunications Corp., Ltd, Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd n'ont commis aucun acte de contrefaçon de la partie française du brevet EP 1 702 486 ; En conséquence, - DEBOUTER la société Nokia Technologies Oy de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre des sociétés Guangdong OPPO Mobile Telecommunications Corp., Ltd, Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd ; A titre très subsidiaire, - DEBOUTER la société Nokia Technologies Oy de ses demandes de mesures d'interdiction et de rappel à l'encontre des sociétés Guangdong OPPO Mobile Telecommunications Corp., Ltd, Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd ; ou à défaut, et à tout le moins - DIRE que les mesures d'interdiction et de rappel ne prendront effet que dans un délai minimal de quatre mois à compter de la signification du jugement à intervenir ; - DEBOUTER la société Nokia Technologies Oy de ses demandes de dommages-intérêts provisionnels à l'encontre des sociétés Guangdong OPPO Mobile Telecommunications Corp., Ltd, Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd ; - DEBOUTER la société Nokia Technologies Oy de ses demandes tendant à la publication du jugement à intervenir ; - DIRE que la communication des informations demandées au titre de l'article L. 615-5-2 du code de la propriété intellectuelle se fera dans le cadre d'un cercle de confidentialité organisé entre les parties ; Et tout état de cause, - ECARTER l'exécution provisoire du jugement à intervenir à l'égard des demandes de la société Nokia Technologies Oy ; - CONDAMNER la société Nokia Technologies Oy à verser aux sociétés Guangdong OPPO Mobile Telecommunications Corp., Ltd, Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd, in solidum, la somme de 200.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, sauf à parfaire ; - CONDAMNER la société Nokia à payer aux sociétés OPPO et OnePlus l'ensemble des frais de justice qui seront recouvrés par Hogan Lovells ([Localité 8]) LLP, selon l'article 699 du code de procédure civile. 9. L'instruction a été close par une ordonnance du 31 janvier 2023 et l'affaire a été plaidée à l'audience du 3 avril 2023. MOTIFS DE LA DÉCISION 1o) Présentation de l'invention 10. Selon le paragraphe [0001] de la partie descriptive du brevet EP 1 702 486, l'invention concerne la détermination des situations dans lesquelles l'algorithme de transfert de communication est appliqué. 11. La description rappelle (paragraphe [0002]) qu'afin de fournir un service continu à un utilisateur, un terminal mobile doit effectuer un processus de transfert de communication pour passer d'un canal à un autre. Ce changement de canal peut également provoquer le changement de station de base ou d'un autre élément du réseau, tel qu'un élément du réseau contrôlant une station de base ou un élément du c?ur de réseau, par exemple un centre de commutation mobile ou un n?ud de support de la commutation de paquets. Un transfert de communication peut également se produire vers un autre type de système, par exemple entre le réseau GSM et un réseau UMTS (Universal Mobile Telecommunications System). 12. Le paragraphe [0003] enseigne ensuite que le transfert se produit souvent parce que la qualité du signal du canal fournissant à un moment donné le service de transmission n'est pas assez bonne. D'ailleurs les terminaux mobiles sont agencés pour mesurer les signaux de la cellule de desserte et des cellules environnantes à des intervalles de temps spécifiques. La qualité du signal en cours d'utilisation est comparée à des estimations d'autres signaux disponibles, et, sur la base de critères fixés par un algorithme de transfert de communication, une décision est prise de changer de canal. En principe, la force du signal (au moins) est utilisée par l'algorithme de transfert de communication. D'autres critères sont les taux d'erreur, les niveaux de puissance d'émission, le volume du trafic, ainsi, évidemment, que la perte totale de la connexion actuelle. Si le résultat de l'algorithme de transfert de communication est que le canal doit être changé, une signalisation est lancée entre le terminal mobile et le ou les réseaux d'accès. 13. Le paragraphe [0004] ajoute qu'aujourd'hui de nombreux terminaux mobiles sont capables de fournir une grande variété de services de télécommunications. Par exemple, un terminal peut être capable de fournir des services de transmission de parole et de données à commutation de circuit, des services de transfert de données à commutation de paquets et des services de messagerie tels que SMS (Short Message Service, « service de messages courts »). Ces services peuvent être fournis via un type de réseau ou différents types de réseaux. Par exemple, le service de transfert de données à commutation de paquets du terminal peut être fourni par une connexion à un point d'accès à un réseau local sans fil et les services à commutation de circuit peuvent être fournis par une connexion à un réseau mobile terrestre public (PLMN). Dans les applications réseau actuelles, l'application reste connectée à l'aide des paramètres de connexion initialement sélectionnés lorsque la connexion a été établie. Ainsi, les transferts de communication ne sont effectués que dans le système actuellement en cours d'utilisation. Même si un nouveau type de connexion devient disponible, l'application continuera d'utiliser les paramètres de connexion initiaux. 14. Au titre de l'art antérieur le plus proche, la description cite ensuite le document WO 99/25146 qui divulgue un téléphone mobile bi-mode dans lequel l'utilisateur peut, en appuyant sur un bouton spécifique, lancer le transfert de communication entre un réseau fixe et un réseau mobile. Lorsque le téléphone bimode quitte la zone de couverture du réseau fixe, le téléphone envoie une tonalité d'avertissement sur la force du signal à l'utilisateur qui peut alors appuyer sur le bouton "handover" («transfert de communication»), provoquant ainsi le déclenchement du transfert d'appel vers le réseau mobile. 15. Cependant, précise la description, il se peut que l'utilisateur n'utilise pas activement son terminal, par exemple l'appareil peut être dans la poche de l'utilisateur, et l'indication ne parvient pas à l'utilisateur. Dans ce type de situation, l'exécution de l'algorithme de transfert de communication et les mesures et comparaisons associées avant l'indication peuvent inutilement gaspiller les ressources du terminal, car l'utilisateur n'est pas intéressé par le passage d'un réseau à l'autre. 16. Selon le paragraphe [0006], un but de l'invention est de fournir une méthode améliorée pour l'application d'un algorithme de transfert de communication. Plus particulièrement (pargraphe [0007]) l'invention est basée sur l'idée qu'un état particulier d'un composant d'interface utilisateur (mécanique ou non mécanique) d'un terminal est utilisé comme condition préalable à l'application de l'algorithme de transfert de communication. Ainsi, l'état du composant d'interface utilisateur est vérifié et l'algorithme de transfert de communication est appliqué sur la base de l'état actuel du composant d'interface utilisateur ; l'algorithme de transfert de communication n'est appliqué que si l'état actuel du composant d'interface utilisateur est actif. 17. Le composant d'interface utilisateur peut être mis à l'état inactif ou actif automatiquement et/ou à l'initiative de l'utilisateur. Les états « inactif » et « actif » reflètent l'état du composant d'interface utilisateur au vu de l'activité d'utilisation, c'est-à-dire que, si l'état est inactif, le composant ou le terminal n'est pas utilisé activement. Le terme « algorithme de transfert de communication » fait généralement référence à tout type de processus qui sélectionne un canal d'accès parmi les canaux disponibles pour le terminal et décide ainsi si le terminal doit passer à un autre canal (de signalisation et/ou de trafic). (paragraphe [0008]) 18. Selon le paragraphe [0009], l'avantage de l'invention est que le contexte d'utilisation du terminal peut être pris en compte dans les décisions de transfert. L'application de l'algorithme de transfert de communication peut être empêchée en fonction du statut d'un composant de l'interface utilisateur. 19. Le paragraphe [0010] enseigne que de nombreux terminaux comportent un couvercle qui est mobile par rapport à une partie formant corps. Aussi, dans un mode de réalisation, l'état du couvercle par rapport à la partie formant corps est vérifié. Un avantage de ce mode de réalisation est que l'algorithme de transfert de communication ne peut être appliqué que lorsque le couvercle est ouvert. Dans un autre mode de réalisation de l'invention, l'état de verrouillage du clavier est vérifié et peut être utilisé pour déterminer si l'algorithme de transfert de communication peut être appliqué. Dans encore un autre mode de réalisation de l'invention, la vérification de l'état est réalisée en réponse à un besoin de lancer l'algorithme de transfert de communication.(paragraphe [0011]) 20. La figure 3 illustre un mode de réalisation pouvant être mise en oeuvre par les moyens de contrôle (CM), selon lequel, au point A, il convient de vérifier l'état d'un composant de l'interface utilisateur pour déterminer si l'application de l'algorithme de transfert de communication (HOA pour HandOver Algorithm) est activée. Aux étapes (301) et (302), l'état actuel d'au moins un composant de l'interface utilisateur est vérifié ; il existe de nombreux composants mécaniques ou non mécaniques de l'interface utilisateur, dont l'état peut être vérifié à l'étape (301) et qui doivent avoir au moins deux états : actif et inactif. Cette étape peut consister à vérifier les informations sur l'état à partir d'un certain emplacement de mémoire, à demander les informations sur l'état à un contrôleur d'un composant d'interface utilisateur et/ou à utiliser les moyens de détection pour détecter l'état du composant mécanique de l'interface utilisateur, par exemple. Si l'état du composant de l'interface d'utilisateur est inactif, l'algorithme de transfert de communication (HOA) n'est pas appliqué (305). Ainsi, la station mobile MS continue à communiquer avec un élément du réseau ou un autre appareil terminal en utilisant le(s) canal(aux) actuel(s). Si l'état du composant d'interface utilisateur UI est actif, l'algorithme de transfert de communication (HOA) peut être appliqué (304), selon les enseignements des paragraphes [0018], [0019], [0020] et [0021]. 21. Il est à noter que, selon un autre mode de réalisation, même les mesures radio préalables à la sélection effective du canal par l'algorithme de transfert de communication (HOA) peuvent être évitées en cas d'inactivité en appliquant les caractéristiques illustrées ci-dessus. Ce mode de réalisation économise davantage les ressources de la station mobile. (Paragraphe [0023]) 22. Le paragraphe [0033] donne ensuite un exemple de réalisation par la représentation de la vue latérale d'une station mobile (MS), visible sur la figure 5 du brevet reproduite ci-dessous. La station mobile (MS) comprend ainsi une partie formant corps (51) et un couvercle (52) relié à la partie formant corps (51). Selon un mode de réalisation, la position du couvercle (52) est vérifiée à l'étape (301). Il existe au moins deux états différents pour cette relation : un état fermé pour le couvercle (52), dans lequel la station mobile (MS) n'est pas utilisée activement (l'état est inactif), et un état ouvert du couvercle (52), dans lequel la station mobile (MS) peut être utilisée activement (état actif). 23. La station mobile dispose d'un dispositif de détection, dans le couvercle (52) et/ou la partie formant corps (51), pour détecter l'état du couvercle (52). Le dispositif de détection peut par exemple être mis en oeuvre par détection magnétique, c'est-à-dire qu'il y a un aimant dans le couvercle (52), dont la position est détectée par le capteur situé dans la partie formant corps (51). Une autre solution envisageable consiste à utiliser des moyens mécaniques. Par exemple, une partie du couvercle (52) est agencée pour pousser un interrupteur dans la partie formant corps (51) lorsque le couvercle (52) est fermé, entraînant ainsi un changement d'état. Il est possible d'utiliser des solutions de détection déjà existantes et, outre la figure 5, il existe de nombreuses autres implémentations possibles pour agencer les composants de l'interface utilisateur et leurs relations. 24. Le paragraphe [0036] de la description enseigne ensuite un autre mode de réalisation dans lequel la station mobile (MS) comprend un clavier et une fonctionnalité de verrouillage de clavier. Dans un mode de réalisation, le clavier est fonctionnellement verrouillé et déverrouillé par une combinaison de touches prédéterminée ou après une période d'inactivité prédéterminée. Dans ce mode de réalisation, l'état du verrouillage du clavier est vérifié à l'étape (301). Lorsque la combinaison de touches entrée par l'utilisateur est détectée par des moyens de commande du clavier (qui peuvent ou non être mis en oeuvre par les moyens de commande CM sur la figure 2), les moyens de commande du clavier peuvent également être agencés pour détecter le changement d'état de l'interface utilisateur et pour l'indiquer aux moyens de contrôle (CM) contrôlant l'application de l'algorithme de transfert de communication (HOA). 25. Le paragraphe [0037] de la description enseigne enfin un autre mode de réalisation dans lequel la station mobile comprend une fonction d'économiseur d'écran. A l'étape (301), l'état de la fonction d'économiseur d'écran est vérifié. L'état du composant d'interface utilisateur est inactif lorsque la fonction d'économiseur d'écran est appliquée, et l'état du composant d'interface utilisateur est actif lorsque la fonction d'économiseur d'écran n'est pas appliquée. La description précise que ce mode de réalisation est un exemple d'un mécanisme automatique de changement d'état, c'est-à-dire que l'économiseur d'écran peut être réglé pour commencer après une période d'inactivité prédéterminée, l'application de l'algorithme de transfert de communication peut également être ajustée automatiquement sans aucune action de l'utilisateur. 26. [0039] Selon encore un autre mode de réalisation, l'état d'un composant d'interface utilisateur peut se référer généralement à l'interface utilisateur sans être lié à aucune partie spécifique de ce composant. Ainsi, l'interface utilisateur peut être définie comme active ou inactive, par l'utilisateur ou automatiquement, sur la base d'un ou plusieurs déclencheurs prédéterminés. Par exemple, la station mobile (MS) peut comprendre un temporisateur qui détermine l'état de l'interface utilisateur comme étant inactif après qu'une période de temps prédéterminée s'est écoulée après la dernière activité de l'utilisateur (par exemple, une pression sur un bouton), et change l'état d'actif à inactif après une certaine période prédéterminée d'inactivité. Lorsque l'utilisateur recommence à utiliser la station mobile, la station mobile (MS) est agencée pour changer de l'état inactif à l'état actif. Ainsi, la fonctionnalité de surveillance et de modification de l'état du composant d'interface utilisateur peut être une combinaison des caractéristiques décrites ci dessus. 27. Selon un autre mode de réalisation, il existe un bouton spécifique ou un élément de menu dont l'état est vérifié à l'étape (301), qui peut être utilisé pour régler l'interface utilisateur dans un état actif ou inactif et affecte l'applicabilité de l'algorithme de transfert de communication. Ce bouton peut par exemple régler l'allumage/l'extinction de l'éclairage de l'écran. (paragraphe [0040] de la description) 28. Après limitation, la partie française du brevet EP 486 se compose de 21 revendications, seules étant opposées les revendications 9, 10, 13 et 14 reproduites ci-dessous : 9. Appareil comprenant une interface utilisateur et agencé pour mettre en oeuvre un algorithme de transfert de communication, un composant d'interface utilisateur de l'appareil pouvant être ajusté à l'état inactif ou à l'état actif, dans lequel l'appareil est configuré pour contrôler l'état du composant d'interface utilisateur (301), et si l'état en cours du composant d'interface utilisateur est actif, l'appareil est configuré pour appliquer l'algorithme de transfert de communications configuré pour sélectionner l'un des au moins deux canaux disponibles à utiliser pour une connexion à partir de l'appareil (304) dans lequel l'appareil est configuré pour lancer l'algorithme de transfert de communications en réponse au changement de l'état inactif à l'état actif dans lequel l'appareil comprend une fonction d'économiseur d'écran dont l'état est détecté, grâce à quoi l'état du composant d'interface utilisateur est inactif lorsque la fonction d'économiseur d'écran est appliquée, et l'état du composant d'interface d'utilisateur est actif lorsque que la fonction d'économiseur d'écran n'est pas appliquée. 10. Appareil selon la revendication 9, dans lequel l'appareil est configuré pour contrôler l'état en réponse au changement d'état du composant d'interface utilisateur. 13. Appareil selon la revendication 9, dans lequel l'algorithme de transfert de communication détermine une modification entre des canaux de différentes technologies de réseaux. 14. Appareil selon la revendication 9, dans lequel l'appareil est une station mobile comprenant de la mémoire, une unité de traitement et un moyen de communications sans fil, dans lequel l'unité de traitement est configurable grâce à l'exécution de codes de programme dans l'unité de traitement afin de mettre en oeuvre l'algorithme de transfert de communication, et un moyen de commande qui pilote l'application de l'algorithme de transfert de communication. 2o) Sur les moyens de nullité du brevet opposés en défense Moyens des parties 29. Les sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications, Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) concluent à la nullité des revendications 9, 10, 13 et 14 du brevet EP 486 pour insuffisance de description. Elles font à cet égard valoir que les termes « état inactif » et « état actif » ainsi que « fonction d'économiseur d'écran » (caractéristique 1.5 de la revendication 9) ne sont pas suffisamment décrites et que la personne du métier ne saura pas mettre en oeuvre une telle expression (état actif / inactif) dépourvue de sens technique objectif et sans définition d'un événement précis et quantifiable permettant de connaître l'état actif ou inactif du composant d'interface utilisateur. S'agissant de la fonction d'économiseur d'écran, les sociétés défenderesses soulignent que cette fonction est décrite dans le brevet comme un exemple d'automatisation de la fonctionnalité visant à empêcher le transfert de communication lorsque le terminal mobile est inactif. Or, la personne du métier comprend généralement « économiseur d'écran » comme se référant à un état spécifique d'affichage par lequel une image pouvant changer de façon dynamique est projetée sur un écran, le but de cet affichage dynamique changeant étant d'éviter qu'un écran ne soit endommagé par une projection continue d'un affichage donné au même endroit pendant une longue période, tandis que rien n'est dit sur la façon dont cet état d'affichage serait mis en oeuvre et analysé par les composants de l'appareil. Les sociétés défenderesses ajoutent qu'il s'agit de la caractéristique qui a permis de faire apparaître la revendication 9 valide en la distinguant de l'art antérieur le plus proche, en particulier le brevet US 050. 30. Les sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications, Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) concluent ensuite à la nullité des revendications 9, 10, 13 et 14 du brevet EP 486 pour défaut de nouveauté, l'invention couverte par ces quatre revendication ayant déjà été selon elles divulguée par la demande de brevet US 050. Ce document enseigne en effet un « dispositif d'antenne automatique pour un terminal de communication mobile multibande », le terminal disposant d'une interface utilisateur constituée par la « flip portion » (« partie rabattable») de ce terminal mobile. Ce document divulgue également selon les sociétés défenderesses une suite d'étapes logiques commençant par la détection de l'ouverture de la partie rabattable du terminal mobile par un détecteur d'ouverture (150), qui détecte l'état MARCHE/ARRÊT d'un terminal mobile et fournit un signal de détection au contrôleur (100). Ce « détecteur », divulgué par la demande de brevet US 050, permet donc de contrôler si le téléphone est ouvert et actif (partie rabattable ouverte) ou si le téléphone est fermé et inactif (partie rabattable fermée). Il contrôle ainsi l'état du composant de l'interface utilisateur. Puis, lorsque la partie rabattable du terminal mobile est ouverte (ce qui correspond à l'état actif), le terminal « détermine une bande de fréquence » en fonction d'un signal reçu par l'antenne microruban ; selon l'intensité du signal de réception (comparé à un seuil) le moteur est actionné pour déployer l'antenne fouet sur une étendue prédéterminée en fonction de la bande de fréquence déterminée. Ce document précise également que, dans le cas où les systèmes de communication mobile prenant en charge le terminal de communication mobile bibande fournissent un service d'itinérance, la longueur étendue de l'antenne fouet (112) est modifiée automatiquement chaque fois que le terminal de communication mobile est transféré à une station de base du système de communication mobile correspondant, ce procédé de recherche des bandes de fréquence, avant le transfert effectif de communication vers l'une ou l'autre de ces bandes, est lancé lorsque la partie rabattable du terminal mobile est ouverte, c'est à dire lorsque le terminal mobile est actif. Il s'en déduit, selon les sociétés défenderesses, que le document US 050 divulgue bien un terminal mobile configuré pour lancer l'algorithme de transfert de communication lorsque le composant d'interface utilisateur change d'état en passant d'un état inactif à un état actif. Quant à la caractéristique relative à la fonction d'économiseur d'écran, elle fait partie, selon les sociétés défenderesses, des connaissances générales de la personne du métier, selon les mentions mêmes de la partie descriptive du brevet EP 486, et ainsi que l'a au demeurant retenu l'office chinois des brevets à propos de la version chinoise de ce brevet. Les sociétés défenderesses soulignent à cet égard que la société Nokia s'est bornée à juxtaposer un moyen secondaire et connu, faisant parti des connaissances générales de la personne du métier, à la supposée invention couverte par le brevet. Elles ajoutent que toutes les autres revendications opposées, dépendantes de la revendication 9 sont antériorisées par le brevet US 050. 31. Les sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications, Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) invoquent également le brevet EP 525, qui enseigne un terminal mobile comprenant une interface utilisateur, capable de rechercher un réseau de communication et d'effectuer une sélection entre deux réseaux de communication et même entre divers systèmes de communication (notamment GPRS et CDMA (voir paragraphe [0042]) pour aboutir à la connexion du terminal mobile à l'un ou l'autre de ces réseaux de communication. Cette méthode de sélection constitue donc un algorithme qui permet de changer de réseau de communication. Le document EP 525 comprend également des enseignements relatifs à des interfaces utilisateur, et leurs composants peuvent être ajustés de manière à être dans un état actif ou inactif. La Figure 1 montre également que les composants de l'interface utilisateur du brevet EP 525, y compris un écran, sont connectés au connecteur qui obtient ainsi des informations concernant l'état de ces composants de l'interface utilisateur. Il résulte de ce qui précède que le contrôleur du dispositif sans fil, commande ou vérifie l'état des interfaces utilisateur, en particulier l'écran et que, lorsque l'écran est activé, le contrôleur du terminal applique un algorithme pour rechercher et sélectionner un canal ou un réseau de communication parmi différents canaux ou réseaux. La recherche d'un nouveau réseau de communication n'aura lieu que lorsque l'appareil sera à nouveau actif (voir [0059]). Si l'appareil est à nouveau actif, cela signifie que son contrôleur et son écran, son clavier et les autres composants de l'interface utilisateur sont en mode actif. la demande du brevet EP 525 enseigne ainsi un terminal mobile configuré pour lancer l'algorithme de transfert de communication lorsque l'appareil change d'état en passant d'un état inactif à un état actif, tandis que le mode veille doit, selon les défenderesses, être considéré comme une fonction d'économiseur d'écran, cette caractéristique faisant en tout état de cause partie des connaissances générales de la personne du métier ; la juxtaposition de caractéristiques qui ne sont pas nouvelles (le lancement d'un algorithme de transfert lorsque l'appareil est à l'état actif, ce qui est détecté en fonction de l'état d'un composant d'interface utilisateur) avec un moyen qui n'est pas non plus nouveau (l'économiseur d'écran) rend la revendication 9 nulle pour défaut de nouveauté. 32. Les sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications, Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) concluent enfin à la nullité des revendications 9, 10, 13 et 14 du brevet EP 486 pour défaut d'activité inventive. Elles soutiennent en effet que la personne du métier, analysant les revendications opposées du brevet EP 486, aurait considéré qu'elles découlent de manière évidente de l'état de la technique et plus particulièrement de la combinaison des antériorités US 050 et CN 280 d'une part, ou de la combinaison des antériorités WO 709 avec les connaissances générales de la personne du métier d'autre part. Elles rappellent à cet égard que le brevet US 050 enseigne un terminal mobile de communication, capable de basculer d'un état actif à un état inactif, et vice versa, en fonction de l'utilisation d'un composant d'interface utilisateur dudit terminal mobile, en l'occurrence l'ouverture ou le rabat d'un clapet rabattable. Le brevet CN 280 enseigne quant à lui un téléphone mobile capable de basculer dans un état d'économiseur d'écran (revendication 6 de la demande de brevet CN 280), ainsi qu'un appareil doté d'une partie rabattable ; elles ajoutent que ce document enseigne de la même manière l'application d'un algorithme de transfert aux moments d'activité de l'appareil mobile , tout en proposant explicitement de coupler l'état actif/inactif à l'état d'une fonctionnalité d'économiseur d'écran. Il en résulte que l'économiseur d'écran est une forme de composant d'interface utilisateur enseignée par le document CN280. Les sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp. Ltd., Yang Technology SAS, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd. précisent que les juridictions françaises ne sont absolument pas liées par l'approche problème / solution, de sorte qu'elles contestent les affirmations de la société Nokia selon lesquelles il devrait être démontré pourquoi la personne du métier, lisant le document US 050, tiendrait compte du document CN 280. En outre, le document WO 709 enseigne un procédé de transfert automatique d'un téléphone mobile en fonction de l'état de l'interface utilisateur. Il est donc évident pour l'homme du métier de combiner les enseignements de WO 709, qui enseigne l'application d'un algorithme de handover uniquement lorsque l'interface utilisateur est en état actif à des fins d'économie de l'énergie, avec ses connaissances générales sur les écrans de veille, dont l'objectif est de la même manière d'économiser l'énergie. 33. La société Nokia Technologies Oy conclut pour sa part au rejet de l'ensemble des moyens de nullité du brevet EP'486. Elle soutient ainsi que les défenderesses n'avancent aucun élément remettant en cause la capacité de la personne du métier à réaliser l'invention, rappelant qu'il s'agit du critère à appliquer (et non de rechercher si un effet technique non revendiqué est effectivement atteint lorsque la personne du métier réalise l'invention). A cet égard, la demanderesse fait valoir que les définitions contenues dans le brevet EP 486 sont très claires. Ainsi, le paragraphe [0008] du brevet EP 486 explique que les états « actif » ou « inactif » du composant d'interface utilisateur peuvent résulter soit d'une initiative de l'utilisateur, soit d'un changement d'état automatique. La description fournit encore plusieurs exemples détaillés de composants d'interface utilisateur pouvant passer d'un état actif à un état inactif tout en expliquant les évènements précis et quantifiables susceptibles de provoquer ce changement d'état. Le paragraphe [0033] du brevet EP 486 mentionne l'exemple d'un téléphone mobile comprenant un couvercle relié au corps de l'appareil, et précise que lorsque le couvercle est fermé le téléphone mobile n'est pas utilisé si bien que l'état est inactif, tandis que lorsque le couvercle est ouvert le téléphone mobile peut être utilisé activement si bien que l'état est actif. De la même façon, le paragraphe [0037] du brevet EP 486 décrit un mode de réalisation selon lequel le téléphone mobile comprend une fonction d'économiseur d'écran qui, lorsqu'elle est appliquée, fait passer le composant d'interface utilisateur de l'état actif à l'état inactif et inversement. La société Nokia Technologies Oy fait à cet égard valoir que la notion d'économiseur d'écran peut faire référence à deux types de configurations consistant soit à interrompre l'affichage de l'écran pour obtenir un écran noir (à basse consommation énergétique), soit à changer de façon dynamique les couleurs affichées sur chaque pixel de l'écran (pour éviter que l'affichage prolongé d'une image figée ne l'endommage). Il ne fait selon elle aucun doute, qu'à la date de priorité du brevet EP 486, la personne du métier comprenait cette fonctionnalité comme couvrant les deux hypothèses susvisées, comme l'a d'ailleurs rappelé l'Office chinois de la propriété intellectuelle dans sa décision du 25 février 2022. La société Nokia Technologies Oy souligne que la fonctionnalité d'économiseur d'écran est courante dans l'art antérieur et sa signification est claire pour la personne du métier ; elle comprend l'écran de verrouillage, l'écran vierge et autres fonctions similaires. Enfin, le brevet EP 486 lie l'application de la fonctionnalité d'économiseur d'écran à l'état de l'interface utilisateur, lui-même lié à l'application de l'algorithme de transfert. La personne du métier est ainsi parfaitement en mesure de mettre en oeuvre l'invention. 34. Sur le moyen tiré d'un défaut de nouveauté, la société Nokia Technologies soutient que l'argumentation même des sociétés défenderesses révèle que le défaut de nouveauté invoqué n'est en réalité pas constitué, tant le raisonnement conduit sur la base du brevet US 050 et du brevet EP 525 méconnait les critères juridiques applicables, puisqu'elles sont conduites à combiner ces documents aux connaissances générales de la personne du métier, admettant ainsi implicitement, mais nécessairement, qu'aucun de ces documents ne divulgue l'ensemble des caractéristiques du brevet EP'486, en particulier le lien entre l'économiseur d'écran et le lancement d'un algorithme de tansfert. La société Nokia Technologies Oy fait en tout état de cause valoir que l'enseignement du brevet US 050 ne divulgue pas une telle fonction d'économiseur d'écran, ce brevet US 050 se contentant de divulguer un terminal capable de détecter l'état ouvert ou fermé d'un clapet rabattable et de conditionner le déploiement d'une antenne fouet à la confirmation préalable que le clapet en question se trouve bien dans un état ouvert. Le brevet US 050 ne fait jamais référence à un algorithme de transfert de communication, se bornant à divulguer la possibilité de déployer une antenne fouet lorsque le clapet rabattable du terminal est ouvert et d'ajuster automatiquement la longueur de cette antenne fouet en fonction de la fréquence des signaux reçus par l'antenne micro ruban. Le brevet EP 525, ensuite, est intitulé « Procédés et appareil pour le rétablissement de communication pour un dispositif de communication sans fil après perte de communication dans un réseau de communications sans fil », déposé le 23 janvier 2003 et publié le 8 juillet 2009, après la date de priorité du brevet EP 486 ; il ne fait donc partie de l'état de la technique pertinent que pour l'évaluation de la nouveauté. Le problème technique que le brevet EP 525 propose de résoudre est de trouver des méthodes et dispositifs améliorés pour rétablir la communication d'un dispositif de communication sans fil après une perte de communication. Le dispositif du brevet EP 525 teste si la fréquence radio actuelle est adéquate pour la communication et, si tel n'est pas le cas, le dispositif entre dans une opération de balayage à la recherche d'une nouvelle fréquence radio pour la communication, et tente de rétablir la communication une fois cette fréquence trouvée. Au contraire, si un nouveau signal n'est pas trouvé, alors le dispositif entre dans un mode veille pendant une période prédéterminée avant la réactivation du circuit, ce qui conduit à de nouvelles recherches de la nouvelle fréquence radio. Ce processus n'est pas conditionné à l'état de l'interface utilisateur – lui-même dû à l'application de la fonction d'économiseur d'écran. 35. Sur les griefs de défaut d'activité inventive, la société Nokia Technologies Oy rappelle qu'une appréciation objective de l'activité inventive impose de suivre l'approche problème-solution qui consiste à : 1o) déterminer la divulgation qui constitue « le document de l'état de la technique le plus proche », 2o) établir le « problème technique objectif » résolu par l'invention, et 3o) examiner si la solution proposée aurait été évidente pour une personne du métier « de compétence moyenne ». Il ne s'agit donc pas de déterminer si la personne du métier aurait pu mettre au point les résultats obtenus par l'invention, mais si elle était effectivement amenée à le faire par les enseignements contenus dans l'état de la technique. Il faut donc que l'état de la technique, à la date du dépôt, contienne des suggestions en ce sens. Or, la société Nokia Technologies Oy souligne que les sociétés défenderesses combinent différents documents avec les connaissances générales de la personne du métier sans à aucun moment expliquer pourquoi elle était incitée à combiner ces éléments. De toute façon, selon le brevet US 050 le changement de station de base s'effectue automatiquement et non en réponse au changement d'état du composant d'interface utilisateur et les défenderesses n'expliquent jamais pourquoi la personne du métier aurait souhaité intégrer un économiseur d'écran au dispositif selon le document US 050 et ce, parce qu'elles omettent de définir le problème objectif à résoudre. Et quoi qu'il en soit, le document US 050 ne divulgue pas un algorithme de transfert de communication dont le lancement dépendrait de l'état d'un composant d'interface utilisateur. La société Nokia Technologies souligne en outre que l'invention ne consiste pas seulement à intégrer une fonction d'économiseur d'écran à un appareil de communication (ce qui pourrait effectivement constituer une juxtaposition de moyens connus), mais à s'assurer que l'état actif ou inactif de cette fonction d'économiseur d'écran soit détecté afin de pouvoir lancer de façon conditionnée un algorithme de transfert de communication en réponse à un changement d'état. Il existe donc bien une interaction fonctionnelle entre la fonction d'économiseur d'écran et l'algorithme de transfert de communication visant à obtenir un effet technique qui n'est pas cantonné à l'effet technique de l'une ou l'autre de ces caractéristiques. La demande de brevet CN 280 quant à elle ne relève pas du domaine des transferts de communication puisqu'elle divulgue uniquement un procédé de détection d'un interrupteur poussoir, permettant de savoir si la partie rabattable du téléphone mobile est ouverte ou fermée (le système d'exploitation du téléphone mobile se met en mode « fonctionnement » lorsque la partie rabattable est ouverte et met fin au mode « fonctionnement » lorsque la partie rabattable est fermée) ce qui détermine si le terminal est en état d'économiseur d'écran ou en état de veille ; ce document ne dit rien sur le fait de déterminer si un algorithme de transfert est lancé sur la base des changements de l'état de l'économiseur d'écran. Ce document ne pouvait donc pas inciter la personne du métier à détecter l'état actif ou inactif d'une fonction d'économiseur d'écran pour déclencher, lors du passage de l'état inactif à l'état actif, un algorithme de transfert de communication. Par conséquent, même à supposer que l'homme du métier utilise l'enseignement du document CN 280 pour modifier l'appareil décrit dans le brevet US 050, il se serait contenté d'ajouter une fonction d'économiseur d'écran sans que cette dernière ne coopère de quelque sorte que ce soit avec un algorithme de transfert de communication. Appréciation du tribunal 36. Aux termes de l'article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle, la nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l'un quelconque des motifs visés à l'article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich. Selon l'article 138 (1) de cette Convention, sous réserve de l'article 139, le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un État contractant, que si : a) l'objet du brevet européen n'est pas brevetable en vertu des articles 52 à 57 ; b) le brevet européen n'expose pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter. 37. L'article 83 de la Convention prévoit que l'invention doit être exposée dans la demande de brevet européen de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter. Ces dispositions sont constamment interprétées en ce sens qu'une invention est suffisamment décrite lorsque la personne du métier est en mesure, à la lecture de la description et grâce à ses connaissances professionnelles normales, théoriques et pratiques, d'exécuter l'invention ( Cass. Com 23 mars 2005, pourvoi no 03-16.532 ; Cass. Com., 20 mars 2007, pourvoi no 05-12.626, Bull. 2007, IV, no 89 ; Cass. Com., 13 novembre 2013, pourvoi no 12-14.803, 12-15.449). Le fait que certains éléments indispensables au fonctionnement de l'invention ne figurent ni explicitement dans le texte des revendications ou de la description, ni dans les dessins représentant l'invention revendiquée, n'implique pas nécessairement que l'invention n'est pas exposée dans la demande de façon suffisamment claire et complète pour qu'une personne du métier puisse l'exécuter, dès lors que ces éléments indispensables appartiennent à ses connaissances générales (Cass. Com., 23 janvier 2019, pourvois no 17-14.673 et 16-28.322 : dans cette affaire le diagramme fer-carbone, qui fournit avec précision la température de fusion des fontes et des aciers en fonction de leur teneur en carbone, a été retenu comme appartenant aux connaissances générales de la personne du métier pouvant compléter les enseignements du brevet). 38. Il résulte en outre des article 52 (1) et 54 de la Convention que les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle. Une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique ; l'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet européen par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen. 39. Il est à cet égard constamment jugé que l'élément de l'art antérieur n'est destructeur de nouveauté que s'il renferme, dans une même antériorité au caractère certain, tous les moyens techniques essentiels de l'invention dans la même forme, le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique, de sorte que la nouveauté d'une invention ne peut être ruinée que par une antériorité de toutes pièces qui implique une identité d'éléments, de forme, d'agencement, de fonctionnement et de résultat technique. (Cass. Com., 6 juin 2001, pourvoi no 98-17.194 ; Cass. Com., 27 mars 2019, pourvoi no17-23.136 ; Cass. Com., 17 mai 2023, pourvoi no19-25.509) Une caractéristique ou un résultat peuvent toutefois être implicitement divulgués pourvu qu'ils soient nécessaires et inévitables (voir par exemple Cour d'appel de Paris, 27 octobre 2010, RG no 09/08135, Johnson & Johnson Medical Ltd ea). 40. Aux termes de l'article 56 de la Convention enfin, une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique. 41. Les éléments de l'art antérieur ne sont destructeurs d'activité inventive que si, pris isolément ou associés entre eux selon une combinaison raisonnablement accessible à la personne du métier, ils permettaient à l'évidence à cette dernière d'apporter au problème résolu par l'invention, la même solution que celle-ci. Et il est exact qu'en principe, pour apprécier l'activité inventive d'un brevet, il convient de déterminer d'une part, l'état de la technique le plus proche, d'autre part le problème technique objectif à résoudre et enfin d'examiner si l'invention revendiquée aurait été évidente pour l'homme du métier. 42. L'approche problème / solution n'est toutefois pas impérative pour les tribunaux français, ainsi que le relèvent à juste titre les sociétés défenderesses et que le confirme la jurisprudence. 43. Il est en effet admis que l'invention consistant à remplacer un moyen par un autre moyen connu équivalent n'implique pas d'activité inventive. A cet égard, deux moyens sont considérés comme équivalents lorsque dans la même application ils exercent la même fonction et procurent le même résultat, tandis que le second moyen ne permet de résoudre aucun problème spécifique. 44. De la même manière, la juxtaposition nouvelle de moyens connus n'implique pas d'activité inventive si, combinés, ces moyens ne produisent aucun effet propre (ou synergique, la juxtaposition de moyens connus étant distinguée de l' "invention de combinaison" : Cass. Com., 30 mai 2018, pourvoi no16-15.422 ; Cass. Com., 23 juin 2015, pourvoi no13-25.082 ; Cass. Com., 19 novembre 2002, pourvoi no00-15.203 ; Cass. Com., 26 mars 2002, pourvoi no99-15.934 ; Cass. Com., 15 mars 1994, pourvoi no91-22.092 ; Cass. Com. 8 décembre 1975, pourvoi no74-13.293, Bull. 1975, IV, no289).45. La personne du métier est celle du domaine technique où se pose le problème que l'invention, objet du brevet, se propose de résoudre (Cass. Com., 20 novembre 2012, pourvoi no11-18.440). 46. S'agissant de l'examen des différents griefs de nullité du brevet EP'486, il doit être relevé que la description donne plusieurs exemples qui permettent à la personne du métier de déterminer ce que recouvre le passage de l'état actif à l'état inactif. Elle décrit en particulier l'usage d'un clapet rabattable pouvant être doté de moyens magnétiques ou mécaniques de commande de l'état actif ou inactif de l'appareil, ou encore celle d'un écran de verrouillage. 47. La fonction d'économiseur d'écran est quant à elle évoquée au paragraphe 37 de la partie descriptive du fascicule, qui enseigne que l'application de cette fonction est précisément utilisée comme révélatrice de l'état inactif de l'appareil, ce qui affecte l'applicabilité de l'algorithme de transfert. 48. La personne du métier sait que cette fonction "économiseur d'écran" est une programmation spécifique destinée à la protection contre les dommages causés par le fait de laisser sur un écran une image fixe pendant une trop longue durée. Elle sait aussi que les économiseurs d'écran, à la date de priorité, peuvent être constitués d'images animées ou d'une interruption totale de tout affichage (écran noir). Elle comprend que l'économiseur d'écran est relié aux moyens de contrôle et que sa mise en fonctionnement permet aux moyens de contrôle de détecter le changement d'état et en particulier le passage de l'appareil à l'état inactif, ce qui doit interrompre la mise en oeuvre de l'algorithme de transfert. 49. Il en résulte que le brevet EP'486 est suffisamment décrit et que ce moyen de nullité des revendications opposées est écarté. 50. S'agissant du grief de défaut de nouveauté, il est relevé que le brevet US'050, délivré le 27 février 2001, a pour titre "Dispositif d'antenne automatique pour terminal de communication mobile multibande". Ce brevet enseigne ainsi un terminal de communication mobile multibande, doté d'un contrôleur et d'une mémoire, capable de fonctionner simultanément avec deux ou plusieurs systèmes de communication (par exemple GSM et DECT et DCS 1800), et comportant un procédé d'antenne automatique permettant de commander automatiquement la longueur d'une antenne fouet en fonction des bandes de fréquences. Selon les enseignements de ce brevet, le terminal détermine si le signal reçu par l'antenne ruban est, par exemple, une bande de fréquence PCS en comparant le signal à une valeur de seuil et, ensuite, la longueur de l'antenne fouet est adaptée à la bande de fréquence PCS. Ce brevet décrit ainsi une suite d'actions logiques pour parvenir au résultat de l'adaptation d'un terminal mobile capable d'utiliser simultanément plusieurs systèmes de communication mobile (ou canaux), à un système de communication (ou canal) donné. Il s'agit donc d'un algorithme de transfert au sens du brevet EP'486 (voir ci-dessus point 17 et § [0008] de la description).51. Ce document US'050 enseigne également un détecteur d'ouverture d'une partie rabattable du terminal mobile. Selon les enseignements de ce brevet, "lorsque la partie rabattable du terminal est ouverte, le terminal est dans un état MARCHE et lorsque la partie rabattable est fermée, le terminal est dans un état ARRÊT". (Colonne 2, ligne 56 de ce brevet). 52. C'est en outre l'ouverture de ce rabat qui déclenche la mise en oeuvre et l'interruption de l'algorithme de transfert en mode non manuel : "Le terminal détermine à l'étape 210 si la partie rabattable est ouverte (c'est à dire partie rabattable ouverte / MARCHE). Lors de la détection de l'état d'ouverture de la partie rabattable, il est déterminé à l'étape 215 si le terminal est réglé sur mode de fonctionnement manuel. (...) Si le terminal n'est pas en mode manuel à l'étape 215, le terminal détermine si le signal RF reçu par l'antenne microruban (122) est une bande de fréquence CDMA ou une bande de fréquence PCS. Cette opération est réalisée en comparant le signal RF reçu à une valeur seuil. Lorsque le signal de bande CDMA est reçu, le terminal de communication mobile est réglé sur un mode de fonctionnement CDMA et actionne le pilote du moteur (140), à l'étape 221. Ensuite, à l'étape 223, une longueur étendue de l'antenne fouet (112) est contrôlée afin de s'assurer qu'elle est adaptée à la bande de fréquence CDMA. (...) Lors de la détection de l'état de fermeture de la partie rabattable (ARRÊT), le terminal de communication mobile rétracte l'antenne fouet (112) en actionnant le pilote moteur (140), à l'étape 250." (Colonne 3, lignes 31 à 62 du brevet US'050) 53. Ce document enseigne bien la mise en oeuvre d'un algorithme de transfert de communication lorsque le terminal est à l'état actif au sens du brevet EP'486 et l'interruption de la mise en oeuvre de cet algorithme lorsque l'appareil est à l'état inactif. Il apparaît au demeurant parfaitement logique et naturel de ne commander ces étapes que lorsque cela est utile, c'est à dire lorsque le terminal mobile est "à l'état actif" et d'interrompre ces étapes lorsque le terminal est "à l'état inactif", et ce, en vue d'un résultat implicite contenu dans ce document, mais évident, celui d'économiser les moyens et l'énergie du terminal mobile. 54. Ce document US'050 n'apparaît pas non plus limité à l'enseignement d'un appareil avec partie rabattable puisque la description précise (colonne 2, ligne 58) que "le détecteur d'ouverture (150) est utilisé uniquement pour un terminal de type rabattable", la description rappelant au demeurant qu'elle se limite à décrire un mode de réalisation privilégié sans rappel des "fonctions ou constructions connues" (colonne 2, lignes 28 à 33), le moyen visé ici devant détecter l'état de MARCHE/ARRÊT (ou l'état actif / nactif) de l'appareil (colonne 2, lignes 52 et suivantes). 55. Il en résulte que le brevet US'050 ne se distingue en définitive du brevet EP'486 tel que limité que par le remplacement de la fonction de détection du passage à l'état inactif par la fermeture de la partie rabattable du terminal mobile, expressément enseignée par ce document, par le déclenchement de l'"économiseur d'écran". 56. A ce titre, le brevet EP'486 est nécessairement nouveau dès lors que le brevet US'050 n'enseigne pas la mise à l'état inactif par la fonction d'économiseur d'écran, cette caractéristique ne pouvant être regardée comme implicitement divulguée ici. 57. Le brevet EP'525, également invoqué par les sociétés défenderesses, n'enseigne quant à lui aucunement que la recherche automatique d'un nouveau signal permettant le rétablissement de la communication s'arrête après que l'interface utilisateur soit passée en mode "économiseur d'écran" ; il enseigne l'inverse : ce n'est que si aucun nouveau signal compatible, après la perte du signal précédent, n'est trouvé, que le dispositif sans fil passe alors en "mode veille" pour une période de temps pré-déterminée au terme de laquelle le dispositif sans fil recherche à nouveau un nouveau canal compatible (§ 58 et 59 de la description de ce brevet). Ce n'est donc pas le passage en mode veille (qui pourrait être considéré comme comparable au mode "économiseur d'écran") qui interrompt la recherche jusqu'au passage à l'état actif, mais l'absence de signal compatible qui fait passer le terminal mobile en mode veille pour une durée prédéterminée. 58. Il en résulte que la revendication 9 et les revendications opposées dépendantes du brevet EP'486 sont nouvelles et que le deuxième moyen de nullité du brevet est écarté, aucune des antériorités invoquées en défense ne divulguant l'usage de la fonction "économiseur d'écran" pour détecter le passage de l'état actif à inactif ou inactif à actif du terminal mobile pour déclencher l'algorithme de transfert de communication ou au contraire interrompre la recherche de canals compatibles par le terminal mobile. 59. Le tribunal constate toutefois que l' "économiseur d'écran" est un élément connu par la personne du métier, ainsi qu'il a été vu précédemment ; un tel économiseur d'écran est au demeurant visé par la revendication no6 du brevet CN 1 404 280 (demande chinoise du 4 septembre 2001) ci-après reproduite pour sa fonction secondaire (la fonction primaire étant celle de la prévention des atteintes à l'intégrité de l'écran par le maintien prolongé sur une même image : cf. point no48 ci-dessus), à savoir celle matérialisant le passage à l'état inactif d'un appareil mobile : "6. Le procédé de transfert automatique pour téléphone mobile selon la revendication 4 dans lequel lorsque le système d'exploitation termine le mode d'application actuellement utilisé, le téléphone portable passe dans un état d'image d'économiseur d'écran." ce qui est confirmé par les 2 derniers paragraphes de la page 5 et les 2 premiers paragraphes de la page 6 de la description de ce brevet. 60. La fonction de matérialisation du passage d'un appareil mobile à l'état inactif exercée par l'économiseur d'écran est donc parfaitement connue de la personne du métier et il était dès lors évident pour elle de substituer au clapet rabattable enseigné par le document US'050 parmi les moyens de signaler le passage à l'état inactif d'un appareil mobile (pour interrompre le processus de recherche et d'adaptation aux canaux de communcation disponibles) , un tel économiseur d'écran aux mêmes fins de signalisation et de déclenchement du passage de l'appareil à l'état inactif pour interrompre la mise en oeuvre de l'algorithme de transfert. 61. Il en résulte que la revendication 9 opposée de la partie française du brevet EP486 est nulle pour défaut d'activité inventive. 62. Il en va de même des revendications dépendantes 10, 13 et 14 de ce brevet, le document US'050 enseignant des moyens de contrôle de l'appareil reliés à un organe de détection de l'état MARCHE/ARRÊT actionné par un composant d'interface utilisateur (le système de clapet rabattable étant décrit) ; ce document enseigne également un arbre de décisions logiques conduisant à l'adaptation de l'appareil aux canaux de communication possibles ; l'appareil décrit par le brevet US'050 est également doté d'une mémoire, d'une unité de traitement des étapes d'adaptation aux canaux de communication possibles et des moyens de commande (colonne 2, lignes 37 à 45 du brevet US'050). 63. Les revendications opposées 9, 10, 13 et 14 de la partie française du brevet EP'486 sont donc annulées. 3o) Sur les conséquences 64. L'annulation du brevet EP'486 rend sans objet les demandes fondées sur la contrefaçon de ce titre par les sociétés défenderesses, lesquelles ne peuvent qu'être rejetées (demandes d'interdiction, de rappel des circuits commerciaux, en paiement d'une provision de 1,5 millions d'euros, de communiquer tous éléments relatifs à l'étendue et la destination de la contrefaçon, de publication du présent jugement). 65. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société Nokia Technologies Oy sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer aux sociétés défenderesses la somme de 50.000 euros chacune par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile (soit la somme de 200.000 euros au total). 66. Aucune circonstance ne justifiant qu'il en soit disposé autrement, il est rappelé que la présente décision est exécutoire de plein droit conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile, sauf en ce qui concerne l'inscription au registre national des brevets conformément aux dispositions des articles L.613-27 et R.613-54 du code de la propriété intellectuelle. PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL, PRONONCE la nullité des revendications 9, 10, 13 et 14 de la partie française du brevet EP 1 702 486 de la société Nokia Technologies Oy ; ORDONNE la transmission de la présente décision, une fois passée en force de chose jugée, au directeur de l'INPI aux fins d'inscription au registre national des brevets, à l'initiative de la partie la plus diligente ; DÉBOUTE la société Nokia Technologies Oy de l'ensemble des demandes formées à l'encontre des sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp., Ltd, Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd sur le fondement de la contrefaçon de ce brevet ; CONDAMNE la société Nokia Technologies Oy aux dépens et autorise Maître Stanislas Roux-Vaillard, à recouvrer directement ceux dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ; CONDAMNE la société Nokia Technologies Oy à payer aux sociétés Guangdong Oppo Mobile Telecommunications Corp., Ltd, Yang Technology, Artech Mobiles et OnePlus Technology ([Localité 9]) Co., Ltd, la somme de 50.000 euros chacune (soit 200.000 euros au total) par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision sauf en ce qui concerne son inscription au RNB. Fait et jugé à Paris le 20 juillet 2023. LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000048389771
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 20 juillet 2023, 21/15912
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2023-07-20
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/15912
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 21/15912 No Portalis 352J-W-B7F-CVHRT No MINUTE : Assignation du :12 octobre 2021 JUGEMENT rendu le 20 juillet 2023 DEMANDERESSE S.A.S. TEOLAB[Adresse 2][Localité 3] représentée par Me Grégoire LOUSTALET du Cabinet LWM AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0208 DÉFENDERESSE S.A.S. ESSITY FRANCE[Adresse 1][Localité 4] représentée par Me Virginie ULMANN de l'AARPI BAKER & MC KENZIE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0445 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur [Y] [G], Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation. DEBATS A l'audience du 16 mai 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 20 juillet 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE 1. La société Teolab a pour activité la conception, la production, la distribution, la promotion et la vente de produits de bien-être et notamment de produits d'hygiène féminine qu'elle commercialise sous la marque "Lunéale". Elle indique notamment avoir créé et commercialisé une coupe menstruelle désignée sous le nom "la cup Lunéale". 2. La société Teolab a déposé le 7 août 2017 la marque verbale française "Mon corps, mes règles" enregistrée sous le numéro 4381598 pour désigner les produits et services suivants : en classe no3 les lingettes nettoyantes pour l'hygiène féminine, les nettoyants non médicamenteux pour l'hygiène intime, les préparations de lavage pour la toilette intime, déodorantes ou pour l'hygiène, les produits lavants ou déodorants pour la toilette intime, les produits nettoyants à usage intime non médicamenteux, en classe no 5: les articles absorbants destinés à l'hygiène personnelle, les préparations et articles d'hygiène, les produits d'hygiène féminine, les serviettes périodiques, les slips périodiques, les tampons hygiéniques, les tampons pour la menstruation, et en classe no 10 les coupes menstruelles. 3. La société Essity France est chargée de la commercialisation et de la distribution en France de certaines marques du groupe Essity auquel elle appartient et qui a pour activité la commercialisation de produits d'hygiène et de santé notamment sous la marque "Nana", détenue par la société suédoise Essity Hygiene and Health Aktiebolag. 4. La société Teolab indique avoir découvert au mois de juin 2021 que la société Essity France promouvait depuis le mois de mars, notamment sur les réseaux sociaux, des culottes menstruelles sous la marque Nana avec le slogan "votre corps, ses règles", ce qu'elle a fait constater par un huissier de justice qui en a dressé procès-verbal les 28 juin et 5 juillet 2021. 5. Par courrier du 26 juillet 2021, la société Teolab a mis en demeure la société Essity France de retirer le contenu prétendument contrefaisant et a sollicité l'indemnisation de son préjudice. La société Essity France a procédé au retrait de la mention litigieuse mais a contesté toute responsabilité. 6. C'est dans ce contexte que par acte d'huissier de justice du 12 octobre 2021, la société Teolab a fait assigner la société Essity France devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de marque et de droit d'auteur. 7. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 juillet 2022, la société Teolab demande au tribunal de : - La dire recevable et bien fondée en son action et en ses demandes à l'encontre de la société Essity France ;Et, à titre principal, de :- Dire et juger que la société Essity France a commis des actes de contrefaçon de la marque française no4381598 par l'exploitation des signes similaires à la marque "mon corps, mes règles";- Dire et juger que le slogan « mon corps, mes règles » est original et qu'elle est présumée titulaire des droits d'auteur sur ce slogan ;Et, en conséquence, de :- Condamner la société Essity France à lui verser: - la somme de 5.849.794 euros au titre de la contrefaçon de la marque no4381598 "mon corps mes règles" ; - 5.849.794 euros au titre de la contrefaçon de l'oeuvre "Mon corps mes règles" ; - la somme complémentaire de 50.000 euros, en réparation de l'atteinte portée à son image de marque.A titre subsidiaire, il est demandé au Tribunal de :- Dire et juger que la société Essity france a commis des actes de concurrence déloyale à son égard et la condamner à lui verser la somme de 200.000 euros en réparation; Sur les demandes reconventionnelles :- Débouter Essity de toutes ses demandes, prétentions et réclamations relatives à la nullité de la marque française "Mon corps, mes règles" publiée sous le no 17 4 381 59;En conséquence,- Confirmer la validité de la marque française "Mon corps, mes règles" no 17 4 381 598 ;En tout état de cause, il est demandé au Tribunal de :- Ordonner la publication du jugement à intervenir, en intégralité ou par extraits:* dans 5 journaux ou publications professionnels (y compris électroniques) de son choix aux frais avancés de la société Essity France, sur simple présentation des devis, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 6.000 euros H.T., soit la somme totale de 30.000 euros H.T.* sur la page d'accueil du site internet www.nana.fr pendant une durée de deux mois à compter de la signification du jugement à intervenir, dans un encart qui ne pourra être inférieure à 1000 x 1000 pixels en haut de la ligne de flottaison, dans une police 12, et ce sous astreinte définitive de 1.500 euros par jour de retard, le Tribunal se réservant le droit de liquider l'astreinte directement ;- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant appel et sans constitution de garantie ;- Condamner la société Essity France à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens. 8. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 septembre 2022, la société Essity France demande au tribunal de :- La dire recevable et bien fondée dans ses écritures ;- Rejeter les demandes, fins et conclusions de la société Teolab ;A titre reconventionnel :- Dire que la marque française "Mon corps, mes règles" no 17 4 381 598 est inapte à identifier l'originale commerciale des produits qu'elle désigne en classes 3, 5 et 10 au sens de l'article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle et /ou est dépourvue de caractère distinctif en relation avec les produits visés en classes 3, 5 et 10 au sens de l'article L. 711- 2 du même code;En conséquence,- Prononcer l'annulation de la marque française "Mon corps, mes règles" no 17 4 381 598 au jour du dépôt (le 7 août 2017) et rejeter intégralement les demandes de la société Teolab fondées sur cette marque;Subsidiairement, si la marque devait être déclarée valable :- Dire que les preuves rapportées par la société Teolab sont insuffisantes à démontrer la matérialité des faits litigieux allégués et les lui imputer et en conséquence rejeter intégralement l'ensemble de ses demandes; A titre encore plus subsidiaire :Sur les actes de contrefaçon de marque :- Dire qu'aucun acte de contrefaçon de la marque "Mon corps, mes règles" no 17 4 381 598 n'a été commis et en conséquence rejeter les demandes de la société Teolab sur le fondement de la contrefaçon de marque ;Sur les actes de contrefaçon de droit d'auteur :- Dire que la société Teolab ne démontre pas être titulaire des droits d'auteur sur le slogan "Mon corps, mes règles" ;- Dire qu'elle ne caractérise pas l'originalité du slogan qu'elle revendique et, en tout état de cause, que le slogan revendiqué est insusceptible de bénéficier de la protection par le droit d'auteur ;- Dire qu'elle n'a commis aucun acte de contrefaçon de droit d'auteur sur le slogan "Mon corps, mes règles";En conséquence:- Rejeter les demandes de la société Teolab sur le fondement de la contrefaçon de droit d'auteur;Sur les actes de concurrence déloyale,- Dire quelle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale en l'absence de risque de confusion avec le slogan "Mon corps, mes règles" et en conséquence rejeter les demandes sur le fondement de la concurrence déloyale ;En tout état de cause,- Condamner la société Teolab à lui payer la somme de 20.000 euros pour procédure abusive, la somme de 40.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens, par application de l'article 699 du code de procédure civile. 9. L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 octobre 2022 et l'affaire renvoyée à l'audience du 16 mai 2023 pour être plaidée. 10. Par message adressé par voie électronique le 13 octobre 2022, Me Loustalet, avocat de la société Teolab, a sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture, demande à laquelle s'est opposé le conseil de la société Essity France par message notifié le 14 octobre 2022. Par message du 18 octobre 2022, réitéré le 17 janvier 2023, le juge de la mise en état a vainement invité la société Teolab à le saisir par voie de conclusions. MOTIFS Sur la validité de la marque verbale française "Mon corps, mes règles" no4381598 Moyens des parties 11. A titre reconventionnel, la société Essity France soulève la nullité de la marque "Mon corps, mes règles", sur le fondement des articles L. 711-1, L. 711-2 et L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle.Elle invoque en premier lieu l'absence de distinctivité autonome de la marque querellée qui ne peut, selon elle, être perçue par le consommateur comme un indicateur d'origine des produits. Elle souligne l'usage généralisé de l'expression "Mon corps, mes règles" par des figures du féminisme et estime qu'elle ne peut constituer une marque, étant un simple slogan, et ne peut fait l'objet d'une appropriation pour les produits visés par l'enregistrement. Elle ajoute que la société Teolab utilise à titre de marque le signe "Luneale", le signe "Mon corps, mes règles" étant utilisé comme une simple "baseline", c'est-à-dire une annonce ou une phrase concluant un spot publicitaire. En réponse à la société Teolab, qui dénonce une application rétroactive de la loi, elle rappelle que l'article 3 de la directive 2015/2436 exigeait déjà, comme critère de validité de la marque, l'exigence de distinctivité autonome. La société Essity France fait ensuite valoir que l'expression "Mon corps, mes règles", qui est la combinaison des termes "corps" et "règles", est descriptive car elle désigne directement la nature et la destination des produits visés par la marque, qui sont des produits d'hygiène pour le corps, utilisés pendant les menstruations. 12. La société Teolab réplique que la validité de la marque no 4381598 doit être appréciée en application de la législation applicable au moment de son enregistrement et que la jurisprudence citée par la société Essity France constitue une application rétroactive de la loi portant sur la distinctivité autonome.Elle ajoute que l'autonomie sur laquelle s'appuie la société Essity France repose sur la notion de garantie d'origine du produit qui impose d'identifier le produit au regard des signes le désignant sur le marché. Or, elle soutient qu'un produit désigné par la marque dont elle est titulaire se distingue nécessairement des produits "ladycup", "mamicup", "fleurcup", "claricup", "mïu cup", "lilycup". La société Teolab expose enfin que la marque "Mon corps, mes règles" est arbitraire et ne désigne pas littéralement une coupe menstruelle qui ne peut pas être confondue avec tout ou partie organique du corps humain. Selon elle, la fonction de garantie d'origine est respectée et la marque ne reprend ni la description ni les qualités essentielles du produit. Appréciation par le tribunal 13. La marque litigieuse ayant été déposée à l'INPI le 7 août 2017, il y a lieu d'apprécier sa validité au regard des articles L. 711-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle issus de la loi no92-597 du 1er juillet 1992 relative au code de la propriété intellectuelle, en vigueur au jour du dépôt. 14. L'article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que "La marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale.Peuvent notamment constituer un tel signe :a) Les dénominations sous toutes les formes telles que : mots, assemblages de mots, noms patronymiques et géographiques, pseudonymes, lettres, chiffres, sigles ;b) Les signes sonores tels que : sons, phrases musicales ;c) Les signes figuratifs tels que : dessins, étiquettes, cachets, lisières, reliefs, hologrammes, logos, images de synthèse ; les formes, notamment celles du produit ou de son conditionnement ou celles caractérisant un service ; les dispositions, combinaisons ou nuances de couleurs". 15. L'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que "Le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie à l'égard des produits ou services désignés.Sont dépourvus de caractère distinctif :a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation de service ;c) Les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.Le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c, être acquis par l'usage." 16. Enfin, l'article L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle dispose qu' "Est déclaré nul par décision de justice l'enregistrement d'une marque qui n'est pas conforme aux dispositions des articles L. 711-1 à L. 711-4.Le ministère public peut agir d'office en nullité en vertu des articles L. 711-1, L. 711-2 et L. 711-3.Seul le titulaire d'un droit antérieur peut agir en nullité sur le fondement de l'article L. 711-4. Toutefois, son action n'est pas recevable si la marque a été déposée de bonne foi et s'il en a toléré l'usage pendant cinq ans.La décision d'annulation a un effet absolu." 17. S'agissant de l'exigence de distinctivité intrinsèque de la marque, si elle a été codifiée par la réforme dite du paquet marque et l'ordonnance no 2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits ou de services, elle est déjà une condition de validité de la marque en application des directives 89/104/CEE puis 2008/95/CE, qui imposent un double contrôle du caractère distinctif du signe constituant la marque. La jurisprudence a en outre souligné, dès avant l'ordonnance précitée, la nécessité de vérifier que le signe respecte cette exigence de distinctivité en soi, en faisant le lien avec la fonction essentielle d'indication d'origine de la marque (Cass. com., 6 nov. 2007, no 06-16.189). Son application au cas d'espèce ne constitue donc pas, comme l'affirme la société Teolab, une application rétroactive prohibée d'un texte. 18. Il importe, à ce titre, de rappeler que l'article 3 de la directive (UE) 2015/2436 du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques dispose que: "Peuvent constituer des marques tous les signes, notamment les mots, y compris les noms de personnes, ou les dessins, les lettres, les chiffres, les couleurs, la forme d'un produit ou de son conditionnement, ou les sons, à condition que ces signes soient propres à:a) distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises; etb) être représentés dans le registre d'une manière qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l'objet bénéficiant de la protection conférée à leur titulaire." 19. Dès lors, en application du droit interne en vigueur au jour du dépôt de la marque interprété à la lumière de la directive précitée, les signes constituent des marques à condition d'être intrinsèquement aptes à identifier le produit pour lequel est demandé l'enregistrement comme provenant d'une entreprise déterminée et propres à distinguer les produits ou services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises (arrêt CJCE du 18 juin 2002 Koninklijke Philips Electronics NV c. Remington Consumer Products Ltd). Le public pertinent doit immédiatement et certainement percevoir le signe comme identifiant l'origine commerciale du produit. Aussi, pour remplir sa fonction essentielle d'identification, une marque doit être distinctive, caractère indépendant de l'originalité ou de la nouveauté qui suppose que les éléments entrant dans sa composition soient arbitraires par rapport aux produits ou services qu'elle désigne et soient d'emblée perçus par le consommateur comme pouvant identifier l'origine du produit en le rattachant à une entreprise spécifique.Le caractère distinctif doit en outre être apprécié par rapport aux produits ou aux servicesvisés dans l'enregistrement. 20. La marque doit par ailleurs être arbitraire et ne peut être composée de signes nécessaires, génériques, usuels pour désigner un produit ou un service, ou bien encore de termes qui en décrivent la qualité essentielle. Un signe est ainsi descriptif si au moins dans une de ses significations potentielles, il désigne une caractéristique des produits ou services concernés (CJCE 23/10/2003, Wm Wrigley Jr Company/OHMI,C191/01 P, point 32). Cela peut concerner son espèce, sa qualité, sa destination, sa valeur, sa provenance géographique ou encore son époque de production ou de prestation. Il n'est pas nécessaire que le signe soit effectivement utilisé dans le commerce à des fins descriptives pour être refusé, il suffit qu'il puisse être utilisé à de telles fins (CJCE 12/02/2004, Koninklijkepkn Nederland/Benelux/Merkenbureau, C-363/99, point 97). Cette règle a pour objectif d'éviter que tout opérateur susceptible de proposer dans l'avenir des produits ou des services concurrents de ceux pour lesquels l'enregistrement est demandé, soit privé en raison d'un monopole acquis de la faculté d'utiliser librement les signes ou indications pouvant servir à décrire leurs caractéristiques. 21. En l'espèce, la marque français no 4381598 "Mon corps, mes règles", a été enregistrée le 7 août 2017 pour désigner les produits d'hygiène féminine en classe no3, 5 et 10. Le public pertinent est le particulier d'attention moyenne acheteur de produits d'hygiène féminine. 22. Or, la société Essity France démontre, au moyen de captures d'écrans de pages internet, dont la force probante ne peut, d'emblée, être déniée ( Com. 7 juillet 2021, no 20-22048) et de citations dans ses conclusions, que les termes de la marque litigieuse reprennent ceux d'un slogan utilisé, dès avant la date de dépôt de la marque verbale par la demanderesse, par le mouvement féministe, en français ou en anglais "my body, my rules", tel que le mouvement Femen lors d'une marche antiavortement en 2014, des activistes féministes ou encore comme hashtag sur les réseaux sociaux #MonCorpsMesRègles. La société Teolab revendique d'ailleurs cette parenté avec le courant féministe. 23. De ce fait, il en résulte que le signe en litige sera susceptible d'être davantage perçu par le consommateur pertinent comme un message publicitaire plutôt que comme une marque agissant comme un indicateur d'origine du produit. Force est d'ailleurs de constater, à la lecture du "guide de la marque" (brand guidelines) produit en pièce no1 par la société Teolab, qu'elle utiliserait ce signe en France aux côtés de la marque "Lunéale" qui apparaît remplir la fonction d'indicateur d'origine commerciale, comme "baseline", qui peut se traduire comme un "slogan-signature", en alternance avec l'expression "vous avez le pouvoir de changer les règles". De ce fait, ce signe ne sera pas perçu comme une marque par le public pertinent et doit être considéré comme dénué de distinctivité intrinsèque. 24. De surcroît, il est constant que pour être valable, la marque doit être composée d'éléments arbitraires au regard des produits ou services qu'elle désigne. Or, la marque "Mon corps, mes règles" fait directement référence à la destination des produits qu'elle désigne, s'agissant d'articles pour le corps utilisables particulièrement pendant la période des règles. Dès lors, ces termes, qu'ils soient pris isolément ou en combinaison, ne sauraient être considérés comme arbitraires et distinctifs pour désigner les produits en classe no3, 5 et 10 précédemment énumérés, à savoir les produits d'hygiène féminine (lingettes, nettoyants, articles absorbants et sous-vêtements pour les menstruations, cup menstruelles). La société Teolab ne peut prétendre disposer d'un monopole sur ces mots, y compris combinés, et priver ses concurrents de les utiliser sauf à porter atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie. 25. Au regard de l'ensemble de ces considérations, la marque "mon corps, mes règles" no17 4 381 598 est dépourvue de caractère distinctif et sa nullité doit être prononcée. Les demandes fondées sur la contrefaçon de marque ne peuvent donc qu'être rejetées. Sur la contrefaçon de droit d'auteur sur le slogan publicitaire Moyens des parties 26. La société Teolab fait valoir que le slogan "Mon corps, mes règles" est original et reflète la personnalité de son auteur, dans la mesure où il invite l'audience à ne pas subir la période menstruelle et d'établir ses propres règles selon son corps. Elle le qualifie de "manifeste émancipateur" destiné à ce que la Femme comprenne que le produit désigné a vocation à l'aider à choisir à vivre selon ses propres règles. Elle soutient utiliser le terme "règle" pour son double sens en langue française, désignant à la fois la norme mais aussi les menstruations. Selon elle, l'expression "Mon corps, mes règles" n'est pas la traduction fidèle de "my body, my rules"; c'est selon elle le jeu de mots et le double sens qui font toute l'originalité de son slogan. Elle demande en outre à ce que soient écartés des débats les "moyens" tirés d'éléments collectés sur internet qui n'ont pas été constatés par un commissaire de justice. 27. La société Essity France soutient que la société Teolab ne justifie pas qu'elle serait titulaire des droits d'auteur sur le slogan "Mon corps, mes règles" faute de rapporter la preuve d'une exploitation effective, certaine et publique de ce slogan, et n'identifie pas de manière précise les caractéristiques qu'elle revendique pour justifier de son originalité. Elle fait valoir que ce slogan, largement utilisé par des tiers avant le dépôt de la marque, y compris dans sa traduction anglaise "my body, my rules", est dépourvu de toute originalité en ce qu'il rejoint les messages véhiculés par les mouvements féministes et que la société Teolab ne justifie d'aucun effort de création. Elle rappelle que des copies d'écran sont des preuves recevables.Appréciation du tribunal 28. L'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que « l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code. [?] » 29. La protection d'une oeuvre de l'esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. Dans ce cadre toutefois, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur dont l'existence est contestée de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il revendique. En effet, seul l'auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole et le principe de la contradiction posé par l'article 16 du code de procédure civile commande que le défendeur puisse connaître précisément les caractéristiques qui fondent l'atteinte qui lui est imputée et apporter la preuve qui lui incombe de l'absence d'originalité. 30. En l'espèce, la société Teolab soutient que le slogan "Mon corps, mes règles" est original en ce que: "particulièrement percutant, [il] invite l'audience à ne pas subir leurs périodes menstruelles et établir leurs propres règles selon leur propre corps. Il s'agit à la fois d'une marque mais également d'un manifeste émancipateur afin que la Femme comprenne que le produit désigné a vocation à l'aider à choisir comme vivre (selon ses) propres règles". 31. En premier lieu, il importe de souligner que la société Teolab ne justifie pas avoir divulgué puis utilisé régulièrement et publiquement le slogan sous son nom, autrement que par la production de l'enregistrement de la marque à l'INPI. 32. Mais de plus fort, la société Teolab échoue à démontrer le caractère original de ce slogan, alors qu'il a été au contraire prouvé (§22) qu'il pré-existait à son dépôt en 2017 et qu'il est très utilisé par le mouvement féministe. Cette expression relève ainsi du domaine public et appartient au fonds commun du féminisme, ce que ne conteste pas la société Teolab, qui entend au contraire se prévaloir de ce lien avec la mouvance féministe pour caractériser l'originalité du jeu de mot autour du terme "règle". 33. Cependant, le seul fait que le mot "règles", traduction littérale du mot anglais "rules", désigne également en langue française les menstruations alors qu'il se traduit en anglais par le mot "period", n'apparaît pas en soi révélateur d'une personnalité et est dès lors insuffisant pour caractériser l'originalité requise aux fins de bénéficier de la protection au titre du droit d'auteur. 34. Par conséquent, il y a lieu de dire que le slogan "Mon corps, mes règles" n'est pas original. La société Teolab ne peut donc invoquer la protection au titre du droit d'auteur et les demandes fondées sur la contrefaçon de droit d'auteur seront également rejetées. Sur la concurrence déloyale Moyens des parties 35. La société Essity estime la demande mal fondée en l'absence de démonstration d'une faute et d'un risque de confusion. Elle rappelle utiliser le slogan litigieux en association avec la marque "Nana", tant et si bien qu'il n'y a pour le consommateur aucun risque de confusion. Elle conclut que le consommateur ne saurait être trompé sur l'origine des produits. Elle ajoute que les éléments dont se prévaut la société Teolab relèvent du fonds commun et d'éléments usuels et soutient n'avoir commis aucune faute en utilisant un slogan suggéré par son agence de communication. Elle conteste avoir utilisé le slogan après des discussions commerciales avec la société Teolab. 36. La société Teolab soutient avoir communiqué à la société Essity le "brand book" des produits "Lunéale" sur lequel la stratégie de communication et la marque "Mon corps, mes règles" figurait. Elle soutient que la société Essity France a ainsi détourné les éléments de sa communication, alors qu'elle fait la promotion et la commercialisation de ses produits de manière constante depuis 2017 sous cette marque. Elle estime que cela est source de confusion dans l'esprit du public et que cela constitue un détournement de la valeur économique d'un de ses principaux actifs incorporels de nature à générer un trouble commercial déloyal et répréhensible, la société Essity France s'en étant servi largement à des fins publicitaires. Appréciation du tribunal 37. L'article 1240 du code civil dispose que « tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». 38. La concurrence déloyale consiste en des agissements s'écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre. L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité, la notoriété de la prestation copiée. 39. En l'espèce, la société Teolab n'invoque sur ce fondement aucun fait distinct de ceux dénoncés au soutien de sa demande fondée sur la contrefaçon. Or, il a été précédemment démontré que le slogan utilisé n'étant pas de nature à constituer un signe de ralliement de la clientèle de la société Teolab, en particulier parce qu'il relève du fonds commun du féminisme. Il n'est pas davantage utilement prouvé que la société Essity France se soit appropriée de manière déloyale le slogan de la demanderesse à la suite de rapprochements commerciaux, alors que cela ne concernait pas les mêmes entités, mais la société Essity Hygiene ans Health AB. 40. La société Teolab ne démontre pas non plus l'existence d'une situation de concurrence alors qu'elle allègue sans le démontrer, qu'elle utilise ce signe sans discontinuer depuis 2017 pour désigner les produits qu'elle commercialise. Aucune pièce n'est versée aux débats, de nature même à démontrer l'existence d'une situation de concurrence. 41. Dès lors, aucun risque de confusion n'est caractérisé, étant en outre souligné que la société Essity utilise l'expression aux côtés de la marque "Nana", de même que la société Teolab l'utilise avec la marque Lunéale, de sorte que le risque de confusion apparaît exclu. 42. A défaut de rapporter la preuve d'une faute de la société Essity France et d'un risque de confusion, la concurrence déloyale n'est pas caractérisée et la demande de dommages-intérêts ne peut prospérer. 43. La société Teolab succombant en l'ensemble de ses demandes, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de publication de la décision. Sur les demandes au titre de la procédure abusive Moyens des parties 44. La société Essity fait valoir que la société Teolab a fait preuve de légèreté blâmable et d'une volonté de nuire en essayant d'obtenir des sommes déconnectées de toute réalité économique et en maintenant une action manifestement vouée à l'échec. 45. La société Teolab conclut au rejet de cette demande. Appréciation du tribunal 46. Ester en justice est un droit et ne dégénère en abus pouvant justifier l'allocation de dommages-intérêts que dans les cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol. Une telle condamnation à dommages-intérêts pour procédure abusive implique donc que soit rapportée la preuve d'une intention malicieuse du demandeur et de la conscience d'un acharnement procédural voué à l'échec. 47. En l'espèce, la société Teolab a pu se méprendre sur l'étendue de ses droits, et sa mauvaise foi n'est pas démontrée. Si les diligences de la société Essity France qui, à la suite de la lettre de mise en demeure adressée par la société Teolab le 26 juillet 2021,a, dès les courriels des 4 et 6 août 2021, indiqué avoir donné pour instruction à son agence de communication de retirer la mention litigieuse, doit être soulignée, le maintien de la présente procédure ne lui a pas occasionné d'autre préjudice que celui résultant de l'obligation de se défendre, qui fera l'objet d'une condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 48. La demande de dommages-intérêts pour procédure abusive sera rejetée. Sur les demandes annexes 49. La demande de publication de la présente décision présentée "en tout état de cause" par la société Teolab, sans objet du fait du rejet de toutes ses demandes, est rejetée. 50. Succombant, la société Teolab sera condamnée aux dépens de l'instance qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile. 51. Supportant les dépens, elle sera condamnée à payer à la société Essity France la somme de 15.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 52. L'exécution provisoire est de droit; elle sera toutefois écartée s'agissant des mesures d'enregistrement auprès de l'office. PAR CES MOTIFS LE TRIBUNAL, PRONONCE la nullité de la marque verbale française "Mon corps, mes règles" enregistrée sous le numéro 4381598 pour l'ensemble des produits et services désignés à l'enregistrement en classes no3, 5 et 10, dont est titulaire la SARL Teolab ; DIT que la présente décision, une fois passée en force de chose jugée, sera transmise à l'INPI pour sa transcription sur le registre national des marques à l'initiative de la partie la plus diligente ; DÉBOUTE la société Teolab de l'ensemble de ses demandes fondées sur la contrefaçon de marque et la contrefaçon de droit d'auteur ; DÉBOUTE la société Teolab de sa demande de dommages-intérêts sur le fondement de la concurrence déloyale; DIT n'y avoir lieu à ordonner la publication du jugement; REJETTE la demande de dommages-intérêts de la société Essity France sur le fondement de la procédure abusive; CONDAMNE la société Teolab aux entiers dépens qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile; CONDAMNE la société Teolab à payer à la société Essity France la somme de 15.000 euros (quinze mille euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile; RAPPELLE que l'exécution provisoire est de droit mais l'écarte s'agissant des mesures d'enregistrement auprès de l'INPI. Fait et jugé à Paris le 20 juillet 2023. LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000048389772
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 20 juillet 2023, 20/10369
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2023-07-20
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/10369
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 20/10369 No Portalis 352J-W-B7E-CTBIH No MINUTE : Assignation du :12 octobre 2020 JUGEMENT rendu le 20 juillet 2023 DEMANDEUR Monsieur [S] [M][Adresse 1][Localité 3] représenté par Me Antoine CHÉRON de la SELARL ACBM, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2536 DÉFENDERESSE S.A. EDITIONS GALLIMARD[Adresse 2][Localité 4] représentée par Me Laurent MERLET de l'AARPI ARTLAW, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0327 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation. DEBATS A l'audience du 13 février 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 11 mai 2023.Le délibéré a été prorogé en dernier lieu au 20 juillet 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE 1. Monsieur [S] [M] se présente comme enseignant chercheur et directeur d'études à l'Ecole des [5], ayant pour principaux sujets de recherche l'anthropologie historique et l'histoire de la religion islamique, notamment au Moyen-Orient. 2. La société Editions Gallimard est une maison d'édition française fondée en 1911. 3. Le 7 mars 2018, M. [S] [M] et la société Editions Gallimard ont conclu un contrat d'édition et de cession des droits d'exploitation d'un ouvrage provisoirement intitulé "Les origines tragiques de la culture islamique" 4. La société Editions Gallimard indique avoir constaté que l'un des chapitres de l'ouvrage constituait, selon elle, la reprise quasi servile d'un article écrit par M. [S] [M] intitulé "Aux origines de l'enseignement en Islam", publié en 2014 dans la revue Studia Islamica éditée par les Editions Brill. 5. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 février 2020 réitérée le 5 mars 2020, la société Editions Gallimard a résilié le contrat d'édition du 7 mars 2018 et mis en demeure M. [S] [M] de rembourser les avances perçues. 6. Par courriel du 23 février 2020, M. [S] [M] a contesté les manquements qui lui étaient reprochés. 7. Le 16 avril 2020 et le 13 mai 2020, M. [S] [M] a mis en demeure la société Editions Gallimard de procéder à la publication de l'ouvrage sous sa forme imprimée et numérique dans un délai de 6 mois et sollicité l'indemnisation de son préjudice. 8. Le 18 mai 2020, la société Editions Gallimard a de nouveau sollicité le remboursement de l'avance versée à M. [S] [M]. 9. Par acte du 12 octobre 2020, M. [S] [M] a assigné la société Editions Gallimard devant le tribunal judiciaire de Paris en exécution forcée du contrat d'édition sollicitant notamment la publication de l'oeuvre. 10. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 mai 2022, M. [S] [M] demande au tribunal de : A titre principal, - Juger que la société Editions Gallimard a fait défaut à ses obligations au titre du contrat d'édition conclu avec M. [S] [M] ; - Ordonner à la société Editions Gallimard de procéder à la publication de l'oeuvre « Les origines tragiques de la culture islamique » de M. [S] [M] conformément aux stipulations contractuelles, dans un délai de 3 mois à compter de la signification du jugement à intervenir et ce sous astreinte de 500€ par jour de retard ; - Se réserver la liquidation de l'astreinte ;A titre subsidiaire, - Prononcer la résolution judiciaire du contrat d'édition conclu le 7 mars 2018 entre M. [S] [M] et la société Editions Gallimard et portant sur l'oeuvre « Les origines tragiques de la culture islamique » à compter du 16 avril 2020 et ce, sans restitution des sommes déjà versées à Monsieur [S] [M] dans le cadre de ce contrat ; - Constater la résiliation du contrat d'édition conclu le 7 mars 2018 entre M. [S] [M] et la société Editions Gallimard à compter du 16 avril 2021 en application de l'article V dudit contrat ; En conséquence, - Ordonner la restitution de tous les documents originaux, et notamment les manuscrits, transmis par M. [S] [M] à la société Editions Gallimard et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la signification du jugement à intervenir ; - Se réserver la liquidation de l'astreinte ;En tout état de cause, - Juger qu'en méconnaissant son obligation de publier l'oeuvre « Les origines tragiques de la culture islamique » conformément au contrat d'édition conclu le 7 mars 2018, la société Editions Gallimard a engagé sa responsabilité contractuelle ; - Débouter la société Editions Gallimard de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions y compris de sa demande d'interdiction portant sur la conclusion reproduite en pièce adverse no7 ; En conséquence, - Condamner la société Editions Gallimard à verser à M. [S] [M] la somme de 46.402 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'il a subi ; - Condamner la société Editions Gallimard à verser à M. [S] [M] la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; - Condamner la société Editions Gallimard aux entiers dépens, en ce compris le procès-verbal de constat d'huissier dressé le 19 mars 2020 par Maître [U] [C], soit la somme de 429, 20 euros, dont distraction faite au profit de Maître Chéron. 11. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 mai 2022, la société Editions Gallimard demande au tribunal de : - A titre principal, prononcer la nullité du contrat d'édition du 7 mars 2008, le consentement de la société Editions Gallimard ayant été vicié ;- A titre subsidiaire, dire et juger que M. [S] [M] a gravement manqué à ses obligations contractuelles et ce faisant :*constater la résolution unilatérale du contrat du 7 mars 2018 à compter de la mise en demeure la société Editions Gallimard du 15 février 2020 ;*à tout le moins prononcer sa résolution judiciaire à compter de la date qu'il plaira au Tribunal de fixer ;- Très subsidiairement, constater que le contrat d'édition du 7 mars 2018 a été résilié de plein droit à l'initiative de M. [S] [M] le 16 octobre 2020 ;Ce faisant et en tout état de cause : - Débouter M. [S] [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;- Le condamner à restituer à la société Editions Gallimard la somme de 2 000 euros perçue à titre d'à-valoir ;- Lui interdire d'exploiter sous quelque forme que ce soit, et de céder à qui que ce soit, tout ou partie de la conclusion reproduite dans l'ouvrage dans sa version de juin 2019 acceptée en juillet 2019 (correspondant à la pièce no7) ;- Ecarter l'exécution provisoire ;- Condamner M. [S] [M] à payer à la société Editions Gallimard la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de l'AARPI Artlaw. 12. L'instruction a été close par ordonnance du 28 juin 2022 et l'affaire plaidée à l'audience du 13 février 2023. SUR CE 1o) Sur la nullité du contrat pour vice du consentement a. Sur l'erreur Moyens des parties 13. La société Editions Gallimard soutient que l'originalité du manuscrit constitue une qualité essentielle de sa prestation, tacitement convenue, en considération de laquelle elle a accepté de s'engager à publier l'ouvrage. Elle a été, selon son argument, victime d'une erreur sur la substance en recevant un manuscrit composé en partie d'une reprise d'un article publié dans la revue Studia Islamica des éditions Brill. 14. M. [S] [M] conteste l'existence d'une erreur ayant vicié le consentement de la société Gallimard. Il soutient qu'aucune clause du contrat d'édition du 7 mars 2018 ne prévoit expressément que l'oeuvre "Les origines tragiques de la culture islamique" devait être originale voire nouvelle de toute pièce ce qui, d'après lui, aurait été en outre une obligation impossible à respecter puisque les principaux sujets de recherche de M. [S] [M] sont l'anthropologie historique et l'histoire de la religion islamique. Appréciation du tribunal 15. Aux termes de l'article 1130 du Code civil "l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. / Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné". 16. Selon l'article 1131 du même code "les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat". 17. Selon l'article 1132 du même code "l'erreur de droit ou de fait, à moins qu'elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu'elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant". 18. Selon l'article 1133 du même code "les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté. / L'erreur est une cause de nullité qu'elle porte sur la prestation de l'une ou de l'autre partie. / L'acceptation d'un aléa sur une qualité de la prestation exclut l'erreur relative à cette qualité". 19. Il convient de rappeler que l'erreur s'apprécie au moment de la formation du contrat (en ce sens Cass. Civ. 3ème, 24 novembre 2016, no 15-26.226 ; Cass. Civ. 1ère, 26 octobre 1983, no 82-13.560). 20. En l'espèce, demanderesse à la nullité, la société Editions Gallimard a la charge de prouver l'erreur sur les qualités essentielles dont elle se prévaut. En outre, elle doit établir qu'une telle erreur a été déterminante de son consentement. 21. Sont versés aux débats des échanges de courriels entre M. [S] [M] et M. [Y] [V] de la société Editions Gallimard préalablement à la conclusion du contrat. Ils établissent que M. [M] propose un manuscrit à l'éditeur le 16 novembre 2017 et lui transmet une autre version le 26 janvier 2018 (Pièce no 4 Gallimard). Ces manuscrits ne sont toutefois pas versés aux débats à l'exception de la conclusion de la version du 26 janvier 2018. 22. Il résulte de l'article I du contrat du 7 mars 2018 que "Monsieur [S] [M] cède à la société Editions Gallimard (...) le droit exclusif d'exploiter la propriété littéraire sur l'ouvrage de sa composition qui a pour titre provisoire "Les origines tragiques de la culture islamique".23. Deux manuscrits ultérieurs des 19 novembre et 27 novembre 2019 sont versés aux débats. 24. Le courrier de Monsieur [V] du 19 décembre 2017 indique qu'il est "impressionné par l'originalité de l'angle d'analyse" mais distingue bien "huit petits ouvrages", correspondant aux chapitres, souhaitant que soit renforcé le fil directeur de l'ouvrage dans son ensemble. 25. Au moment de la conclusion du contrat, il n'est ainsi pas démontré que la croyance de la société Gallimard était de disposer d'un manuscrit entièrement original comme elle le soutient. En outre, il n'est pas démontré que la réalité du projet transmis, qui n'est pas versé aux débats, incluait à cette date le chapitre II litigieux dont la publication antérieure est soutenue. 26. Il ressort de ces circonstances que l'erreur alléguée par la société Gallimard n'est pas établie. Le moyen est écarté. b. Sur le dol Moyens des parties 27. La société Editions Gallimard fait valoir qu'elle a été victime de manoeuvres dolosives de la part de M. [S] [M] qui, selon elle, lui a dissimulé intentionnellement la reprise d'un article précédemment publié. Selon son argument, Monsieur [M] connaissait le caractère déterminant de l'originalité du manuscrit pour elle. 28. Monsieur [S] [M] réplique qu'il n'a pas trompé la société Editions Gallimard qui n'a jamais exigé que le manuscrit soit original ou nouveau. Selon lui, aucune intention dolosive n'est caractérisée. Appréciation du tribunal 29. Aux termes de l'article 1137 du Code civil "le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manoeuvres ou des mensonges. / Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie. / Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.". 30. Ainsi qu'il précède, l'état des manuscrits transmis par Monsieur [M] avant la conclusion du contrat n'est pas établi, ceux-ci n'étant pas versés aux débats. 31. Il ressort des échanges produits par la société Editions Gallimard que l'originalité ou la nouveauté du manuscrit ne sont évoqués que pour l'angle d'analyse. 32. Monsieur [S] [M] mentionne les Editions Brill dans un courriel à destination de M. [Y] [V] dès le 19 décembre 2017 (Pièce no 3 Gallimard) sans que l'objet de cette mention ne soit explicité. 33. Ces circonstances apparaissent insuffisantes à démontrer l'existence des manoeuvres dolosives dont la société Gallimard se prévaut. 34. La société Editions Gallimard sera en conséquence déboutée de ses demandes en nullité du contrat du 7 mars 2018 pour vices du consentement et de restitution subséquente. 35. 2o) Sur l'exécution et la résiliation du contrat d'édition du 7 mars 2018 Moyens des parties 36. La société Editions Gallimard soutient avoir résolu le contrat d'édition du 7 mars 2018 par courrier du 20 février 2020 dans lequel elle dit que la reprise des passages précédemment publiés dans la revue Studia Islamica l'exposait à des poursuites judiciaires pour contrefaçon et que le statut de membre du comité de rédaction de cette revue de Monsieur [M] ne pouvait pas écarter ce risque. Selon elle, les manquements de M. [S] [M] à ses obligations d'exclusivité et de garantie conformément à l'article L. 132-8 du code de la propriété intellectuelle et le manque de transparence et de bonne foi justifient la rupture du contrat d'édition du 7 mars 2018. Elle fait également valoir que les difficultés rencontrées pour obtenir des réponses sur les incohérences dans les notes de bas de page et la titularité des droits de M. [M] sur l'article lui ont fait perdre confiance en l'auteur de façon totale et définitive. Subsidiairement, la société Editions Gallimard soutient les manquements graves de M. [S] [M] au contrat d'édition, justifient la résolution du contrat et la restitution de l'avance versée. 37. Monsieur [S] [M] soutient que les manquements qui lui sont reprochés ne sont pas suffisamment graves pour justifier la résiliation du contrat d'édition. S'agissant de la reprise d'un article antérieurement publié, il soutient que les publications sont différentes et qu'en qualité de directeur de publication de la revue il est habilité à autoriser la publication de l'oeuvre auprès d'un autre éditeur. M. [S] [M] conteste que les incohérences dans les notes de bas de page résultent d'une absence de diligence de sa part qui s'expliquerait par la suppression d'un chapitre. Il ajoute que la société Editions Gallimard ne lui a laissé aucun délai pour procéder à l'exécution de son obligation et que l'urgence justifiant la résolution immédiate n'est pas caractérisée. Subsidiairement, M. [S] [M] demande que soit prononcée la résolution du contrat à compter du 16 avril 2020, date de la mise en demeure de publier l'ouvrage, sans restitution des avances perçues par M. [S] [M] compte tenu du préjudice subi par ce dernier. Appréciation du tribunal 38. Selon l'article 1224 du code civil : "la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice." 39. L'article 1226 du code civil dispose que : "le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. / La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat. / Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent. / Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution". 40. Selon l'article 1227 du code civil "la résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice". 41. L'article 1228 du même code précise que "le juge peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l'exécution du contrat en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts". 42. Aux termes de l'article L. 132-8 du code de la propriété intellectuelle que "l'auteur doit garantir à l'éditeur l'exercice paisible et, sauf convention contaire, exclusif du droit cédé. Il est tenu de faire respecter ce droit et de le défendre contre toutes atteintes qui lui seraient portées." 43. Il résulte de l'article I du contrat du 7 mars 2018 que "Monsieur [S] [M] cède à la société Editions Gallimard (...) le droit exclusif d'exploiter la propriété littéraire sur l'ouvrage de sa composition qui a pour titre provisoire "Les origines tragiques de la culture islamique". (...) L'auteur cède à Gallimard le droit exclusif d'imprimer, publier, reproduire et vendre ledit ouvrage sous forme d'éditions de tous formats, ordinaires, illustrées, de luxe ou populaires, à tirage limité ou non et sur tous supports. (...) L'auteur garantit à Gallimard la jouissance entière et libre de toute servitude des droits cédés, contre tous troubles, revendications et évictions quelconques". 44. Par courriel de l'éditeur du 30 janvier 2020, Monsieur [M] est informé par la société Editions Gallimard de la "grande proximité" entre le chapitre II de l'ouvrage intitulé "Naissance d'une éducation scolaire" avec l'article "Aux origines de l'enseignement de l'Islam" publié en 2014 dans la revue Néerlandaise "Studia Islamica" éditée par les Editions Brill. Le courrier demande si d'autres passages de l'ouvrage reproduisent d'autres sources. Le courrier indique qu'il convient, pour publier l'ouvrage, de disposer des droits ou d'obtenir l'autorisation de l'éditeur de la revue pour être en conformité avec la législation. 45. Un second courrier du 20 février 2020 prononce la résiliation unilatérale du contrat par la société Editions Gallimard. Elle reproche à Monsieur [M] de n'avoir pas été diligent en indiquant la source de quatre notes et d'avoir fait des remarques par renvois à des pages inexistantes sauf dans une précédente version de son manuscrit. Surtout, ces renvois incertains et le texte du chapitre II de l'ouvrage génèrent chez elle un doute, selon le courrier, sur d'autres reprises d'anciens articles dans le manuscrit ce qui méconnaitrait son droit à la jouissance paisible, au caractère inédit de l'ouvrage et l'exposerait à des poursuites en contrefaçon. 46. Par courriels du 23 février 2020 et du 27 février 2020 Monsieur [M] dit qu'il détient les droits sur l'article publié en 2014 et que la société Brill ne les détient pas. Il communique un contrat du 24 avril 2019 conclu avec la société Brill. Il précise que cet acte fixe ses droits sur les publications faites dans la revue "Studia Islamica". Il dit "ma confusion provient du fait que j'étais sûr de mes droits sur l'article. D'aucune façon je n'ai cherché à cacher quoi que ce soit et encore moins à nuire". 47. Monsieur [M] met en demeure la société Editions Gallimard de publier l'ouvrage les 16 avril et 13 mai 2020. La société Editions Gallimard refuse par courrier du 18 mai 2020 précisant que sa résiliation est consécutive au manquement, par Monsieur [M], d'une "obligation essentielle" du contrat. 48. Il est établi par la comparaison des deux articles (pièces Gallimard 13 et 19) que la majorité du contenu de l'article a été repris dans le chapitre II de l'ouvrage à l'identique, n'étant que légèrement retravaillé. 49. En l'état des pièces produites, Monsieur [M] n'a pas informé l'éditeur de ce que le contenu de ce chapitre reprenait un article précédemment écrit ni que les droits sur cet article étaient détenus par un tiers. 50. A supposer que le rapport juridique entre Monsieur [M] et la société Brill sur l'article "Aux origines de l'enseignement de l'Islam" publié en 2014, soit déterminé ou reproduits par ce contrat, il sera constaté que cet acte attribue à la société Editions Brill les droits d'exploitation de cet article. 51. En s'abstenant de signaler la reprise, dans le manuscrit à publier, d'un article précédent dont il avait cédé les droits d'exploitation à un tiers, l'auteur a toutefois manqué gravement à son obligation d'exécuter le contrat de bonne foi. 52. Cette circonstance justifie de prononcer la résiliation du contrat à compter du 1er mars 2020. 53. Il ne peut donc pas être fait droit à la demande de Monsieur [M] tendant à la publication de l'ouvrage alors que le contrat est résilié et, qu'au surplus en l'absence d'accord des Editions Brill, cette publication pourrait être qualifiée de contrefaçon comme le rappelle la société Editions Gallimard. 54. L'avance consentie à Monsieur [M] devra être remboursée et il sera condamné en conséquence. 55. Il sera ordonné à la société Editions Gallimard de lui restituer les manuscrits de l'ouvrage qui seraient encore en sa possession. 3o) Sur l'interdiction d'exploiter la version définitive de la conclusion Moyens des parties 56. La société Editions Gallimard fait valoir que M. [Y] [V], chargé de l'édition de l'ouvrage "Les origines tragiques de la culture islamique", aurait intégralement restructuré et reformulé, si ce n'est entièrement rédigé la dernière version de la conclusion de l'ouvrage, ce qui justifie qu'il soit considéré comme coauteur du texte. 57. M. [S] [M] réplique que la défenderesse n'apporte aucun élément permettant de démontrer que M. [Y] [V] serait à l'origine de telles modifications, au contraire, M. [S] [M] affirme être à l'origine des deux versions de la conclusion de son oeuvre. Il soutient que M. [Y] [V] n'est pas un spécialiste de l'histoire de la culture islamique et que les modifications, qui restent à démontrer, ne pourraient porter que sur la forme et non sur le fond. Appréciation du tribunal 58. L'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que "la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée." 59. L'alinéa 1er de l'article L. 113-2 du code de la propriété intellectuelle définit l'oeuvre de collaboration comme celle à laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques. 60. Il ressort des échanges de courriels intervenus entre les parties que le 16 juin 2019 M. [S] [M] a fait parvenir à M. [Y] [V] la conclusion, que ce dernier lui a envoyé une "version alternative" le 18 juin 2019 en précisant "tout est de vous, mais l'ordre est différent". Le 21 juin 2019, M. [S] [M] envoyait de nouveau le manuscrit et indiquait avoir "bien tenu compte de votre restructuration de la conclusion" (Pièce Gallimard no 5). 61. La société Editions Gallimard produit une version de la conclusion du 26 janvier 2018 (Pièce no6 Gallimard ), et une version de juin 2019 qui serait celle retravaillée par M. [Y] [V] (Pièce Gallimard no7). 62. Le jour auquel la version de juin 2019 a été établie n'étant pas précisé, rien n'indique qu'il s'agirait de celle proposée par M. [Y] [V]. La société Editions Gallimard, demanderesse a la charge de la preuve qu'elle ne rapporte donc pas. 63. La conclusion ne peut donc être qualifiée d'oeuvre de collaboration. 64. Au surplus, il n'est pas justifié de faire interdiction à Monsieur [M] de publier ladite conclusion alors qu'il n'a entrepris aucun acte en ce sens. 65. Par conséquent, la société Gallimard sera déboutée de sa demande d'interdiction d'exploitation et de cession de tout ou partie de la conclusion dans sa version de juin 2019. 4o) Sur les demandes accessoires 66. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, M. [S] [M] supportera les dépens et sera condamné à payer à la société Editions Gallimard la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile 67. L'exécution provisoire qui est de droit conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile n'a pas lieu d'être écartée. PAR CES MOTIFS LE TRIBUNAL,Statuant publiquement par mise à disposition au greffe contradictoirement et en premier ressort, PRONONCE la résiliation du contrat du 7 mars 2018 liant la société Editions Gallimard à Monsieur [S] [M] à compter du 1er mars 2020, CONDAMNE M. [S] [M] à payer à la société Editions Gallimard la somme de 2 000 euros au titre de la restitution de l'à-valoir prévu par le contrat, ORDONNE à la société Editions Gallimard de restituter les originaux de l'ouvrage visé au contrat du 7 mars 2018, REJETTE le surplus, CONDAMNE M. [S] [M] à verser à la société Editions Gallimard la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, CONDAMNE M. [S] [M] aux dépens, DIT n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire. Fait et jugé à Paris le 20 juillet 2023. LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000048389773
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 20 juillet 2023, 20/11389
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2023-07-20
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/11389
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 20/11389 No Portalis 352J-W-B7E-CTGZV No MINUTE : Assignation du :04 novembre 2020 JUGEMENT rendu le 20 juillet 2023 DEMANDEUR Monsieur [X] [W][Adresse 3][Localité 6] représenté par Me Inès BOUZAYEN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1517 DÉFENDEURS Société VILLA WILSON[Adresse 5][Localité 7] Société VILLA LES TILLEULS[Adresse 5][Localité 7] Monsieur [M] [I][Adresse 2][Localité 8] S.A.R.L. FONCIERE ESCUDIER[Adresse 5][Localité 7] représentés par Me Arthur ARNO de la SAS LGMA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0182 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation. DEBATS A l'audience du 16 mai 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu le 20 juillet 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE 1. M.[X] [W] est architecte, habilité à exercer la maîtrise d'oeuvre en son nom propre. 2. La société à responsabilité limitée Foncière Escudier a pour activité principale la promotion immobilière. La société civile de construction-vente (ci-après SCCV) Villa Wilson est une société spécifiquement constituée pour supporter le programme sis [Adresse 4] à [Localité 8] (ci-après l'opération Wilson); De même, la SCCV Villa Les Tilleuls a, quant à elle, été constituée pour supporter le programme dont la réalisation était initialement projetée au [Adresse 1] (ci-après l'opération [Localité 10]). M. [H] [I] est le gérant de ces trois sociétés. 3. Par acte sous seing privé du 24 septembre 2018, M. [W], en qualité de maître d'oeuvre et la SCCV Villa Wilson, en qualité de maître de l'ouvrage, ont conclu un contrat de maîtrise d'oeuvre de réalisation et un contrat de conception et de suivi architectural portant sur l'opération immobilière Wilson, comprenant la conception d'un immeuble à usage d'habitation d'environ 700 m2. En revanche, aucun contrat écrit n'a été signé entre M. [W] et la société Villa Les Tilleuls concernant l'opération [Localité 10]. 4. M.[W] est intervenu sur les deux projets Wilson et [Localité 10] en qualité d'architecte, en procédant notamment au dépôt de permis de construire. Les relations entre les parties se sont progressivement dégradées lorsqu'il a été question de la rémunération de M. [W]. 5. Après plusieurs échanges, M. [W] et la SCCV Villa Wilson ont signé un protocole d'accord transactionnel le 29 décembre 2019 portant sur l'opération Wilson. Aucun accord n'est en revanche intervenu entre M.[W] et la SCCV Villa Les Tilleuls, s'agissant de l'opération [Localité 10]. 6. Invoquant à la fois un défaut de paiement des factures adressées et l'atteinte portée à ses droits d'auteur, M. [W] a, par acte d'huissier de justice en date du 04 novembre 2020, fait assigner M. [I], la société Foncière Escudier et les SCCV Villa Wilson et Villa Les Tilleuls, devant le tribunal judiciaire de Paris, en paiement de ses honoraires et en contrefaçon de droits d'auteur. 7. Par une ordonnance du 9 décembre 2021, le juge de la mise en état a :- Rejeté la fin de non-recevoir, tiré de la chose jugée, soulevée par M. [I], la société Fonciere Escudier et la SCCV Villa Wilson, au titre de l'opération Villa Wilson ; - Déclaré irrecevables les demandes formées par M. [W] à l'encontre de la société Foncière Escudier et de M.[I], au titre de l'opération [Localité 10]. 8. Par un arrêt du 5 octobre 2022, la Cour d'appel de Paris a infirmé l'ordonnance précédemment rendue en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. [I] et les sociétés Foncière Escudier et Villa Wilson, tirée de l'obstacle à l'action de M. [W] constitué par le contrat de transaction conclu entre les parties le 29 décembre 2019. Y ajoutant, la Cour a dit M. [W] irrecevable en ses demandes en paiement de frais ou honoraires présentées au titre de l'opération Wilson. 9. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 janvier 2023, M.[X] [W] demande au tribunal de : - Ordonner le retrait immédiat des perspectives litigieuses du site internet de la société Foncière Escudier accessible à l'adresse https://www.fonciere-escudier.fr/programme.php?nIdProgramme_PM=19 sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la date de signification la décision à intervenir, astreinte que le tribunal se réservera le droit de liquider ;- Condamner solidairement les sociétés Villa Wilson, Foncière Escudier et M. [I] à lui verser la somme de 2.000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice patrimonial et 1.500 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral qu'il a subis du fait de la contrefaçon de ses droits d'auteur sur les perspectives issues du Projet Wilson ;- Ordonner à la société Les Tilleuls le paiement de la facture impayée d'un montant de 6.673 euros TTC portant sur l'exécution des documents de vente dans le cadre du projet Les Tilleuls, avec intérêts au taux de 20% à compter du 24 février 2020 ;- Ordonner à la société Les Tilleuls le versement du solde restant dû de ses honoraires à hauteur de 12.000 euros TTC, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision à intervenir ;- Condamner la société Les Tilleuls à lui verser la somme de 15.000 euros de dommages- intérêts en réparation du préjudice patrimonial et 15.000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subis par lui du fait de la contrefaçon de ses droits d'auteur ;- Rejeter l'ensemble des demandes reconventionnelles formulées par la société Les Tilleuls au titre du remboursement des frais engagés par elle dans le cadre du projet Les Tilleuls ;- Condamner solidairement les défendeurs à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens. 10. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 janvier 2023, les sociétés Villa Wilson, Villa Les Tilleuls, Foncière Escudier et M. [I] demandent au tribunal de : - Sur l'opération Villa Wilson, débouter M. [W] de l'ensemble des demandes, fins et prétentions formulées à l'encontre de la société Foncière Escudier, de la SCCV Villa Wilson et de M. [H] [I];- Sur l'opération [Localité 10], débouter M. [W] de l'ensemble des demandes, fins et prétentions formulées à l'encontre de la SCCV Villa Les Tilleuls;- Condamner reconventionnellement M. [W] à verser à la SCCV Villa Les Tilleuls la somme de 18.000 euros à titre de dommages-intérêts;En toute hypothèse,- Condamner M. [W] aux entiers dépens et à leur verser la somme de 3.000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. 11. L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 janvier 2023 et l'affaire a été renvoyée à l'audience de plaidoirie du 16 mai 2023. Le 24 janvier 2023, le juge de la mise en état a fait injonction aux parties de rencontrer un médiateur, ces dernières n'ont toutefois pas souhaité poursuivre la médiation. MOTIFS Sur la contrefaçon de droit d'auteur portant sur les perspectives du projet Villa Wilson Moyens des parties 12. Dénonçant la publication de la perspective arrière du bâtiment du programme Villa Wilson sur le site internet de la société Foncière Escudier sans son autorisation, M. [W] estime qu'il a été porté atteinte à son droit d'auteur. Il indique en avoir imaginé les éléments et effectué les choix esthétiques, très différents des premiers plans et perspectives d'origine créés par le précédent architecte intervenu sur le projet. Il précise avoir donné des instructions précises au perspectiviste qui n'a eu qu'un rôle technique consistant à modéliser en trois dimensions les plans réalisés en deux dimensions. Il expose que ces perspectives, qui sont des représentations visuelles des façades du futur bâtiment, sont originales au regard des choix esthétiques opérés, alors qu'il avait une large liberté de création, et énonce les caractéristiques qui, selon lui, traduisent l'empreinte de sa personnalité. Il considère qu'en publiant la perspective sur le site internet sans son autorisation, la SCCV Villa Wilson a porté atteinte à son droit patrimonial d'auteur, soulignant avoir ainsi participé au succès de l'opération de vente sans contrepartie, et à son droit moral, puisque son nom n'a pas été mentionné. Il rappelle que la transaction conclue ne portait pas sur la cession de droit d'auteur. 13. Les sociétés Foncière Escudier, Villa Wilson et M. [I] soutiennent que le document litigieux n'est qu'une mise en perspective des plans de l'architecte, et qu'il est dépourvu, en tant que tel, d'originalité. Elles font valoir que la perspective ne présente aucune originalité intrinsèque par rapport aux plans versés au dossier de demande de permis de construire, les seules différences résidant dans l'angle de vue choisi, la représentation du ciel et de certains éléments de décors qui correspondent aux standards des vues commerciales utilisées par les promoteurs pour la commercialisation de logements neufs. Elles font également valoir que les couleurs des façades, les menuiseries anthracites, le dimensionnement et l'espacement des ouvertures en façade de l'immeuble mis en perspective sont des caractéristiques banales similaires à celles des projets portés par d'autres SCCV du groupe auxquels M. [W] n'a pas pris part. Elles en concluent que M. [W], qui liste ces caractéristiques sans effort pour démontrer l'originalité, n'a effectué aucun choix esthétique.En toute hypothèse, elles estiment qu'il n'y a pas de préjudice indemnisable. Elles contestent tant le préjudice patrimonial allégué, estimant que la vocation d'une vue en perspective est d'être utilisée à des fins commerciales, que l'atteinte au droit moral, soulignant que la mise en perpective a été commandée à un tiers. Appréciation du tribunal 14. L'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que « l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code. [?] » 15. La protection d'une oeuvre de l'esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. Dans ce cadre toutefois, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur dont l'existence est contestée de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il revendique. En effet, seul l'auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole et le principe de la contradiction posé par l'article 16 du code de procédure civile commande que le défendeur puisse connaître précisément les caractéristiques qui fondent l'atteinte qui lui est imputée et apporter la preuve qui lui incombe de l'absence d'originalité. 16. Le droit d'auteur est conféré, selon l'article L. 112-1 du code, à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit quels qu'en soit le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination. Sont notamment considérées comme oeuvres de l'esprit, en vertu de l'article L. 112-2, "7o Les oeuvres de dessin, de peinture, d'architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie; [?]12o Les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture et aux sciences ; [...]» 17. Il est ainsi constant que la formalisation d'une oeuvre architecturale peut se faire à travers plusieurs types de supports: l'ouvrage lui-même, son image ou des plans précis, ceci comprenant les maquettes, même s'il s'agit d'une représentation numérique qu'elle soit ou non figée. 18. L'article L. 122-3 du code de la propriété intellectuelle dispose enfin que "la reproduction consiste dans la fixation matérielle de l'oeuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d'une manière indirecte.Elle peut s'effectuer notamment par imprimerie, dessin, gravure, photographie, moulage et tout procédé des arts graphiques et plastiques, enregistrement mécanique, cinématographique ou magnétique.Pour les oeuvres d'architecture, la reproduction consiste également dans l'exécution répétée d'un plan ou d'un projet type." 19. En l'espèce, M. [W] produit aux débats une capture d'écran du site internet de la société Foncière Escudier, sur laquelle figure, notamment, la perspective de la vue arrière du bâtiment du programme Villa Wilson qu'il a faite réaliser dans le cadre de sa mission, ce qui n'est pas contesté par les sociétés défenderesses. En effet, la réalisation de ces vues commerciales en perpective est une prestation prévue dans le contrat de conception signé le 24 septembre 2018 avec la SCCV Villa Wilson (en page 3). M. [W] produit également la facture no2 portant sur la "Perspective sur jardin" qu'il lui a adressée le 16 juin 2020. Façade arrière Façade avant 20. La maquette numérique d'un projet architectural peut être protégée par le droit d'auteur lorsqu'elle est une reproduction fidèle et en tous points d'un plan original ou lorsque, indépendamment de l'oeuvre architecturale, elle remplit, en elle-même, la condition d'originalité. 21. M. [W] estime que les perspectives litigieuses, réalisées à sa demande par un perspectiviste, constituent un document créatif original en ce que: - Les dimensions de baies vitrées et fenêtres ne sont pas communes pour ce type d'habitation et confèrent au bâtiment un rendu moderne contrastant volontairement avec les bâtiments plus classiques présents autour, - La partie basse du bâtiment visible sur la perspective arrière de couleur grise rappelle le matériau utilisé pour la toiture et créée une symétrie verticale, peu utilisée dans les bâtiments de la région,- L'absence volontaire de lucarne en relief au dernier étage du bâtiment contraste avec une architecture classique des immeubles de la région et accentuent le style moderne qu'il recherchait,- Le défaut de régularité parfaite dans les dimensions de fenêtres représentées dans la perspective avant n'est imposé par aucun impératif technique et relève d'un choix purement esthétique,- Les couleurs utilisées ont été choisies dans un impératif esthétique, le dégradé de bleu du ciel a été travaillé pour mettre en valeur le bâtiment, il indique également avoir refusé d'opérer des modifications demandées par M. [I], - L'angle de vue ne répond à aucun impératif technique et est différent pour l'une et l'autre des perspectives, - L'aménagement de la cour intérieure représentée sur la première perspective résulte d'un choix personnel. 22. Il s'agit, au cas d'espèce, d'une mise en perspective de plans déposés dans le cadre du permis de construire modificatif. M. [W] expose en effet qu'un premier architecte a travaillé sur les plans du bâtiment avant qu'il ne soit chargé de déposer un permis de construire modificatif afin, notamment, de modifier la surface du permis initial et le nombre de logements. Or, le plan de la façade déposé par la SCI 9 Darboy dans le cadre de la première demande de permis de construire, est versé aux débats. Le toit en zinc, les lucarnes sur le toit ainsi que les huissieries anthracites y figurent déjà. M. [W] n'explique pas en quoi les choix qu'il a opérés dans le cadre de l'élaboration des plans déposés pour le permis de construire modificatif sont originaux, qu'il s'agisse de la couleur du toit, de la façade ou de la taille des ouverture. Il s'agit en outre de caractéristiques relativement courantes dans la conception d'un bâtiment neuf, qu'il s'agisse de son aspect extérieur comme de l'agencement de ses volumes. 23. M. [W] n'explique pas non plus utilement en quoi les particularités des représentations numériques, en elles-mêmes, caractérisent l'empreinte de sa personnalité d'auteur, alors qu'il s'agit de standards de vues commerciales usuellement utilisés par les promoteurs dans les plaquettes commerciales des programmes neuf. De fait, la représentation des éléments du décors, utile pour permettre au potentiel acheteur de se projeter, le bleu du ciel, les végétaux, le mobilier de jardin utilisés pour agrémenter l'image ne suffisent pas à établir la recherche d'une esthétique particulière. Enfin, M. [W], qui affirme que le perspectiviste n'a eu qu'un simple rôle technique, ne justifie pas des directives qu'il a pu lui donner pour la réalisation des images, qu'il s'agisse de l'inclinaison de la lumière ou l'angle de vue utilisé. Il ne démontre pas qu'il s'agit de choix qui lui sont propres.24. Par conséquent,il y a lieu de considérer que les perspectives du futur bâtiment ne remplissent pas la condition d'originalité requise pour bénéficier d'une protection au titre du droit d'auteur. Les demandes de M. [W] fondées sur la contrefaçon de droit d'auteur seront donc rejetées. Sur le projet Villa Les Tilleuls Sur la contrefaçon de droit d'auteur Moyens des parties 25. M. [W] soutient être titulaire de droits d'auteur sur les plans et perspectives fournies dans le cadre du projet Villa Les Tilleuls [Localité 10], qu'il estime originaux, indiquant notamment avoir fait un choix esthétique de contraste volontaire dans les formes et les volumes, mais également la couleur des façades, des toitures, les textures et les formes qui se distinguent des bâtiments classiques. Il soutient que l'utilisation de ses plans et perspectives dans le cadre du recours administratif devant le tribunal administratif de Montreuil sans son autorisation et sans contrepartie financière constitue une violation de ses droits d'auteurs. Il soutient avoir subi un préjudice moral car son nom a été associé à un dossier de refus de permis de construire alors qu'il n'était plus décisionnaire dans ce projet. Il ajoute que cela a affecté son image auprès des services administratifs des communes du ressort du tribunal aministratif de Montreuil et qu'il n'a obtenu depuis aucun chantier sur la commune [Localité 10]. 26. La société Villa Les Tilleuls réplique que la communication des plans établis par M. [W] aux services chargés d'instruire la demande de permis de construire ne peut constituer un acte de communication au public au sens du code de la propriété intellectuelle et qu'en outre M. [W] les a lui-même communiqués à l'administration. Elle soutient qu'il s'agit d'un acte nécessaire à l'accomplissement d'une procédure juridictionnelle au sens de l'article L. 331-4 du code de la propriété intellectuelle. Elle en conclut qu'elle n'a commis aucun acte de contrefaçon. Appréciation du tribunal 27. L'article L. 331-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que "Les droits mentionnés dans la première partie du présent code [La propriété littéraire et artistique] ne peuvent faire échec aux actes nécessaires à l'accomplissement d'une procédure parlementaire de contrôle, juridictionnelle ou administrative prévue par la loi, ou entrepris à des fins de sécurité publique." 28. Cette disposition est issue de la loi no98-536 du 1er juillet 1998 qui a transposé la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996, en l'occurrence l'article 6.2 c), avant d'être étendue par l'article 5. 3 e) de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information. La loi du 1er juillet 1998 a généralisé le principe qu'elle énonce, au-delà de la question des bases de données. 29. La Cour de justice de l'Union Européenne, interrogée sur la notion de "communication au public" au sens de la de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, a dit pour droit: "L'article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, doit être interprété en ce sens que la notion de « communication au public », visée à cette disposition, ne couvre pas la transmission par voie électronique à une juridiction, à titre d'élément de preuve dans le cadre d'une procédure judiciaire entre particuliers, d'une oeuvre protégée." (CJUE, 5e ch., 28 oct. 2020, aff. C-637/19, BY c/ CX) 30. En l'espèce, au soutien de sa demande fondée sur la contrefaçon de droit d'auteur, M. [W] invoque, s'agissant des plans, la présentation d'un bâtiment rectangulaire au toit triangulaire strict, contrastant avec le reste du bâtiment de taille plus volumineus, présentant un toit arrondi, l'alternance des couleurs des façades et toitures en fonction des bâtiments et, s'agissant des perspectives, des angles de vue, d'une colorimétrie plus claire et des personnages et oiseaux ajoutés pour contextualiser le bâtiment. 31. Les défenderesses ne discutent pas formellement dans leurs conclusions, l'originalité des documents, plans et perspectives évoqués. Il sera toutefois observé que M. [W] ne procède à aucune démonstration s'agissant des plans, à l'exception de celui représentant la façade sud, pour lequel il se livre à une description sommaire, se contentant d'énumérer quelques éléments strictement descriptifs, insuffisants pour caractériser l'empreinte de sa personnalité d'auteur. 32. En tout état de cause, le fait que les plans et perspectives querellés aient pu figurer dans le dossier de recours pour excès de pouvoir introduit par la SCCV Villa Les Tilleuls pour contester l'arrêté de refus de délivrance du permis de construire par le maire de la commune [Localité 10] ne saurait caractériser la reproduction non autorisée d'une oeuvre, alors qu'il s'agit d'un acte nécessaire à l'accomplissement d'une procédure juridictionnelle au sens des dispositions précitées. Il est en effet constant que le droit d'auteur ne peut être invoqué pour faire obstacle à la production d'une pièce en justice. 33. La contrefaçon n'est donc pas caractérisée et M. [W] sera débouté de sa demande de dommages-intérêts. Sur la demande en paiement et les demandes reconventionnelles 34. M. [W] sollicite le paiement d'une facture transmise à la société Villa Les Tilleuls le 24 janvier 2020 d'un montant de 5.561 HT soit 6.673 TTC, correspondant à la réalisation des documents de vente fournis selon lui à la demande de M. [I]. Il soutient avoir exposé à M. [I], avant de débuter sa mission, qu'il souhaitait obtenir le paiement d'un honoraire forfaitaire à hauteur de 10.000 euros HT, soit 12.000 euros TTC, correspondant aux démarches de dépôt du permis de construire, dont il demande le paiement. Il soutient que les diligences qu'il a accomplies dans le cadre de l'opération [Localité 10] afin de procéder au dépôt du permis de construire, telles que l'étude de projet, la notice descriptive, les plans et documents de vente et la réalisation du dossier de demande de permis de construire n'ont jamais été rémunérées.Il soutient que sa responsabilité ne peut être engagée pour défaut d'obtention du permis de construire. Rappelant qu'il n'est tenu que d'une obligation de moyen, il affirme n'avoir commis aucune faute dans l'exécution de sa mission et qu'un permis de construire modificatif aurait pu être déposé.M. [W] soutient que M. [I] ne souhaitait plus poursuivre le projet et qu'il a saisi cette opportunité pour tout arrêter. Il fait valoir que les frais dont la société Villa Les Tilleuls demande le remboursement étaient nécessaires à la réalisation du projet, si bien qu'il ne peut lui en être demandé le remboursement. 35. La société Foncière Escudier, la SCCV Villa Les Tilleuls et M. [I] répliquent que les sommes dont M. [W] sollicite le paiement n'ont fait l'objet d'aucun accord écrit entre les parties, alors que l'architecte est déontologiquement tenu de disposer d'un tel contrat avant de débuter sa mission. Elles font valoir que M. [W] n'apporte aucun élément permettant d'apprécier la réalité des diligences accomplies et d'en arrêter la valeur. Elles soutiennent en tout état de cause que M. [W] a commis une faute engageant sa responsabilité de nature à le priver de tout droit à rémunération dans la mesure où il a soumis un dossier de demande de permis de construire contraire aux dispositions des documents d'urbanisme de la commune [Localité 10] et qu'il n'a proposé aucune alternative. La société Villa Les Tilleuls sollicite également, la réparation du préjudice résultant des autres frais engagés pour l'obtention du permis de construire dans le cadre du projet [Localité 10] à savoir, les honoraires du géomètre expert pour le relevé topographique du terrain d'assiette et du bureau d'études de sol, qui ont été engagés à perte en raison du refus de délivrance du permis de construire confirmé par le tribunal administratif de Montreuil. Appréciation du tribunal 36. Il est constant, en l'espèce, qu'aucun contrat n'a été conclu entre les parties s'agissant de l'intervention de M. [W] dans le cadre du projet Villa Les Tilleuls [Localité 10]. 37. Si les règles déontologiques applicables à la profession d'architecte recommandent la signature d'un contrat écrit comportant les tarifs de l'intervention, l'architecte peut rapporter la preuve de l'existence du contrat dont il demande l'application, en application du droit commun des contrats. 38. L'article 1359 du Code civil en son premier alinéa dispose que "l'acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret, doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique", l'article 1er du décret no80-533 du 15 juillet 1980 pris pour l'application de l'article 1341 du code civil fixant la somme ou valeur énoncée à 1.500 euros. La preuve du contrat peut résulter d'un commencement de preuve par écrit, complété par des éléments pertinents. 39. En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que les parties, qui étaient déjà en relation d'affaires concernant un autre programme immobilier, ont échangé sur les termes d'un contrat d'architecte concernant l'opération immobilière Villa Les Tilleuls. 40. En effet, dans un email du 19 juin 2018, la société Foncière Escudier a adressé à M. [W] le projet de contrat usuellement utilisé dans de telles opérations de construction et a sollicité de sa part la transmission d'une proposition financière. M. [W] a répondu par email proposer "un taux de 7,5% du montant des travaux pour une mission complète incluant les BET thermique et acoustique" et souhaiter un honoraire forfaitaire pour le dépôt du permis de construire à hauteur de 10 000 euros HT. Il a également émis des réserves concernant la clause du contrat relative à la propriété intellectuelle de l'oeuvre de l'architecte et a indiqué que les pénalités de retard fixées à 1.000 euros par jour de retard lui semblaient élevées. Ces points apparaissent être à l'origine de l'absence d'aboutissement des négociations, la société Foncière Escudier opposant, dans son email du 25 juin 2018, qu'il s'agit des conditions contractuelles habituellement appliquées. Elle n'a pas répondu à la proposition financière. 41. Il n'est pas contesté que M. [W] a effectivement réalisé plusieurs prestations, sans que les sociétés défenderesses ne s'y opposent, ces dernières lui indiquant au contraire par email, la nécessité de communiquer les documents demandés dans l'urgence. Il est ainsi justifié de la rédaction par M. [W] d'une étude de projet, un document de douze pages comportant une étude de plans, plans de masse, volumétrie, surfaces, coût prévisionnel et des documents et plans nécessaires au dépôt de la demande de permis de construire. 42. M. [W] a adressé le 24 janvier 2020 une facture à la SCCV Les Tilleuls portant sur la prestation "réalisation de plans de vente" pour un montant HT de 5.561 euros, soit 6.673,20 euros TTC qui n'a pas été réglée. 43. Si la SCCV Les Tilleuls ne reconnaît aucun accord sur les sommes réclamées par M. [W], elle admet, dans ses conclusions, avoir considéré que ce dernier avait été mandaté sur la base des données connues au jour où il a accepté de débuter sa mission, en particulier s'agissant du coût prévisionnel de la construction année de 1.450.000 euros. 44. En outre, dans le cadre des discussions entre les parties, qui n'ont certes pas abouti à la conclusion d'une transaction, M. [I] a indiqué qu'il serait d'accord pour règler les documents de vente pour un montant de 4.600 euros HT outre 522 euros d'assurances, soit 5.122 euros HT, sous conditions. 45. Dès lors, au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que la preuve de l'existence d'un contrat comportant la rédaction d'une étude de projet et des documents et plans pour le dépôt de la demande de permis de construire est démontré sur la base des données connues par les parties au moment de leur engagement, à savoir 5.561 euros HT, soit 6.673,20 euros TTC, pour les documents de vente et un honoraire pour l'architecte en contrepartie du dépôt du dossier de permis de construire, à hauteur de 10.000 euros HT. Les prestations afférentes ont bien été exécutées. 46. La SCCV Villa Les Tilleuls, Foncière Escudier et M. [I] opposent toutefois une faute commise par M. [W] dans le cadre de l'exécution de sa mission de nature à le priver, selon elles, de sa rémunération et de la contrepartie contractuellement prévue. 47. Aux termes des dispositions de l'article 1217 du Code civil, "la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut [...] demander réparation des conséquences de l'inexécution." Par ailleurs, l'article 1231-1 du Code civil dispose que "Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure". 48. Il est constant que l'architecte est redevable d'une obligation de moyens à l'égard du maître d'ouvrage, nécessitant ainsi la preuve d'une faute en lien avec le préjudice allégué pour engager sa responsabilité contractuelle (Cass. 3e civ., 3 oct. 2001, no 00-13.718, Cass. 3e civ., 4 déc. 2012, no 11-19.370). Chargé de la conception d'un projet et de l'établissement des plans du permis de construire, il est tenu à un devoir de conseil envers le maître de l'ouvrage; Il doit concevoir un projet réalisable, qui tient compte des contraintes du sol (Cass. 3e Civ., 25 févr. 1998, no96-10.598). Il lui appartient en effet de respecter les dispositions des règlements d'urbanisme dont la connaissance relève de son art (Cass. 3e civ., 12 sept. 2012, no 10-28.167). 49. Les obligations de l'architecte, en sus de l'obligation générale de conseil et de renseignement à laquelle il est tenu, dépendent de l'étendue des missions qui lui ont été confiées par le maître d'ouvrage. En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que M. [W] s'est vu confier la responsabilité d'établir une étude préliminaire du projet et de préparer les documents afin de déposer une demande de permis de construire, ce qu'il a fait. 50. Par une décision du 14 octobre 2019, le maire de la commune [Localité 10] a refusé de délivrer le permis de construire valant permis de démolir sollicité, au motif que la demande ne respectait pas le plan local d'urbanisme de la commune [Localité 10]. Les motifs justifiant cette décision portent en premier lieu sur la gestion des eaux pluviales. L'arrêté no19-U163 de refus de délivrance du permis souligne que le projet fait apparaître un bassin de rétention des eaux non-conforme à l'article UE 4.3.2. et note que la création d'un tel bassin conduira à reprendre le calcul de l'emprise au sol et de la surface végétalisée pour que cela demeure conforme au plan local d'urbanisme. Les motifs soulignent en second lieu que l'article UE 10.1 du PLU n'est pas davantage respecté puisque les lucarnes de la façade du projet donnant sur l'[Adresse 9] sortent de l'enveloppe et du gabarit autorisé, ce qui rend le projet non conforme. 51. Le tribunal administratif de Montreuil a, par jugement du 4 novembre 2020, rejeté la requête de la SCCV Villa Les Tilleuls, soulignant que deux motifs retenus suffisent à rejeter la demande de permis de construire: l'absence de bassin à ciel ouvert et faiblement décaissé et la violation de l'article UE 10 du règlement du plan local d'urbanisme concernant les saillies sur le plan de toiture, qui doivent s'inscrire à l'intérieur du gabarit-enveloppe. 52. M. [W] ne justifie pas, comme il l'affirme, avoir proposé au promoteur, avant la présente procédure, de déposer un permis de construire modificatif, plutôt que de saisir la juridiction administrative. Il n'est pas non plus démontré qu'il a proposé des corrections à ses plans pour les mettre en conformité avec les irrégularités relevées. 53. Dès lors, en méconnaissant des règles d'urbanisme qu'il était tenu de connaître par ses obligations professionnelles, M. [W] a commis des fautes qui ont entraîné le refus de délivrance du permis de construire, de nature à engager sa responsabilité contractuelle à l'égard du maître d'ouvrage. 54. Dès lors, en réparation du préjudice subi par la SCCV Villa Les Tilleuls qui n'a pas obtenu son permis de construire, il convient de fixer l'indemnité due en réparation du préjudice résultant de cette faute à hauteur du montant des honoraires réclamés par l'architecte pour le dépôt de ce permis de construire. 55. En revanche, les sociétés défenderesses affirment, sans le démontrer, qu'il n'était pas possible de déposer un permis de construire modificatif et que de ce fait, l'ensemble des frais, qu'il s'agisse de la facturation des documents de vente, des frais de géomètre expert pour procéder au relevé topographique du terrain d'assiette et la facture du BET, ont été exposés en pure perte. De fait, ces dépenses devaient nécessairement être exposées pour déposer le permis de construire, et les sociétés allèguent sans citer de pièce à l'appui de leur affirmation, que le PLU de la commune aurait changé et que la promesse de vente du terrain, qui n'est pas produite, aurait entre temps expiré. Au contraire, dans son courriel du 18 septembre 2019, M. [I] évoquait d'autres difficultés rencontrées sur le projet (dépassement de budget etc) et dans un email du 22 novembre 2019, évoquait l'hypothèse de poursuivre le projet avec un autre architecte. 56. Par conséquent, la SCCV Villa Les Tilleuls sera tenue au paiement de la somme de 6.673 euros TTC concernant la facturation des documents de vente, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'assignation, l'avis de réception de la lettre du 10 juillet 2020 n'étant pas produite. M. [W] sera en revanche débouté de sa demande en paiement d'honoraires à hauteur de 12.000 euros TTC, de même que la SCCV Villa Les Tilleuls sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 18.000 euros. Sur les demandes annexes 57. En équité, chacune des parties conservera la charge de ses frais et dépens. 58. Les demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées. 59. L'exécution provisoire de la présente décision est de droit. PAR CES MOTIFS LE TRIBUNAL DÉBOUTE M. [W] de l'ensemble de ses demandes fondées sur la contrefaçon de droit d'auteur; CONDAMNE la SCCV Les Tilleuls à payer à M. [W] la somme de 6.673 euros portant sur l'exécution des documents de vente dans le cadre du projet Les Tilleuls, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'assignation; DÉBOUTE M. [W] de sa demande en paiement de ses honoraires à hauteur de 12.000 euros TTC; DÉBOUTE la SCCV Villa Les Tilleuls de sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 18.000 euros; DIT que chacune des parties conservera la charge de ses dépens; REJETTE les demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile; RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit par provision. Fait et jugé à Paris le 20 juillet 2023. LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000048389774
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 20 juillet 2023, 23/07447
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2023-07-20
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Tribunal judiciaire de Paris
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23/07447
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 23/07447 No Portalis 352J-W-B7H-C2ASG No MINUTE : Assignation du :26 mai 2023 JUGEMENT SELON LA PROCEDURE ACCELEREE AU FONDrendu le 20 juillet 2023 DEMANDERESSE SOCIETE CIVILE DES PRODUCTEURS PHONOGRAPHIQUES (SCPP)[Adresse 3][Localité 12] représentée par Me Nicolas BOESPFLUG, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0329 DÉFENDERESSES S.A. SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE -SFR[Adresse 4][Localité 7] S.A.S. SFR FIBRE[Adresse 1] [Localité 9] représentées par Me Pierre-Olivier CHARTIER de l'ASSOCIATION CBR & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0139 S.A. ORANGE[Adresse 2][Localité 11] représentée par Me Christophe CARON de l'AARPI CABINET CHRISTOPHE CARON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0500 S.A.S. FREE[Adresse 10][Localité 6] représentée par Me Yves COURSIN de l'AARPI COURSIN CHARLIER AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #C2186 S.A. BOUYGUES TELECOM[Adresse 5][Localité 8] représentée par Me François DUPUY de la SCP HADENGUE et Associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0873 MAGISTRAT Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe,assistée de Madame Caroline REBOUL, Greffière, DÉBATS Avec l'accord des parties, la procédure s'est déroulée sans audience conformément aux dispositions de l'article L212-5-1 du code de l'organisation judiciaire. Avis a été donné aux avocats par bulletin du 27 juin 2023 que la décision serait rendue le 20 juillet 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE La société civile des producteurs phonographiques (ci-après "SCPP") est un organisme professionnel de gestion des droits des producteurs de musique ayant vocation à défendre ses membres auprès des diffuseurs et utilisateurs de musique. Les sociétés Orange, Free, SFR, SFR Fibre et Bouygues Telecom sont des opérateurs de communications qui commercialisent notamment des offres de téléphonie et d'accès à internet sur le territoire français. La SCPP expose avoir constaté que les sites internet "yt5s", "yt1ss" et "yt2meta", exploités sous différents noms de domaine, permettaient illicitement (gratuitement) aux internautes de télécharger des phonogrammes de son répertoire (en principe accessibles au téléchargement uniquement contre paiement d'un abonnement rémunérant les auteurs et producteurs). La SCPP a, par actes d'huissiers des 26 et 30 mai 2023 fait assigner, selon la procédure accélérée au fond, les sociétés Orange, Free, SFR, SFR Fibre et Bouygues Telecom, à l'audience du 27 juin 2023, devant le président du tribunal judiciaire de Paris en vue d'obtenir la mise en oeuvre, par ces derniers, en leur qualité de principaux fournisseurs d'accès à internet, des mesures propres à empêcher l'accès par leurs abonnés à ces sites à partir du territoire français et à faire cesser les atteintes aux droits de leurs membres. Aux termes de son assignation, la SCPP demande au tribunal de : - Dire et juger que les sites "yt5s", "yt1ss" et "yt2meta" portent atteinte aux droits des producteurs de phonogrammes membres de la SCPP. - Ordonner aux sociétés Orange, Free, SFR, SFR Fibre et Bouygues Telecom de mettre en oeuvre toutes mesures propres à empêcher l'accès aux sites "yt5s", "yt1ss" et "yt2meta" à partir du territoire français par leurs abonnés notamment par le blocage des noms de domaine : <yt5s.com>, <yt5s.io>, <yt1ss.net> et <y2meta.com>, au plus tard dans les quinze jours de la signification de la décision à intervenir et pendant une durée de dix-huit mois à compter de cette décision.- Dire que les fournisseurs d'accès à internet devront informer la SCPP de la mise en oeuvre des mesures ordonnées.- Dire qu'en cas d'évolution du litige, la SCPP pourra saisir le Président du Tribunal judiciaire de Paris statuant selon la procédure accélérée au fond aux fins d'actualisation des mesures ordonnées.- Dire que le coût de la mise en oeuvre des mesures ordonnées restera à la charge des fournisseurs d'accès à internet.- Dire que chaque partie conservera la charge de ses frais et dépens. - Rappeler le caractère exécutoire de droit à titre provisoire de la décision à intervenir. Aux termes de ses conclusions communiquées électroniquement le 22 juin 2023, la société Orange demande au tribunal, au visa de l'article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle, de : - Donner acte que la société Orange ne s'oppose pas à la mesure de blocage sollicitée par la demanderesse dès lors qu'elle réunit les conditions cumulatives, exigées par le droit positif, que sont : la preuve de l'atteinte au droit d'auteur, le caractère judiciaire préalable et impératif de la mesure dans son principe, son étendue et ses modalités, y compris pour son actualisation ; la liberté de choix de la technique à utiliser pour réaliser le blocage ; la durée limitée de la mesure. - Déclarer que, dans un délai de quinze jours à compter de la signification de la décision à intervenir, la société Orange ne peut être enjointe que de bloquer l'accès aux seuls noms de domaine précisément mentionnés dans l'assignation.- Prendre acte que la société Orange s'en remet à sa décision concernant la durée de 18 mois des mesures de blocage sollicitée par la demanderesse.- Déclarer que la demanderesse doit indiquer au conseil de la société Orange si les noms de domaine visés ne sont plus actifs, en parallèle de la signification de la décision à venir et par lettre officielle, afin de préciser qu'il n'est plus nécessaire de procéder au blocage de ceux-ci. - Déclarer que la société Orange procédera au blocage des noms de domaine en recourant à la liste figurant dans le tableau Excel communiqué par la demanderesse tel que le Tribunal pourra l'annexer au jugement comme faisant partie de la minute. - Déclarer que la demanderesse doit indiquer au conseil de la société Orange, postérieurement à la décision, la fermeture des sites auxquels renvoient les noms de domaine visés par la décision à venir, et dont ils auraient connaissance, afin que la mesure de blocage puisse être levée. - Dire que chaque partie conservera à sa charge ses frais et dépens. Aux termes de ses conclusions communiquées électroniquement le 09 juin 2023, la société Free demande au tribunal de : - Ordonner que tous éventuels blocage de noms de domaine ne pourront être pris que sous le contrôle de l'autorité judiciaire, et vis-à-vis des seuls quatre (4) noms de domaine litigieux précisément mentionnées par le demandeur dans son tableau Excel constituant la pièce communiquée no1 ; - Ordonner que, pour l'identification des noms de domaine concernés, la décision à intervenir renverra expressément audit fichier Excel ; - Autoriser, et, en tant que de besoin, ordonner, que pour l'exécution de la décision, la société Free pourra utiliser directement le support numérique constitué par ce fichier Excel communiqué par le demandeur (pièce Free no1) ; - Fixer un délai de quinze jours à compter de la signification de votre décision, pour que d'éventuels blocages des noms de domaine soit mis en oeuvre, et ce, selon les modalités que la société Free estimera les plus adaptées à l'objectif à remplir en fonction, notamment des contingences de son réseau et des difficultés éventuellement exceptionnelles auxquelles elle pourra être confrontée ; - Fixer la durée des éventuels blocages des noms de domaine à dix-huit mois à compter de la décision à intervenir ; - Ordonner que la SCPP devra avertir officiellement la société Free dans l'hypothèse où le(s) noms de domaine(s) dont elle aurait obtenu le blocage deviendrai(en)t inactif(s) ou, si les sites concernés ne posaient plus problème ; - Statuer ce que de droit quant aux dépens. Aux termes de ses conclusions communiquées électroniquement le 15 juin 2023, les sociétés SFR et SFR Fibre demandent au tribunal, au visa de l'article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle, de : - Apprécier si la SCPP a qualité à agir et si l'atteinte qu'elle invoque est constituée ; - Apprécier s'il est proportionné et strictement nécessaire à la protection des droits en cause, au regard notamment (i) des risques d'atteinte au principe de la liberté d'expression et de communication (risques d'atteintes à des contenus licites et au bon fonctionnement des réseaux) (ii) de l'importance du dommage allégué, (iii) des risques d'atteinte à la liberté d'entreprendre des FAI, et (iv) du principe d'efficacité, d'ordonner aux FAI, dont SFR et SFR Fibre, la mise en oeuvre des mesures de blocage sollicitées ; Si le Président considère qu'il est proportionné et strictement nécessaire à la protection des droits en cause d'ordonner la mise en oeuvre par les FAI, dont SFR et SFR Fibre, de mesures de blocage du Site, il lui est demandé de : - Enjoindre SFR et SFR Fibre de mettre en oeuvre, dans un délai de quinze jours à compter de la signification de la décision à intervenir et pendant une durée de dix-huit mois à compter de la décision à intervenir, des mesures propres à prévenir l'accès de leurs abonnés, situés sur le territoire français, aux noms de domaine suivants : [...]- Dire que les FAI, dont SFR et SFR Fibre, disposeront d'un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à intervenir pour implémenter les mesures de blocage sollicitées par la SCPP ; - Dire que les mesures de blocage mises en oeuvre par les FAI, dont SFR et SFR Fibre, seront limitées à une durée de dix-huit mois à compter de la présente décision, à l'issue de laquelle la SCPP devra saisir la présente juridiction, afin de lui permettre d'apprécier la situation et de décider s'il convient ou non de reconduire lesdites mesures de blocage ; - Dire que les parties pourront saisir la présente juridiction en cas de difficultés ou d'évolution du litige ; - Condamner la SCPP aux dépens de la présente instance. Aux termes de ses conclusions communiquées électroniquement le 15 juin 2023, la société Bouygues Telecom demande au tribunal, au visa de l'article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle, de : - Apprécier si la SCPP a qualité à agir ;- Apprécier l'atteinte aux droits d'auteur et aux droits voisins invoquée par la SCPP, - Apprécier si les demandes de la SCPP respectent le principe de proportionnalité, En tout état de cause, dans l'hypothèse où la demande de blocage serait jugée fondée, - Enjoindre à la société Bouygues Telecom de mettre en oeuvre les mesures propres à empêcher l'accès de ses abonnés, situés sur le territoire français, aux noms de domaine <yt5s.com>, <yt5s.io>, <yt1ss.net> et <y2meta.com> dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à intervenir et pour une durée de 18 mois à compter de la décision à intervenir, - Dire que la SCPP devra indiquer aux conseils des fournisseurs d'accès à internet, dont la société Bouygues Telecom, si les noms de domaine visés dans son assignation ne sont plus actifs afin que les mesures de blocage ordonnées le concernant puissent être levées, - Laisser à la charge de la SCPP le paiement des entiers dépens de l'instance. Conformément aux dispositions de l'article L. 212-5-1 du code de l'organisation judiciaire, la procédure s'est déroulée sans audience et l'affaire a été mise en délibéré au 20 juillet 2023. MOTIFS DU JUGEMENT I- Sur la qualité à agir de la Société civile des producteurs phonographiques Aux termes de l'article L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle, "Le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction." L'article L. 122-2 du même code précise que "La représentation consiste dans la communication de l'oeuvre au public par un procédé quelconque, et notamment : 2o Par télédiffusion. La télédiffusion s'entend de la diffusion par tout procédé de télécommunication de sons, d'images, de documents, de données et de messages de toute nature." et l'article L. 122-3 que "La reproduction consiste dans la fixation matérielle de l'oeuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d‘une manière indirecte." Selon l'article L. 122-4 de ce même code, "Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite." De la même manière, l'article L. 213-1 alinéa 2 prévoit que "L'autorisation du producteur de phonogrammes est requise avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l'échange ou le louage, ou communication au public de son phonogramme autres que celles mentionnées à l'article L. 214-1." Enfin, il résulte de l'article L. 336-2 de ce même code qu' "En présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d'un service de communication au public en ligne, le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les oeuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des organismes de gestion collective régis par le titre II du livre III ou des organismes de défense professionnelle visés à l'article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. La demande peut également être effectuée par le Centre national du cinéma et de l'image animée." Aux termes de ses statuts, la SCPP est un organisme de gestion collective des droits des producteurs de phonogrammes, régie par le Titre II du Livre III du code de la propriété intellectuelle, qui a notamment pour objet la défense de l'intérêt collectif de la profession exercée par ses membres (article 3, 1o) et l'action en justice pour défendre les droits qu'elle exerce en son nom propre ou au nom des associés pour faire cesser et sanctionner toutes infractions aux droits qui leur sont reconnus par le code de la propriété intellectuelle (article 3, 4o). Il résulte de l'ensemble de ces éléments que cet organisme est recevable à agir afin de faire cesser la mise à disposition du public, en ligne, et non autorisée des phonogrammes de son répertoire. II- Sur l'atteinte aux droits d'auteur ou aux droits voisins La mesure de blocage, que seule l'autorité judiciaire peut prononcer, suppose que soit caractérisée, préalablement, une atteinte à des droits d'auteur ou à des droits voisins. Les procès-verbaux des agents assermentés versés aux débats établissent que les sites, qui s'adressent à un public francophone, permettent aux internautes de télécharger gratuitement des oeuvres phonographiques sans autorisation des titulaires des droits à partir de la plateforme YouTube, ce qui n'est en principe possible que contre le paiement d'un abonnement permettant la rémunération des titulaires de droits. Les procès-verbaux mettent également en évidence la présence de nombreuses fenêtres publicitaires sur ces sites. a. Il est ainsi établi par les procès-verbaux des 29 mars et 11 mai 2023 produits dans le cadre de la présente procédure, que le site "yt5s" met à disposition du public, sans autorisation, de très nombreux phonogrammes du répertoire de la SCPP, et notamment les titres suivants : High hopes de [K], Ne pars pas de [P] [S], Modern Love de [V] [N], No time to die de [D] [B], Flowers de [G] [T], Holiday de [H], Si t'étais là de [X], With ou without you de [W] et Halo de [M], pouvant être téléchargés, après une conversion depuis les vidéomusiques de ces titres disponibles sur YouTube, à partir du nom de domaine : <yt5s.com>. b. Les procès-verbaux des 05 avril et 12 mai 2023 démontrent que le site "yt5s" met à disposition du public, sans autorisation, de très nombreux phonogrammes du répertoire de la SCPP, et notamment les titres suivants : No time to die de [D] [B], Holiday de [H], Ne pars pas de [P] [S], La isla bonita de [J], Thinking out loud de [O] [L], Si t'étais là de [X], Flowers de [G] [T], Ghosts again de [Z], High hopes de [K], Modern Love de [V] [N] et Shallow de [R], pouvant être téléchargés, après une conversion depuis les vidéomusiques de ces titres disponibles sur YouTube, à partir du nom de domaine : <yt5s.io>. c. Il ressort également des procès-verbaux établis les 13 avril et 11 mai 2023 que le site "yt1ss" met à disposition du public, sans autorisation, de très nombreux phonogrammes du répertoire de la SCPP, et notamment les titres suivants : No time to die de [D] [B], Ne pars pas de [P] [S], Thinking out loud de [O] [L], Si t'étais là de [X], Flowers de [G] [T], Holiday de [H], Ghosts again de [Z], High hopes de [K], Stan de [I] et Sadness de [A], pouvant être téléchargés, après une conversion depuis les vidéomusiques de ces titres disponibles sur YouTube, à partir du nom de domaine : <yt1ss.net>. d. Il résulte enfin des procès verbaux des 23 et 24 avril et 12 mai 2023 que le site "yt2meta" met à disposition du public, sans autorisation, de très nombreux phonogrammes du répertoire de la SCPP, et notamment les titres suivants : Personne de [F] [C], All of me de [Y] [U], High hopes de [K], Modern Love de [V] [N], No time to die de [D] [B], Flowers de [G] [T] et Ghosts again de [Z], pouvant être téléchargés, après une conversion depuis les vidéomusiques de ces titres disponibles sur YouTube, à partir du nom de domaine : <y2meta.com>. *** Il ressort de l'ensemble de ces constatations que la SCPP établit de manière suffisamment probante que les sites litigieux, qui s'adressent à un public francophone, permettent aux internautes, via les chemins d'accès précités, de télécharger des oeuvres protégées à partir de liens hypertextes sans avoir l'autorisation des titulaires de droits (et en violation des règles régissant le fonctionnement de la plateforme YouTube), ce qui constitue une atteinte aux droits du producteur de phonogrammes. Le tribunal observe que l'absence d'indication des mentions exigée par les articles 6.III.1 et 6.III.2 de la LCEN pour les sites objets du litige et l'anonymisation intégrale de ces sites par le biais de différents prestataires (enregistrement anonymisé du nom de domaine, utilisation de différents prestataires à cette fin en particulier CloudFlare), tendent à démontrer la connaissance du caractère entièrement ou quasi entièrement illicite des sites en litige par les personnes qui contribuent à cette diffusion et la difficulté pour les auteurs et producteurs de poursuivre les responsables de ces sites. La SCPP est donc fondée à solliciter la prescription de mesures propres à faire cesser la violation de ses droits. III- Sur les mesures sollicitées L'article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle réalise la transposition en droit interne de l'article 8§3 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001n sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, aux termes duquel : "Les Etats membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu'une ordonnance sur requête soit rendue à l'encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin." Le seizième considérant de cette directive rappelle que les règles qu'elle édicte doivent s'articuler avec celles isssues de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 08 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (dite "directive sur le commerce électronique"). La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit dans l'arrêt Scarlet Extended c/ Sabam (C-70/10) du 24 novembre 2011 que :« ainsi qu'il découle des points 62 à 68 de l'arrêt du 29 janvier 2008, Promusicae (C-275/06, Rec. p. I-271), la protection du droit fondamental de propriété, dont font partie les droits liés à la propriété intellectuelle, doit être mise en balance avec celle d'autres droits fondamentaux. 45 Plus précisément, il ressort du point 68 dudit arrêt qu'il incombe aux autorités et aux juridictions nationales, dans le cadre des mesures adoptées pour protéger les titulaires de droits d'auteur, d'assurer un juste équilibre entre la protection de ce droit et celle des droits fondamentaux de personnes qui sont affectées par de telles mesures. 46 Ainsi, dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, les autorités et les juridictions nationales doivent notamment assurer un juste équilibre entre la protection du droit de propriété intellectuelle, dont jouissent les titulaires de droits d'auteur, et celle de la liberté d'entreprise dont bénéficient les opérateurs tels que les FAI en vertu de l'article 16 de la charte. (...) 52 D'autre part, ladite injonction risquerait de porter atteinte à la liberté d'information puisque ce système risquerait de ne pas suffisamment distinguer entre un contenu illicite et un contenu licite, de sorte que son déploiement pourrait avoir pour effet d'entraîner le blocage de communications à contenu licite. En effet, il n'est pas contesté que la réponse à la question de la licéité d'une transmission dépende également de l'application d'exceptions légales au droit d'auteur qui varient d'un État membre à l'autre. En outre, certaines oeuvres peuvent relever, dans certains États membres, du domaine public ou elles peuvent faire l'objet d'une mise en ligne à titre gratuit de la part des auteurs concernés. » Dans l'arrêt UPC Telekable Wien du 27 mars 2014 (C-314/12), la Cour de justice a dit pour droit que : « 48 Pour ce qui est de la liberté d'entreprise, il doit être constaté que l'adoption d'une injonction, telle que celle en cause au principal, restreint cette liberté. 49 En effet, le droit à la liberté d'entreprise comprend notamment le droit, pour toute entreprise, de pouvoir librement disposer, dans les limites de la responsabilité qu'elle encourt pour ses propres actes, des ressources économiques, techniques et financières dont elle dispose. 50 Or, une injonction telle que celle en cause au principal, fait peser sur son destinataire une contrainte qui restreint la libre utilisation des ressources à sa disposition, puisqu'elle l'oblige à prendre des mesures qui sont susceptibles de représenter pour celui-ci un coût important, d'avoir un impact considérable sur l'organisation de ses activités ou de requérir des solutions techniques difficiles et complexes. 51 Cependant, une telle injonction n'apparaît pas porter atteinte à la substance même du droit à la liberté d'entreprise d'un fournisseur d'accès à Internet, tel que celui en cause au principal. »Il s'en déduit qu'un juste équilibre doit être recherché entre la protection du droit de propriété intellectuelle, d'une part, et la liberté d'entreprise des fournisseurs d'accès à internet, et les droits fondamentaux des clients des fournisseurs d'accès à internet, en particulier leur droit à la protection des données à caractère personnel et leur liberté de recevoir et de communiquer des informations, d'autre part. La recherche de cet équilibre implique d'écarter toute mesure prévoyant un contrôle absolu, systématique et sans limitation dans le temps, de même que les mesures ne doivent pas porter atteinte à la "substance même du droit à la liberté d'entreprendre" des fournisseurs d'accès à internet, lesquels doivent conserver le choix des mesures à mettre en oeuvre. Aussi, conformément aux dispositions de l'article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle, il sera enjoint aux sociétés Orange, Bouygues Telecom, Free, SFR et SFR Fibre de mettre en oeuvre et/ou faire mettre en oeuvre, toutes mesures propres à empêcher l'accès aux sites litigieux, à partir du territoire français et/ou par leurs abonnés, à raison d'un contrat souscrit sur ce territoire, par tout moyen efficace de leur choix. Les mesures de blocage concerneront les noms de domaine mentionnés au tableau annexé à la présente décision, et permettant l'accès aux sites litigieux, dont le caractère entièrement ou essentiellement illicite a été établi. Ces mesures devront être mises en oeuvre sans délai et pour la durée visée au dispositif de la présente décision. Les fournisseurs d'accès à internet devront informer la SCPP des mesures mises en oeuvre sans délai. Le coût des mesures de blocage sera à la charge des fournisseurs d'accès internet. Conformément aux dispositions de l'article 492-1, 3o du code de procédure civile, et en l'absence de circonstances justifiant qu'il en soit décidé autrement, il convient de rappeler que la présente décision est exécutoire à titre provisoire. Chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles et de ses dépens. PAR CES MOTIFS,LE TRIBUNAL, CONSTATE que le site "yt5s" accessible à partir des noms de domaine : <yt5s.com> et <yt5s.io>, contrefait les droits de la Société civile des producteurs phonographiques en rendant accessible sans autorisation des phonogrammes de son répertoire ; CONSTATE que le site "yt1ss" accessible à partir du nom de domaine : <yt1ss.net>, contrefait les droits de la Société civile des producteurs phonographiques en rendant accessible sans autorisation des phonogrammes de son répertoire ; CONSTATE que le site "yt2meta" accessible à partir du nom de domaine : <y2meta.com>, contrefait les droits de la Société civile des producteurs phonographiques en rendant accessible sans autorisation des phonogrammes de son répertoire ; En conséquence, ORDONNE aux sociétés Orange, Free, SFR, SFR Fibre et Bouygues Telecom de mettre en oeuvre et/ou faire mettre en oeuvre, toutes mesures propres à empêcher l'accès, à partir du territoire français, y compris dans les départements ou régions d'outre-mer et collectivités uniques ainsi que dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises, par leurs abonnés à raison d'un contrat souscrit sur ce territoire, par tout moyen efficace, et notamment par le blocage des noms de domaine figurant dans le tableau annexé à la présente décision et faisant partie de la minute, et ce, sans délai, et au plus tard quinze jours après la signification de la présente décision et pendant une durée de dix-huit mois à compter du présent jugement ; DIT que la Société civile des producteurs phonographiques devra dans ce cadre indiquer aux fournisseurs d'accès à internet, les noms de domaine dont elle aurait appris qu'ils ne sont plus actifs, afin d'éviter des coûts de blocage inutiles ; DIT que les fournisseurs d'accès à internet devront informer la Société civile des producteurs phonographiques de la mise en oeuvre de ces mesures en précisant éventuellement les difficultés qu'ils rencontreraient ; DIT qu'en cas d'évolution du litige, notamment par modification des noms de domaine ou chemins d'accès au site visé, la Société civile des producteurs phonographiques pourra en référer à la présente juridiction statuant selon la procédure accélérée au fond ou en saisissant le juge des référés, en mettant en cause par voie d'assignation les parties appelées à la présente instance ou certaines d'entre elles, afin que l'actualisation des mesures soit ordonnée ; DIT que le coût de la mise en oeuvre des mesures ordonnées restera à la charge des sociétés Orange, Free, SFR, SFR Fibre et Bouygues Telecom ;RAPPELLE que la présente décision est de plein droit exécutoire par provision ; LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres dépens. Fait et jugé à Paris le 20 juillet 2023. LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000048389775
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 3 août 2023, 23/8465
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2023-08-03
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Tribunal judiciaire de Paris
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23/8465
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 23/08465 No Portalis 352J-W-B7H-C2HNY No MINUTE : Assignation du :27 juin 2023 JUGEMENT SELON LA PROCEDURE ACCELEREE AU FONDrendu le 03 août 2023 DEMANDERESSES S.A.S. CLIQUE TV[Adresse 1][Localité 3] S.A. GROUPE CANAL PLUS[Adresse 1][Localité 3] S.N.C. SOCIETE D'EXPLOITATION D'UN SERVICE D'INFORMATION[Adresse 1][Localité 3] S.A.S. CSTAR[Adresse 1][Localité 3] S.A.S. C8[Adresse 1][Localité 3] S.A.S.U CANAL + THEMATIQUES[Adresse 1][Localité 3] S.A.S. SOCIETE D'EDITION DE CANAL PLUS[Adresse 1][Localité 3] représentées par Me Richard WILLEMANT de la SELARL WILLEMANT LAW, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0106 DÉFENDERESSES Société ROKKR AG[Adresse 4][Localité 2] (SUISSE) Société WATCHED AG[Adresse 4][Localité 2] (SUISSE) représentées par Me Jeanne BONACINA LHOMMET & Me Grégoire RIALAN de l'AARPI CORTO PARTNERS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #B0079 MAGISTRAT Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe,assistée de Madame Caroline REBOUL, Greffière, DÉBATS A l'audience du 17 juillet 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 03 août 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSé DU LITIGE 1. Les sociétés Groupe Canal+, Société d'édition de canal plus, Canal+ thématiques, C8, Cstar, Clique tv et Société d'exploitation d'un service d'information (SESI) (ci-après "les sociétés Canal+) font partie du groupe de médias français Canal+ . Elles exposent que le groupe Canal+ est le premier éditeur de chaînes payantes et thématiques et le principal distributeur d'offres de télévision payante, se distinguant également dans la télévision gratuite, avec trois chaînes nationales et sa régie publicitaire. 2. Le groupe Canal+ propose des offres incluant ses chaînes premium Canal+ et des chaînes thématiques, distribuées par l'intermédiaire des sociétés suivantes, qu'il détient en majorité ou en totalité, par tous les canaux de diffusion (TNT, satellite, ADSL/Fibre, câble, mobile et internet over the top-OTT) : - La Société d'édition de canal plus est éditrice d'un bouquet composé des six chaînes premium payantes suivantes: Canal+, Canal+cinéma, Canal+séries, Canal+sport, Canal+foot et Canal+sport 360. La Société d'édition de canal plus édite également les chaînes digitales de sport Canal+formula 1, Canal+ motogp, Canal+ top14 et Canal+ premier league, ainsi que les chaînes de sport Golf+ et Infosport+.- La société Canal+ thématiques édite les chaînes payantes Ciné+classic, Ciné+émotion, Ciné+premier, Ciné+club, Comédie+, Canal+kids, Canal+docs, Piwi+, Polar+, Ciné+famiz, Ciné+frisson, Télétoon+ et Télétoon+1, Seasons, Canal+grand écran, Planète+, Planète+aventure et Planète+crime. - Les sociétés C8, Cstar, Clique tv et SESI éditent les chaînes gratuites C8, Cstar, Clique tv et Cnews. 3. La société de droit suisse Watched AG a développé et exploité l'application gratuite "Watched", qui combine les fonctions d'un lecteur multimédia avec un navigateur de recherche. 4. La société de droit suisse Rokkr AG, domiciliée à la même adresse et ayant le même dirigeant,a développé et exploité l'application gratuite"Rokkr" qui combine de la même manière les fonctions d'un lecteur multimédia avec un navigateur de recherche. 5. Les sociétés Canal+ font valoir que les applications "Watched" et "Rokkr" fonctionnent avec des "bundles" qui sont des paquets de fichiers contenant de nombreux contenus, dont des films et séries de VOD et des chaînes en direct de plusieurs pays. 6. Elles indiquent avoir découvert que les bundles "huhu.to" et "oha.to" accessibles sur les applications "Watched" et "Rokkr" offraient à leurs utilisateurs l'accès à de nombreux contenus des programmes de chaînes de télévision éditées par les sociétés Canal+. 7. Par un jugement du 16 décembre 2021, ce tribunal a ordonné aux sociétés Watched et Rokkr de mettre en oeuvre toutes mesures propres à faire cesser et à prévenir l'accès aux programmes et chaines de télévision des sociétés Canal+ sur leurs applications, et ce, sous astreinte. Par un arrêt du 16 décembre 2022, la cour d'appel de Paris a infirmé le jugement en ce qu'il avait assorti sa décision d'une astreinte, relevant que cette mesure était disproportionnée au motif notamment que les violations portérieures au jugement constatées provenaient d'applications téléchargées avant le jugement. 8. La mesure ordonnée par le président du tribunal judiciaire de Paris a cessé de produire effet le 06 juillet 2023. 9. Aussi, ayant constaté que les bundles litigieux pouvaient toujours être téléchargés sur les applications et les sites des défenderesses, par assignations signifiées le 27 juin 2023, les sociétés Canal + ont sollicité le renouvellement des mesures ordonnées à l'égard des sociétés Watched et Rokkr ainsi que le prononcé d'une astreinte. 10. L'affaire, appelée à l'audience du 10 juillet 2023, a été renvoyée à la demande des sociétés défenderesses à l'audience du 17 juillet 2023. 11. Par leur assignation signifiée le 27 juin 2023 dont elles ont partiellement repris les termes à l'audience, les sociétés Canal+ demandent au tribunal de : ? Juger que les sociétés Groupe canal+, Société d'édition de canal plus, Canal+ thématiques, C8, Cstar, Clique tv et Société d'exploitation d'un service d'information sont recevables et bien fondées en leurs demandes ; ? Ordonner à la société anonyme de droit suisse Watched de mettre en oeuvre ou faire mettre en oeuvre, toutes mesures propres à faire cesser et à prévenir les atteintes aux droits voisins des sociétés Groupe canal+, Société d'édition de canal plus, Canal+ thématiques, C8, Cstar, Clique tv et Société d'exploitation d'un service d'information en empêchant tout accès aux programmes des chaines de télévision suivantes sur son application "Watched", sur le territoire français, y compris dans les départements ou régions d'outre-mer et collectivités uniques ainsi que dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antartiques françaises, par tout moyen efficace, notamment par le blocage de l'interopérabilité entre l'application "Watched" et les modules "huhu.to" et "oha.to", au plus tard dans un délai de 7 jours à compter de la date de signification du jugement à intervenir pendant un durée de 18 mois à compter de la mise en oeuvre des mesures ordonnées, le tout sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par infraction constatée à compter de l'expiration d'un délai de trente jours suivant la signification du jugement : Canal+, Canal+Cinéma, Canal+Sport, Canal+Sport 360, Canal+Foot, Golf+, Infosport, Canal+Formula1, Canal+MotoGP, Canal+Premier League, Canal+Kids, Polar+, Seasons, Teletoon+, Piwi+, Planete+, Planete+aventure, Planete+crime, C8, Cnews, Cstar. ? Ordonner le renouvellement à l'égard de la société anonyme de droit suisse Rokkr des mesures de blocage ordonnées par le jugement selon la procédure accélérée au fond rendu par le président du tribunal judiciaire de Paris le 16 décembre 2021 (RG no21/11137), tel que modifié par l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 16 décembre 2022 (RG no22/00757), pendant une durée de 18 mois à compter de la date de signification du jugement à intervenir ; ? Ordonner en conséquence à la société anonyme de droit suisse Rokkr de mettre en oeuvre et/ou faire mettre en oeuvre, toutes mesures propres à faire cesser et à prévenir l'accès aux programmes des chaînes de télévision sur son application "Rokkr" : Canal+, Canal+cinema, Canal+Sport, Canal+decale, Canal+Series, Golf+, Infosport+, Cine+classic, Cine+emotion, Cine+famiz, Cine+frisson, Cine+club, Cine+premier, Comedie+, Piwi+, Polar+, Teletoons+, Teletoons+1, Canal+Kids, Canal+docs, Planete+, C8, Cstar et Cnews sur le territoire français, y compris dans les départements ou régions d'outre-mer et collectivités uniques ainsi que dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antartiques françaises, par tout moyen efficace, notamment par le blocage de l'interopérabilité entre l'application "Rokkr" et les modules "huhu.to" et "oha.to", au plus tard dans un délai de 7 jours à compter de la date de signification du jugement à intervenir pendant un durée de 18 mois à compter de la mise en oeuvre des mesures ordonnées ;? Dire que le président du tribunal judiciaire de Paris, statuant selon la procédure accélérée au fond, se réserve le pouvoir de liquider l'astreinte précitée ; ? Dire que les sociétés anonymes de droit suisse Watched et Rokkr devront informer les sociétés Groupe canal+, Société d'édition de canal plus, Canal+ thématiques, C8, Cstar, Clique tv et Société d'exploitation d'un service d'information de la réalisation des mesures ordonnées ; ? Dire qu'en cas d'évolution des atteintes portées aux droits des sociétés Groupe canal+, Société d'édition de canal plus, Canal+ thématiques, C8, Cstar, Clique tv et Société d'exploitation d'un service d'information, celles-ci pourront en référé au président du tribunal judiciaire de Paris, statuant selon la procédure accélérée au fond, en mettant en cause par voie d'assignation les parties à cette instance ou certaines d'entre elles, afin que l'actualisation des mesures soit ordonnée ; ? Rappeler que, pendant toute la durée des mesures ordonnées, les sociétés Groupe canal+, Société d'édition de canal plus, Canal+ thématiques, C8, Cstar, Clique tv et Société d'exploitation d'un service d'information, pourront communiquer à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique les données d'identification de tout service de communication au public en ligne, incluant tout bundle, qui n'a pas été identifié à la date du jugement à intervenir, permettant l'accès illicite aux programmes de télévision de ces sociétés par le biais des applications "Watched" ou "Rokkr", aux fins de mise en oeuvre des pouvoirs conférés à cette Autorité par l'article L. 331-27 du code de la propriété intellectuelle ; ? Dire que le coût de la mise en oeuvre des mesures ordonnées restera à la charge des sociétés anonymes de droit suisse Watched et Rokkr ; ? Rappeler que le jugement à intervenir est exécutore de droit à titre provisoire ; ? Condamner in solidum les sociétés anynmes de droit suisse Watched et Rokkr à verser aux sociétés Groupe canal+, Société d'édition de canal plus, Canal+ thématiques, C8, Cstar, Clique tv et Société d'exploitation d'un service d'information la somme de 20 000 euros, au titre des frais irrépétibles, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; ? Condamner in solidum les sociétés anonymes de droit suisse Watched et Rokkr aux entiers dépens ; 12. Dans leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 13 juillet 2023, les sociétés Watched et Rokkr demandent au tribunal, au visa de l'article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle, de : ? Déclarer les sociétés Watched et Rokkr recevables et bien fondées en leurs conclusions ;Y faisant droit, ? Juger que les sociétés Watched et Rokkr ont mis en oeuvre l'ensemble des mesures en leur possible pour lutter contre les atteintes aux droits de propriété intellectuelle de Canal +, en bloquant définitivement l'accès à leurs applications sur le territoire national ; ? Juger n'y avoir lieu à injonction ; En tout état de cause, ? Juger n'y avoir lieu à astreinte ; ? Juger que chaque partir conservera à sa charge ses propres charges et dépens. 13. A l'audience du 17 juillet 2023, les demanderesses sollicitent la fixation d'une astreinte de 500 euros par jour de retard, ainsi que le paiement, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, de 4 369 euros au titre des frais de commissaire de justice non compris dans les dépens (constats), et de 12 000 euros, au titre des honoraires d'avocats non compris dans les dépens. MOTIFS DE LA DÉCISION I- Sur la qualité à agir des sociétés Canal + 14. Aux termes de l'article L.336-2 du code de la propriété intellectuelle, en présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d'un service de communication au public en ligne, le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les oeuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des organismes de gestion collective régis par le titre II du livre III ou des organismes de défense professionnelle visés à l'article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. La demande peut également être effectuée par le Centre national du cinéma et de l'image animée. 15. Aux termes de l'article 79-1 de la loi no86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, sont punies de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende la fabrication, l'importation en vue de la vente ou de la location, l'offre à la vente, la détention en vue de la vente, la vente ou l'installation d'un équipement, matériel, dispositif ou instrument conçu, en tout ou partie, pour capter frauduleusement des programmes télédiffusés, lorsque ces programmes sont réservés à un public déterminé qui y accède moyennant une rémunération versée à l'exploitant du service. 16. Selon l'article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle, sont soumises à l'autorisation de l'entreprise de communication audiovisuelle la reproduction de ses programmes, ainsi que leur mise à la disposition du public par vente, louage ou échange, leur radiodiffusion ou télédiffusion, leur mise à disposition du public en ligne et leur communication au public dans un lieu accessible à celui-ci moyennant paiement d'un droit d'entrée. 17. Par conséquent, une entreprise de communication audiovisuelle bénéficie du droit exclusif d'autoriser la mise à la disposition du public de ses programmes, y compris par internet. 18. Les sociétés Canal+, sur le fondement du droit voisin du droit d'auteur dont sont titulaires les entreprises de communication audiovisuelle, sont donc en droit de solliciter, sur le fondement de l'article L. 336-2 précité, que toutes mesures propres soient ordonnées afin de prévenir ou faire cesser une atteinte à leur droit découlant de l'accès non autorisé sur internet aux chaînes de télévision et aux contenus qu'elles diffusent. II- Sur l'atteinte aux droits voisins du droit d'auteur 19. La preuve est rapportée par les sociétés Canal+ que le dispositif "Watched" exploité par la société Watched est une application qui à partir de la saisine d'une adresse URL permet d'accéder à un "bundle", intégré dans l'application, qui lui-même permet l'accès à de très nombreux contenus audiovisuels, dont des programmes en direct de chaînes de télévision et des contenus en VOD. 20. L'application "Rokkr" éditée par la société Rokkr présente les mêmes fonctionnalités. 21. Il résulte des procès-verbaux communiqués par les demanderesses, que l'application "Watched" une fois téléchargée permet l'accès à des modules tiers, dit "bundles". Parmi eux, les bundles "huhu.to" ou "oha.to" parmettant à l'utilisateur d'accéder à plusieurs des chaînes du groupe Canal+ et, en cliquant sur la majorité des chaînes, apparaît le flux vidéo correspondant aux chaînes selectionnées. 22. Est notamment ainsi constaté : - Le 1er mars 2023 (soit avant le terme de la mesure ordonnée le 19 décembre 2021), l'accès, sur l'application "Watched", téléchargée le même jour sous Windows, aux chaînes Golf+, Canal+foot et Polar+ par l'ajout du bundle "huhu.to" (pièce Canal no26), - Le 19 avril 2023, l'accès, sur l'application "Watched", téléchargée le même jour sous macOS, aux chaînes Cine+premier, Cine+classic et Canal+sport par l'ajout du bundle "huhu.to" et Canal+series, Piwi et Polar+ par l'ajout du bundle "oha.to"(pièce Canal no69),- Le 11 mai 2023 l'accès, sur l'application "Watched" téléchargée le même jour sous Android, aux chaînes Polar+, Piwi et Teletoon+ par l'ajout du bundle "huhu.to" et Seasons, Planete+ et C8 par l'ajout du bunfle "oha.to" (pièce Canal no70),- Le 19 mai 2022, l'accès, sur l'application "Rokkr" téléchargée le même jour sous Android, aux chaînes Canal+ Sport 1, Canal décalé HD,Canal Family HD, par l'ajout du bundle "oha.to" (pièce Canal no67). 23. Il est établi que les bundles "huhu.to" et "oha.to", auxquels les applications "Watched" et "Rokkr" donnaient accès postérieurement à la signification de la prédente mesure de blocage ordonnée, présentent un caractère manifestement contrefaisants. 24. Après la délivrance de l'assignation, les sociétés Watched et Rokkr ont pris la décision de bloquer l'accès intégral à leurs applications aux utilisateurs français à compter du 07 juillet 2023. 25. De tout ce qui précède il résulte que les atteintes se pousuivent et que les sociétés demanderesses sont fondées à solliciter la mise en oeuvre des mesures propres à empêcher les violations de leurs droits. III- Sur les mesures sollicitées 26. L'article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle réalise la transposition de l'article 8 §3, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, aux termes duquel : "Les États membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu'une ordonnance sur requête soit rendue à l'encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin". Le seizième considérant de cette directive rappelle que les règles qu'elle édicte doivent s'articuler avec celles issues de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (dite « directive sur le commerce électronique »). 27. Il n'est pas contesté que les sociétés Watched et Rokkr sont des intermédiaires au sens de cette directive. 28. Le considérant 58 de la directive prévoit que : "Les États membres doivent prévoir des sanctions et des voies de recours efficaces contre les atteintes aux droits et obligations prévus par la présente directive. Ils prennent toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que ces sanctions et voies de recours soient appliquées. Les sanctions prévues sont efficaces, proportionnées et dissuasives et doivent comprendre la possibilité de demander des dommages et intérêts et/ou une ordonnance sur requête et, le cas échéant, la saisie du matériel ayant servi à commettre l'infraction". 29. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit dans l'arrêt Scarlet Extended c/ Sabam (C-70/10) du 24 novembre 2011 qu' « ainsi qu'il découle des points 62 à 68 de l'arrêt du 29 janvier 2008, Promusicae (C-275/06, Rec. p. I-271), la protection du droit fondamental de propriété, dont font partie les droits liés à la propriété intellectuelle, doit être mise en balance avec celle d'autres droits fondamentaux. 45 Plus précisément, il ressort du point 68 dudit arrêt qu'il incombe aux autorités et aux juridictions nationales, dans le cadre des mesures adoptées pour protéger les titulaires de droits d'auteur, d'assurer un juste équilibre entre la protection de ce droit et celle des droits fondamentaux de personnes qui sont affectées par de telles mesures. 46 Ainsi, dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, les autorités et les juridictions nationales doivent notamment assurer un juste équilibre entre la protection du droit de propriété intellectuelle, dont jouissent les titulaires de droits d'auteur, et celle de la liberté d'entreprise dont bénéficient les opérateurs tels que les FAI en vertu de l'article 16 de la charte.(...) 52 D'autre part, ladite injonction risquerait de porter atteinte à la liberté d'information puisque ce système risquerait de ne pas suffisamment distinguer entre un contenu illicite et un contenu licite, de sorte que son déploiement pourrait avoir pour effet d'entraîner le blocage de communications à contenu licite. En effet, il n'est pas contesté que la réponse à la question de la licéité d'une transmission dépende également de l'application d'exceptions légales au droit d'auteur qui varient d'un État membre à l'autre. En outre, certaines oeuvres peuvent relever, dans certains États membres, du domaine public ou elles peuvent faire l'objet d'une mise en ligne à titre gratuit de la part des auteurs concernés. » 30. Il s'en déduit qu'un juste équilibre doit être recherché entre la protection du droit de propriété intellectuelle, d'une part, et la liberté d'entreprise des intermédiaires et fournisseurs d'accès à internet, et les droits fondamentaux des clients, en particulier leur droit à la protection des données à caractère personnel et leur liberté de recevoir et de communiquer des informations, d'autre part. 31. La recherche de cet équilibre implique d'écarter toute mesure prévoyant un contrôle absolu, systématique et sans limitation dans le temps, de même que les mesures ne doivent pas porter atteinte à la "substance même du droit à la liberté d'entreprendre" des intermédiaires et fournisseurs d'accès à internet, lesquels doivent conserver le choix des mesures à mettre en oeuvre. 32. Il apparaît en l'occurrence justifié de faire droit aux demandes des sociétés Canal+ selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision et sous astreinte compte tenu des violations de la précédente injonction constatées à partir des versions des applications téléchargées après le précédent jugement du 16 décembre 2021, peu important le blocage de leur site Internet par les sociétés défenderesses que celles-ci pourraient lever à tout moment. 33. Les coûts des mesures de blocage seront supportés par les sociétés Watched et Rokkr. 34. Il est rappelé que l'actualisation des mesures ordonnées en cas d'évolution du litige pourra être envisagée par le tribunal statuant selon la procédure accélérée au fond, mais également, sous réserve que soit caractérisée l'existence d'un trouble manifestement illicite, par le juge des référés. 35. Il est également rappelé que conformément aux dispositions de l'article L. 331-27 (I et II) du code de la propriété intellectuelle :- l'ARCOM, saisie par un titulaire de droits partie à la présente décision, peut demander, pour une durée ne pouvant excéder celle restant à courir pour les mesures ordonnées par le juge, d'empêcher l'accès à tout service de communication au public en ligne reprenant en totalité ou de manière substantielle le contenu du service mentionné par ladite décision,- en cas de difficulté relative à l'application de ce texte, tenant notamment à l'interprétation par cette autorité administrative de la notion de "décision passée en force de chose jugée", l'autorité judiciaire peut, en référé ou sur requête, ordonner toute mesure destinée à faire cesser l'accès aux sites dits "miroirs". 36. Les sociétés Watched et Rokkr seront condamnées in solidum aux dépens, ainsi qu'à payer, sous la même solidarité imparfaite, aux sociétés Canal+ la somme de 7.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, incluant les frais de constat et d'avocat. 37. Conformément aux dispositions de l'article 481-1, 6o, du code de procédure civile, et en l'absence de circonstances justifiant qu'il en soit décidé autrement, il convient de rappeler que la présente décision est exécutoire à titre provisoire. PAR CES MOTIFS LE TRIBUNAL, ORDONNE à la société Watched de mettre en oeuvre et/ou faire mettre en oeuvre, toutes mesures propres à faire cesser et à prévenir l'accès aux programmes des chaînes de télévision suivantes sur l'application "Watched", sur le territoire français, y compris dans les départements ou régions d'outre-mer et collectivités uniques ainsi que dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises, par tout moyen efficace, et notamment par le blocage de l'interopérabilité entre l'application "Watched" et les modules "huhu.to" et "oha.to", au plus tard dans un délai de 7 jours suivant de la signification du présent jugement et pendant une durée de 18 mois à compter de la mise en oeuvre des mesures ordonnées, sous astreinte de 500 euros par jour de retard courant à l'expiration d'un délai de trente jours suivant la signification du jugement : - Canal+,- Canal+cinéma, - Canal+sport, - Canal+sport 360, - Canal+foot,- Golf+, - Infosport, - Canal+formula 1, - Canal+ motogp, - Canal+ premier league, - Canal+kids, - Polar+, - Seasons, - Télétoon+,- Piwi +,- Planète+, - Planète+aventure, - Planète+crime, - C8, - Cnews, - Cstar ; ORDONNE à la société Rokkr de mettre en oeuvre et/ou faire mettre en oeuvre, toutes mesures propres à faire cesser et à prévenir l'accès aux programmes des chaînes de télévision sur son application "Rokkr" : Canal+, Canal+cinema, Canal+Sport, Canal+decale, Canal+Series, Golf+, Infosport+, Cine+classic, Cine+emotion, Cine+famiz, Cine+frisson, Cine+club, Cine+premier, Comedie+, Piwi+, Polar+, Teletoons+, Teletoon+1, Canal+Kids, Canal+docs, Planete+, C8, Cstar et Cnews sur le territoire français, y compris dans les départements ou régions d'outre-mer et collectivités uniques ainsi que dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antartiques françaises, par tout moyen efficace, notamment par le blocage de l'interopérabilité entre l'application "Rokkr" et les modules "huhu.to" et "oha.to", au plus tard dans un délai de 7 jours à compter de la date de signification du présent jugement et pendant un durée de 18 mois à compter de la mise en oeuvre des mesures ordonnées ; DIT que le coût de la mise en oeuvre des mesures ordonnées sera à la charge des sociétés Watched et Rokkr ; DIT que les sociétés Watched et Rokkr devront informer les sociétés Groupe canal+, Société d'édition de canal plus, Canal+ thématiques, C8, Cstar, Clique tv et la Société d'exploitation d'un service d'information, de la mise en oeuvre de ces mesures en précisant éventuellement les difficultés qu'elles rencontreraient ; DIT qu'en cas d'évolution des atteintes portées à leurs droits les sociétés Groupe canal+, Société d'édition de canal plus, Canal+ thématiques, C8, Cstar, Clique tv et Société d'exploitation d'un service d'information pourront en référer à la présente juridiction statuant selon la procédure accélérée au fond, en mettant en cause par voie d'assignation les parties présentes à cette instance ou certaines d'entre elles, afin que l'actualisation des mesures soit ordonnée ; RAPPELLE que conformément aux dispositions de l'article L. 331-27 (I et II) du code de la propriété intellectuelle :- l'ARCOM, saisie par un titulaire de droits partie à la présente décision, peut demander, pour une durée ne pouvant excéder celle restant à courir pour les mesures ordonnées par le juge, d'empêcher l'accès à tout service de communication au public en ligne reprenant en totalité ou de manière substantielle le contenu du service mentionné par ladite décision,- en cas de difficulté relative à l'application de ce texte, l'autorité judiciaire peut, en référé ou sur requête, ordonner toute mesure destinée à faire cesser l'accès aux sites dits "miroirs" ; CONDAMNE in solidum les sociétés Watched et Rokkr aux dépens ; CONDAMNE in solidum les sociétés Watched et Rokkr à payer aux sociétés Groupe canal+, Société d'édition de canal plus, Canal+ thématiques, C8, Cstar, Clique tv et Société d'exploitation d'un service d'information la somme de 7.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; RAPPELLE que le présent jugement est exécutoire par provision. Fait et jugé à Paris le 03 août 2023. LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000048389776
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 3 août 2023, 22/07653
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2023-08-03
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Tribunal judiciaire de Paris
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22/07653
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 22/07653 No Portalis 352J-W-B7G-CXH3Y No MINUTE : Assignation du :27 juin 2022 Incident ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETATrendue le 03 août 2023DEMANDEUR - DEFENDEUR A L'INCIDENT Monsieur [A] [Z][Adresse 3], [Adresse 2] (GRÈCE) représenté par Me Corinne HERSHKOVITCH de la SELARL CABINET CORINNE HERSHKOVITCH, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0124 DEFENDERESSE - DEMANDERESSE A L'INCIDENT ASSOCIATION [S] [G][Adresse 1][Localité 4] représentée par Me Céline DEGOULET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1307 MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeassistée de Madame Caroline REBOUL, Greffière DEBATS A l'audience du 27 juin 2023, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 03 août 2023. ORDONNANCE Prononcée publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DU LITIGE : 1. M. [A] [Z], dit [L] [Z], se présente comme un collectionneur d'art contemporain. Il expose avoir fait l'acquisition, moyennant le versement de la somme de 65.750 USD, du "prototype" de l'oeuvre "Fontain" (fontaine) de [S] [G] (un urinoir revêtu de sa signature et présenté couché), lors de la vente organisée en 1988 par la société Sotheby's de la collection d'oeuvres d'art d'[K] [X]. Souhaitant vendre cette oeuvre, M. [Z] expose encore avoir fait appel à la société Sotheby's, laquelle a sollicité de l'association [S] [G] (dans le cadre de laquelle Mme [B] [V] [W], belle-fille de l'artiste et sa légataire universelle, et aujourd'hui ses descendants, exercent les prérogatives de l'auteur) l'établissement d'un certificat d'authenticité, ce que cette dernière a refusé par la voix de M. [W] par une lettre du 27 mars 2019, en raison du caractère inachevé de cette oeuvre que l'artiste n'aurait pas souhaité voir divulguée selon elle. 2. Se plaignant du refus persistant de l'association de délivrer un certificat d'authenticité de l'oeuvre en cause, en dépit de l'authentification de la signature de l'artiste par une graphologue, M. [Z] a, par acte d'huissier du 27 juin 2022, fait assigner l'association [S] [G] devant le tribunal judiciaire de Paris auquel elle demande de lui ordonner, en application de l'article L. 121-3 du code de la propriété intellectuelle, de lui délivrer un certificat d'authenticité pour l'oeuvre litigieuse et ce, sous astreinte de 500€ par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir. 3. A l'issue de l'audience d'orientation du 27 septembre 2022, la présidente a, conformément aux dispositions de l'article 782 du code de procédure civile, invité le demandeur à préciser le fondement de sa demande de délivrance d'un certificat d'authenticité au visa d'un texte relatif au droit de divulgation. 4. Par de nouvelles conclusions au fond notifiées électroniquement le 25 novembre 2022, M. [Z] a ajouté à ses demandes celle aux fins d'exécution forcée du contrat qui s'est créé entre lui-même et l'association, qui agit ici en qualité d'expert, tenu de ce chef d'une obligation de délivrance d'une information objective. 5. Par des conclusions d'incident du 20 février 2023, l'association [S] [G] a saisi le juge de la mise en état d'un incident lui demandant de déclarer nulle l'assignation du 27 juin 2022. 6. Par ses conclusions d'incident no2 notifiées électroniquement le 9 juin 2023, l'association [S] [G] demande au juge de la mise en état de prononcer la nullité de l'assignation et de condamner le demandeur à lui payer la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 7. Par ses conclusions d'incident no2 du 22 mai 2023, M. [Z] demande quant à lui au juge de la mise en état de rejeter la demande de l'association et d'ordonner une expertise de l'oeuvre. Il sollicite la condamnation de l'association à lui payer la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 8. L'incident a été plaidé à l'audience du 27 juin 2023. MOTIFS DE LA DÉCISION 1o) Sur la nullité de l'assignation Moyens des parties 9. L'association [S] [G] se plaint du défaut de motivation en fait et en droit de l'assignation, en dépit de sa longueur, l'empêchant d'organiser sa défense, le droit de divulgation qu'elle y invoque n'ayant aucun lien avec la délivrance d'un certificat d'authenticité. Elle ajoute que les conclusions du 25 novembre 2022 n'ont rien régularisé, aucun contrat ne l'ayant évidemment jamais liée à M. [Z]. 10. M. [Z] conclut au rejet de l'exception de procédure soulevée par l'association qui ne vise selon elle qu'à tenter d'éviter un débat au fond. Il souligne d'ailleurs que les moyens de l'association sont des moyens de réponse au bien-fondé de son argumentation. Appréciation du juge de la mise en état 11. Selon l'article 56 du code de procédure civile, l'assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d'huissier de justice et celles énoncées à l'article 54, un exposé des moyens en fait et en droit. 12. Il est constamment jugé au visa de ce texte que, s'il revient au juge de la mise en état de vérifier que l'assignation délivrée expose les moyens en fait et en droit (distincts de l'exposé des faits), il ne lui appartient pas d'en apprécier la pertinence. (Cass. Civ. 1ère, 27 juin 2018, pourvoi no 17-10.891, Bull. 2018, I, no 118) 13. Force est en l'occurrence de constater que sous le couvert d'une violation de l'article 56 du code de procédure civile, l'association [S] [G] demande au juge de la mise en état de dire dépourvues de fondement les demandes de M. [Z] (aucun des fondements en droit qu'il invoque, aussi bien dans son assignation que dans ses conclusions au fond no1, n'imposant selon elle au titulaire du droit moral d'un auteur de délivrer un certificat d'authenticité et ainsi d'assurer la "valeur" de l'oeuvre), ce qui ne relève pas de la compétence du juge de la mise en état, mais de celle du tribunal statuant au fond. 14. L'exception de procédure tirée de la nullité de l'assignation est donc écartée. 2o) Sur la mesure d'expertise 15. Aux termes de l'article 146 du code de procédure civile, une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver. 16. M. [Z] sollicite une mesure d'expertise afin de démontrer l'authenticité de la signature figurant sur l'oeuvre. 17. Or, une telle mesure est ici dépourvue d'utilité, le refus de l'association [S] [G] n'étant pas (exclusivement) fondé sur le défaut d'authenticité de la signature figurant sur l'oeuvre, mais sur le fait qu'il s'agit, au mieux, d'une oeuvre inachevée et que, pour ce motif, l'auteur n'en aurait selon elle jamais approuvé la divulgation et encore moins l'exposition au public sous son nom (une oeuvre dont [S] [G] aurait accepté l'exposition et la commercialisation serait selon l'association revêtue d'une plaque en cuivre spécifique). Le juge de la mise en état observe au demeurant que, selon le demandeur lui-même, l'oeuvre est intitulée "prototype". 18. La demande d'expertise de l'authenticité de la signature de [S] [G] est rejetée. 19. Les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile sont réservés. PAR CES MOTIFS, LE JUGE DE LA MISE EN ÉTAT, ECARTE l'exception de procédure tirée de la nullité de l'assignation soulevée par l'association [S] [G] ; REJETTE la demande d'expertise présentée par M. [A] [Z] ; RÉSERVE les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; DIT que l'affaire est renvoyée à l'audience (dématérialisée) de mise en état du :17 octobre 2023 à 10 heurespour les conclusions au fond de l'association [S] [G], à notifier 8 jours avant l'audience et fixation d'un ultime calendrier court (ou clôture). Faite et rendue à Paris le 03 août 2023.LA GREFFIERE LA JUGE DE LA MISE EN ETAT
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JURITEXT000048389777
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 26 juin 2023, 21/06366
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2023-06-26
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/06366
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 21/06366 - No Portalis 352J-W-B7F-CUMBK No MINUTE : Assignation du :12 janvier 2018 JUGEMENT rendu le 28 juin 2023 DEMANDEURS S.A.R.L. Y&W[Adresse 13][Localité 10] Monsieur [K] [Y]Intervenant volontaire[Adresse 2][Localité 11] Monsieur [N] [L]Intervenant volontaire[Adresse 4][Localité 8] représentés par Maître Franck BENHAMOU de la SELEURL FB AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B1099 DÉFENDEURS Monsieur [A] [B][Adresse 3][Localité 7] Monsieur [R] [Z] [S] Alias [M][Adresse 6][Localité 9] - FRANCE Monsieur [H] [S]Alias [V] [Adresse 5][Localité 14]' Monsieur [U] [F]Alias [I][Adresse 1][Localité 12] représentés par Maîtres Isabelle VEDRINES et Nicolas HERZOG de l'AARPI H2O AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #A0077 ______________________________ COMPOSITION DU TRIBUNAL Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjointLinda BOUDOUR, jugeArthur COURILLON-HAVY, juge assistés de Lorine MILLE, greffière, DÉBATS A l'audience du 30 mars 2023 tenue en audience publique devant Jean-Christophe GAYET et Linda BOUDOUR, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir donné lecture du rapport, puis entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 28 juin 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort Magistrat signataire (article 456 du code de procédure civile) : Linda BOUDOUR, juge, le président Jean-Christophe GAYET étant empêché. _____________________________ EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. La société à responsabilité limitée (SARL) Y&W, immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) de Paris le 13 septembre 2011 est une société de production phonographique et d'édition musicale. 2. MM. [K] [Y] et [N] [L] sont fondateurs de la société Y&W.3. MM. [A] [B], [R] [S], [H] [S] et [U] [F], sont tous les quatre auteurs interprètes et membres du groupe de musique dénommé "S-Crew". 4. Le 5 avril 2011, la SARL Y&W, en cours de formation, a signé des contrats d'artiste avec chacun des quatre défendeurs. 5. Les demandeurs affirment avoir pris l'initiative et financé l'enregistrement de 31 phonogrammes avec les défendeurs, entre avril et novembre 2011. Ils affirment également que les défendeurs ont, par la suite, exploité trois de ces morceaux sans leur autorisation. 6. Également en 2011, la SARL Y&W a déposé à l'INPI, la marque "1.9.9.5", no3830011 et la marque "[J]", no3830018. Par jugements du 2 mars 2012 et du 16 novembre 2012, le tribunal de grande instance de Paris a reconnu que ces dépôts étaient frauduleux et a ordonné leur transfert au profit des défendeurs. 7. Le 20 janvier 2012, les défendeurs ont envoyé une lettre recommandée avec accusé de réception à la SARL Y&W pour résilier les contrats les liant avec elle, aux motifs qu'elle avait manqué à ses obligations contractuelles et commis des manoeuvres frauduleuses du fait du dépôt des deux marques. 8. Le 8 février 2012, MM. [L] et [Y] ont déposé une main courante pour dénoncer une diffamation des défendeurs à leur égard, les accusant d'avoir séquestré un autre membre du groupe "S-Crew". 9. Le 26 juin 2012, MM. [A] [B], [R] [S] et [U] [F] ont déposé une main courante alléguant de violences morales et physiques commises à leur encontre par MM. [K] [Y] et [N] [L]. 10. Deux procédures judiciaires ont déjà eu lieu entre les parties. L'une a abouti à un jugement du conseil des prud'hommes de Paris qui a jugé que M. [A] [B] était salarié de la SARL Y&W du fait d'un contrat de travail du 5 avril 2011. 11. L'autre a abouti à un arrêt du 2 mars 2018 de la cour d'appel de Paris, confirmé par un arrêt de la Cour de cassation du 10 juin 2020. Ces deux juridictions ont reconnu qu'au moment de la signature des contrats du 5 avril 2011, la SARL Y&W n'avait pas de personnalité juridique et ne pouvait donc pas conclure de contrat, en précisant que rien ne prouve que MM. [Y] et [L] ont agi au nom et pour le compte de la SARL Y&W. 12. Par acte d'huissier du 12 janvier 2018, la SARL Y&W a assigné M. [A] [B] en vue d'engager sa responsabilité contractuelle. 13. Par conclusions en intervention volontaire du 30 novembre 2018, MM. [K] [Y] et [N] [L] sont intervenus à l'instance en formulant les mêmes demandes que la SARL Y&W. 14. Par ordonnance du 21 juin 2019, il a été sursis à statuer dans l'attente de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juin 2020. L'affaire a été renvoyée au fond le 21 janvier 2021. 15. L'affaire a été radiée le 15 avril 2021 pour défaut de diligence des parties puis rétablie sur demande de la SARL Y&W et de MM. [L] et [Y]. 16. Par actes d'huissier des 8, 11 et 12 octobre 2021, les demandeurs ont assigné en intervention forcée MM. [R] [S], [H] [S] et [U] [F]. L'affaire a été jointe à la présente instance par ordonnance du 20 janvier 2022. 17. L'instruction a été close par ordonnance du 19 mai 2022 et l'affaire fixée à l'audience du 30 mars 2023 pour être plaidée. PRÉTENTIONS DES PARTIES 18. Dans leurs dernières conclusions au fond, notifiées par voie électronique le 24 mars 2022, la SARL Y&W, MM. [K] [Y] et [N] [L] ont demandé au tribunal de :- constater que MM. [Y] et [L] ne sont pas prescrits en leur action et les déclarer en conséquence recevables en leurs demandes ;- constater que MM. [Y] et [L] disposent de la qualité à agir et les déclarer en conséquence recevables en leurs demandes ;- entériner les contrats en date du 5 avril 2011 comme actes créateurs de droits et d'obligations réciproques à l'égard, d'une part, de MM. [Y] et [L] et, d'autre part, de MM. [A] [B], [U] [F], [R] [S] et [H] [S] ;- reconnaître la qualité de producteurs de phonogrammes de MM. [Y] et [L] sur les enregistrements suivants : "Fin de semaine", 3 min 22, "Hommage aux petites graines", 3 min 38, "J'aurai dû continuer le rap", 4 min, "J'élargis mes racines", 3 min 10, "J'ignore", 2 min 08, "Joint de culotte", 3 min 14, "Je ne crois plus en l'homme", 3 min 23, "L'éclosion du mal", 3 min 23, "L'équimose", 3 min 51, "Les parisiennes", 1 min 47, "Ma maman m'a dit", 4 min 04, "Plus fort que moi", 2 min 26, "Princesse de feu", 4 min 34, "Les filles de Paris", 2 min 16, "Le mauvais rap ne me rattrapera pas", 3 min 40, "Compte sur nous", 3 min 27, "Funk", 2 min 54, "Mon 75", 3 min 25, "Dans ta réssoi", 4 min 44, "Chicha menthe", 3 min 19, "Du vécu", 5 min 5, "Les filles de Paris", 3 min 20, "Jungle urbaine", 3 min 36, "L'heure tourne", 5 min 25, "Nique les clones", 2 min 55, "On est ensemble", 5 min 36, "Vorace", 3 min 43, "Quand le soleil se lève", 4 min 14, "Steve Jobs", "Pilote de l'air", 3 min 01, "Enfants de la patrie", 4 min 53 ;- dire et juger que MM. [A] [B], [U] [F], [R] [S] et [H] [S] ont violé l'ensemble des obligations leur incombant au titre du contrat en date du 5 avril 2011 ;- constater que la résiliation anticipée des contrats en date du 5 avril 2011 a été opérée de manière brutale et en violation du principe de bonne foi contractuelle ;- dire et juger que MM. [A] [B], [U] [F], [R] [S] et [H] [S] ont procédé à l'exploitation illicite des titres "Compte sur nous", "L'heure tourne" et "Vorace" produits par MM. [Y] et [L] ;En conséquence, condamner in solidum MM. [A] [B], [U] [F], [R] [S] et [H] [S] à payer à MM. [Y] et [L] :> 54 597 euros au titre des frais exposés pour l'enregistrement des 31 phonogrammes litigieux susvisés ;> 2 660 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif à ses inexécutions contractuelles s'agissant de ses albums solos ;> 287 280 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif à leurs inexécutions contractuelles s'agissant des albums du groupe S-Crew ;> la somme forfaitaire de 50 000 euros au titre de la contrefaçon des enregistrements "Compte sur nous", "L'heure tourne" et "Vorace" ;> 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir. 19. Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 mars 2022, MM. [A] [B], [R] [Z] [S], [H] [S] et [U] [F] ont demandé au tribunal de :- à titre principal, constater que MM. [K] [Y] et [N] [L] sont prescrits dans leur actions ;- en conséquence, déclarer MM. [K] [Y] et [N] [L] irrecevables en leurs demandes ;- à titre subsidiaire, constater que MM. [K] [Y] et [N] [L] ne disposent pas de la qualité à agir ;- en conséquence, déclarer MM. [K] [Y] et [N] [L] irrecevables en leurs demandes ;- à titre infiniment subsidiaire> constater que MM. [A] [B] (alias [J]), [R] [Z] [S] (alias [M]), [H] [S] (alias [V]) et [U] [F] (alias [I]) n'ont commis aucun manquement contractuel et que le contrat a été résilié à leur initiative ;> constater que MM. [Y] et [L] sont dans l'incapacité de rapporter la preuve d'un quelconque préjudice consécutif à des inexécutions contractuelles de MM. [A] [B] (alias [J]), [R] [Z] [S] (alias [M]), [H] [S] (alias [V]) et [U] [F] (alias [I]) ;> constater que MM. [Y] et [L] ne sont pas recevables à solliciter le versement de dommages et intérêts du fait de prétendues inexécutions contractuelles prétendument imputables à MM. [A] [B] (alias [J]), [R] [Z] [S] (alias [M]), [H] [S] (alias [V]) et [U] [F] (alias [I]) et de revendiquer, dans le même temps, des dommages et intérêts sur le fondement d'une prétendue contrefaçon ;> en conséquence, débouter MM. [Y] et [L] de l'intégralité de leurs demandes à l'encontre de MM. [A] [B] (alias [J]), [R] [Z] [S] (alias [M]), [H] [S] (alias [V]) et [U] [F] (alias [I]) ;- en tout état de cause, condamner MM. [K] [Y] et [N] [L] à payer, chacun, à MM. [A] [B] (alias [J]), [R] [Z] [S] (alias [M]), [H] [S] (alias [V]) et [U] [F] (alias [I]) :> quinze mille euros (15 000 €), chacun, pour procédure abusive> quinze mille euros (15 000 €), chacun, au titre de l'article 700 du code de procédure civile- condamner MM. [K] [Y] et [N] [L] aux entiers dépens d'instance. MOTIFS DU JUGEMENT I - Sur la prescription des demandes de MM. [Y] et [L] Moyens des parties 20. MM. [A] [B], [R] [Z] [S], [H] [S] et [U] [F] font valoir que les demandes de MM. [Y] et [L] sont prescrites, dès lors qu'elles ont été présentées le 30 novembre 2018, soit plus de cinq ans après le 20 janvier 2012, date à laquelle ces derniers ont été informés de leur volonté de s'opposer à la divulgation du l'album de musique intitulé "Black Album" contenant quinze chansons dont ils sont les auteurs. Ils considèrent que l'action introduite antérieurement par la SARL Y&W n'a pas pu avoir pour effet d'interrompre la prescription dans la mesure où elle a été introduite par une personne morale distincte et sur des fondements juridiques différents de ceux de la présente instance. 21. La SARL Y&W et MM. [Y] et [L] opposent que le délai de prescription de leur action a été interrompu entre le 16 septembre 2016, date de l'introduction par la SARL Y&W d'une instance tendant au même but que la présente instance, et le 10 juin 2020, date de l'arrêt de la Cour de cassation ayant rendu définitive l'analyse selon laquelle cette société n'avait pas pu conclure les contrats du 5 avril 2011 litigieux avec chacun des défendeurs. Réponse du tribunal 22. Conformément à l'article 2224 du code civil, "les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer". 23. La prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 9 juillet 2009, 08-10.820). 24. Aux termes de l'article 2241 du même code, "la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure". 25. Les articles 2242 et 2243 du même code ajoutent que "l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance" et que "l'interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l'instance, ou si sa demande est définitivement rejetée". 26. Il résulte de ces dispositions que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque deux actions, quoiqu'ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but, de telle sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 8 juillet 2020, no18-24.441). 27. Toutefois, seule une initiative du créancier de l'obligation peut interrompre la prescription et lui seul peut revendiquer l'effet interruptif de son action et en tirer profit (en ce sens pour l'exclusion de l'identité de parties à un assureur, Cour de cassation, 2ème chambre civile, 23 novembre 2017, no16-13.239 ; pour la même exclusion appliquée à un appel en garantie, 3è chambre civile, 19 mars 2020, 19-13.459). 28. Néanmoins, l'effet interruptif de l'action en justice peut être valablement invoqué par les héritiers du créancier ou le créancier subrogé dans ses droits (en ce sens Cour de cassation, 3ème chambre civile, 14 février 1996, no94-13.445), ou encore en cas d'action oblique (en ce sens Cour de cassation, 3ème chambre civile, 17 novembre 2021, no20-10.389). 29. Au cas présent, l'instance introduite le 30 décembre 2013 et conclue par arrêt du 10 juin 2020 de la Cour de cassation, l'a été par la seule SARL Y&W (pièces des défendeurs no8) et se fondait sur les contrats d'artistes conclus le 5 avril 2011 (pièces des demandeurs no19 et 21). 30. Pour autant, la cour d'appel de Paris, infirmant le jugement du 16 septembre 2016 sur ce point, a retenu que la SARL Y&W n'avait pas pu valablement signer les contrats litigieux faute d'être constituée de la personnalité morale à cette date et en l'absence de reprise de ces contrats lors de sa constitution (pièce des demandeurs no19), analyse que la Cour de cassation a approuvée (pièce des demandeurs no21). 31. Les statuts de la SARL Y&W déposés le 13 septembre 2011 mentionnent qu'elle est constituée par MM. [E] [L], [K] [Y], [O] [Y] et [N] [L] (pièce des demandeurs no3). 32. Si MM. [Y] et [L] avancent, désormais, que les contrats litigieux du 5 avril 2011 ont été signés en leurs noms propres, ils ne sauraient valablement se prévaloir que cette instance ait pu interrompre à leur profit la présente action, dans la mesure où, d'une part, ils n'invoquent pas que leur qualité d'associé de la SARL Y&W puisse leur conférer ce droit et où, d'autre part, cette seule qualité ne saurait justifier, en l'espèce, qu'ils puissent en bénéficier en leurs noms propres. 33. Par ailleurs, il n'est pas contesté par MM. [Y] et [L] qu'ils ont eu personnellement connaissance du courrier du 20 janvier 2012 du conseil de MM. [B], [S] et [F] de mettre fin aux contrats litigieux du 5 avril 2011 (leurs conclusions pages 4, 8 et 9). 34. Il s'ensuit que MM. [Y] et [L] disposaient jusqu'au 20 janvier 2017 pour introduire leur action envers les défendeurs et, en conséquence, leurs demandes introduites par conclusions d'intervention volontaire du 30 novembre 2018 sont prescrites et seront déclarées irrecevables. II - Sur la procédure abusive Moyens des parties 35. MM. [A] [B], [R] [Z] [S], [H] [S] et [U] [F] estiment que le caractère tardif des demandes indemnitaires de MM. [Y] et [L] ne procèdent que de leur volonté de leur nuire et de s'enrichir à leurs dépens, l'abus étant caractérisé par l'acharnement dont ils font preuve, alors même qu'ils ont parfaitement conscience du caractère infondé de leurs demandes. 36. La SARL Y&W et MM. [Y] et [L] n'ont pas répondu à cette demande. Réponse du tribunal 37. L'article 1240 du code civil prévoit que "tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer". 38. En application de l'article 32-1 du code de procédure civile, "celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 € sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés". 39. Le droit d'agir en justice participe des libertés fondamentales de toute personne. Il dégénère en abus constitutif d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil lorsqu'il est exercé en connaissance de l'absence totale de mérite de l'action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l'autre partie à se défendre contre une action que rien ne justifie sinon la volonté d'obtenir ce que l'on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté (en ce sens Cour de cassation, 3ème chambre civile, 10 octobre 2012, no 11-15.473). 40. En l'occurrence, la seule circonstance que MM. [Y] et [L] soient déclarés irrecevables en leurs demandes n'est pas de nature à faire dégénérer leur action en abus et MM. [B], [S] et [F] ne démontrent aucun préjudice distinct des frais engagés pour leur défense, lesquels sont indemnisés au titre des frais non compris dans les dépens. 41. Leur demande à ce titre sera, en conséquence, rejetée. III - Sur les dispositions finales III.1 - S'agissant des dépens 42. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie. 43. La SARL Y&W et MM. [Y] et [L], étant parties perdantes, ils seront condamnés aux dépens. III.2 - S'agissant de l'article 700 du code de procédure civile 44. L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation. 45. Conformément à la demande, MM. [Y] et [L], parties condamnées aux dépens, seront condamnés, chacun, à payer 5000 euros à MM. [B], [S] et [F], au titre des frais non compris dans les dépens. 46. Les demandes à ce titre de MM. [Y] et [L] seront rejetées. III.3 - S'agissant de l'exécution provisoire 47. Aux termes de l'article 515 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable à la date de l'assignation, "hors les cas où elle est de droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d'office, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi.Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation". 48. Eu égard aux termes du jugement, l'exécution provisoire, nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, sera ordonnée. PAR CES MOTIFS Le tribunal, DÉCLARE irrecevables comme prescrites les demandes de MM. [K] [Y] et [N] [L] ; DÉBOUTE MM. [A] [B], [R] [Z] [S], [H] [S] et [U] [F] de leur demande au titre de la procédure abusive ; CONDAMNE MM. [K] [Y] et [N] [L] aux dépens ; CONDAMNE, d'une part, M. [K] [Y] et, d'autre part, M. [N] [L] à payer, chacun, 5000 euros à M. [A] [B], 5000 euros à M. [R] [Z] [S], 5000 euros à M. [H] [S] et 5000 euros à [U] [F] en application de l'article 700 du code de procédure civile ; DÉBOUTE MM. [K] [Y] et [N] [L] de leur demande en application de l'article 700 du code de procédure civile ; ORDONNE l'exécution provisoire. Fait et jugé à Paris le 28 juin 2023 La greffière Le président
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JURITEXT000048389778
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 28 juin 2023, 21/05950
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2023-06-28
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/05950
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 21/05950 - No Portalis 352J-W-B7F-CUKGL No MINUTE : Assignation du :29 avril 2021 JUGEMENT rendu le 28 juin 2023 DEMANDERESSE S.A.S. TOMAWAK PRODUCTIONS[Adresse 3][Localité 4] représentée par Maître Sébastien HAAS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2251 DÉFENDERESSE S.A.S. CINÉTÉVÉ[Adresse 2][Localité 1] représentée par Maître Lorraine GAY de la SELEURL RICHARD MALKA AVOCAT, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C0593 COMPOSITION DU TRIBUNAL Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjointLinda BOUDOUR, jugeArthur COURILLON-HAVY, juge assistés de Lorine MILLE, greffière, DÉBATS A l'audience du 15 mars 2023 tenue en audience publique devant Jean-Christophe GAYET et Linda BOUDOUR, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir donné lecture du rapport, puis entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 28 juin 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort Magistrat signataire (article 456 du code de procédure civile) : Linda BOUDOUR, juge, le président Jean-Christophe GAYET étant empêché.___________________________ EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. La société par actions simplifiée (ci-après SAS) Tomawak Productions, immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) de Nanterre, indique avoir pour activité principale la production de films et de programmes pour la télévision. 2. La société anonyme (ci-après SA) Cinétévé, immatriculée le 25 octobre 1982 au RCS de Paris, a également pour activité la production audiovisuelle. 3. Dans le cadre de la production d'un documentaire, la SA Cinétévé a contacté la SAS Tomawak Productions le 4 octobre 2018 en vue d'acquérir des extraits du documentaire "[B] [W], les feux de la rampe". Le même jour, la SAS Tomawak Productions lui confirmait détenir les droits patrimoniaux de l'oeuvre et lui présentait ses conditions de vente, à savoir 2500 euros par minute non sécable. 4. Malgré plusieurs échanges intervenus entre le 8 et le 18 octobre 2018 sur les conditions de vente des extraits du documentaire et la proposition par la SAS Tomawak Productions d'un tarif préférentiel de 500 euros par minute, cette vente n'a pas abouti. 5. Des extraits de l'oeuvre appartenant à la SAS Tomawak Productions ont néanmoins été incorporés dans le documentaire produit par la SA Cinétévé, qui a été diffusé au festival "Lumière" de [Localité 5] le 16 octobre 2018 puis sur d'autres chaînes télévisées et de streaming.6. Par deux courriels du 19 mai 2020 restés sans réponse puis par lettre recommandée du 27 mai 2020, la SAS Tomawak Productions a mis en demeure la SA Cinétévé de lui communiquer les éléments contractuels portant sur la diffusion des extraits litigieux dans le documentaire de la SA Cinétévé. 7. Par courriel du 3 juin 2020, la SA Cinétévé proposait à la SAS Tomawak Productions de régulariser la situation en lui payant 500 euros pour l'extrait utilisé, qu'elle estimait être de 49 secondes. Cette proposition a été rejetée le même jour par la SAS Tomawak Productions, qui contestait la durée de l'extrait utilisé et proposait un tarif de 4500 euros par minute. 8. Plusieurs propositions ont été faites par les deux parties entre le 8 juin et le 10 juillet 2020, sans qu'aucun accord ne soit finalement trouvé. 9. Le 28 juillet 2020, la SAS Tomawak Productions a mis en demeure la SA Cinétévé de lui communiquer la preuve de la cessation de la diffusion du documentaire litigieux, le budget du documentaire certifié par expert-comptable, le plan de financement du documentaire, ses exploitations passées et en cours ainsi qu'une attestation de pilon de tous les supports vidéographiques édités du documentaire. La SA Cinétévé n'a pas communiqué lesdits éléments. 10. Par acte d'huissier du 29 avril 2021, la SAS Tomawak Productions a assigné la SA Cinétévé en contrefaçon de droits d'auteur. 11. L'instruction a été close par ordonnance du 30 juin 2022 du juge de la mise en état et l'affaire fixée à l'audience du 15 mars 2023 pour être plaidée. PRÉTENTIONS DES PARTIES 12. Dans ses dernières conclusions au fond, notifiées par voie électronique le 30 mars 2022, la SAS Tomawak Productions a demandé au tribunal de :- condamner la SA Cinétévé à lui verser une somme forfaitaire de 22 500 euros en indemnisation de son préjudice patrimonial, sur le fondement de la contrefaçon ;- condamner la SA Cinétévé à lui verser 3000 euros au titre de son préjudice moral ;- ordonner que soient définitivement retirés de la vente ou détruits tous vidéogrammes et tous supports matériels servant à la diffusion du film "[G] [E], bref passage sur la terre" et donc à la diffusion des quatre extraits des "Feux de la rampe" contrefaits, aux frais du défendeur ;- ordonner la publicité du jugement à intervenir dans une revue spécialisée, aux frais du défendeur ;- ordonner la confiscation de tout ou partie des recettes procurées par la contrefaçon, qui lui seront reversées à hauteur de son préjudice patrimonial et moral ;- dire n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;- condamner la SA Cinétévé à lui verser 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;- condamner la SA Cinétévé aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Sébastien Haas. 13. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 7 février 2022, la SA Cinétévé a demandé au tribunal de :- dire que le deuxième extrait reproché n'est pas contrefaisant ;- dire que les extraits empruntés relèvent de l'exception de courte citation ;A titre subsidiaire,- constater l'absence de préjudice moral et matériel de la SAS Tomawak Productions ;- débouter la SAS Tomawak Productions de l'intégralité de ses demandes ;- condamner la SAS Tomawak Productions à lui verser 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir MOTIFS DU JUGEMENT I - Sur la contrefaçon de droits d'auteur Moyens des parties 14. La SAS Tomawak Productions fait valoir que la défenderesse a inséré, sans son autorisation, dans le film "[G] [E], bref passage sur la terre" dont elle est la productrice, trois extraits du vidéogramme "[B] [W], Les feux de la rampe" pour un total d'une minute et onze secondes, dont elle détient les droits d'exploitation. Elle ajoute que ce documentaire a, ensuite, été largement diffusé à la télévision, sur plusieurs sites de vidéos à la demande (VOD), lors de festivals de cinéma et dans des salles de cinéma. Elle conteste que les extraits du vidéogramme litigieux bénéficient de l'exception de courte citation, dès lors que la mention du nom de l'auteur et la source de l'emprunt font défaut et que sa durée excède le caractère bref de la citation. 15. La SA Cinétévé oppose que si le caractère original de l'émission dont elle a emprunté un extrait est indéniable, la durée totale de l'emprunt qu'elle a opéré, d'une minute et onze secondes est bref, s'inscrit dans le caractère critique ou d'information du film dans lequel il a été inséré et que l'absence de mention du nom de l'auteur de l'oeuvre empruntée relève d'une atteinte au droit moral de son auteur dont la société demanderesse n'est pas titulaire. Réponse du tribunal 16. En application de l'alinéa 2 de l'article L.215-1 du code de la propriété intellectuelle, "l'autorisation du producteur de vidéogrammes est requise avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l'échange ou le louage, ou communication au public de son vidéogramme". 17. Aux termes de l'article L.211-3 du même code, "les bénéficiaires des droits ouverts au présent titre ne peuvent interdire : (...) 3o Sous réserve d'éléments suffisants d'identification de la source : a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées (...)". 18. Au cas présent, il n'est pas contesté et il résulte des pièces produites par la SAS Tomawak Productions que la SAS Cinétévé a produit un film documentaire intitulé "[G] [E], bref passage sur la terre" diffusé courant 2018 au festival "Lumière" de [Localité 5] (pièce Tomawak Productions no5) et comportant un extrait du vidéogramme intitulé "[B] [W], les feux de la rampe" d'une minute et onze secondes. 19. Il n'est pas plus contesté par la SA Cinétévé que la SAS Tomawak Productions détient les droits d'exploitation de ce vidéogramme, ce qui résulte également de sa pièce no14, de même que la circonstance que la SAS Tomawak Productions n'a pas donné d'autorisation à cette reproduction. 20. S'agissant de l'exception de courte citation invoquée par la SA Cinétévé, cette dernière reconnaît elle-même que le film documentaire qu'elle a produit ne comporte aucun élément d'identification de la source du vidéogramme litigieux dont elle a reproduit un extrait dans son film documentaire "[G] [E], bref passage sur la terre" et pour lequel elle invoque le bénéfice de cette exception. Le visionnage de ce documentaire litigieux par le tribunal (pièce Tomawak Productions no15) confirme l'absence totale de tout élément d'identification du vidéogramme sur lequel la SAS Tomawak Productions détient des droits, tant dans le fil du documentaire (42'57" à 43'23", 43'52" à 44'05", 44'17" à 44'27", 44'42" à 44'51", 45'08" à 45'17", 45'25" à 45'50" environ, de la pièce no15 précitée) que dans les crédits du générique auquel seul figure l'Institut national de l'audiovisuel (INA) pour les "extraits vidéo" (même pièce 58'39"). 21. A défaut de tout élément d'identification de la source du vidéogramme "[B] [W], Les feux de la rampe", dont la SAS Tomawak Productions est titulaire des droits patrimoniaux, dans le film documentaire "[G] [E], bref passage sur la terre" produit par la SA Cinétévé, les conditions de l'exception de courte citation ne sont pas réunies, peu important, dès lors, la durée de la citation. 22. Par conséquent, le film documentaire "[G] [E], bref passage sur la terre" constitue une contrefaçon du vidéogramme "[B] [W], Les feux de la rampe" dont la SA Cinétévé est responsable. II - Sur les mesures réparatrices Moyens des parties 23. La SAS Tomawak Productions réclame l'indemnisation forfaitaire du préjudice subi du fait de la contrefaçon commise par la défenderesse, ce forfait incluant les sommes dues au titre du tarif maximal applicable si un contrat de cession avait été conclu et celles dues au titre de la large diffusion du film contrefaisant. Elle demande, par ailleurs, l'indemnisation d'un préjudice moral découlant des manquements de la défenderesses à ses obligations envers les auteurs de l'oeuvre et de l'atteinte portée à son image et à sa réputation, qui ne relève pas, selon elle, de la diffamation ou de l'injure, ainsi que le retrait de la vente et la destruction du film contrefaisant, des mesures de publication et la confiscation des recettes procurées par la contrefaçon. 24. La SA Cinétévé objecte, d'une part, que la demanderesse lui a proposé un prix forfaitaire de 500 euros par minute le 10 octobre 2020 pour les extraits litigieux, d'autre part, que le film litigieux a fait l'objet d'une exploitation limitée à deux festivals, une salle de cinéma et une diffusion sur la plate-forme Ciné+, en sorte que le préjudice est inexistant. Elle ajoute que le préjudice moral invoqué d'atteinte à son image et à sa réputation n'est possible que sur le fondement de la diffamation ou de l'injure, celui de la perte d'image relevant de la réparation de la concurrence déloyale, tandis qu'elle ne démontre aucun préjudice moral. Réponse du tribunal 25. L'article L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle prévoit que "pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1o Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;3o Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits.Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée". 26. Ce texte doit être interprété à la lumière de la législation européenne, en particulier, du considérant 26 de la directive no2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle selon lequel : "le montant des dommages-intérêts pourrait également être calculé, par exemple dans les cas où il est difficile de déterminer le montant du préjudice véritablement subi, à partir d'éléments tels que les redevances ou les droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit de propriété intellectuelle en question. Le but est non pas d'introduire une obligation de prévoir des dommages-intérêts punitifs, mais de permettre un dédommagement fondé sur une base objective tout en tenant compte des frais encourus par le titulaire du droit tels que les frais de recherche et d'identification". 27. Ainsi, il appartient au juge, y compris dans l'allocation de dommages et intérêts calculés selon une base forfaitaire, de veiller à ce que le montant alloué répare le préjudice réellement subi par la victime d'actes de contrefaçon, dans le respect du principe de réparation sans perte ni profit pour la victime. 28. En application de l'article L.331-1-4 du même code, "en cas de condamnation civile pour contrefaçon, atteinte à un droit voisin du droit d'auteur ou aux droits du producteur de bases de données, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les objets réalisés ou fabriqués portant atteinte à ces droits, les supports utilisés pour recueillir les données extraites illégalement de la base de données et les matériaux ou instruments ayant principalement servi à leur réalisation ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée.La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise.Les mesures mentionnées aux deux premiers alinéas sont ordonnées aux frais de l'auteur de l'atteinte aux droits.La juridiction peut également ordonner la confiscation de tout ou partie des recettes procurées par la contrefaçon, l'atteinte à un droit voisin du droit d'auteur ou aux droits du producteur de bases de données, qui seront remises à la partie lésée ou à ses ayants droit". 29. En l'occurrence, il ressort des pièces produites par la SAS Tomawak Productions que le film documentaire "[G] [E], bref passage sur la terre" a fait l'objet d'une diffusion :- au festival "Lumière" de [Localité 5] qui s'est déroulé du 13 au 21 octobre 2018 (sa pièce no5)- sur la chaîne Ciné Classic, à tout le moins à cinq reprises entre le 9 septembre 2020 à 22h54 et le 8 novembre 2020 à 6h13 (ses pièces no6 et 7)- sur la chaîne Ciné+ le 5 avril 2020 à 22h50 (sa pièce no8)- sur la plate-forme <molotov.tv>, à tout le moins le 17 décembre 2020 (sa pièce no16)- au festival américain du film français de Los Angeles le 29 mars 2019 (sa pièce no19)- au festival "cinéma en Vivarais" de [Localité 8] le 4 octobre 2019 (sa pièce no20)- aux cinémas "L'Eden" de [Localité 6] le 2 juin 2019 (sa pièce no21) le "Cinéma des cinéastes" de [Localité 7] le 3 décembre 2018 (sa pièce no22) 30. En revanche, la diffusion sur la plate-forme <filmotv.fr> n'est pas établie par ses pièces no17 et 26 qui mentionnent que le documentaire sera "bientôt disponible" ou n'est "pas encore disponible", ce qui ne démontre pas qu'il y a été mis en ligne. Il en va de même de la plate-forme <primevideo.com> qui mentionne que le film documentaire litigieux "n'est actuellement pas disponible depuis votre zone géographique" (sa pièce no18). 31. S'agissant du montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte, les pièces versées par les parties font état de négociations lors de la préparation du documentaire au tarif de 2500 euros par minute non sécable le 4 octobre 2018 (pièce Tomawak Productions no4 page 10 et Cinétévé no1 page 52) puis de 500 euros par minute le 10 octobre 2018 sur lequel un accord a été trouvé (mêmes pièces pages 8 et 51). Compte tenu que les parties s'accordent quant la durée d'une minute et onze secondes de la reproduction contrefaisante du vidéogramme "[B] [W], Les feux de la rampe", le coût total négocié était de 1000 euros à cette dernière date. 32. Dans le cadre des pourparlers entre les parties postérieurs à la diffusion du film litigieux, la SA Cinétévé a offert de régler la somme maximale de 4000 euros, proposition qui a été refusée par la SAS Tomawak Productions (pièces Tomawak Productions no10 et Cinétévé no1 page 1). 33. Par ailleurs, l'indemnisation forfaitaire réclamée par la SAS Tomawak Productions n'étant pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral qui lui a été causé, la SA Cinétévé est mal fondée à soutenir que ce préjudice ne relèverait que de l'indemnisation de l'injure ou de la diffamation. 34. A cet égard, la demanderesse établit qu'elle a subi une dégradation de son image auprès de l'auteur du vidéogramme "[B] [W], Les feux de la rampe" qui lui a adressé des courriels comminatoires (ses pièces no23 à 26). 35. Il résulte de l'ensemble que le préjudice de la SAS Tomawak Productions sera réparé par l'allocation de 2000 euros à titre de dommages-intérêts. 36. Le préjudice étant entièrement réparé par l'allocation de dommages-intérêts, le surplus des demandes de la SAS Tomawak Productions tendant à ordonner le retrait de la vente ou la destruction du vidéogramme "[G] [E], bref passage sur la terre", à publier le jugement et à ordonner la confiscation des recettes, sera rejeté. III - Sur les dispositions finales III.1 - S'agissant des dépens 37. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie. 38. La SA Cinétévé, partie perdante, sera condamnée aux dépens. III.2 - S'agissant de l'article 700 du code de procédure civile 39. L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation. 40. La SA Cinétévé, partie condamnée aux dépens, sera condamnée à payer 2000 euros à la SAS Tomawak Productions à ce titre. 41. Sa demande à ce titre sera, en conséquence, rejetée. III.3 - S'agissant de l'exécution provisoire 42. Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement. 43. La présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire et il n'y a pas lieu d'y déroger. PAR CES MOTIFS Le tribunal, CONDAMNE la SA Cinétévé à payer 2000 euros à la SAS Tomawak Productions en réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon du vidéogramme "[B] [W], Les feux de la rampe" par le film documentaire "[G] [E], bref passage sur la terre" ; DÉBOUTE la SAS Tomawak Productions du surplus de ses demandes tendant à ordonner le retrait de la vente ou la destruction du vidéogramme "[G] [E], bref passage sur la terre", à publier le jugement et à ordonner la confiscation des recettes ; CONDAMNE la SA Cinétévé aux dépens, avec droit pour Maître Sébastien Haas, avocat au barreau de Paris, de recouvrer ceux dont il a fait l'avance sans recevoir provision ; CONDAMNE la SA Cinétévé à payer 2000 euros à la SAS Tomawak Productions en application de l'article 700 du code de procédure civile; DÉBOUTE la SA Cinétévé de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile. Fait et jugé à Paris le 28 juin 2023 La greffière Le président
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 14 septembre 2023, 22/08069
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2023-09-14
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Tribunal judiciaire de Paris
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22/08069
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 22/08069No Portalis 352J-W-B7G-CXKJX No MINUTE : Assignation du :30 juin 2022 JUGEMENT rendu le 14 septembre 2023 DEMANDERESSE Société SEG AUTOMOTIVE GERMANY GMBH[Adresse 4][Localité 2] (ALLEMAGNE) représentée par Me Arnaud CASALONGA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0177 DÉFENDERESSE S.A.S. VALEO EQUIPEMENTS ELECTRIQUES MOTEUR[Adresse 1][Localité 3] représentée par Me Grégoire DESROUSSEAUX et Me Lionel MARTIN de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0438 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière DEBATS Avec l'accord des parties, la procédure s'est déroulée sans audience en application de l'article L212-5-1 du code l'organisation judiciaire.Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort Magistrat signataire : Madame Elodie GUENNEC (article 456 du code de procédure civile), la présidente Madame Nathalie SABOTIER étant empêchée. EXPOSÉ DU LITIGE : 1. La société de droit allemand SEG Automotive Germany GmbH a pour objet social, selon le registre du commerce du tribunal régional de Stuttgart, où elle a son siège, le développement, la fabrication et la vente de systèmes et de composants électromécaniques, tels que démareurs, générateurs et composants pour la récupération de l'énergie de freinage et l'assistance à la propulsion électrique. Elle est, au même titre que le groupe Valeo, équipementier automobile français fondé en 1923, un fournisseur de premier rang des constructeurs automobiles. 2. Au sein du groupe Valeo, la société Valeo Equipements Electriques Moteurs (VEEM) détient la propriété industrielle de la branche "système de propulsion". A ce titre, la société VEEM est titulaire du brevet français FR 3 035 284 déposé le 20 avril 2015 et délivré le 25 avril 2018. Sa protection s'étend à d'autres territoires sous les numéros DE 11 2016 001 817 (T5), US 1 009 7124 (B2) et WO 2016/170262. Ce brevet a pour titre "Régulateur de tension d'un alternateur de véhicule automobile, porte-balais régulateur et alternateurs correspondants". Il concerne, selon son abrégé, un régulateur de tension, pour un alternateur de véhicule automobile du type de ceux comprenant un module de régulation, apte à contrôler un courant d'excitation (lexc) dans un enroulement d'excitation de l'alternateur, en fonction d'une différence entre une tension de consigne (Uo) et une tension de régulation (Ubat) d'un réseau de bord. Le réseau de bord du véhicule est alimenté par une batterie à laquelle est raccordé l'alternateur. Conformément à l'invention, le régulateur de tension comprend en outre un module de sécurité réalisant une fonction de surveillance de la tension de régulation (Ubat) distinct du module de régulation. Selon une forme de réalisation particulière, le module de régulation et le module de sécurité sont reliés électriquement par des interconnections externes de type "bonding". 3. La société SEG Automotive expose avoir développé un dispositif évitant les surtensions qui tombe dans le champ couvert par ce brevet, raison pour laquelle le groupe Volkswagen a exigé d'elle, afin qu'elle puisse répondre aux exigences du cahier des charges d'un appel d'offres concernant un véhicule de marque Audi, qu'elle obtienne une licence portant sur le brevet FR 3 035 284 de la société Valeo, ce qu'elle refuse, estimant que ce brevet n'est pas valable tel que délivré. 4. C'est dans ce contexte et après avoir vainement sollicité les conseils allemands de la société Valeo, que la société SEG Automotive a, par acte d'huissier du 30 juin 2022, fait assigner la société VEEM devant ce tribunal en nullité du brevet FR 3 035 284. 5. Alors que ses premières conclusions au fond étaient attendues pour le 30 janvier 2023, la société VEEM a demandé un renvoi afin de solliciter la limitation de son brevet auprès du directeur de l'INPI de manière à surmonter les objections de nullité de la société SEG Automotive. Le juge de la mise en état lui a alors enjoint de régulariser des conclusions au fond conformes aux dispositions de l'article L. 613-25 du code de la propriété intellectuelle afin de ne pas retarder davantage l'avancement de cette procédure. 6. Par ses dernières conclusions notifiées électroniquement le 27 juin 2023, la société SEG Automotive demande au tribunal de : - Lui donner acte de ce qu'elle accepte la limitation du brevet FR 3 035 284 demandée par la société Valeo Equipements Electriques Moteur ; En conséquence, - Prononcer la limitation du brevet telle que sollicitée par cette société ; - Ordonner la transmission aux fins d'inscription du jugement à intervenir à l'INPI à l'initiative du greffier ou de la partie la plus diligente ; - Lui donner acte de ce qu'elle renonce à demander la nullité du brevet FR 3 035 284 tel que délivré ; - Constater qu'elle se désiste de toutes ses autres demandes et en particulier qu'elle renonce à demander la nullité du brevet FR 3 035 284 tel que délivré ; - Constater le désistement de la société Valeo Equipements Electriques Moteur de ses demandes autres que celles relatives à la limitation du brevet, et en particulier de sa demande de débouté de la demande en annulation de la société SEG Automative Germany Gmbh, sous réserve du désistement réciproque de toutes les demandes de cette dernière à son égard à l'exception de celles relatives à la limitation sollicitée ; - Dire que les parties supporteront chacune leur propres frais et honoraires et les dépens renonçant ainsi à leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; - Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans constitution de garantie. 7. Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 30 juin 2023, la société Valeo demande quant à elle au tribunal de : - Prononcer la limitation du brevet FR 3 035 284 comme suit : 1) Régulateur de tension (1, 30) d'un alternateur (2, 44) de véhicule automobile du type de ceux comprenant un module de régulation (1) apte à contrôler un courant d'excitation (Iexc) dans un enroulement d'excitation (3) dudit alternateur (2, 44) en fonction d'une différence (5) entre une tension de consigne (U0) et une tension de régulation (Ubat) d'un réseau de bord (9) dudit véhicule alimenté par une batterie (10) à laquelle est raccordée ledit alternateur (2,44), ledit module de régulation (1) comportant: - une première borne de masse (22) destinée à être reliée à une masse (21) dudit réseau de bord (9); - une première borne d'alimentation (25) destinée à être reliée à une ligne positive (24) dudit réseau de bord (9); - une première borne d'excitation (27) destinée à être reliée audit enroulement d'excitation (3); - une borne de mesure (25) destinée à mesurer ladite tension de régulation (Ubat), ladite borne de mesure (25) étant confondue avec ladite première borne d'alimentation (25); et comprenant: - un pont diviseur de tension (13) relié d'une part à ladite borne de mesure (25) et d'autre part à ladite première borne de masse (22); - un soustracteur (14) relié en entrée à ladite tension de consigne (U0) et à un point milieu dudit pont diviseur de tension (13); - une boucle de régulation (12) reliée en entrée audit soustracteur (14) et commandant en sortie un premier commutateur à semi-conducteur (16) connecté entre ladite première borne d'alimentation (25) et ladite première borne d'excitation (27); - une première diode de roue libre (17) connectée entre ladite première borne d'excitation (27) et ladite première borne de masse (22); le régulateur de tension (1, 30) comprend en outre un module de sécurité (30) réalisant une fonction de surveillance de ladite tension de régulation (Ubat) distinct dudit module de régulation (1), ledit module de sécurité (30) comporte: - une seconde borne d'alimentation (34) destinée à être reliée à ladite ligne positive (24); - une seconde borne de masse (35) destinée à être reliée à ladite masse (21); - une deuxième borne d'excitation (32) connectée à ladite première borne d'excitation (27); - une troisième borne d'excitation (33) destinée à être connectée audit enroulement d'excitation (3); - un second commutateur à semi-conducteur (31) connecté en série avec ledit enroulement d'excitation (3) entre lesdites deuxième et troisième bornes d'excitation (32, 33); - une seconde diode de roue libre (37) connectée entre ladite troisième borne d'excitation (33) et ladite seconde borne de masse (35); - un circuit de commande (36) commandant un état bloqué dudit second commutateur à semi-conducteur (31) en cas de détection d'une surtension sur ladite seconde borne d'alimentation (34) par rapport à ladite seconde borne de masse (35) et commandant un rétablissement d'un état passant en l'absence de ladite surtension selon une stratégie prédéterminée. 2) Régulateur de tension (1, 30) d'un alternateur (44) de véhicule automobile selon la revendication précédente, caractérisé en ce que ledit module de sécurité (30) comporte des modes de veille et de réveil dépendants d'une variation d'une tension d'excitation sur ladite deuxième borne d'excitation (32). 3) Régulateur de tension (1, 30') d'un alternateur (2, 44) de véhicule automobile du type de ceux comprenant un module de régulation (1) apte à contrôler un courant d'excitation (Iexc) dans un enroulement d'excitation (3) dudit alternateur (2, 44) en fonction d'une différence (5) entre une tension de consigne (U0) et une tension de régulation (Ubat) d'un réseau de bord (9) dudit véhicule alimenté par une batterie (10) à laquelle est raccordée ledit alternateur (2, 44), ledit module de régulation (1) comportant: - une première borne de masse (22) destinée à être reliée à une masse (21) dudit réseau de bord (9); - une première borne d'alimentation (25) destinée à être reliée à une ligne positive (24) dudit réseau de bord (9); - une première borne d'excitation (27) destinée à être reliée audit enroulement d'excitation (3); - une borne de mesure (25) destinée à mesurer ladite tension de régulation (Ubat); et comprenant: - un pont diviseur de tension (13) relié d'une part à ladite borne de mesure (25) et d'autre part à ladite première borne de masse (22); - un soustracteur (14) relié en entrée à ladite tension de consigne (U0) et à un point milieu dudit pont diviseur de tension (13); - une boucle de régulation (12) reliée en entrée audit soustracteur (14) et commandant en sortie un premier commutateur à semi-conducteur (16) connecté entre ladite première borne d'alimentation (25) et ladite première borne d'excitation (27); - une première diode de roue libre (17) connectée entre ladite première borne d'excitation (27) et ladite première borne de masse (22); le régulateur de tension (1, 30') comprend en outre un module de sécurité (30') réalisant une fonction de surveillance de ladite tension de régulation (Ubat) distinct dudit module de régulation (1), le régulateur de tension (1, 30') présente un pont en H dans lequel - une première branche de ce pont en H comprend le premier commutateur à semiconducteur (16) et la première diode de roue libre (17) du régulateur de tension (1), - une seconde branche de ce pont en H comprend un second commutateur à semiconducteur (31) et une seconde diode de roue libre (37') du module de sécurité (30'), le second commutateur à semi-conducteur (31) étant connecté entre une borne de masse (35), destinée à être reliée à la masse (21) dudit réseau de bord (9), et une borne d'excitation (33') du module de sécurité (30'), la borne d'excitation (33') étant située en un point milieu de la seconde branche, ladite diode de roue libre (37') étant connectée entre la borne d'excitation (33') et une borne d'alimentation (34) du module de sécurité (30'), destinée à être reliée à la ligne positive (24) dudit réseau de bord (9), - les deux extrémités de l'enroulement d'excitation (3) sont destinées à être reliées respectivement à la première borne d'excitation (27) et à la borne d'excitation (33') dudit module de sécurité (30') à travers des balais (19, 20), respectivement. 4) Porte-balais régulateur (18, 43) d'un alternateur (2) de véhicule automobile, caractérisé en ce qu'il comprend un régulateur de tension (1, 30, 30') selon l'une quelconque des revendications 1 à 3 précédentes. 5) Porte-balais régulateur (43) d'un alternateur (44) de véhicule automobile selon la revendication 4 précédente, caractérisé en ce que ledit module de régulation (1) et ledit module de sécurité (30, 30') sont reliés électriquement par des interconnections externes de type "bonding". 6) Porte-balais régulateur (43) d'un alternateur (44) de véhicule automobile selon la revendication 5 précédente, caractérisé en ce que ledit module de régulation (1) et ledit module de sécurité (30, 30') sont en outre reliés électriquement par d'autres interconnections externes de type "bonding" à un circuit de traces connecté d'une part à des balais (19, 20) aptes à assurer une liaison électrique avec ledit enroulement d'excitation (3) et, d'autre part, à une première vis (28) formant une borne positive dudit alternateur (44) et à une seconde vis (29) formant une borne négative dudit alternateur(44). 7) Alternateur (2, 44) de véhicule automobile, caractérisé en ce qu'il comprend un porte balais régulateur (43) selon l'une quelconque des revendications 4 à 6 précédentes. - Constater que la société SEG Automotive Germany GmbH accepte la limitation de brevet formée par la société Valeo Equipements Electriques Moteur ; - Ordonner la transmission aux fins d'inscription du jugement à intervenir à l'INPI à l'initiative du greffier ou de la partie la plus diligente ; - Constater que la société SEG Automotive Germany GmbH se désiste de toutes ses autres demandes et en particulier qu'elle renonce à demander la nullité du brevet FR 3 035 284 tel que délivré ; - Constater le désistement de la société Valeo Equipements Electriques Moteur de ses demandes autres que celles relatives à la limitation du brevet, et en particulier de sa demande de débouté de la demande en annulation de la société SEG Automotive Germany GmbH, sous réserve du désistement réciproque de toutes les demandes de cette dernière à son égard à l'exception de celles relatives à la limitation sollicitée ; - Dire que les parties supporteront chacune leurs propres frais, honoraires et dépens, renonçant ainsi à leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile. 8. L'instruction de l'affaire a été close par une ordonnance du 17 juillet 2023 et mise en délibéré sans audience conformément aux dispositions de l'article 799 du code de procédure civile, les parties étant avisées que la décision serait rendue le 14 septembre 2023 par les magistrats de la 3ème chambre civile première section. MOTIFS DE LA DÉCISION 9. Selon l'article L. 613-25 du code de la propriété intellectuelle, le brevet est déclaré nul par décision de justice (...) Si les motifs de nullité n'affectent le brevet qu'en partie, la nullité est prononcée sous la forme d'une limitation correspondante des revendications. Dans le cadre d'une action en nullité du brevet, son titulaire est habilité à limiter le brevet en modifiant les revendications ; le brevet ainsi limité constitue l'objet de l'action en nullité engagée. Aux termes de l'article L. 613-27, la décision d'annulation d'un brevet d'invention a un effet absolu sous réserve de la tierce opposition. Les décisions passées en force de chose jugée sont notifiées au directeur de l'Institut national de la propriété industrielle, aux fins d'inscription au Registre national des brevets. Lorsque la décision annule partiellement une revendication, elle renvoie le propriétaire du brevet devant l'Institut national de la propriété industrielle afin de présenter une rédaction de la revendication modifiée selon le dispositif du jugement. Le directeur de l'institut a le pouvoir de rejeter la revendication modifiée pour défaut de conformité au jugement, sous réserve d'un recours devant l'une des cours d'appel désignée conformément à l'article L. 411-4 du code. 10. En application des dispositions équivalentes de la loi no68-1 du 2 janvier 1968 sur les brevets d'invention, il a été jugé que, ayant constaté que, si la revendication 1 vise "un appareil de cuisson", le texte du brevet ainsi que tous les dessins et les commentaires qui en sont faits se rapportent à une friteuse et aux problèmes spécifiques à ce type d'appareil et que l'objet de la revendication s'étendait au-delà du contenu de la demande telle qu'elle avait été déposée, et faisant l'application exacte de l'article 49 c de la loi du 2 janvier 1968, la cour d'appel a à bon droit prononcé, sous la forme d'une limitation de ladite revendication, sa nullité partielle, qui, étant ainsi rétablie dans sa réelle portée, devenait opposable à la société Moulinex ; le moyen qui fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré la revendication 1 du brevet valable est rejeté (Cass. Com., 15 novembre 1994, pourvoi no 93-12.917 Moulinex C/ Seb). 11. Il est également rappelé que, pour être admissible, la modification de la demande initiale d'un brevet doit, pour la personne du métier, découler directement et sans ambiguïté des informations contenues dans la demande telle que déposée dans son ensemble, incluant tous les éléments de la description : Cass. Com., 19 mars 2013, pourvoi no 11-27.725. 12. La société VEEM rappelle que l'invention consiste à fournir un module de sécurité réalisant une fonction de surveillance de la tension de régulation distinct du module de régulation. En l'occurrence, afin de surmonter les objections de défaut de nouveauté et se distinguer de l'art antérieur le plus proche, la société VEEM sollicite la limitation du brevet sous la forme de l'ajout de caractéristiques additionnelles alternatives relatives aux 2 positionnements possibles du module de sécurité distinct et correspondant aux figures 3 A et 3B de la description du brevet ; l'ancienne revendication 2 est ainsi incorporée à la revendication 1 (elle correspond à la figure 3A : le second commutateur est positionné entre la borne d'excitation 33 du module de sécurité et la borne d'excitation 27 du régulateur alors que la seconde diode est positionnée entre la borne de masse 35 et la borne d'excitation 33) et l'ancienne revendication 3 devient la revendication 2 (elle correspond à la figure 3B : le second commutateur est positionné entre la borne de masse 35 du réseau et la borne de masse 33' du rotor de l'alternateur entrainant la borne d'excitation délivrant le courant d'excitation au rotor de l'alternateur, directement reliée à la borne d'excitation 27 du régulateur, alors que la seconde diode est positionnée entre la borne de masse 33' du rotor de l'alternateur et la borne 34 de ligne positive du réseau électrique). 13. Conformément à l'accord intervenu entre les parties, il y a lieu de faire droit à la demande d'annulation partielle du brevet FR 3 035 284 tel que délivré sous la forme d'une limitation des revendications de ce brevet, selon les modalités visées au dispositif de la présente décision proposées par la société Valeo et acceptées par la société SEG Automotive. 14. Par application des dispositions des articles 394, 395 et 399 du code de procédure civile, il y a lieu de déclarer parfait le désistement de la société SEG Automotive de sa demande d'annulation de ce brevet et de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens conformément à l'accord intervenu. 15. Aucune circonstance ne justifiant qu'il en soit disposé autrement, il est rappelé que la présente décision est exécutoire de plein droit conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile, sauf en ce qui concerne l'inscription au registre national des brevets conformément aux dispositions des articles L.613-27 et R.613-54 du code de la propriété intellectuelle. PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL, PRONONCE la nullité partielle du brevet FR 3 035 284 sous la forme de la limitation de ses revendications qui se présenteront désormais comme suit : 1) Régulateur de tension (1, 30) d'un alternateur (2, 44) de véhicule automobile du type de ceux comprenant un module de régulation (1) apte à contrôler un courant d'excitation (Iexc) dans un enroulement d'excitation (3) dudit alternateur (2, 44) en fonction d'une différence (5) entre une tension de consigne (U0) et une tension de régulation (Ubat) d'un réseau de bord (9) dudit véhicule alimenté par une batterie (10) à laquelle est raccordée ledit alternateur (2,44), ledit module de régulation (1) comportant: - une première borne de masse (22) destinée à être reliée à une masse (21) dudit réseau de bord (9); - une première borne d'alimentation (25) destinée à être reliée à une ligne positive (24) dudit réseau de bord (9); - une première borne d'excitation (27) destinée à être reliée audit enroulement d'excitation (3); - une borne de mesure (25) destinée à mesurer ladite tension de régulation (Ubat), ladite borne de mesure (25) étant confondue avec ladite première borne d'alimentation (25); et comprenant: - un pont diviseur de tension (13) relié d'une part à ladite borne de mesure (25) et d'autre part à ladite première borne de masse (22); - un soustracteur (14) relié en entrée à ladite tension de consigne (U0) et à un point milieu dudit pont diviseur de tension (13); - une boucle de régulation (12) reliée en entrée audit soustracteur (14) et commandant en sortie un premier commutateur à semi-conducteur (16) connecté entre ladite première borne d'alimentation (25) et ladite première borne d'excitation (27); - une première diode de roue libre (17) connectée entre ladite première borne d'excitation (27) et ladite première borne de masse (22); le régulateur de tension (1, 30) comprend en outre un module de sécurité (30) réalisant une fonction de surveillance de ladite tension de régulation (Ubat) distinct dudit module de régulation (1), ledit module de sécurité (30) comporte: - une seconde borne d'alimentation (34) destinée à être reliée à ladite ligne positive (24); - une seconde borne de masse (35) destinée à être reliée à ladite masse (21); - une deuxième borne d'excitation (32) connectée à ladite première borne d'excitation (27); - une troisième borne d'excitation (33) destinée à être connectée audit enroulement d'excitation (3); - un second commutateur à semi-conducteur (31) connecté en série avec ledit enroulement d'excitation (3) entre lesdites deuxième et troisième bornes d'excitation (32, 33); - une seconde diode de roue libre (37) connectée entre ladite troisième borne d'excitation (33) et ladite seconde borne de masse (35); - un circuit de commande (36) commandant un état bloqué dudit second commutateur à semi-conducteur (31) en cas de détection d'une surtension sur ladite seconde borne d'alimentation (34) par rapport à ladite seconde borne de masse (35) et commandant un rétablissement d'un état passant en l'absence de ladite surtension selon une stratégie prédéterminée. 2) Régulateur de tension (1, 30) d'un alternateur (44) de véhicule automobile selon la revendication précédente, caractérisé en ce que ledit module de sécurité (30) comporte des modes de veille et de réveil dépendants d'une variation d'une tension d'excitation sur ladite deuxième borne d'excitation (32). 3) Régulateur de tension (1, 30') d'un alternateur (2, 44) de véhicule automobile du type de ceux comprenant un module de régulation (1) apte à contrôler un courant d'excitation (Iexc) dans un enroulement d'excitation (3) dudit alternateur (2, 44) en fonction d'une différence (5) entre une tension de consigne (U0) et une tension de régulation (Ubat) d'un réseau de bord (9) dudit véhicule alimenté par une batterie (10) à laquelle est raccordée ledit alternateur (2, 44), ledit module de régulation (1) comportant: - une première borne de masse (22) destinée à être reliée à une masse (21) dudit réseau de bord (9); - une première borne d'alimentation (25) destinée à être reliée à une ligne positive (24) dudit réseau de bord (9); - une première borne d'excitation (27) destinée à être reliée audit enroulement d'excitation (3); - une borne de mesure (25) destinée à mesurer ladite tension de régulation (Ubat); et comprenant: - un pont diviseur de tension (13) relié d'une part à ladite borne de mesure (25) et d'autre part à ladite première borne de masse (22); - un soustracteur (14) relié en entrée à ladite tension de consigne (U0) et à un point milieu dudit pont diviseur de tension (13); - une boucle de régulation (12) reliée en entrée audit soustracteur (14) et commandant en sortie un premier commutateur à semi-conducteur (16) connecté entre ladite première borne d'alimentation (25) et ladite première borne d'excitation (27); - une première diode de roue libre (17) connectée entre ladite première borne d'excitation (27) et ladite première borne de masse (22); le régulateur de tension (1, 30') comprend en outre un module de sécurité (30') réalisant une fonction de surveillance de ladite tension de régulation (Ubat) distinct dudit module de régulation (1), le régulateur de tension (1, 30') présente un pont en H dans lequel - une première branche de ce pont en H comprend le premier commutateur à semiconducteur (16) et la première diode de roue libre (17) du régulateur de tension (1), - une seconde branche de ce pont en H comprend un second commutateur à semiconducteur (31) et une seconde diode de roue libre (37') du module de sécurité (30'), le second commutateur à semi-conducteur (31) étant connecté entre une borne de masse (35), destinée à être reliée à la masse (21) dudit réseau de bord (9), et une borne d'excitation (33') du module de sécurité (30'), la borne d'excitation (33') étant située en un point milieu de la seconde branche, ladite diode de roue libre (37') étant connectée entre la borne d'excitation (33') et une borne d'alimentation (34) du module de sécurité (30'), destinée à être reliée à la ligne positive (24) dudit réseau de bord (9), - les deux extrémités de l'enroulement d'excitation (3) sont destinées à être reliées respectivement à la première borne d'excitation (27) et à la borne d'excitation (33') dudit module de sécurité (30') à travers des balais (19, 20), respectivement. 4) Porte-balais régulateur (18, 43) d'un alternateur (2) de véhicule automobile, caractérisé en ce qu'il comprend un régulateur de tension (1, 30, 30') selon l'une quelconque des revendications 1 à 3 précédentes. 5) Porte-balais régulateur (43) d'un alternateur (44) de véhicule automobile selon la revendication 4 précédente, caractérisé en ce que ledit module de régulation (1) et ledit module de sécurité (30, 30') sont reliés électriquement par des interconnections externes de type "bonding". 6) Porte-balais régulateur (43) d'un alternateur (44) de véhicule automobile selon la revendication 5 précédente, caractérisé en ce que ledit module de régulation (1) et ledit module de sécurité (30, 30') sont en outre reliés électriquement par d'autres interconnections externes de type "bonding" à un circuit de traces connecté d'une part à des balais (19, 20) aptes à assurer une liaison électrique avec ledit enroulement d'excitation (3) et, d'autre part, à une première vis (28) formant une borne positive dudit alternateur (44) et à une seconde vis (29) formant une borne négative dudit alternateur(44). 7) Alternateur (2, 44) de véhicule automobile, caractérisé en ce qu'il comprend un porte balais régulateur (43) selon l'une quelconque des revendications 4 à 6 précédentes. ORDONNE la transmission de la présente décision, une fois passée en force de chose jugée, au directeur de l'INPI aux fins d'inscription au registre national des brevets, à l'initiative de la partie la plus diligente ; CONSTATE le désistement de la société SEG Automotive Germany GmbH de sa demande d'annulation de ce brevet; DÉCLARE parfait ce désistement et constate l'extinction de l'instance enregistrée sous le no22/08069 et le dessaisissement de la juridiction ; LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres frais et dépens conformément à l'accord intervenu ; ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision sauf en ce qui concerne son inscription au RNB. Fait et jugé à Paris le 14 septembre 2023 LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000048389780
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 8 août 2023, 22/56578
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2023-08-08
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Tribunal judiciaire de Paris
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22/56578
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CT0760
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS No RG 22/56578 - No Portalis 352J-W-B7G-CX3KT No : 2/MC Assignation du :14 Septembre 2022 ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ rendue le 08 août 2023 par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal, Assistée de Marion COBOS, Greffier. DEMANDERESSES Madame [U] [I][Adresse 3][Localité 6] Société KY BEAUTY 2[Adresse 4][Localité 7] représentées par Me Farida MESSAOUDI ABTROUN, avocat au barreau de PARIS - #C2145 DEFENDERESSE Société RESILIENCE HAIR PV de signification et siège social : Chez la société SOFRADOM [Adresse 1][Localité 5] Et exploitant : [Adresse 2] représentée par Me Sophie HAYRANT-GWINNER, avocat au barreau de PARIS - #E0613 DÉBATS A l'audience du 03 Juillet 2023, tenue publiquement, présidée par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe, assistée de Marion COBOS, Greffier, avis a été donné aux parties que la décision serait rendue le 04 août 2023, prorogé au 8 août 2023. EXPOSÉ DU LITIGE : 1. Le 5 décembre 2019, la société de droit brésilien Kamila Scalco Cosmeticos, devenue le 21 août 2019 la société 2 K Cosmeticos, a déposé à l'INPI brésilien la marque brésilienne semi-figurative "Minoa professional" pour désigner différents produits en classe 3 dont les produits capilaires. 2. La société 2K Cosmeticos a développé un réseau de commercialisation de produits capilaires, en particulier en France, où ses produits étaient distribués, jusqu'en mars 2022, par la société Ky Beauty 2, dont la dirigeante est Mme [U] [I]. 3. Mme [U] [I] a déposé à l'INPI les marques françaises suivantes : - le 16 février 2022 la marque semi-figurative "Minoa Professional" enregistrée sous le no4 844 474 pour désigner en classe 3 les "cosmétiques" ; - le 13 avril 2021 la marque verbale "Minoa Gloss & Collagen" enregistrée sous le no4 754 300 pour désigner en classe 3 les "cosmétiques". 4. Le 13 juin 2022, la société 2 K Cosmeticos a formé opposition au dépôt no 4 844 474; son opposition a été déclarée irrecevable (hors délai) le 23 juin 2023. 5. C'est dans ce contexte que, reprochant à la société Resilience Hair, licenciée de la société 2K Cosmeticos, l'usage du signe "Minoa" en France et en particulier l'importation de produits capilaires revêtus de ce signe, la société Ky Beauty 2 et Mme [U] [I] l'ont, par acte d'huissier du 14 septembre 2022, faite assigner en référé devant le délégataire du président de ce tribunal auquel elles demandent de prononcer des mesures d'interdiction d'usage des signes sous astreinte, ainsi que sa condamnation à leur payer la somme provisionnelle de 50.000 euros chacune, à valoir sur la réparation de leur préjudice résultant de la contrefaçon de marque, et d'ordonner le blocage des comptes bancaires de cette société. 6. Après deux renvois, l'affaire a finalement été examinée à l'audience du 3 juillet 2023. A cette date, les demanderesses ont confirmé les termes de leur assignation. 7. La société Resilience Hair conclut au rejet des demandes et sollicite la condamnation des demanderesses à lui payer la somme de 150.000 euros en réparation du préjudice que lui cause la présente procédure qu'elle qualifie d'abusive, outrela publication du jugement et la condamnation solidaire des demanderesses à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. MOTIFS DE LA DÉCISION 8. Il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens des parties à leurs écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile. 9. Selon l'article L. 716-4-6 du code de la propriété intellectuelle, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l'encontre du prétendu contrefacteur, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d'actes argués de contrefaçon. Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à ses droits ou qu'une telle atteinte est imminente. La juridiction peut interdire la poursuite des actes argués de contrefaçon, la subordonner à la constitution de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du demandeur ou ordonner la saisie ou la remise entre les mains d'un tiers des produits soupçonnés de porter atteinte aux droits conférés par le titre, pour empêcher leur introduction ou leur circulation dans les circuits commerciaux. Si le demandeur justifie de circonstances de nature à compromettre le recouvrement des dommages et intérêts, la juridiction peut ordonner la saisie conservatoire des biens mobiliers et immobiliers du prétendu contrefacteur, y compris le blocage de ses comptes bancaires et autres avoirs, conformément au droit commun. Pour déterminer les biens susceptibles de faire l'objet de la saisie, elle peut ordonner la communication des documents bancaires, financiers, comptables ou commerciaux ou l'accès aux informations pertinentes. Elle peut également accorder au demandeur une provision lorsque l'existence de son préjudice n'est pas sérieusement contestable. Saisie en référé ou sur requête, la juridiction peut subordonner l'exécution des mesures qu'elle ordonne à la constitution par le demandeur de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du défendeur si l'action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée ou les mesures annulées. Lorsque les mesures prises pour faire cesser une atteinte aux droits sont ordonnées avant l'engagement d'une action au fond, le demandeur doit, dans un délai fixé par voie réglementaire, soit se pourvoir par la voie civile ou pénale, soit déposer une plainte auprès du procureur de la République. A défaut, sur demande du défendeur et sans que celui-ci ait à motiver sa demande, les mesures ordonnées sont annulées, sans préjudice des dommages et intérêts qui peuvent être réclamés. 10. Ces dispositions réalisent la transposition en droit interne de la Directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle dont l'article 3 "obligations générales" (lesquelles s‘imposent donc aux autorités nationales) prévoit que "2. Les mesures, procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d'obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif." Le considérant 22 de cette directive précise que "(22) Il est également indispensable de prévoir des mesures provisoires permettant de faire cesser immédiatement l'atteinte sans attendre une décision au fond, dans le respect des droits de la défense, en veillant à la proportionnalité des mesures provisoires en fonction des spécificités de chaque cas d'espèce, et en prévoyant les garanties nécessaires pour couvrir les frais et dommages occasionnés à la partie défenderesse par une demande injustifiée. Ces mesures sont notamment justifiées lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au titulaire d'un droit de propriété intellectuelle." 11. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que, saisi de demandes présentées au visa de l'article L. 716-4-6 du code de la propriété intellectuelle, le juge des référés doit examiner les contestations élevées en défense, y compris lorsque celles-ci portent sur la validité du titre lui-même. Il lui appartient alors d'apprécier le caractère sérieux ou non de la contestation afin d'évaluer le caractère proportionné des mesures sollicitées par rapport à l'atteinte alléguée et de prendre, au vu des risques encourus de part et d'autre, la décision d'interdire ou non la commercialisation du produit prétendument contrefaisant. 12. Selon l'article L. 712-6, alinéa 1, du code de la propriété intellectuelle, si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d'un tiers, soit en violation d'une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut en revendiquer sa propriété en justice. 13. Cette disposition n'envisage la fraude que dans le cadre de l'action en revendication. En vertu toutefois de l'adage selon lequel "la fraude corrompt tout", l'enregistrement frauduleux d'une marque peut toujours être annulé. Il est à cet égard constamment jugé qu'un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu'il est effectué dans l'intention de priver autrui d'un signe nécessaire à son activité (Cass. Com., 25 avril 2006, pourvoi no 04-15.641). 14. Il résulte en outre de l'article L. 711-3, III, du code de la propriété intellectuelle que ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle une marque dont l'enregistrement a été demandé par l'agent ou le représentant du titulaire d'une marque protégée dans un Etat partie à la convention de [Localité 8] pour la protection de la propriété industrielle, en son propre nom et sans l'autorisation du titulaire à moins que cet agent ou ce représentant ne justifie sa démarche. 15. Le Brésil est partie à la Convention pour la protection de la propriété industrielle signée à [Localité 8] le 20 mars 1883 pour l'avoir ratifiée le 6 juin 1884. Mme [I] ne revendique aucune autorisation qui lui aurait été donnée par la société 2 K Cosmeticos pour déposer en son nom les marques "Minoa". Ce dépôt est également intervenu en connaissance du signe exploité par la société 2K Cosmeticos, qu'il reproduit à l'identique, et que les demanderesses opposent aujourd'hui à ses représentantes en France. 16. Il en résulte que les critiques élevées en défense par la société Resilience Hair, tirées tout à la fois du dépôt non autorisé par le titulaire et de la fraude, apparaissent à ce stade comme un moyen sérieux de nature à remettre en cause l'apparente validité des marques opposées et qui justifient, au vu des risques encourus de part et d'autre, de rejeter les demandes présentées en référé par Mme [I] et la société Ky Beauty 2, lesquelles apparaissent disproportionnées. 17. Il doit donc être dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes. 18. La société Resilience Hair qui ne démontre pas le discrédit qu'elle reproche aux demanderesses, non plus qu'aucun préjudice distinct de celui de la nécessité de se défendre, réparé par d'autres dispositions de la présente décision, ne peut qu'être déboutée de ses demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive et de publication de la présente décision. 19. Parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, Mme [I] et la société Ky Beauty 2 supporteront in solidum les dépens et seront condamnées, sous la même solidarité imparfaite, à payer à la société Resilience Hair la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 20. Il est rappelé que conformément aux dispositions de l'article 514-1 du code de procédure civile, le juge ne peut écarter l'exécution provisoire de droit lorsqu'il statue en référé. PAR CES MOTIFS, Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort , Dit n'y avoir lieu à référé, ni sur les demandes principales de Mme [U] [I] et de la société Ky Beauty 2, ni sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive de la société Resilience Hair ; Condamne in solidum Mme [U] [I] et la société Ky Beauty 2 aux dépens ; Condamne in solidum Mme [U] [I] et la société Ky Beauty 2 à payer à la société Resilience Hair la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; Rappelle que l'exécution provisoire de la présente décision ne peut être écartée. Fait à Paris le 08 août 2023. Le Greffier, Le Président, Marion COBOS Nathalie SABOTIER
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JURITEXT000048389781
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 8 août 2023, 23/55920
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2023-08-08
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Tribunal judiciaire de Paris
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23/55920
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CT0760
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS No RG 23/55920 - No Portalis 352J-W-B7H-C2MKQ No : 1/MM Assignation du :27 et 28 juillet 2023 JUGEMENT RENDU SELON LA PROCEDURE ACCELEREE AU FOND le 08 août 2023 par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal, Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier. DEMANDERESSE CNIL[Adresse 3][Adresse 3][Localité 5] représentée par Me Gregoire WEIGEL avocats au barreau de PARIS - #G 0766 DEFENDEURS S.A. ORANGE[Adresse 1][Localité 10] représentée par Maître Christophe CARON de l'AARPI Cabinet Christophe CARON, avocats au barreau de PARIS - #C0500 S.A.S. FREE[Adresse 9][Localité 6] représentée par Maître Yves COURSIN de l'AARPI COURSIN CHARLIER AVOCATS, avocats au barreau de PARIS - #C2186 S.A. BOUYGUES TELECOM[Adresse 4][Localité 8] représenté par Maître François DUPUY de la SCP HADENGUE et Associés, avocats au barreau de PARIS - #B0873 S.A. SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE – SFR[Adresse 2][Localité 7] représentée par Maître Pierre-olivier CHARTIER de l'ASSOCIATION CARRERAS, BARSIKIAN, ROBERTSON & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS - #R0139 DÉBATS A l'audience du 02 Août 2023, tenue publiquement, présidée par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe, assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier EXPOSÉ DU LITIGE : 1. La Commission Nationale Informatique et Libertés, instituée par la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, a pour mission de veiller à ce que les traitements de données à caractère personnel soient mis en oeuvre conformément aux dispositions relatives à la protection des données personnelles prévues par les textes législatifs et réglementaires, le droit de l'Union européenne et les engagements internationaux de la France. 2. Ayant constaté que le site "leakbase" proposait à la vente les données personnelles des clients d'une armurerie en ligne, la CNIL a, par actes d'huissier des 27 et 28 juillet 2023 fait assigner devant le délégataire du président de ce tribunal siégeant à l'audience du 3 août 2023 à 10 heures les principaux fournisseurs d'accès à Internet en France afin qu'ils mettent en oeuvre des mesures de blocage de l'accès à ce site. 3. A l'audience du 3 août 2023, la CNIL a confirmé les termes de son assignation par laquelle elle demande au président de: - Enjoindre aux sociétés ORANGE, FREE, SFR et BOUYGUES TELECOM de mettre en oeuvre ou de faire mettre en oeuvre, sans délai et pour une durée qui ne saurait être inférieure à 18 mois, toutes mesures les plus adaptées et les plus efficaces de nature à assurer le blocage effectif du service de communication au public en ligne accessible aux adresses suivantes <www.leakbase.cc> et <www.leakbase.io> ; - Ordonner, vu l'urgence, l'exécution provisoire de l'ordonnance sur minute et même avant enregistrement ; - Condamner les sociétés Orange, Free, SFR et Bouygues Télécom, aux entiers dépens. 4. Par des conclusions notifiées par la voie électronique le 31 juillet 2023 et développées oralement à l'audience, la société Free demande au président de : - Apprécier si les demandes de la présidente de la CNIL sont proportionnées et fondées; - Constater que la société Free déclare être en mesure de bloquer les noms de domaine visées dans l'assignation ; - Dire que les éventuels blocage devront être effectués pour une durée limitée de 12 mois à compter de la décision à intervenir ; - Dire que la société Free disposera d'un délai compris entre 15 et 3 jours pour mettre en oeuvre les mesures de blocage ; - Dire qu'en cas de blocage, la présidente de la CNIL devra prévenir sans délai la société Free, au cas où l'un des noms de domaine venait à être désactivé, afin de ne pas maintenir un blocaghe devenu inutile ; - Donner acte à la société Free de ce qu'elle se réserve la possibilité de demander à la présidente de la CNIL le remboursement du coût éventuel des mesures de blocage; - Laisser à la présidente de la CNIL la charge des dépens. 5. Par des conclusions notifiées par la voie électronique le 1er août 2023 dont elle a confirmé les termes à l'audience, la société Orange demande au président de : - Lui DONNER ACTE qu'elle ne s'oppose pas à la mesure de blocage sollicitée par la présidente de la CNIL, dès lors qu'elle réunit les conditions cumulatives, exigées par le droit positif, que sont : la proportionnalité de la mesure, le caractère obligatoirement judiciaire préalable et impératif de la mesure dans son principe, son étendue et ses modalités, y compris pour son actualisation ; l'absence d'obligation de surveillance à la charge des fournisseurs d'accès à internet ; la liberté de choix de la technique à utiliser pour réaliser le blocage ; la durée limitée de la mesure ; le délai pour mettre en place les mesures et la prise en charge des coûts de la mesure de blocage par la demanderesse ; En tout état de cause, dans l'hypothèse où la demande de blocage serait jugée fondée, de: - DIRE que la société Orange ne peut être enjointe que de bloquer l'accès aux seuls noms de domaine <leakbase.cc> et < leakbase.io> ; - ORDONNER que la mesure de blocage soit mise en oeuvre au plus tard dans un délai maximal de 3 jours suivant la signification à partie de la présente décision et ce pour une durée limitée ; - DECLARER que la présidente de la CNIL doit indiquer au conseil de la société ORANGE si les noms de domaine visés dans la décision ne sont plus actifs, en parallèle de la signification de la décision à venir et par lettre officielle, afin de préciser qu'il n'est plus nécessaire de procéder à leur blocage ; - DECLARER que la présidente de la CNIL doit indiquer au conseil de la société ORANGE si, postérieurement à la décision à intervenir, les noms de domaine visés dans la décision ne sont plus actifs et par lettre officielle, afin que les mesures de blocage afférentes puissent être levées ; - ORDONNER que chaque partie conserve à sa charge ses frais et dépens. 6. Par des conclusions notifiées par la voie électronique le 31 juillet 2023 reprises oralement à l'audience, la société SFR demande au président de : - APPRECIER si les conditions de l'article 6-I-8 de la LCEN sont remplies concernant les noms de domaine « leakbase.io » et « leakbase.cc » ; Si le président ordonne la mise en oeuvre d'une mesure de blocage, il lui est demandé de: - JUGER que la mesure devra viser exclusivement le blocage des nom de domaine « leakbase.io » et « leakbase.cc » et non des adresses URL ; - JUGER que SFR implémentera la mesure de blocage ordonnée par la décision à intervenir dans un délai maximum de trois jours à compter de la signification de la décision à intervenir ; - JUGER que la mesure de blocage mise en oeuvre par SFR sera limitée à une durée maximum de dix-huit mois à compter de la signification de la décision à intervenir, à l'issue de laquelle la présidente de la CNIL devra saisir la présente juridiction, afin de lui permettre d'apprécier la situation et de décider s'il convient ou non de reconduire lesdites mesures de blocage ; - JUGER que l'injonction qui sera prononcée à l'encontre de SFR devra être formulée comme suit, pour qu'elle puisse être correctement exécutée : « ENJOINDRE SFR de mettre en oeuvre, dans un délai maximum de trois jours à compter de la signification de la présente décision et pendant une durée de dix-huit mois à compter de la signification de la décision, des mesures propres à prévenir l'accès de leurs abonnés, situés sur le territoire français (et des abonnés situés sur le territoire français de sociétés qui utilisent le réseau de SFR pour fournir des services d'accès à internet), aux noms de domaine leakbase.io et leakbase.cc ; - DEBOUTER la présidente de la CNIL de sa demande tendant à ce que la décision à intervenir soit exécutoire sur minute et même avant enregistrement ; - DONNER ACTE à SFR qu'elle se réserve le droit de présenter à la CNIL une facture correspondant au montant de coûts de la mesure de blocage sollicitée par cette dernière; En tout état de cause : - DEBOUTER la présidente de la CNIL de l'ensemble de ses autres demandes ; - DIRE que les parties pourront saisir la Présidente en cas de difficultés ou d'évolution du litige ; - JUGER QUE les dépens seront laissés à la charge de la présidente de la CNIL. 7. Par des conclusions notifiées par la voie électronique le 1er août 2023 dont elle a confirmé les termes à l'audience, la société Bouygues Télécom demande au président de : - Constater qu'elle s'en rapporte à la décision du président quant à la qualification du contenu du service de communication au public en ligne visé et aux dommages invoqués par la présidente de la CNIL ; - Apprécier s'il est proportionné et nécessaire à la protection des droits en cause d'ordonner aux fournisseurs d'accès à internet, dont la société Bouygues Telecom, la mise en oeuvre de la mesure de blocage sollicitée ; Si le président du tribunal judiciaire de Paris considère qu'il est proportionné et nécessaire à la protection des droits en cause d'ordonner cette mise en oeuvre alors : - Enjoindre à la société Bouygues Telecom de mettre en oeuvre, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, les mesures de son choix propres à empêcher l'accès de ses abonnés et des abonnés des opérateurs utilisant son réseau situé sur le territoire français, aux noms de domaine « leakbase.cc » et « leakbase.io » ; - Dire que les mesures de blocage seront mises en oeuvre pour une durée limitée à dix-huit mois à compter de la signification de la décision à intervenir ; - Dire que la Présidente de la CNIL informera sans délai la société Bouygues Telecom dans l'hypothèse où la mesure de blocage deviendrait inutile ; - Dire que la société Bouygues Telecom, si elle l'estime utile, pourra se faire rembourser les coûts afférents à la mesure de blocage du site sur présentation des factures correspondantes à la présidente de la CNIL ; - Débouter la présidente de la CNIL de ses plus amples demandes, fins et conclusions ; - Dire que les parties pourront saisir le président du tribunal en cas de difficultés ou d'évolution du litige ; - Mettre les dépens à la charge de la présidente de la CNIL. MOTIFS DE LA DÉCISION 8. Aux termes de l'article 21, IV, Loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction issue de l'ordonnance no 2018-1125 du 12 décembre 2018, portant adaptation de la réglementation concernant la protection des données à caractère personnel, en cas d'atteinte grave et immédiate aux droits et libertés mentionnés à l'article 1er de la présente loi, le président de la commission peut demander, par la voie du référé, à la juridiction compétente d'ordonner, le cas échéant sous astreinte, toute mesure nécessaire à la sauvegarde de ces droits et libertés. 9. Selon l'article 1er de cette loi, l'informatique doit être au service de chaque citoyen. Son développement doit s'opérer dans le cadre de la coopération internationale. Elle ne doit porter atteinte ni à l'identité humaine, ni aux droits de l'homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques. Les droits des personnes de décider et de contrôler les usages qui sont faits des données à caractère personnel les concernant et les obligations incombant aux personnes qui traitent ces données s'exercent dans le cadre du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, de la directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 et de la présente loi. 10. L'article 6., I, 8., de la loi no 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique prévoit quant à lui que le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d'y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne.11. Pour la mise en oeuvre de cette disposition, qui réalise la transposition en droit interne de la Directive 2000/31 du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique»), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé (à propos des droits de propriété intellectuelle la solution étant transposable ici) que les juridictions nationales doivent assurer un juste équilibre entre la protection de ces droits et la liberté d'entreprendre dont bénéficient les FAI en vertu de l'article 16 de la Charte des droits fondamentaux (CJUE, 24 novembre 2011, Scarlet Extended, Aff. C-70/10; CJUE, 16 février 2012, SABAM, Aff. C-360/10). 12. Il résulte en l'occurrence des pièces produites aux débats que la CNIL a été informée le 27 juin 2023 de ce que le site en langue anglaise "Leakbase" (littéralement la base des fuites), accessible par les noms de domaines <www.leakbase.cc> et <www.leakbase.io>, proposait à la vente les données personnelles collectées par l'armurerie en ligne "Meyson" auprès de sa clientèle, ce que la CNIL a fait constater par ses agents vérificateurs. 13. Les vérifications opérées le 7 juillet 2023 ont mis en évidence qu'étaient ainsi accessibles sur le site litigieux, moyennant le paiement d'une inscription de 300 USD, les données d'environ 150.000 personnes (nom, prénom, civilité, adresse électronique notamment) ayant créé un compte auprès de la société Meyson qui exploite une armurerie en ligne, dont 25 entrées fournies gratuitement à titre d' "échantillon". Il résulte également des constatations des agents de la CNIL que le site "Leakbase", accessible par les noms de domaine leakbase.cc et leakbase.io, est entièrement dédié au partage de données personnelles piratées ("compromised data"). L'administrateur de ce site (qui s'identifie comme étant "[T]") n'est en outre accessible que par le service de messagerie instantanée cryptée Telegram par ses propres contacts. Le message de réponse d'indisponibilité est rédigé en langue russe. Aucun hébergeur de ce site n'est identifié. 14. De tout ce qui précède il résulte que : - la CNIL est recevable à solliciter la mise en oeuvre de mesures propres à faire cesser la divulgation sur Internet des données personnelles des clients de la société Meyson, - le site litigieux permet aux internautes, moyennant paiement, de télécharger des milliers de données personnelles volées, dont certaines très sensibles, - l'anonymisation intégrale du site démontre la parfaite connaissance du caractère illicite de son activité par son ou ses responsables, et l'impossibilité pour la CNIL d'agir à leur encontre. 15. Aussi, il apparaît justifié et proportionné d'enjoindre aux fournisseurs d'accès à Internet de mettre en oeuvre et/ou faire mettre en oeuvre, toutes mesures propres à empêcher l'accès au site "Leakbase", à partir du territoire français par leurs abonnés, à raison d'un contrat souscrit sur ce territoire, par tout moyen efficace de leur choix. 16. Les mesures de blocage concerneront les noms de domaine mentionnés au dispositif de la présente décision, et permettant l'accès au site litigieux, dont le caractère entièrement ou essentiellement illicite a été établi. 17. Ces mesures devront être mises en oeuvre sans délai, et au plus tard à l'expiration d'un délai de 3 jours suivant la signification de la présente décision, et pendant une durée de 18 mois. 18. Le coût des mesures de blocage, dont il n'est pas allégué ici qu'il porterait atteinte à leur liberté d'entreprendre (dès lors qu'il est réalisé par noms de domaine), restera à la charge des fournisseurs d'accès internet. 19. Chaque partie conservera la charge de ses dépens. 20. Il est rappelé qu'en application des articles 481-1 et 514-1 du code de procédure civile, le présente décision est de plein droit assortie de l'exécution provisoire de droit laquelle est compatible avec la nature de l'affaire. PAR CES MOTIFS, Le président, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort , ORDONNE aux sociétés ORANGE, BOUYGUES TELECOM, FREE et SFRde mettre en oeuvre et/ou faire mettre en oeuvre, toutes mesures propres à empêcher l'accès au site "Leakbase", à partir du territoire français, y compris dans les départements ou régions d'outre-mer et collectivités uniques ainsi que dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises, par leurs abonnés (et ceux qui utilisent le réseau de SFR dans les mêmes conditions) à raison d'un contrat souscrit sur ce territoire, par tout moyen efficace, et notamment par le blocage des noms de domaine :<leakbase.cc> et <leakbase.io>, sans délai et au plus tard à l'expiration d'un délai de 3 jours suivant la signification du présent jugement, et pendant une durée de 18 mois à compter de la présente décision ; DIT que le coût de la mise en oeuvre des mesures ordonnées restera à la charge des sociétés ORANGE, BOUYGUES TELECOM, FREE et SFR ; RAPPELLE qu'en cas d'évolution du litige notamment par la modification des noms de domaines ou chemins d'accès au site "leakbase" lequel serait toujours actif, la CNIL pourra en référer à la présente juridiction selon la procédure accélérée au fond, en mettant à nouveau en cause par voie d'assignation les parties présentes à cette instance ou certaines d'entre elles, afin que l'actualisation des mesures soit ordonnée ; DIT que s'il était porté à la connaissance de la CNIL au cours des 18 prochains mois que le site "leakbase" avait cessé d'être actif, sa présidente en informera les fournisseurs d'accès à Internet afin que la mesure soit levée (et éviter ainsi les blocages inutiles) ; LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres dépens ; RAPPELLE que le présent jugement est exécutoire de plein droit. Fait à Paris le 08 août 2023. Le Greffier, La Présidente, Minas MAKRIS Nathalie SABOTIER
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 8 août 2023, 23/54895
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2023-08-08
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Tribunal judiciaire de Paris
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23/54895
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CT0760
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS No RG 23/54895 - No Portalis 352J-W-B7H-CZUKB No : 1/MC Assignation du :14 Juin 2023 ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ rendue le 08 août 2023 par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal, Assistée de Marion COBOS, Greffier. DEMANDEUR Monsieur [D] [N][Adresse 2][Localité 4] représenté par Me Georges YANA, avocat au barreau de PARIS - E0428 DEFENDERESSE Société NETFLIX SERVICES FRANCE[Adresse 1][Localité 3] représentée par Maître Charles BOUFFIER de la SELARL RACINE, avocat au barreau de PARIS - #L0301 DÉBATS A l'audience du 03 Juillet 2023, tenue publiquement, présidée par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe, assistée de Marion COBOS, Greffier, avis a été donné aux parties que la décision serait rendue le 4 août 2023, prorogé au 8 août 2023. EXPOSÉ DU LITIGE : 1. M. [D] [N], dit [T] [F], se présente comme l'auteur du "scenario" d'une "oeuvre audiovisuelle" (d'une durée de 3 minutes) ayant pour titre "Franko Fragmentum", cette dernière ayant été mise en ligne sur un lien privé non répertorié de la plateforme YouTube le 20 décembre 2019 sous l'intitulé "Franko Fragmentum Demo". Il expose avoir adressé à la société Netflix France le 2 novembre 2021, le dossier de production correspondant à cette oeuvre et comprenant, notamment, le scenario d'un film de long métrage (film musical hip-hop) ou d'une mini série de 20 épisodes, portant sur l'histoire d'un homme dont la fiancée, Eurydice, a été assassinée et faisant la rencontre d'une femme sauvée de la mort par la greffe du coeur d'Eurydice. 2. M. [N] expose encore avoir découvert que la société Netflix Inc. avait produit une série en 14 épisodes de 45 minutes environ ayant pour titre "Palpito" ou "En un battement", que cette société résume ainsi : "Un homme déterminé à se venger de l'organisation de trafic d'organes responsable de la mort de son épouse s'éprend de la femme ayant reçu le coeur de cette dernière." 3. Estimant que la série "Palpito" constituait une contrefaçon de ses droits d'auteur portant sur l'oeuvre "Franko Fragmentum", M. [N] a, par l'intermédiaire de son conseil, mis en demeure la société Netflix Inc. d'en cesser la diffusion, notamment, par une lettre du 10 mars 2023. Cette mise en demeure étant restée sans effets, M. [N] a, par acte d'huissier du 14 juin 2023 fait assigner la société Netflix Services France devant le délégataire du président de ce tribunal, auquel il demande d'interdire la diffusion de la saison 1 de la série "Palpito", sous astreinte, de la condamner à lui payer une provision d'un montant de 20 millions d'euros outre la somme de 150 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et d'ordonner la publication de la présente décision. 4. A l'audience du 3 juillet 2023, M. [N] a confirmé les termes de son assignation. Il relève que ce sont les services de Netflix Services France elle-même qui ont qualifié son travail d' "original" ; il invoque comme "originaux" les éléments suivants (ses conclusions pages 12 à 14) : une série de plusieurs épisodes, en français et en espagnol, tirée de son vécu personnel (le décès brutal de sa compagne) et basée sur "le mythe d'Orphée mis à jour" (si Orphée essaie de ramener à la vie Eurydice, Franko lui essaie de la rejoindre en se suicidant) ; la place des personnages féminins correspond aux tests de Beschdel et de Mako Mori (le projet ne sur-représente pas les protagonistes masculins) ; le personnage féminin principal se prénomme Camilla et l'épisode pilote comporte un plan sur une poitrine présentant une cicatrice verticale. Le demandeur énumère ensuite 16 éléments de similitude : Palpito est une série, le héros, Simon, tombe amoureux de Camilla, la femme d'un homme riche, qui a survécu grâce au coeur de sa femme assasinée ; la bande-annonce de la série comporte un plan sur une poitrine présentant une cicatrice verticale ; il relève ensuite plus d'une dizaine d'autres similitudes dans les trames narratives des deux projets. 5. M. [N] conclut enfin au rejet de la demande reconventionnelle de la société Netflix Services France, soutenant avoir agi dans les limites de la liberté d'expression. 6. La société Netflix Services France conclut quant à elle à la nullité de l'assignation, faute pour le demandeur d'identifier clairement l'oeuvre dont il sollicite la protection (scenario, vidéo "Franko Fragmentum Demo" ?) et ses prétendues caractéristiques originales ; elle conclut également à l'irrecevabilité des demandes en ce qu'elles sont dirigées contre la société Netflix Services France dont l'activité se limite à la commercialisation des abonnements auprès du public français, les activités éditoriales du groupe étant exercées pour le territoire européen par la société Netflix International Bv. Elle conclut enfin à l'absence de trouble manifestement illicite rappelant que la série est diffusée depuis avril 2022, que la production de la série a débuté en janvier 2020, soit bien avant la date à laquelle elle aurait eu connaissance du projet du demandeur ; que ses équipes sud-américaines, qui ont produit la série "Palpito", n'ont selon elle jamais eu accès au projet de M. [N], tandis que les seuls éléments communs entre le projet de ce dernier et la série "Palpito" sont des idées banales et de libre parcours, en particulier le thème de la rencontre amoureuse entre une personne transplantée et l'ancien conjoint du donneur d'organe. 7. Reconventionnellement, la société Netflix Services France sollicite la condamnation de M. [N] à cesser sous astreinte ses agissements dénigrants consistant à la présenter comme contrefactrice de son "oeuvre", alors même qu'aucune décision judiciaire ne l'a retenu. MOTIFS DE LA DÉCISION 8. Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens. 1o) Sur la nullité de l'assignation 9. Selon l'article 56 du code de procédure civile, l'assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d'huissier de justice et celles énoncées à l'article 54, un exposé des moyens en fait et en droit. Selon l'article 115 du même code toutefois, la nullité est couverte par la régularisation ultérieure de l'acte si aucune forclusion n'est intervenue et si la régularisation ne laisse subsister aucun grief. 10. Il est constamment jugé au visa de ces textes qu'il incombe aux demandeurs qui agissent en contrefaçon de droits d'auteur d'indiquer clairement et précisément dans leur assignation : - les éléments sur lesquels des droits d'auteur sont revendiqués, - les éléments qu'ils considèrent comme ayant été reproduits au mépris de ces droits. 11. Il a ainsi été jugé qu'ayant relevé que l'assignation en contrefaçon de modèles de bijoux et en concurrence déloyale du chef de la vente des produits contrefaisants, renvoyait simplement aux photographies annexées des modèles opposés et souverainement estimé que la seule lecture de la liste des pièces jointes ne permettait pas de déterminer la nature et le nombre des articles incriminés, une cour d'appel a pu retenir, d'une part, que les caractéristiques de chacun des modèles revendiqués au titre du droit d'auteur n'étaient pas définies et, d'autre part, que les modèles argués de contrefaçon n'étaient ni décrits ni même identifiés. Elle en a exactement déduit que le demandeur avait failli dans l'exposé des moyens relatifs à la protection dont il sollicitait le bénéfice et aux agissements qu'il incriminait pour rechercher la responsabilité du défendeur au titre d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale. (Cass. Civ.1ère, 5 avril 2012, pourvoi no 11-10.463, Bull. 2012, I, no 83) 12. Force est en l'occurrence de constater que le demandeur identifie l'oeuvre sur laquelle il revendique des droits : il s'agit du scenario dialogué ayant pour titre "Franko Fragmentum" qu'il verse aux débats sous sa pièce no1. Il en décrit dans les conclusions remises à l'audience les caractéristiques selon lui originales. 13. Il en résulte qu'il est satisfait aux exigences de l'article 56 du code de procédure civile. Le moyen tiré de la nullité de l'assignation est écarté. 2o) Sur l'irrecevabilité des demandes en tant qu'elles sont dirigées contre la société Netflix Services France 14. Aux termes de l'article 32 du code de procédure civile, est irrecevable toute prétention émise contre une personne dépourvue du droit d'agir. 15. Selon l'extrait Kbis de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, l'activité de la société défenderesse est limitée à la vente, la distribution et la promotion des services Netflix en ce compris les services d'abonnements mondiaux permettant d'accéder à des produits de divertissements numériques (films, séries, jeux vidéos) par le biais d'Internet et toutes les activités liées notamment au marketing, à la connaissance des consommateurs, au développement commercial, aux relations publiques et à d'autres services de soutien. 16. M. [N], qui ne conclut pas sur ce point, n'apporte pas d'éléments établissant le caractère erroné des mentions du registre et, en particulier, que l'objet de la société Netflix Services France serait plus large. 17. Il en résulte que la société Netflix Services France n'a pas d'activité d'édition ou de production de contenus pour la plateforme exploitée par le groupe, à la différence de la société Netflix International Bv, qui elle exerce en Europe une telle activité de production audiovisuelle. La société Netflix Services France n'a donc pas qualité à défendre ici. 18. Les demandes de M. [N] sont donc irrecevables. 19. A titre surabondant, il est en tout état de cause relevé que les éléments prétendument reproduits par la série "Palpito" sont de simples idées (en particulier la "trame" narrative, le prénom Camilla, cf. Les pièces Netflix no16 et 17), ou relèvent du fonds commun du cinéma (la cicatrice sur la poitrine, cf. La pièce Netflix no22), tous éléments inappropriables, tandis que les éléments éventuellement originaux du projet de M. [N] ne sont pas reproduits dans la série en 24 épisodes "Palpito". Il est rappelé à cet égard que les idées sont de "libre parcours" (Cass. Civ 1ère, 22 juin 2017, pourvoi no 14-20.310, Bull. 2017, I, no 152) et que seule la forme sous laquelle elles sont exprimées est susceptible de leur conférer le statut d'oeuvre de l'esprit bénéficiant de la protection par le droit d'auteur (Cass. Civ. 1ère, 17 juin 2003, Bull. 2003, I, no 148 ; Cass. Civ. 1ère, 29 octobre 2005, Bull. 2005, I, no 458 ; Cass. Civ. 1ère, 5 juillet 2006, pourvoi no 04-18.336, 04-16.687), car le droit d'auteur n'a vocation à protéger qu'une forme sensible, c'est à dire perceptible par les sens et précisément identifiable (Cass. Civ. 1ère, 13 novembre 2008, Bull. 2008, I, no 258 ; Cass. Com., 10 décembre 2013 , pourvoi no 11-19.872) et sous réserve évidemment que l'auteur caractérise l'originalité de son oeuvre, c'est à dire les éléments révélant l'empreinte de sa personnalité (Cass. Civ. 1ère, 12 juillet 2006, pourvoi no 05-17.555, Bull. 2006, I no 400 ; Cass. Civ. 1ère, 14 février 2008, pourvoi no 07-12.176, Bull. 2008, I, no 52 ; Cass. Com., 9 mars 2010, pourvoi no 08-17.167, Bull 2010, IV, no47) ou une "touche personnelle" et des choix libres et créatifs (CJUE, 16 juillet 2009, Aff. C-5/08, Infopaq, § 39 ; CJUE, 1er décembre 2011, Aff. C-145/10, Painer, § 89 et 92 ; CJUE, 1er mars 2012, Aff. C-604-10, Football Dataco, § 38). Ces conditions ne sont pas remplies ici. 3o) Sur la demande reconventionnelle 20. Selon l'article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. 21. Le trouble manifestement illicite désigne, notamment, toute perturbation résultant d'une violation évidente de la règle de droit. 22. A cet égard, il est constamment jugé que le fait de jeter le discrédit sur une entreprise constitue un dénigrement fautif, à moins que l'information donnée se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec mesure (Cass. Civ. 1ère, 11 juillet 2018, pourvoi no 17-21.457, Bull. 2018, I, no 136 ; Cass. Civ. 1ère, 12 décembre 2018, pourvoi no 17-31.758 ; Cass. Com., 9 janvier 2019, pourvoi no 17-18.350 ; Cass. Com., 4 mars 2020, pourvoi no 18-15.651 ; Com., 4 novembre 2020, pourvoi no 18-23.757 ; Cass. Com., 28 juin 2023, pourvoi no 22-13.442). 23. En l'occurrence, si l'information selon laquelle le groupe Netflix aurait "plagié" l' "oeuvre" du demandeur, pourrait éventuellement être considérée comme se rapportant à un sujet d'intérêt général (l'information étant reliée à une autre accusation de plagiat par une artiste brésilienne contre la plateforme), elle est toutefois exprimée sans mesure (l'interview donnée au journal Al Watwan et parue le 8 mai 2023 évoquant, le journaliste utilisant des guillemets, de sorte qu'il s'agit des propos du demandeur, un "plagiat", un "vol") et ne repose sur aucune base factuelle, l'accusation étant portée sans même attendre la présente décision. 24. Il est donc fait droit à la demande d'interdiction selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision (sans qu'il y ait lieu à astreinte). 25. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, M. [N] supportera les dépens et sera condamné à payer à la société Netflix Services France la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS, Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort , Dit irrecevables les demandes de M. [D] [N] dit [T] [F] fondées sur la contrefaçon de droits d'auteur dirigées contre la société Netflix Services France ; Ordonne à M. [D] [N] de cesser tous actes de dénigrement à l'encontre de la société Netflix Services France; Condamne M. [D] [N] aux dépens; Condamne M. [D] [N] à payer à la société Netflix Services France la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; Rappelle que l'exécution provisoire de la présente décision ne peut être écartée. Fait à Paris le 08 août 2023. Le Greffier, Le Président, Marion COBOS Nathalie SABOTIER
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JURITEXT000048389783
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 25 mai 2023, 21/14909
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2023-05-25
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/14909
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 1ère section No RG 21/14909 No Portalis 352J-W-B7F-CVSRE No MINUTE : Assignation du :26 novembre 2021 JUGEMENT rendu le 25 mai 2023 DEMANDEUR Monsieur [E] [U][Adresse 3][Localité 6] représenté par Me Stéphane LOISY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0723 DÉFENDEURS Monsieur [E] [C] DIT "GRAND CORPS MALADE" - Intervenant volontaire[Adresse 1][Localité 7] S.A.S.U ANOUCHE PRODUCTIONS[Adresse 4][Localité 8] représentés par Me Sébastien HAAS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2251 S.A.S. UNIVERSAL MUSIC FRANCE[Adresse 2][Localité 5] représentée par Me Nicolas BOESPFLUG, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0329 COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Malik CHAPUIS, Juge, assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière en présence de Madame Anne BOUTRON, magistrat en stage de pré affectation. DEBATS A l'audience du 21 mars 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 25 mai 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE : 1. M. [E] [U] se présente comme auteur et journaliste spécialisé dans la chanson française. M. [E] [C], connu sous le pseudonyme de Grand Corps Malade, est un auteur, compositeur et interprète dont les titres et albums sont édités et produits par la société Anouche Productions. La société Universal Music France est le distributeur exclusif des phonogrammes et vidéogrammes produits par la société Anouche Productions. 2. Le 7 avril 2021, M. [U] a donné une interview sur la webradio Arts-Mada au cours de laquelle il s'est exprimé sur le physique des auteurs-compositeurs pour conclure en substance que leurs chansons gagneraient à être interprétées par "de beaux mecs ou des filles sublimes", précisant que "pour revendre du disque, vendre du magazine, refaire de la presse, il faut des gens beaux" et a qualifié dans ce contexte la chanteuse [J] d'"effrayante", faisant naître de vives réations du public dans les médias et sur les réseaux sociaux. 3. M. [C] est le co-auteur et artiste-interprète du titre intitulé "Des gens beaux", produit par la société Anouche Productions et exploité par la société Universal Music France. Ce titre, diffusé en juillet 2021 et intégré à la réédition 2021 de l'album "Mesdames", reprend des extraits de l'interview donnée par M. [U], sans y avoir été autorisé par celui-ci. La chanson a été illustrée par un vidéo-clip au sein duquel la voix de M. [U] est mise en synchronisation avec l'image d'un comédien incarnant un photographe ainsi que par le chanteur Grand Corps Malade lors de la dernière séquence de clôture du vidéo-clip. 4. Estimant que l'utilisation de sa voix sans son autorisation constituait une atteinte à son droit à la voix et à ses droits d'auteur et droits voisins, M. [U] a fait assigner, par actes d'huissier des 25 et 26 novembre 2021, les sociétés Anouche Productions et Universal Music France devant le tribunal judiciaire de Paris, après un courrier du 27 juillet 2021 de mise en demeure de cesser l'exploitation du titre resté vain. 5. M. [C] est intervenu volontairement à l'instance par conclusions notifiées par la voie électronique le 14 mars 2022. 6. Aux termes de son assignation, Monsieur [E] [U] demande en substance au tribunal de : - Condamner solidairement les sociétés Anouche Productions et Universal Music France au paiement de 40 000 euros au titre de son préjudice patrimonial et 35 000 euros au titre de son préjudice moral en réparation de l'atteinte à son droit à la voix et à ses droits voisins,- Ordonner le retrait des extraits litigieux reproduisant sa voix de la chanson « Les gens beaux » sous astreinte de 500 euros par jour,- Condamner solidairement la société Anouche Productions et la société Universal Music France au règlement d'une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,- Condamner solidairement la société Anouche Productions et la société Universal Music France aux entiers dépens.A titre subsidiaire- Condamner les sociétés Anouche Productions et Universal Music France au paiement de la somme de 40 000 euros au titre du préjudice subi par ce dernier par la violation de son droit à la voix- Faire application des dispositions de l'article 699 au profit de Maître Stéphane Loisy. 7. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 18 avril 2022, la société Anouche Productions et M. [E] [C] demandent au tribunal de : - Débouter Monsieur [E] [U] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;- Ordonner la publication de la décision à intervenir aux frais de Monsieur [E] [U] dans 5 quotidiens et 5 hebdomadaires, pour un coût maximal par publication de 6.000 EurosHors Taxes, dans un délai d'un mois suivant signification de la décision ;- Condamner Monsieur [E] [U] à payer la somme de 10.000 euros à Monsieur[E] [C] dit Grand Corps Malade au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;- Condamner Monsieur [E] [U] à payer la somme de 10.000 euros à la société Anouche Production au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;- Rappeler que l'exécution provisoire est de plein droit ;- Condamner Monsieur [E] [U] aux dépens de l'instance dont distraction au profit de Me Sébastien Haas. 8. Aux termes de ses conclusions notifiées par la voie électronique le 25 juillet 2022, la société Universal Music France demande au tribunal de : - Dire et juger Monsieur [E] [U] mal fondé en ses demandes et l'en débouter.- Condamner Monsieur [E] [U] à payer à la société Universal Music France une indemnité de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. 9. L'instruction de l'affaire a été close par une ordonnance du 6 septembre 2022 et renvoyée à l'audience du 21 mars 2023. MOTIFS 1) Sur la violation du droit à la voix Moyen des parties 10. M. [E] [U] fait valoir au visa de l'article 9 du code civil que la reproduction de sa voix sans son autorisation dans la chanson "Des gens beaux" du chanteur Grand Corps malade pour une durée totale cumulée de 33 secondes alors que la chanson ne dure que 2 minutes et 41 secondes constitue un détournement de la finalité de ses propos et une atteinte à son droit à la voix lui causant un préjudice moral. 11. La société Anouche Productions et M. [E] [C] concluent au rejet des demandes de M. [U] au motif que l'interview donnée par celui-ci revêt un caractère public et que les propos tenus à cette occasion ne portent aucunement sur sa vie privée, de sorte que la reprise de sa voix et de ses propos ne sont pas constitutifs d'une atteinte au droit au respect de la vie privée tel que protégé par l'article 9 du code civil. Ils ajoutent que la voix de M. [U] ne peut être reconnue spontanément, M. [E] [U] étant volontairement non identifié, et qu'elle ne fait l'objet d'aucun usage commercial. Ils soutiennent à titre subsidiaire que M. [C] a apporté une réponse artistique sur un sujet d'intérêt général majeur et actuel qu'est la lutte contre le sexisme de sorte que dans le cadre du contrôle de proportionnalité, la liberté d'expression dont ils bénéficient prévaut sur le respect de la vie privée de M. [U]. 12. La société Universal Music France indique reprendre à son compte les moyens de défense de M. [C] et de la société Anouche Productions. Appréciation du tribunal 13. Toute personne peut s'opposer sur le fondement des articles 9 du code civil et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lesquels garantissent le droit au respect de la vie privée, à l'exploitation de sa voix, attribut de sa personnalité, dès lors que la reproduction incriminée constitue une atteinte à sa vie privée. Tel est le cas lorsque la voix permet d'identifier son auteur et que sa vie privée est en cause. 14. La protection de la voix permet aussi à toute personne de s'opposer à son exploitation commerciale. 15. Le droit de toute personne à la protection de sa voix peut trouver une limite dans la liberté d'expression protégée par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, laquelle comprend l'expression artistique, à savoir la liberté de recevoir et communiquer des informations et des idées - qui permet de participer à l'échange public des informations et idées culturelles, politiques et sociales de toute sorte (CEDH 24 mai 1988, Müller et a. c/ Suisse, no 10737/84 § 27 et 33; CEDH 5 mars 2009, Hachette Filipacchi Presse Automobile et Dupuy c/ France, no 13353/05 § 30). 16. La Cour de cassation a rappelé que (Civ. 1ère 10 octobre 2019 pourvoi no18.21-871): "Le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d'expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime ;pour effectuer cette mise en balance des droits en présence, il y a lieu de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne visée, l'objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies (CEDH, arrêt du 10 novembre 2015, Couderc et Hachette Filipacchi associés c. France [GC], no 40454/07, § 93) ; il incombe au juge de procéder, de façon concrète, à l'examen de chacun de ces critères (1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi no 16-28.741, publié)". 17. En l'espèce est en cause l'exploitation non autorisée de la voix de M. [U] dans la chanson "Des gens beaux" co-composée et interprétée par M. [E] [C] connu sous le nom de Grand Corps Malade, prononçant certains propos qu'il a tenus lors d'une interview donnée sur la webradio Arts-Mada. 18. Si M. [U] n'est pas nommément désigné dans la chanson "Des gens beaux", sa voix est nécessairement identifiable compte tenu du contexte de médiatisation de la polémique née des propos repris en partie dans cette chanson, du caractère public de son activité de chroniqueur d'émissions radiophoniques sur des chaînes de radio nationale lui conférant une certaine notoriété et de la médiatisation de l'objet de la chanson litigieuse. En outre, le livret accompagnant le disque précise que la chanson comporte des extraits de l'interview de M. [U] donnée sur Arts-Mada. 19. Toutefois, la vie privée de M. [U] n'est pas en cause en l'espèce. D'une part, les propos repris dans la chanson "Des gens beaux" ont un caractère public, puisqu'ils sont tirés d'un entretien accordé par M. [U] sur une webradio et ont trait à un sujet sans lien avec sa vie privée, s'agissant de propos généraux relatifs au physique des auteurs-compositeurs. D'autre part, la chanson reprenant la voix de M. [U], qui se présente comme une réponse auxdits propos polémiques, ne porte pas sur des éléments de la vie privée de celui-ci. Par ailleurs, il n'est pas contestable ni d'ailleurs soutenu que la reprise de la voix de M. [U] dans la chanson "des gens beaux" sans son autorisation ne constitue pas une exploitation commerciale illicite de la voix. Il n'est en effet pas établi que la voix de M. [U] aurait en soi une valeur économique ni qu'elle ait apporté une plus value commerciale à la chanson litigieuse en sus de la notoriété de son interprète Grand Corps Malade, étant relevé par ailleurs que la reprise de la voix de M. [U] dans la chanson ressort en premier lieu d'une démarche artistique. Aussi M. [U] est-il mal fondé à se prévaloir d'une atteinte à l'article 9 du code civil. 20. En outre, les propos tenus par M. [U] lors de son interview sur la radio Arts-Mada, énonçant notamment que "pour revendre du disque, vendre du magazine, refaire de la presse, il faut des gens beaux" et qualifiant dans ce contexte la chanteuse [J] d'"effrayante", estimant qu'elle devrait donner ses chansons à "des filles sublimes (...) Comme il y a eu des [L] ou des [R] à vingt ans" sont des propos discriminants et sexistes et ont suscité de ce fait dans la presse et sur les réseaux sociaux des réactions d'indignation, la radio Arts-Mada ayant expressément indiqué se désolidariser de ces propos et les condamner. 21. La chanson "Des gens beaux" est composée en deux parties. Dans une première partie est reprise en substance l'opinion de M. [U] selon laquelle les artistes laids ne devraient pas chanter et devraient donner leurs chansons aux artistes beaux. La deuxième partie se présente en opposition à ces considérations. L'ensemble de la chanson se présente comme un dialogue fictif entre le chroniqueur, dont la voix est reproduite en début, en milieu et en fin de chanson, et le chanteur qui l'interpelle par endroits par un "Eh Monsieur" signifiant qu'il s'adresse directement à lui. Ainsi la chanson "Des gens beaux" est représentative dans sa forme artistique du mouvement d'indignation soulevé par les propos de M. [U] et contribue, par le dialogue qu'elle a cherché à instaurer avec l'auteur des propos polémiques, à la question d'intérêt général relative à la lutte contre toute forme de discrimination. 22. Aussi, la reprise de la voix et des propos de M. [U] sans son autorisation dans la chanson "Des gens beaux" ne portant pas atteinte à sa vie privée et se justifiant par la liberté d'expression, en ce compris l'expression artistique, nécessaire dans une société démocratique à garantir le droit à l'information sur un débat d'intérêt général, M. [U] sera débouté de sa demande sur ce fondement. 2) Sur la contrefaçon de droit d'auteur et de droits voisinsMoyen des parties 23. M. [U] fait valoir qu'il a été porté atteinte à ses droits moraux et patrimoniaux au visa des articles L122-3 du code de la propriété intellectuelle et suivants par la reproduction sans son autorisation d'extraits de son interview sur Arts-Mada pour une durée de 31 secondes dans la chanson "des gens beaux". Il fait valoir que l'exception de courte citation ne s'applique pas. Il soutient également qu'il a été porté atteinte à la paternité de ses propos car ils sont mis dans la bouche de M. [C] et d'un tiers dans le vidéo-clip de la chanson. Il ajoute au visa de l'article L212-3 du code de la propriété intellectuelle que la reproduction de sa voix lui donne la qualité d'interprète et qu'il a été porté atteinte à ses droits voisins faute de les avoir cédés par écrit. 24. La société Anouche Productions et M. [C] soutiennent que les propos de M. [U] sont dépourvus d'originalité, qu'ils ont été prononcés sans réflexion ni création artistique, l'enchaînement des phrases, la banalité des termes employés, la simplicité de la syntaxe, des verbes et substantifs employés démontrant l'absence de recherche créative et d'empreinte de la personnalité de l'auteur. Ils ajoutent que si les propos de M. [U] ont inspiré la chanson "des gens beaux", il ne s'agit ni d'une oeuvre dérivée ni d'une oeuvre de collaboration en l'absence de travail collaboratif et artistique de M. [U]. La société Anouche Productions et M. [C] font également valoir qu'aucun travail d'artiste-interprète ne peut être accordé en l'absence de droits d'auteurs et de toute prestation physique artistique. La société Anouche Productions et M. [C] soutiennent à titre subsidiaire que dans le cadre du contrôle de proportionnalité entre droit d'auteur et liberté d'expression, cette dernière doit prévaloir. 25. La société Universal Music France indique reprendre à son compte les moyens de défense de M. [C] et de la société Anouche Productions. Appréciation du tribunal 26. Conformément à l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. Selon l'article L.112-1 du même code, ce droit appartient à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination. 27. Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une oeuvre sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. Lorsque l'originalité d'une oeuvre de l'esprit est contestée, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur de définir et d'expliciter les contours de l‘originalité qu'il allègue. Seul l'auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole. 28. Si les entretiens originaux sont protégés par le droit d'auteur, le créateur pouvant être le journaliste seul, la personne interrogée ou les deux, la personne interviewée n'acquiert pas, du seul fait de sa participation, la qualité d'auteur et il lui revient de démontrer sa contribution à la création intellectuelle de l'oeuvre. 29. Par ailleurs, selon l'article L. 212-1 du code de la propriété intellectuelle, l'artiste-interprète ou exécutant est la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une oeuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes. 30. En l'espèce, le tribunal relève que M. [U] revendique une protection par le droit d'auteur d'une interview sans en avoir produit de transcription ni même décrit les extraits de cette interview repris dans la chanson "Des gens beaux". En outre et surtout, M. [U] se contente d'affirmations générales sans décrire en quoi les propos tenus lors de son interview sur Arts-Mada auraient le caractère original exigé pour la protection revendiquée. Il se contente ainsi d'invoquer le monopole de la reproduction sans même aborder la question préalable du droit à protection fondé sur la caractérisation de l'originalité. Il n'explique notamment nullement ce qui selon lui reflèterait dans ces propos l'empreinte de sa personnalité, ce que le tribunal ne peut faire à sa place. Dès lors il est mal fondé à invoquer la protection du droit d'auteur. 31. Il est tout aussi mal fondé à invoquer un statut d'interprète du seul fait de l'utilisation d'extraits de cette interview dans la chanson "Des gens beaux", alors que sa prestation lors de l'interview, qui a été reproduite, est celle d'un journaliste et ne saurait s'apparenter à une prestation d'artiste au sens du code de la propriété intellectuelle. 32. M. [U] sera par conséquent débouté de ses demandes de ce chef. 3) Sur la demande subsidiaire de M. [E] [U] fondée sur la responsabilité délictuelle Moyen des parties 33. M. [U] fait valoir à titre subsidiaire au visa de l'article 1240 du code civil que l'utilisation d'extraits de son interview dans la chanson "Des gens beaux" engage la responsabilité des sociétés Anouche et Universal Music. 34. La société Universal Music conclut au mal fondé de cette demande en raison de sa demande principale fondée sur l'article 9 du code civil. Appréciation du tribunal 35. Selon l'article 1240 du code civil, « Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Il revient au demandeur d'établir une faute, un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le préjudice. 36. En l'espèce, il ressort des développements précédents que la reproduction d'extraits de l'interview de M. [U] donné sur la radio Arts-Mada sans son autorisation n'est pas fautive, de sorte qu'il sera également débouté de ce moyen subsidiaire. 4) Sur la demande reconventionnelle de la société Anouche et de M. [C] Moyen des parties 37. La société Anouche et M. [P] sollicitent la condamnation de M. [U] à la publication du jugement à intervenir soulignant l'importance du litige pour la liberté d'expression, publication d'autant plus nécessaire selon eux que M. [U] a informé la presse de son action en justice. Appréciation du tribunal 38. La demande de la société Anouche et de M. [P] ne peut prospérer en l'absence de justification par ceux-ci d'une faute commise par M. [U] leur ayant causé un dommage direct et certain (autre pour la société Anouche que la nécessité de se défendre indemnisée par ailleurs), par application des dispositions de l'article 1240 du code civil précité. 5) Sur les demandes accessoires 39. Partie perdante, M. [U] supportera la charge des dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et sera condamné à verser à la société Anouche et à M. [C] la somme de 2.500 euros chacun et à la société Universal Music France la somme de 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFSLe tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et mis à la disposition au greffe, REJETTE les demandes de M. [E] [U], REJETTE les demandes de la société Anouche Productions et de M. [E] [C],CONDAMNE M. [E] [U] aux dépens dont distraction au profit de maître Sébastien Haas,CONDAMNE M. [E] [U] à payer à la société Anouche Productions et à M. [E] [C] la somme de 2 500 euros chacun et à la société Universal Music France la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,RAPPELLE que la présente décision est de plein droit assortie de l'exécution provisoire.Fait et jugé à Paris le 25 mai 2023. LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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JURITEXT000048389784
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 15 septembre 2023, 20/10453
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2023-09-15
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/10453
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CT0196
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG 20/10453No Portalis 352J-W-B7E-CTBTX No MINUTE : Assignation du :26 Octobre 2020 JUGEMENT rendu le 15 Septembre 2023 DEMANDEURS Monsieur [M] [A]domicilié : chez Me Sylviane BRANDOUY[Adresse 2][Adresse 2] Monsieur [B] [O]domicilié : chez Me Sylviane BRANDOUY[Adresse 2][Adresse 2] Madame [H] [O] épouse [U]domiciliée : chez Me Sylviane BRANDOUY[Adresse 2][Adresse 2] Madame [J] [O] veuve [S]domiciliée : chez Me Sylviane BRANDOUY[Adresse 2][Adresse 2] représentée par Maître Sylviane BRANDOUY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0797 DÉFENDEUR Monsieur [D] [F][Adresse 1][Adresse 1] représenté par Maître Claire BERTHEUX SCOTTE, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #B0350 Copies délivrées le :- Maître [W] #E797 (ccc)- Maître BERTHEUX SCOTTE #B350 (exécutoire)et par Maître Joseph LE VAN VANG, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant, COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Irène BENAC, Vice-PrésidenteMadame Anne BOUTRON, Vice-présidenteMonsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge assistés de Monsieur Quentin CURABET, Greffier, DÉBATS A l'audience du 26 Mai 2023 tenue en audience publique devant Arthur COURILLON-HAVY, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 15 septembre 2023 JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe ContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. M. [A], M. [O] et Mmes [O], héritiers des droits patrimoniaux et moraux d'auteur de [V] [P] (ci-après les héritiers [P]) recherchent la destruction d'un tableau signé [V] [P] qui avait été présenté par M. [F] au ‘Comité marc chagall' (le comité) aux fins d'authentification, mais que le comité a estimé contrefaisant. 2. Le tableau litigieux est intitulé « [G] et village (les fleurs sur [Localité 5], 1968-72) Acrylique sur carton 49,8 x 64,9 cm signée en bas à droite ‘[V] [P]' Attribué à [V] [P] », représenté ci-dessous : 3. L'oeuvre contrefaite selon le comité est Les Fleurs sur St Jeannet 1968-72, reproduite ci-dessous : 4. M. [F] ayant refusé la destruction proposée par le comité, les héritiers [P] ont fait pratiquer une saisie-contrefaçon entre les mains de celui-ci pour l'instituer gardien du tableau litigieux et ont assigné M. [F] en destruction le 26 octobre 2020. 5. M. [F] a obtenu la désignation d'un expert, qui a conclu le 16 juin 2022 que le tableau n'était pas de [V] [P]. 6. L'instruction a été close le 8 décembre 2022 et l'affaire plaidée le 26 mai 2023. 7. Dans leurs dernières conclusions (8 novembre 2022), les héritiers [P], estimant contrefaisante l'oeuvre de M. [F], demandent qu'elle leur soit remise aux fins de destruction et que les demandes de celui-ci soient rejetées ; subsidiairement, d'ordonner l'apposition visible et indélébile, au recto et au verso, de la mention « contrefaçon » et la suppression de la signature [V] [P] par un technicien de leur choix ; et en toute hypothèse de condamner M. [F] à leur payer 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens (comprenant les frais de saisie-contrefaçon, scellés, expertise, avec recouvrement par leur avocat). Faisant valoir que M. [F] ne conteste pas le caractère contrefaisant du tableau litigieux, ils soutiennent en substance, invoquant l'article L. 331-1-4 du code de la propriété intellectuelle et l'article 3 de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique, que la destruction de ce tableau est nécessaire pour réparer entièrement leur préjudice et mettre fin à la contrefaçon en empêchant notamment qu'il réapparaisse sur le marché de l'art, ce qui leur semble d'autant plus probable qu'il s'agit d'une « excellente contrefaçon qui peut faire illusion », outre que selon eux la simple mention « reproduction » sur le tableau est insuffisante à marquer son caractère illicite et donc assurer qu'aucune vente ne puisse se faire à l'avenir. Ils font valoir en outre que M. [F] avait lui-même accepté les conclusions du comité et le principe de la destruction, dans un courrier du 22 juillet 2017, mais en avait seulement demandé la mise en oeuvre différée (afin que son père âgé puisse continuer à « en jouir jusqu'à son départ »), et contestent la date de création alléguée aujourd'hui par le défendeur pour justifier d'un motif sentimental de conserver le tableau. Ils rappellent enfin les circonstances de l'échec d'une résolution amiable pour justifier leur demande d'indemnité de procédure. 8. Dans ses dernières conclusions (21 novembre 2022), M. [F] résiste aux demandes de destruction de l'oeuvre et d'indemnité de procédure, demande l'apposition visible et indélébile de la mention « reproduction », la levée de la saisie-contrefaçon et la restitution de l'oeuvre à son profit ; subsidiairement, en cas de destruction, d'écarter l'exécution provisoire. 9. Il soutient que le juge du fond dispose d'un pouvoir souverain d'appréciation pour déterminer la mesure la plus appropriée en réparation de l'atteinte au droit d'auteur, et qu'il ne s'agit pas nécessairement de la destruction, qu'à ce titre la mention « reproduction » a déjà été reconnue comme suffisante et qu'ici la destruction est selon lui disproportionnée. Il expose dans ce cadre que le tableau litigieux était accroché chez son père dans les années 1960/1962 quand il était sous-préfet de [Localité 4] (1955-1964), qu'il a toujours cru qu'il s'agissait d'une oeuvre authentique, que son père le lui a donné avant de mourir et qu'ainsi ce tableau a pour lui une valeur affective même s'il sait, éclairé par les conclusions de l'expertise judiciaire, que sa valeur économique est quasi nulle. Il estime enfin que l'exécution provisoire le priverait de la possibilité effective de faire appel. MOTIVATION 10. L'article L. 331-1-4 du code de la propriété intellectuelle prévoit qu'en cas de condamnation civile pour contrefaçon, atteinte à un droit voisin du droit d'auteur ou aux droits du producteur de bases de données, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les objets réalisés ou fabriqués portant atteinte à ces droits, les supports utilisés pour recueillir les données extraites illégalement de la base de données et les matériaux ou instruments ayant principalement servi à leur réalisation ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée. 11. La contrefaçon est définie par les dispositions répressives du code de la propriété intellectuelle, dont il résulte que constituent une contrefaçon l'édition d'oeuvres au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, ainsi que le débit, l'exportation, l'importation, le transbordement ou la détention aux fins précitées des ouvrages contrefaisants, ou encore toute reproduction, représentation ou diffusion d'une oeuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et règlementés par la loi (articles L. 335-2 et L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle). 12. Ainsi, en vertu de l'article L. 122-1 du même code, l'auteur détient un droit d'exploitation qui comprend le droit de représentation et le droit de reproduction, et en vertu duquel (article L. 122-4) toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite, et qu'il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. 13. L'auteur dispose également de droits moraux tenant d'une part au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre (article L. 121-1), d'autre part au droit de divulguer son oeuvre (article L. 121-2). 14. Par ailleurs, aux termes des articles 1 et 2 de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique, applicable aux oeuvres non tombées dans le domaine public : « Sont punis de deux ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende, sans préjudice des dommages-intérêts s'il y a lieu :1o Ceux qui auront apposé ou fait apparaître frauduleusement un nom usurpé sur une oeuvre de peinture, de sculpture, de dessin, de gravure et de musique ;Ceux qui, sur les mêmes oeuvres, auront frauduleusement et dans le but de tromper l'acheteur sur la personnalité de l'auteur, imité sa signature ou un signe adopté par lui. Les mêmes peines seront applicables à tout marchand ou commissionnaire qui aura sciemment recélé, mis en vente ou en circulation les objets revêtus de ces noms, signatures ou signes. La juridiction qui a statué peut prononcer la confiscation de ces oeuvres ou leur remise au plaignant. » 15. Les articles 3 et 3-1 de la même loi ajoutent que la juridiction peut prononcer la confiscation de ces oeuvres ou leur remise au plaignant ; il s'agit toutefois de dispositions concernant la juridiction répressive, et non la juridiction civile connaissant comme au cas présent de faits qualifiés de faute civile en raison de la violation des interdits pénaux prévus par cette loi. Ces deux articles ne peuvent donc en eux-mêmes fonder une confiscation, laquelle peut seulement être recherchée ici au titre de la cessation du dommage conformément au droit commun de la responsabilité civile. 16. Il est constant que les demandeurs sont les héritiers de [V] [P] et sont à ce titre investis de ses droits patrimoniaux d'auteur ; par ailleurs, l'Adagp a indiqué les laisser agir « de leur propre chef » (pièce demandeurs no20). 17. Le défendeur ne conteste pas que le tableau litigieux n'est pas de la main de [V] [P], bien qu'il porte sa signature ou une imitation de sa signature. C'est au demeurant ce qui ressort sans équivoque du rapport d'expertise, qui souligne l'incohérence de l'écriture picturale de l'oeuvre elle-même au regard de celle des oeuvres comparables et notamment d'une autre peinture à l'eau de la même époque ayant un thème très similaire (à savoir [G] au [Localité 3], 1969), l'orientation anormale de la signature, et l'incohérence du contexte dans lequel le tableau aurait été obtenu, à savoir en tant que cadeau au titre d'une relation du père de M. [F] avec l'artiste, relation dont rien n'atteste, et à une période (avant 1964) antérieure d'au moins 5 ans à l'oeuvre authentique Fleurs sur [Localité 5] (1968-1972) avec lequel il est presque identique, sans que rien n'explique un tel décalage temporel qui est peu crédible au regard des pratiques connues de l'artiste. 18. Or le tableau litigieux est une imitation manifeste de l'oeuvre Fleurs sur [Localité 5]. Il en reproduit toutes les caractéristiques relatives au thème, à la composition, au style et aux couleurs, qui sont manifestement originales de sorte que leur reprise caractérise une reproduction, dont il est par ailleurs constant qu'elle n'a pas été autorisée. La fabrication du tableau litigieux était donc une contrefaçon. 19. Toutefois, ce qui est actuellement reproché à M. [F] n'est pas la fabrication du tableau, mais sa simple détention, laquelle n'est pas un fait qui porte en lui-même atteinte au droit d'auteur, qu'il soit patrimonial ou moral : il ne s'agit ni d'une reproduction, ni d'une représentation, ni d'une édition, ni d'un débit. De même, bien que les demandeurs affirment que M. [F] ait soumis son tableau à un commissaire priseur dans le but de le vendre, ils n'apportent aucune preuve en ce sens, et il est évidemment possible de rechercher l'authentification ou l'évaluation d'un objet sans chercher à le vendre (ne serait-ce que dans la perspective d'un héritage). Il n'est donc pas démontré au cas présent que la détention de l'objet litigieux ait eu pour fin l'un des actes constituant une contrefaçon, ni que M. [F] ait lui-même fait apparaitre la signature de [V] [P]. 20. Certes, le récit de l'obtention du tableau litigieux rapporté par M. [F] n'est pas crédible mais, sauf à inverser la charge de la preuve qui incombe aux demandeurs, ce seul fait ne permet pas de présumer que c'est M. [F] lui-même qui a fait fabriquer, ou qu'il a sciemment détenu, un faux tableau. 21. Il en résulte qu'aucun fait de contrefaçon ne peut être imputé à M. [F], ni aucun des faits incriminés par la loi du 9 février 1895 ; qu'autrement formulé, aucune condamnation, en contrefaçon ou au regard de ladite loi, ne peut être prononcée ; de sorte que, à l'égard du droit de propriété que le défendeur détient sur l'objet litigieux, ces textes ne justifient aucune mesure contraignante. 22. Par conséquent, en l'état de ce qui est allégué par les parties, seul ce que le défendeur a lui-même accepté peut être ordonné, à savoir l'apposition de la mention « reproduction » sur le verso du tableau, dans les termes de sa demande. La saisie-contrefaçon doit de même être levée. 23. En toute hypothèse, à supposer qu'un autre fondement juridique ou factuel que ceux qui ont été soulevés justifie de contraindre M. [F] à supporter à son détriment les mesures nécessaires à ce que le tableau litigieux ne puisse jamais être vendu, il faut observer que s'agissant d'une peinture, la mention indélébile « reproduction » indique sans équivoque qu'elle n'est pas de la main de l'auteur ce qui suffit à la priver de toute la valeur qui aurait pu lui être indument accordée (à la différence, par exemple, d'un objet issu d'une reproduction technique), et que son apposition au verso est efficace dès lors que la vente d'un tableau implique de l'examiner intégralement, de sorte que cette mention suffit à atteindre l'objectif poursuivi et que toute mesure plus contraignante serait disproportionnée. 24. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie. 25. Les demandeurs, qui perdent le procès, sont tenus aux dépens, et leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile doit être rejetée. 26. L'exécution du jugement n'ayant rien d'irréversible à l'égard des parties perdantes, il n'y a pas lieu à écarter l'exécution provisoire. PAR CES MOTIFS Le tribunal : Rejette les demandes en destruction du tableau et en apposition de la mention « contrefaçon » ; Ordonne l'apposition, visible à l'oeil nu et indélébile, de la mention « REPRODUCTION », en présence des parties ou de tout mandataire de leur choix, aux frais de M. [F], par un commissaire de justice qui pourra se faire assister d'un technicien de son choix, au dos du tableau litigieux ; Ordonne la mainlevée de la saisie-contrefaçon et la restitution du tableau litigieux à M. [F] ; Condamne les héritiers [P] aux dépens et rejette leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Fait et jugé à Paris le 15 Septembre 2023 Le Greffier La PrésidenteQuentin CURABET Irène BENAC
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Tribunal judiciaire de Paris, 8 septembre 2023, 19/06501
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2023-09-08
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Tribunal judiciaire de Paris
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19/06501
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CT0196
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG 19/06501No Portalis 352J-W-B7D-CP7UU No MINUTE : Assignation du :17 Mai 2019 JUGEMENT rendu le 08 Septembre 2023 DEMANDERESSES Madame [V] [N][Adresse 2][Localité 6] S.A.R.L. LUMIERES STUDIO - ON SWITCH[Adresse 1][Localité 7] représentée par Maître Jean-baptiste SOUFRON de la SELARL FELTESSE WARUSFEL PASQUIER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0028 DÉFENDEURS S.A.S. GUERLAIN[Adresse 4][Localité 5] représentée par Maître Christophe CARON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0500 S.A. CHATEAU MIRAVAL[Adresse 9][Localité 8] représentée par Maître Gilles VERCKEN de la SELARL CABINET VERCKEN & GAULLIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0414 Monsieur [O] [D] [K]Chez Maître Franck LE MENTEC[Adresse 3][Localité 5] Copies délivrées le : - Maître SOUFRAN #K28 (ccc)- Maître CARON #C500 (executoire)- Maître VERCKEN #P414 (executoire)- Maître LE MENTEC #R59 (executoire)représenté par Maîtres Franck LE MENTEC et Pauline KOCH de la SELEURL FRANCK LE MENTEC AVOCAT, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0059 Madame [M] [H] [K][Adresse 9][Localité 8] défaillant COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Irène BENAC, Vice-PrésidenteMadame Anne BOUTRON, Vice-présidenteMonsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge assistés de Quentin CURABET, Greffier DEBATS A l'audience du 17 Mars 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 23 Juin 2023 puis prorogé en dernier lieu le 8 Septembre 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe Réputé contradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. Mme [N] et la société ‘Lumières studio - on switch' (la société Lumières studio), qu'elle dirige, ont été chargées, en 2010, respectivement de concevoir et de mettre en oeuvre les installations de lumières de 4 bâtiments du domaine de Miraval, dans le Var, appartenant à la société Château Miraval (la société Miraval), laquelle avait été acquise indirectement par M. [K] et Mme [H], qui devaient occuper la partie résidentielle du site et avaient décidé d'entreprendre des travaux d'ampleur. 2. Les relations se sont dégradées et pour des raisons sur lesquelles les parties s'opposent, la participation de Mme [N] et de sa société a pris fin à compter du 19 mai 2014, avant l'achèvement du chantier. 3. Au terme d'un premier litige opposant Mme [N] et sa société à la société Miraval, la cour d'appel de Paris, par arrêt du 19 avril 2017, estimant la société Miraval fautive, l'a condamnée à payer diverses sommes aux premières au titre de factures impayées, de la contribution au passif de la société Lumières studio et de leur préjudice d'image et de réputation. 4. Invoquant désormais respectivement des atteintes à ses droits d'auteur et une concurrence déloyale et parasitaire du fait de l'achèvement et de la modification sans leur accord de 40 oeuvres créées à l'occasion du chantier, Mme [N] et la société Lumières studio ont assigné la société Miraval ainsi que M. [K], respectivement le 22 mai et le 13 novembre 2019. 5. Elles reprochent par ailleurs à la société Guerlain des atteintes aux droits d'auteurs de Mme [N] sur 3 de ces oeuvres et une concurrence déloyale et parasitaire à l'égard de la société Lumières studio à raison d'une vidéo publicitaire montrant Mme [H] et tournée dans le château. Elles l'ont assignée le 17 mai 2019. 6. Mme [H], mentionnée comme défenderesse, n'a toutefois jamais été régulièrement assignée. Les demanderesses ont confirmé ne pas former de demande contre elle et ont demandé sa mise hors de cause. 7. En cours d'instance, le juge de la mise en état a rejeté une demande d'expertise judiciaire présentée par les demanderesses au motif qu'elle était prématurée et qu'il était préférable de trancher d'abord les contestations de fond. L'instruction a été close le 2 novembre 2022 et l'affaire appelée à l'audience du 17 mars 2023. Prétentions des parties Mme [N] et société Lumières studio 8. Dans leurs dernières conclusions (27 octobre 2022), Mme [N] et la société Lumières studio demandent en substance, outre la mise hors de cause de Mme [M] [H], qu'elles avaient initialement tenté d'assigner : 1) à titre principal, une expertise judiciaire des modifications qui auraient été apportées à ses 40 oeuvres, et du préjudice que Mme [N] aurait subi du fait de la publicité tournée sur les lieux, le tribunal devant surseoir à statuer dans l'attente du rapport ; 2) à titre subsidiaire : a) au titre de la contrefaçon de ses 40 oeuvres, de condamner i) la société Miraval et M. [K] à payer à Mme [N] 1 000 000 d'euros pour la violation de ses droits moraux d'auteur sur les 40 oeuvres (25 000 par oeuvre) et une provision de 1 000 000 d'euros pour ses droits d'exploitation d'auteur, ii) la société Guerlain à payer à Mme [N] 500 000 euros pour la violation de ses droits d'exploitation et 500 000 euros pour ses droits moraux, et ce sur les oeuvres Majestic, Egg et Your golden rest ; iii) outre des mesures d'interdiction contre chacune et la communication de certains « éléments » par la société Guerlain, le tout sous astreintes (aucune communication d'information n'est expressément demandée contre la société Miraval et contre M. [K]) ; b) au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme, de condamneri) la société Miraval à payer la société Lumières studio 1 000 000 d'euros de réparation « à parfaire sous réserve de la communication des éléments financiers »ii) la société Guerlain à payer à la même société 1 000 000 d'euros « à parfaire » sous la même réserve de communication, « notamment du plan média du parfum Mon Guerlain ; c) le rejet des demandes reconventionnelles, en tant que de besoin la nullité ou subsidiairement la résiliation de l'accord de confidentialité allégué par les défendeurs au principal, plus subsidiairement réduire le montant de la clause pénale invoquée ; d) la publication du jugement, l'autorisation pour Mme [N] de se rendre sur les lieux afin de photographier ses oeuvres, 3) en tout état de cause, la condamnation solidaire des trois défendeurs à payer à Mme [N] et à la société Lumières studio 50 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre l'exécution provisoire et les dépens « en ce compris les frais d'expertise judiciaire le cas échéant. » Société Miraval 9. Dans ses dernières conclusions (6 octobre 2022), la société Miraval, en substance, demande d'écarter des pièces comme dépourvues de force probante et : 1) estime Mme [N] et la société Lumières studio irrecevables en leurs demandes, y résiste sur le fond, y compris à l'exécution provisoire ; 2) subsidiairement demande de :a) limiter la mesure d'instruction à une simple « constatation de l'existence ou non » des seules installations qu'il serait indispensable de vérifier, et d'en limiter l'accès aux seuls avocats. b) si elle est condamnée à indemniser Mme [N] et la société Lumières studio pour contrefaçon ou pour agissements parasitaires, condamner celles-ci à lui payer une somme égale en y ajoutant 75 000 euros correspondant à ses frais de défense, au titre de leur manquement « à leur obligation précontractuelle d'information et/ou à leur obligation contractuelle de livrer des éléments propres à leur usage » ;c) si Mme [N] est autorisée à accéder au château Miraval et à y prendre des photographies, la condamner à lui payer une provision de 75 000 euros « à parfaire en fonction de l'utilisation qui sera faite par Mme [N] des photographies ainsi prises en violation de l'accord de confidentialité » ;d) si Mme [N] obtient la destruction d'installations, condamner celle-ci et la société Lumières studio à lui payer 5,7 millions d'euros (le tribunal observe néanmoins que les demanderesses au principal n'ont pas réclamé de destruction) ; 3) reconventionnellement, en tout état de cause, demande la condamnation solidaire de Mme [N] et de la société Lumières studio à lui payera) 35 000 euros de dommages et intérêts pour la violation de l'accord de confidentialité et leur manquement au devoir de prudence, b) 10 000 euros pour abus, outre une amende civilec) 75 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens. M. [K] 10. Dans ses dernières conclusions (6 octobre 2022), M. [K] résiste aux demandes de Mme [N] et de la société Lumières studio, y compris à l'exécution provisoire, subsidiairement demande de limiter la mesure d'instruction dans les mêmes termes que la société Miraval. Reconventionnellement, il demande la condamnation in solidum de Mme [N] et de la société Lumières studio à une amende et à lui payer 10 000 euros de dommages et intérêts pour abus, à lui payer 75 000 euros encore pour manquement à son obligation contractuelle de confidentialité et 75 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens (à recouvrer par son avocat). Société Guerlain 11. Dans ses dernières conclusions (22 juin 2022), la société Guerlain résiste à la demande d'expertise, soulève l'irrecevabilité de Mme [N] en ses demandes, y résiste au fond, y compris à l'exécution provisoire (et réclame subsidiairement la constitution d'une garantie), demande reconventionnellement la condamnation in solidum de Mme [N] et de la société Lumières studio à lui payer 1 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre 70 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens (à recouvrer par son avocat). MOTIVATION 12. Le défaut de force probante d'une preuve fait partie de l'examen de la prétention que cette preuve est supposée soutenir ; il n'est pas un motif de rejet de la preuve, et la demande formulée en ce sens par la société Miraval et par M. [K] n'est en réalité qu'un moyen de défense contre les prétentions dirigées contre eux dans le cadre du procès, et qui sera examiné à ce titre. I . Autorité de la chose jugée Moyens des parties 13. La société Miraval estime que l'ensemble des demandes de Mme [N] et de la société Lumières studio dirigées contre elle se heurte à l'autorité de la chose jugée. Elle fait valoir à cet égard, en premier lieu, qu'il y a identité de cause, ce qui correspond selon elle aux faits existants lors de la formation de la demande, c'est-à-dire ici le chantier, les difficultés lors de l'intervention des demanderesses, la fin de la relation contractuelle, l'achèvement et la modification des installations lumineuses par des tiers, et la restitution tardive du matériel. Elle soutient en deuxième lieu que l'objet est le résultat recherché, c'est-à-dire en l'espèce la réparation de préjudices matériels et moraux dont elles avaient déjà demandé la réparation devant la cour d'appel de Paris. 14. La société Lumières studio et Mme [N] répondent que le premier litige était commercial, à propos de factures impayées, qu'aucune demande au titre du droit d'auteur n'avait été soumise au tribunal, que le tribunal de commerce aurait d'ailleurs été incompétent pour en connaitre, et que l'autorité de la chose jugée requiert que la nouvelle instance tende à la même fin que la précédente, ce qui n'est pas le cas ici selon elles.Appréciation du tribunal cadre juridique 15. En vertu de l'article 122 du code de procédure civile, la chose jugée est un des motifs du défaut de droit d'agir, constituant une fin de non-recevoir, qui peut être soulevée en tout état de cause (article 123). Le domaine de l'autorité de la chose jugée est déterminé négativement par l'article 1355 du code civil, qui prévoit qu'elle « n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formées par elles et contre elles en la même qualité ». 16. L'article 480 du code de procédure civile prévoit que le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès sont prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche. 17. S'agissant de l'identité de cause, il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; ont ainsi la même cause deux demandes en paiement d'une somme d'argent à raison d'un même travail non rémunéré, qu'elles soient fondées sur un salaire différé ou sur un enrichissement sans cause (Cass. Ass. plén. 7 juillet 2006, no04-10.672, Cesareo). 18. En revanche, à l'égard de la chose demandée, le demandeur n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits : ainsi, la demande en paiement des loyers d'un immeuble, qui n'a pas le même objet que la demande tendant à faire juger que la vente de cet immeuble était parfaite, ne se heurte pas à l'autorité de chose jugée de la décision rendue sur cette dernière, même si la première a vocation à se compenser avec celle-ci (Cass. 2e civ., 26 mai 2011, no 10-16.735). 19. Il en résulte que le demandeur peut demander la réparation des différentes conséquences d'un même fait dommageable lors de plusieurs procès : dans ce cadre, la demande en réparation des conséquences patrimoniales d'un dommage n'a pas le même objet que la demande en réparation du préjudice d'image ou moral ayant la même cause (voir, par analogie, s'agissant de postes de préjudice corporel, Cass. 2e Civ., 15 décembre 2022, no 21-16.007 ; et a contrario, 2e Civ., 3 juin 2020, no09-13.246). objet du jugement 20. Lors de l'instance ayant donné lieu à l'arrêt du 19 avril 2017, Mme [N] et la société Lumières studio avaient demandé dans leurs dernières conclusions (10 février 2017), contre la société Miraval :- la confirmation du jugement en ce qu'il avait condamné celle-ci à leur payer des factures impayées,- des dommages et intérêts pour chacune « en raison de la rupture brutale et injustifiée de leurs relations contractuelles »- des dommages et intérêts pour la société Lumières studio à raison des « pertes subies », « à hauteur de [son] entier préjudice », ce qui correspondait au montant du passif de cette société, placée en redressement judiciaire ;- des dommages et intérêts pour la société Lumières studio du fait de la perte de chance de poursuivre son développement commercial ;- des dommages et intérêts à chacune pour leur préjudice d'image et moral. 21. Mme [N] et la société Lumières studio demandent aujourd'hui à la même société Miraval, respectivement :- des dommages et intérêts au titre de la violation des droits d'auteur (moraux et patrimoniaux),- des dommages et intérêts au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme,- outre l'interdiction d'exploiter les oeuvres, une demande avant dire droit en expertise judiciaire, et la publication du jugement. 22. La demande d'interdiction n'a pas le même objet que des demandes en dommages et intérêts et ne se heurte donc pas à l'autorité de la chose jugée. 23. En revanche, et par définition, les nouvelles demandes en dommages et intérêts visent comme les précédentes à indemniser un préjudice, et ont donc le même objet et la même cause si le préjudice concerné est le même. 24. Certes, ces nouvelles demandes ont à l'évidence un fondement juridique différent (la contrefaçon de droit d'auteur et la concurrence déloyale ou parasitaire), et comme le soulignent les demanderesses, ce fondement a pour corollaire la compétence exclusive du tribunal judiciaire alors que les premières demandes relevaient du tribunal de commerce. 25. Toutefois, il résulte des principes rappelés ci-dessus au point 17 que le fondement juridique (dont fait partie la qualification juridique de la demande) est indifférent. Quant à l'identité de juridiction compétente, elle ne fait pas davantage partie des conditions à l'autorité de la chose jugée fixées par l'article 1355 du code civil. Que, parmi les différents moyens susceptibles de fonder une même demande, certains relèvent de la compétence exclusive de différentes juridictions est sans incidence sur la possibilité, pour le plaideur, de soulever ensemble tous les moyens utiles. La juridiction saisie est simplement susceptible de renvoyer l'affaire au juge compétent après avoir tranché les moyens principaux relevant de sa propre compétence, le cas échéant, ce qui n'affecte pas défavorablement les droits du demandeur. 26. Autrement formulé, il en résulte que le plaideur qui fait le choix de fonder ses demandes indemnitaires exclusivement sur le droit commun renonce définitivement à les fonder sur la contrefaçon de droit d'auteur. 27. Il faut donc seulement rechercher ici si le préjudice dont les demanderesses demandent la réparation, et sa cause factuelle, sont les mêmes que lors de l'instance relative à leurs premières demandes. 28. Pour la présente instance, Mme [N] reproche à la société Miraval (ses conclusions pp. 154 et s.) d'une part d'avoir « délibérément poursuivi l'exécution de 40 oeuvres précitées, sans [son] accord » et achevé et modifié les oeuvres « par rapport à l'état d'avancement constaté au 19 mai 2014 », d'autre part d'avoir dans ce cadre utilisé sans son autorisation ses « dessins, croquis, plans et photographies » ; ce qui a eu pour conséquence selon elle de l'empêcher « de contrôler la reproduction, la représentation, l'exécution et la finalisation des nombreuses oeuvres qu'elle a réalisées pour le Château de Miraval. » La société Lumières studio lui reproche en substance les mêmes faits fautifs (ses conclusions pp. 189 et s.). 29. Mme [N] en déduit en premier lieu un préjudice moral tiré de la violation de ses droits moraux tenant à l'impossibilité pour elle de revendiquer la paternité des oeuvres ainsi qu'à la dépréciation de celles-ci (ses conclusions pp. 170-171) ; en second lieu, un préjudice patrimonial assimilé à la violation de ses droits patrimoniaux, consistant en un manque à gagner et à la captation de ses investissements de création. 30. La société Lumières studio en déduit un préjudice qu'elle n'explicite pas (ses conclusions pp. 191-192). 31. Or comme le relève la société Miraval, la première demande de Mme [N] et de la société Lumières studio en réparation d'un préjudice moral (et d'image) était fondée entre autres sur les mêmes faits (conclusions du 10 février 2017 devant la cour d'appel, pp. 64-66), à savoir que « leurs travaux ont été récupérés et trahis » car les « conceptions luminaires n'ont pu être correctement achevées », et que « des modifications y auraient été apportées », par des personnes ayant travaillé pour la société Lumières studio et qui ont « repris ses créations », ce qui inclut par définition les éventuels « dessins, croquis, plans et photographies » qu'elle aurait pu réaliser pour le chantier. La nouvelle demande formée par Mme [N] contre le même défendeur en réparation du même préjudice moral se heurte donc à l'autorité de la chose jugée. 32. Il en va de même de la nouvelle demande en dommages et intérêts de la société Lumières studio, qui est elle aussi causée par les mêmes faits que la précédente (l'achèvement et la modification des installations lumineuses), et dont faute de précision le tribunal ne peut présumer qu'elle porte sur un poste de préjudice distinct du préjudice moral dont elle avait déjà demandé la réparation. 33. Les autres demandes indemnitaires des demanderesses avaient pour cause leur « éviction » du chantier, le refus fautif de paiement des factures et la rétention du matériel de la société Lumières studio pendant plusieurs mois. Ces faits ne sont pas inclus dans la cause des nouvelles demandes, fondées sur les agissements de la société Miraval après la cessation des relations, à savoir l'achèvement et la modification des oeuvres ainsi que l'usage des autres créations de Mme [N] (croquis etc.). La demande de celle-ci en dommages et intérêts pour préjudice matériel est donc nouvelle. 34. Enfin, la demande en expertise n'a été rejetée par le juge de la mise en état que dans l'attente du jugement au fond, et la demande en publication du présent jugement est, par hypothèse, liée uniquement au présent procès. 35. Par conséquent, la demande de la société Lumières studio en dommages et intérêts contre la société Miraval ainsi que la demande de Mme [N] en dommages et intérêts pour violation de ses droits moraux, dirigée contre la même société, se heurtent à l'autorité de la chose jugée et sont irrecevables de ce fait, et la fin de non-recevoir est écartée pour le surplus. II . Demandes fondées sur la contrefaçon de droits d'auteur (expertise et demandes subsidiaires au fond) 36. L'utilité de la mesure d'instruction demandée avant dire droit, formée à titre principal au soutien des demandes en contrefaçon, dépend comme l'a relevé le juge de la mise en état de l'analyse d'un certain nombre de moyens de fond qui ne dépendent pas d'elle mais dont, à l'inverse, son utilité dépend, et qui doivent donc être examinés dans ce but. 1 . Oeuvres invoquées et protection par les droits d'auteur (identification, originalité) Moyens des parties 37. Mme [N] invoque des droits d'auteur sur 40 installations lumineuses dans le domaine de Miraval, et sur les croquis, plans, maquettes et autres documents qu'elle dit avoir réalisés pour leur fabrication. Elle indique d'une façon générale avoir créé un parcours autour des jeux de lumière (naturelle et artificielle), dont elle contrôlait la réalisation par des intervenants qui n'étaient que techniciens ou intermédiaires, jusqu'à son éviction qui l'a empêchée de contrôler l'achèvement des oeuvres, celui-ci étant prouvé selon elle par l'absence de réserve à leur sujet dans le procès-verbal de réception. N'ayant depuis eu aucun accès aux oeuvres et les défendeurs n'en communiquant aucune photographie, elle estime d'une part ne pouvoir apporter de meilleure preuve de leur identification et originalité que ses croquis, carnets de détails, plans et maquettes, d'autre part qu'une expertise est nécessaire pour présenter les oeuvres dans leur état actuel. 38. L'originalité des oeuvres provient, expose-t-elle, de la maitrise des effets de lumière, qui est protégeable, comme cela a été reconnu par exemple pour l'éclairage de la tour Eiffel, et d'effets, notamment immersifs, dépassant le simple savoir-faire et la contrainte technique. Elle se prévaut par ailleurs d'un rapport ayant estimé que l'originalité devrait être présumée sauf à ce que le défendeur fasse naitre un doute sérieux, car la preuve de l'originalité serait pour le « titulaire de droit » une exigence excessive contraire à la directive 2001/29, et estime qu'il faut tenir compte ici de « la mauvaise foi générale » des défendeurs qui contesteraient tout systématiquement et refusent de communiquer les photos des oeuvres achevées. Elle se prévaut également de sa qualité d'artiste, qui serait un indice de ce qu'elle apporte une part d'elle-même dans toutes ses productions. Elle expose dans ce cadre, pour chacune des 40 installations en cause, ce qui porte selon elle l'empreinte de sa personnalité, en s'appuyant sur les carnets de détails, planches graphiques et maquettes qu'elle dit avoir réalisés lors du chantier. 39. Les défendeurs estiment en premier lieu les oeuvres insuffisamment identifiées, en ce sens que la demanderesse n'identifierait pas précisément leurs caractéristiques originales et leur forme sensible (identifiable avec une précision suffisante). Ils ajoutent à cet égard que l'on ne peut revendiquer la lumière naturelle, ni un « effet ». S'agissant en particulier des croquis et autres documents, ils reprochent à Mme [N] de ne pas indiquer sur lequel ou lesquels un droit existerait (ces documents étant « versés pêle-mêle »), estiment qu'au demeurant les documents communiqués ne sont que des projets non protégeables, n'ont pas de date certaine ce qui les priverait de force probante et empêcherait d'identifier l'oeuvre, faute de pouvoir déterminer son antériorité par rapport aux faits de contrefaçon allégués, et seraient de façon générale impropres à identifier les oeuvres car incomplets ou incohérents pour certains d'entre eux avec ce qui est revendiqué pour celles-ci. 40. Ils contestent en second lieu toute originalité aux oeuvres invoquées. Ils soutiennent que la description « lyrique » (relative à ses intentions) puis technique (s'appuyant sur les plans) qu'en donne la demanderesse n'indique pas quels sont les choix déterminant la forme des oeuvres ni en quoi ces choix seraient libres et créatifs, au-delà d'une idée, d'un concept, d'un savoir-faire ou de la technique, outre qu'ils rappellent contester la force probante des documents, non datables et selon eux produits pour les besoins de la cause. Appréciation du tribunal 41. Conformément à l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur l'oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. 42. La protection d'une oeuvre de l'esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale, en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. 43. De même, il résulte de l'interprétation de la directive 2001/29 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, qui encadre la notion d'oeuvre conditionnant la protection exigée par ce texte, qu'une oeuvre implique un objet original, c'est-à-dire une création intellectuelle propre à son auteur, qui en reflète la personnalité en manifestant ses choix libres et créatifs ; et cet objet doit être identifiable avec suffisamment de précision et d'objectivité, ce qui exclut une identification reposant essentiellement sur les sensations de la personne qui reçoit l'objet (CJUE, 12 septembre 2019, Cofemel, C-683/17, points 29 à 35). 44. De même, la propriété littéraire et artistique ne protège pas les idées ou concepts, mais seulement la forme originale sous laquelle ils se sont exprimés (Cass. 1re Civ., 29 novembre 2005, no04-12-721 ; 1re Civ., 16 janvier 2013, no12-13.027). 45. Dans ce cadre, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur dont l'existence est contestée de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il allègue. En effet, seul l'auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole. 46. Cette charge correspond à l'effort minimal de motivation attendu de tout demandeur à un procès ; elle ne requiert en elle-même la recherche d'aucune preuve, et n'expose donc celui qui invoque un droit d'auteur à aucune contrainte excessive au regard de la directive 2001/29 ou de la directive 2004/48, et ce d'autant moins lorsque le demandeur est celui qui se dit auteur et est donc le mieux à même de savoir ce qui est supposé refléter sa propre personnalité. Cadre d'analyse au regard de l'interruption de la participation de Mme [N] au chantier 47. La présente espèce a toutefois ceci de particulier que Mme [N] revendique en substance des oeuvres qu'elle a voulu créer sans pouvoir en superviser la fin de la fabrication et sans avoir eu accès aux oeuvres achevées. 48. Elle reproche en effet, d'une part, à M. [K] et à la société Miraval de les avoir achevées sous une forme modifiée (et sans la citer), violant son droit moral, et en utilisant ses croquis, plans et maquettes, violant ses droits patrimoniaux, d'autre part à la société Guerlain d'avoir reproduit trois de ces oeuvres dans deux films publicitaires. 49. À cet égard, l'article L. 111-2 du code de la propriété intellectuelle précise que l'oeuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l'auteur. 50. Il en résulte que le caractère inachevé d'une oeuvre par rapport à la conception de l'auteur n'est pas en soi un obstacle à sa protection par le droit d'auteur : l'oeuvre créée est une réalisation partielle de la conception (initiale) de l'auteur, elle n'en est pas pour autant privée de protection si elle est originale. En revanche, dans cette hypothèse, l'oeuvre ainsi créée, donc la forme protégée, n'est pas égale à la conception initiale de l'auteur prise dans son entier : seul ce qui a été réalisé sous une forme sensible est protégeable, et non une conception restée virtuelle. Il a ainsi été jugé que le droit moral de l'architecte ayant conçu un ensemble immobilier dont seule la première tranche avait été construite ne faisait pas obstacle à la construction mitoyenne d'un autre bâtiment (à la place du bâtiment projeté) s'affranchissant du projet initial (Cass. 1re Civ., 17 octobre 2012, no11-18.638, publié). 51. Sont ainsi invocables ici, en principe, à la fois les installations lumineuses achevées, les documents préparatoires (plans, maquettes, etc), et les installations en cours de réalisation telles qu'elles se trouvaient lorsque Mme [N] a quitté le chantier. 52. Toutefois, si celle-ci invoque en passant l'article L. 111-2 et la protection des oeuvres inachevées, elle n'identifie pas les installations en cause dans leur état inachevé, et ne décrit au contraire dans ses conclusions que ce qui était censé être réalisé, autrement dit sa conception. Les installations dans leur état inachevé, faute d'être identifiées, ne peuvent fonder une condamnation en contrefaçon. Pour le surplus, ce qui peut être utilement invoqué dépend de la date des faits litigieux (selon qu'ils précèdent ou non l'achèvement des installations lumineuses en cause). S'agissant des faits reprochés à M. [K] et à la société Miraval 53. Les installations achevées ne peuvent pas être opposées à M. [K] et à la société Miraval dès lors que ce qui leur est reproché est précisément d'avoir réalisé cet achèvement : si l'oeuvre en cause est l'installation achevée, alors par hypothèse elle n'existait pas encore lorsque les défendeurs l'ont réalisée. Seuls les documents préparatoires peuvent donc leur être utilement opposés. 54. Tous les documents ou maquettes préparatoires, en tant qu'objets matériels, sont formellement identifiables. Ils sont« versés pêle-mêle » comme le critiquent à juste titre les défendeurs, et il faut donc s'en tenir uniquement à ceux qui sont expressément visés et explicités dans les conclusions de Mme [N] lorsqu'elle définit les oeuvres qu'elle invoque. 55. Mme [N] déduit leur originalité de celle de l'oeuvre dont ils préparaient la réalisation, ce qui est possible si les caractéristiques revendiquées de l'oeuvre finale sont toutes présentes dans ces éléments préparatoires (il ne s'agit alors que d'une modalité de description des éléments préparatoires, sans incidence). Cela revient également à considérer ensemble, comme un tout, les éléments préparatoires relatifs à chaque installation lumineuse. Un tel procédé est encore pertinent dès lors que ces éléments ont effectivement vocation à être vus et utilisés ensemble pour décrire un tout cohérent (les caractéristiques de l'installation projetée). 56. En revanche, il est nécessaire que les oeuvres ainsi constituées par les éléments préparatoires ou leur regroupement préexistent aux travaux litigieux réalisés par les défendeurs. Mme [N] est certes placée dans une situation difficile, devant prouver a posteriori un fait passé consistant en une multitude d'éléments épars, mais c'est à elle qu'incombe de prouver les faits nécessaires au succès de ses prétentions, et donc l'existence préalable d'une oeuvre. Au demeurant, l'allégation de Mme [N] selon laquelle les défendeurs ont utilisé ses documents pour achever les installations implique qu'ils y ont eu accès, donc que ces documents leur aient été communiqués lors du chantier, et que des personnes les aient vus, ce qui peut se prouver par des moyens de preuve accessibles et usuels (courriels, compte-rendus de réunion signés ou envoyés par courriel, témoignage des très nombreuses personnes intervenues sur le chantier...). 57. Or comme le soulignent à juste titre les défendeurs, les différents carnets de détails, planches techniques ou maquettes invoqués par Mme [N] ne sont inscrits dans aucun contexte vérifiable. Certes, des courriels sont invoqués par Mme [N] pour attester de certaines créations antérieures, mais leur contenu ne correspond pas à ce qui est ensuite revendiqué (ainsi des courriels échangés avec M. [K] au sujet de l'éclairage de l'escalier, qu'elle invoque dans ses conclusions p. 35 mais dont la lecture révèle qu'ils contiennent des éléments différents des caractéristiques revendiquées pour cette oeuvre, dans ses conclusions pp. 54 et s.). L'antériorité des éléments revendiqués comme oeuvre par la demanderesse par rapport aux faits de contrefaçon qu'elle dénonce n'est donc pas suffisamment prouvée. 58. Il en résulte que, même à les supposer originaux, ils ne peuvent fonder une condamnation en contrefaçon. S'agissant des faits reprochés à la société Guerlain 59. À l'égard de la société Guerlain, qui n'a pas achevé les installations mais les aurait reproduites après leur achèvement dans un film publicitaire, les installations achevées sont par hypothèse antérieures aux faits litigieux. Il faut alors rechercher si elles sont protégées par le droit d'auteur et le cas échéant si le demandeur est fondé à s'en prévaloir. S'agissant des documents préparatoires, qui sont décrits comme ayant les mêmes caractéristiques que les oeuvres achevées, la conclusion tirée de l'analyse de celles-ci peut leur être transposée. 60. Le seul moyen d'identifier formellement les oeuvres achevées est d'y être confronté, ce qui, en l'absence de reproduction communiquée par M. [K] ou la société Miraval, ne peut être fait que par une constatation là où elles se trouvent, sans que ceux-ci puissent se plaindre de l'intrusion rendue nécessaire par leur propre attitude procédurale. Néanmoins, cette recherche n'est utile que si l'oeuvre, telle que revendiquée par la personne qui s'en prétend l'auteur, est susceptible d'être originale, à supposer qu'elle ait ensuite été réalisée selon ces caractéristiques. L'utilité d'une mesure d'instruction dépend donc de cette analyse préalable. Trois oeuvres sont concernées par les faits reprochés à la société Guerlain. 61. 1) Majestic. Mme [N] invoque l'éclairage d'un escalier sur trois niveaux, d'une part par deux sources de lumière artificielle sur le sol du rez-de-chaussée pouvant éclairer la sous-face de l'escalier vers le haut, d'autre part par trois sources lumineuses situées en haut de l'édifice dans un faux-plafond créé spécialement (« désaxé part rapport à l'axe longitudinal du bâtiment et par rapport au plan horizontal ») et dissimulant le toit : une source de lumière naturelle venant d'une fenêtre de toit, détournée par un conduit dans le faux-plafond et ouvrant sur le mur du palier du 2e étage, deux sources de lumière artificielle éclairant de haut en bas une partie du bas de l'escalier, selon un angle particulier, à travers deux ouvertures placées dans deux parois du faux-plafond ; de telle sorte que, en descendant l'escalier, on sorte de l'ombre pour entrer dans la lumière de façon majestueuse. Le fait que plusieurs éléments nécessaires à l'ensemble ne soient pas précisés, comme le soulignent les défendeurs (par exemple l'intensité de la lumière), est indifférent dès lors qu'ils ne sont pas revendiqués et que l'installation peut avoir plusieurs états, donc plusieurs formes sensibles différentes : l'installation décrite, une fois achevée, est visuellement identifiable. 62. Néanmoins, la combinaison des caractéristiques alléguées reste banale et ne suffit pas à donner à l'installation une forme originale : le simple principe d'un faux-plafond désaxé, associé à l'éclairage d'un escalier par deux lumières descendantes, même selon un angle précis (cet angle n'étant pas explicité, ce qui ne permet pas de rechercher en quoi il pourrait être un choix personnel), et deux lumières ascendantes éclairant sa sous-face, ainsi qu'au fait de détourner la lumière naturelle en la faisant passer par un mur vertical, ne sont pas, même pris ensemble, des choix créatifs propres à Mme [N] qui pourrait interdire à quiconque de les mettre en oeuvre ailleurs. Quant à la sortie majestueuse de l'ombre, il ne s'agit en soi que d'une idée, non appropriable. L'installation Majestic et l'ensemble des documents préparatoires qui y sont relatifs ne sont donc pas des oeuvres de l'esprit. 63. En toute hypothèse, à supposer que la combinaison de ces caractéristiques soit originale, il ressort du film litigieux que cette combinaison n'y est pas reproduite : le plafond désaxé n'y est pas perceptible (ce qui est seul pertinent, et non, comme le soutient Mme [N], le fait qu'il ait été techniquement utilisé), pas plus que la source détournée de lumière naturelle au 2e étage ; on ne peut pas identifier de source de lumière particulière (au contraire l'ensemble semble baigné d'une lumière continue dont l'origine est difficile à déterminer), et si l'éclairage n'est pas absolument uniforme (une partie de l'escalier est plus sombre que l'autre) il ne s'agit pas à proprement parler d'une ombre, de sorte que l'on ne peut pas en sortir (fût-ce de façon majestueuse). En définitive, il est manifeste que le film résulte de choix d'éclairage distincts de ceux que revendique Mme [N]. 64. 2) Egg. Mme [N] décrit des niches ovales en forme de demi-oeuf, en creux dans le mur, avec une source lumineuse à la base et un réflecteur dessiné spécialement, de sorte que la lumière semble « venir de la profondeur des murs », « posant une nouvelle fois à l'observateur, la question des limites. » Indépendamment de ces intentions, qui sont peu pertinentes dès lors qu'elles ne sont qu'un ressenti et non la traduction d'une caractéristique formelle de l'oeuvre, l'installation ainsi décrite ne présente pas de caractéristique originale : il ne peut être sérieusement soutenu que le choix d'une niche en matière réfléchissante, en forme d'oeuf et éclairée par le bas (la particularité du « réflecteur » n'étant pas exposée par la demanderesse) soit un choix créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur. Ainsi, à supposer que l'installation ait pu entièrement être réalisée selon les instructions de Mme [N], il ne s'agit pas d'une oeuvre de l'esprit. 65. 3) Your golden rest. L'élément caractéristique de l'oeuvre selon la demanderesse est un « halo de lumière doré » qui s'inscrit dans une alcôve dont la forme n'est pas revendiquée précisément (et les croquis communiqués montrent une forme soit arrondie soit rectangulaire), ce qui n'est pas original. 66. Ainsi, même à supposer que les trois installations concernées aient été achevées conformément aux caractéristiques invoquées par Mme [N], elles ne sont pas protégées par le droit d'auteur. Il en va de mêmes des documents préparatoires qui y sont relatifs. 67. Par conséquent, la demande d'expertise tendant à prouver la contrefaçon de droit d'auteur, et les demandes au fond à ce titre (dommages et intérêts, interdiction, communication d'information) doivent être rejetées. III . Demande en concurrence déloyale et parasitaire 68. La demande dirigée contre la société Miraval étant irrecevable, seule la demande en parasitisme dirigée contre la société Guerlain peut être examinée au fond. 69. Est fautif, au sens de l'article 1240 du code civil, le fait, pour un agent économique, de se placer dans le sillage d'une entreprise en profitant indument des investissements consentis ou de sa notoriété, ou encore de ses efforts et de son savoir-faire ; qualifié de parasitisme, il résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité (Cass. Com., 4 février 2014, no13-11.044 ; Cass. Com., 26 janvier 1999, no 96-22.457), et qu'il faut interpréter au regard du principe de liberté du commerce et de l'industrie. 70. Il incombe donc à celui qui impute à un tiers des actes parasitaires de rapporter ce qui est le fruit d'investissements et efforts humains et financiers de sa part, lesquels ne se déduisent pas de la seule longévité et du succès de la commercialisation de l'objet copié ou imité (Cass. Com. 5 juillet 2016, no14-10.108). 71. La société Lumière studios se prévaut de son travail lors du chantier, qui aurait été pillé par la société Guerlain. Mais la société Lumières studio a été rémunérée pour le travail accompli et son client, la société Miraval, avait sauf convention contraire le droit d'utiliser comme elle l'entendait le fruit de ce travail, ce qui incluait le droit d'autoriser ou non un tiers à tourner un film dans les lieux concernés, de sorte que ce tiers n'a manifestement commis aucune faute à ce titre. Le fait que les lieux du tournage du film de la société Guerlain contiennent des installations achevées sans la société Lumières studio est indifférent, celle-ci n'ayant aucun droit privatif sur le travail qu'elle avait débuté. 72. Par conséquent, la demande, manifestement mal fondée, est rejetée. 73. Il résulte du rejet de l'ensemble des demandes principales que les demandes en publication du jugement et en autorisation d'accéder à la propriété de la société Miraval sont infondées, et par conséquent rejetées. IV . Demandes reconventionnelles de la société Miraval et de M. [K] pour violation de l'obligation de confidentialité et du devoir de prudence Moyens des parties 74. M. [K] et la société Miraval reprochent à Mme [N] d'avoir fait état publiquement, dans la presse, de ses travaux au domaine de Miraval, et d'avoir diffusé des photographies de certains installations sur le site internet de la société Lumières studio, et ce en violation selon eux d'une obligation de confidentialité contractée envers M. [K], manquement contractuel que la société Miraval invoque sur le fondement de la responsabilité délictuelle à son égard. 75. La société Miraval lui reproche en outre d'avoir manqué au devoir de prudence auquel chacun est tenu en les accusant dans la presse d'avoir « coulé [sa] boite » et de s'être « approprié [son]travail », sans même attendre de décision définitive, en affirmant de façon mensongère que la société Miraval aurait organisé le débauchage de Mme [S], et en divulguant dans la presse le contenu de pièces échangées lors de la procédure antérieure (l'attestation de l'architecte du chantier et le contenu de courriels échangés avec M. [K]). 76. M. [K] invoque la clause de l'accord de confidentialité prévoyant que la divulgation d'information confidentielle donnerait droit à un montant minimum de dommages et intérêts de 75 000 euros. La société Miraval dit subir de ce fait un discrédit et une atteinte aux relations avec ses prestataires, et fait valoir que les propos de Mme [N] ont été beaucoup relayés, ce qui caractérise selon elle un préjudice de 35 000 euros. 77. Mme [N] conteste l'existence d'un accord de confidentialité, faute pour l'acte invoqué d'avoir été paraphé sur chaque page, en demande la résiliation au motif qu'il s'agirait d'un contrat à durée indéterminée, et conteste en tout état de cause l'avoir violé, faisant valoir que les « rares représentations des oeuvres » sur son site internet ne mentionnent pas le nom de M. [K] ou de Miraval, et qu'elle a donné des interviews suite à une décision de justice publique sans rien révéler de plus que ce que cette décision contient. Elle estime subsidiairement que le montant de la clause pénale est disproportionné. À l'égard de la société Miraval, elle estime qu'aucune faute, préjudice ni lien de causalité n'est justifié. Appréciation du tribunal à l'égard de M. [K] 78. L'article 1322 du code civil, dans sa rédaction en vigueur à la date du contrat en cause, dispose que l'acte sous seing privé, reconnu par celui auquel on l'oppose, ou légalement tenu pour reconnu, a, entre ceux qui l'ont souscrit et entre leurs héritiers et ayants cause, la même foi que l'acte authentique. L'article 1323 précise que celui auquel on oppose un acte sous seing privé est obligé d'avouer ou de désavouer formellement son écriture ou sa signature. 79. Au cas présent, Mme [N] ne conteste pas sa signature, mais seulement, de façon implicite, le contenu des pages de l'acte précédent la dernière, qui seule est signée. La page signée (pièce [K] no39, p. 11) contient seulement, en langues anglaise et française, la mention suivante, « Par leurs signatures ci-dessous, les parties ci-présentes ont approuvé et ont signé l'Accord à la date indiquée ci-dessus. Fait en deux exemplaires. » puis, uniquement dans la partie consacrée à la version anglaise, « Briarcliff trust. By/Par: [vide] Title/Fonction: [vide] promisor/promettant » suivi d'une signature, puis du nom « [V] [N] ». L'unique signature est donc celle de Mme [N], ce qu'elle admet, et à l'évidence cette page est la dernière d'un ensemble. Elle porte, en bas à droite, le nombre « 11 ». Elle est donc la 11e page de cet ensemble. Or l'acte communiqué par M. [K] contient bien 11 pages, qui se suivent sans discontinuité, tandis que Mme [N] n'allègue pas quel serait le contenu de l'acte qu'elle a signé s'il était différent de celui que communique M. [K]. 80. Sa contestation est donc manifestement artificielle et le contenu de l'acte est suffisamment établi par le document, certes non paraphé, communiqué par M. [K]. 81. Il ressort de cet acte que Mme [N] s'est engagée, d'une part, « à ne prendre aucune photographie » (clause 1.4), d'autre part à « ne pas divulguer [...] pendant ou après la cessation de la relation contractuelle [...] des Informations Confidentielles » (clause 3.1), lesquelles sont définies à la clause 2.1 comme les « informations, documents et/ou objets relatifs aux Bénéficiaires » (c'est-à-dire M. [K], Mme [H] et une société tierce) auxquels Mme [N] était susceptible d'avoir accès ou qu'elle était susceptible d'apprendre ou d'obtenir dans le cadre de sa mission. S'ensuit une liste d'exemple (introduite par « notamment ») mentionnant les informations concernant différentes sociétés dont la société Miraval, les membres de la famille [K], les informations de nature financière, médicale, commerciale, légale ou contractuelle à leur sujet. 82. Le contrat prévoit en outre (clause 4.1) que Mme [N] s'engage « à ne pas utiliser, se référer ou exploiter de quelque manière que ce soit [...] le nom de [K] et/ou [H] et/ou leur image ou leur identité (ci-après ‘le Nom et l'Image') pour promouvoir, montrer, décrire, présenter ou exposer (ci-après ensemble ‘promouvoir') les Services [...], à ne pas faire allusion ou divulguer le Nom et l'Image [...] à toute personne [...] dans le but d'utiliser ou de promouvoir des produits ou services dans une publication, une interview, une publicité ou toute autre utilisation [...]. [Mme [N]] s'engage à ne pas participer aux interviews (orales ou écrites) ni à écrire, préparer ou aides à la préparation de livres, articles, programmes ou autres communications écrites, divulguant ou étant relatifs [...] aux Nom et Image [...]. » La clause 4.2 insiste en substance sur l'importance accordée à la valeur commerciale du nom de M. [K] et de Mme [H]. 83. Ces obligations sont prévues sans limitation de durée en raison de leur nature même, sans que le contrat puisse s'analyser en un contrat à durée indéterminée susceptible d'être résilié. Mme [N] en est donc toujours tenue. 84. Il est constant que les 3 photographies que M. [K] et la société Miraval reprochent à Mme [N] d'avoir mises en ligne sur le site internet de sa société sont des photographies des installations en cours de fabrication sur le chantier. Mme [N] ne conteste pas les avoir prises, et n'allègue pas de motif, dans le contrat de confidentialité, faisant exception à l'interdiction générale de prendre des photographies. Elle a donc manqué à son obligation de ne pas prendre de photographies. 85. Il est établi (pièce [K] no40, également pièce [N] no3) et au demeurant non contesté que Mme [N] a fait des déclarations à un journaliste en vue d'un article dans le journal Libération relatif aux services qu'elle a fournis au chantier de la société Miraval et à son différend ultérieur, le titre de l'article reprenant notamment entre guillemets : « [D] [K] a coulé ma boite et s'est approprié mon travail ». Sa participation active à cet article est également confirmée par la photo de Mme [N] dont la légende indique qu'elle a été prise quelques jours auparavant et qui a donc été spécialement prise ou envoyée au journal pour les besoins de l'article, et par le fait que l'article contient de nombreuses informations précises, jusqu'à la citation de correspondances entre Mme [N] et M. [K], qui ne figurent pas à l'arrêt de la cour d'appel et ont donc nécessairement été communiquées au journaliste par Mme [N]. 86. Ainsi, Mme [N] a aidé à écrire un article relatif au nom de M. [K], en lien avec sa participation au chantier, ce qui lui était interdit, et ce nonobstant le contexte conflictuel ultérieur, qui n'était pas en soi un motif pouvant l'exonérer de son obligation. 87. La clause pénale invoquée par M. [K] figure à la clause 7, qui stipule que « tout manquement ou toute violation substantielle de cet accord en raison de la divulgation par le Promettant d'Informations Confidentielles à des tiers et/ou de toute Exploitation non autorisée ou Utilisation Interdite des Nom et Image de [K] et/ou [H] entraineront un préjudice » de sorte que « le Promettant s'engage à verser à la Société, le montant de la rémunération financière reçue directement ou indirectement par le Promettant en contrepartie de l'exploitation de toute Information Confidentielle ou de sa divulgation à tout tiers, sans que ce montant puisse être inférieur à (...) (€75,000), comme juste et raisonnable montant des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par les Bénéficiaires et/ou Parties Liées pour toute perte ou dommage résultant de chaque manquement substantiel aux termes des présents » (soulignement ajouté par le tribunal). 88. Or « la Société » visée à cette clause est définie dans le préambule comme la société Briarcliff trust, dont M. [K] n'allègue pas être ici le mandataire (au contraire, il prend soin, dans sa citation de la clause 7, d'omettre la partie de la phrase concernant la personne à qui verser l'indemnité), et il est évidemment infondé à réclamer à son profit l'application d'une clause qui prévoit le paiement à un tiers. Et, estimant n'avoir « pas à démontrer l'existence d'un préjudice pour voir ce dernier réparé », il n'allègue ni ne démontre aucun préjudice personnel. Sa demande doit, par conséquent, être rejetée. à l'égard de la société Miraval 89. La violation d'un « devoir général de prudence » invoquée par la société Miraval revient à instaurer par un moyen détourné une limitation non prévue par la loi à la liberté d'expression, droit fondamental auquel seule la loi peut apporter des réserves. Ce moyen est ainsi grossièrement infondé. 90. S'agissant du dommage qui résulterait pour elle du fait de la violation du contrat la liant avec M. [K], le seul préjudice invoqué par la société Miraval est le discrédit (et le fait que ses relations avec ses prestataires auraient été mises à mal). Mais, en premier lieu, le fait pour Mme [N] d'avoir pris puis mis en ligne trois photographies des installations sans mention du lieu ni du propriétaire n'est évidemment pas de nature à jeter le discrédit sur la société château Miraval, qui n'est pas identifiable. En second lieu, si l'exploitation par Mme [N] du nom de M. [K] a été faite d'une façon très critique, la société Miraval n'expose pas en quoi elle en a personnellement subi un préjudice, se contentant d'alléguer celui-ci par principe et de façon générale. 91. Par conséquent, les demandes sont rejetées. V . Demandes reconventionnelles pour abus 92. En application de l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. 93. Le droit d'agir en justice dégénère en abus lorsqu'il est exercé en connaissance de l'absence totale de mérite de l'action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l'autre partie à se défendre contre une action ou un moyen que rien ne justifie sinon la volonté d'obtenir ce que l'on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté. 94. Mme [N] et la société Lumières studio ont agi pour obtenir des sommes considérables sur la base d'éléments manifestement très fragiles voire lacunaires, ce qui devait les inviter à la prudence. Néanmoins, elles étaient placées dans une situation factuelle particulière expliquant une partie de la fragilité de leur position, qu'elles pouvaient légitimement espérer conforter par une constatation sur les lieux du chantier que leur argumentation cherchait vainement mais sans mauvaise foi à justifier. Il s'agit certes de leur deuxième procès intenté contre la société Château Miraval, mais une partie de leurs demandes étaient nouvelles et l'erreur d'analyse qu'elles ont commise pour les autres ne résulte pas d'une légèreté inexcusable. Ainsi, à l'égard de la société Miraval et de M. [K], elles pouvaient encore se croire, par une erreur compréhensible, légitimes à agir. 95. À l'égard de la société Guerlain, la demande repose certes sur une interprétation extrêmement déséquilibrée des droits qu'un auteur putatif est susceptible de tirer de sa création, mais qui n'est pas tout à fait, ici, d'une gravité telle qu'elle serait en soi fautive en l'absence par ailleurs de comportement déloyal, trompeur ou désinvolte. 96. Par conséquent, les demandes pour abus doivent être rejetées. VI . Dispositions finales 97. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie. 98. Mme [N] et la société Lumières studio perdent le procès pour l'essentiel et sont donc tenues in solidum aux dépens. Elles doivent par suite indemniser les défendeurs des frais qu'il ont dû exposer, en tenant compte des diligences considérables rendues nécessaire par les demandes, mais aussi, s'agissant de la société Miraval et de M. [K], de ce qu'ils ont eux-mêmes engendré des frais supplémentaires inutiles par leur demande reconventionnelle infondée au titre de la confidentialité. Ce qui correspond, en tenant compte de l'équité (et en l'absence d'information concrète sur la situation économique des parties condamnées) à 45 000 euros chacun pour M. [K] et la société Miraval, et 35 000 euros pour la société Guerlain. 99. Les parties gagnantes n'ont pas demandé l'exécution provisoire, qui n'est pas de droit dans la présente affaire, introduite avant 2020. Et celles qui l'avaient demandée perdent le procès, de sorte que leur demande peut être rejetée. PAR CES MOTIFSLe tribunal : Met hors de cause Mme [H] ; Déclare irrecevable la société Lumières studio en sa demande en dommages et intérêts contre la société Miraval pour « agissements déloyaux et parasitaires » ; Déclare irrecevable Mme [V] [N] en sa demande en dommages et intérêts contre la société Miraval au titre de la violation de ses droits moraux d'auteur ; Rejette la demande d'expertise ; Rejette les demandes de Mme [N] en dommages et intérêts, interdiction, communication d'information pour contrefaçon de droits d'auteur ; Rejette la demande de la société Lumières studio en dommages et intérêts contre la société Guerlain pour agissement déloyaux et parasitaires Rejette les demandes de Mme [N] et de la société Lumières studio en publication du jugement et autorisation de se rendre sur les lieux ; Rejette les demandes de M. [K] et de la société Château Miraval en dommages et intérêts pour violation de l'obligation de confidentialité et manquement à un devoir de prudence ; Rejette les demandes de la société Guerlain, M. [K] et la société Miraval en dommages et intérêts pour abus ; Condamne in solidum Mme [N] et la société Lumières studio aux dépens ainsi qu'à payer 45 000 euros à la société Miraval, 45 000 euros à M. [K] et 35 000 euros à la société Guerlain au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Rejette la demande d'exécution provisoire. Fait et jugé à Paris le 08 Septembre 2023 Le Greffier La PrésidenteQuentin CURABE Irène BENAC
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JURITEXT000048389786
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Tribunal judiciaire de Paris, 7 juillet 2023, 21/08407
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2023-07-07
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/08407
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CT0196
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG 21/08407No Portalis 352J-W-B7F-CUVJ4 No MINUTE : Assignation du :16 Juin 2021 JUGEMENT rendu le 07 Juillet 2023 DEMANDERESSE Madame [L] [U][Adresse 1][Localité 4] représentée par Maître Agathe CAILLÉ, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #P512 et par Maître Jérome FERRANDO, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant, DÉFENDERESSES G.A.E.C. TILLANDSIA PROD[Adresse 2][Localité 3] Association ORCHIDEE LANGUEDOC[Adresse 5][Localité 6] représentée par Maître Olivier GUIDOUX de la SCP DEPREZ, GUIGNOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0221 Copies délivrées le :- Maître CAILLE #P512 (ccc)- Maître GUIDOUX #P221 (ccc)COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Irène BENAC, Vice-PrésidenteMadame Elodie GUENNEC, Vice-présidenteMonsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge assisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier DEBATS A l'audience du 23 Mars 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile. Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 25 mai, puis prorogé en dernier lieu, le 07 Juillet 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe ContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE Synthèse 1. Mme [U], invoquant des droits d'auteur et un dessin ou modèle communautaire non enregistré, agit en contrefaçon, subsidiairement en concurrence déloyale et parasitisme, à raison de la fabrication puis de la communication au public de ce qu'elle estime être une reproduction de son oeuvre et de son modèle. Les parties ont expressément souhaité voir juger préalablement une partie seulement du litige, telle qu'elle s'est formalisée lors d'un incident portant sur des moyens de fond partiellement qualifiés à tort de fins de non-recevoir. Il s'agit de la titularité des droits d'auteur et du modèle, du caractère individuel de celui-ci, de l'intérêt à agir en concurrence déloyale et parasitisme, et de l'imputabilité à chaque défendeur des faits litigieux. Objet du litige et procédure 2. La société ‘Studio falaj' et le groupement agricole d'exploitation en commun ‘Tillandsia prod' (le groupement Tillandsia) ont fait partie de l'équipe ayant présenté, à un concours horticole à [Localité 4] en septembre 2018, une installation végétalisée consistant en des panneaux verticaux métalliques partiellement ajourés, divisés en rectangles de tailles différentes dont certains étaient recouverts de plantes du genre tillandsia, les panneaux étant assemblés en deux ensembles de trois parois perpendiculaires dont le plan formait deux C (ou U) imbriqués face à face afin de laisser un espace central accueillant un cube doré ainsi qu'un cheminement de chaque côté (selon le plan reproduit ci-dessous). L'installation, dénommée ‘Out of the box', a ensuite été présentée lors d'autres évènements début 2019, puis les relations entre la société et le groupement ont pris fin dans des circonstances sur lesquelles elles s'opposent. 3. Mme [U], gérante de la société Studio falaj, se disant titulaire de modèles communautaires non enregistrés et de droits d'auteur sur les parois végétales ayant servi à cette installation et auxquelles elle donne le nom de ‘moucharabiehs', reproche au groupement Tillandsia d'en avoir fabriqué puis exposé une reproduction lors de plusieurs évènements ainsi que dans ses locaux, ce qu'elle qualifie à titre principal de contrefaçon de modèle et de droits d'auteur, à titre subsidiaire de concurrence déloyale et parasitisme. Elle reproche également ces faits à l'association Orchidée Languedoc (l'association Orchidée), dont les membres ont installé les plantes dans les panneaux végétaux litigieux et qui a organisé un « salon de l'orchidée » du 31 janvier au 2 février 2020 lors duquel ils ont été exposés. 4. Après deux mises en demeure puis une saisie-contrefaçon pratiquée le 1er juin 2021, Mme [U] a assigné le groupement Tillandsia et l'association Orchidée le 16 juin 2021, demandant l'interdiction d'exploiter l'installation litigieuse, la publication du jugement et des dommages et intérêts pour un montant total de 30 000 euros contre le groupement Tillandsia et 15 000 euros contre l'association Orchidée. 5. Les défendeurs ont soulevé plusieurs moyens de défense qu'ils ont qualifiés de fins de non-recevoir, formant un incident devant le juge de la mise en état qui a d'une part soumis les fins de non-recevoir au tribunal pour qu'il y réponde après la clôture, d'autre part enjoint les parties de rencontrer un médiateur, ce qui a permis d'ordonner une médiation judiciaire à laquelle les parties ont finalement renoncé en raison de son cout. 6. Les parties ont alors demandé avec insistance, bien que les fins de non-recevoir aient été soumises au tribunal et que le juge de la mise en état ait indiqué que l'instruction paraissait bien avancée sur une grande partie du litige, que ces fins de non-recevoir soient tout de même tranchées préalablement afin de « clarifier les débats et limiter les frais ». Elles ont convenu avec le juge de la mise en état de clore l'instruction afin de trancher les points déjà instruits, susceptibles de mettre fin au litige, à charge pour le tribunal de révoquer la clôture dans le cas contraire. L'instruction a ainsi été close le 24 novembre 2022 et fixée à l'audience du 23 mars 2023. Objet partiel soumis au tribunal 7. Le groupement Tillandsia et l'association Orchidée, dans leurs dernières conclusions (23 novembre 2022), soulèvent l'irrecevabilité des demandes pour défaut de qualité et d'intérêt à agir, et en demandent « en conséquence » le rejet, demandent subsidiairement la réouverture des débats sur les points non encore débattus, et en tout état de cause la condamnation de la demanderesse à leur payer 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens (« sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile »). 8. Ils estiment en premier lieu la demanderesse dépourvue de qualité à agir en contrefaçon faute pour elle de disposer des droits d'auteur ou de modèle sur l'installation en cause. Ils soutiennent en effet, d'abord, que Mme [U] ne démontre pas être autrice de l'oeuvre, qui n'a pas été divulguée sous son nom mais a été créée par la société Studio falaj et le groupement Tillandsia, de concert, à partir de leur compétence respective, en s'inspirant de [Z]. Ils soutiennent ensuite en substance que les droits doivent être présumés cédés par Mme [U] à la société Studio falaj. Ils indiquent enfin que les droits de représentation ont été cédés (par cette société) à l'organisateur du concours, en vertu du règlement de celui-ci, cette cession n'obéissant pas selon eux au formalisme protecteur du code de la propriété intellectuelle car elle a été réalisée entre deux personnes morales. 9. Ils estiment en deuxième lieu la demanderesse irrecevable en ses demandes relatives au modèle communautaire non enregistré car celui-ci ne présente pas de caractère individuel au regard de l'art antérieur, outre que, étant expiré depuis le 21 septembre 2021, il ne peut fonder une interdiction pour l'avenir. 10. Ils contestent en troisième lieu la recevabilité des demandes en ce qu'elles sont fondées sur la concurrence déloyale et le parasitisme, pour défaut d'intérêt à agir, non seulement au motif, comme précédemment, que l'installation a été conçue par la société Studio falaj, mais également aux motifs que les panneaux litigieux, fabriqués par les adhérents de l'association Orchidée au sein de la pépinière du groupement Tillandsia, n'ont jamais été exploités par les défendeurs eux-mêmes, qu'il n'y a eu aucune exploitation commerciale, et que la demanderesse ne justifie d'aucun investissement, la création de l'installation ayant fait l'objet d'un financement participatif. 11. Ils estiment en quatrième lieu les demandes irrecevables car mal dirigées, d'une part à l'égard du groupement Tillandsia car il ne serait pas intervenu dans la conception et la fabrication des panneaux litigieux, mais aurait seulement fourni les plantes aux adhérents de l'association Orchidée qui les auraient construits pour le salon de février 2020, puis accepté d'entreposer les panneaux dans ses locaux après l'évènement ; d'autre part à l'égard des deux défendeurs car aucun n'est responsable de la vidéo dont se prévaut la demanderesse pour prouver l'existence des panneaux litigieux, qui a été mise en ligne par un journal local. 12. Ils indiquent enfin que les points non débattus incluent en particulier « la contrefaçon » de droits d'auteur et de dessins ou modèles, « les actes de concurrence déloyale », le préjudice allégué. 13. Mme [U], dans ses dernières conclusions (24 novembre 2022) demande d'écarter les fins de non-recevoir (la « déclarer recevable »), rouvrir les débats sur les éléments non débattus à ce titre, et réclame 5 500 euros aux défendeurs au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 14. Elle estime être la seule titulaire des droits d'auteur sur l'oeuvre, qu'elle affirme avoir conçue et fait fabriquer seule, comme l'attesteraient les plans qu'elle communique, le processus de création qu'elle relate, et sa qualification de paysagiste concepteur. Elle rappelle que seule une personne physique peut être auteur et n'attribue au groupement Tillandsia que la fourniture des plantes. Elle conteste avoir cédé ses droits d'une part à la société Studio falaj, cette société dont elle est la dirigeante n'étant que « gestionnaire par mandat » de son oeuvre, d'autre part à l'organisateur du concours, car l'appel à concours dont se prévalent les défendeurs a été signé par la société Studio falaj qui n'était pas titulaire des droits, ne serait pas un contrat, consisterait en une cession d'oeuvre future, sans domaine ni durée limitée, et sans rémunération, en violation selon elle des articles L. 131-1 à L. 131-4 du code de la propriété intellectuelle. Elle estime subsidiairement qu'à supposer que l'appel à concours vaille contrat de cession, il serait nul pour erreur, car elle ne pouvait pas se douter que ce document entrainerait un transfert définitif de ses droits. Plus subsidiairement, elle fait valoir que ce contrat ne porte que sur le droit de représentation et non le droit de reproduction, et n'a pas pu transférer ses droits moraux. 15. Sur les modèles, outre qu'elle rappelle que les faits dont elle demande la réparation ont été commis avant l'expiration du modèle non enregistré, Mme [U] estime que la contestation du caractère propre du modèle, qui ne relève pas de la recevabilité mais du fond, devrait faire l'objet d'une réouverture des débats. Elle soutient néanmoins que, si le tribunal devait examiner ce moyen, le caractère individuel de « ses installations » découle de leur taille (2m) qui contraste avec la finesse de leurs contours, leur aspect épuré et non chargé (à la différence des moucharabiehs traditionnels), l'alternance de carrés et de rectangles verticaux et horizontaux plus ou moins larges, la variation des cases de tailles distinctes pleines, vides et végétalisées de manière naturelle et harmonieuse, la contradiction avec de simples cloisons car ils contiennent des cases vides, et leur agencement particulier en forme de labyrinthe permettant un parcours pour le public. Elle conteste la pertinence des antériorités invoquées en défense, en ce que leur date réelle « d'exposition » n'est pas prouvée, que les défendeurs ne les comparent pas avec le modèle et n'explicitent pas en quoi elles en détruiraient le caractère propre, et qu'elles possèdent des dimensions et un agencement différents, certaines n'ayant pas de cases vides, pleines ou végétalisées, d'autres possédant des couleurs, toutes étant destinées à être posées sur un mur, sans qu'aucune ne reprenne la « philosophie » de ses installations, « qui est de mêler dans un seul tableau » une création humaine temporaire et le décor naturel alentour visible par les cases vides en permettant au public de déambuler comme dans un labyrinthe. 16. En troisième lieu, elle estime avoir qualité et intérêt à agir à titre subsidiaire en concurrence déloyale et en parasitisme, précisant que le bien-fondé de cette action ne peut être tranché au stade de la recevabilité. 17. En quatrième lieu, elle estime que ses demandes sont bien dirigées, en ce que les deux défendeurs ont conçu des installations identiques ou similaires à ses Moucharabiehs, que l'association Orchidée a publiée elle-même sur Facebook une photo d'un panneau litigieux montrant qu'il a été exposé au salon de février 2020, que le groupement Tillandsia a publié et commenté sur Facebook une vidéo de présentation de sa pépinière montrant les installations litigieuses, que ces panneaux étaient exposés dans la pépinière lors de la saisie-contrefaçon, que lors de cette saisie le gérant du groupement Tillandsia a déclaré que l'association Orchidée exposait régulièrement les panneaux. Elle en déduit que le groupement Tillandsia a bien fabriqué, détenu, exposé au public et participé à la diffusion des structures litigieuses. 18. Elle indique enfin que les points non débattus sont « la qualification des actes de contrefaçon résultant de la copie [de ses] Moucharabiehs » ainsi que « l'exposition » et « la diffusion des installations litigieuses », le préjudice en résultant, et le bien-fondé de l'action en concurrence déloyale subsidiaire. MOTIVATION 19. Le présent jugement, avec l'accord exprès des parties qui expliquaient ne pas avoir la capacité pécuniaire de poursuivre l'instruction, est appelé à répondre à une partie seulement des moyens, en garantissant aux parties de révoquer la clôture si ces seuls moyens ne permettaient pas de trancher tout le principal. Il en résulte d'abord que le tribunal peut trancher les moyens qui lui sont soumis indépendamment de leur qualification en fins de non-recevoir ou en défenses au fond. Mais il en résulte aussi qu'il doit respecter strictement l'indication donnée par les parties quant aux moyens qu'elles estiment lui avoir soumis. 20. Ainsi, les parties ont entendu exclure « les actes de concurrence déloyale » (et de parasitisme), le préjudice, les faits d'« exposition » et « diffusion » des installations litigieuses, et plus généralement « la contrefaçon », c'est-à-dire l'atteinte à un droit de propriété intellectuelle, ce qui devrait théoriquement conduire à exclure tous les moyens relatifs aux demandes en contrefaçon. Toutefois les parties ont précisément demandé que certains de ces moyens soient tranchés préalablement en demandant une clôture. Il faut donc comprendre que sont exclus par principe tous les moyens tendant au succès ou au rejet des demandes principales en contrefaçon, à l'exception de ceux qui sont expressément débattus dans les dernières conclusions des parties. 21. Sont donc seuls soumis au tribunal à ce stade : 1) la titularité des droits (d'auteur et sur le modèle), 2) le caractère individuel du modèle, 3) l'intérêt à agir en concurrence déloyale et parasitisme et 4) l'imputabilité aux défendeurs des faits litigieux. S'agissant du 3e point, l'analyse doit se limiter à l'intérêt à agir même si les arguments invoqués relèvent du fond, car les défendeurs ont entendu exclure « les actes de concurrence déloyale » eux-mêmes. 22. Les parties ont également conclu sur l'expiration du modèle, mais celle-ci n'est pas contestée, tout comme ses conséquences (aucune interdiction ne peut être prononcée pour l'avenir au titre d'un modèle expiré). 23. En définitive, l'objet soumis au tribunal est bien plus restreint que pouvait le laisser penser la première analyse qui avait conduit le juge de la mise en état à accepter de scinder le litige. I . Titularité des droits de propriété intellectuelle 1 . Titularité des droits d'auteur a. Auteur 24. En vertu de l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée. 25. L'oeuvre, au sens de ces dispositions, est l'oeuvre de l'esprit prévue à l'article L. 111-1 selon lequel l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur l'oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. La protection d'une oeuvre de l'esprit est acquise à son auteur du fait de la création d'une forme originale, en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. 26. La propriété littéraire et artistique ne protège pas les idées ou concepts, mais seulement la forme originale sous laquelle ils se sont exprimés (Cass. 1re Civ., 29 novembre 2005, no04-12-721 ; 1re Civ., 16 janvier 2013, no12-13.027). 27. Dans ce cadre, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur dont l'existence est contestée de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il allègue. En effet, seul l'auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole. 28. Pour être titulaire d'un droit, encore faut-il que celui-ci existe. La question de la titularité des droits d'auteur dépend donc de l'existence d'une oeuvre originale, ce dont les parties, pourtant, ne disent rien. Il faut en conclure par prudence qu'elles n'ont pas voulu soumettre cette question, quoique préalable, au jugement préliminaire qu'elles ont réclamé, ce qui implique que pour les besoins du présent raisonnement il faut seulement supposer, sans en préjuger, que l'oeuvre invoquée est protégée par les droits d'auteur. 29. Cette oeuvre est tantôt désignée par Mme [U] comme les panneaux ajourés, tantôt comme l'installation dans son ensemble. Cette imprécision est sans incidence ici, aucune différence quant à la divulgation et la création des uns et de l'autre n'étant alléguée. 30. L'installation et les panneaux qui la composent ont été divulgués à partir du 21 septembre 2018 lors du concours pour lequel ils ont été créés (le « festival SEVE 3 »). Le document de présentation adressé préalablement à l'organisateur du concours (pièce défendeurs no8) mentionne une « équipe » de quatre personnes ou entités dont la profession est donnée et le parcours antérieur décrit, mais sans préciser la participation particulière dans ce projet, donc sans qu'il puisse s'en inférer que l'oeuvre serait divulguée sous le nom de l'une plutôt que des autres. Le document de présentation publique du festival accueillant le concours (pièce [U] no3) mentionne la société Studio falaj comme concepteur du projet, mais une personne morale ne peut pas être auteur d'une oeuvre. Il faut alors rechercher concrètement qui, directement ou par son contrôle, a déterminé la création de l'oeuvre. 31. À cet égard, le groupement Tillandsia n'invoque de la part de son représentant, personne physique, qu'une contribution à l'élaboration de l'idée exprimée dans l'oeuvre, mais pas à la création de l'oeuvre elle-même. Les seules interventions concrètes alléguées par le groupement Tillandsia sont une modification de la taille des éléments au regard de contraintes matérielles, ce qui n'est pas une contribution créative, la rédaction de « textes accompagnant la présentation », dont sa propre pièce no7 révèle qu'il ne s'agit que de la description de l'équipe et de la notice technique et de sécurité, et le choix et le positionnement des trois variétés de tillandsia à installer sur les panneaux, qui est plus pertinent mais pour lequel il n'apporte aucune preuve. 32. À l'inverse, il est constant que les plans des panneaux et de l'installation ont été élaborés par Mme [U], et si celle-ci présente l'historique de la création d'une façon fallacieuse en passant sous silence la réflexion commune engagée dès le mois de mars 2018 et en réduisant le rôle du groupement Tillandsia à un simple fournisseur, il n'en reste pas moins que, par ces plans dont elle a contrôlé la réalisation, confiant la fabrication des panneaux métalliques à une entreprise tierce de son choix, elle a déterminé la proportion et l'agencement des différents types de rectangles sur les panneaux ainsi que l'organisation de ceux-ci pour former l'installation, seules caractéristiques de cet ensemble susceptibles de porter l'empreinte de la personnalité de leur auteur. 33. L'auteur des panneaux et de l'installation, à supposer que ce soient des oeuvres de l'esprit, est donc Mme [U]. b. Cession des droits de l'auteur 34. Le concours auquel ont participé la société Studio falaj et le groupement Tillandsia était régi par un « appel à concours » (pièce défendeurs no6) qui a été signé par « [L] [U], Studio falaj eurl », et dont l'article 7.1 « propriété intellectuelle » contenait la stipulation suivante : « par les présentes, le porteur de projet (et son équipe) cède à [l'organisateur] les droits d'exploitation suivant de l'oeuvre qu'il a créée à titre définitif, à compter de ce jour, le droit de représentation de l'oeuvre, tant en France qu'à l'étranger. Le droit de représentation consiste dans la communication de l'oeuvre au public, notamment par représentation publique, projection publique et transmission dans un lieu public de l'oeuvre télédiffusée. La télédiffusion s'entend de la diffusion par tout procédé de télécommunication de sons, d'images, de documents, de données et de messages (...) » 35. Si, comme le soulève Mme [U], l'article L. 131-1 du code de la propriété intellectuelle prohibe la cession globale des oeuvres future, il s'agit ici de la cession d'un droit sur une unique oeuvre future, et non une cession globale des oeuvres futures. 36. Ce document, qui mentionne expressément la cession par le signataire est donc un contrat, écrit. La condition probatoire posée à l'article L. 131-2, 2e alinéa, selon lequel les contrats par lesquels sont transmis des droits d'auteur doivent être constatés par écrit, est donc respectée. 37. L'article L. 131-3, 1er alinéa, subordonne la transmission des droits de l'auteur à la condition que « chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée. » 38. Le droit cédé est ici mentionné précisément, l'étendue et la destination du domaine d'exploitation du droit cédé ressortent de la définition donnée à celui-ci. Le lieu et la durée de ce domaine d'exploitation sont également délimités, s'agissant d'une cession définitive et dans le monde entier, ce qui n'est pas illicite, l'article L. 131-4 précisant même expressément qu'une cession de droit d'auteur « peut être totale ou partielle ». 39. L'article L. 131-4 prévoit par ailleurs que si la cession par l'auteur des droits sur son oeuvre doit comporter à son profit une participation proportionnelle aux recettes provenant de l'exploitation, sa rémunération peut toutefois être évaluée forfaitairement dans plusieurs cas, dont ceux où la base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée et où l'utilisation de l'oeuvre ne présente qu'un caractère accessoire par rapport à l'objet exploité, ce qui est le cas ici où est envisagée une communication au public de différentes sortes (exposition, couverture médiatique et télédiffusion) à l'occasion d'un évènement public accueillant pendant seulement 3 jours un grand nombre d'oeuvres. La rémunération forfaitaire de 1 000 euros prévue par l'appel à concours (article 8.1) est donc licite. 40. Par ailleurs, les défendeurs n'opposent à Mme [U] que ce que l'appel à concours stipule expressément : la cession du droit de représentation défini dans la clause 7.1. Le signataire d'un contrat ne saurait évidemment invoquer une erreur, au sens de l'article 1130 du code civil, tenant à une croyance erronée sur le contenu de ce qu'il n'a pas pris la peine de lire. 41. Le signataire de cette cession de droit est « Mme [U], Studio falaj eurl ». Mme [U] a donc signé en ses deux qualités, indiquées sur le même plan (en son nom personnel et en tant que représentante de sa société). En toute hypothèse, Mme [U] ne pourrait se prévaloir ici de ce qu'elle n'aurait pas cédé à sa société les droits qu'elle a fait céder par celle-ci à un tiers, ce qui reviendrait à se prévaloir de sa propre turpitude. 42. Une cession étant par principe exclusive sauf mention contraire, Mme [U] n'est plus, aujourd'hui, titulaire du droit de représentation (communication au public) de l'oeuvre qu'elle invoque. 43. En revanche, rien ne prouve que Mme [U] aurait cédée à sa société Studio falaj ni à quiconque les autres droits d'auteur sur l'oeuvre en cause. Elle en reste donc titulaire. c. Qualification et conséquence pour la suite du litige. 44. En application des articles 30 et 31 du code de procédure civile, l'action, qui est le droit pour l'auteur d'une prétention d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée, est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. 45. Le principe est donc la liberté d'agir, et l'exception, devant s'interpréter strictement, est le cas où la loi réserve le droit d'agir à des personnes qualifiées (action dite réservée). Le code de la propriété intellectuelle prévoit certes que seuls les titulaires et les licenciés (à certaines conditions) de droits de marques, modèles ou brevets peuvent agir en contrefaçon. Une telle exclusivité du droit d'agir n'est en revanche pas prévue en propriété littéraire et artistique. Elle ne saurait davantage se déduire de la première phrase de l'article L. 332-1 selon laquelle « tout auteur d'une oeuvre protégée par le livre Ier de la présente partie, ses ayants droit ou ses ayants cause peuvent agir en contrefaçon », car, outre que cet article concerne spécialement la saisie-contrefaçon, il ne fait que rappeler une possibilité (en termes affirmatifs), que la règle d'interprétation stricte des exceptions ne permet pas de transformer en exclusivité. 46. Il en résulte que le moyen tiré du défaut de titularité des droits d'auteur n'est pas de nature à rendre le demandeur irrecevable. Il est susceptible de rendre la prétention mal fondée, mais les parties ayant entendu limiter les pouvoirs du tribunal à certains moyens seulement, et afin de permettre aux parties d'obtenir ce qu'elles ont demandé (un jugement tranchant autant que possible ce sur quoi elles ont déjà conclu), il convient de dire que Mme [U] n'est pas titulaire du droit de représentation sur l'oeuvre, mais qu'elle est titulaire des autres droits d'auteur. 47. Ce qui répond à la fin de non-recevoir tirée du défaut de titularité des droits d'auteur, ainsi requalifiée en défense au fond. 2 . Titularité des droits sur le dessin ou modèle communautaire non enregistré 48. L'article 14, paragraphe 1 du règlement 6/2002 sur les dessins ou modèles communautaires dispose que le droit au dessin ou modèle communautaire appartient au créateur ou à son ayant droit. 49. Les parties, qui ont conclu sur la titularité du modèle par les mêmes développements que la titularité des droits d'auteur, et en particulier par leurs développements sur la création de l'installation disputée, ont ainsi considéré que la réponse aux deux questions devaient être la même et que l'auteur de l'oeuvre était aussi le créateur du modèle correspondant. Il en résulte que Mme [U], qui est l'auteur de l'oeuvre, se prétend valablement titulaire du modèle non enregistré. 50. Par la cession du droit de représentation de l'oeuvre, l'organisateur du concours s'est, implicitement mais nécessairement, également vu autorisé à exercer les mêmes prérogatives à propos du modèle ; toutefois, la cession de droit d'auteur n'est que partielle, tandis que la cession partielle de modèle n'est pas prévue par la loi. Il faut donc y voir une licence du modèle, et non une cession, Mme [U] restant ainsi la titulaire du modèle non enregistré. 51. Il ressort expressément de l'article L. 521-2 du code de la propriété intellectuelle auquel renvoie implicitement l'article L. 515-1 dans le cas des modèles communautaires, et il résulte implicitement de l'article 32 du règlement 6/2002, que l'action en contrefaçon de modèle est réservée au propriétaire de celui-ci ou à son licencié. La contestation de la titularité des droits tend donc à déclarer le demandeur irrecevable ; il s'agit d'une fin de non-recevoir. 52. Cette fin de non-recevoir manquant en fait (Mme [U] est bien titulaire du modèle), elle doit être écartée. II . Caractère individuel du modèle 53. En vertu de l'article 4, paragraphe 1, du règlement 6/2002, la protection d'un dessin ou modèle communautaire n'est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel. 54. Aux termes de l'article 6, paragraphe 1, sous a), un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l'impression globale qu'il produit sur l'utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public (dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois). 55. L'article 6, paragraphe 2, précise que pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle. 56. L'article 85, paragraphe 2 du règlement dispose que dans les procédures résultant d'actions en contrefaçon ou en menace de contrefaçon d'un dessin ou modèle communautaire non enregistré, les tribunaux des dessins ou modèles communautaires considèrent le dessin ou modèle communautaire comme valide si le titulaire du dessin ou modèle apporte la preuve que les conditions prévues à l'article 11 sont remplies et s'il indique en quoi son dessin ou modèle communautaire présente un caractère individuel. Le défendeur peut, toutefois, en contester la validité par voie d'exception ou par une demande reconventionnelle en nullité. 57. Le moyen de défense tiré du défaut de caractère individuel du modèle (qui est une défense au fond, et non une fin de non-recevoir) s'inscrit dans ce cadre de l'exception opposée à l'action en contrefaçon. 58. Le modèle (ou les modèles, la demanderesse emploie parfois le singulier, parfois le pluriel) est présenté par Mme [U] avec les représentations suivantes :59. Mme [U] expose en quoi son modèle présente un caractère individuel (cf ci-dessus point 15). 60. Les défendeurs invoquent un certains nombre d'autres modèles pour contester le caractère individuel de celui-ci (leur pièce no17 bis). Ils produisent tous, néanmoins, une impression visuelle différente : 1) Le modèle Garden on the wall produit un effet de relief et de vide nettement plus accentué, avec en outre des couleurs, et des plantes à l'horizontal. Sa déclinaison 3) est encore plus différente et consiste plutôt en un assemblage de rectangles épars qu'en une paroi.2) Le modèle Giardini verticali est également nettement plus marqué par le vide (aucun panneau non végétalisé n'est plein), et la partie végétale s'apparente à du gazon, produisant un effet sensiblement différent.4) Ce modèle également intitulé Garden on the wall produit un effet nettement plus massif et cohérent, avec une part de végétal prépondérante, le reste étant occupé par des surfaces oranges à l'effet marquant.5) Le Mur vert, reproduit ci-dessous, est celui qui présente l'agencement le plus proche du modèle en cause mais il s'en distingue nettement par des proportions très différentes (il est très haut) et l'absence de rectangles métalliques uniformes (le modèle en cause présente de nombreux rectangles noir mat), notamment, produisant ainsi une impression visuelle différente.6) Le modèle Xuehua consiste en de fines bandes verticales, visuellement très différentes des rectancles du modèle.7), 8), 9) Ces modèles sont composés de rectangles entièrement végétalisés, donnant un effet de plein, très différent.10) ce modèle de Maisons créoles magazine est composé de carrés formant un ensemble régulier, donc différent.11) Le modèle Hydroplant évoque un assemblage de parallèlépipèdes et non une paroi plane.12) et 13) Ces modèles, enfin, sont composés de formes radicalement différentes. 61. Le modèle en cause présente donc un caractère individuel. III . Intérêt de Mme [U] à agir en concurrence déloyale et parasitisme 62. Comme rappelé ci-dessus, il résulte des articles 30 et 31 du code de procédure civile que l'action, qui est le droit pour l'auteur d'une prétention d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée, est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. 63. L'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action (pour un exemple récent, voir Cass. 2e Civ., 14 octobre 2021, no20-10.572). 64. Les défendeurs invoquent à nouveau le fait que l'installation en cause a été conçue et exposée par la société Studio falaj en collaboration avec le groupement Tillandsia, mais aussi l'absence de faits d'exploitation de leur part et l'absence de preuve d'un investissement par la demanderesse. Ces arguments ne remettent pas en cause l'intérêt de Mme [U] à agir en responsabilité, qui résulte du simple fait qu'elle allègue un préjudice personnel causé selon elle par un comportement qu'elle dit fautif. Ils relèvent du fond, mais ne peuvent être abordés ici car les défendeurs ont entendu exclure « les faits de concurrence déloyale » du présent débat. Il faut donc seulement écarter la fin de non-recevoir sans examiner le fond. IV . Imputabilité aux défendeurs des faits litigieux 65. Il résulte de l'analyse approfondie des conclusions des parties que, contrairement à ce qu'il pouvait sembler de prime abord, celles-ci entendent faire trancher préalablement au tribunal l'imputabilité des faits litigieux mais sans lui permettre d'en apprécier la réalité (la matérialité) et la qualification juridique. Cette scission des moyens n'est viable que si les faits en cause sont suffisamment déterminés. 66. Dans ses dernières conclusions, la demanderesse reproche aux deux défendeurs :- d'avoir conçu des installations identiques ou similaires à ses panneaux, - de les avoir exposés lors du Salon de l'orchidée à [Localité 6] en février 2020. 67. Elle reproche séparément :- au groupement Tillandsia d'avoir détenu et exposé les panneaux dans sa pépinière, - à l'association Orchidée de les utiliser régulièrement dans le cadre de manifestations publiques. 68. L'association Orchidée ne conteste pas que la fabrication des panneaux et leur exposition au Salon de l'orchidée de [Localité 6] en 2020 lui sont imputables. 69. Si le groupement Tillandsia conteste être intervenu dans la conception et la fabrication des panneaux litigieux, il est toutefois démontré par la vidéo tournée par un journal local, mise en ligne sur le site Dailymotion et constatée par un huissier (pièce [U] no8), que la préparation des panneaux pour le festival de [Localité 6] a eu lieu dans une serre située au « [Localité 3] », qui est l'adresse de la pépinière du groupement Tillandsia, lequel ne conteste pas au demeurant que les images ont bien été tournées dans ses locaux. Or il n'explique pas comment les personnes filmées en sont venues à installer ses plantes, dans ses locaux, sur des panneaux similaires à ceux de l'installation Out of the box à laquelle il a participé et qu'il avait déjà fait utiliser dans la précédente édition du Salon de l'orchidée en 2019 comme il l'avait lui-même annoncé à Mme [U] (pièce défendeurs no11). Il ne communique en particulier aucun élément sur la génèse de ce nouveau projet, alors qu'il a su par ailleurs communiquer de nombreux échanges pour montrer sa participation à l'élaboration du projet commun avec Mme [U]. Il en résulte que ses dénégations sont de mauvaise foi et visent, par un silence calculé, à dissimuler la réalité qui lui est défavorable. Dans ce contexte, la vidéo de l'installation des plantes sur les panneaux dans les locaux du groupement Tillandsia prouve suffisamment que celui-ci a joué un rôle actif dans la fabrication des panneaux litigieux, laquelle lui est donc imputable. 70. En revanche, aucune preuve n'est rapportée quant à la participation active du groupement Tillandsia à l'exposition dans le salon, qui est un fait distinct de la simple fabrication et ne s'infère pas nécessairement de celle-ci : la communication relative au salon (pièce [U] no17) est le fait de l'association Orchidée, qui l'organise, et l'article du Midi libre consacré au groupement Tillandsia (pièce [U] no19) évoque sa participation à ce salon mais pour présenter sa propre collection, tout en rappelant que ses plantes serviront également de décor sur des panneaux, ce qui correspond à sa participation dans leur fabrication, mais n'indique pas qui avait la responsabilité de les exposer. L'exposition des panneaux litigieux au salon de 2020 n'est donc pas imputable au groupement Tillandsia. 71. Le fait que des panneaux soient présents dans les locaux du groupement Tillandsia est imputable à celui-ci, sauf à démontrer avoir perdu le contrôle desdits locaux, ce qu'il ne fait pas. 72. Enfin, l'utilisation des panneaux par l'association Orchidée « lors de manifestations publiques auxquelles elle participe » est un fait qui est seulement défini par son imputabilité à l'association Orchidée ; il n'est pas déterminé pour le surplus. Il lui est donc par hypothèse imputable, indépendamment de sa réalité que les parties n'ont pas voulu faire trancher... 73. L'imputabilité d'un fait à une partie relève du bien-fondé de l'action, et non du droit d'agir. Il faut alors accueillir ou écarter les moyens correspondant, conformément à ce qui précède. V . Dispositions finales 74. L'article 700 du code de procédure civile permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie. 75. Toutes les parties, ici, perdent en une partie de leurs moyens, après avoir convenu ensemble de réclamer au tribunal un travail préalable dont l'utilité est discutable et qui n'a été accepté qu'en raison d'un malentendu. Elles se sont certes elles aussi infligé volontairement un travail supplémentaire en scindant ainsi le procès, mais aucune n'en est davantage à l'origine que l'autre, de sorte qu'aucune n'est fondée à réclamer des autres la prise en charge de ses frais. PAR CES MOTIFS Le tribunal : Dit que Mme [U] n'est pas titulaire du droit de représentation de l'oeuvre présentée au concours « SEVE 3 » ; Dit qu'elle est titulaire des autres droits d'auteur sur cette oeuvre ; Écarte la fin de non-recevoir tirée du défaut de titularité par Mme [U] du dessin ou modèle non enregistré correspondant à cette oeuvre ; Dit que le modèle communautaire non-enregistré de Mme [U] présente un caractère individuel ; Écarte la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt de Mme [U] à agir en concurrence déloyale et parasitisme ; Dit que la fabrication des panneaux litigieux est imputable à l'association Orchidée et au groupement Tillandsia ; Dit que l'exposition de ces panneaux lors du Salon de l'orchidée du 31 janvier au 2 février 2020 est imputable à l'association Orchidée mais pas au groupement Tillandsia ; Dit que la présence des panneaux litigieux dans les locaux du groupement Tillandsia est imputable à celui-ci ; Dit que l'utilisation des panneaux par l'association Orchidée « lors de manifestations publiques auxquelles elle participe » est imputable à celle-ci ; Rejette les demandes des parties formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés à ce jour ; Révoque l'ordonnance de clôture et renvoie l'affaire à la mise en état avec prochain examen de l'instruction le 19 octobre après conclusions au fond de Mme [U] attendues pour le 29 septembre, ou accord entre les parties sur les points restant en litige. Fait et jugé à Paris le 07 Juillet 2023 Le Greffier La PrésidenteQuentin CURABET Irène BENAC
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JURITEXT000048389787
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 8 septembre 2023, 20/02658
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2023-09-08
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/02658
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CT0196
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG 20/02658No Portalis 352J-W-B7E-CR3I5 No MINUTE : Assignation du :02 Mars 2020 JUGEMENT rendu le 08 Septembre 2023 DEMANDERESSE S.A.S. ARKENA CAPITAL[Adresse 3][Localité 4] représentée par Maître Karine ALTMANN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E2070 DÉFENDERESSES S.A.S.U. TELEDIFFUSION DE FRANCE[Adresse 1][Localité 5] S.A.S.U. COGNACQ-JAY IMAGE[Adresse 2], [Localité 6] représentée par Maître Géraldine ARBANT de l'AARPI BIRD & BIRD AARPI, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R255 Copies délivrées le :- Maître ALTMANN #E2070 (executoire)- Maître [H] # R255 (ccc)COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Irène BENAC, Vice-PrésidenteMadame Anne BOUTRON, Vice-présidenteMonsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge assistés de Monsieur Quentin CURABET, Greffier DEBATS A l'audience du 09 Juin 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile. Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 08 Septembre 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe ContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. La SAS Arkena capital est inscrite au Registre du commerce et des sociétés de Paris depuis le 26 mai 2011, Arkena est son nom commercial.Elle a déposé la marque de l'Union européenne "Arkena" no12807376 le 22 avril 2014 en classes 9, 38 et 42 pour désigner des produits et des services en rapport avec la télévision, la télécommunication et la transmission et réception d'informations à distance. 2. La société Télédiffusion de France est un opérateur d'infrastructures de télécommunications. Elle a annoncé, en janvier 2014 le lancement d'une entité européenne de services média sous le nom d'Arkena, incluant sa filiale Arkena SASU, auparavant dénommée Cognacq-Jay image. 3. Par jugement du 29 juin 2017, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 mars 2019 et après rectification du 7 septembre 2021, le tribunal de grande instance de Paris, saisi en octobre 2015 par la société Arkena Capital SAS du litige l'opposant aux sociétés TDF, Smartjog SAS et Arkena SASU sur l'usage du signe Arkena a, notamment : - ordonné "à la SASU Arkena de modifier sa dénomination sociale et son nom commercial du Registre du Commerce et des Sociétés sous une astreinte provisoire de 300 euros par jour de retard, dans le délai de quatre mois de la signification du jugement et ce pendant un délai de six mois",- ordonné "à la SASU Arkena le transfert des noms de domaine <arkena.com> et <arkena.fr> au profit de la SAS Arkena Capital sous astreinte de 300 euros par jour de retard, dans le délai de quatre mois de la signification du jugement et ce pendant un délai de six mois",- interdit aux sociétés TDF et Arkena "de faire usage de la dénomination Arkena sous une astreinte provisoire de 100 euros par infraction constatée, passé un délai de six mois de la signification du jugement et ce pendant un délai de six mois",et s'est réservé la liquidation des astreintes prononcées. 4. À partir du 14 octobre 2019, la SASU Arkena a (re)pris la dénomination Cognacq-Jay image. 5. Estimant que les sociétés Cognacq-Jay image (ci-après CJI) et Télédiffusion de France (ci-après TDF) n'avaient pas exécuté l'arrêt, par actes du 2 mars 2020, la société Arkena capital les a fait assigner devant ce tribunal en liquidation d'astreintes provisoires, fixation d'astreintes définitives, dommages et intérêts en réparation du dommage résultant de leur résistance abusive et réparation du préjudice résultant de la contrefaçon de sa marque. 6. Par ordonnance du 5 février 2021, le juge de la mise en état a déclaré irrecevable une partie des demandes de la société Arkena Capital formées contre la société TDF. 7. Dans ses dernières conclusions signifiées le 31 octobre 2022, la SAS Arkena capital demande au tribunal de : liquider et majorer les astreintes provisoires ordonnées par le jugement du tribunal de grande instance de Paris le 29 juin 2017 pour le transfert des noms de domaine :. à la somme de 54.600 euros (182 jours x 300 euros), outre les intérêts légaux, pour défaut d'exécution de l'injonction portant libération du nom de domaine <arkena.fr> dans le délai imparti, . à la somme de 54.600 euros (182 jours x 300 euros), outre les intérêts légaux, pour défaut d'exécution de l'injonction portant libération du nom de domaine <arkena.com> dans le délai imparti ; - prononcer à l'encontre de la société Cognacq-Jay image une astreinte complémentaire de 500 euros par jour de retard qui sera immédiatement liquidée aux sommes de 172.000 euros à raison du retard cumulé de 344 jours ayant couru entre la date à laquelle l'astreinte a cessé de produire ses effets, le 22 août 2020, et la date à laquelle l'obligation de transfert du nom de domaine <arkena.fr> d'une part et <arkena.com> d'autre part à eu lieu ; liquider les astreintes provisoires relatives à l'interdiction d'usage de la dénomination Arkena- à la somme globale de 4.306.300 euros (43 063 infractions constatées x 100 euros), outre les intérêts légaux, à l'encontre de la société Cognacq-Jay image et à la somme globale de 63.200 euros (632 infractions constatées x 100 euros) à l'encontre de la société TDF ; - prononcer une nouvelle astreinte définitive non comminatoire de 500 euros par l'usage non autorisé de la dénomination ARKENA sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit ; réparer le dommage causé par la contrefaçon de sa marque de l'Union européenne Arkena :- condamner la société Cognacq-Jay image à lui payer une somme de 1.400.000 euros et le groupe TDF à lui payer la somme de 2.900.000 euros ; - condamner solidairement les sociétés TDF et Cognacq-Jay image à lui payer la somme de 50.000 euros au titre du préjudice moral résultant des actes de contrefaçon ; - ordonner la publication du jugement à intervenir à titre de dommages et intérêts complémentaires ; autres demandes :- condamner solidairement les défenderesses à lui payer la somme de 15.000 euros du chef de la résistance abusive à exécuter une décision de justice ; - désigner le juge de l'exécution près le tribunal judiciaire de Paris comme exclusivement compétent pour connaître de la liquidation des nouvelles astreintes définitives prononcées ; - condamner les défenderesses aux dépens, qui pourront être directement recouvrés par Me Karine Altmann, et à lui payer les sommes de 21.530 euros (frais de constat d'huissier) et de 45.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, sous le bénéfice de l'exécution provisoire. 8. Dans leurs dernières conclusions signifiées le 6 décembre 2022, la société TDF et la société Cognac-Jay image demandent au tribunal de :- écarter des débats les procès-verbaux de constat des 8, 24, 30 janvier, 1er , 6, 13, 18 et 28 février, 10 et 25 mars, 30 juin, 9 juillet, 7 et 28 août, 1er, 9, 19 et 30 octobre et 9 novembre 2020, du 8 avril 2021 et du 1er mars 2022 ; sur les demandes de liquidation et en majoration d'astreintes provisoires pour le transfert des noms de domaine- débouter la SAS Arkena de ses demandes de liquidation d'astreinte provisoire au titre du transfert des noms de domaine <arkena.fr> et<arkena.com> pour la période du 10 novembre 2019 au 22 août 2020, de sa demande de liquidation d'astreinte provisoire complémentaire à un taux majoré et pour une période du 22 août 2020 au 10 février 2021 au titre du transfert des noms de domaine <arkena.fr> et <arkena.com> ;- à titre subsidiaire, modérer l'astreinte provisoire assortissant la mesure de transfert des noms de domaine précités jusqu'à son anéantissement ;- à titre infiniment subsidiaire, débouter la SAS Arkena de ses demandes de liquidation d'astreinte provisoire au titre du transfert du nom de domaine <arkena.fr> et liquider l'astreinte provisoire relative au transfert du nom de domaine <arkena.com> à la somme de 21.000 euros pour la période du 1er janvier au 11 mars 2020 ; sur les demandes relatives à l'interdiction d'usage de la dénomination Arkena- supprimer l'astreinte provisoire assortissant la mesure d'interdiction d'usage de la dénomination Arkena concernant l'usage du nom de domaine <arkena.com> dans le code source et dans des adresses mail de service support ;- modérer l'astreinte provisoire assortissant la mesure d'interdiction d'usage de la dénomination Arkena jusqu'à son anéantissement ou à l'euro symbolique ;- débouter la société Arkena Capital de ses demandes de fixation d'une astreinte définitive relative à la mesure d'interdiction d'usage de la dénomination Arkena à leur encontre ; sur les demande indemnitaire au titre de la résistance abusive- débouter la société Arkena Capital de sa demande de dommages et intérêts ; sur les demande en contrefaçon de marque- à titre principal, prononcer la nullité de la marque de l'Union européenne no12807376 pour l'intégralité des produits et services visés à l'enregistrement comme déposée de mauvaise foi ;- à titre subsidiaire, débouter la société Arkena Capital de sa demande en contrefaçon de la marque de l'Union européenne no12807376 et, à titre infiniment subsidiaire, la débouter faute preuve des préjudices allégués ; sur les demandes reconventionnelles- condamner la société Arkena Capital à leur payer à chacune la somme de 30.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte portée à leur image auprès du registrar Gandi ;- condamner la SAS Arkena aux dépens et à leur payer à chacune la somme de 40.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. 9. L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 décembre 2022. 10. Par conclusions signifiées le 21 avril 2023, la société Cognacq-Jay image a sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture au motif qu'elle a déposé, le 31 janvier 2023, une plainte pour escroquerie au jugement (à savoir l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 mars 2019) contre la société Arkena Capital et de M. [K] [B], son représentant légal.La SAS Arkena s'y est opposée par conclusions du 24 mai 2023.Le juge de la mise en état a rejeté cette demande en l'absence de justification d'une cause grave au sens de l'article 803 du code de procédure civile. MOTIVATION I . Sur la demande de rejet de pièces 11. Les défenderesses font valoir que : - en s'abstenant de communiquer les 21 procès-verbaux de constat d'huissier dressés entre le 8 janvier 2020 et le 1er mars 2022 (pièces no33 à 53), notamment les 8 antérieurs à l'assignation qui n'étaient pas visés dans le bordereau, la société Arkena capital a manqué au principe du contradictoire et à la loyauté des débats ;- ces procès-verbaux de constat sont dépourvus de valeur probante car l'huissier, tout en laissant entendre qu'il avait accédé aux diverses pages en consultant le site de la société CJI, s'est contenté de taper directement dans la barre de recherche des adresses URL fournies par sa mandante sans effectuer de diligences personnelles ni décrire le cheminement pour accéder à ces adresses URL ; - l'huissier a fait des constats du signe Arkena dans la barre d'adresse URL qu'il avait lui-même saisie sans que la page correspondante contienne ce terme ;- l'huissier n'a pas joint en annexe une capture d'écran intégrale du contenu de chacune des exploitations. 12. La société Arkena capital oppose que :- l'affaire a été retardée du fait de l'exploitation par les défenderesses d'une erreur rédactionnelle dans le dispositif de la décision sur le point de départ de l'astreinte, ce qui l'a obligée à saisir la cour d'appel en rectification d'erreur matérielle et à attendre son arrêt rectificatif du 7 septembre 2021 ayant acquis autorité de chose jugée le 14 décembre 2021 ;- les pièces litigieuses ont été communiquées - parmi 41 autres pièces qu'il n'est curieusement pas demandé d'écarter aussi - le 31 mars 2022 et les défenderesses ont pris 5 mois et demi pour conclure le 21 septembre 2022 ;- la cour d'appel de Paris juge que l'absence de description du cheminement ayant conduit à une adresse URL donnée par l'huissier ne retire pas la valeur probante de ses constats et les cheminements sont au contraire décrits ;- l'accès aux pages preprod a bien eu lieu par une recherche google sur le mot-clef Arkena ainsi qu'il est précisé sur les constats (pièce no38 et 46). Sur ce, 13. L'article 15 du code de procédure civile dispose que "les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense" et l'article 16 pose le principe de la contradiction selon lequel le juge ne peut retenir dans sa décision les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.L'article 135 du même code prévoit que "le juge peut écarter du débat les pièces qui n'ont pas été communiquées en temps utile". 14. Ni le principe de loyauté des débats ni le principe de la contradiction n'exigent que le demandeur expose la totalité de ses moyens et communique la totalité de ses éléments de preuve au stade de l'assignation. 15. Il n'y a aucune déloyauté à se constituer des preuves en vue d'une liquidation d'astreinte, étant observé dans le cas présent que la décision de la cour d'appel a été signifiée en juillet 2019, que les discussions entre les parties avaient pris fin en décembre 2019, que le premier constat date du 8 janvier 2020 et que l'assignation a été délivrée le 2 mars 2020, de sorte que les défenderesses étaient parfaitement informées de la détermination de la société Arkena capital à obtenir l'exécution complète de l'arrêt. 16. Les défenderesses ont soulevé, dans leurs premières conclusions au fond du 30 septembre 2020, que le dispositif du jugement du 29 juin 2017 faisait courir l'astreinte passé un délai de neuf mois (étant ainsi libellé " dans un délai de trois mois sous une astreinte provisoire de 100 euros par infraction constatée, passé un délai de six mois de la signification du jugement et ce pendant un délai de six mois"), ce qui a conduit la société Arkena capital à saisir la cour d'appel d'une requête en rectification d'erreur matérielle ayant eu l'effet de suspendre la procédure pendant un an et, à l'occasion de ses premières conclusions du 31 mars 2022, a communiqué pour la première fois les 21 constats d'huissier litigieux. 17. Les défenderesses ont demandé des délais pour y répondre et les ont obtenus de sorte que le principe de la contradiction a été respecté et qu'il n'y a pas lieu d'écarter ces pièces des débats. 18. Les critiques formulées par les défenderesses sur la valeur probatoire des constats précités relève d'un examen au fond de ceux-ci, qu'il n'y a donc pas lieu d'écarter d'emblée des débats.En toute hypothèse, il sera relevé que les griefs d'absence de description du cheminement suivi par les huissiers, et d'avoir comptabilisé des occurrences du signe Arkena à partir de leurs propres recherches manquent en fait. De plus, un constat peut régulièrement être établi de l'existence d'une page internet répondant à une adresse URL donnée à l'huissier. II . Sur les demandes de liquidation des astreintes provisoires 19. L'article L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution dispose : "L'astreinte, même définitive, est liquidée par le juge de l'exécution, sauf si le juge qui l'a ordonnée reste saisi de l'affaire ou s'en est expressément réservé le pouvoir." et l'article L. 131-4 du même code : "Le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter. Le taux de l'astreinte définitive ne peut jamais être modifié lors de sa liquidation. L'astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère." 20. Le comportement du débiteur doit s'apprécier à compter du jugement fixant l'injonction. Aucune mise en demeure n'est nécessaire et la signification de l'arrêt en juillet 2020 valait mise en demeure aux défenderesses d'en exécuter les termes. 21. Le juge saisi doit également apprécier le caractère proportionné de l'atteinte que l'astreinte porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu'elle poursuit et s'assurer que le montant de l'astreinte liquidée est raisonnablement proportionné à l'enjeu du litige 22. Les astreintes prononcées par le jugement du 29 juin 2017, rappelées supra, couraient à compter d'une période de quatre mois pour l'obligation de transfert et six mois pour l'interdiction d'usage après la signification de l'arrêt confirmatif de la cour d'appel de Paris du 26 mars 2019, durant six mois.Le juge du fond s'en est expressément réservé la liquidation. 23. L'arrêt ayant été signifié à la société CJI le 10 juillet et à la société TDF le 30 juillet 2019, la période durant laquelle l'inexécution du jugement était sanctionnée par des astreintes s'étendait - s'agissant de la société CJI du 10 novembre 2019 au 10 mai 2020 pour le transfert et du 10 janvier au 10 juillet 2020 pour l'interdiction d'usage, - s'agissant de la société TDF du 30 janvier au 30 juillet 2020.Le cours de l'astreinte a été suspendu durant la période juridiquement protégée par l'ordonnance no 2020-306 du 25 mars 2020 et il a repris à compter du 24 juin 2020. 24. La liquidation des astreintes sera donc calculée, - s'agissant de la société CJI, du 10 novembre 2019 au 12 mars 2020 et du 24 juin au 22 août 2020 pour le transfert et du 10 janvier au 12 mars 2020 et du 24 juin au 22 octobre 2020 pour l'interdiction d'usage, - s'agissant de la société TDF du 30 janvier au 12 mars 2020 et du 24 juin au 11 novembre 2020. 1 . Sur le transfert des noms de domaine 25. La société Arkena capital soutient que :- malgré l'ancienneté du litige, elle a laissé aux défenderesses un temps très long pour exécuter la décision qu'elle n'a fait signifier que plusieurs mois après sa date et elle a fait des efforts de conciliation qui se sont heurtés aux atermoiements de la société CJI ; - les prétendues difficultés techniques au transfert du nom de domaine <arkena.com> étaient parfaitement prévisibles dès le prononcé du jugement du 29 juin 2017 et n'étaient ni insurmontables, ni extérieures à la société CJI ;- la transmission de la clef de transfert ne constitue pas dans le cas présent un transfert des noms de domaine car elle n'en permet pas la libération qui nécessite des démarches de la part du revendeur, ce que la société TDF et la société Smartjog (aujourd'hui absorbée par la société CIJ) étaient toujours en février 2021pour les sites litigieux ;- le changement de propriétaire est une simple modification des cordonnées du titulaire dans les registres et ne permet pas plus la libération des noms de domaine ;- la société CJI a continué d'exploiter ces sites : ainsi, le trafic entrant sur <Arkena.fr> était dirigé vers le site cogacqjayimage.com comme le démontrent les constats d'huissier des 30 janvier et 10 mars 2020 (pièce no35 et 41) ;- la qualité de revendeur des sociétés TDF et Smartjog est démontrée en ce qu'elles ont renouvelé la réservation des deux noms de domaine les 21 septembre et 20 décembre 2020 et en ont poursuivi l'usage jusqu'à la libération effective des noms de domaine sous la pression du registrar le 10 février 2021 ;- le protocole d'accord transactionnel qu'elle a proposé en décembre 2019 visait à mettre fin au différend opposant les parties depuis le mois de janvier 2014 et est sans incidence sur la date d'effet des obligations mises à la charge de la société Cognacq-Jay image. 26. Les défenderesses font valoir que :- la société Cognacq-Jay image a communiqué à la société Arkena capital les codes de transfert du nom de domaine <arkena.fr> le 25 novembre 2019 et ceux du nom de domaine <arkena.com> le 19 mars 2020, ce qui permettait à celle-ci de "prendre la pleine gestion de ces noms de domaine notamment par l'intermédiaire d'un autre registrar que Gandi", et ces dates sont celles de l'exécution de la décision ;- la société Cognacq-Jay image a été empêchée de transférer le nom de domaine <arkena.com> avant le 19 mars 2020 en raison d'une cause étrangère consistant dans le fait que des changements étaient nécessaires dans les systèmes techniques de ses clients dans lesquels le nom de domaine <arkena.com> apparaissait ;- en janvier 2020, les noms de domaine renvoyaient à des sites en construction puis, en mars 2020, il n'y avait plus de site accessible sous ces noms et les usages constatés correspondent à d'anciens contenus qui comportaient l'ancienne URL du site de la CJI ;- il y a lieu de modérer les astreintes dès lors qu'elles ont fait diligence pour effectuer le transfert dès avril 2019, qu'elles ont rencontré des difficultés techniques majeures et qu'elles ont recherché un accord avec la société Arkena capital qui l'a refusé ;- les astreintes sont complètement disproportionnées, à rebours de la jurisprudence sur ce point de la Cour de cassation, d'autant plus qu'Arkena capital ne fait aucun usage des noms de domaine <arkena.fr> et <arkena.com>, ni de sa marque ;- s'agissant du transfert du nom de domaine <arkena.com> le point de départ du calcul de l'astreinte éventuelle ne peut être antérieur au 1er janvier 2020 vu l'accord de principe des parties sur un transfert à cette date et ne saurait dépasser le 12 mars 2020, soit 70 jours. Sur ce, 27. La clef de transfert du nom de domaine <arkena.fr> a été officiellement communiquée à la société Arkena capital le 25 novembre 2019 et celle du nom de domaine <arkena.com> le 19 mars 2020. 28. Le 19 mars 2020, la société Arkena capital a écrit au conseil des défenderesses pour lui indiquer que la communication de cette clef de transfert ne permettait pas le transfert effectif du nom de domaine, la renvoyant à la procédure de la société Gandi pour le changement de propriétaire. 29. En appuyant toutes deux leurs positions sur des courriels de la société Gandi, registrar des noms de domaine litigieux, les parties s'opposent sur le fait que la clef de transfert suffit ou non au transfert au sens de la décision de justice, la société Arkena capital soutenant qu'elle permet seulement de changer de registrar et les défenderesses qu'elle donne la pleine gestion du site. 30. Il résulte des courriels de la société Gandi aux parties (pièces no16 à 21 de la société Arkena capital et 48 à 50 et 69 des défenderesses) que, lorsqu'il existe comme en l'espèce un revendeur sur un domaine, seul celui-ci peut le gérer et procéder à sa libération. Dans la pièce no 17 de la société Arkena capital du 6 mai 2020, le registrar a indiqué : "je vous confirme donc bien qu'il y a eu un changement de propriétaire pour les deux domaines, qu'ils sont tous deux gérés par un revendeur différent et que toutes les modifications à faire sur les domaines doivent être effectuées par le revendeur directement. Si vous souhaitez pouvoir gérer les domaines sans passer par les revendeurs, il faudra demander à chacun de procéder à la libération des domaines, afin que vous puissiez les importer sur votre propre compte" et dans la pièce 69 des défenderesses il a confirmé que "lors d'un changement de propriétaire, il n'y a pas besoin de code de transfert, une fois le changement effectué, le revendeur reste identique et le titulaire n'aura par défaut aucun accès au nom de domaine puisqu'il est géré par un revendeur". 31. Le transfert des noms de domaine ordonné par le tribunal s'entendait nécessairement de la mise en possession du contrôle de leur gestion, autrement dit leur libération (terme d'ailleurs employé par le CCO (directeur commercial) de la société CJI dans son courriel à la société Arkena capital du 4 décembre 2019). Les défenderesses ne sauraient donc être suivies lorsqu'elles soutiennent que la communication des clefs de transfert suffisait à l'exécution de la décision alors qu'elles continuaient à en être revendeurs et à bénéficier des flux entrant sur les adresses comportant ces noms de domaine, ainsi qu'en témoignent indubitablement les constats d'huissiers dressés. 32. Les défenderesses, professionnelles des télécommunications et cocontractantes de la société Gandi, ne pouvaient l'ignorer comme en témoigne le courriel du 4 décembre 2019 du CCO de la société CJI à la société Arkena capital lui proposant trois options : soit la libération du nom de domaine <arkena.com> à la fin de l'année 2019, soit le transfert au bout d'un an avec une licence de la société Arkena capital, soit la libération sans délai du nom de domaine mais en conservant temporairement la gestion des DNS sur une durée transitoire de 3 à 6 mois (pièce no18 des défenderesses). 33. C'est seulement le 10 février 2021 que les revendeurs ont libéré les sites comme la société Gandi l'a écrit à la société Arkena capital à cette date et dans les termes suivants "Jusqu'à présent la société TDF SAS a servi d'intermédiaire entre vous et Gandi quant à la gestion des produits Gandi que vous avez acquis (noms de domaine, certificats SSL, adresses e-mail, services d'hébergement, etc). Afin de vous donner un accès complet, TDF SA a lancé le processus de libération de votre compte, ce qui vous permet de gérer vos produits directement depuis l'interface de Gandi. Pour terminer le processus, veuillez cliquer sur le lien ci-dessous". 34. En s'abstenant de faire libérer lesdits domaines par les sociétés TDF et Smartjog, revendeuses, jusqu'au 10 février 2021 et en poursuivant l'utilisation de ceux-ci ainsi qu'il ressort des codes-source de ses pages internet, la société CJI a manqué à l'exécution de la décision de justice jusqu'à cette date. 35. A l'appui de ses allégations sur la cause étrangère, la société CJI verse aux débats :- un courriel de la DSI (direction des services informatiques) de la société TDF du 19 juin 2019 décrivant les actions palliatives résultant de la perte des domaines Arkena et les estimant à 26 "JH" avec un délai de 3 mois (sa pièce no18),- un tableau non daté tenant sur deux pages (sa pièce no1) énumérant huit clients impactés par le changement et - divers courriels internes en lien avec ces changements (ses pièces 15, 16 et 34 à 36). 36. Aucune de ces pièces ne fait état de difficultés externes imprévues, ni d'obstacles au transfert de nom de domaine provenant des clients impactés.L'existence d'une cause étrangère n'est donc pas démontrée. 37. Ces pièces ne permettent pas plus de caractériser que le délai de quatre mois à compter de la signification pour mettre en oeuvre ces mesures était insuffisant, ce délai est au contraire parfaitement compatible avec la teneur de la pièce no18 précitée. Il n'est pas plus démontré que les prévisions de ce courriel n'auraient pu être tenues du fait de difficultés techniques imprévues.Au surplus, en cause d'appel, les défenderesses n'avaient pas fait état de ce que la mise en oeuvre du transfert des noms de domaine poserait des problèmes justifiant de lui accorder un délai supérieur à celui fixé par la décision de première instance.Les difficultés d'exécution ne sont donc pas démontrées. 38. Quant au courriel du 27 novembre 2019 de la société Arkena capital à la société CJI (sa pièce no7), il témoigne seulement de ce que la société Arkena capital était prête à différer le transfert du nom de domaine <arkena.com> à son profit pour un an sous condition de la signature d'un contrat de licence temporaire, puis, vue la réponse précitée du 4 décembre 2019, a répondu que l'option 1 n'était pas admissible pour elle, qu'aucun accord n'avait été trouvé sur l'option 2 et qu'elle refusait l'option 3 qui ne permettait "aucun contrôle sur les entrées MX ni même sur la nature et la sécurité des redirections de notre trafic web ou sur la gestion des sous-domaines" (pièce no37 des défenderesses) et ces positions ne sauraient lui être reprochées, ni être de nature à modifier le point de départ du calcul de l'astreinte. 39. Enfin, la société CJI ne justifie pas d'un comportement particulièrement actif à exécuter l'injonction dont elle connaissait les termes depuis 2017. En effet, aucun obstacle n'a jamais été soulevé s'agissant du transfert du nom de domaine <arkena.fr> alors que sa clef de transfert n'a été communiquée que le 25 novembre 2019 et que le courriel interne de la société CJI du 19 juin 2019 précité démontre que la date du 19 novembre 2019 pouvait largement être tenue pour le transfert du nom de domaine <arkena.com>.La société CJI ne verse aucune pièce informant la société Arkena capital de l'avancement des opérations techniques alléguées préalables au transfert et a poursuivi l'exploitation du site internet www.arkena.com au moins jusqu'au 28 février 2020. 40. Elle ne saurait pas plus être suivie dans son allégation de mauvaise foi de la société Arkena capital par dissimulation de ses échanges avec le registrar Gandi dès lors que celle-ci démontre avoir expressément attiré l'attention des défenderesses sur l'insuffisance de la communication de la clef de transfert et l'existence d'une procédure particulière à la société Gandi dès le 19 mars 2019.En outre, les procès-verbaux de constat d'huissier de 2020 et 2021 démontrent également la présence de "arkena.com" dans les codes sources de très nombreuses pages du site de la société CJI durant toute l'année 2020 ce qui atteste de la poursuite de l'exploitation du nom de domaine.Enfin, il ne revenait pas à la société Arkena capital de signaler aux défenderesses les manquements qu'elle avait fait constater. 41. La société CJI invoque la jurisprudence de la Cour de cassation relative à l'exigence du contrôle de la proportionnalité de l'atteinte que la liquidation de l'astreinte porte au droit de propriété du débiteur, au regard du but légitime qu'elle poursuit, soutenant que l'intérêt du litige est disproportionné à l'astreinte. 42. Le but de l'astreinte fixée par les premiers juges et maintenue par la cour d'appel, en pleine connaissance de l'intérêt du litige, est la cessation des atteintes aux droits antérieurs de la demanderesse sur le signe Arkena. Son montant de 100 euros par jour de retard à l'issue d'un délai de quatre mois est proportionné à ce but.L'intérêt du litige est la possibilité pour la société Arkena capital d'être identifiée dans la vie des affaires sous ce signe, impossible tant que les sociétés du groupe TDF l'utilisaient aussi.Le montant fixé n'est pas plus disproportionné avec cet intérêt. 43. Il convient donc de liquider l'astreinte telle que prononcée par les premiers juges et confirmée par la cour d'appel à la somme de 54.600 euros (182 jours x 300 euros) pour la période ayant couru du 10 novembre 2019 au 22 août 2020 pour les deux noms de domaine - l'astreinte prononcée étant unique - dont le transfert effectif n'a eu lieu qu'en février 2021. 44. Si la créance d'astreinte créée par la liquidation produit intérêt à compter du jour où elle a été prononcée, en application des textes de droit commun, l'astreinte elle-même ne constitue pas une créance et ne saurait générer d'intérêt. Les demandes à ce titre sont donc rejetées. 2 . Sur l'utilisation du signe Arkena 45. La société Arkena capital fait valoir que :- 16 procès-verbaux de constat d'huissiers dressés entre le vendredi 24 janvier 2020 et le vendredi 28 août 2020 établissent que, durant cette période, la société Cognacq-Jay image a offert à la lecture des pages de son propre site internet et de nombreuses vidéos reproduisant de façon intensive (43 063 fois) la dénomination Arkena et 6 632 fois par la société TDF sur son site ;- les procès-verbaux de constat du 9 octobre 2020 (pièce no 48) et celui du 26 octobre 2022 (pièce no 54) démontrent qu'à cette date tant les noms de domaine que les usages du signe perduraient ;- les termes du jugement ne prévoient aucune limitation de sorte que la reprise du signe Arkena dans le code source des pages des sites internet des entreprises CJI et TDF constitue également une infraction à la décision ;- l'interdiction d'usage n'a reçu qu'une exécution partielle et tardive en date du 11 mai 2022 ; - aucune initiative sérieuse n'ayant été prise dans le délai imparti pour déférer à l'injonction formulée à son encontre, les manquements invoqués résultent d'une volonté manifeste de la part de la société Cognacq-Jay image de se soustraire à l'exécution d'une décision judiciaire, ce qui justifie le prononcé d'une astreinte définitive. 46. Les défenderesses opposent que :- la présence du nom de domaine <arkena.com> dans les adresses URL s'explique par le fait qu'il figurait dans le code source des systèmes informatiques de la société Cognacq-jay image et de ses clients jusqu'au 19 mars 2020 ;- elles ont modifié leur charte graphique dès septembre 2019, changé de dénomination sociale et de nom commercial le 10 octobre 2019 et basculé leurs adresses mail dès le 30 octobre 2019 ;- en dépit du nombre et du volume de ces procès-verbaux (21 pour un total de 4712 pages), ils se rapportent aux mêmes contenus et aux mêmes supports de communication (ses pièces no51 et 52) à savoir d'anciens communiqués de presse ou d'anciennes vidéos (15 communiqués de presse différents sur le site de TDF et 7 de ces communiqués figuraient uniquement dans des liens dits preprod qui n'étaient pas destinés au public) et mis en ligne entre 2014 et 2019 ;- les occurrences à retenir d'un usage de la dénomination Arkena doivent être limitées au seul contenu visible destiné à être consulté par le public ;- seules 23% des prétendues occurrences sur le site de la société CJI, et 24 % sur le site TDF,sites dont l'audience est très confidentielle, correspondent à du contenu visible, le surplus se rapportant au code source et à des liens dits preprod non visibles des internautes dans le cadre d'une consultation normale ;- elles ont fait constater par huissier de justice les 11 mai et 24 juin 2022 que le signe Arkena ne figurait pas sur les sites www.cognacqjayimage.com, www.tdf.fr, linkedin, ni sur les plateformes twitter, youtube,- les demandes sont disproportionnées à l'intérêt du litige. Sur ce, 47. L'interdiction d'usage de la dénomination Arkena prononcée par le tribunal n'est pas limitée, de sorte qu'elle en couvre toutes les formes, y compris la présence dans les codes-source. Cependant, en prononçant trois condamnations distinctes sous astreinte, portant respectivement sur la cessation de l'usage à titre de dénomination sociale et nom commercial, sur le transfert de chaque nom de domaine et sur l'utilisation de de la dénomination sous quelque forme que ce soit, le tribunal a distingué ce qui relevait de ces trois agissements. Il en résulte que les usages de la dénomination caractérisant la poursuite de l'usage des noms de domaine dans les adresses URL, pris en compte pour apprécier l'effectivité du transfert des noms de domaine, ne saurait relever aussi d'un usage interdit pour la liquidation de l'astreinte. 48. De nombreuses occurrences relevées par les constats d'huissier portent sur les codes-sources des pages des sites internet de chacune des défenderesses. Il s'agit de contenus invisibles pour les internautes dans des conditions de consultation normales qui témoignent de la persistance de l'exploitation des noms de domaine, déjà sanctionnée. 49. En revanche, de nombreuses occurrences étaient visibles sur la plupart des pages des sites internet des défenderesses. Il est ainsi établi que sur la totalité de la période de six mois durant laquelle des inexécutions constatées donnent lieu à astreinte :- le site cognacqjayimage.com comportait plusieurs dizaines de mentions de Arkena pour la désigner sur sa page "actualités" et la traduction anglaise de celle-ci (what's new) et dans les pages correspondant à des événements antérieurs l'arrêt ;- ce même site renvoyait à neuf vidéos publicitaires désignant la société CJI sous le nomArkena ;- les adresses mail de contact données par ce même site incluant le mot Arkena, qui apparaissait également à côté des coordonnées des implantations de la société CJI jusqu'au 28 août 2020 ;- le mot-clef Arkena renvoyait au site de la société CJI sur le moteur de recherches Google et à une chaîne Youtube dénommée Arkena, conservée par la société CJI au moins jusqu'au constat du 19 octobre 2020 ;- la page Linkedin de l'entreprise y fait aussi référence.De plus, c'est seulement le 10 mars 2020 que les sites arkena.fr et arkena.com ont été supprimés. 50. S'agissant du site tdf.fr, il comportait également des dizaines de mentions du nom de domaine <arkena.com> et du terme Arkena pour désigner la société CJI, et dirigeait également vers sa chaîne Youtube nommée Arkena où sont consultables des vidéos publicitaires mentionnant Arkena, et cette dénomination est utilisée dans la page de liste de ses filiales. 51. Du reste, les défenderesses ne contestent pas que 23 % des occurrences du terme Arkena relevées par les constats d'huissier sur les site cognacqjayimage.com et 22 % de celles relevées sur le site tdf.fr correspondent à du contenu visible, soit 9 904 infractions pour la société CJI et 1 459 pour la société TDF.Il est exact que les contenus identifiés dans les constats de commissaires de justice ont tous été créés avant la décision de justice exécutoire. Néanmoins, ils ont été maintenus en accès rapide sur le site la société CJI et détaillent son activité et les contrats obtenus sous le nom Arkena. Ce sont donc des usages actuels promotionnels et descriptifs de son activité, dont elle tire profit, et non des survivances de pages archivées.De plus, les constats d'huissier démontrent non seulement un usage persistant du signe dans les pages des sites des défenderesses mais encore une augmentation des occurrences constatées au cours de l'hiver 2020 et d'août à octobre 2020 sur laquelle elles ne s'expliquent pas. 52. Néanmoins, la liquidation de l'astreinte sur la base de chaque occurrence visible du terme Arkena conduit à un montant de 990.400 euros à la charge de la société CJI et 145.900 pour la société TDF. Ces montants apparaissent disproportionnés au but légitime poursuivi par l'astreinte et à l'intérêt du litige de sorte qu'il convient de les réduire. 53. Il y a donc lieu de liquider les astreintes provisoires pour inexécution de l'interdiction d'usage à la somme de 18.000 euros à l'encontre de chacune des défenderesses. III . Sur les demandes de prononcé d'astreintes complémentaires 54. La société Arkena capital soutient que les inexécutions délibérées et prolongées de la décision de justice justifient de prononcer des astreintes complémentaires couvrant toute la période d'inexécution avant le présent jugement et de les liquider. 55. Les défenderesses font valoir qu'aucun texte n'autorise le juge à majorer une astreinte prononcée et qu'il découle de l'article R.131-1 du code des procédures civiles d'exécution qu'une astreinte ne peut commencer à courir avant le jugement qui la prononce, y compris lorsque l'astreinte prononcée dans ce jugement se rapporte à une décision déjà exécutoire. Sur ce, 56. Une astreinte ne peut courir qu'à compter du jugement qui la prononce de sorte que le tribunal ne saurait prononcer une astreinte pour une période révolue, ni proroger la durée durant laquelle une astreinte a été fixée par un autre jugement. 57. Il y a donc lieu de rejeter les demandes d'astreintes "complémentaires" et leur liquidation. IV . Sur les demandes de prononcé d'astreintes définitives 58. La société Arkena capital soutient que l'inexécution de la décision de justice, persistante en 2022 pour l'utilisation du signe, justifie le prononcé d'une astreinte définitive venant sanctionner l'usage non autorisé de la dénomination Arkena sous quelque forme que ce soit. 59. Les défenderesses font valoir qu'elles ont fait toutes diligences pour retirer le signe de leurs supports de communication et qu'il n'existe plus aucune utilisation. Sur ce, 60. Les parties ont chacune fait dresser un procès-verbal de constat des occurrences du signe Arkena sur les sites internet des défenderesses ainsi que Twitter, Youtube et Linkedin.Le constat dressé à la demande des défenderesses du 11 mai 2022 atteste de l'absence d'occurrence et celui dressé à la demande de la société Arkena capital du 26 octobre 2022 en retrouve 12, correspondant à 6 messages (dont les seuls datés sont de 2015) sur le compte Twitter de la société TDF et 1 post datant de 3 ans sur les pages Linkedin de la société CJI. 61. Cet usage reste trop minime pour justifier le prononcé d'une astreinte définitive.La demande à ce titre est donc rejetée. V . Sur les dommages et intérêts pour résistance abusive 62. La société Arkena capital soutient que l'inexécution de la décision de justice jusqu'en 2021 pour les transferts et 2022 pour l'utilisation du signe caractérise une résistance abusive justifiant l'allocation de dommages et intérêts réparant son préjudice en résultant. 63. Les défenderesses font valoir qu'aucune résistance abusive ne peut leur être reprochée, que la demanderesse se désintéresse complètement des noms de domaine depuis leur transfert et qu'elle ne démontre ni l'existence ni le quantum de son prétendu préjudice. Sur ce, 64. L'article L. 121-3 du code des procédures civiles d'exécution dispose : "Le juge de l'exécution a le pouvoir de condamner le débiteur à dommages-intérêts en cas de résistance abusive". 65. La société Arkena capital ne donnant aucune précision sur la nature et le quantum du préjudice allégué en lien avec le retard d'exécution de la décision de justice, il y a lieu de rejeter cette demande. VI . Sur la contrefaçon de marque de l'Union européenne 66. La société Arkena capital fait valoir que :- si l'enregistrement de sa marque a été fait après l'annonce du regroupement de plusieurs filiales du groupe TDF sous le nom Arkena, il l'a été pour consolider ses droits antérieurs et non pour priver ce groupe d'un signe nécessaire à son activité ;- les décisions antérieures ont confirmé l'existence d'une exploitation du signe par elle au moment du dépôt et annulé celui de la marque Arkena des défenderesses ;- lorsque la société TDF a fait opposition contre son dépôt de marque auprès de l'OHMI, celui-ci l'a rejetée au motif de l'annulation de sa marque française Arkena ;- en persistant sciemment à faire usage de la dénomination Arkena pour désigner ou offrir des produits et services relevant de la même activité que ceux visés à l'enregistrement de la marque contrefaite, les défenderesses se sont rendues coupables d'actes de contrefaçon à l'identique de sa marque ; - l'utilisation du signe par la société CJI pour rediriger les internautes vers un site offrant des produits ou services identiques à ceux du dépôt constitue un usage à titre de marque, de même que les six liens de redirection vers son site cognacqjayimage.com comme établi par les constats de février 2020 (pièces 37 et 40), la présence du nom Arkena en bas de la plupart des pages de ce même site au côté des adresses et coordonnées de la société CJI jusqu'en août 2020 (pièce no45) et l'usage pour le référencement de son site sur Google qui renvoie à des pages offrant des services des classes 9, 38 et 42 et vers des vidéos promotionnelles également présentes sur sa chaîne Youtube (pièce no40) ; - l'utilisation du signe par la société TDF pour rediriger les internautes vers un site offrant des produits ou services identiques à ceux du dépôt constitue un usage à titre de marque, et c'est le cas de nombreuses pages et des adresses de messagerie de son site tdf.fr, comme établi par les constats d'avril 2021 (pièce 52), de l'usage pour le référencement de son site sur Google qui renvoie à des pages offrant des services des classes 9, 38 et 42 et vers des vidéos promotionnelles sur sa chaîne Youtube (pièce no52) ;- ces utilisations ont perduré jusqu'au 11 mai 2022 ;- la marque étant désormais durablement associée aux produits et services des défenderesses, la réparation doit être supérieure à la rémunération qu'elles auraient dû lui payer si elles avaient été autorisées à l'utiliser, soit 2 % du chiffre d'affaires annuel de la société CJI pendant les 28 mois d'exploitation non autorisée et 4 % du chiffre d'affaires annuel de la société TDF pendant 29 mois, outre un préjudice moral. 67. Les défenderesses font valoir que :- la marque invoquée est nulle pour avoir été déposée de mauvaise foi par la société Arkena capital le 22 avril 2014 en vue de les priver d'un signe nécessaire à leur activité, ainsi qu'il s'évince du fait qu'elle n'a pas de site internet, ni de compte sur les réseaux sociaux présentant ses produits et qu'elle ne publie pas ses comptes ;- l'absence de force probante des constats d'huissier pour les raisons évoquées au I supra ;- la présence du signe dans les codes-sources n'est pas un usage à titre de marque et les autres usages le sont à titre de dénomination sociale ;- aucun préjudice, ni matériel ni moral, n'est démontré. 1 . Sur la nullité de la marque de l'Union européenne "Arkena" no12807376 68. L'article 4, paragraphe 2, de la directive no 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques, transposé en droit français par les articles L.711-2 et L.714-3 du code de la propriété intellectuelle, dispose que "Une marque est susceptible d'être déclarée nulle si sa demande d'enregistrement a été faite de mauvaise foi par le demandeur" et l'article L. 714-3 du même code prévoit que "L'enregistrement d'une marque est déclaré nul par décision de justice ou par décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle, en application de l'article L. 411-4, si la marque ne répond pas aux conditions énoncées aux articles L. 711-2, L. 711-3, L. 715-4 et L. 715-9". Critère de nullité absolue, la mauvaise foi du déposant doit être démontrée par celui qui l'allègue mais la présomption de bonne foi attachée au dépôt peut être renversée, auquel cas il revient au titulaire de la marque attaquée de fournir des explications plausibles et de justifier d'intentions légitimes. 69. Il ressort du dossier que la société Arkena capital utilise le signe Arkena à titre de dénomination sociale et nom commercial depuis sa création, en mai 2011, et n'a déposé la marque litigieuse qu'en 2014, ayant connaissance de l'intention du groupe TDF d'utiliser ce signe. Interpellée par les défenderesses sur son activité réelle entre 2011 et 2014, à l'occasion des procédures antérieures, elle a démontré en avoir une en concurrence avec les défenderesses. Depuis lors, elle a revendiqué le respect de ses droits sur le signe Arkena avec constance. 70. Dans ces conditions, aucun élément ne vient appuyer l'allégation de mauvaise foi de la société Arkena capital à la date du dépôt de marque européenne, quand bien même il aurait été postérieur à l'annonce par le groupe TDF de son intention de désigner certaines de ses filiales sous le nom Arkena. 71. Il y a donc lieu de rejeter le moyen. 2 . Sur la contrefaçon 72. En application de l'article 9,§1, du règlement (CE) no 207/2009 du 26 février 2009 sur la marque de l'Union européenne tel que modifié à droit constant par le Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017, "Le titulaire d'une marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque : a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée". 73. Au visa de l'article L.717-1 du code de la propriété intellectuelle, constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur la violation des interdictions prévues aux articles 9, 10, 13 et 15 du règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne. 74. Les usages de la marque par les défenderesses, décrits au II supra, consistant dans la mention dans le code-source des pages et dans les sous-domaines ne sont pas des usages pour désigner ou offrir des produits et services. En revanche, il est établi que les défenderesses ont toutes deux maintenu le signe Arkena sur leurs sites web durant plusieurs mois à des fins de promotion de leurs services et activités, ainsi que sur Linkedin, Twitter et la chaîne Youtube ainsi que comme référence, au moins sur le moteur de recherches Google, pour diriger les internautes vers leurs sites marchands et pour la promotion des produits ou services pour lesquels la marque est déposée. 75. La contrefaçon est donc démontrée. 3 . Sur les mesures de réparation 76. En application des dispositions de l'article L716-4-10 du code de la propriété intellectuelle, applicables aux atteintes aux marques de l'Union européenne de par l'article L. 717-2, "Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée,2o Le préjudice moral causé à cette dernière, 3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée" et l'article L. 716-4-11. 77. Ces dispositions, issues de la transposition de la directive 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, visent à ce que la détermination de la réparation tienne compte de ces différents aspects économiques, qui ne constituent pas des chefs de préjudices cumulables. En particulier, les bénéfices réalisés par les auteurs des atteintes n'ont pas vocation à être captés par la partie lésée mais sont destinés à évaluer objectivement son préjudice réel. 78. La société Arkena capital demande la liquidation de son préjudice sur le 2ème alinéa du texte précité, affirmant que la redevance qui auraient été due si les contrefacteurs avaient demandé l'autorisation d'utiliser sa marque peut être évaluée sur la base de sa proposition du 5 décembre 2019 de 0,95 % du chiffre d'affaires de la société CJI. 79. Néanmoins cette proposition avait été refusée par la société CJI et il n'est établi par aucune pièce qu'elle correspond aux gains ou à un mode de calcul usuels pour la licence d'une marque. Par ailleurs, la société Arkena capital ne démontre pas de conséquence négative de la contrefaçon sur son activité en 2020 et 2021 sur laquelle elle ne donne aucune information, alors qu'il lui est reproché d'être devenue une "coquille vide" sans salarié ni chiffre d'affaires. Elle ne prouve pas plus de bénéfice indû de la part des défenderesses en lien avec les actes de contrefaçon établis. 80. En revanche, la contrefaçon après quatre ans de procédure pour faire reconnaître ses droits antérieurs est à l'origine d'un préjudice moral. 81. Il y a donc lieu de retenir le préjudice moral résultant de l'exploitation de son signe dans les conditions décrites supra, que le tribunal fixe à la somme de 2.000 euros à la charge de chacune des défenderesses. Les faits sanctionnés étant distincts, aucune solidarité ne saurait être ordonnée. 82. Aucune circonstance ne commande de prononcer les mesures de publications sollicitées. VII . Sur la demande reconventionnelle des défenderesses 83. Les défenderesses font valoir que, à l'occasion de ses démarches auprès de la société Gandi, la société Arkena capital a fait des déclarations mensongères sur leur compte, portant atteinte à leur image et leur honneur, leur causant un préjudice moral. 84. La société Arkena capital ne conclut pas sur ce point. Sur ce, 85. L'article 1240 du code civil dispose que chacun est responsable du dommage qu'il a causé par sa faute. 86. Les courriels envoyés par la société Arkena capital à la société Gandi, notamment en janvier 2021, ne comportent aucune déclaration mensongère, ni même excessive de la part de la société Arkena capital, au regard de l'absence d'évolution du transfert du site, malgré l'assignation délivrée en mars 2020. Au surplus, ce sont eux qui ont permis d'aboutir à la libération effective des noms de domaine.Ainsi, ni la faute, ni le préjudice moral allégués ne sont caractérisés. 87. Il y a donc lieu de rejeter la demande. VIII . Sur les autres demandes 88. Les défenderesses, qui succombent, sont condamnées aux dépens. 89. L'équité justifie donc de fixer la condamnation des défenderesses à payer à la société Arkena capital une somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, incluant le coût des constats d'huissier dressés pendant la période durant laquelle couraient les astreintes. 90. L'exécution provisoire est de droit et il n'y a pas lieu de l'écarter. PAR CES MOTIFS Rejette la demande d'écarter des débats les pièces no 33 à 53 de la société Arkena capital ; Liquide l'astreinte pour le retard de transfert des noms de domaine <arkena.fr> et <arkena.com> à la somme de 54.600 euros ; Liquide l'astreinte pour les usages de la dénomination Arkena par la société Cognacq-Jay image à la somme de 18.000 euros ; Condamne en conséquence la société Cognacq-Jay image à payer à la société Arkena capital la somme de 72.600 euros ; Liquide l'astreinte pour les usages de la dénomination Arkena par la société Télédiffusion de France à la somme de 18.000 euros ; Condamne en conséquence la société Télédiffusion de France à payer à la société Arkena capital la somme de 18.000 euros ; Rejette la demande de prononcer une astreinte complémentaire pour le retard de transfert des noms de domaine ; Rejette la demande de prononcer une astreinte définitive pour les usages de la dénomination Arkena ; Rejette la demande de prononcer la nullité de la marque de l'Union européenne "Arkena" no12807376 ; Rejette la demande à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ; Condamne la société Cognacq-Jay image à payer à la société Arkena capital la somme de 2.000 euros en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon de sa marque de l'Union européenne "Arkena" no12807376 ; Condamne la société Télédiffusion de France à payer à la société Arkena capital la somme de 2.000 euros en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon de sa marque de l'Union européenne "Arkena" no12807376 ; Rejette la demande de publication du présent jugement ; Rejette les demandes reconventionnelles en dommages et intérêts de la société Cognacq-Jay image et de la société Télédiffusion de France; Condamne la société Cognacq-Jay image et la société Télédiffusion de France aux dépens de l'instance, qui pourront être directement recouvrés par Me Altmann, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ; Condamne la société Cognacq-Jay image et la société Télédiffusion de France à payer à la société Arkena capital la somme de 25.000 euros a titre de l'article 700 du code de procédure civile ; Fait et jugé à Paris le 08 Septembre 2023 Le Greffier La PrésidenteQuentin CURABET Irène BENAC
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JURITEXT000048389788
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 8 septembre 2023, 22/04531
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2023-09-08
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Tribunal judiciaire de Paris
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22/04531
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CT0196
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG : No RG 22/04531No Portalis 352J-W-B7G-CWOKF No MINUTE : Assignation du :31 Mars 2022 JUGEMENT rendu le 08 Septembre 2023 DEMANDEUR Monsieur [P] [C][Adresse 4][Localité 1] (BELGIQUE) représenté par Maître Casey JOLY de la SELARL ipSO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0052 DÉFENDERESSE S.A. FRANCE TELEVISIONS DIFFUSEUR[Adresse 2] [Localité 3] représentée par Maître Bénédicte AMBLARD, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0113 Copies délivrées le :- Maître JOLY # L52 (executoire)- Maître AMBLARD #B113 (ccc)COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Irène BENAC, Vice-PrésidenteMadame Anne BOUTRON, Vice-présidenteMonsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge assistés de Monsieur Quentin CURABET, Greffier, DÉBATS A l'audience du 12 Mai 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile. Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 08 Septembre 2023 JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. M. [P] [C] est l'auteur d'un film documentaire intitulé Mont Blanc, noir de monde ? qu'il a réalisé entre 2016 et 2018 et qu'il a divulgué sous son nom sur la plateforme Youtube le 23 janvier 2018. 2. Le 6 août 2018, la société France télévisions a diffusé à la télévision, durant le journal de 20 heures, un reportage intitulé Mont Blanc, victime de son succès dans lequel sont reproduits des extraits modifiés du documentaire de M. [C]. 3. Le 17 avril 2019, le conseil de M. [C] a mis en demeure la société France télévisions de réparer le préjudice résultant de cette contrefaçon de ses droits d'auteur, faisant d'ores et déjà une offre transactionnelle. 4. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 14 mai suivant, la société France télévisions a répondu que l'utilisation des extraits litigieux, à les supposer protégeables par le droit d'auteur, s'inscrivait dans sa mission d'information et respectait les conditions de l'exception de courte citation. 5. Le 4 septembre 2018, une capsule vidéo a été publiée sur la page Facebook de la chaîne France info, éditée par la société France télévisions, et essentiellement constituées d'extraits du documentaire de M. [C], différemment montés et sans mentionner son nom. 6. Le second conseil de M. [C] a réitéré la mise en demeure à la société France télévisions par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 décembre 2020.A défaut de réponse, il a fait envoyer une nouvelle mise en demeure en date du 29 septembre 2021 réitérée le 19 octobre 2021. Des échanges ont suivis entre les parties et France télévisions a retiré les publications litigieuses de son site internet et de la page Facebook précitée. 7. Aucun accord n'ayant été trouvé sur l'indemnisation, par acte du 31 mars 2022 M. [C] a fait assigner la société France télévisions devant ce tribunal, en contrefaçon de droit d'auteur de l'oeuvre documentaire Mont Blanc, noir de monde ?. 8. Dans ses dernières conclusions signifiées le 18 octobre 2022, M. [P] [C] demande au tribunal de :- condamner la société France télévisions à lui payer les sommes de 30.000 euros en réparation de l'atteinte à son droit moral, de 5.000 euros au titre de ses droits patrimoniaux et de 8.000 euros pour la reprise indue de son travail et de ses investissements,- interdire à la société France télévisions de reproduire et exploiter le sujet Mont blanc, victime de son succès,- condamner la société France télévisions aux dépens et à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 9. Il soutient que :- le documentaire qu'il a réalisé est une oeuvre audiovisuelle originale dont 1 minute 22 secondes ont été reprises dans un reportage d'une durée de 4 minutes 4 secondes, sans son autorisation avec des altérations, puis dans une vidéo capsule sur France info, sans son autorisation, sans mention de son nom et avec des altérations, ce qui suffit à caractériser des atteintes à ses droits moraux (paternité et droit à l'intégrité de l'oeuvre) et patrimoniaux d'auteur,- il en est résulté un préjudice au vu des investissements qu'il a mis dans la réalisation du film. 10. En réplique aux moyens de la société France télévisions, il fait valoir que :- la reprise de ses images ne saurait être considérée s'inscrivant dans la mission d'information de la société France télévisions, qui allègue une actualité brûlante, à savoir la mort accidentelle de plusieurs personnes sur le Mont Blanc en lien direct avec l'actualité et la prise de mesures restrictives de la fréquentation, alors qu'aucun décès n'est invoqué dans le reportage, que les arrêtés de limitation avaient déjà été pris le maire de [Localité 5] en 2017 et que ledit reportage, diffusé en fin de journal constitue "la carte postale de l'été", - la société France télévisions a utilisé ses images ainsi que deux séquences de son oeuvre pour laisser penser qu'elle avait fait un reportage sur place (alors qu'elle s'est bornée à se rendre dans la vallée) et non parce qu'elle devait nécessairement reproduire son oeuvre pour informer le public,- pour invoquer la liberté d'expression, la société France télévisions aurait dû démontrer en quoi les emprunts et altérations faits à son oeuvre étaient nécessaires à l'illustration de la sur-fréquentation du Mont blanc, puis qu'ils étaient justes et proportionnés, ce qu'elle ne fait pas,- il ne s'agit pas d'une courte citation dès lors qu'il y a eu dénaturation et que les emprunts sont disproportionnés (33 % du reportage télévisé, 77 % de la vidéo capsule),- son droit à la paternité n'a été respecté dans aucun des deux reportages de la société France télévisions. 11. Dans ses dernières conclusions signifiées le 17 novembre 2022, la SA France télévisions s'oppose à l'ensemble des prétentions et demande la condamnation de M. [C] aux dépens et à lui payer la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. 12. Elle oppose, à titre principal, que la mise en balance de son droit à la liberté d'expression dans l'exercice de sa mission d'information et du droit d'auteur de M. [C] montre qu'une condamnation dans les circonstances de l'espèce constituerait une atteinte disproportionnée à sa liberté d'expression, ajoutant que rien ne justifie concrètement, en l'absence d'atteinte autre que de principe à un droit d'auteur, à l'endroit duquel son titulaire a manifesté une certaine distance dans ses délais d'action, que le droit de propriété prime la liberté d'expression exercée pour traiter un événement d'actualité. 13. Subsidiairement, elle invoque l'exception de courte citation justifiée par le caractère d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées.Elle conteste enfin l'existence d'un préjudice patrimonial supérieur à 300 euros et soutient que l'exploitation non autorisée qu'elle a faite de l'oeuvre de M. [C] en a favorisé la reconnaissance.S'agissant de la demande fondée sur le parasitisme, elle oppose que la diffusion a eu lieu dans un cadre non commercial, que M. [C] ne peut pas revendiquer deux fois un même préjudice patrimonial au titre de l'utilisation de son oeuvre et que les investissement allégués ne sont pas établis. 14. L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 novembre 2022. MOTIVATION I . Sur la contrefaçon de droits d'auteur 1 . Sur l'atteinte à un droit d'auteur 15. En application de l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, "L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous", comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, sous réserve que l'oeuvre soit originale, c'est-à-dire porte l'empreinte de la personnalité de son auteur. Lorsque cette protection est contestée en défense, l'originalité de l'oeuvre doit être explicitée par celui qui s'en prétend auteur, seul ce dernier étant à même d'identifier les éléments traduisant l'empreinte de sa personnalité. 16. Aux termes de l'article L. 113-7 du même code "ont la qualité d'auteur d'une oeuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette oeuvre. Sont présumés, sauf preuve contraire, coauteurs d'une oeuvre audiovisuelle réalisée en collaboration : (...) 5o Le réalisateur". 17. L'article L.122-3 du même code prévoit en outre que « la reproduction consiste dans la fixation matérielle de l'oeuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d'une manière indirecte. Elle peut s'effectuer notamment par imprimerie, dessin, gravure, photographie, moulage et tout procédé des arts graphiques et plastiques, enregistrement mécanique, cinématographique ou magnétique. » et l'article L.122-4 que toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et qu'il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.L'extraction d'images d'une vidéo originale constitue une contrefaçon partielle de celle-ci, sans qu'il y ait lieu de démontrer l'originalité propre des éléments ainsi isolés. 18. M. [C] énumère les caractéristiques originales de l'oeuvre audiovisuelle Mont Blanc, noir de monde ? que sont son scénario, l'esthétisation du paysage montagnard, le contraste entre la montagne rêvée et la montagne réelle, avec les images de chutes de pierres et de refuge bondé, l'enquête sur les causes réalisée dans le cadre de son master de journalisme.L'originalité de cette oeuvre n'est pas contestée par la société France télévisions. 19. Il est par ailleurs titulaire des droits d'auteur compte tenu de sa qualité de réalisateur et de la divulgation sous son nom le 23 janvier 2018, ce que la défenderesse ne conteste pas. 20. Il n'est enfin pas contesté que le reportage diffusé le 6 août 2018 intégrait plusieurs extraits, d'une durée cumulée de 1 minute 21 secondes, du documentaire de M. [C] avec un montage différent et que la capsule vidéo présentée sur le compte Facebook de France info en comportait 54 secondes. Contrairement à ce que soutient la société France télévisions ces deux reportages sont intégralement versés aux débats, permettant toutes les vérifications nécessaires. 21. Les faits de reproduction et représentation sans autorisation de droits d'auteur sont donc établis. 2 . Sur la proportionnalité de l'atteinte à la liberté d'expression de la société France télévisions par la protection du droit d'auteur 22. L'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) dispose "1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations. 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire". 23. L'article 1 du protocole additionnel à cette convention dispose que toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens, incluant les droits de propriété intellectuelle, parmi lesquels le droit de propriété incorporelle exclusif conféré par l'article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle à l'auteur d'une oeuvre de l'esprit. 24. La liberté d'expression et le droit d'auteur sont ainsi l'un et l'autre des droits fondamentaux protégés par la CESDH.En présence d'un conflit entre deux droits d'égale valeur, il incombe au tribunal de rechercher in concreto un juste équilibre des intérêts. 25. La Cour européenne des droits de l'homme a rappelé, pour déterminer si une restriction à l'exercice de la liberté d'expression était nécessaire, dans une société démocratique, que: "L'étendue de la marge d'appréciation dont disposent les Etats contractants en la matière varie en fonction de plusieurs éléments, parmi lesquels le type de ‘discours' ou d'information en cause revêt une importance particulière. Ainsi, si l'article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d'expression en matière politique par exemple, les Etats contractants disposent d'une large marge d'appréciation lorsqu'ils réglementent la liberté d'expression dans le domaine commercial (Mouvement raëlien c. Suisse [GC], no 16354/06, § 61), étant entendu que l'ampleur de celle-ci doit être relativisée lorsqu'est en jeu non l'expression strictement ‘commerciale' de tel individu mais sa participation à un débat touchant à l'intérêt général (Hertel c. Suisse, 25 août 1998, § 47, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI)." et "lorsque le but poursuivi est celui de la ‘protection des droits et libertés d'autrui' et que ces ‘droits et libertés' figurent eux-mêmes parmi ceux garantis par la Convention ou ses Protocoles, il faut admettre que la nécessité de les protéger puisse conduire les Etats à restreindre d'autres droits ou libertés également consacrés par la Convention. La mise en balance des intérêts éventuellement contradictoires des uns et des autres est alors difficile à faire, et les Etats contractants doivent disposer à cet égard d'une marge d'appréciation importante" (CEDH, 10 janvier 2013, no 36769, Ashby Donald c/ France, points 39 et 40). 26. Quoiqu'interpellée sur ce point par les écritures adverses, la société France télévisions ne démontre pas en quoi un juste équilibre entre la protection de sa liberté d'expression et celle du droit d'auteur de M. [C] imposait l'utilisation de l'oeuvre de ce dernier, de surcroît sans son autorisation, ou serait rompu en cas de condamnation à dommages et intérêts de ce fait.Elle se borne à soutenir que sa condamnation à dommages et intérêts pour réparer le préjudice subi par M. [C] n'est pas nécessaire, ne répond pas à un besoin social impérieux de protection du droit d'auteur au regard du fait qu'il s'agit d'une diffusion dans le cadre d'un journal d'information s'agissant d'un fait d'actualité qu'elle sert, d'absence d'entrave à la libre exploitation de l'oeuvre ou de dévalorisation et de la faible ampleur de l'atteinte et constituerait donc une atteinte disproportionnée à sa liberté d'expression . 27. Le tribunal observe que, à suivre l'argumentation de la société France télévisions, il lui serait permis d'exploiter sans autorisation toutes sortes d'oeuvres "en adéquation" avec un sujet d'actualité dès lors que cela n'empêcherait pas leurs auteurs de les exploiter eux-mêmes et ne les dévaloriserait pas. Or, la jurisprudence sur le contrôle de proportionnalité ne saurait valider cette thèse. 28. La réalisation de prises de vues aériennes du Mont blanc, d'alpinistes et des refuges, ou des interviews de gendarmes sur le sujet de la sur-fréquentation du Mont blanc sont parfaitement libres et aucune des séquences empruntées ne comporte la captation d'événements d'actualité ou d'objets disparus et désormais impossibles à filmer.La société France télévisions pouvait tout aussi bien réaliser elle-même ces séquences de sorte que l'utilisation de l'oeuvre litigieuse de M. [C] n'était pas nécessaire à l'exercice de sa liberté d'expression et de son droit à l'information du public sur ce sujet d'intérêt général et que la protection du droit d'auteur de M. [C] sur son documentaire ne porte aucune atteinte à sa liberté d'expression.Dès lors, la sanction de la contrefaçon est justifiée et proportionnée. 3 . Sur l'exception de courte citation 29. L'article L.122-5 dispose que :« Lorsque l'oeuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire : (...) 3o Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source : a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées ; (...)Les exceptions énumérées par le présent article ne peuvent porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur. . 30. La brièveté des extraits d'une oeuvre dans une autre doit s'apprécier au regard à la fois de la longueur de l'oeuvre dont elle est extraite et de celle de l'oeuvre à laquelle elle est incorporée. Au surplus, pour justifier l'exception, la citation doit être justifiée par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elle est incorporée. 31. Au cas d'espèce, le reportage télévisé le 6 août 2018 intitulé Mont Blanc, victime de son succès d'une durée de 4 minutes 4 secondes, oeuvre citante, emprunte au reportage de M. [C] 13 plans fixes ou aériens et une séquence de 40 secondes pour total de 1 minute et 21 secondes.La société France télévisions ne saurait être suivie lorsqu'elle soutient que l'oeuvre citante est nécessairement le journal télévisé en son entier alors que celui-ci est divisé en séquences individualisées réalisées par des équipes distinctes et portant sur des thèmes différents, et qu'aucune autre séquence de ce journal ne cite le reportage de M. [C].Ces extraits litigieux constituent une faible partie de l'oeuvre citée qui dure 26 minutes et 26 secondes, mais le tiers de l'oeuvre citante.Une telle proportion exclut la qualification de brève citation. 32. S'agissant de la capsule vidéo d'une durée de 1 minutes 10, en l'absence de mention de l'auteur, la société France télévisions est mal fondée à invoquer l'exception de brève citation. Au surplus, cette vidéo emprunte 54 secondes au reportage de M. [C], ce qui représente 77 % de son contenu, excluant la qualification de brève citation. 33. Quand bien même la citation serait justifiée par le caractère d'information des oeuvres citantes, il y a lieu de rejeter l'exception de courte citation invoquée par la société France télévisions à titre subsidiaire. 4. Sur les atteintes aux droits de l'auteur 34. En vertu de l'article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle, « l'‘auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l'auteur. (...) » et aux termes de l'article L.122-1 du code de la propriété intellectuelle, « le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction. » 35. Le reportage télévisé du 6 août 2018 crédite M. [C] comme auteur des images par une incrustation dans les premières secondes mais il est exact que la séquence de 20 secondes dans le refuge du goûter est intégrée de façon continue dans le reportage de France 2 sans préciser de contribution de M. [C] à celui-ci. 36. La capsule vidéo, dont il n'est pas discuté qu'elle est restée accessible du 4 septembre 2018 au 3 novembre 2021, ne fait pas mention de son nom.La société France télévisions ne saurait être suivie lorsqu'elle soutient que l'usage et la pratique en matière de vidéo de ce format justifieraient une absence de crédit, alors qu'elle ne verse aucune pièce à l'appui de la preuve de tels usages et que la vidéo capsule litigieuse crédite au contraire 5 autres personnes pour ce reportage. 37. En s'abstenant de citer M. [C] sur la vidéo de France info et en le citant de façon incomplète dans le reportage télévisé, la société France télévisions a porté atteinte au droit à la paternité de M. [C] sur son oeuvre. 38. Par ailleurs, le reportage de la société France télévisions n'a pas reproduit un extrait de 1 minute 21 secondes de l'oeuvre première mais a intégré en divers moments de son propre reportage 13 plans extraits de celui de M. [C] et en a fait un montage différent de celui de l'auteur, a passé un long plan aérien en sens inverse et a augmenté le bruit de l'hélicoptère de la gendarmerie. 39. Une oeuvre audiovisuelle étant caractérisée par une succession de plans et séquences selon un ordre et un rythme spécifique, avec une sélection tant des prises de vue que des sons, selon un mixage et un montage particulier, le fait d'isoler, de modifier et de monter autrement plusieurs élément de l'oeuvre première portent atteinte à son intégrité. 40. Enfin, en reproduisant et représentant des extraits de son oeuvre sur les deux supports litigieux, la société France télévisions a également porté atteinte à ses droits patrimoniaux. 5 . Sur les mesures de réparation 41. Aux termes de l'article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en compte distinctement les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée, le préjudice moral causé à cette dernière, et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.Le second alinéa de cet article prévoit, à titre alternatif et à la demande de la partie lésée, la possibilité d'allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire, supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte ; et qui n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. 42. Ces dispositions doivent être interprétées à la lumière du principe de réparation intégrale, en vertu duquel la partie lésée doit se trouver dans la situation qui aurait été la sienne en l'absence des faits litigieux, sans perte ni profit pour elle, ainsi que le prévoit aussi l'article 13 de la directive 2004/48 sur le respect des droits de propriété intellectuelle selon lequel les dommages et intérêts doivent être adaptés au préjudice que le titulaire du droit "a réellement subi du fait de l'atteinte". 43. Les atteintes au droit de paternité de M. [C] sur son oeuvre ont duré trois ans et ont été commise par une chaîne de télévision nationale à très large audience.Eu égard aux atteintes à l'intégrité de l'oeuvre décrites ci-dessus, la société France télévisions ne saurait être suivie lorsqu'elle allègue que l'oeuvre a été plutôt mise en lumière par son traitement au journal télévisé au profit de l'auteur. 44. Les atteintes au droit moral de l'auteur de paternité et de son respect de l'intégrité seront indemnisées par une indemnité de 5.000 euros. 45. S'agissant des droits patrimoniaux, la société France télévisions produit un article de 2020 selon lequel la société France télévisions avait signé un accord avec le syndicat des agences de presse audiovisuelles selon lequel le tarif des documentaires d'un format inférieur à 45 minutes insérés dans les magazines d'information était de 1.800 euros par minute et un extrait du barème de l'INA selon lequel la diffusion en télévision locale d'un sujet d'information était de 160 euros par minute pour une utilisation d'une durée de deux ans.Pour autant, il n'est pas question en l'espèce de l'insertion d'un reportage mais du démembrement de celui-ci pour compléter un reportage interne. 46. Le texte précité visant expressément la référence aux économies d'investissements intellectuels et matériels réalisés par le contrefacteur, le demandeur est bien fondé à s'appuyer sur les frais engagés pour son reportage, et plus particulièrement le recours à un guide de montagne pour atteindre le refuge du goûter et la location d'un hélicoptère pour filmer les sites, dont M. [C] justifie du coût à hauteur de 1.870 euros. 47. Les éléments précités permettent ainsi de fixer le préjudice patrimonial de M. [C] à la somme de 1.500 euros. 48. Il y a lieu de faire droit à la demande d'interdiction de reproduire et exploiter le reportage Mont blanc, victime de son succès, la société France télévisions ne concluant pas sur ce point. II . Sur les demandes fondées sur le parasitisme 49. L'article 1240 du code civil dispose : "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer."Sont sanctionnés au titre de la concurrence déloyale, sur ce fondement, les comportements fautifs car contraires aux usages dans la vie des affaires, tels que ceux, parasitaires, qui tirent profit sans bourse délier d'une valeur économique d'autrui procurant à leur auteur un avantage concurrentiel injustifié, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements. 50. Dès lors qu'il a été fait droit à l'action en contrefaçon, l'action de M. [C] sur le fondement du parasitisme doit, pour prospérer, reposer sur des faits matériels distincts de ceux qui sont allégués au soutien de l'action en contrefaçon. 51. Or, le grief fait par M. [C] à la société France télévisions d'avoir accaparé le fruit de son travail, s'évitant ainsi des frais de tournage et d'envoi d'équipe sur le Mont blanc repose sur les mêmes faits que ses demandes au titre de la contrefaçon dont les conséquences ont été indemnisées. 52. Il y a donc lieu de rejeter la demande à ce titre. III. Dispositions finales 53. La société France télévisions, qui succombe est condamnée aux dépens de l'instance. 54. L'équité justifie de la condamner à payer à M. [C] la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS Condamne la société France télévisions à payer à M. [P] [C] à titre de dommages et intérêts les sommes de 5.000 euros en réparation de l'atteinte à ses droits moraux et 1.500 euros en réparation de l'atteinte à ses droits patrimoniaux résultant de la contrefaçon de son oeuvre Mont Blanc, noir de monde ? ; Interdit à la société France télévisions de reproduire et d'exploiter son reportage intitulé Mont blanc, victime de son succès ; Déboute M. [P] [C] de ses demandes fondées sur les agissements parasitaires ; Condamne la société France télévisions aux dépens de l'instance, qui pourront être recouvrés directement par Me Joly dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ; Condamne la société France télévisions à payer à la M. [P] [C] la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Fait et jugé à Paris le 08 Septembre 2023 Le Greffier Le PrésidentQuentin CURABET Irène BENAC
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JURITEXT000048389789
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 15 septembre 2023, 19/13564
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2023-09-15
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Tribunal judiciaire de Paris
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19/13564
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CT0196
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre2ème section No RG 19/13564No Portalis 352J-W-B7D-CRFKX No MINUTE : Assignation du :07 Novembre 2019 JUGEMENT rendu le 15 Septembre 2023 DEMANDERESSE S.A.S. ADD[Adresse 4][Localité 1] représentée par Maître Stanislas ROUX-VAILLARD du PARTNERSHIPS HOGAN LOVELLS (PARIS) LLP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0033 DÉFENDERESSES S.A.S. SAULNIER-[T] ET ASSOCIES, représentée par Maître [F] [T], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société D.I.2.S[Adresse 6][Adresse 6][Localité 3] représentée par Maître Saskia BOUROVITCH, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #G0468 et par Maître Eric ELABD, avocat au barreau de GRASSE et Maître Jean JODEAU, avocat au barreau de MARSEILLE, avocats plaidants S.A.S. OPTIMUM AUTOMOTIVEOxydium Concept - [Adresse 5] [Adresse 5][Localité 2] représentée par Maître Charles-Antoine JOLY de la SELAS DS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #T007 Copies délivrée le : - Maître ROUX-VAILLARD #J33 (ccc)- Maître BOUROVITCH #G468 (exécutoire)- Maître JOLY #T07 (exécutoire) COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointeMadame Irène BENAC, Vice-PrésidenteMonsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge assisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier DÉBATS A l'audience du 25 Mai 2023 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 15 Septembre 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe ContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. La SAS ADD, dont le nom commercial est AlertGasoil, commercialise sous ce nom une solution télématique de surveillance de la consommation de carburant des véhicules et de leurs émissions de CO2. 2. Elle a déposé plusieurs brevets parmi lesquels un brevet européen EP 2 502 209 (ci-après désigné par EP209) déposé le 20 octobre 2010, sous priorité d'un brevet français déposé le 21 octobre 2009, et délivré le 11 janvier 2017, intitulé "Système électronique de surveillance permettant un calcul de consommations de carburant et d'émissions de CO2 réelles pour un appareil en mouvement, à l'arrêt, en travail, avec exclusion ou pas de vols de carburant" qui améliore, selon elle, les systèmes de surveillance antérieurs en permettant un calcul des consommations et émissions en temps réel, que le véhicule soit en fonctionnement ou à l'arrêt. 3. La société DI2S a développé un système de suivi en temps réel des fluctuations du niveau de carburant et du comportement des véhicules, sous le nom G-keep, dont elle précise qu'il est de type plug-and-play, démontable, universel et ne nécessitant ni de percer le réservoir, ni de le vidanger. 4. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 février 2018, le conseil de la société ADD a attiré l'attention de la société DI2S sur son brevet EP209, l'invitant à justifier de ce que les solutions qu'elle offrait n'entraient pas dans le champ de son monopole.La société ADD a également fait constater par huissier de justice le contenu de certaines pages du site internet <www.g-keep.com> la 8 mars 2018. 5. Autorisée par ordonnance du 3 octobre 2019, la société ADD a fait procéder à une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société DI2S le 9 octobre 2019.La communication de certaines pièces saisies a été restreinte à un cercle de confidentialité et certaines ont été restituées. 6. Par acte du 7 novembre 2019, la société ADD a fait assigner la société DI2S devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de la revendication 1 de la partie française de son brevet EP209. 7. Le 9 juin 2021, le tribunal de commerce d'Orléans a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société DI2S. Par jugement du 21 juillet 2021, il a arrêté un plan de cession à la société Optimum Automotive, avec date d'effet au 1er septembre 2021, incluant la cession de la solution G-keep, puis a converti la procédure de redressement en liquidation judiciaire par jugement du 6 octobre 2021, désignant la société Saulnier-[T] (M. [F] [T]) en qualité de liquidateur judiciaire. 8. Par actes des 23 et 24 août et 4 novembre 2021, la société ADD a fait assigner en intervention forcée les organes de la procédure collective et, le 29 septembre 2021, la société Optimum Automotive. 9. Dans ses dernières conclusions signifiées le 16 juin 2022, la société ADD demande au tribunal de :- rejeter les attaques des défenderesses contre la validité de la partie française du brevet européen EP 2 502 209 et les débouter de toutes leurs demandes reconventionnelles ;- juger que la société DI2S et la société Optimum Automotive ont commis des actes de contrefaçon de la revendication 1 de la partie française du brevet EP 209, en fabriquant, offrant, mettant dans le commerce, utilisant, important, exportant, transbordant, ou détenant aux fins précitées, la solution G-Keep ;- ordonner l'interdiction, le rappel, la confiscation et la destruction des produits contrefaisants sous astreinte ;- condamner la société Saulnier-[T], ès qualités, et la société Optimum Automotive, à lui payer une provision de 100.000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice ;- la levée des scellés et la remise à la société ADD de l'ensemble des informations conservées sous séquestre par Maître Kubas à l'issue des opérations de saisie-contrefaçon réalisées chez la société DI2S en date du 9 octobre 2019 et visées dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon en date du 9 octobre 2019 ;- l'exercice du droit d'information sous astreinte et sous le contrôle du juge de la mise en état, et le renvoi à la mise en état, le tribunal restant saisi du litige pour statuer sur les dommages et intérêts définitifs ; - la publication d'un communiqué sur les sites internet www.g-keep.com et www.optimum-automotive.com et dans 10 journaux sous astreinte ;- la condamnation des défenderesses in solidum aux dépens et à lui payer la somme de 80.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,sous le bénéfice de l'exécution provisoire. 10. Dans ses dernières conclusions signifiées le 13 mai 2022, la SAS Saulnier-[T] et associés, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société DI2S, demande au tribunal de :- juger que le brevet EP209, et à tout le moins sa revendication 1, est nul pour défaut de nouveauté et d'activité inventive,- subsidiairement, rejeter l'ensemble des demandes de la société ADD en l'absence de contrefaçon et, plus subsidiairement, limiter le préjudice de la société ADD à un euro symbolique en l'absence de préjudice,- condamner la société ADD à payer à la société DI2S la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice moral et financier subi au titre de la concurrence déloyale,- l'autoriser à publier le jugement à intervenir sur son site internet et dans 10 journaux,- condamner la société ADD aux dépens et à payer à la société DI2S la somme de 35.000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile. 11. Dans ses dernières conclusions signifiées le 30 septembre 2022, la société Optimum Automotive demande au tribunal de :- annuler le brevet EP209, et à tout le moins sa revendication 1, pour défaut de nouveauté et d'activité inventive,- subsidiairement rejeter les demandes fondées sur la contrefaçon,- ordonner la publication permanente du dispositif de la décision à intervenir sur la page d'accueil de tous les sites Internet de la société ADD, dont le site www.alertgasoil.com, pendant 6 mois sous astreinte, et dans 5 journaux et revues,- condamner la société ADD aux dépens et à lui payer la somme de 35.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 12. La clôture a été prononcée par ordonnance du 20 octobre 2022. MOTIVATION 13. La revendication 1 du brevet EP209 est ainsi libellée (le repérage des 28 caractéristiques utilisé par les parties a été ajouté en caractères gras) :A) Système électronique de surveillance B) permettant un calcul de consommations de carburant et d'émissions de CO2 réelles C) pour un appareil en mouvement ou à l'arrêt D) avec exclusion ou pas de vols de carburant E) comprenant un boîtier embarqué (10) sur un appareil (1) F) incluant au moins un moteur (11), un réservoir (12) et un circuit électrique d'alimentation (13), G) et un outil de contrôle sédentaire (2) H) auquel le boîtier embarqué (10) est apte à être connecté par voie filaire ou non, I) - le boîtier embarqué (10) comprend : J) . au moins un connecteur (101) pour la connexion à au moins un capteur spécifique (14) de niveau de carburant capable de prendre des mesures quantitatives de niveau du carburant entre une paroi haute et une paroi basse du réservoir (12) et pour la réception, par le boîtier (10), de données de niveau de carburant en provenance de ce capteur (14), K) le capteur spécifique (14) étant étalonné préalablement à la mise en service du système électronique de telle façon que chaque valeur de sortie du capteur (14) est associée de manière bijective à une position du niveau de carburant entre la paroi haute et la paroi basse du réservoir (12) et à un volume précis de carburant restant dans le réservoir quel que soit le niveau de carburant entre la paroi haute et la paroi basse, L) . au moins une horloge (103) apte à fournir des données d'horodatage ; M) . au moins un récepteur (105) pour recevoir des données de géolocalisation et ; N) . au moins une mémoire (106) pour enregistrer des lignes de données (LD/H) successives O) comprenant les données de niveau de carburant, les données d'horodatage et les données de géolocalisation à un instant donné P) avec une périodicité comprise entre 1 et 240 secondes ; Q) - le boîtier embarqué (10) est adapté pour s'alimenter auprès du circuit d'alimentation électrique (13) de l'appareil (1) lorsque l'appareil (1) fonctionne R) et pour s'alimenter, lorsque l'appareil (1) ne fonctionne pas, auprès d'une batterie autonome (15), apte à se recharger lorsque l'appareil (1) fonctionne ; - S) le boîtier embarqué (10) comprend en outre un module de traitement de données (104) capable de détecter une chute de niveau de carburant à position géographique constante à partir des lignes de données (LD/H) successives enregistrées T) et de communiquer, lorsqu'une chute de carburant à position géographique constante, et donc pour un appareil à l'arrêt, est détectée, une alerte (AL) à l'outil de contrôle (2) en temps réel ou en différé lorsque le boîtier (10) est connecté à l'outil de contrôle (2), U) le module de traitement de données (104) étant également apte à communiquer des lignes de données (LD/H) à l'outil de contrôle (2) ; V) - l'outil de contrôle (2) est apte à être connecté au boîtier embarqué (10) par voie filaire ou non W) et comprend au moins une mémoire (20) pour enregistrer les alertes (AL) et les lignes de données (LD/H) communiquées par le boîtier embarqué (10), X) une unité de traitement de données (21) et Y) un écran (22) pour afficher les alertes (AL) et les données communiquées par le boîtier embarqué (10), Z) - le boîtier (10) comprend en outre des moyens pour détecter le statut en fonctionnement ou non du moteur (11) de l'appareil (1), AA) les données de statut en fonctionnement du moteur étant incluses dans la ligne de données (LD/H) pour être traitées par le module de traitement de données (104) de manière à inclure les données de statut de fonctionnement du moteur (11) dans l'alerte communiquée à l'outil de contrôle (2) ; AB) - l'outil de contrôle (2) déterminant ainsi les temps moteur allumé appareil à l'arrêt et les temps moteur allumé appareil en mouvement. I . Sur la nouveauté du brevet EP 209 1 . Sur la nouveauté de la revendication 1 14. La société Optimum Automotive soutient que le brevet américain Gilchrist noUS20110140877A1 intitulé "fuel monitoring apparatus and methods" publié le 16 juin 2011 sous priorité de brevets anglais des 22 août 2008 et 13 janvier 2009 (ci-après "document Gilchrist") prive la revendication 1 du brevet EP209 de nouveauté. 15. La société DI2S et son liquidateur soulèvent également le défaut de nouveauté sur la base de documents antérieurs, faisant valoir que, lorsque l'invention est, comme en l'espèce, la combinaison de moyens connus, le titulaire du brevet doit démontrer que cette combinaison est nouvelle et n'est pas seulement la juxtaposition de moyens connus, ce qu'elle ne fait pas.Au contraire, le brevet EP209 juxtapose sans créer de synergie entre eux les moyens connus révélés par les documents suivants : - WO2008146307A2 (document D1), demande PCT publiée le 04.12.2008 : système permettant le suivi et notamment la détection de vol de carburant dans un réservoir d'un véhicule du type automobile- US2001018628A1 (document D2), demande de brevet américain publiée le 30.08.2001 : système de surveillance (tracking) pour permettre de surveiller l'efficience et les performances des conducteurs des véhicules d'une flotte de véhicules- FR2871741A1 (document D3), demande de brevet française publiée le 23.12.2005 : système de suivi des opérations de remplissage d'un réservoir et de son niveau à tout instant à partir d'un système d'information contrôlé entre un véhicule et un centre de surveillance- WO2006011054A2 (document D4), demande PCT publiée le 02.02.2006 : système permettant de vérifier la consommation de carburant d'appareils utilisant un moteur thermique- US6240365B1 (document D5), brevet américain délivré le 29.05.2001 : système de suivi de conditions de service de véhicule (30) de location - WO2004007344A1 (document D6), demande PCT publiée le 22.01.2004 : méthode et système permettant la détection d'un vol de carburant - GB2338308A (document D7), demande de brevet anglaise publiée le 15.12.1999 : dispositif pour surveiller les fluctuations de niveau de carburant dans un véhicule- FR2884951A1 (document D8), demande de brevet française publiée le 27.10.2006 : système et dispositif de mesure et de régulation des émissions de dioxyde de carbone (CO2) générées par la combustion de carburant dans les automobiles équipées de moteur thermique - US4344136A (document D9), demande de brevet américain publiée le 10.08.1982 : dispositif permettant de suivre des paramètres de conduite ou de fonctionnement d'un véhicule de type automobile-FR2902219A1 (document D10), demande de brevet française publiée le 14.12.2007 : dispositif de gestion de carburant de véhicule capable de communiquer avec une borne réceptrice équipant des moyens de distribution de carburant,Elle s'associe à l'argumentation de la société Optimum Automotive s'agissant de l'antériorité de toute pièce du document Gilchrist. 16. La demanderesse estime que la revendication 1 ne se retrouve toute entière dans aucune des antériorités alléguées.S'agissant plus particulièrement du document Gilchrist, elle soutient qu'il ne divulgue pas les caractéristiques B, G, K, T, V W, X et Y de la revendication 1 de son brevet, selon lesquelles le dispositif calcule les émissions de CO2 réelles, comporte un module de contrôle sédentaire et prévoit un système d'étalonnage spécifique adapté à chaque réservoir. Sur ce, 17. L'article L. 614-12, alinéa 1, du code de la propriété intellectuelle dispose que "La nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l'un quelconque des motifs visés à l'article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich" ci-après CBE. 18. L'article 138, 1, a) de la CBE dispose que le brevet européen est déclaré nul par les tribunaux d'un État contractant si "l'objet du brevet européen n'est pas brevetable en vertu des articles 52 à 57" et l'article 54 définit ainsi la nouveauté : "Une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique".Il résulte des articles 52 (1) et 54 de la Convention, que les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle ; une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique ; l'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet européen par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen. 19. Pour être comprise dans l'état de la technique et être privée de nouveauté, l'invention doit s'y trouver toute entière dans une seule antériorité au caractère certain, avec tous les moyens techniques essentiels de l'invention dans la même forme, le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique , de sorte que la nouveauté d'une invention ne peut être ruinée que par une antériorité de toutes pièces qui implique une identité d'éléments, de forme, d'agencement, de fonctionnement et de résultat technique (Com., 6 juin 2001, pourvoi no98-17.194).L'absence de nouveauté peut ressortir de ce qui est implicitement contenu dans un document de l'art antérieur pourvu que la mise en oeuvre des enseignements de ce document conduise sans ambiguïté aux revendications du brevet. 20. L'abrégé du brevet américain Gilchrist, dans sa traduction libre proposée par la société DI2S et son liquidateur, est le suivant :"un dispositif de surveillance de carburant destiné à un véhicule comportant un ou plusieurs capteurs de réservoir de carburant, le dispositif de surveillance de carburant possédant un module de commande en communication avec ledit ou chaque capteur de réservoir de carburant, ledit module de commande pouvant fonctionner pour recevoir les données provenant dudit ou de chaque capteur de réservoir de carburant et pouvant fonctionner pour émettre les données relatives au niveau de carburant vers un transmetteur de système de communication mobile en vue de la transmission à un utilisateur final. Le dispositif de surveillance de carburant peut être dissimulé dans un véhicule et communiquer avec le capteur de réservoir de carburant du véhicule et, éventuellement, avec d'autres capteurs. Le dispositif de surveillance de carburant facilite la transmission des informations à un utilisateur final en permettant à l'utilisateur final d'identifier les événements de vol de carburant d'un emplacement distant et/ou le dispositif de surveillance de carburant peut fonctionner pour générer un état d'alarme dans ou à proximité du véhicule. Les données peuvent en outre être vérifiées pour identifier les opportunités pour améliorer l'efficacité de fonctionnement d'un véhicule, ou d'un parc de véhicules, ou pour donner un avertissement précoce de pannes possibles du véhicule et/ou pour identifier un vol de carburant". 21. La description du document Gilchrist révèle qu'elle est constituée des mêmes éléments constituants que le brevet EP209 : des capteurs de réservoir de carburant reliés à un module de commande pouvant émettre des données horodatées et géolocalisées vers un outil de contrôle connecté.Elle montre également une identité d'agencement et de fonctionnement en vue du même résultat technique (la prévention des vols de carburant , l'optimisation des consommations, la gestion et la surveillance de l'utilisation des véhicules) comme en témoignent les figures qui illustrent les deux inventions. 22. Cette antériorité est cependant contestée par la société ADD pour les caractéristiques B, G, K, T, V, W, X et Y de la revendication 1. a) Sur le calcul d'émissions de CO2 réelles (caractéristique B) 23. Le brevet EP209 revendique un système électronique de surveillance "permettant un calcul de consommations de carburant et d'émissions de CO2 réelles". 24. Les émissions de CO2 des véhicules à moteur sont proportionnelles au volume de carburant consommé par le moteur selon la nature de ce carburant. 25. Selon la caractéristique B) précitée, le système breveté permet un suivi des émissions de CO2 aussi fin que celui des consommations de carburant. Ceci est explicité par la description du brevet EP209, au paragraphe [48], qui indique "Grâce à la récurrence de ses enregistrements de mesures de niveaux de carburant et à la combinaison avec des données de géolocalisation, d'horodatage et de statut de fonctionnement du moteur, l'invention permet de délivrer de calculs d'émission de CO2 par zone géographique sur des périodes précises". 26. Dès lors, le système décrit par le brevet Gilchrist, en ce qu'il permet une identification des consommations de carburant en combinaison avec des données de géolocalisation, d'horodatage et de statut de fonctionnement du moteur, permet aussi de facto un calcul d'émissions de CO2 réelles et divulgue implicitement la caractéristique B de la revendication 1 du brevet EP209. b) Sur le module de contrôle sédentaire (caractéristiques G, T, V, W, X et Y) 27. Le brevet EP209 revendique un "Système électronique de surveillance comprenant (...) un outil de contrôle sédentaire (2) auquel le boîtier embarqué (10) est apte à être connecté par voie filaire ou non, - le boîtier embarqué (10) comprend en outre un module de traitement de données (104) capable de détecter une chute de niveau de carburant à position géographique constante à partir des lignes de données (LD/H) successives enregistrées T) et de communiquer, lorsqu'une chute de carburant à position géographique constante, et donc pour un appareil à l'arrêt, est détectée, une alerte (AL) à l'outil de contrôle (2) en temps réel ou en différé lorsque le boîtier (10) est connecté à l'outil de contrôle (2), U) le module de traitement de données (104) étant également apte à communiquer des lignes de données (LD/H) à l'outil de contrôle (2) ; V) - l'outil de contrôle (2) est apte à être connecté au boîtier embarqué (10) par voie filaire ou non W) et comprend au moins une mémoire (20) pour enregistrer les alertes (AL) et les lignes de données (LD/H) communiquées par le boîtier embarqué (10), X) une unité de traitement de données (21) et Y) un écran (22) pour afficher les alertes (AL) et les données communiquées par le boîtier embarqué (10)." 28. Il s'évince de ce texte que le dispositif comporte un outil de contrôle sédentaire connecté au boîtier embarqué, comportant une mémoire pour enregistrer les alertes, une unité de traitement des données et un écran pour afficher les alertes. 29. Dans le document Gilchrist, les données collectées par le fuel monitoring device (équivalent du boîtier embarqué) sont à destination du end user (utilisateur final), dont il est précisé qu'il est celui qui exploite le véhicule ou la flotte de véhicules [38], et il précise "the information may be sent to any suitable device or a plurality of devices, such as a computer terminal, or a mobile phone"[39].Il n'est pas contestable qu'un équipement adapté à la réception des données de géolocalisation, horodatage et variation des niveaux de carburant comporte nécessairement une mémoire pour enregistrer les alertes, une unité de traitement des données et un écran pour afficher les alertes, éléments présents sur les deux exemples fournis d'un terminal d'ordinateur et d'un téléphone mobile. Quant au caractère sédentaire de l'outil de contrôle, le terminal d'ordinateur énoncé par le document Gilchrist est bien sédentaire. 30. Le document Gilchrist divulgue donc les caractéristiques G, T, V, W, X et Y de la revendication 1 du brevet EP209. c) Sur le système d'étalonnage du capteur spécifique adapté à chaque réservoir (caractéristique K) 31. Le brevet EP209 revendique :"I) - le boîtier embarqué (10) comprend : J). au moins un connecteur (101) pour la connexion à au moins un capteur spécifique (14) de niveau de carburant capable de prendre des mesures quantitatives de niveau du carburant entre une paroi haute et une paroi basse du réservoir (12) et pour la réception, par le boîtier (10), de données de niveau de carburant en provenance de ce capteur (14), K) le capteur spécifique (14) étant étalonné préalablement à la mise en service du système électronique de telle façon que chaque valeur de sortie du capteur (14) est associée de manière bijective à une position du niveau de carburant entre la paroi haute et la paroi basse du réservoir (12) et à un volume précis de carburant restant dans le réservoir quel que soit le niveau de carburant entre la paroi haute et la paroi basse." 32. Il s'évince de ce texte que le ou les capteurs spécifiques du niveau de carburant dans le réservoir sont étalonnés avant mise en service pour être associés à des valeurs permettant l'évaluation précise du volume de carburant restant dans le réservoir.La description explique que le suivi de la consommation de carburant, dans les systèmes de surveillance connus, reposait sur la mesure de la consommation non pas à partir de la quantité de carburant dans le réservoir mais par un débitmètre mesurant la quantité dispensée au moteur ([34] et [119]). Elle décrit l'étalonnage du capteur de niveau pour prendre des mesures sur toute la hauteur du réservoir ([24]) ; elle décrit également une démarche de "calibration" du réservoir manuelle ou automatique selon le degré de précision souhaité ([135] à [162]) mais, comme la société Opimum Automotive le souligne à juste titre, la revendication 1 n'évoque aucun étalonnage spécifique du réservoir, mais seulement du (ou des) capteur(s). 33. Dans le document Gilchrist, plusieurs types de capteurs du niveau de carburant sont décrits ([14] à [18]) et leur étalonnage est recommandé au paragraphe [19] dans les termes suivants : "le dispositif de surveillance de carburant est avantageusement configuré avec les paramètres d'étalonnage d'un certain nombre de capteurs de réservoir de carburant d'usage courant, permettant ainsi au dispositif d'être commuté sur un réglage pré-étalonné approprié au type de capteur de réservoir de carburant utilisé dans le véhicule", afin que les données qu'ils émettent reflètent le niveau de carburant dans le réservoir. 34. Le document Gilchrist divulgue donc la caractéristique K de la revendication 1 du brevet EP209. 35. La revendication 1 du brevet EP209 se trouve toute entière dans le brevet américain Gilchrist noUS20110140877A1 intitulé "fuel monitoring apparatus and methods" publié le 16 juin 2011 sous priorité de brevets anglais des 22 août 2008 et 13 janvier 2009, avec les mêmes éléments qui la constituent, dans la même forme, le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique de sorte qu'il y a lieu de l'annuler. 36. Toutes les demandes de la société ADD fondées sur sa contrefaçon sont donc rejetées. 2 . Sur la nouveauté des autres revendications du brevet EP209 37. La société Optimum Automotive soutient que le brevet américain Gilchrist précité prive également de nouveauté les revendications 4 à 7, 9 à 11 et 15 à 20 du brevet EP209 et cite pour chacune d'entre elles, les extraits qui lui paraissent pertinents du document Gilchrist. 38. La société DI2S et son liquidateur soutiennent que la nullité de la revendication 1entraîne celle des revendications 2 à 13, qui en sont totalement dépendantes, sans autre démonstration. 39. La société ADD soutient que la société DI2S et son liquidateur ne démontrent aucunement le défaut de nouveauté qu'ils allèguent et que la société Optimum Automotive ne conteste pas la nouveauté des revendications 2, 3, 8, 12, 13 et 14 et est très synthétique dans ses attaques de nouveauté contre les autres revendications. Sur ce, 40. Les défenderesses soulèvent la nullité de revendications du brevet qui ne leur sont pas opposées au titre de la contrefaçon. La demanderesse n'opposant pas l'irrecevabilité de ces demandes, il y a lieu de les examiner. 41. Les revendications 2 et 3 du brevet EP209, qui portent sur le mode de détection du statut en fonctionnement du moteur, sont dépendantes de la revendication 1. Ce seul raisonnement est insuffisant pour démontrer l'absence de nouveauté de ces revendications et aucune des parties ne l'établit par d'autres éléments.Il en est de même de la revendication 8 qui porte sur l'ajout d'une connexion du boîtier à la clé de contact, de la revendication 12 qui porte sur le statut en fonctionnement d'une fonction de travail annexe, et des revendications 13 et 14 qui portent sur des modalités particulières de placement du capteur.La revendication 5 du brevet EP209 porte sur le dispositif décrit dans la revendication 4 caractérisé en ce que l'outil de contrôle peut comporter une interface permettant la saisie de données autres que celle relatives au remplissage du réservoir pour détecter des incohérences.Les défenderesses ne démontrent pas d'antériorité de cette revendication. Il n'y a donc pas lieu de les annuler. 42. La revendication 4 du brevet EP209 porte sur le dispositif décrit dans la revendication 1 caractérisé en ce qu'il peut détecter une hausse du niveau de carburant à position géographique constante et adresser un signal spécifique en ce cas qui correspond à un remplissage.Cet effet est l'objet principal des deux brevets de la surveillance du niveau de carburant dans le réservoir croisée avec des données régulières de géolocalisation et d'horodatage, y compris lorsque le moteur ne tourne pas.Le paragraphe [47] du document Gilchrist indiquait déjà "la corrélation des informations de niveau de carburant, des informations de position et de vitesse du véhicule et du niveau d'octane du carburant permet l'identification d'événements de vol de carburant comprenant l'ajout d'eau dans un réservoir de carburant". 43. Les revendications 6 et 7 du brevet EP209 portent sur la périodicité entre deux enregistrements de données : entre 60 et 120 secondes pour la première, 85 et 95 pour le seconde.Le paragraphe[69] du document Gilchrist indiquait déjà que le dispositif pouvait "surveiller les données relatives au niveau de carburant en temps réel en recevant et en enregistrant les données relatives au niveau de carburant à intervalles réguliers (par exemple, toutes les minutes, ou toutes les 10 secondes, ou toutes les secondes ou à tout intervalle de temps régulier)". 44. La revendication 9 du brevet EP209 porte sur la présence dans le boîtier de contrôle d'un module d'étalonnage du capteur de niveau de carburant. Les défenderesses soutiennent sans être contredites que l'étalonnage préalable de tout capteur est indispensable à son fonctionnement et fait partie des connaissances générales de la personne du métier.De plus, ainsi qu'il a été dit au point 32 supra, le paragraphes [14] à [19] document Gilchrist fournissent plusieurs types de capteurs du niveau de carburant, parmi lesquels des flotteurs, et le paragraphe [19] précité prévoit que l'outil de contrôle pré-étalonne les capteurs de niveau. 45. Les revendications 10 et 11 du brevet EP209 portent sur la capacité de l'unité de traitement équipant l'outil de contrôle à calculer la consommation réelle de l'appareil et la consommation de CO2 à partir des lignes de données enregistrées.Il a été vu supra que le document Gilchrist divulgue cette fonction puisqu'il décrit un dispositif permettant de "surveiller les données relatives au niveau de carburant en temps réel en recevant et en enregistrant les données relatives au niveau de carburant à intervalles réguliers (par exemple, toutes les minutes, ou toutes les 10 secondes, ou toutes les secondes ou à tout intervalle de temps régulier)", ce qui permet, avec la même précision de calculer les émission de CO2 à partir des mêmes données. 46. La revendication 15 du brevet EP209 décrit le boîtier embarqué et la revendication 16 l'outil de contrôle connecté de la revendication 1, dont la divulgation par le document Gilchrist a été démontrée supra. 47. La revendication 17 du brevet EP209 porte sur le procédé de surveillance mis en oeuvre à l'aide de la revendication 1. Celle-ci étant dépourvue de nouveauté, le procédé la mettant en oeuvre est dans le même cas, ainsi que les revendications 18, 19 et 20, qui prévoient que la détermination des étapes suivies par l'outil de contrôle s'effectue selon les instructions d'un programme d'ordinateur exécuté par un micro-processeur lisible sur un ordinateur. 48. Il y a donc lieu d'annuler les revendications 4, 6, 7, 9, 10, 11 et 15 à 20 du brevet EP209 comme dépourvues de nouveauté. II . Sur les demandes reconventionnelles 49. La société DI2S fait valoir que - la société ADD a commencé en février 2018 des manoeuvres visant à exercer une pression sur une start-up qui commençait à générer des marques d'intérêts de la part d'acteurs économiques importants, l'obligeant à mener des études juridiques et technologiques poussées et coûteuses sur l'ensemble des revendications d'un brevet qui apparaissait alors comme un brevet de barrage compte tenu de ses nombreuses caractéristiques dépourvues de nouveauté et d'activité inventive,- l'action en contrefaçon a été utilisée comme une arme de déstabilisation d'un jeune concurrent et donc constitue un acte de concurrence déloyale. 50. La société Optimum Automotive soutient que la société ADD utilise malicieusement son brevet pour tenter d'écarter une solution bien meilleure que celle qu'elle propose, et qu'il y a lieu d'en informer le public par la publication d'un communiqué judiciaire. 51. La société ADD s'y oppose. Sur ce, 52. La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité civile édicté par l'article 1240 du code civil, consiste en des agissements s'écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans la vie des affaires. 53. Il n'est pas démontré que les deux démarches (mise en demeure et saisie-contrefaçon 18 mois plus tard) sur lesquelles la société DI2S fonde ses griefs aient été abusives ou conduites afin de nuire et non de faire respecter ses droits de propriété industrielle.Il y a donc lieu de rejeter la demande. 54. Pour la même raison, la demande de publication du dispositif du présent jugement sur le site internet de la société ADD et d'un communiqué dans la presse aux frais de la société ADD sont rejetées. III . Dispositions finales 55. La société ADD, qui succombe, est condamnée aux dépens de l'instance et à payer à chacun des deux défendeurs la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 56. La nature et l'ancienneté de l'affaire justifient le prononcé de l'exécution provisoire, sauf en ce qui concerne l'inscription au registre national des brevets conformément aux dispositions des articles L.613-27 et R.613-54 du code de la propriété intellectuelle. PAR CES MOTIFS Annule les revendications 1, 4, 6, 7, 9, 10, 11 et 15 à 20 de la partie française du brevet EP 2 502 209 pour défaut de nouveauté ; Dit que la décision une fois définitive sera transmise à l'INPI pour être inscrite au registre national des brevets à l'initiative de la partie la plus diligente ; Rejette la demande reconventionnelle en concurrence déloyale de la société DI2S et son liquidateur ; Déboute la société ADD de l'ensemble de ses demandes ; Déboute la société DI2S et la société Optimum Automotive de leurs demandes de publication du présent jugement ; Condamne la société ADD aux dépens de l'instance, qui pourront être directement recouvrés par Me Charles-Antoine Joly dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ; Condamne la société ADD à payer à la société Optimum Automotive la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; Condamne la société ADD à payer à la société DI2S la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; Ordonne l'exécution provisoire sauf en ce qui concerne l'inscription au registre national des brevets. Fait et jugé à Paris le 15 Septembre 2023 Le Greffier Pour la PrésidenteQuentin CURABET Régulièrement empêchée Irène BENAC
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JURITEXT000048389790
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 22 septembre 2023, 21/02398
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2023-09-22
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Tribunal judiciaire de Paris
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21/02398
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CT0196
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TRIBUNALJUDICIAIREDE PARIS 3ème chambre 2ème section No RG 21/02398No Portalis 352J-W-B7F-CTZ7W No MINUTE : Assignation du :21 Janvier 2021 JUGEMENT rendu le 22 Septembre 2023 DEMANDERESSE FONDATION DES SCIENCES DU PATRIMOINE[Adresse 2][Localité 5] représentée par Maître Sophie VIARIS DE LESEGNO de la SELEURL SVL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0166 DÉFENDERESSES Madame [O] [X][Adresse 1][Localité 4] représentée par Maître Olivier BOYER de la SEP DOLFI MISSIKA MINCHELLA SICSIC ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #W0011 S.A. TALLANDIER ÉDITIONS[Adresse 3][Localité 4] représentée par Maître Renaud LE GUNEHEC de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0141 Copies délivrées le :- Maître VIARIS DE LESEGNO #L166 (ccc)- Maître BOYER #W11 (exécutoire)- Maître LE GUNEHEC #P141 (exécutoire)COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Irène BENAC, Vice-PrésidenteMadame Anne BOUTRON, Vice-présidenteMonsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge assistés de Monsieur Quentin CURABET, Greffier DEBATS A l'audience du 01 Juin 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile. Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 22 septembre 2023 JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe ContradictoireEn premier ressort EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. La Fondation des Sciences du Patrimoine (ci-après FSP), fondée par cinq établissements publics ([8], [7], [6], les universités de [Localité 9] et [Localité 5]) et créée par arrêté du 24 janvier 2013, a pour objet de "concourir par tous moyens au développement et à la réalisation de programmes de recherche, de valorisation et de formations dans le domaine des sciences du patrimoine culturel". 2. Mme [O] [X] est une historienne spécialiste du XVIIIème siècle. Elle est l'auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels Louis XVI (Fayard, 1985), Marie-Antoinette (Fayard, 1991), Marie-Antoinette, la dernière reine (Gallimard, 2000), Marie-Antoinette, journal d'une reine (Robert Laffont, 2002), L'Affaire du collier (Fayard, 2004), Marie-Antoinette - Correspondance (1770-1793) (Tallandier, 2005), C'était Marie-Antoinette (Fayard, 2006), Marie-Antoinette, Un destin brisé (RMN, 2006) et Marie-Antoinette, telle qu'ils l'ont vue (Omnibus, 2014). 3. La SA Tallandier éditions est une société d'édition. 4. La FSP a soutenu en 2014 un projet intitulé Recherches sur l'extraction et l'exploitation des tracés sous-jacents dans les manuscrits anciens : application aux lettres de Marie-Antoinette et désigné sous Rex, portant sur l'analyse et le décryptage de correspondances échangées entre la reine Marie-Antoinette et le comte Axel de Fersen, dont l'État français est propriétaire et dont plusieurs passages ont été caviardés afin de rendre leur lecture impossible.Ce projet a été poursuivi par les Archives nationales, le Centre de recherches sur la conservation et le laboratoire Dypas (Rex II). 5. Par lettre du 27 novembre 2018, la FSP a confié à la société Electron libre productions la réalisation d'un documentaire destiné à présenter ce travail, en révélant les méthodes et techniques d'analyse utilisées et en dévoilant certains extraits des passages inédits des correspondances précitées lesquels devaient rester confidentiels. 6. Par contrat du 20 novembre 2019, la société Electron libre productions a confié à Mme [X] l'écriture du scénario de ce documentaire. Celui-ci a été diffusé à la télévision pour la première fois le 13 septembre 2020. 7. Indiquant avoir découvert en septembre 2020, que la société Tallandier éditions prévoyait de publier, le 1er octobre 2020, un ouvrage de Mme [X] intitulé Le grand amour de Marie-Antoinette – Lettres secrètes de la reine et du comte de Fersen intégrant des passages inédits, pour partie issus d'un document confié à la société Electron libre productions pour la réalisation du documentaire, la FSP a assigné Mme [X] et son éditeur devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de suspension de la publication pour atteinte à ses droits d'exploitation d'une oeuvre posthume. Par ordonnance du 30 septembre 2020, le juge des référés a rejeté la demande. 8. Par actes signifiés le 21 janvier 2021, la FSP a fait assigner Mme [X] et la société Tallandier éditions devant le tribunal judiciaire en réparation du préjudice résultant d'agissements parasitaires. 9. Par ordonnance du 8 juillet 2022, le juge de la mise en état a rejeté les demandes d'annulation des assignations, de communication de pièces ainsi que la demande de communication de pièces formée par la FSP et a renvoyé au tribunal les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité et d'intérêt à agir soulevées par les défendeurs. 10. Dans ses dernières conclusions signifiées le 1er mars 2023, la Fondation des sciences du patrimoine demande au tribunal de :- condamner in solidum Mme [X] et la société Tallandier éditions à lui payer la somme de 50.000 euros en réparation de son préjudice patrimonial et celle de 30.000 euros au titre de son préjudice moral ;- interdire à la société Tallandier éditions de commercialiser et diffuser l'ouvrage de Mme [X] intitulé Le grand amour de Marie-Antoinette – Lettres secrètes de la reine et du comte de Fersen, sous astreinte ; - lui enjoindre de procéder au rappel de l'ouvrage, sous astreinte, ou alternativement ordonner l'insertion sur divers supports d'un encart mentionnant que cet ouvrage ne constitue pas la publication officielle des résultats du projet scientifique Rex et a été publié sans son autorisation, ni validés scientifiquement ; - ordonner la publication du jugement à intervenir ;- condamner in solidum Mme [X] et la société Tallandier éditions aux dépens, dont distraction au profit de la SELARL SVL Avocat, et à lui payer la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 11. Dans ses dernières conclusions signifiées le 30 mars 2023, Mme [X] demande au tribunal de constater le défaut de qualité et d'intérêt à agir de la FSP.Sur le fond, elle conclut au débouté de l'ensemble des demandes de la Fondation des Sciences du Patrimoine et sa condamnation à lui verser une somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à sa réputation et à son image et une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 12. Dans ses dernières conclusions signifiées le 28 février 2023, la société Tallandier éditions demande au tribunal de déclarer la FSP irrecevable en son action ou, à défaut, de la débouter de l'ensemble de ses demandes.A titre reconventionnel, elle demande sa condamnation à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l'article 1240 du code civil, à raison du caractère téméraire et abusif de l'action et celle de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SCP Normand et Associés. 13. L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 avril 2023. MOTIVATION I . Sur les fins de non recevoir 14. La FSP fait valoir que :- elle a qualité à agir, la réalisation du documentaire entrant dans son objet social statutaire ; - elle a un intérêt à agir du fait de la révélation des résultats confidentiels du projet Rex II dans une forme non validée scientifiquement en y associant son nom et obtenus en violation d'une clause de confidentialité et de son droit exclusif de divulgation. 15. Mme [X] fait valoir qu'une fondation ne peut exercer une action dans l'intérêt commun de ses membres puisqu'elle n'a, juridiquement, que des fondateurs et, s'agissant de la défense d'un intérêt collectif, celui-ci doit entrer strictement dans l'objet social de la fondation et dans l'oeuvre d'intérêt général qu'elle exerce alors que la présente action est étrangère à son objet social et n'a été intentée que dans l'intérêt particulier de Mme [T], qui devait publier un ouvrage concurrent au sien. 16. La SA Tallandier éditions soutient les mêmes moyens estimant que la présente action, qui vise à entraver la publication d'un ouvrage de librairie écrit par une historienne, est incompatible avec les missions et l'objet statutaire de la FSP, censée mettre les résultats de ses recherches à disposition des enseignants, des chercheurs et du public, ce qui est le cas du projet Rex II dont les résultats étaient destinés à être rendus publics. Sur ce, 17. En application des articles 30 et 31 du code de procédure civile, l'action, qui est le droit pour l'auteur d'une prétention d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée, est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.L' article 18, alinéa 1, de la loi du 23 juillet 1987 dispose qu'une fondation est "l'acte par lequel une ou plusieurs personnes physiques ou morales décident l'affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d'une oeuvre d'intérêt général et à but non lucratif." 18. Au termes des statuts de la FSP du 18 juin 2018 a été créée pour "favoriser l'émergence de la science du patrimoine et contribuer au lien entre recherches, formation et usages publics du savoir" et son objet a été rappelé au point 1 supra. 19. La FSP a la capacité juridique, et notamment celle d'ester en justice, depuis la date du décret qui l'a créée, de sorte qu'elle a qualité à agir. 20. Il est démontré qu'elle a soutenu et financé les travaux du projet Rex II dans le cadre de son objet et que la présente action est en lien avec l'utilisation des résultats de ce projet de recherche. Le fait qu'elle poursuive une mission d'intérêt général à but non lucratif de diffusion et de valorisation des résultats de ses recherches dans l'intérêt du public n'interdit nullement qu'elle souhaite garder la maîtrise et la primeur de la révélation des résultats des recherches et poursuivre en justice un usage qu'elle estime illicite de ces résultats.Elle justifie donc de son intérêt à agir. 21. Les fins de non recevoir sont donc écartées. II . Sur la demande de rejet de la pièce no38 de la demanderesse 22. Mme [X] soutient que la pièce adverse no 38 (contrat conclu entre elle et la société Electron libre productions) doit être écartée car le juge de la mise en état a rejeté la demande de production forcée et l'a jugée inutile à la solution du litige, de sorte qu'il s'agit d'une violation de cette décision.La SA Tallandier éditions s'associe à la demande, quoique cette clause ne la concerne pas. 23. La FSP fait valoir qu'il était de son intérêt de connaître les gains de Mme [X] dans le cadre de ce contrat, raison pour laquelle elle a demandé la communication intégrale de cet acte au juge de la mise en état et que celui-ci n'a pas interdit la production de cet acte. Sur ce, 24. La FSP a produit le contrat liant Mme [X] et la société Electron libre productions et comportant une clause de confidentialité des informations portée à sa connaissance pour la réalisation du documentaire sur le projet Rex. 25. La circonstance que le juge de la mise en état ait refusé sa production forcée ne justifie aucunement le rejet de cette pièce. Aucun autre motif n'étant soutenu, il y a lieu de rejeter la demande. III . Sur la demande principale 26. La FSP fait valoir que :- la jurisprudence sanctionne au titre du parasitisme l'appropriation du résultat du travail intellectuel ou des efforts de recherche d'autrui et le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un préjudice ; - en publiant un ouvrage reprenant le fruit des recherches inédites et confidentielles du projet Rex, tels qu'il apparaissait dans le document confidentiel communiqué lors de la réalisation du documentaire et en violant délibérément une clause de confidentialité, Mme [X] et la société Tallandier éditions ont indûment profité des recherches de la fondation et de ses efforts d'investissement, réalisant des économies substantielles, pour obtenir un avantage commercial propre ;- cette divulgation fait référence à la FSP et au projet REX (pages 11-12 et 241-242 de l'ouvrage, référence au décaviardage sur la quatrième de couverture et durant les campagnes de promotion) pour publier des résultats non validés scientifiquement et avant la divulgation officielle qu'elle comptait faire et donne ainsi l'apparence d'être cette divulgation officielle qui avait été annoncée le 6 juin 2020 ; - les défenderesses ont ainsi supplanté les publications officielles qui étaient parallèlement en cours tant par la publication de l'ouvrage à paraître aux éditions Michel Lafon au mois d'octobre 2021 et lors des journées interdisciplinaires annoncées pour les 21 et 22 janvier 2021 ;- toute la valeur commerciale de l'oeuvre litigieuse réside dans la révélation des passages inédits permise grâce au projet Rex ;- l'exception de la courte citation ne peut être invoquée, faute de divulgation du projet au moment de la publication de l'oeuvre litigieuse ;- les défenderesses ont dénaturé son travail en ce que l'ouvrage litigieux reprend des passages inédits du document confidentiel qui ont été corrigés par la suite, certains passages sont associés au projet Rex alors qu'ils n'en sont pas tirés, et certains passages raturés ou caviardés sont omis ;- la clause de confidentialité est valide et proportionnée ;- elle a réalisé de nombreux investissements financiers, humains et intellectuels ;- les agissements fautifs des défenderesses lui ont causé un préjudice économique consistant dans un gain manqué causé par la divulgation des passages inédits, alors que le plan de communication et de divulgation des résultats scientifiques était une phase importante du projet de recherche, et un préjudice moral. 27. Mme [X] soutient que :- aucun parasitisme économique ne peut avoir été subi, puisque la mission de la FSP est de faciliter la consultation des données et archives ;- la reproduction incriminée ne porte que sur quelques phrases minimes, la plupart des documents ayant déjà été publié antérieurement : parmi les 1.335 signes de la correspondance non déjà publiés, 123 avaient été révélés dans le cadre de la communication de novembre 2015 du projet Rex, 181 avaient été publiés dans un article du Monde en juin 2020, 141 dans un article de Télérama en juin 2020 et 121 dans le cadre du documentaire, avant la parution de son livre ;- elle n'a pas cherché à se placer dans le sillage de la FSP, ayant elle-même une renommée suffisante, et ne l'a citée que dans une volonté de citer ses sources, sans laisser entendre avoir participé aux recherches ;- il ne peut y avoir parasitisme si le prétendu parasite démontre qu'il a lui-même réalisé des investissements réels et sérieux en relation, ce qui est le cas ;- on ne saurait lui reprocher la violation de son obligation de confidentialité, nulle au demeurant comme ayant un objet trop large, par la communication de quelques phrases décaviardées dans le cadre du projet Rex après la diffusion du documentaire et la FSP est irrecevable à s'en plaindre, n'en étant pas bénéficiaire ; - il n'existe pas de dénaturation des résultats du projet, puisqu'il ne s'agit que de quatre modifications minimes ;- l'article L. 311-2 al 4 du code des relations entre le public et l'administration prévoit que "Le droit à communication ne s'exerce plus lorsque les documents font l'objet d'une diffusion publique", ce qui est le cas en l'espèce ;- elle n'est pas de mauvaise foi, la divulgation ayant eu lieu après la diffusion du documentaire et dans l'ignorance du projet de publication de Mme [T], dont il n'est d'ailleurs pas démontré qu'il s'agisse de la divulgation officielle des résultats du projet Rex ;- les préjudices allégués ne sont pas caractérisés et les mesures d'interdiction et de publication demandées sont disproportionnées. 28. La SA Tallandier éditions conclut que :- le fait de citer ses sources, ce que Mme [X] a très clairement fait par un hommage appuyé aux auteurs du projet Rex, démontre l'absence de volonté de se placer dans le sillage ou d'emprunter la notoriété d'autrui ;- les passages "décaviardés" ne constituent qu'une infime partie du livre de Mme [X] (10 pages sur 384, 2430 signes sur les 250.000 de la seule correspondance) ;- elle ne connaissait pas l'existence d'une clause de confidentialité et le projet Rex n'était aucunement confidentiel ;- ni les investissements, ni le préjudice de la Fondation des Sciences du Patrimoine ne sont démontrés ;- la dénaturation alléguée n'est pas réelle et la FSP, étroitement associée à la réalisation du documentaire, a accepté la divulgation de ces résultats qu'elle juge aujourd'hui "non validés scientifiquement" ;- l'interdiction du livre serait disproportionnée au regard de la mise en balance de l'intérêt économique défendu avec la liberté académique protégée par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Sur ce, 29. La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité édicté par l'article 1240 du code civil, consiste dans des agissements s'écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans les activités économiques et régissant la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre opérateur, parasitaires ou encore, ceux constitutifs d'actes de dénigrement ou de désorganisation d'une entreprise. 30. Le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (Com., 10 juillet 2018, pourvoi no16-23.694). 31. Le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage (Ass. plén, 6 octobre 2006, pourvoi no05-13.255, publié). 32. L'article 14 du contrat liant Mme [X] à la société Electron libre productions du 20 novembre 2019 stipule : "L'Auteur s'engage à une obligation stricte et absolue de confidentialité sur le principe et les modalités du présent contrat, ainsi que sur tous événements, actes, documents et plus généralement tous éléments d'informations dont il aurait connaissance en relation directe ou indirecte avec la préparation, la production et ou la diffusion du Programme, le contenu du Programme, ses participants et intervenants divers. Cette obligation de confidentialité sera applicable tant pendant la durée du présent contrat qu'après le terme de celui-ci et ce, pour une durée de 5 (cinq) ans. Tout manquement à l'obligation de confidentialité ci-dessus serait susceptible d'engager la responsabilité de l'auteur ; l'obligation de confidentialité précitée est une condition essentielle et déterminante du présent contrat." 33. La FSP démontre que Mme [X] a reproduit, dans son ouvrage, des extraits de lettres qu'elle avait nécessairement obtenus dans le cadre de son contrat avec la société Electron libre productions, certains passages n'ayant jamais été publiés, ni dans le documentaire, ni dans des publications antérieures, et d'autres ayant été modifiés ultérieurement.Or, elle était tenue à une obligation de confidentialité de tous les éléments d'information portés à sa connaissance dans le cadre de la réalisation de ce documentaire. Il est indifférent à cet égard que cette clause n'ait pas été directement conclue au bénéfice de la FSP dès lors que c'est bien elle qui avait expressément demandé la confidentialité des éléments remis pour la réalisation du documentaire. 34. La FSP invoque le non respect de la clause de confidentialité uniquement pour caractériser les "agissements déloyaux et parasitaires commis" qui sont le fondement exclusif de ses demandes et n'invoque aucun préjudice résultant de la seule violation de l'engagement de confidentialité souscrit par Mme [X] auprès de la société Electron libre production. 35. Les articles L.311-1, 1, L. 321-1 et L. 323-1 du code des relations entre le public et l'administration, la réutilisation des informations publiques est soumise à la condition que ces dernières soient achevées, ne soient pas altérées, que leur sens ne soit pas dénaturé et que leurs sources et la date de leur dernière mise à jour soient mentionnées, et peut donner lieu au paiement d'une redevance. 36. La FSP invoque ces textes mais ne forme aucune prétention sur leur fondement. 37. La FSP établit avoir effectué des investissements à l'appui du projet Rex II : son conseil d'administration a ainsi décidé de l'octroi d'un financement de 55.000 euros en juillet 2017.Le prestige des fondateurs de la FSP caractérise sa notoriété. 38. Le livre de Mme [X] est un ouvrage de vulgarisation historique qui narre les relations de la reine Marie-Antoinette et du comte de Fersen, dans le contexte historique des années 1774 à 1793, décrit de façon très circonstanciée, et reproduit leur correspondance.Dans son avant-propos (pages 11 et 12 de la première édition) puis dans l'introduction des textes intégraux des lettres (pages 241 et 242) ainsi que sur la quatrième de couverture, Mme [X] évoque le "décaviardage" de passages de ces lettres par "une collaboration inédite entre les Archives nationales, la Fondation des sciences de Patrimoine et le Centre de recherche sur la conservation", en citant nommément les différents intervenants à cette recherche.L'ouvrage n'a ainsi aucunement pour objet de présenter les résultats du projet Rex. Au contraire, s'agissant des ratures de ces lettres, il indique "on s'intéressa plus à cette énigme qu'au contenu politique de ces lettres qui est pourtant d'une importance capitale pour comprendre la politique menée par le couple royal" (pages 241).La FSP ne saurait être suivie lorsqu'elle soutient que "toute sa valeur commerciale réside dans la révélation des passages inédits permise grâce au projet REX". 39. Le grand amour de Marie-Antoinette – Lettres secrètes de la reine et du comte de Fersen, livre historique dépourvu d'illustrations de 375 pages couvrant la période de 1774 à 1793, est bien différent des travaux de la FSP de valorisation du patrimoine et plus particulièrement, s'agissant du projet Rex, de l'extraction et l'exploitation des tracés sous-jacents dans les manuscrits anciens.Il suffit à cet égard de le comparer au livre que la FSP présente comme la divulgation officielle des résultats du projet Rex, intitulé Marie-Antoinette & Axel de Fersen – Correspondance secrète, paru en octobre 2021, qui comporte 279 pages très abondamment illustrées, offrant 17 pages de développements sur le projet Rex et se concentrant sur la correspondance échangée en 1791 et 1792, pour observer qu'il existe une nette différence de nature et d'objet entre le travail de Mme [X] et celui de la FSP. 40. Si Mme [X] a pu tirer un bénéfice de la divulgation du projet Rex, en ce que cet événement d'actualité lui a permis de publier un nouveau livre sur un de ses sujets de prédilection dans un contexte d'intérêt renforcé du public, cette divulgation avait déjà eu abondamment lieu par la diffusion du documentaire télévisé précité et de différents articles de presse, sans faute de sa part.En revanche, les passages inédits qu'elle a reproduits dans sa deuxième partie ne sont aucunement mis en exergue et n'ont apporté aucune plus-value au livre querellé. 41. Les faits de parasitisme allégués ne sont donc pas constitués.Au surplus, il n'est pas démontré de préjudice personnel, direct et certain de la FSP, en l'absence de risque de confusion dans l'esprit du public ou d'entrave à la publication ultérieure des résultats du projet. 42. Il y a donc lieu de rejeter l'ensemble des demandes de la FSP, toutes fondées sur le grief de parasitisme. IV . Sur les demandes reconventionnelles en dommages-intérêts 43. Mme [X] fait valoir qu'elle a subi une atteinte à son image et à sa renommée du fait de la présente procédure qui est abusive. 44. La SA Tallandier éditions invoque également une action fondée sur des moyens artificiels et témoigne, après le rejet de la demande en référé, d'un acharnement judiciaire fautif. 45. La FSP ne conclut pas sur ces demandes. Sur ce, 46. L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.Le droit d'agir en justice dégénère en abus lorsqu'il est exercé en connaissance de l'absence totale de mérite de l'action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l'autre partie à se défendre contre une action ou un moyen que rien ne justifie sinon la volonté d'obtenir ce que l'on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté. 47. Le fait que la FSP succombe dans ses demandes et qu'elle ait agi au fond après le rejet d'une demande en référé fondée sur les droits d'exploitation d'oeuvres posthumes ne suffisent pas à caractériser un abus dans l'exercice de ses droits. 48. Il y a lieu de rejeter les demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive. V . Dispositions finales 49. La FSP, qui succombe, est condamnée aux dépens et à payer à Mme [X] ainsi qu'à la SA Tallandier éditions la somme de 4.000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS Déboute la Fondation des Sciences du Patrimoine de l'ensemble de ses demandes ; Déboute Mme [O] [X] de sa demande reconventionnelle ; Déboute la SA Tallandier éditions de sa demande reconventionnelle ; Condamne la Fondation des Sciences du Patrimoine aux dépens de l'instance, qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile par la SCP Normand et associés ; Condamne la Fondation des Sciences du Patrimoine à payer à Mme [O] [X] la somme de 4.000 euros au titre de la de l'article 700 du code de procédure civile ; Condamne la Fondation des Sciences du Patrimoine à payer à la SA Tallandier éditions la somme de 4.000 euros au titre de la de l'article 700 du code de procédure civile. Fait et jugé à Paris le 22 Septembre 2023 Le Greffier La PrésidenteQuentin CURABET Irène BENAC
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JURITEXT000048389791
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 27 septembre 2023, 18/13437
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2023-09-27
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Tribunal judiciaire de Paris
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18/13437
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 18/13437 - No Portalis 352J-W-B7C-COHLH No MINUTE : Assignation du :29 octobre et 3 novembre 2018 JUGEMENT rendu le 27 septembre 2023 DEMANDERESSES Société ARCADOPHTA[Adresse 1][Localité 3] S.A.S. BVI FRANCEintervenante volontaire[Adresse 7][Adresse 7][Localité 3] représentées par Maîtres Benjamin MAY et Louis JESTAZ de la SELARL ARAMIS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #K0186 DÉFENDERESSES Société AL.CHI.MI.A[Adresse 9][Localité 6] (ITALIE) S.A. OPHTA FRANCE[Adresse 2][Localité 4] représentées par Maître Loïc LEMERCIER de L'AARPI DENTONS EUROPE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P372 COMPOSITION DU TRIBUNAL Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjointAnne BOUTRON, vice-présidenteLinda BOUDOUR, juge assistés de Lorine MILLE, greffière, DÉBATS A l'audience du 08 décembre 2022 tenue en audience publique devant Jean-Christophe GAYET et Linda BOUDOUR, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir donné lecture du rapport, puis entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 19 avril 2023 puis prorogé en dernier lieu au 27 septembre 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort ________________________________ EXPOSE DU LITIGE La SARL ARCADOPHTA a pour activité la création, le développement, la fabrication et la commercialisation de dispositifs médicaux destinés à la chirurgie vitréo-rétinienne. Elle commercialise des dispositifs dénommés « ARCEOLE », notamment des « kits » d'injection prêts à l'emploi de gaz ophtalmiques destinés au tamponnement interne de la rétine, visant selon elle à faciliter l'usage de ces gaz ophtalmiques par le praticien au bloc opératoire. Elle est titulaire du brevet européen no EP 1 589 926 (ci-après EP 926) intitulé « dispositif et procédé de préparation extemporanée d'une quantité individuelle de fluide stérile », déposé le 24 décembre 2003 sous priorité du brevet français no FR 0301334 et délivré le 1er octobre 2008. Ce brevet a fait l'objet d'une opposition par la société de droit italien AL.CHI.MI.A. Par décision du 16 juillet 2012, la division d'opposition de l'Office européen des brevets (ci-après OEB) a maintenu le brevet EP 926 dans une forme modifiée compte tenu des modifications apportées par la société ARCADOPHTA au cours de la procédure d'opposition. Par décision du 18 octobre 2017, la chambre de recours technique de l'OEB a rejeté le recours formé par la société AL.CHI.MI.A. La SAS BVI FRANCE, dont le nom commercial est PHYSIOL FRANCE, a pour activité la fabrication et la commercialisation d'instruments et de dispositifs médicaux dans le domaine de l'ophtalmologie. Elle se présente comme distributeur exclusif en France depuis 2012 des dispositifs de la société ARCADOPHTA dénommés « ARCEOLE SF6 », « ARCEOLE C2F6 », « ARCEOLE C3F8 », « ARCEOLE SF6 Multi », « ARCEOLE C2F6 Multi » et « ARCEOLE C3F8 Multi ». La société de droit italien AL.CHI.MI.A a pour activité la fabrication de dispositifs médicaux destinés à la chirurgie ophtalmologique. Elle commercialise des dispositifs d'administration de gaz intraoculaires en chirurgie rétinienne dénommés « GOT Multi C3F8 », « GOT Multi C2F6 » et « GOT Multi SF6 ». La SA OPHTA FRANCE a pour activité le développement, le négoce, le stockage et la distribution de dispositifs médicaux pour la chirurgie oculaire. Elle distribue en France les dispositifs « GOT Multi C3F8 », « GOT Multi C2F6 » et « GOT Multi SF6 » de la société AL.CHI.MI.A. Estimant que les dispositifs « GOT Multi C3F8 », « GOT Multi C2F6 » et « GOT Multi SF6 » contrefont des revendications du brevet EP 926 dont elle est titulaire, la société ARCADOPHTA a fait procéder à un constat d'huissier sur le site internet <www.alchimiasrl.com> de la société AL.CHI.MI.A selon procès-verbal du 14 juin 2018. Puis, autorisée par ordonnance sur requête du 1er août 2018, la société ARCADOPHTA a fait procéder le 4 octobre 2018 à une saisie-contrefaçon dans les locaux de la pharmacie centrale de l'hôpital [8] à [Localité 5]. C'est dans ces circonstances que par actes d'huissier des 29 octobre et 3 novembre 2018, la société ARCADOPHTA a fait assigner la société AL.CHI.MIA et la société OPHTA FRANCE devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de PARIS en contrefaçon des revendications 1, 2, 3, 7, 8, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 et 23 de la partie française du brevet EP 926. La société BVI FRANCE est intervenue volontairement à l'instance par conclusions notifiées par voie électronique le 22 juin 2020. La société ARCADOPHTA et la société BVI FRANCE ont ensuite fait procéder à deux constat d'huissier, l'un sur le site internet <www.alchimiasrl.com> de la société AL.CHI.MI.A, l'autre sur le site internet <www.ophta-france.com> de la société OPHTA FRANCE, selon procès-verbaux du 1er décembre 2020. Par ordonnance sur incident du 12 février 2021, le juge de mise en état a rejeté la demande de communication formée par la société ARCADOPHTA au titre du droit d'information et l'a condamnée à payer à chacune des défenderesses la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'incident. L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 mars 2022. L'ensemble des parties ayant constitué avocat, le jugement est contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile. PRETENTIONS DES PARTIES Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 janvier 2022, la société ARCADOPTHA et la société BVI FRANCE demandent au tribunal, au visa des articles L. 611-1, L. 611-14, L. 613-3, L. 613-4, L. 615-1, L. 615-7, L. 615-7-1 du code de la propriété intellectuelle, des articles 54 (2), 56, 83, 85 et 138 de la Convention sur le brevet européen, de l'article 1240 du code civil et de l'article 700 du code de procédure civile, de : « DECLARER irrecevable la demande reconventionnelle en nullité de la revendication 12 de la partie française du brevet EP 1 589 926 qui n'est pas opposée au titre de la contrefaçon ; ECARTER des débats le constat d'huissier du 5 octobre 2021 ou, à tout le moins, la brochure reproduite dans ce constat ; DIRE ET JUGER que la partie française du brevet EP 1 589 926 est valable ; DIRE ET JUGER que la société AL.CHI.MI.A. S.R.L., à travers ses dispositifs GOT C3F8 Multi, GOT C2F6 Multi et GOT SF6 Multi, fabrique en Italie, met dans le commerce et exporte sur le territoire français des dispositifs contrefaisant les revendications 1, 2, 3, 7, 8, 14, 16, 17, 18 et 19 de la partie française du brevet EP 1 589 926 de la société ARCADOPHTA ; DIRE ET JUGER que la société OPHTA-FRANCE importe sur le territoire français, commercialise et livre les dispositifs GOT C3F8 Multi, GOT C2F6 Multi et GOT SF6 Multi de la société AL.CHI.MI.A. S.R.L, lesquels contrefont les revendications 1, 2, 3, 7, 8, 14, 16, 17, 18 et 19 de la partie française du brevet européen EP 1 589 926 de la société ARCADOPHTA ; DIRE ET JUGER que la livraison des dispositifs GOT C3F8 Multi, GOT C2F6 Multi et GOT SF6 Multi au Centre Hospitalier Universitaire de [Localité 5] par la société OPHTA-FRANCE constitue une fourniture de moyens de mise en oeuvre du procédé revendiqué au sens de l'article L. 613-4 du code de la propriété intellectuelle et une offre d'utilisation du procédé au sens de l'article L. 613-3 du même code ; DIRE ET JUGER que les revendications 20, 21, 22 et 23 de la partie française du brevet EP 1 589 926 de la société ARCADOPHTA sont contrefaites par la livraison de chacun des dispositifs GOT C3F8 Multi, GOT C2F6 Multi et GOT SF6 Multi sur le territoire français ; DIRE ET JUGER que les actes de contrefaçon sont constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire à l'égard de BVI FRANCE (PHYSIOL FRANCE) ; DIRE ET JUGER que la société BVI FRANCE (PHYSIOL FRANCE) est recevable et fondée à réclamer réparation de ces actes de concurrence déloyale et parasitaire ; DIRE ET JUGER que ces actes de contrefaçon et de concurrence déloyale et parasitaire engagent la responsabilité des sociétés AL.CHI.MI.A. S.R.L. et OPTHA-France ; En conséquence, DEBOUTER les sociétés OPHTA-FRANCE et AL.CHI.MI.A. S.R.L. de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ; ENJOINDRE aux sociétés OPHTA-FRANCE et AL.CHI.MI.A. S.R.L. d'arrêter immédiatement tout acte de fabrication, importation, exportation, promotion, commercialisation et exploitation des dispositifs GOT C3F8 Multi, GOT C2F6 Multi et GOT SF6 Multi de la société AL.CHI.MI.A. S.R.L. ainsi que de tout autre dispositif contrefaisant la partie française du brevet européen EP 1 589 926 de la société ARCADOPHTA, de quelque manière et à quelque titre que ce soit et à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement par toute personne physique ou morale interposée, et ce sous astreinte de 1.000 euros par dispositif GOT C3F8 Multi, GOT C2F6 Multi et GOT SF6 Multi vendu, à compter de la signification du jugement à intervenir ; ENJOINDRE aux sociétés OPHTA-FRANCE et AL.CHI.MI.A. S.R.L. de détruire immédiatement, à leurs frais, tout stock de dispositifs GOT C3F8 Multi, GOT C2F6 Multi et GOT SF6 Multi, et ce sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ; ORDONNER le rappel, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard passé la signification du jugement à intervenir, conformément à l'article L. 615-7-1 du code de la propriété intellectuelle, des dispositifs GOT C3F8 Multi, GOT C2F6 Multi et GOT SF6 Multi et leur destruction sous contrôle d'huissier ; ENJOINDRE sous astreinte à la société AL.CHI.MIA. et à la société OPHTA France de produire chacune, sous astreinte de dix mille (10.000) euros par jour de retard à l'expiration du délai de quinze (15) jours suivant la signification du jugement à intervenir, toutes les informations et documents justificatifs relatifs à l'import, à l'export et à la commercialisation en France des dispositifs GOT C3F8 Multi, GOT C2F6 Multi et GOT SF6 Multi ainsi que ceux relatifs aux marchés conclus concernant ces produits avec tout type de client (parmi lesquels les groupements hospitaliers, cliniques privées et pharmacies), à savoir :- La date de première commercialisation en France de chacun des dispositifs GOT C3F8 Multi, GOT C2F6 Multi et GOT SF6,- La liste exhaustive, contenant les noms et adresses, de l'ensemble des importateurs, exportateurs, distributeurs, vendeurs, prospects et clients en France des dispositifs GOT C3F8 Multi, GOT C2F6 Multi et GOT SF6, ce depuis la date de première commercialisation de ces dispositifs en France,- La liste des contrats et marchés à bons de commandes passés ou en vigueur à la date du jugement à intervenir, ainsi que leur durée et les quantités concernées relatifs aux dispositifs GOT C3F8 Multi, GOT C2F6 Multi et GOT SF6, ce depuis la date de première commercialisation de ces dispositifs en France,- Une attestation d'un commissaire aux comptes ou d'un expert-comptable indépendant, rédigée en langue française et contenant les informations suivantes, au jour du prononcé du jugement à intervenir, accompagnée des pièces justificatives (bons de commande, factures) :o Les quantités annuelles de dispositifs GOT C3F8 Multi, GOT C2F6 Multi et GOT SF6, fabriqués, importés, exportés, commercialisés, livrés, reçus ou commandés en France, ce depuis la date de première commercialisation de ces dispositifs en France,o La quantité de dispositifs GOT C3F8 Multi, GOT C2F6 Multi et GOT SF6 encore en stock en France, en volume et en valeur (hors taxe),o Le chiffre d'affaires hors taxe réalisé sur la commercialisation en France des dispositifs GOT C3F8 Multi, GOT C2F6 Multi et GOT SF6, ce depuis la date de première commercialisation de ces dispositifs en France,o Le prix de vente hors taxe à l'unité en France des dispositifs produits GOT C3F8 Multi, GOT C2F6 Multi et GOT SF6, ce depuis la date de première commercialisation de ces dispositifs en France,o La marge brute réalisée sur la commercialisation en France des dispositifs GOT C3F8 Multi, GOT C2F6 Multi et GOT SF6, ce depuis la date de première commercialisation de ces dispositifs en France ; DIRE ET JUGER que cette procédure de communication d'information et de reddition des comptes sera conduite sous le contrôle du juge de la mise en état, le Tribunal restant saisi du litige de façon à pouvoir, une fois la reddition des comptes achevée, statuer sur le montant final des demandes de réparation formulées par les sociétés ARCADOPHTA et BVI FRANCE (PHYSIOL FRANCE) ; RENVOYER la procédure avant dire droit sur la détermination définitive des dommages, à la mise en état pour permettre le suivi et le contrôle de la procédure de communication et de reddition des comptes et pour conclusions ultérieures des sociétés ARCADOPHTA et BVI FRANCE (PHYSIOL FRANCE) sur les préjudices par elles invoqués ; SE RESERVER la liquidation des astreintes ; ORDONNER la publication du jugement à intervenir, aux frais des sociétés OPHTA-FRANCE et AL.CHI.MI.A. S.R.L., dans le prochain numéro de la revue « Les Cahiers de l'Ophtalmologie », revue mensuelle éditée par la société PROMOTION PRESSE INTERNATIONALE ; CONDAMNER solidairement les sociétés OPHTA FRANCE et AL.CHI.MI.A. S.R.L. à payer à la société ARCADOPHTA, en réparation de son préjudice causé par la contrefaçon, la somme provisionnelle de 187.946 euros hors taxes à titre de dommages et intérêts, quitte à parfaire comme détaillé ci-dessus ; CONDAMNER solidairement les sociétés OPHTA-FRANCE et AL.CHI.MI.A. S.R.L. à payer à la société BVI FRANCE (PHYSIOL FRANCE), en réparation de son préjudice causé par les actes de concurrence déloyale et parasitaire, la somme provisionnelle de 612.383 euros hors taxes à titre de dommages et intérêts, quitte à parfaire comme détaillé ci-dessus ; CONDAMNER solidairement les sociétés OPHTA-FRANCE et AL.CHI.MI.A. S.R.L. à payer à chacune des sociétés ARCADOPHTA et BVI FRANCE (PHYSIOL FRANCE), la somme de 100.000 euros en réparation de leur préjudice moral ; CONDAMNER solidairement les sociétés OPHTA-FRANCE et AL.CHI.MI.A. S.R.L. à payer à chacune des sociétés ARCADOPHTA et BVI FRANCE (PHYSIOL FRANCE) la somme de 150.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ; ASSORTIR de l'exécution provisoire le jugement à intervenir ». Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 mars 2022, la société AL.CHI.MI.A et la société OPHTA FRANCE demandent au tribunal, au visa de l'article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles 52, 56, 57, 69, 83, 138 et 139 de la Convention de Munich du 5 octobre 1973, du livre VI du code de la propriété intellectuelle et notamment de ses articles L. 611-11, L. 611-15, L. 613-3, L. 613-4, L. 613-5, L. 613-9, L. 614-4, L. 614-12, L. 615-1, L. 615-2, L. 614-4 et L. 615-5, de l'article 1240 du code civil, des articles 6, 9, 31, 32-1, 56, 122, 139, 699, 329, 700 et 768 du code de procédure civile, de : « JUGER que les sociétés AL.CHI.MI.A. et OPHTA-FRANCE sont recevables et bien fondées dans leurs demandes ; In limine litis, CONSTATER que l'huissier instrumentaire n'a pas respecté les termes de l'ordonnance présidentielle du 1er août 2018 lors des opérations de saisie-contrefaçon du 4 octobre 2018 ; CONSTATER que le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 4 octobre 2018 ne retranscrit pas fidèlement les opérations menées par l'huissier instrumentaire en ce qu'il en omet des éléments essentiels ; CONSTATER que le procès-verbal de constat sur internet du 14 juin 2018 est illisible et incomplet en ce que bon nombre d'annexes mentionnées par l'huissier instrumentaire sont manquantes ; En conséquence, JUGER que le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 4 octobre 2018 est nul et de nul effet ou, à tout le moins, qu'il est dépourvu de caractère probant et que, en tout état de cause, il doit être écarté des débats ; JUGER que le procès-verbal de constat sur internet du 14 juin 2018 est nul et de nul effet ou, à tout le moins, qu'il est dépourvu de caractère probant et que, en tout état de cause, il doit être écarté des débats ; JUGER que la preuve des actes de contrefaçon allégués par la société ARCADOPHTA n'est pas rapportée ; À titre liminaire, CONSTATER que la société BVI FRANCE, qui n'établit pas sa qualité de « distributeur exclusif » de la société ARCADOPHTA sur laquelle elle fonde pourtant sa demande d'intervention volontaire, ne démontre aucun intérêt à agir ; En conséquence, DECLARER la demande d'intervention volontaire de la société BVI FRANCE irrecevable ; À titre principal, CONSTATER que les revendications 1, 2, 3, 7, 8, 9, 12, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 et 23 de la partie française du brevet européen EP 1 589 926 ne sont pas décrites de façon suffisamment claire et complète ; CONSTATER que les revendications 1, 2, 3, 7, 8, 9, 12, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 et 23 de la partie française du brevet européen EP 1 589 926 sont dépourvues de nouveauté ; CONSTATER les revendications 1, 2, 3, 7, 8, 9, 12, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 et 23 de la partie française du brevet européen EP 1 589 926 sont dépourvues d'activité inventive ;En conséquence, JUGER que les revendications 1, 2, 3, 7, 8, 9, 12, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 et 23 de la partie française du brevet européen EP 1 589 926 sont nulles et de nul effet ; ORDONNER la transcription du jugement d'annulation au Registre National des Brevets dans le mois suivant la date où il sera définitif, à la requête de Monsieur le Greffier en chef du Tribunal ; À titre subsidiaire, JUGER que les produits GOT Multi C3F8, GOT Multi C2F6 et GOT Multi SF6 ne reproduisent pas les revendications 1, 2, 3, 7, 8, 9, 12, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 et 23 du brevet européen EP 1 589 926 ; JUGER que les sociétés AL.CHI.MI.A. et OPHTA-FRANCE n'ont commis aucun acte de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société BVI FRANCE ; En conséquence, JUGER que l'ensemble des demandes, fins et conclusions des sociétés ARCADOPHTA et BVI FRANCE sont infondées, et les en débouter ; À titre très subsidiaire, JUGER que les sociétés ARCADOPHTA et BVI FRANCE ne justifient ni ne démontrent l'existence d'aucun préjudice notamment en l'absence d'exploitation du brevet EP 926 ; En conséquence, DEBOUTER la société ARCADOPHTA de sa demande de paiement par les sociétés AL.CHI.MI.A. et OPHTA-FRANCE de la somme provisionnelle de 187.946 euros au titre de prétendus actes de contrefaçon ; DEBOUTER la société BVI FRANCE de sa demande de paiement par les sociétés AL.CHI.MI.A. et OPHTA-FRANCE de la somme provisionnelle de 612.383 euros au titre de prétendus actes de concurrence déloyale et parasitaire ; En toute hypothèse, JUGER irrecevables et mal fondées les sociétés ARCADOPHTA et BVI FRANCE en toutes leurs demandes et les en Débouter, notamment s'agissant des mesures d'interdiction, de destruction et de publication ainsi que de l'exécution provisoire du jugement à intervenir ; CONDAMNER in solidum les sociétés ARCADOPHTA et BVI FRANCE à verser à chacune des sociétés AL.CHI.MI.A. et OPHTA-FRANCE la somme de 30.000 euros pour procédure abusive ; FIXER telle amende qu'il plaira au tribunal au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile ; CONDAMNER in solidum les sociétés ARCADOPHTA et BVI FRANCE à verser à chacune des sociétés AL.CHI.MI.A. et OPHTA-FRANCE la somme de 80.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; CONDAMNER in solidum les sociétés ARCADOPHTA et BVI FRANCE aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Loïc LEMERCIER de l'AARPI DENTONS EUROPE conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. PRONONCER l'exécution provisoire du jugement à intervenir en ce qui concerne les demandes formulées par les sociétés AL.CHI.MI.A. et OPHTA-FRANCE ». MOTIFS DE LA DÉCISION Sur les fins de non-recevoir La société AL.CHI.MI.A et la société OPHTA FRANCE soutiennent, sur le fondement de l'article L. 615-2 du code de la propriété intellectuelle, que la société BVI FRANCE est irrecevable en son intervention volontaire pour défaut d'intérêt à agir en ce qu'elle n'établit pas la qualité de « distributeur exclusif » des produits ARCEOLE sur le territoire français qu'elle allègue. La société BVI FRANCE fait valoir que l'exclusivité conférée au distributeur est indifférente sur la recevabilité à agir en concurrence déloyale aux côtés du titulaire du brevet. La société ARCADOPHTA soulève quant à elle l'irrecevabilité de la demande reconventionnelle en nullité de la revendication 12 du brevet EP 926 pour défaut d'intérêt à agir des défenderesses en ce qu'elle ne leur est pas opposée au titre de la contrefaçon. La société AL.CHI.MI.A et la société OPHTA-FRANCE ne répondent pas sur ce point. SUR CE, L'article 31 du code de procédure civile dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. Selon l'article 32 du même code, est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir. Aux termes de l'article 122 dudit code, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. L'article 329 du code de procédure civile dispose que l'intervention est principale lorsqu'elle élève une prétention au profit de celui qui la forme. Elle n'est recevable que si son auteur a le droit d'agir relativement à cette prétention. Sur l'intervention volontaire de la société BVI FRANCE Les dispositions de l'article L. 615-2 du code de la propriété intellectuelle, invoquées par les défenderesses au soutien d'un prétendu défaut d'intérêt à agir de la société BVI FRANCE en ce qu'elle ne justifie pas de la qualité de « distributeur exclusif » qu'elle allègue, sont inopérantes dès lors que la société BVI FRANCE n'invoque pas une qualité de licencié du brevet EP 926 et ne forme aucune demande au titre de la contrefaçon de brevet. La société BVI FRANCE, dont la qualité de distributeur des produits ARCEOLE sur le territoire français n'est contestée que dans son caractère exclusif, justifie au contraire d'un intérêt à agir dès lors qu'elle sollicite, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, l'indemnisation d'un préjudice qui lui est propre au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, demande indemnitaire dont la recevabilité n'est pas subordonnée à la qualité de « distributeur exclusif ». Le caractère exclusif de la distribution est indifférent. Le moyen des défenderesses est alors inopérant. En conséquence, la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de la société BVI FRANCE sera écartée. Sur la demande reconventionnelle en nullité de la revendication 12 non opposée A titre liminaire, le tribunal observe que la société ARCADOPHTA ne soulève pas l'irrecevabilité de la demande reconventionnelle en nullité de la revendication 9, pourtant non opposée, et cantonne la fin de non-recevoir à la revendication 12. La société AL.CHI.MI.A et la société OPHTA FRANCE, qui n'ont pas répondu sur ce point dans leurs dernières conclusions bien qu'ayant conclu en dernier, ne font état d'aucun intérêt à agir en nullité de la revendication 12 qui ne leur est pas opposée dans la présente instance. Cette demande reconventionnelle est alors irrecevable. Présentation du brevet EP 1 589 926 Selon le paragraphe [0001] de la partie descriptive du fascicule du brevet EP 926, l'invention concerne un dispositif et un procédé de préparation extemporanée d'une quantité individuelle de fluide de traitement stérile pouvant être compressible – notamment un gaz de traitement – en vue de son admission à un patient (humain ou animal). Le paragraphe [0002] de la description enseigne que certaines applications thérapeutiques ou chirurgicales exigent l'administration d'un fluide, dit fluide de traitement stérile, et compressible notamment un gaz, par exemple de l'air ou un gaz fluorocarboné (CF4, C2F6, C3F8?), SF6, N2, C02, et que, par exemple, certains actes de chirurgie ophtalmiques nécessitent l'administration topique d'un tel gaz de traitement neutre parfaitement stérile dans la cavité oculaire. Le paragraphe [0004] précise que jusqu'à présent, dans la pratique, les quantités individuelles de gaz de traitement sont préparées par remplissage d'une seringue d'administration à partir d'une bouteille de gaz de grand volume sous forte pression et via un détenteur et un dispositif de stérilisation par filtration. Selon la description, ces bouteilles de grandes tailles et le gaz qu'elles contiennent ne peuvent toutefois pas être stérilisées ni maintenues à l'état stérile dans des conditions satisfaisantes. Le passage de la seringue depuis le site non stérile de remplissage à la bouteille jusqu'au site stérile d'utilisation, par exemple un bloc chirurgical, exige de nombreuses manipulations et précautions, entraîne de nombreuses manipulations et précautions, entraîne des risques de contaminations, et ne permet pas de procurer une « traçabilité » ad hoc de chaque quantité individuelle de fluide de traitement administrée à chaque patient. Les paragraphes [0005] et [0006] évoquent l'art antérieur, en particulier les brevets US 3 853 157 et US 6073759. Selon le paragraphe [0005], le dispositif du brevet US 3 853 157 ne permet pas de garantir la stérilité de la composition liquide introduite dans la seringue, qui peut être contaminée notamment au contact de l'orifice de sortie de la valve de la cartouche, susceptible d'être infecté, et n'est pas non plus compatible avec la distribution d'une composition compressible (gazeuse ou contenant un gaz) qui rendrait extrêmement délicat, sinon impossible, le dosage précis, par simple visualisation du déplacement du piston, du volume introduit dans la seringue. Le paragraphe [0003] expose comme suit le problème technique auquel l'invention propose d'apporter une solution : mettre à la disposition du praticien une quantité individuelle (c'est-à-dire destinée à un patient unique) de ce fluide en l'état parfaitement stérile, et dans des conditions appropriées à l'administration envisagée. Ainsi, selon le paragraphe [0007], l'invention propose la solution suivante : un dispositif permettant la préparation extemporanée, sur le site d'utilisation, d'une quantité individuelle de fluide de traitement stérile pouvant être compressible, simple et fiable d'utilisation, évitant toute fuite de fluide lors de l'assemblage et de la préparation – notamment totalement hermétique lors du remplissage de la seringue – et tout risque de rupture de l'asepsie, et pouvant être lui-même complètement stérilisé – notamment à l'oxyde d'éthylène – sans risque – notamment sans risque de mélange ou de réaction du fluide de traitement avec l'oxyde d'éthylène. Le paragraphe [0033] de la description précise que l'invention s'étend à un procédé de préparation extemporanée d'une quantité individuelle de fluide de traitement stérile pouvant être compressible – notamment un gaz de traitement – en vue de son administration à un patient, à l'aide d'un dispositif selon l'invention. Aux paragraphes [0039] et suivants est décrit un mode de réalisation de l'invention, donné à titre d'exemple non limitatif, représenté aux figures 1 à 8 comme suit :- la figure 1 est un schéma en perspective illustrant un exemple de dispositif selon l'invention ;- la figure 2 est une vue en coupe d'un exemple de réalisation d'une valve de cartouche de fluide de traitement d'un dispositif selon l'invention avant utilisation ;- la figure 3 est une vue similaire à la figure 2 illustrant la valve au cours du remplissage de la seringue ; - les figures 4 à 8 sont des vues schématiques en coupe illustrant respectivement différentes étapes d'un procédé selon l'invention. Le paragraphe [0073] donne ensuite l'exemple d'un autre mode de réalisation de l'invention. Aux fins de l'invention, le brevet EP 926 se compose de 23 revendications dont :- les revendications 1 à 19 visent un dispositif de préparation extemporanée d'une quantité individuelle de fluide de traitement stérile pouvant être compressible ;- les revendications 20 à 23 visent un procédé de préparation extemporanée d'une quantité individuelle de fluide de traitement stérile pouvant être compressible à l'aide d'un dispositif selon les revendications 1 à 19. Sont énoncées ci-dessous les revendications 1, 2, 3, 7, 8, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 et 23 opposées par la société ARCADOPHTA, ainsi que la revendication 9 dont les défenderesses sollicitent également la nullité à titre reconventionnel : « 1. Dispositif de préparation extemporanée d'une quantité individuelle de fluide de traitement stérile pouvant être compressible en vue de son administration à un patient, comprenant : - une seringue (4) d'administration d'une dose de fluide de traitement, comprenant un piston (42) coulissant dans un cylindre (44) doté d'une extrémité axiale (41) débouchante, dite extrémité de distribution (41), - un réservoir (3) contenant une quantité de fluide de traitement sous pression formé d'une cartouche (3) rigide dotée d'une valve (10) de sortie adaptée pour pouvoir être reliée hermétiquement en communication de fluide avec l'extrémité de distribution (41) de la seringue (4), et pour pouvoir être ouverte en vue de la libération du fluide de traitement sous pression dans le cylindre de la seringue, caractérisé en ce que : - il comporte un dispositif (5, 6) de raccordement/stérilisation comportant un dispositif (5) de stérilisation par filtration doté d'une entrée (38) de fluide et d'une sortie (40) de fluide, et apte à stériliser le fluide de traitement s'écoulant entre l'entrée (38) et la sortie (40), ce dispositif (5, 6) de raccordement/stérilisation étant adapté pour permettre l'assemblage et le raccordement hermétique de la cartouche (3) et de la seringue (4) en vue du remplissage de la seringue (4), avec le dispositif (5) de stérilisation interposé entre la cartouche (3) et la seringue (4), de telle sorte que la sortie (40) de fluide du dispositif (5) de stérilisation puisse délivrer, dans la seringue (4), du fluide stérile issu de la cartouche (3), - le réservoir (3) contient une quantité de fluide de traitement sous pression telle que la quantité totale de fluide de traitement pouvant être libérée à la pression atmosphérique par la cartouche (3) lors de l'ouverture de la valve (10) correspond à une quantité individuelle de fluide de traitement pouvant être entièrement contenue dans le cylindre (44) de la seringue (4), - la valve (10) de sortie est du type rappelé élastiquement axialement vers l'extérieur en position d'obturation et pouvant être repoussée axialement vers l'intérieur en vue de son ouverture pour la libération du fluide de traitement. 2. Dispositif selon la revendication 1, caractérisé en ce que le dispositif (5, 6) de raccordement/stérilisation est adapté pour réaliser un assemblage axial de la seringue (4), de ce dispositif (5, 6) de raccordement/stérilisation, et de la valve (10) de la cartouche, et pour permettre le remplissage de la seringue (4), sans fuite de fluide de traitement, par simple rapprochement axial de la seringue (4) et de la cartouche (3). 3. Dispositif selon la revendication 2, caractérisé en ce que le dispositif (5,6) de raccordement/stérilisation comprend une portion (26) de raccordement à la valve (10) de la cartouche (3), et en ce que cette portion (26) de raccordement et cette valve (10) sont adaptées pour que : - dans une première course de rapprochement axial relatif, un raccord hermétique puisse être réalisé entre elles, sans actionnement de la valve (10) de la cartouche (3) qui reste fermée, - dans une deuxième course de rapprochement axial relatif ultérieur au-delà de la première course, la valve (10) soit ouverte. 7. Dispositif selon l'une des revendications 1 à 6, caractérisé en ce que la sortie (40) du dispositif (5) de stérilisation par filtration est adaptée pour pouvoir être connectée directement à l'extrémité de distribution (41) de la seringue (4) d'administration. 8. Dispositif selon l'une des revendications 1 à 7, caractérisé en ce que la sortie (40) du dispositif (5) de stérilisation par filtration est une liaison tronconique femelle conjuguée d'une liaison tronconique mâle formée par l'extrémité de distribution (1) de la seringue (4) d'administration. 9. Dispositif selon l'une des revendications 1 à 8, caractérisé en ce que la cartouche (3) comprend une proche (11) interne souple renfermant ladite quantité individuelle de fluide de traitement sous pression raccordée à la valve (10) de sortie, et à l'extérieur de la poche (11), une quantité de gaz pousseur adaptée à la mise sous pression du fluide de traitement contenu dans la poche (11). 14. Dispositif selon l'une des revendications 1 à 13, caractérisé en ce que la cartouche (3) comprend un volume de fluide de traitement compris entre 10 ml et 100 ml – notamment de l'ordre de 40ml –. 16. Dispositif selon l'une des revendications 1 à 15, caractérisé en ce qu'il comprend une aiguille (7) stérile apte à être raccordée à l'extrémité de distribution (41) de la seringue (4) pour l'administration du fluide de traitement au patient. 17. Dispositif selon l'une des revendications 1 à 16, caractérisé en ce qu'il comprend une étiquette (46) – notamment sous forme de bracelet (8) – destinée à être associée au patient. 18. Dispositif selon l'une des revendications 1 à 17, caractérisé en ce qu'il comprend une enveloppe (2) externe d'emballage stérile renfermant l'intégralité des éléments (3, 4, 5, 6, 7, 8) constitutifs du dispositif à l'état stérile. 19. Dispositif selon la revendication 18, caractérisé en ce que la seringue (4) et le dispositif (5) de stérilisation se présentent préalablement assemblés à l'état stérile dans l'enveloppe (2). 20. Procédé de préparation extemporanée d'une quantité individuelle de fluide de traitement stérile pouvant être compressible en vue de son administration à un patient, caractérisé en ce que : - on utilise un dispositif (1) selon l'une des revendications 1 à 19, - on assemble axialement la seringue (4), le dispositif (5, 6) de raccordement/stérilisation, la valve (10) de la cartouche (3), de façon à réaliser entre eux une communication isolée hermétiquement de l'extérieur, - puis on rapproche axialement la seringue (4) et la cartouche (3) de façon à ouvrir la valve (10) et à introduire dans la seringue (4) une dose prédéterminée de fluide de traitement stérile, par équilibrage des pressions. 21. Procédé selon la revendication 20, caractérisé en ce qu'on dilue le fluide de traitement dans la seringue (4). 22. Procédé selon l'une des revendications 20 ou 21, caractérisé en ce que la seringue (4) et le dispositif (5) de stérilisation étant préalablement assemblés, on réalise l'assemblage axial uniquement en reliant l'entrée du dispositif de stérilisation à la valve (10) de la cartouche (3). 23. Procédé selon l'une des revendications 20 à 22, caractérisé en ce qu'on dissocie ensuite le dispositif (5) de stérilisation par filtration de la seringue (4) à laquelle on raccorde une aiguille (7) d'administration ». Sur la demande reconventionnelle en nullité des revendications opposées et 9 du brevet EP 926 Sur l'insuffisance de description Les défenderesses soutiennent que les revendications 1 et 20, et par voie de conséquence les revendications placées sous leur dépendance, sont nulles pour insuffisance de description en ce que : - la notion de « quantité individuelle de fluide », qui induit que le dispositif de la revendication 1 est à usage unique, est définie de « manière lâche » et insuffisante tandis que le brevet revendique une quantité particulière de fluide ; - la notion de « quantité de fluide » est impropre à désigner le volume d'un gaz de traitement et la notion de « volume » est impropre à désigner la quantité d'un gaz de traitement ; - la notion de « quantité individuelle » dans la revendication 1 est impropre à qualifier un gaz de traitement et contrevient à la clarté requise de la description de l'invention ;- les termes « quantité individuelle de fluide » de la revendication 1 sont substitués dans la revendication 20 par les termes « dose prédéterminée de fluide » sans que la notion de « dose prédéterminée » ne soit définie et son interaction avec la notion de « qualité individuelle de fluide » exposée ;- la revendication 1 évoque une libération de la « quantité individuelle de fluide » à la pression atmosphérique tandis que la revendication 20 exprime une libération de la « dose prédéterminée » par « équilibrage des pressions » et ne comprend aucune référence à la pression atmosphérique. Les défenderesses concluent que face à de telles incohérences, l'homme du métier n'est pas capable d'exécuter l'invention dès lors que la caractéristique essentielle fluctue en fonction des circonstances. Elles définissent l'homme du métier comme « un technicien doté d'une connaissance basique des lois de la physique et ayant une expérience certaine du conditionnement de fluides, et notamment de fluides de traitement ». La société ARCADOPHTA répond que l'invention ne porte pas sur la quantité de fluide de traitement elle-même mais sur un dispositif de préparation extemporanée d'une quantité individuelle de fluide de traitement. Elle souligne que les défenderesses tentent de limiter artificiellement la portée de la revendication 1 afin d'imposer une interprétation dénaturée du brevet EP 926 conforme à leurs intérêts. Elle fait valoir que la revendication 1 ne revendique aucune quantité particulière de fluide de traitement contenue dans le réservoir et/ou dans le cylindre de la seringue – que ce soit en moles, en volume ou en masse –, et que la pression est définie dès lors qu'il s'agit de la pression atmosphérique, dont l'homme du métier connaît parfaitement les variations, ainsi que les lois physiques des rapports pression/volume qui font partie de ses connaissances générales. La société ARCADOPHTA expose en outre que la revendication 1 n'indique ni que le dispositif est destiné à un usage ou une administration unique, ni que le dispositif est lui-même à usage unique. Elle considère que la « quantité individuelle de fluide de traitement » est définie dans la revendication 1 par le fait que, lors de l'ouverture de la valve, elle est entièrement contenue dans le cylindre de la seringue et non par son utilisation ultérieure dans une méthode de traitement chirurgical et renvoie à cet égard aux figures 4 à 6 du brevet. Elle précise que d'après la description, la quantité individuelle de fluide est comprise entre une quantité minimale de fluide correspondant à une dose posologique et une quantité maximale de fluide pouvant être comprise dans le cylindre de la seringue. En revanche, la société ARCADOPHTA ne répond pas aux arguments des défenderesses sur la revendication 20 du brevet. Elle définit l'homme du métier comme un « sachant dans le domaine des dispositifs médicaux pour la chirurgie ophtalmique ». SUR CE, L'article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle dispose que « la nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l'un quelconque des motifs visés à l'article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich ». Aux termes de l'article 138 de la Convention de Munich du 5 octobre 1973 sur la délivrance de brevets européens, « 1. Sous réserve des dispositions de l'article 139, le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un État contractant, que si : [...] b) le brevet européen n'expose pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter ». L'article 83 de même Convention énonce que « l'invention doit être exposée dans la demande de brevet européen de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter ». Une invention est suffisamment décrite lorsque l'homme du métier est en mesure, à la lecture de la description et grâce à ses connaissances professionnelles normales, théoriques et pratiques, d'exécuter l'invention (Cass. com., 23 mars 2005, no 03-16.532 ; Cass. com., 20 mars 2007, no 05-12.626 ; Cass. com., 13 novembre 2013, no 12-14.803 et no12-15.449). Le fait que certains éléments indispensables au fonctionnement de l'invention ne figurent ni explicitement dans le texte des revendications ou de la description, ni dans les dessins représentant l'invention revendiquée, n'implique pas nécessairement que l'invention n'est pas exposée dans la demande de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter dès lors que ces éléments indispensables appartiennent à ses connaissances générales (Cass. com., 23 janvier 2019, no17-14.673 et no16-28.322). L'homme du métier est celui du domaine technique où se pose le problème que l'invention, objet du brevet, se propose de résoudre (Cass. com., 20 novembre 2012, no11-18.440). En l'espèce, l'homme du métier est un technicien spécialisé dans le domaine des matériels et dispositifs médicaux destinés à la chirurgie oculaire. Si, contrairement à ce qu'affirme la société ARCADOPHTA, le paragraphe [0015] de la description indique expressément que « le dispositif selon l'invention [est] à usage unique », force est de constater que cet élément est indifférent pour apprécier la suffisance de description du brevet EP 926, et au demeurant les défenderesses n'expliquent pas en quoi un usage unique empêcherait l'homme du métier d'exécuter l'invention. Par ailleurs, contrairement à ce qu'affirment les défenderesses, il ne ressort pas de la revendication principale 1, ni des revendications 2, 3, 7, 8, 9, 14, 16, 17, 18, 19 placées sous sa dépendance, ou de la description et des figures 1 à 3 que le brevet EP 926 revendique une « quantité individuelle de fluide de traitement » en elle-même. Il revendique un dispositif, sous forme de kit, de préparation extemporanée d'une quantité individuelle de fluide de traitement stérile pouvant être compressible, par exemple un gaz fluorocarboné (CF4, C2F6, C3F8?) administré pour certains actes de chirurgie ophtalmologique, comprenant une seringue d'administration de la dose de fluide de traitement, une cartouche contenant une quantité individuelle de fluide de traitement sous pression comportant une valve de sortie, ainsi qu'un élément de raccordement et de stérilisation par filtration apte à être raccordé hermétiquement à la cartouche et à la seringue. En outre, les prétendues incohérences relevées par les défenderesses, qui selon elles ne permettraient pas à l'homme du métier d'exécuter l'invention, ne ressortent pas du brevet EP 926. Au contraire, la partie description enseigne que : - l'invention est particulièrement applicable au cas où le fluide de traitement est un gaz de traitement qui peut être notamment choisi parmi les gaz fluorocarbonés (CF4, C2F6, C3F8?), SF6, N2, CO2 ou de l'air (paragraphe [0049]) ; - la cartouche ne contient qu'une quantité individuelle de fluide de traitement, c'est-à-dire une dose destinée à une administration unique (paragraphes [0014] et [0064]) ; la cartouche comprend un volume de fluide de traitement compris entre 10 ml et 100 ml, notamment de l'ordre de 40 ml, inférieur à la capacité totale de la seringue (paragraphes [0028] et [0048]) ; le volume de fluide de traitement contenu dans la cartouche et pouvant être libéré par cette dernière pour une administration unique est prédéfini à la fabrication ; aucun dosage n'est donc à effectuer par l'utilisateur lors du remplissage de la seringue (paragraphe [0064]) ; - le cylindre de la seringue est adapté pour pouvoir contenir toute la quantité individuelle de fluide de traitement pouvant être libérée par la cartouche à la pression atmosphérique (paragraphes [0012] et [0064]) ; la seringue d'administration est une seringue jetable standard de volume compris entre 10 ml et 100 ml, par exemple de 50 ml (paragraphe [0064]) ; - selon un mode de réalisation de l'invention, la cartouche comprend une poche (11) interne souple renfermant ladite quantité individuelle de fluide de traitement sous pression raccordée à la valve de sortie et, à l'extérieur de la poche mais à l'intérieur de la cartouche, une quantité de gaz pousseur – à l'état gazeux – adaptée à la mise sous pression du fluide de traitement contenu dans la poche ; ladite poche (11) est d'un volume correspondant à celui de la quantité individuelle de fluide de traitement devant être délivrée par la cartouche, inférieur ou égal au volume maximum du cylindre de la seringue (paragraphe [0025]) ; - dans ce mode de réalisation de l'invention, le gaz pousseur est de même nature que le fluide de traitement lorsque ce dernier est un gaz – afin de ne pas constituer en lui-même un risque de toxicité ou de contamination pour le patient (paragraphe [0025]) – dès lors que les gaz fluorocarbonés (CF4, C2F6, C3F8?) peuvent faire office de gaz pousseurs (paragraphe [0049]) ; le gaz pousseur est de préférence un gaz physiologiquement acceptable, compatible avec le fluide de traitement et avec le procédé de stérilisation, notamment avec l'oxyde d'éthylène, de sorte que sont évités, d'une part, toute complication en cas de diffusion accidentelle du gaz pousseur dans le fluide de traitement et, d'autre part, tout risque d'accident au cours de l'étape de stérilisation à l'oxyde d'éthylène (paragraphe [0047]) ; - selon un autre mode de réalisation de l'invention, la cartouche peut contenir uniquement un gaz de traitement sous pression, sans poche de séparation, tel qu'un gaz fluorocarboné choisi parmi CF4, C2F6, C3F8 ou SF6, C02, N2 ou de l'air (paragraphe [0073]) ; - la pression du fluide de traitement dans la cartouche est faiblement supérieure à la pression atmosphérique, de façon à éviter tout accident et toute fuite intempestive lors de l'assemblage et du remplissage de la seringue ; avantageusement selon l'invention, la quantité de gaz pousseur est adaptée pour maintenir dans la poche contenant la quantité individuelle de fluide de traitement une surpression par rapport à la pression atmosphérique inférieure à 2000 hPa, notamment de l'ordre de 600 à 1800 hPa (paragraphes [0026] et [0048]) ; il n'est donc pas nécessaire de prévoir un détendeur, un manomètre ou un robinet d'arrêt pour le remplissage de la seringue à partir de la cartouche (paragraphe [0026]) ; - la pression initiale du gaz pousseur à l'état gazeux est adaptée pour refouler toute la quantité individuelle de fluide de traitement ; cette pression initiale peut en pratique être adaptée pour qu'en fin de distribution de la quantité individuelle de fluide de traitement, la pression résiduelle du gaz pousseur corresponde à la pression atmosphérique ou soit peu supérieure à la pression atmosphérique, par exemple de 1050 hPa ; la faible surpression correspondante, de l'ordre de 20 à 70 hPa, s'avère être en pratique largement suffisante pour expulser toute la quantité individuelle de fluide de traitement contenue dans la poche, notamment dans le cas d'un gaz de traitement ; la faible valeur de surpression résultant de l'emploi d'un gaz pousseur à l'état gazeux pour l'expulsion du fluide de traitement est aussi importante pour le choix, le dimensionnement et la garantie de l'efficacité du dispositif de stérilisation par filtration dès lors qu'en général les filtres de stérilisation ne résistent pas aux pressions importantes, telles que celles qui seraient imparties – 6 à 20 fois la pression atmosphérique – par l'emploi d'un gaz pousseur liquéfié choisi parmi les gaz compatibles avec une stérilisation à l'oxyde d'éthylène (paragraphe [0027]). Au regard de tout ce qui précède, les arguments des défenderesses au soutien d'une insuffisance de description de la revendication principale 1 et, partant, des revendications 2, 3, 7, 8, 9, 14, 16, 17, 18, 19 placées sous sa dépendance, sont inopérants. Il ne ressort pas davantage de la revendication 20, des revendications 21 à 23 placées sous sa dépendance, de la description et des figures 4 à 8 que le brevet EP 926 revendique une « dose prédéterminée de fluide de traitement stérile », mais revendique un procédé de préparation extemporanée d'une quantité individuelle de fluide de traitement stérile pouvant être compressible en vue de son administration à un patient à l'aide d'un dispositif selon l'invention. A cet égard, les paragraphes [0066] à [0071] de la description et les figures 4 à 8 proposent un exemple de procédé selon l'invention d'utilisation d'un dispositif selon l'invention. L'homme du métier, qui doté de ses connaissances techniques dans le domaine considéré comprend sans effort excessif de réflexion que la « dose prédéterminée de fluide de traitement stérile » est introduite dans la seringue par équilibrage des pressions en rapprochant axialement la seringue et la cartouche de façon à ouvrir la valve (paragraphe [0068] de la description), est capable à la lecture du brevet d'exécuter l'invention sans référence à la pression atmosphérique et ses variations, lesquelles relèvent de ses connaissances générales. L'argument des défenderesses tiré de ce que la revendication 20 ne se réfère pas à une « quantité individuelle de fluide de traitement stérile » comme la revendication 1 mais à une « dose prédéterminée de fluide de traitement stérile » est également inopérant dès lors que l'homme du métier, doté de ses connaissances générales, comprend en fournissant un effort raisonnable de réflexion que la « quantité prédéterminée » correspond à la quantité désirée contenue dans la cartouche, dont le paragraphe [0028] de la description précise qu'elle comprend un volume de fluide de traitement entre 10 ml et 100 ml, notamment de l'ordre de 40 ml, inférieur à la capacité totale du cylindre de la seringue qui est par exemple de 50 ml (paragraphe [0064]). L'invention proposant un dispositif sous forme de kit permettant de délivrer une quantité individuelle de fluide de traitement stérile et uniquement cette quantité dans le cylindre de la seringue, le choix de la nature – par exemple un gaz fluorocarboné (CF4, C2F6, C3F8?) – et de la quantité de fluide de traitement est à l'appréciation de l'homme du métier qui dispose de ses connaissances professionnelles et des indications susvisées dans la description pour exécuter l'invention. La nature et la quantité du fluide de traitement choisies par l'homme du métier ne représentent qu'une possibilité parmi d'autres pour exécuter l'invention et relèvent de simples opérations d'exécution. Il s'ensuit que les arguments des défenderesses au soutien d'une insuffisance de description de la revendication 20 et, partant, des revendications 21 à 23 placées sous sa dépendance, sont également inopérants. Au regard de tout ce qui précède, il n'est pas établi que le brevet EP 926 n'expose pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour que l'homme du métier puisse l'exécuter à partir de ses connaissances générales. Le moyen de nullité tiré d'une insuffisance de description des revendications 1, 2, 3, 7, 8, 9, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 et 23 sera en conséquence écarté. Sur le défaut de nouveauté Les défenderesses soutiennent que la revendication 1 du brevet EP 926 est nulle pour défaut de nouveauté en ce que la brochure du produit dénommé « GasMate », disponible dès le 21 décembre 2002 sur le site internet de son fournisseur la société HOWARD INSTRUMENTS, divulgue un kit composé d'une bouteille stérile de gaz C3F8, d'une valve stérile, d'un filtre stérile de haute qualité et d'une seringue stérile à usage unique, et constitue l'état de la technique antérieur à la date du dépôt de la demande du brevet EP 926 le 24 décembre 2003. Elles considèrent que cette même brochure divulgue également les caractéristiques des revendications 2, 3, 7, 8, 14, 20 et 22 qui, dès lors, ne sont pas nouvelles. Elles ajoutent qu'en tout état de cause, si la brochure était ignorée, la capture d'écran du 21 décembre 2002 présentant le produit « GasMate » est à elle seule une antériorité de l'ensemble des caractéristiques de la revendication 1 du brevet EP 926. La société ARCADOPHTA, qui conteste l'antériorité de la brochure du produit « GasMate », répond que le défaut de nouveauté allégué par les défenderesses ne repose sur aucune pièce et que les caractéristiques de la revendication 1, à supposer que cette brochure ait été accessible au public antérieurement au brevet EP 926, ne sont pas divulguées en l'absence d'informations fonctionnelles suffisantes sur le dispositif « GasMate ». Elle fait également valoir que les défenderesses se contentent d'affirmer que les caractéristiques des revendications 2, 3, 7, 8, 14, 20 et 22 sont aussi divulguées par ladite brochure, sans aucune démonstration. SUR CE, L'article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle dispose que « la nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l'un quelconque des motifs visés à l'article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich ». Aux termes de l'article 138 de la Convention de Munich du 5 octobre 1973 sur la délivrance de brevets européens, « 1. Sous réserve des dispositions de l'article 139, le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un État contractant, que si : [...] a) l'objet du brevet européen n'est pas brevetable aux termes des articles 52 à 57 ». L'article 52.1 de la même Convention énonce que « les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle ». Selon l'article 54 « Nouveauté » de ladite Convention, « 1. Une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique. 2. L'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet européen par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen. Une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique ». L'article 9 du code de procédure civile dispose qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. Pour être comprise dans l'état de la technique et être privée de nouveauté, l'invention doit s'y trouver tout entière dans une seule antériorité au caractère certain, avec les mêmes éléments qui la constituent dans la même forme, le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique (Cass. com., 12 mars 1996, no 94-15.283 ; 6 juin 2001, no 98-17.194 ; 14 mai 2013, no11-27.686 ; 17 mai 2023, no 19-25.509). L'antériorité, qui est un fait juridique dont l'existence, la date et le contenu doivent être prouvés par tous moyens par celui qui l'invoque, doit être unique et être révélée dans un document unique dont la portée est appréciée globalement. En l'espèce, il ressort tant du procès-verbal de constat d'huissier du 5 octobre 2021 produit par les défenderesses (leur pièce no54.1) que du procès-verbal de constat d'huissier du 16 décembre 2021 produit par la demanderesse (sa pièce no40) que la brochure du produit « GasMate » téléchargeable sur le site internet <howardinstruments.com> était accessible au public sous le fichier « GasMate.pdf » le 16 juillet 2006 et non le 21 décembre 2002 comme l'affirment les défenderesses. Il s'ensuit que cette brochure n'est pas pertinente car postérieure au 24 décembre 2003, date de dépôt du brevet EP 926. Les défenderesses produisent également une capture d'écran du site internet <howardinstruments.com> du 21 décembre 2002 figurant en page 12 et en annexe 2 du procès-verbal de constat d'huissier du 5 octobre 2021 (leur pièce no54.1), relative au produit « GasMate », faisant état des mentions suivantes en langue anglaise – traduites en français par le tribunal – accompagnées de dessins illustrant deux cartouches « GasMate », une seringue, un filtre et un robinet :« Chaque kit GasMateZ contient- un flacon stérile de C3F8 ou SF6 (au choix)- une valve stérile- un filtre stérile de haute qualité- une seringue stérile jetableLes gaz peuvent être achetés dans les puretés suivantes- un SF6 pur à 99,9%- un mélange 12% C3F8 ÷ AZOTE sec- un C3F8 pur à 99,95 %Nos gaz de haute qualité sont présentés dans un emballage stérile de 50 ml ». Le dispositif de l'invention revendiquée par le brevet EP 926 est certes composé d'une seringue, d'une cartouche pouvant contenir un gaz fluorocarboné – notamment C3F8 ou SF6 –, d'une valve et d'un dispositif de stérilisation. Toutefois, les éléments trop lapidaires de cette capture d'écran du site internet <howardinstruments.com> relative au produit « GasMate », dont la structure, le fonctionnement et l'effet technique de la cartouche et de la valve sont inconnus, ne peuvent à eux seuls constituer une antériorité de toutes pièces destructrice de nouveauté des caractéristiques de chacune des revendications 1, 2, 3, 7, 8, 14, 20 et 22 dès lors qu'il n'est pas établi que le produit « GasMate » et l'invention du brevet EP 926 ont le même fonctionnement en vue du même résultat technique. Au regard de tout ce qui précède, le moyen de nullité tiré d'un défaut de nouveauté des revendications opposées ne peut qu'être écarté. Sur le défaut d'activité inventive En premier lieu, les défenderesses soutiennent que la revendication principale 1 du brevet EP 926 est dépourvue d'activité inventive en ce que ses caractéristiques sont divulguées par le mode de réalisation de la figure 7 du brevet américain US 6 494 314 (ci-après brevet US 314), publié le 17 décembre 2002, qu'elle dit être « l'art antérieur le plus proche ». Elle considère que l'objet de la revendication 1 ne diffère de cette figure 7 que dans sa caractéristique 1.6 dont le problème technique de rendre le remplissage de la seringue plus facile et plus ergonomique est néanmoins résolu par la valve représentée aux figures 3 et 4 du brevet américain US 1 408 272 (ci-après brevet US 272), publié le 28 février 1922, auquel se serait référé l'homme du métier. Elles ajoutent que d'autres arts antérieurs démontrent qu'il était évident pour l'homme du métier d'appliquer ce type de valve au conditionnement d'un fluide de traitement, en particulier la valve du dispositif du brevet américain US 3 853 175 (ci-après brevet US 175) publié le 10 décembre 1970, la valve du dispositif du brevet américain US 4 266 941 (ci-après brevet US 941) publié le 12 mai 1981 et la valve du dispositif du brevet européen EP 0 324 257 (ci-après brevet EP 257) publié le 19 juillet 1989. Elles indiquent verser également aux débats quatre inventions supplémentaires faisant partie de l'art antérieur qui décrivent selon elles des dispositifs de valve similaires à celle décrite dans le brevet EP 926 et renvoient à cet égard au brevet US 5 423 791, au brevet US 5 573 516, au brevet WO 98/34582 et au brevet W0 2001/07102. Les défenderesses font ensuite valoir que les revendications dépendantes 2, 3, 7, 8, 9, 14, 16, 17, 18 et 19 sont elles-mêmes dépourvues d'activité inventive dès lors qu'aucune d'elles ne surmonte le défaut d'activité inventive de la revendication principale 1 au regard des brevets précités. Elles exposent que la revendication 20 est également dépourvue d'activité inventive au regard du brevet US 314 – en renvoyant à cet égard à la partie de la discussion relative à la revendication principale 1 – et du brevet WO 00/24649 publié le 4 mai 2000. Elles concluent qu'aucune des revendications dépendantes 21, 22 et 23 ne surmonte le défaut d'activité inventive de la revendication 20 au regard du brevet EP 0 781 567 A2 et du brevet US 314. En second lieu, les défenderesses soutiennent que la revendication principale 1 du brevet EP 926 est dépourvue d'activité inventive au regard du dispositif dénommé « KitGas », qui constitue selon elle « l'art antérieur alternatif », commercialisé par la société CHAUVIN-OPSIA dont Monsieur [V] [W] désigné inventeur du brevet EP 926 était le président au moment de sa commercialisation trois ans avant le dépôt du brevet français FR 03 01334 de priorité. Elles font valoir que le dispositif KitGas constituait l'un des meilleurs points de départ pour l'homme du métier qui, outre la cartouche et la valve du brevet US 941 similaires à celles du brevet EP 926, aurait de manière évidente :- pensé à intégrer la poche de gaz du dispositif KitGas dans une cartouche rigide sous pression afin de faciliter le stockage du dispositif ainsi que le prélèvement du gaz par les professionnels de santé au regard du récipient du brevet GB 1 440 752 publié le 23 juin 1976 et du dispositif du brevet WO 88/10221 publié le 29 décembre 1988 ;- appliqué, s'agissant de la caractéristique 1.6 de la revendication 1, le type de valve décrit dans le brevet EP 926 au dispositif KitGas au regard du brevet US 314, du brevet US 272, du brevet US 941, du brevet US 157 et du brevet EP 257. Les défenderesses font ensuite valoir que les revendications dépendantes 2, 3, 7, 8, 9, 14, 16, 17, 18 et 19 opposées sont elles-mêmes dépourvues d'activité inventive dès lors qu'aucune d'elles ne surmonte le défaut d'activité inventive de la revendication principale 1 au regard du dispositif KitGas et des brevets US 941, US 791, US 516, WO 98/34582, WO 2001/07102, EP 257 et GB 752. Elles exposent que la revendication 20 est également dépourvue d'activité inventive au regard du dispositif KitGas, modifié selon le brevet US 941, et du brevet WO 00/24649. Elles concluent qu'aucune des revendications dépendantes 21, 22 et 23 ne surmonte le défaut d'activité inventive de la revendication 20 au regard du dispositif KitGas, du brevet WO 00/24649 et du brevet EP 0 781 567 A2. La société ARCADOPHTA répond que la figure 7 du brevet US 6 494 314, invoqué comme « art antérieur le plus proche » par les défenderesses, ne divulgue pas les caractéristiques du dispositif selon la revendication 1 du brevet EP 926 qu'il s'agisse du dispositif de raccordement/stérilisation, du réservoir ou de la valve. Elle ajoute que confronté au problème technique objectif de faciliter la préparation d'une dose individuelle de fluide de traitement stérile, l'homme du métier n'aurait pas été incité, au vu de l'enseignement des autres documents de l'art antérieur cités en combinaison du brevet US 314, à modifier ou à adapter l'état de la technique le plus proche de telle sorte qu'il serait parvenu sans difficulté à un résultat couvert par la revendication 1 du brevet EP 926. Elle fait également valoir que le dispositif KitGas, invoqué comme « art antérieur alternatif » par les défenderesses alors qu'elles devaient faire un choix entre les deux arts antérieurs les plus proches qu'elles invoquent, présente de nombreuses différences avec le dispositif revendiqué par le brevet EP 926 et que l'homme du métier n'aurait pas pu trouver dans la brochure KitGas l'incitation à modifier et améliorer ce dispositif pour parvenir au dispositif de l'invention, même combinée aux brevets US 4 266 941, GB 1 440 752 et WO 88/10221, ni même combinée aux brevets US 1 408 272, US 3 853 157 et EP 0 324 257 cités en bloc. Elle souligne qu'en l'absence d'un quelconque raisonnement d'activité inventive par les défenderesses à partir du document KitGas, ces combinaisons doivent être écartées par le tribunal sans examen au fond. Elle soutient que les différents documents de l'art antérieur cités en combinaison avec l'« état de la technique alternatif » KitGas ne sont pas pertinents et que les défenderesses sont incapables de construire une approche problème-solution cohérente et objective permettant de démontrer un quelconque manque d'activité inventive de l'objet de la revendication 1 du brevet EP 926. La société ARCADOPHTA conclut ensuite qu'il n'est nécessaire d'exposer ni le caractère inventif des revendications 2, 3, 7, 8, 9, 14, 16, 17, 18 et 19 relatives au dispositif, ni des revendications 20, 21, 22 et 23 relatives au procédé utilisant ledit dispositif dès lors qu'elles sont nécessairement inventives en raison du caractère inventif de la revendication principale 1 dont elles sont toutes dépendantes. SUR CE, L'article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle dispose que « la nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l'un quelconque des motifs visés à l'article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich ». Aux termes de l'article 138 de la Convention de Munich du 5 octobre 1973 sur la délivrance de brevets européens, « 1. Sous réserve des dispositions de l'article 139, le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un État contractant, que si : [...] a) l'objet du brevet européen n'est pas brevetable aux termes des articles 52 à 57 ». L'article 52.1 de la même Convention énonce que « les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle ». Selon l'article 56 « Activité inventive » de ladite Convention, « une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour l'homme du métier, elle ne découle pas de manière évidente de l'état de la technique. Si l'état de la technique comprend des documents visés à l'article 54, paragraphe 3, ils ne sont pas pris en considération pour l'appréciation de l'activité inventive ». Les éléments de l'art antérieur ne sont destructeurs d'activité inventive que si, pris isolément ou associés entre eux selon une combinaison raisonnablement accessible à l'homme du métier, ils permettaient à l'évidence à ce dernier d'apporter au problème résolu par l'invention, la même solution que celle-ci. A titre liminaire, il est rappelé que l'article 56 de la CBE n'exige pas, pour apprécier l'activité inventive, de procéder selon l'approche problème-solution supposant de déterminer au préalable l'état de la technique le plus proche, qui est propre à la chambre de recours de l'OEB et ne s'impose pas aux juridictions françaises (CA Paris, pôle 5 – chambre 1, 19 janvier 2021, RG no 18/28089). Sur la revendication principale 1 Le dispositif selon la revendication 1 du brevet EP 926 est caractérisé en ce que : « - il comporte un dispositif (5, 6) de raccordement/stérilisation comportant un dispositif (5) de stérilisation par filtration doté d'une entrée (38) de fluide et d'une sortie (40) de fluide, et apte à stériliser le fluide de traitement s'écoulant entre l'entrée (38) et la sortie (40), ce dispositif (5, 6) de raccordement/stérilisation étant adapté pour permettre l'assemblage et le raccordement hermétique de la cartouche (3) et de la seringue (4) en vue du remplissage de la seringue (4), avec le dispositif (5) de stérilisation interposé entre la cartouche (3) et la seringue (4), de telle sorte que la sortie (40) de fluide du dispositif (5) de stérilisation puisse délivrer, dans la seringue (4), du fluide stérile issu de la cartouche (3), - le réservoir (3) contient une quantité de fluide de traitement sous pression telle que la quantité totale de fluide de traitement pouvant être libérée à la pression atmosphérique par la cartouche (3) lors de l'ouverture de la valve (10) correspond à une quantité individuelle de fluide de traitement pouvant être entièrement contenue dans le cylindre (44) de la seringue (4), - la valve (10) de sortie est du type rappelé élastiquement axialement vers l'extérieur en position d'obturation et pouvant être repoussée axialement vers l'intérieur en vue de son ouverture pour la libération du fluide de traitement ». S'agissant du brevet US 314 pris isolément ou en combinaison des autres brevets invoqués La partie description du brevet US 6 494 314, invoqué comme « art antérieur le plus proche » par les défenderesses, dont la traduction libre n'est pas contestée, enseigne que : « Dans un autre mode de réalisation illustré à la figure 7, une cartouche de gaz sous pression 100 est couplée à une seringue 102 pour remplir la seringue 102 avec un gaz médical. La cartouche peut être en métal, en plastique, en verre ou en d'autres matériaux appropriés, capables de maintenir le gaz sous une pression suffisante pour remplir la seringue. La cartouche 100 comprend une valve à commande manuelle 104 comportant un bouton d'actionnement 105. La valve 104 comporte un élément d'accouplement 106, tel qu'un accouplement fileté, pour permettre la connexion à un boîtier de filtre 108. Le boîtier de filtre 108 est typiquement un filtre HEPA tel que connu dans l'art pour éliminer les particules et autres impuretés. Un raccord de sortie 110 est prévu dans le boîtier de filtre 108 pour se connecter à la seringue 102. La seringue 102, dans le mode de réalisation illustré, possède un raccord de type luer lock pour le raccordement au filtre. [?] Alternativement, la seringue peut avoir un embout conique pour se fixer au raccord de sortie et pour recevoir une aiguille ou un autre mode de distribution ou dispositif. Durant l'utilisation, le bouton 105 est enfoncé pour libérer le gaz de la cartouche pour remplir la seringue. Typiquement, les cartouches contiennent une quantité suffisante de gaz pour rincer la seringue afin d'éliminer tous les contaminants qui peuvent être présents. Dans la réalisation de l'invention, la seringue et la cartouche sont enfermées dans un récipient qui a une cavité contenant le même gaz que celui contenu dans la cartouche » (colonne 7, lignes 19 à 47). Certes le dispositif représenté à la figure 7 du brevet US 314 comprend, à l'instar du dispositif selon la revendication 1 du brevet EP 926, une cartouche (100) contenant du gaz sous pression qui est dotée d'une valve (104) – actionnée manuellement via un bouton (105) – et une seringue (102) à remplir, toutefois, il convient d'examiner les caractéristiques revendiquées du dispositif de raccordement/stérilisation disposé entre la cartouche et la seringue, du réservoir et de la valve, partie caractérisante de la revendication 1. L'effet technique de stérilisation allégué par les défenderesses du boitier de filtre (108) du dispositif de la figure 7 du brevet US 314 ne peut être déduit de la seule mention dans la description de ce qu'il « est typiquement un filtre HEPA tel que connu dans l'art pour éliminer les particules et autres impuretés » (colonne 7, lignes 27 à 29). A cet égard, l'article intitulé « What is a HEPA filter ? » – se traduisant par « qu'est-ce qu'un filtre HEPA ? » – publié sur internet, dont la date est inconnue, et l'extrait de la page « HEPA » de l'encyclopédie en ligne Wikipédia, dont les références citées en notes de bas de page démontrent qu'il date au plus tôt de l'année 2020, invoqués par les défenderesses (leurs pièces no60 et 61), ne permettent pas à eux seuls de démontrer que l'élimination des particules et autres impuretés par le filtre HEPA mentionné dans la description du brevet US 314 publié le 17 décembre 2002 avait pour effet technique de stériliser le gaz issu de la cartouche à l'instar du dispositif (5) de stérilisation par filtration du brevet EP 926 dont l'effet technique est, selon la revendication 1 et la description (paragraphe [0062]), de stériliser le fluide de traitement issu de la cartouche. Il n'est donc pas établi que le boitier de filtre (108) de la figure 7 du brevet US 314 divulgue les caractéristiques du dispositif (5) de stérilisation par filtration du brevet EP 926. Par ailleurs, le dispositif de la figure 7 du brevet US 314 comprend certes une cartouche (100), toutefois, il ne ressort pas du brevet que cette cartouche (100) ne contient qu'une dose unitaire de fluide de traitement libérée dans le cylindre de la seringue à la pression atmosphérique lors de l'ouverture de la valve (104), et uniquement cette quantité prédéterminée, à l'instar du réservoir (3) du dispositif selon la revendication 1 du brevet EP 926. La description de ce mode de réalisation du brevet US 314 précise au contraire que « durant l'utilisation, le bouton (105) est enfoncé pour libérer le gaz de la cartouche pour remplir la seringue. Typiquement, les cartouches contiennent une quantité suffisante de gaz pour rincer la seringue afin d'éliminer tous les contaminants qui peuvent être présents » (colonne 7, lignes 32 à 41), ce qui implique que la cartouche (100) contient une quantité de gaz supérieure à la quantité individuelle de traitement et ne libère pas uniquement cette quantité dans le cylindre de la seringue à la pression atmosphérique. La phrase « conformément à la présente invention, un emballage pré-rempli contenant une dose unitaire de gaz médical et son procédé de fabrication sont fournis » dans la description du brevet US 314 (colonne 7, lignes 61 à 63), invoquée par les défenderesses, ne permet pas davantage de l'établir, étant observé qu'il s'agit des seringues pré-remplies, modes de réalisation représentés aux figures 2, 5 et 6 dont la description précise qu'elles contiennent une dose unitaire (« unit dose »), et non du dispositif représenté à la figure 7. Le brevet ne l'indique pas pour ce mode de réalisation. Il en est de même de la revendication 12 du brevet US 314, énoncée ci-après dont la traduction libre n'est pas contestée, à laquelle les défenderesses se bornent à renvoyer le tribunal par cette mention lapidaire dans leurs conclusions « voir également la revendication 12 », sans exposé argumentaire, tandis qu'il ne ressort pas des termes de la revendication 12 que le dispositif de dosage dont s'agit comporte une cartouche, ni que le gaz est sous pression ni même que la quantité de gaz est une dose unitaire : « 12. Dispositif de dosage pour introduire un gaz pharmaceutiquement acceptable dans un récipient, le dispositif comprenant :- une seringue comportant une zone de stockage de gaz ;- un dispositif d'alimentation de gaz couplé de manière amovible à la seringue de sorte que le dispositif d'alimentation en gaz est efficace pour remplir un volume prédéterminé de la zone de stockage de gaz avec le gaz pharmaceutiquement acceptable ; et - un récipient sensiblement étanche à l'air enfermant ladite seringue de gaz, le récipient ayant un volume interne contenant une quantité de gaz pharmaceutiquement acceptable ». Les défenderesses, qui invoquent ensuite un extrait de la description du brevet US 5 125 079 (leur pièce no62) en ce qu'il divulguerait une cartouche de gaz contenant une dose unitaire d'un médicament, arguent que « l'homme du métier aurait trouvé dans ce document une indication claire sur la manière de fournir uniquement la dose unitaire dans la cartouche de gaz du document US 6 494 314 ». Or, les défenderesses ne démontrent pas leur affirmation et l'extrait invoqué de la description du brevet US 079 n'est pas pertinent puisqu'il indique seulement, selon la traduction libre non contestée, « si un vaccin doit être administré par un IDM, il serait avantageux que le patient ne soit autorisé à s'administrer qu'une seule dose, évitant ainsi les complications de surdosage qui pourraient autrement survenir. L'une des réalisations de l'invention passe par la formulation de la composition médicamenteuse/propulsive dans la cartouche 10 pour inclure une dose de médicament » (colonne 2, lignes 46 à 53), étant par ailleurs observé que le brevet US 079 revendique un dispositif d'administration d'un vaccin par inhalation, et partant, sans seringue (colonne 1, lignes 13 à 20). En outre, les défenderesses, qui effectuent un raisonnement a posteriori, n'expliquent pas comment l'homme du métier, confronté à l'enseignement du brevet US 314, aurait été incité à consulter le brevet US 079, relatif à un inhalateur, pour améliorer le dispositif représenté à la figure 7 du brevet US 314 puis aboutir au dispositif selon la revendication 1 du brevet EP 926. En outre, les caractéristiques de la valve (104) comportant un bouton d'actionnement (105) du dispositif représenté à la figure 7 du brevet US 314 sont inconnues, et les défenderesses reconnaissent elles-mêmes dans leurs conclusions qu'il ne peut être considéré que cette valve divulgue les caractéristiques de la valve (10) de sortie de la revendication 1 du brevet EP 926 dont l'effet technique est une manipulation simple et ergonomique du dispositif selon l'invention tant pour l'assemblage que le remplissage de la seringue (paragraphe [0016]). Pour y pallier, les défenderesses visent les valves des brevets US 1 408 272, US 3 853 157, US 4 266 941 et EP 0 324 257. Or, il ne ressort pas de l'examen des valves dont s'agit qu'elles ont cet effet technique et au demeurant les défenderesses, qui se bornent à invoquer l'existence de ces valves, ne le démontrent pas. Il en est de même des valves des brevets US 5 423 791, US 5 573 516, W0/9834582 et WO 2002/07102, auxquelles les défenderesses se contentent de renvoyer le tribunal sans autre exposé argumentaire que ces termes « Enfin, les concluantes versent aux débats quatre inventions supplémentaires qui faisaient partie de l'art antérieur et qui décrivent, dans le domaine médical, des dispositifs de valve similaires à celle décrite dans le brevet EP 926 » (page 92 de leurs conclusions). Il s'ensuit que le brevet US 314, pris isolément ou en combinaison des autres brevets invoqués, est inopérant à établir que l'homme du métier serait parvenu de manière évidente, avec ses seules connaissances et par de simples opérations d'exécution, au dispositif selon la revendication 1 du brevet EP 926 à partir des enseignements de l'état de la technique. S'agissant de la brochure du dispositif « KitGas » en combinaison des brevets invoqués Les défenderesses invoquent ensuite, comme « art antérieur alternatif », une brochure de la société CHAUVIN-OPSIA datée de février 2000 (leur pièce no16) présentant comme suit un dispositif dénommé « KitGas » dont il est indiqué qu'il sera disponible le premier quadrimestre 2000 :- une photographie du kit composé de 6 éléments identifiés des lettres A à F de la façon suivante : « A – Poche de gaz 60 ccB – Seringue 60 ccC – Filtre 0,22 ccD – Robinet 2 voiesE – PercuteurF – Aiguille 30 G » ;- une photographie illustrant l'utilisation du kit, en particulier un praticien prélevant le gaz de la poche en tirant sur le piston de la seringue pour la remplir ; - un premier texte intitulé « Gaz ophtalmiques SF6, C2F6, C3F8 » : « Choisis pour leur pouvoir de tamponnement important, les gaz vitréo-rétiniens étaient jusqu'à présent conditionnés uniquement en bouteille de gaz sous pression. Aujourd'hui KitGas propose un prélèvement simplifié et normalisé, en conditions stériles, à partir d'une poche accessoirisée sous emballage à double protection » ; - un second texte intitulé « Le premier kit unidose stérile prêt sur le champ » :« KitGas est un ensemble compact et complet pour le prélèvement et le dosage de gaz de tamponnement de la rétine. La poche en dose unique supprime les contraintes d'encombrement liées aux conditionnements sous pression. Les 6 éléments du kit s'assemblent facilement. Ils sont protégés par deux blisters indépendants qui garantissent la stérilité et répondent aux normes de sécurité actuelles. KitGas est donc immédiatement disponible au plus près de la zone opératoire. Le conditionnement et le jeu d'étiquettes permettent d'assurer la traçabilité des produits tout en simplifiant la procédure de suivi. La carte patient favorise une bonne information du patient. Le kit unidose autorise le réassortiment permanent des 3 gaz. Le chirurgien dispose toujours du gaz le mieux indiqué ». Si le dispositif KitGas est composé, à l'instar du dispositif selon la revendication 1 du brevet EP 926, d'un fluide de traitement (gaz SF6, C2F6, C3F8), d'une seringue et d'un filtre, force est de constater que celui-ci ne comprend pas une cartouche rigide dans laquelle le gaz de traitement est sous pression, mais une poche de gaz en plastique souple qui n'a pas pour effet technique de libérer à la pression atmosphérique une quantité individuelle de gaz de traitement dans le cylindre de la seringue, ce que confirme la brochure du dispositif KitGas, en particulier la photographie montrant l'utilisateur prélever le gaz de la poche en tirant sur le piston de la seringue pour la remplir et la phrase « Aujourd'hui KitGas propose un prélèvement simplifié et normalisé, en conditions stériles, à partir d'une poche accessoirisée ». Par ailleurs, le dispositif KitGas est composé d'un robinet deux voies tandis que la cartouche (3) rigide du dispositif selon la revendication 1 est dotée d'une valve (10) de sortie rappelée élastiquement axialement vers l'extérieur en position d'obstruction et pouvant être repoussée axialement vers l'intérieur en vue de son ouverture pour la libération du gaz de traitement (voir aussi paragraphe [0026] de la description du brevet EP 926 : « il n'est pas nécessaire de prévoir (?) un robinet d'arrêt pour le remplissage de la seringue à partir de la cartouche »), ladite valve actionnable axialement permettant ainsi le remplissage automatique du cylindre de la seringue d'une quantité individuelle de gaz de traitement à la différence du robinet deux voies du dispositif KitGas. Pour y pallier, les défenderesses soutiennent que « l'homme du métier aurait simplement à remplacer la poche de 60 ml avec gaz non pressurisé de KitGas par la cartouche rigide pressurisée avec valve axiale du brevet EP 926 ». Or, outre qu'elles n'expliquent pas comment l'homme du métier aurait été incité à le faire, les défenderesses procèdent à un raisonnement a posteriori fondé sur une connaissance de la solution de l'invention revendiquée par le brevet EP 926 et, partant, non pertinent. Les défenderesses se bornent ensuite à viser la valve de sortie de la cartouche comportant une poche interne des figures 2 et 3 du brevet US 4 266 941, puis les cartouches comportant une poche interne des figures 1 des brevets GB 1 440 752 et WO 88/10221 sans toutefois expliquer pourquoi l'homme du métier aurait été incité à consulter ces brevets et à combiner ces éléments, et ce en dépit des contestations de la société ARCADOPHTA qui leur reproche de viser des brevets « en bloc » sans exposé argumentaire. Les défenderesses renvoient, en dernier lieu, le tribunal à leur argumentaire précédent en ces termes : « comme il a été détaillé ci-dessus concernant la caractéristique 1.6 de la revendication 1 du brevet EP 926 au regard du brevet US 6 494 314 (en particulier du US 1 408 272, du US 4 266 941, du US 3 853 157 et du EP 0 324 257), il résulte des éléments de l'art antérieur (?) qu'il était évident, pour l'homme du métier, d'appliquer le type de valve décrit dans le brevet EP 926 au dispositif KitGas » (page 100 de leurs conclusions). Or, outre que ces documents ne sont pas pertinents comme précédemment exposé, les défenderesses renvoient le tribunal à leur argumentaire développé à partir du dispositif de la figure 7 du brevet US 314, dont la structure et le fonctionnement diffèrent du dispositif KitGas, et qui, de ce fait, est inopérant à démontrer un défaut d'activité inventive de la revendication 1 du brevet EP 926 à partir de la brochure du dispositif KitGas. Il s'ensuit que la brochure relative au dispositif KitGas, même combinée aux brevets invoqués, est inopérante à établir que l'homme du métier serait parvenu de manière évidente, avec ses seules connaissances et par de simples opérations d'exécution, au dispositif selon la revendication 1 du brevet EP 926 à partir des enseignements de l'état de la technique. Au regard de tout ce qui précède, le moyen de nullité tiré du défaut d'activité inventive de la revendication principale 1 et, partant, des revendications placées sous sa dépendance, sera écarté. En conséquence, les moyens d'insuffisance de description, de défaut de nouveauté et de défaut d'activité inventive de la revendication principale 1 du brevet EP 926 étant tous écartés, les défenderesses seront déboutées de leur demande en nullité tant de cette revendication que des revendications dépendantes 2, 3, 7, 8, 9, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 et 23 dès lors que la validité d'une revendication principale entraîne celle des revendications placées sous sa dépendance (Cass. com., 8 avril 2008, no 05-17.570 et no 05-19.280 ; 27 janvier 2021, no18-17.063). Sur la demande reconventionnelle en nullité des revendications 20 à 23 pour défaut d'application industrielle Les défenderesses soutiennent que le procédé selon les revendications 20 à 23 du brevet EP 926 n'est pas susceptible d'application industrielle en ce qu'il doit être exécuté par un praticien et ne peut pas être utilisé dans tout genre d'industrie dès lors qu'il ne peut être appliqué par tous et requiert au contraire des talents spécifiques chez son utilisateur. La société ARCADOPHTA répond que le procédé selon les revendications 20 à 23 est susceptible d'application industrielle dès lors qu'il présente un caractère technique non contesté par les défenderesses. SUR CE, L'article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle dispose que « la nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l'un quelconque des motifs visés à l'article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich ». Aux termes de l'article 138 de la Convention de Munich du 5 octobre 1973 sur la délivrance de brevets européens, « (1) Sous réserve de l'article 139, le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un État contractant, que si : [...] a) l'objet du brevet européen n'est pas brevetable en vertu des articles 52 à 57 ». L'article 52.1 de la même Convention énonce que « les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle ». Selon l'article 57 « Application industrielle » de ladite Convention, « une invention est considérée comme susceptible d'application industrielle si son objet peut être fabriqué ou utilisé dans tout genre d'industrie, y compris dans l'agriculture ». En l'espèce, pour mémoire, les revendications 20 à 23 du brevet EP 926 sont énoncées comme suit : « 20. Procédé de préparation extemporanée d'une quantité individuelle de fluide de traitement stérile pouvant être compressible en vue de son administration à un patient, caractérisé en ce que : - on utilise un dispositif (1) selon l'une des revendications 1 à 19, - on assemble axialement la seringue (4), le dispositif (5, 6) de raccordement/stérilisation, la valve (10) de la cartouche (3), de façon à réaliser entre eux une communication isolée hermétiquement de l'extérieur, - puis on rapproche axialement la seringue (4) et la cartouche (3) de façon à ouvrir la valve (10) et à introduire dans la seringue (4) une dose prédéterminée de fluide de traitement stérile, par équilibrage des pressions. 21. Procédé selon la revendication 20, caractérisé en ce qu'on dilue le fluide de traitement dans la seringue (4). 22. Procédé selon l'une des revendications 20 ou 21, caractérisé en ce que la seringue (4) et le dispositif (5) de stérilisation étant préalablement assemblés, on réalise l'assemblage axial uniquement en reliant l'entrée du dispositif de stérilisation à la valve (10) de la cartouche (3). 23. Procédé selon l'une des revendications 20 à 22, caractérisé en ce qu'on dissocie ensuite le dispositif (5) de stérilisation par filtration de la seringue (4) à laquelle on raccorde une aiguille (7) d'administration ». A cet égard, les paragraphes [0066] et suivants de la description proposent un exemple de procédé selon l'invention d'utilisation d'un dispositif selon l'invention, dont les étapes sont illustrées aux figures 4 à 8. Ce mode de réalisation permet d'apprécier l'application industrielle. La mise en oeuvre par un « praticien », visé aux paragraphes [0003] et [0014] de la description, du procédé de préparation extemporanée d'une quantité individuelle de fluide de traitement stérile pouvant être compressible – notamment un gaz de traitement – à l'aide d'un dispositif selon les revendications 1 à 19, en vue de son administration à un patient pour certains actes de chirurgie ophtalmologique, constitue une application industrielle dudit procédé au sens de l'article 57 de la CBE dès lors que la notion d'industrie, qui doit être comprise au sens large, couvre toute activité exercée de manière ininterrompue et indépendante dans un but lucratif (en ce sens, décision T 144/83 du 27 mars 1986, JO OEB 1986, 301), que la mise en oeuvre du procédé a une implication économique et s'effectue au-delà du cercle privé (en ce sens, décision T 74/93 du 9 novembre 1994, JO OEB 1995, 712). Le moyen de nullité des revendications 20 à 23 du brevet EP 926 pour défaut d'application industrielle sera en conséquence écarté. Sur la demande reconventionnelle en nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 4 octobre 2018 La société AL.CHI.MI.A et la société OPHTA-FRANCE soutiennent que le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 4 octobre 2018 est entaché de nullité en ce que l'huissier instrumentaire n'a pas respecté les termes de l'ordonnance du 1er août 2018 dès lors que la description a été effectuée sur des produits qui n'ont pas été saisis réellement, que le secret des affaires de la société OPHTA-FRANCE n'a pas été respecté, que les opérations de saisie-contrefaçon ont territorialement et matériellement excédé les termes de l'ordonnance, mais aussi en ce que l'huissier instrumentaire n'a pas distingué clairement ses propres constatations des déclarations de l'expert et n'a pas retranscrit dans le procès-verbal toutes que les interventions de Monsieur [T] lors des opérations de saisie-contrefaçon. La société ARCADOPHTA fait valoir que l'huissier instrumentaire n'a pas saisi de manière globale et systématique des documents complets, qu'il a pris le soin de respecter le secret des affaires comme prévu dans l'ordonnance notamment en caviardant certains documents annexés au procès-verbal, qu'il n'a pas outrepassé la limitation géographique et matérielle de l'ordonnance dès lors que les opérations se sont intégralement tenues dans les locaux de la pharmacie de l'hôpital [8] et que l'ordonnance l'autorisait à se faire remettre les produits « GOT C3F8 multi », « GOT C2F6 multi » et « GOT SF6 multi » sans autre précision. Elle ajoute que l'utilisation d'une terminologie particulière ne suffit pas à considérer que l'huissier instrumentaire n'est pas personnellement l'auteur du procès-verbal et que les déclarations de Monsieur [T] sont parfaitement claires et confirmées par sa signature sans réserve du procès-verbal de saisie-contrefaçon à l'issue des opérations. SUR CE, Aux termes de l'article L. 615-5, alinéas 1 à 3, du code de la propriété intellectuelle, la contrefaçon peut être prouvée par tous moyens. A cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d'experts désignés par le demandeur, en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle des produits ou procédés prétendus contrefaisants ainsi que de tout document s'y rapportant. L'ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux produits ou procédés prétendus contrefaisants en l'absence de ces derniers.La juridiction peut ordonner, aux mêmes fins probatoires, la description détaillée ou la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour fabriquer ou distribuer les produits ou pour mettre en oeuvre les procédés prétendus contrefaisants. Les opérations de saisie-contrefaçon effectuées par un huissier de justice instrumentant en violation des limites fixées par l'ordonnance qui les autorise sont frappées d'une nullité d'ordre public (Cass. 1re civ., 8 novembre 2017, no16-21.751). A cet égard, il est constamment jugé que la saisie-contrefaçon étant une mesure probatoire exorbitante du droit commun, l'ordonnance qui l'autorise doit être interprétée strictement (CA Paris, 4e ch., 28 mars 2007, RG no06/8645 ; CA Paris, pôle 5 - chambre 1, 25 novembre 2009, RG no09/02848 ; 29 juin 2022, RG no21/06171). En l'espèce, il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 4 octobre 2018 que l'huissier instrumentaire a procédé comme suit : - en page 4 : « Monsieur [T] [S] [MCUPH Pharmacien] me déclare que les produits concernés sont intégralement stockés sur le site du CHU Hôtel Dieu mais qu'il va m'en faire venir immédiatement. Je lui demande 2 exemplaires de chaque produit suivant : GOT C3F8 multi, GOT C2F6 multi et GOT SF6 multi » ;- en page 6 : « Monsieur [T] me remet les produits demandés en double.Puis, j'entreprends l'ouverture du produit GOT multi Ref GOT 009-00 lot P17030025, conditionné dans un emballage carton fermé. A l'intérieur se trouvent un emballage transparent clos contenant une seringue [?] » (pièce demanderesse no12). Or, en l'absence des produits « GOT multi » argués de contrefaçon sur le lieu des opérations de saisie-contrefaçon, autorisée uniquement dans les locaux de la pharmacie centrale de l'hôpital [8], et dès lors que les opérations révélaient un lieu de stockage desdits produits au CHU Hôtel Dieu situé à 3 kilomètres (pièce défenderesses no20), l'huissier instrumentaire ne pouvait, sans y être expressément autorisé par l'ordonnance du 1er août 2018, demander que deux exemplaires de chacun des produits argués de contrefaçon lui soient apportés depuis cet autre lieu – dont l'adresse est absente du procès-verbal – pour procéder à leur description détaillée avec saisie réelle, qui plus est sans constatation de leur provenance. Il incombait à la société ARCADOPHTA de présenter une nouvelle requête devant le président du tribunal judiciaire afin d'être autorisée par ordonnance à faire procéder à une saisie-contrefaçon au CHU Hôtel Dieu. Il s'ensuit que l'huissier instrumentaire a outrepassé les termes de sa mission fixée par l'ordonnance du 1er août 2018. Le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 4 octobre 2018 sera en conséquence annulé sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens des défenderesses, lesquels sont surabondants. Sur la demande reconventionnelle en nullité du procès-verbal de constat d'huissier sur internet du 14 juin 2018 La société AL.CHI.MI.A et la société OPHTA-FRANCE soutiennent que les captures d'écran des pages du site internet <www.alchimiasrl.com>, annexées au procès-verbal de constat d'huissier du 14 juin 2018, sont dépourvues de valeur probante car illisibles et que des impressions des pages internet visitées ne sont pas annexées, de sorte que ce procès-verbal doit être écarté des débats. La société ARCADOPHTA fait valoir que les défenderesses n'exposent aucun grief, n'identifient pas les captures d'écran prétendument illisibles, qu'en tout état de cause, même si les reproductions ne sont pas parfaites, celles-ci demeurent lisibles, et que les impressions prétendument manquantes en annexe du procès-verbal ne sont pas davantage identifiées. SUR CE, Conformément à l'article 768 du code de procédure civile, les écritures doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. En l'espèce, dans le dispositif de leurs dernières conclusions les défenderesses demandent au tribunal de « JUGER que le procès-verbal de constat sur internet du 14 juin 2018 est nul et de nul effet ou, à tout le moins, qu'il est dépourvu de caractère probant et que, en tout état de cause, il doit être écarté des débats ». Toutefois, dans la partie discussion de leurs dernières conclusions, les défenderesses ne contestent pas la validité du procès-verbal de constat d'huissier sur internet du 14 juin 2018 mais en contestent la valeur probante sous l'intitulé « II.1.2. La mise à l'écart du procès-verbal de constat sur internet du 14 juin 2018 », et concluent l'exposé de leurs moyens en ces termes : « En conséquence, le tribunal n'accordera donc aucun crédit à la pièce adverse no7 qui sera écartée des débats et qui, par ailleurs, ne démontre en rien la contrefaçon alléguée comme cela sera démontré ci-après ». Aucun moyen de nullité du procès-verbal de constat d'huissier sur internet du 14 juin 2018 n'étant exposé par les défenderesses dans la partie discussion, la demande en nullité énoncée au dispositif de leurs dernières conclusions ne peut qu'être rejetée. Par ailleurs, il n'y a pas lieu d'écarter cette pièce des débats mais d'en apprécier la valeur probante lors de l'examen au fond de la demande en contrefaçon des revendications opposées du brevet EP 926. Sur le procès-verbal de constat d'huissier sur internet du 1er décembre 2020 Selon l'article 768 du code de procédure civile, les écritures doivent formuler expressément les prétentions des parties. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions. En l'espèce, tandis que dans leurs dernières conclusions du 19 janvier 2022, la société ARCADOPHTA et la société BVI FRANCE répondaient aux moyens de nullité du procès-verbal du constat d'huissier sur internet du 1er décembre 2020 en ces termes : « Toutefois, cette demande ne figure pas au dispositif des conclusions adverses, de sorte que le tribunal n'ai pas saisi de cette prétention, en application de l'article 768 du code de procédure civile » (page 113 de leurs conclusions), force est de constater que les défenderesses, qui ont pourtant conclu en dernier le 22 mars 2022, n'ont pas complété le dispositif de leurs dernières conclusions en ce sens. Or, seul le dispositif des dernières conclusions des parties saisit le tribunal conformément à l'article 768 du code de procédure civile. Le tribunal n'est donc saisi d'aucune demande reconventionnelle des défenderesses en nullité du procès-verbal de constat d'huissier sur internet du 1er décembre 2020. Sur la contrefaçon des revendications opposées du brevet EP 926 La société ARCADOPHTA soutient qu'il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 4 octobre 2018 que les produits « GOT Multi » litigieux reproduisent l'ensemble des caractéristiques du dispositif selon les revendications 1, 2, 3, 7, 8, 14, 16, 17, 18 et 19, et que leur utilisation, conforme à la notice d'utilisation présente dans leur emballage, reproduit l'ensemble des caractéristiques du procédé selon les revendications 20, 21, 22 et 23 du brevet EP 926. S'agissant de la revendication 1, elle invoque également le remplissage partiel de la seringue dans la vidéo de démonstration des produits litigieux sur le site internet de la société AL.CHI.MI.A et la mention d'un « usage unique » desdits produits sur le site internet de la société OPHTA-FRANCE selon procès-verbaux de constat d'huissier sur internet du 1er décembre 2020. La société AL.CHI.MI.A et la société OPHTA-FRANCE, qui contestent la prétendue reproduction des revendications opposées du brevet EP 926, font valoir que les allégations de contrefaçon de la demanderesse ne s'appuient que sur le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 4 octobre 2018 entaché de nullité et, à la marge, de procès-verbaux de constat d'huissier non probants, de sorte que la société ARCADOPHTA doit être déboutée de ses demandes. SUR CE, L'article L. 613-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que sont interdites, à défaut de consentement du propriétaire du brevet :a) La fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'utilisation, l'importation, l'exportation, le transbordement, ou la détention aux fins précitées du produit objet du brevet ;b) L'utilisation d'un procédé objet du brevet ou, lorsque le tiers sait ou lorsque les circonstances rendent évident que l'utilisation du procédé est interdite sans le consentement du propriétaire du brevet, l'offre de son utilisation sur le territoire français ;c) L'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, l'importation, l'exportation, le transbordement ou la détention aux fins précitées du produit obtenu directement par le procédé objet du brevet. Aux termes de l'article L. 613-4, 1o du même code, est également interdite, à défaut de consentement du propriétaire du brevet, la livraison ou l'offre de livraison, sur le territoire français, à une personne autre que celles habilitées à exploiter l'invention brevetée, des moyens de mise en oeuvre, sur ce territoire, de cette invention se rapportant à un élément essentiel de celle-ci, lorsque le tiers sait ou lorsque les circonstances rendent évident que ces moyens sont aptes et destinés à cette mise en oeuvre. Selon l'article L. 615-1 dudit code, toute atteinte portée aux droits du propriétaire du brevet, tels qu'ils sont définis aux articles L. 613-3 à L. 613-6, constitue une contrefaçon. La contrefaçon engage la responsabilité civile de son auteur. Toutefois, l'offre, la mise sur le marché, l'utilisation, la détention en vue de l'utilisation ou la mise sur le marché d'un produit contrefaisant, lorsque ces faits sont commis par une autre personne que le fabricant du produit contrefaisant, n'engagent la responsabilité de leur auteur que si les faits ont été commis en connaissance de cause. Aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. En l'espèce, il ressort des dernières conclusions de la société ARCADOPHTA que l'ensemble des moyens au soutien de ses prétentions fondées sur la contrefaçon de brevet sont exposés principalement à l'appui du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 4 octobre 2018, ce qu'elle confirme elle-même dans ses conclusions en ces termes : « Par conséquent, l'analyse de la reproduction de la revendication 1 se fera principalement sur la base des constations de l'huissier sur le dispositif GOT C3F8 Multi mais elle s'applique de la même manière aux produits GOT C2F6 Multi et GOT SF6 Multi. Il sera donc ci-après visé principalement les références (pages) du PV de saisie relatives au dispositif GOT C3F8 Multi » (page 118 de ses conclusions). S'agissant de la revendication 1, seules les allégations suivantes de la société ARCADOPHTA reposent sur d'autres pièces que le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 4 octobre 2018 annulé : - « Il est d'ailleurs bien visible sur les vidéos de démo d'utilisation des produits GOT Multi mises en ligne par AL.CHI.MIA. que les praticiens ne remplissent pas au maximum la seringue. Et d'ailleurs, si les praticiens remplissaient totalement la seringue (à 60 ml), ils ne pourraient jamais réaliser 5 injections (s'agissant d'une cartouche de gaz de 75 ml) revendiquées par les défenderesses pour ses produits GOT Multi ! (pièce adverse no8, pièce no7-1, pièce no31 – annexe 3, pièce no31 – annexe 4) » (page 140 de ses conclusions) ; - « En effet, le propre site internet de la société OPHTA FRANCE indique que chacun des sets GOT Multi (SF6, C2F6, C3F8) est « à usage unique » comme le montre de constat d'huissier du 1er décembre 2020 (pièce no32) » (page 145 de ses conclusions). Or, ces seuls éléments ne permettent pas d'établir la reproduction de l'ensemble des caractéristiques de la revendication 1. Par ailleurs, il ressort des dernières conclusions de la société ARCADOPHTA que le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 4 octobre 2018 annulé est également la seule pièce qu'elle invoque au soutien de ses allégations relatives à la reproduction des caractéristiques des revendications 2, 3, 7, 8, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 et 23. Aucune autre pièce n'est invoquée. Au regard de tout ce qui précède, le procès-verbal de saisie-contrefaçon annulé et ses annexes étant dépourvus de valeur probante (Cass. com., 1er juillet 2003, no01-10.807) et la demanderesse ne pouvant plus se prévaloir de leur contenu (Cass. com., 28 septembre 2022, no 20-16.874), ni la reproduction alléguée de l'ensemble des caractéristiques de la revendication 1 ni la reproduction alléguée de l'ensemble des caractéristiques de chacune des revendications 2, 3, 7, 8, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 et 23 de la partie française du brevet EP 926 par chacun des produits litigieux « GOT C3F8 Multi », « GOT C2F6 Multi » et « GOT SF6 Multi » ne sont établies. Les demandes de la société ARCADOPHTA fondées sur la contrefaçon de brevet ne peuvent dès lors qu'être rejetées. Sur la concurrence déloyale et parasitaire La société BVI FRANCE soutient que les actes de contrefaçon du brevet EP 926 commis par les défenderesses au détriment de la société ARCADOPHTA sont constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire à son égard, étant distributeur exclusif des produits « ARCEOLE » en France. Elle répond aux défenderesses que la mise en oeuvre du brevet EP 926 par les produits « ARCEOLE » ressort de la mention de ce brevet sur l'emballage selon la pièce no19 qu'elle produit, et qu'il ne saurait être exigé d'elle la démonstration de la reproduction de chacune des caractéristiques des revendications du brevet EP 926 par les produits « ARCEOLE ». Elle souligne que les défenderesses ont retenu pour leurs produits « GOT Multi » la même seringue « TERUMO » provenant du même fabricant japonais et que ce n'est pas le fruit du hasard car il existe sur le marché une multitude de références de seringues proposées par plusieurs dizaines de fabricants. Elle ajoute que la cartouche de gaz et la seringue des produits litigieux « GOT Multi » sont conditionnés dans un seul blister à l'instar des produits « ARCEOLE » et que les défenderesses ont réduit de plusieurs centimètres l'emballage des produits « GOT Multi » qui est désormais sensiblement équivalent aux dimensions de l'emballage des produits « ARCEOLE ». La société AL.CHI.MI.A et la société OPHTA-FRANCE font valoir que la concurrence déloyale et parasitaire telle qu'alléguée par la société BVI FRANCE est subordonnée à la preuve de la reproduction du brevet EP 926 par les produits « ARCEOLE » dont elle dit être le distributeur exclusif et que la pièce adverse no19 communiquée, à savoir un exemplaire du produit ARCEOLE SF6, ne porte aucune mention du brevet EP 926. Elles ajoutent que les développements de la société BVI FRANCE au soutien de ses prétentions sont lapidaires alors qu'il lui incombe de rapporter la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité. Elles soulignent que la société BVI FRANCE ne démontre ni un risque de confusion entre les produits « ARCEOLE » et les produits litigieux « GOT Multi » ni qu'elles se seraient placées dans son sillage en profitant indûment des investissements consentis ou de sa notoriété, et que la commercialisation de dispositifs médicaux de chirurgie oculaire relève du principe de la liberté du commerce et de l'industrie. SUR CE, L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Selon l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce, ce qui implique qu'un signe ou un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute, laquelle peut être constituée par la création d'un risque de confusion sur l'origine du produit dans l'esprit de la clientèle, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce. L'appréciation de cette faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté de l'usage, l'originalité et la notoriété de la prestation copiée. Le parasitisme, qui n'exige pas de risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et sans bourse délier des investissements, d'un savoir-faire ou d'un travail intellectuel d'autrui, produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel. Il incombe à celui qui allègue un acte de parasitisme d'établir le savoir-faire ainsi que les efforts humains et financiers consentis par lui, ayant permis la création d'une valeur économique individualisée. En l'espèce, la société BVI FRANCE se borne à affirmer dans ses conclusions que les actes de contrefaçon de brevet commis à l'égard de la société ARCADOPHTA constituent des actes de concurrence déloyale et parasitaire à son égard. Or, elle est intervenue volontairement à l'instance non pas en qualité de licenciée du brevet EP 926 mais en qualité de distributrice des produits « ARCEOLE ». Sa demande indemnitaire étant fondée sur la concurrence déloyale et parasitaire en vertu de l'article 1240 du code civil, il lui incombait de démontrer l'existence d'un risque de confusion entre les produits « ARCEOLE » qu'elle distribue et les produits litigieux « GOT Multi », dont au demeurant il n'est pas établi qu'ils contrefont les revendications opposées du brevet EP 926. Le risque de confusion ne saurait résulter de la seule circonstance que les produits « ARCEOLE » et les produits litigieux « GOT Multi » contiennent le modèle de seringue « TERUMO » – sur lequel la demanderesse n'invoque aucun droit – provenant du même fabricant japonais, du conditionnement de la cartouche de gaz et de la seringue dans un seul blister et de la dimension des emballages. Il s'ensuit que la concurrence déloyale alléguée n'est pas caractérisée. En outre, la société BVI FRANCE ne fait état d'aucun investissement et ne démontre pas que les produits « ARCEOLE » ont acquis une valeur économique individualisée, de sorte que le parasitisme allégué n'est pas davantage caractérisé. En conséquence, la société BVI FRANCE sera déboutée de l'ensemble de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire. Sur les demandes reconventionnelles pour procédure abusive La société AL.CHI.MI.A et la société OPHTA-FRANCE soutiennent que la présente procédure témoigne d'une instrumentalisation du tribunal et du juge de la mise en état à la suite de l'appel d'offres du CHU de [Localité 5] et d'une intention de leur nuire qui leur occasionne un préjudice conséquent en ce qu'elles ont été contraintes de consacrer des ressources à la préparation et à l'adaptation de leur défense au gré des fluctuations de la stratégie procédurale de la demanderesse et de l'intervenante volontaire, en ce compris la préparation des écritures, le dépôt d'un incident en nullité de l'assignation et la préparation d'une réplique au prétendu droit d'information de la demanderesse. Elles ajoutent que la demande de publication du jugement à intervenir illustre leur stratégie de nuisance et de dénigrement des produits « GOT Multi » de la société AL.CHI.MI.A. La société ARCADOPHTA et la société BVI FRANCE font valoir que les demandes indemnitaires des défenderesses sont injustifiées dès lors qu'elles ne rapportent pas la preuve de circonstances justifiant une condamnation au titre de la procédure abusive. Elles soulignent que les défenderesses ne peuvent invoquer un prétendu bouleversement de leur stratégie procédurale en cours d'instance alors qu'elles ont elles-mêmes considérablement modifié leurs demandes reconventionnelles et moyens en défense dans leurs conclusions no3 après trois ans de procédure. SUR CE, L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Aux termes de l'article 1241 du même code, chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. Le droit d'agir en justice dégénère en abus constitutif d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil lorsqu'il est exercé en connaissance de l'absence totale de mérite de l'action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant le défendeur à se défendre contre une action que rien ne justifie sinon la volonté d'obtenir ce que l'on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté. En l'espèce, la seule circonstance que les demandes de la société ARCADOPHTA et de la société BVI FRANCE soient rejetées n'est pas de nature à faire dégénérer l'action en abus. En outre, les défenderesses, qui procèdent par voie d'affirmation dans leurs écritures quant à la prétendue intention de nuire de la demanderesse et de l'intervenante volontaire, ne justifient d'aucun préjudice distinct des frais exposés pour se défendre en justice, lesquels sont indemnisés au titre de l'article 700 du code de procédure civile. En conséquence, leurs demandes reconventionnelles pour procédure abusive seront rejetées. Sur l'amende civile Les défenderesses sollicitent, sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile, la condamnation de la société ARCADOPHTA et de la société BVI FRANCE au paiement d'une amende civile. La société ARCADOPHTA et la société BVI FRANCE ne répondent pas sur ce point. SUR CE, Selon l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10.000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. Pour rappel, les dispositions de l'article 32-1 du code de procédure civile ne trouvent à s'appliquer qu'à l'initiative du tribunal. Une partie n'a pas d'intérêt personnel à solliciter la condamnation de l'adversaire à une amende civile payable au Trésor public, et en tout état de cause les circonstances de l'espèce excluent une telle condamnation, de sorte qu'il ne sera pas fait application de l'article 32-1 du code de procédure civile. Sur les demandes accessoires Sur les dépens Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie. L'article 699 du même code dispose que les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision. La partie contre laquelle le recouvrement est poursuivi peut toutefois déduire, par compensation légale, le montant de sa créance de dépens. La société ARCADOPHTA et la société BVI FRANCE, qui succombent à l'instance, seront condamnées in solidum aux dépens dont distraction au profit de Maître Loïc LEMERCIER conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Sur l'article 700 du code de procédure civile L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation. La société ARCADOPHTA et la société BVI FRANCE ayant été déboutées de l'ensemble de leurs demandes formées à l'encontre de la société AL.CHI.MI.A et de la société OPHTA-FRANCE, l'équité commande de les condamner in solidum à leur payer la somme de 25.000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile. Sur l'exécution provisoire Aux termes de l'article 515 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable au présent litige, hors les cas où elle est de droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d'office, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi. Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation. En l'espèce, l'exécution provisoire, nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, sera ordonnée. PAR CES MOTIFS Le tribunal, ECARTE la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de la société BVI FRANCE soulevée par la société de droit italien AL.CHI.MI.A et la société OPHTA-FRANCE ; DECLARE la société de droit italien AL.CHI.MI.A et la société OPHTA-FRANCE irrecevables en leur demande reconventionnelle en nullité de la revendication 12 de la partie française du brevet européen EP 1 589 926 ; ANNULE le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 4 octobre 2018 ; DEBOUTE la société de droit italien AL.CHI.MI.A et la société OPHTA-FRANCE de leur demande reconventionnelle en nullité du procès-verbal de constat d'huissier sur internet du 14 juin 2018 ; DEBOUTE la société de droit italien AL.CHI.MI.A et la société OPHTA-FRANCE de leur demande reconventionnelle tendant à voir écarter des débats le procès-verbal de constat d'huissier sur internet du 14 juin 2018 ; DEBOUTE la société de droit italien AL.CHI.MI.A et la société OPHTA-FRANCE de l'ensemble de leurs demandes reconventionnelles en nullité des revendications 1, 2, 3, 7, 8, 9, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 et 23 de la partie française du brevet européen EP 1 589 926 ; DEBOUTE la société ARCADOPHTA de l'ensemble de ses demandes fondées sur la contrefaçon des revendications 1, 2, 3, 7, 8, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 et 23 de la partie française du brevet européen EP 1 589 926 ; DEBOUTE la société BVI FRANCE de l'ensemble de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire ; DEBOUTE la société de droit italien AL.CHI.MI.A et la société OPHTA-FRANCE de leurs demandes reconventionnelles pour procédure abusive ; DIT n'y avoir lieu à application de l'article 32-1 du code de procédure civile ; CONDAMNE in solidum la société ARCADOPHTA et la société BVI FRANCE aux dépens dont distraction au profit de Maître Loïc LEMERCIER conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ; CONDAMNE in solidum la société ARCADOPHTA et la société BVI FRANCE à payer à la société de droit italien AL.CHI.MI.A et la société OPHTA-FRANCE la somme de 25.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision.Fait et jugé à Paris le 27 septembre 2023 La greffière Le président
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JURITEXT000048389792
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 13 septembre 2023, 20/10171
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2023-09-13
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/10171
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 20/10171 - No Portalis 352J-W-B7E-CTAFU No MINUTE : Assignation du :16 octobre 2020 JUGEMENT rendu le 13 septembre 2023 DEMANDERESSE S.A.S.U. PARISOT INDUSTRIE[Adresse 2][Localité 3] représentée par Maître Damien REGNIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0451 DÉFENDERESSE S.A.S.U. APHORISM FACTORY[Adresse 1][Localité 4] représentée par Maître Marion AÏTELLI de la SELARL AL AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C1831 COMPOSITION DU TRIBUNAL Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjointLinda BOUDOUR, jugeArthur COURILLON-HAVY, juge assistés de Lorine MILLE, greffière lors des débats et de Caroline REBOUL, greffière lors de la mise à disposition. DÉBATS A l'audience du 23 mars 2023 tenue en audience publique devant Jean-Christophe GAYET et Linda BOUDOUR, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir donné lecture du rapport, puis entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 28 juin 2023 puis prorogé au 13 septembre 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort ________________________________ EXPOSE DU LITIGE La SASU PARISOT INDUSTRIE, anciennement VOGICA INTERNATIONAL, a pour activité la fabrication et la commercialisation de meubles. Elle est titulaire, par acte de cession du 19 décembre 2011, des marques suivantes que la SAS GROUPE PARISOT lui a cédées après les avoir acquises le 27 septembre 2011 dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire de la société VOGICA : - la marque semi-figurative française « vogica » no 1486630, déposée le 26 octobre 1976 pour désigner des meubles de cuisine et de salles de bain en classes 11 et 20 ; - la marque semi-figurative française « V vogica » no 96654736, déposée le 10 décembre 1996 pour désigner des « baignoires, garnitures de baignoires, douches, cabines de douche, receveurs de douche, robinets, robinets mélangeurs pour conduite d'eau, éviers, lavabos, vasques, bidets, appareils et installations sanitaires, toilettes (WC), cuvettes de toilette, sièges de toilette. Meubles de cuisine, meubles de salle de bain, plans de toilette » en classes 11 et 20 ; - la marque verbale de l'Union européenne « VOGICA » no 4567244, déposée le 29 juillet 2005 pour désigner des produits en classes 11, 20 et 21 ; - la marque semi-figurative française « vogica – les PRÊTS.A.POSER » no 3479310 déposée le 5 février 2007 pour désigner des produits en classes 11, 20 et 21 ; La société PARISOT INDUSTRIE est également titulaire des marques suivantes qu'elle a déposées quelques semaines avant l'acte de cession susvisé du 19 décembre 2011 : - la marque verbale française « VOGICA » no 3874225 déposée le 16 novembre 2011 pour désigner des produits et services en classes 6, 7, 8, 11, 16, 19, 20, 21, 24, 25, 27, 35, 36, 37, 39, 41, 42 et 43 ; - la marque verbale de l'Union européenne « VOGICA » no 10452266 déposée le 29 novembre 2011 pour désigner des produits et services en classes 6, 7, 8, 11, 16, 19, 20, 21, 24, 25, 27, 35, 36, 37, 39, 41, 42 et 43. La SASU APHORISM FACTORY a pour activité l'achat, la gestion, l'exploitation et la location bail de droits de propriété intellectuelle. Elle est titulaire de la marque verbale française « VOGICA » no 4677598 déposée le 29 août 2020 pour désigner des produits et services en classes 7, 11, 20, 21 et 35. Par courrier de son conseil en propriété industrielle du 7 septembre 2020, la société APHORISM FACTORY a informé la société PARISOT INDUSTRIE du dépôt, le 29 août 2020, de la marque verbale française « VOGICA » no 4677598, lui a proposé de racheter ses marques et précisé qu'à défaut elle se réservait le droit d'agir en déchéance de ses droits sur celles-ci pour défaut d'usage sérieux. Reprochant à la société APHORISM FACTORY le dépôt de la marque verbale française « VOGICA » no 4677598 en fraude de ses droits antérieurs, la société PARISOT INDUSTRIE l'a, par acte d'huissier du 16 octobre 2020, fait assigner devant le tribunal judiciaire de PARIS en nullité de marque et en « parasitisme et/ou abus de droit ». Le 4 décembre 2020, la société APHORISM FACTORY a formé des demandes en déchéance à l'égard des trois marques semi-figuratives françaises « V vogica » no 96654736, « vogica – les PRÊTS.A.POSER » no 3479310 et « vogica » no 1486630 devant l'INPI, et des deux marques verbales de l'Union européenne « VOGICA » no 4567244 et « VOGICA » no 10452266 devant l'EUIPO. Ces procédures ont été suspendues par les offices dans l'attente de la décision à intervenir du tribunal judiciaire de PARIS. Par ordonnance sur incident du 11 mai 2021, le juge de la mise en état a :- déclaré recevables les conclusions de la société APHORISM FACTORY aux fins d'irrecevabilité de la demande en nullité de marque ; - déclaré la société PARISOT INDUSTRIE irrecevable à agir en nullité de la marque française « VOGICA » no4677598, enregistrée le 29 août 2020, dont la société APHORISM INDUSTRIE est titulaire, à défaut de justifier d'un usage sérieux des marques opposées ;- condamné la société PARISOT INDUSTRIE aux dépens de l'incident et à payer à la société APHORISM FACTORY la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La société APHORISM FACTORY a interjeté appel de cette ordonnance. Par arrêt du 11 janvier 2022, la cour d'appel de PARIS a confirmé l'ordonnance sauf en ce qu'elle a : déclaré la société PARISOT INDUSTRIE irrecevable à agir en nullité de la marque française VOGICA no4677598, enregistrée le 29 août 2020, dont la société APHORISMFACTORY est titulaire, à défaut de justifier d'un usage sérieux des marques opposées ; condamné la société PARISOT INDUSTRIE aux dépens de l'incident et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant, la cour d'appel de PARIS a :- Dit que le juge de la mise en état n'était pas compétent pour statuer sur les demandes formées par la société APHORISM FACTORY dans ses conclusions d'incident d'irrecevabilité et devait, en application de l'alinéa 2 de l'article 789 code de procédure civile, renvoyer l'affaire devant la formation de jugement du tribunal afin que celle-ci statue sur la question de l'usage sérieux des marques de la société PARISOT INDUSTRIE ; - Condamné la société APHORISM FACTORY aux dépens d'incident de première instance et d'appel, avec le bénéfice de l'article 699 au profit de Maître Damien REGNIER, avocat, ainsi qu'au paiement à la société PARISOT INDUSTRIE de la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 juin 2022. L'ensemble des parties ayant constitué avocat, le jugement est contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile. PRETENTIONS DES PARTIES Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 juin 2022, la société PARISOT INDUSTRIE demande au tribunal, au visa des articles L. 711-1, L. 711-2 et L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle, des articles 1240 et suivants du code civil et des articles 31, 699 et 700 du code de procédure civile, de : « - Dire et juger que le dépôt par la société Aphorism Factory de la demande de marque VOGICA no 4677598 a été effectué de mauvaise foi ; - Subsidiairement, dire et juger en toute hypothèse que le dépôt par la société Aphorism Factory de la demande de marque VOGICA no 4677598 est constitutif de parasitisme et/ ou d'abus de droit à l'égard de la société Parisot Industrie ; - Très subsidiairement, dire et juger que la demande de marque VOGICA no 4677598 dont est titulaire la société Aphorism Factory porte atteinte aux marques antérieures VOGICA dont est titulaire la société Parisot Industrie, dont en particulier la marque VOGICA no 3874225 ; En conséquence, - Déclarer nulle la marque VOGICA no 4677598 ; - Dire et juger que le jugement à intervenir, une fois devenu définitif, sera transmis par le Greffier, à l'Institut National de la Propriété Industrielle aux fins d'inscription au Registre National des Marques ; - Déclarer irrecevables pour défaut d'intérêt légitime à agir les demandes de déchéance de marques pour défaut d'usage sérieux formées par la société Aphorism Factory ; - Condamner la société Aphorism Factory à payer à la société Parisot Industrie la somme de 50.000 euros à titre de dommages intérêts pour les actes de parasitisme et/ou d'abus de droit commis à son encontre ; - Condamner la société Aphorism Factory à payer à la société Parisot Industrie la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; - Débouter la société Aphorism Factory de toutes ses demandes, fins et conclusions ; - Condamner la société Aphorism Factory en tous les dépens de l'instance, et dire que Maître Damien REGNIER, avocat, sera autorisé à les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ». Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 juin 2022, la société APHORISM FACTORY demande au tribunal, au visa des articles L. 711-2, L. 714-5, L. 716-2-3 et L. 714-5-4 du code de la propriété intellectuelle, de l'article 1240 du code civil, et de l'article 700 du code de procédure civile, de : « - Prononcer la déchéance des droits de la société Parisot Industrie sur : · La marque française « vogica » no1 486 630 pour l'ensemble des produits visés en classes 11 et 20, à compter du 4 décembre 2015, · La marque française « V vogica" no96654736 pour l'ensemble des produits visés en classes 11 et 20, à compter du 4 décembre 2015, · La marque de l'Union européenne « VOGICA » no4567244 pour l'ensemble des produits visés en classes 11, 20 et 21 à compter du 4 décembre 2015, · La marque française « vogica – les PRÊTS.A.POSER » no3 479 310 pour l'ensemble des produits visés en classes 11, 20 et 21, à compter du 4 décembre 2015, · La marque française « VOGICA » no 3 874 225 pour l'ensemble des produits et services visés en classes 7, 11, 20, 21 et 35, à compter du 18 mai 2016, · La marque de l'Union européenne « VOGICA » no10452266 pour l'ensemble des produits et services visés en classes 7, 11, 20, 21 et 35, à compter du 4 décembre 2015. En conséquence, - Ordonner la transmission du jugement à intervenir, une fois devenu définitif, à l'initiative de la partie la plus diligente, à l'INPI et à l'EUIPO aux fins de transcription au registre des marques ; - Déclarer la société Parisot Industrie irrecevable, à tout le moins mal fondée, en ses demandes en nullité de la marque française « VOGICA » no4677598 dont est titulaire la société Aphorism Factory ; - Déclarer la société Parisot Industrie irrecevable, à tout le moins mal fondée, en ses demandes fondées sur « le parasitisme et/ou l'abus de droit » ; - Débouter la société Parisot Industrie de l'ensemble de ses demandes à toutes fins qu'elles comportent ; En toute hypothèse, - Condamner la société Parisot Industrie à verser à la société Aphorism Factory la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ; - Condamner la société Parisot Industrie à verser à la société Aphorism Factory la somme de 20.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens lesquels seront recouvrés par Maître Marion AÏTELLI ». MOTIFS DE LA DECISION Pour rappel, conformément à l'article 768 du code de procédure civile, les écritures des parties doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. Sur la demande reconventionnelle en déchéance pour défaut d'usage sérieux Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir La société PARISOT INDUSTRIE soulève l'irrecevabilité de la demande reconventionnelle en déchéance de ses droits sur ses marques pour défaut d'intérêt à agir de la société APHORISM FACTORY dès lors que cette demande ne vise pas à lever une entrave à l'utilisation du signe dans le cadre de son activité économique et que le succès de cette prétention ne lui permettrait pas d'échapper à la demande en nullité de sa marque fondée sur l'article L. 711-2, 11o du code de la propriété intellectuelle. La société APHORISM FACTORY répond que les marques antérieures de la demanderesse, dont elle sollicite la déchéance des droits, lui sont opposées et qu'« en tout état de cause, elle justifie d'un intérêt à agir en déchéance des droits de la société PARISOT INDUSTRIE sur les marques antérieures Vogica, cette demande reconventionnelle visant à voir rejeter les demandes en nullité de la marque VOGICA no4677598 dont la demanderesse a saisi le tribunal » (page 7 de ses conclusions). SUR CE, Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. L'article 32 du même code dispose qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir. Aux termes de l'article 122 dudit code, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. En l'espèce, contrairement à ce qu'affirme la société PARISOT INDUSTRIE, sa demande principale en nullité de la marque « VOGICA » no 4677598 n'est pas uniquement fondée sur la mauvaise foi, motif absolu. Elle est également fondée sur l'atteinte à ses droits antérieurs, motif relatif de nullité, et sont opposées à cette fin ses marques antérieures no 1486630, no 96654736, no 4567244, no 3479310, no 3874225 et no10452266 dont la déchéance de ses droits pour défaut d'usage sérieux est sollicitée par la société APHORISM FACTORY à titre reconventionnel, prétention qui, si elle était accueillie, tendrait au rejet de la demande principale en nullité, de sorte que la défenderesse a un intérêt à former cette demande reconventionnelle. Le moyen de la société PARISOT INDUSTRIE tiré de ce que la demande reconventionnelle en déchéance ne vise pas à lever une entrave à l'utilisation du signe dans le cadre de l'activité économique de la société APHORISM FACTORY est inopérant à cet égard. La fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de la société APHORISM FACTORY, soulevée par la société PARISOT INDUSTRIE à l'encontre de la demande reconventionnelle en déchéance de ses droits sur les marques no 1486630, no 96654736, no 4567244, no 3479310, no 3874225 et no10452266 pour défaut d'usage sérieux, sera en conséquence écartée. Sur le fond Selon l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, « encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans. Le point de départ de cette période est fixé au plus tôt à la date de l'enregistrement de la marque suivant les modalités précisées par un décret en Conseil d'Etat.Est assimilé à un usage au sens du premier alinéa :1o L'usage fait avec le consentement du titulaire de la marque ;2o L'usage fait par une personne habilitée à utiliser la marque collective ou la marque de garantie ;3o L'usage de la marque, par le titulaire ou avec son consentement, sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif, que la marque soit ou non enregistrée au nom du titulaire sous la forme utilisée ;4o L'apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement, par le titulaire ou avec son consentement, exclusivement en vue de l'exportation ». Aux termes de l'article 18 du règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne, « 1. Si, dans un délai de cinq ans à compter de l'enregistrement, la marque de l'Union européenne n'a pas fait l'objet par le titulaire d'un usage sérieux dans l'Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, la marque de l'Union européenne est soumise aux sanctions prévues au présent règlement, sauf juste motif pour le non-usage. Constituent également un usage au sens du premier alinéa : a) l'usage de la marque de l'Union européenne sous une forme qui diffère par des éléments n'altérant pas le caractère distinctif de la marque dans la forme sous laquelle elle a été enregistrée, que la marque soit ou non aussi enregistrée sous la forme utilisée au nom du titulaire ; b) l'apposition de la marque de l'Union européenne sur les produits ou sur leur conditionnement dans l'Union dans le seul but de l'exportation. 2. L'usage de la marque de l'Union européenne avec le consentement du titulaire est considéré comme fait par le titulaire ». L'article 58 du même Règlement dispose que : « 1. Le titulaire de la marque de l'Union européenne est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l'Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon : a) si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n'a pas fait l'objet d'un usage sérieux dans l'Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, et qu'il n'existe pas de justes motifs pour le non-usage ; toutefois, nul ne peut faire valoir que le titulaire est déchu de ses droits si, entre l'expiration de cette période et la présentation de la demande ou de la demande reconventionnelle, la marque a fait l'objet d'un commencement ou d'une reprise d'usage sérieux ; cependant, le commencement ou la reprise d'usage fait dans un délai de trois mois avant la présentation de la demande ou de la demande reconventionnelle, ce délai commençant à courir au plus tôt à l'expiration de la période ininterrompue de cinq ans de non-usage, n'est pas pris en considération lorsque des préparatifs pour le commencement ou la reprise de l'usage interviennent seulement après que le titulaire a appris que la demande ou la demande reconventionnelle pourrait être présentée ; b) si la marque est devenue, par le fait de l'activité ou de l'inactivité de son titulaire, la désignation usuelle dans le commerce d'un produit ou d'un service pour lequel elle est enregistrée; c) si, par suite de l'usage qui en est fait par le titulaire de la marque ou avec son consentement pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, la marque est propre à induire le public en erreur notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique de ces produits ou de ces services. 2. Si la cause de déchéance n'existe que pour une partie des produits ou des services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, le titulaire n'est déclaré déchu de ses droits que pour les produits ou les services concernés ». L'usage sérieux de la marque doit être établi pour chacun des produits ou services couverts par son enregistrement et visés par la demande en déchéance (Cass. com, 29 janvier 2013, no 11-28.596). En l'espèce, la société APHORISM FACTORY, qui retient comme période de référence les cinq années précédant la date de ses demandes en déchéance formées devant l'INPI et l'EUIPO les 4 décembre 2020 et 18 mai 2021, sollicite la déchéance des droits de la société PARISOT INDUSTRIE sur les marques suivantes en ce qu'elle ne justifie pas d'un usage sérieux :- les marques françaises no1486630, no96654736 et no3479310 à compter du 4 décembre 2015, pour l'ensemble des produits visés en classes 11 et 20 s'agissant des deux premières marques, pour l'ensemble des produits visés en classes 11, 20 et 21 s'agissant de la troisième marque ;- la marque française no3874225 à compter du 18 mai 2016, pour l'ensemble des produits et services visés en classes 7, 11, 20, 21 et 35 ;- les marques de l'Union européenne no4567244 et no10452266 à compter du 4 décembre 2015, pour l'ensemble des produits visés en classes 11, 20 et 21 s'agissant de la première marque, pour l'ensemble des produits et services visés en classes 7, 11, 20, 21 et 35 s'agissant de la seconde marque. Or, dans la présente instance, la société APHORISM FACTORY a formé pour la première fois sa demande reconventionnelle en déchéance dans ses conclusions (no3 sur le fond) notifiées par voie électronique le 23 mai 2022, de sorte que la période de référence à retenir sont les cinq années précédant cette date, et non la date des demandes en déchéance formées devant les offices qui sont des procédures administratives distinctes de la présente procédure judiciaire. La société PARISOT INDUSTRIE, qui se borne à soulever la fin de non-recevoir ci-dessus, n'a pas conclu sur le fond. Dès lors, elle n'établit ni même allègue un quelconque usage des marques précitées et, partant, aucun usage sérieux dans la période considérée pour aucun des produits et services susvisés tandis que la charge de la preuve lui incombe (CJUE, 10 mars 2022, C-183/21, Maxxus Group, points 35 et 36). Elle n'invoque pas davantage un juste motif pour leur non-usage. En conséquence, la société PARISOT INDUSTRIE sera déchue, à compter du 23 mai 2017, de ses droits sur les marques françaises no 1486630, no3874225, no96654736, no3479310 et de ses droits sur les marques de l'Union européenne no4567244 et no10452266, pour l'ensemble des produits et services visés par la demande reconventionnelle en déchéance. Sur la demande principale en nullité de la marque « VOGICA » no 4677598 La société PARISOT INDUSTRIE expose sa demande en nullité de la marque « VOGICA » no 4677598 comme suit :- à titre principal, pour mauvaise foi, en ce que la société APHORISM FACTORY a déposé la marque litigieuse en raison de la « renommée posthume » des marques antérieures VOGICA qui est, selon elle, établie par la page Wikipédia qui lui est consacrée et les trois articles de presse parus au moment de la liquidation judiciaire de la société VOGICA en 2011. Elle invoque à cet égard l'arrêt Simca Europe Ltd c/ OHMI, T-327/12, rendu le 8 mai 2014 par le tribunal de l'Union européenne qu'elle dit transposable en l'espèce ; - à titre subsidiaire, pour « parasitisme et/ou abus de droit », en ce que la société APHORISM FACTORY connaissait la notoriété des marques antérieures VOGICA et l'a déposée pour cette raison. Elle ajoute que ces agissements sont également constitutifs d'abus de droit, l'objectif de la défenderesse n'étant pas de faire personnellement usage de la marque litigieuse mais de « détourner les règles afférentes au dépôt et l'usage des marques pour s'approprier des droits qu'elle n'a pas vocation à détenir et priver leur titulaire légitime de ces mêmes droits » ;- à titre infiniment subsidiaire, pour atteinte à ses marques antérieures VOGICA, « soit par identité, soit par similarité de telle façon qu'il en résulte un risque de confusion ». La société APHORISM FACTORY, qui conteste tout acte de parasitisme et d'abus de droit, fait valoir que la demanderesse ne rapporte pas la preuve de la renommée des marques antérieures VOGICA qu'elle oppose. Elle ajoute que la société PARISOT INDUSTRIE ne justifie d'aucun usage de ses marques depuis plus de dix ans, et donc d'aucun usage sérieux, et souligne que l'article 4 du contrat de cession conclu le 19 décembre 2011 entre la société GROUPE PARISOT et la société VOGICA INTERNATIONAL, devenue PARISOT INDUSTRIE, mentionnait déjà que ces marques étaient « inexploitées à ce jour ». SUR CE, A titre liminaire, le tribunal souligne que « le parasitisme et/ou l'abus de droit », invoqués à titre subsidiaire par la société PARISOT INDUSTRIE au soutien de sa demande en nullité de la marque « VOGICA » no 4677598, relèvent de la mauvaise foi, motif absolu de nullité, également invoquée à titre principal, et seront donc examinés sous ce motif. Sur la mauvaise foi Selon l'article L. 711-2, 11o du code de la propriété intellectuelle, ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle, une marque dont le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur. Toute allégation de mauvaise foi doit être appréciée globalement, en tenant compte de l'ensemble des circonstances factuelles pertinentes du cas d'espèce. Ce n'est que de cette manière que l'allégation de mauvaise foi peut être appréciée objectivement. La circonstance que l'usage d'un signe dont l'enregistrement est demandé permettrait au demandeur de tirer indûment profit de la renommée d'une marque antérieure est de nature à établir la mauvaise foi du demandeur. Toutefois, un comportement de parasitisme à l'égard de la renommée d'une marque antérieure n'est, en principe, possible que si cette marque jouit effectivement et actuellement d'une certaine renommée. Par ailleurs, lorsque la mauvaise foi du demandeur de marque est fondée sur son intention de tirer indûment profit de la renommée d'une marque antérieure, le public pertinent pour apprécier l'existence de cette renommée et du profit indûment tiré de ladite renommée est celui visé par la marque contestée, à savoir le consommateur moyen des produits pour lesquels celle-ci a été enregistrée. En outre, il incombe au demandeur en nullité d'établir les circonstances qui permettent de conclure que le titulaire de la marque contestée était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d'enregistrement de cette dernière, la bonne foi étant présumée jusqu'à preuve du contraire (TUE, 6 juillet 2022, T-250/21, Ladislav Zdut, points 26, 32, 33, 34, 57 et jurisprudence citée). En l'espèce, la société PARISOT INDUSTRIE, qui procède par voie d'affirmation dans ses écritures quant à la renommée passée des marques antérieures VOGICA et leur « renommée posthume », se borne à invoquer une page de l'encyclopédie en ligne Wikipédia (sa pièce no3) et trois articles de presse parus en 2011 lors de la liquidation judiciaire de la société VOGICA (ses pièces no26, 27 et 28), lesquels ne permettent d'établir ni une renommée passée ni une renommée résiduelle des marques antérieures VOGICA auprès d'une partie significative du public pertinent – à savoir le consommateur des produits et services visés en classes 7, 11, 20, 21 et 35 par la marque « VOGICA » no4677598 litigieuse – à la date du dépôt de la demande d'enregistrement de la marque litigieuse, de sorte qu'il n'est pas établi que la société APHORISM FACTORY a voulu tirer indument profit d'une renommée résiduelle des marques antérieures VOGICA. La simple connaissance de l'existence et de la prétendue renommée passée des marques antérieures VOGICA ne permet pas à elle seule de caractériser le parasitisme allégué et, partant, la prétendue mauvaise foi de la défenderesse. L'abus de droit allégué n'est pas davantage établi par la société PARISOT INDUSTRIRE qui procède à nouveau par voie d'affirmation lapidaire dans ses écritures en ces termes : « ce dépôt n'a manifestement pas été effectué par Aphorism Factory dans le but d'en faire personnellement usage. [?]. La société Aphorism Factory prétend ainsi détourner les règles afférentes au dépôt et à l'usage des marques pour s'approprier des droits qu'elle n'a pas vocation à détenir, et priver leur titulaire légitime de ces mêmes droits ». Or, contrairement à ce qu'affirme la société PARISOT INDUSTRIE, la circonstance que la société APHORISM FACTORY a pour activité l'achat, la gestion, l'exploitation et la location bail de droits de propriété intellectuelle et non la vente de meubles, appareils ou ustensiles de cuisine et de salle de bains, est inopérante dès lors que la mauvaise foi du demandeur d'une marque ne saurait être présumée sur la base du simple constat que, au moment du dépôt de sa demande d'enregistrement, ce demandeur n'avait pas d'activité économique correspondant aux produits et services visés par ladite demande, lequel demandeur dispose au demeurant d'un délai de cinq ans pour entamer un usage effectif conforme à la fonction essentielle de cette marque (CJUE, 29 janvier 2020, C-371/18, Sky a.e., points 76 à 78 et jurisprudence citée). Au vu de l'ensemble de ces éléments, la mauvaise foi alléguée de la société APHORISM FACTORY lors du dépôt de la demande d'enregistrement de la marque « VOGICA » no4677598 litigieuse n'est pas établie. La demande en nullité pour ce motif absolu sera en conséquence rejetée. Sur l'atteinte aux droits antérieurs En l'espèce, la société PARISOT INDUSTRIE est déchue de ses droits, à compter du 23 mai 2017 soit antérieurement au dépôt de la marque litigieuse le 29 août 2020, sur les marques françaises no 1486630, no3874225, no96654736, no3479310 et les marques de l'Union européenne no4567244 et no10452266, pour les produits et services visés en classes 7, 11, 20, 21 et 35, qu'elle oppose au soutien de sa demande en nullité de la marque « VOGICA » no 4677598 fondée sur une atteinte à ses droits antérieurs. Sa demande en nullité pour ce motif relatif sera en conséquence rejetée. Sur la demande indemnitaire pour « parasitisme et/ou abus de droit » L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Selon l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. Le parasitisme, qui n'exige pas de risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et sans bourse délier des investissements, d'un savoir-faire ou d'un travail intellectuel d'autrui, produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel. Il incombe à celui qui allègue un acte de parasitisme d'établir le savoir-faire ainsi que les efforts humains et financiers consentis par lui, ayant permis la création d'une valeur économique individualisée. A titre liminaire, il est rappelé qu'un préjudice hypothétique ne donne pas lieu à indemnisation. En l'espèce, dans la partie discussion de ses conclusions, la société PARISOT INDUSTRIE se contente d'ajouter la phrase suivante à la fin de l'exposé de ses moyens en nullité de la marque française « VOGICA » no 4677598 pour « parasitisme et/ou abus de droit » : « les agissement parasitaires et l'abus de droit commis par la société Aphorism Factory justifient, outre l'annulation de la demande de marque VOGICA no4677598, la condamnation de cette dernière à payer à la société Parisot Industrie la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts ». Or, comme précédemment exposé, le parasitisme et l'abus de droit allégués ne sont pas établis. En outre, la société PARISOT INDUSTRIE, qui ne démontre pas la « renommée posthume » des marques VOGICA qu'elle allègue, ne fait état d'aucun investissement et d'aucun usage desdites marques dont elle est titulaire depuis 2011. Enfin, elle ne justifie ni même n'allègue un quelconque préjudice subi tandis qu'elle sollicite le paiement de dommages et intérêts. Le préjudice, dont la nature est inconnue, n'est établi ni dans son principe ni dans son étendue. Cette demande indemnitaire ne peut dès lors qu'être rejetée. Sur la demande reconventionnelle pour procédure abusive La société APHORISM FACTORY soutient que la demanderesse ne pouvait se méprendre sur la portée de ses droits, de sorte que l'introduction de la présente instance constitue un abus d'ester en justice constitutif d'une faute qui lui a causé un préjudice plus étendu que la nécessité de se défendre en justice. La société PARISOT INDUSTRIE conteste tout abus du droit d'ester en justice. SUR CE, L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Aux termes de l'article 1241 du même code, chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. Le droit d'agir en justice dégénère en abus constitutif d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil lorsqu'il est exercé en connaissance de l'absence totale de mérite de l'action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant le défendeur à se défendre contre une action que rien ne justifie sinon la volonté d'obtenir ce que l'on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté. En l'espèce, la seule circonstance que les demandes de la société PARISOT INDUSTRIE soient rejetées n'est pas de nature à faire dégénérer son action en abus. Par ailleurs, la société APHORISM FACTORY, qui se borne à alléguer un « préjudice plus ample que celui résultant de la nécessité d'assurer sa défense en justice » sans toutefois le caractériser, ne justifie d'aucun préjudice distinct des frais exposés pour se défendre en justice, lesquels sont indemnisés au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Sa demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive sera en conséquence rejetée. Sur les demandes accessoires Sur les dépens Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie. L'article 699 du code de procédure civile dispose que les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision. La partie contre laquelle le recouvrement est poursuivi peut toutefois déduire, par compensation légale, le montant de sa créance de dépens. La société PARISOT INDUSTRIE, qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens dont distraction au profit de Maître Marion AÏTELLI conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Sur l'article 700 du code de procédure civile L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation. En l'espèce, l'équité commande de condamner la société PARISOT INDUSTRIE à payer à la société APHORISM FACTORY la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Sur l'exécution provisoire Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement. La présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire et il n'y a pas lieu d'y déroger. PAR CES MOTIFS Le tribunal, ECARTE la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de la société APHORISM FACTORY, soulevée par la société PARISOT INDUSTRIE à l'encontre de la demande reconventionnelle en déchéance de ses droits sur les marques françaises no 1486630, no3874225, no96654736, no3479310 et les marques de l'Union européenne no4567244 et no10452266, pour défaut d'usage sérieux ; DECLARE la société PARISOT INDUSTRIE déchue, à compter du 23 mai 2017, de ses droits sur la marque semi-figurative française « vogica » no1486630 pour l'ensemble des produits visés en classes 11 et 20 ; DECLARE la société PARISOT INDUSTRIE déchue, à compter du 23 mai 2017, de ses droits sur la marque semi-figurative française « V vogica » no 96654736 pour l'ensemble des produits visés en classes 11 et 20 ; DECLARE la société PARISOT INDUSTRIE déchue, à compter du 23 mai 2017, de ses droits sur la marque semi-figurative française « vogica – les PRÊTS.A.POSER » no3479310 pour l'ensemble des produits visés en classes 11, 20 et 21 ; DECLARE la société PARISOT INDUSTRIE déchue, à compter du 23 mai 2017, de ses droits sur la marque verbale française « VOGICA » no 3874225 pour l'ensemble des produits et services visés en classes 7, 11, 20, 21 et 35 ; DIT que la présente décision, une fois devenue définitive, sera transmise à l'Institut national de la propriété industrielle aux fins d'inscription au registre national des marques à l'initiative de la partie la plus diligente ; DECLARE la société PARISOT INDUSTRIE déchue, à compter du 23 mai 2017, de ses droits sur la marque verbale de l'Union européenne « VOGICA » no 4567244 l'ensemble des produits visés en classes 11, 20 et 21 ; DECLARE la société PARISOT INDUSTRIE déchue, à compter du 23 mai 2017, de ses droits sur la marque verbale de l'Union européenne « VOGICA » no 10452266 pour l'ensemble des produits et services visés en classes 7, 11, 20, 21 et 35 ; DIT que la présente décision, une fois devenue définitive, sera transmise à l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle aux fins d'inscription au registre des marques de l'Union européenne à l'initiative de la partie la plus diligente ; DEBOUTE la société PARISOT INDUSTRIE de sa demande en nullité de la marque verbale française « VOGICA » no 4677598 pour mauvaise foi ; DEBOUTE la société PARISOT INDUSTRIE de sa demande en nullité de la marque verbale française « VOGICA » no 4677598 pour atteinte à ses droits antérieurs ; DEBOUTE la société PARISOT INDUSTRIE de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour « parasitisme et/ou abus de droit » ; DEBOUTE la société APHORISM FACTORY de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive ; CONDAMNE la société PARISOT INDUSTRIE aux dépens dont distraction au profit de Maître Marion AÏTELLI conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ; CONDAMNE la société PARISOT INDUSTRIE à payer à la société la société APHORISM FACTORY la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire. Fait et jugé à Paris le 13 septembre 2023 LA GREFFIERE LE PRESIDENT
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JURITEXT000048389793
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 27 septembre 2023, 19/11466
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2023-09-27
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Tribunal judiciaire de Paris
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19/11466
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 19/11466 - No Portalis 352J-W-B7D-CQZPA No MINUTE : Assignation du :10 septembre 2019 JUGEMENT rendu le 27 septembre 2023 DEMANDERESSE S.A.S.U. WATI B EDITIONS[Adresse 2][Localité 3] représentée par Maître Serge MONEY de la SELARL ORMILLIEN MONEY, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #E0188 DÉFENDEURS Monsieur [J] [F][Adresse 6][Localité 8] représenté par Maître Laurence GOLDGRAB de l'AARPI A. SCHMIDT - L. GOLDGRAB, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0391 S.A.S. BLACK PALLADIUM MUSIC[Adresse 5][Localité 4] représentée par Maître Christine AUBERT- MAGUERO de l'AARPI DAM AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0391 Société SOCIETE DES AUTEURS COMPOSITEURS ET EDITEURS DE MUSIQUE (SACEM)[Adresse 1][Localité 7] représentée par Maître Anne BOISSARD de l'AARPI ARTLAW, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0327 _____________________________ COMPOSITION DU TRIBUNAL Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjointAnne BOUTRON, vice-présidenteLinda BOUDOUR, juge assistés de Lorine MILLE, greffière, DÉBATS A l'audience du 29 mars 2023 tenue en audience publique devant Jean-Christophe GAYET et Linda BOUDOUR, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir donné lecture du rapport, puis entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 28 juin 2023 puis prorogé au 27 septembre 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort _____________________________ EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. La société par actions simplifiée (ci-après SAS) Wati B Editions, immatriculée le 16 février 2010 au registre du commerce et des sociétés (RCS) de Paris, a pour activité l'édition musicale, phonographique et graphique. 2. M. [J] [F], dit [J], est auteur-compositeur et interprète de rap et de RnB. 3. La SAS Black Palladium Music, immatriculée le 18 décembre 2017 au RCS de Nanterre, a pour activité l'édition musicale, l'enregistrement sonore et la production musicale. Elle se présente comme l'éditeur du compositeur [D] [I], dit Seysey. 4. La société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (ci-après SACEM) est une société de gestion collective des droits d'auteur d'oeuvres musicales. 5. Le 30 mai 2012, la société Wati B Prod, qui fait partie du même groupe que la société Wati B Editions, a signé un contrat d'artiste avec M. [J] [F], l'engageant à titre exclusif pour l'enregistrement et l'exploitation de deux albums de musique. 6. Le 1er juin 2013, la société Wati B Prod a signé un contrat d'enregistrement exclusif avec M. [J] [F] et M. [C] [M], en tant que membres du groupe "The Shin Sekai". 7. À la même date, la SAS Wati B Editions et M. [J] [F] ont conclu un contrat de préférence éditoriale pour cinq ans, portant sur l'édition et l'exploitation des oeuvres futures et de celles déjà écrites par M. [J] [F]. 8. Entre février 2016 et mars 2017, M. [J] [F] a enregistré plusieurs morceaux, produits par la société Wati B Prod. 9. La SAS Wati B Editions a édité ou coédité plusieurs oeuvres composées par M. [J] [F], dont "TPCMP", "Aime-moi demain", "Alter ego", "Mes épaules", "Normal", "Précieuse", "Je n'en peux plus", "J'ai du mal", "Ma jolie", "Où aller", "Du berceau au linceul", "Dévergondé", "Rêver / Nouvelle ère / Mes torts / Dis leur", "Nous sommes demain / Oublie-moi", "Rien à foutre / Soum soum", "Mens moi dans les yeux", "Rappelle-toi", "Je reviendrai", "Ne me le dis pas", "Moi d'abord", "La peur", "Si j'étais", "Tout ce que je sais". 10. Par lettre de son conseil du 3 octobre 2017, M. [J] [F] a reproché à la SAS Wati B Editions l'absence de reddition de comptes et d'exploitation suivie de ses oeuvres et l'a mise en demeure de lui communiquer lesdites redditions de comptes et d'autres documents relatifs à l'exploitation de ses titres musicaux. 11. Le 27 novembre 2017, M. [J] [F] a reçu en main propre de la société Wati B Prod ses lettres d'engagement et les contrats d'enregistrements en lien avec deux titres et un vidéoclip. 12. Le 24 novembre 2017, un album inédit de M. [J] [F], intitulé "Gentleman 2.0", a été commercialisé par l'intermédiaire de la société Universal Music. 13. La société Wati B Prod a alors fait assigner M. [J] [F] devant le Conseil des Prud'hommes de Paris, qui a jugé le 17 janvier 2020 que M. [J] [F] a violé ses obligations contractuelles et son obligation de loyauté à son égard. Un appel de ce jugement a été interjeté. 14. Par courrier de son conseil du 14 mai 2018, reprochant à la SAS Wati B Editions de ne pas avoir répondu à sa mise en demeure du 3 octobre 2017, M. [J] [F] lui a déclaré mettre fin au pacte de préférence du 1er juin 2013 pour absence de reddition de comptes et d'exploitation de ses oeuvres. 15. Le 2 juillet 2018, cinq titres, produits par la société Wati B Prod, ont été enregistrés auprès de la SACEM, répertoriant M. [D] [I] en tant que compositeur, M. [J] [F] en tant qu'auteur-compositeur et la SAS Black Palladium Music en tant qu'éditeur : "Comme si de rien était", "Déjà donné", "Gentleman 2.0", "J'ai dit non", "Reine". 16. Estimant que ces faits portaient atteinte au contrat de préférence éditoriale du 1er juin 2013, par actes d'huissier du 10 septembre 2019, la SAS Wati B Editions a fait assigner M. [J] [F], la SAS Black Palladium Music et la SACEM en réparation de ses préjudices. 17. L'instruction a été close par ordonnance du 30 juin 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 29 mars 2023 pour être plaidée. PRÉTENTIONS DES PARTIES 18. Dans ses dernières conclusions au fond, notifiées par voie électronique le 11 mars 2022, la SAS Wati B Editions a demandé au tribunal de :- la recevoir en ses écritures et l'y déclarer bien fondée ;sur le bien-fondé de ses demandes au titre du contrat de préférence éditorial du 1er juin 2013 et le débouté des demandes de M. [F] :- juger que le contrat de préférence éditorial du 1er juin 2013 a été résilié par M. [F] sans cause légitime pouvant être reconnue en justice ou à tout le moins de manière abusive ;- rejeter comme prescrites les demandes formées par M. [F] à son encontre concernant tous les contrats conclus avant le 14 août 2015 ;- débouter M. [F] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;- prononcer l'exécution forcée du contrat de préférence éditoriale du 1er juin 2013 jusqu'à son terme ;- prononcer la nullité de tous les contrats de cession et d'édition d'oeuvre musicale conclus en violation dudit contrat de préférence éditorial ;sur ses préjudices :à titre principal,- condamner M. [F] à lui verser :> 100 000 euros, à parfaire, en réparation de son préjudice financier ;> 30 000 euros, à parfaire, en réparation de son préjudice moral et de l'atteinte à sa réputation professionnelle ;à titre subsidiaire,- désigner tel expert qu'il lui plaira aux fins :> de se faire communiquer par les parties et par tous tiers les éléments nécessaires à ses travaux, notamment l'ensemble des contrats et éléments contractuels portant sur les oeuvres conclues en violation du contrat de préférence du 1er juin 2013 ;> d'évaluer les préjudices financiers et d'image subis par Wati B Editions du fait de la publicité donnée au présent litige ;> d'évaluer précisément les revenus engendrés par l'exploitation des oeuvres signée en violation du contrat de préférence du 1er juin 2013 ou ensuite de la résiliation abusive de M. [F] ;sur les demandes concernant la SAS Black Palladium :- condamner la SAS Black Palladium au paiement du montant des sommes versées au titre des droits d'édition des titres suivants et tout autre titre édité par cette société en fraude de ses droits ;- débouter la SAS Black Palladium de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;en tout état de cause :- condamner M. [F] et la SAS Black Palladium à lui verser chacun respectivement 5000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;- condamner M. [F] et la SAS Black Palladium aux entiers dépens ;- assortir le jugement à intervenir de l'exécution provisoire. 19. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 1er juin 2022, M. [J] [F] a demandé au tribunal de :à titre principal :- dire et juger que le contrat de préférence a débuté le 1er juin 2013 pour les oeuvres non éditées au jour de la signature et non en février 2014, la SAS Wati B Editions ne pouvant se prévaloir de sa carence et son retard dans le dépôt de l'oeuvre "ça marche" commercialisée le 20 mai 2013- dire et juger que la date de terminaison du contrat était le 30 mai 2018- dire et juger qu'une levée d'option ne peut être effectuée qu'auprès de l'auteur et doit désigner précisément les oeuvres dont s'agit- constater que la SAS Wati B Editions n'a transmis à l'auteur aucun contrat de cession et d'édition sur les oeuvres revendiquées avant ou après la divulgation- constater l'absence de levée d'option ou d'exercice des prérogatives d'éditeur de la SAS Wati B Editions sur les cinq oeuvres "Comme si de rien était", "Déjà donné", "Gentleman 2.0", "J'ai dit non", "Reine", ainsi que toute autre oeuvre de l'album "Gentlemen 2.0" ;- constater en tout état de cause la résiliation le 14 mai 2018 du contrat de préférence éditoriale du 1er juin 2013 aux torts exclusifs de la SAS Wati B Editions du fait de l'absence de reddition de compte, paiement des droits d'auteur et défaut d'exploitation permanente et suivie de ses oeuvres éditées par la SAS Wati B Editions ;- dire et juger irrecevable et non fondée la demande d'exécution forcée du pacte de préférence et les demandes de nullité des contrats signés par l'auteur sur les oeuvres figurant sur l'album "Gentleman 2.0".à titre reconventionnel :- prononcer la résiliation des contrats de cession et d'édition concernant les oeuvres ci-après listées du fait de l'absence de reddition de compte, de paiement des redevances et d'exploitation permanente et suivie de ses oeuvres éditées par la SAS Wati B Editions :"TPCMP", "Aime-moi demain", "Alter ego", "Mes épaules", "Normal", "Précieuse", "Je n'en peux plus", "J'ai du mal", "Ma jolie", "Où aller", "Du berceau au linceul", "Dévergondé", "Rêver / Nouvelle ère / Mes torts / Dis leur", "Nous sommes demain / Oublie-moi", "Rien à foutre / Soum soum", "Mens moi dans les yeux", "Rappelle-toi", "Je reviendrai", "Ne me le dis pas", "Moi d'abord", "La peur", "Si j'étais", "Tout ce que je sais"- condamner la SAS Wati B Editions sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil, à lui verser 50 000 euros à titre de dommages et intérêts,en tout état de cause :- débouter la SAS Wati B Editions de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;- condamner la société Wati B Editions à lui verser 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;- condamner la SAS Wati B Editions aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Laurence Goldgrab en application de l'article 699 du code de procédure civile ;- prononcer l'exécution provisoire. 20. Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 juin 2022, la SAS Black Palladium Music a demandé au tribunal de :- débouter la SAS Wati B Editions de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;- condamner la SAS Wati B Editions à lui payer :> 5000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive ;> 8000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;- condamner la SAS Wati B Editions aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés par Maître Christine Aubert-Maguero dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile. 21. Par ses conclusions notifiées par voie électronique le 8 mars 2021, la SACEM a demandé au tribunal de :- constater qu'en l'état des dispositifs des écritures de la SAS Wati B Editions, de M. [F] et de la SAS Black Palladium Music, aucune demande n'est plus formée contre elle ;- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice aussi bien concernant les demandes de la SAS Wati B Editions formées à l'encontre de M. [F] et de la SAS Black Palladium Music qu'au sujet des demandes reconventionnelles de ces derniers ;- condamner la (ou les) partie(s) qui succombera(ront) aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Anne Boissard, avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile. MOTIFS DU JUGEMENT I - Sur la prescription de la demande reconventionnelle en résiliation des contrats de cession et d'édition subséquents au contrat de préférence éditoriale du 1er juin 2013 Moyens des parties 22. La SAS Wati B Editions fait valoir que la demande reconventionnelle de M. [F] en résiliation des contrats de cession et d'édition subséquents au contrat de préférence éditoriale du 1er juin 2013 est prescrite pour les contrats antérieurs au 24 août 2015, compte tenu qu'il a nécessairement eu connaissance des manquements qu'il invoque au cours de l'exécution du contrat du 1er juin 2013. 23. M. [J] [F] oppose qu'ayant demandé la résiliation des contrats le 28 août 2020, soit trois ans après les prétendus envois de décomptes de redevances et concomitamment à son premier règlement de droits d'auteur, cette demande n'est pas prescrite. Appréciation du tribunal 24. Conformément à l'article 2224 du code civil, "les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer". 25. Aux termes de l'article 2233 du même code, "la prescription ne court pas :1o A l'égard d'une créance qui dépend d'une condition, jusqu'à ce que la condition arrive ;2o A l'égard d'une action en garantie, jusqu'à ce que l'éviction ait lieu ;3o A l'égard d'une créance à terme, jusqu'à ce que ce terme soit arrivé". 26. La prescription quinquennale ne court pas lorsque la créance, même périodique, dépend d'éléments qui ne sont pas connus du créancier et doivent résulter de déclarations que le débiteur est tenu de faire. 27. L'article L.132-13 du code de la propriété intellectuelle impose à l'éditeur une reddition de compte au moins une fois par an. 28. Au cas présent, M. [F] verse aux débats vingt-trois contrats de cession de droits patrimoniaux d'auteur conclus avec la SAS Wati B Editions entre le 26 avril 2013 et le 23 septembre 2016 (ses pièces 3.1 et 3.1bis à 3.22). 29. Or, la SAS Wati B Editions indique qu'elle a adressé le premier décompte des redevances dues à M. [F] en exécution de ces contrats le 14 octobre 2016 (ses conclusions page 23 et sa pièce no9). Ce dernier n'était, de ce fait, pas en mesure de connaître les informations relatives à sa rémunération proportionnelle avant cette date. 30. Il en résulte que les demandes de résiliation de ces contrats formulées par M. [F] dans ses premières conclusions en réponse notifiées par voie électronique le 28 août 2020 ne sont pas prescrites. 31. La fin de non-recevoir soulevée par la SAS Wati B Editions tirée de la prescription des demandes de M. [F] en résiliation des contrats de cession et d'édition subséquents au contrat de préférence éditoriale du 1er juin 2013 sera, en conséquence, écartée. II - Sur l'exécution du contrat de préférence éditoriale du 1er juin 2013 Moyens des parties 32. La SAS Wati B Editions soutient que M. [F] ne lui a soumis aucune oeuvre achevée par lettre recommandée avec accusé de réception dès leur achèvement et avant leur divulgation conformément à la lettre du contrat de préférence éditoriale conclu le 1er juin 2013, lui interdisant d'exercer son droit de préférence, tandis qu'il a enregistré et divulgué à tout le moins cinq oeuvres musicales entre décembre 2016 et septembre 2017 en violation de ce contrat et potentiellement cinquante-quatre oeuvres musicales jusqu'au 26 février 2019, terme du contrat, pour lesquelles elle réclame des informations en vue de l'exécution forcée du contrat. Elle considère que la résiliation annoncée par courrier du 14 mai 2018 de M. [F] est intervenue de manière abusive, celui-ci prétextant des violations inexistantes des obligations pesant sur elle d'exploitation des oeuvres, de gestion et d'administration de ses droits d'auteur, notamment de reddition des comptes, et de promotion de ses oeuvres. En particulier, elle assure avoir communiqué le 14 octobre 2016 les décomptes des redevances dues pour les années 2014 à 2016, puis avoir assuré le paiement en octobre 2016 des redevances dues pour les éditions à l'étranger, celui des éditions française étant assuré par la SACEM, et lui avoir remis le 6 octobre 2017 le décompte pour le premier semestre 2017 en réponse à sa mise en demeure du 3 octobre précédent, alors que, selon elle, le défendeur s'est abstenu de lui remettre les factures qu'elle lui réclamait pour le paiement de ses droits. Elle fait observer que si M. [F] conteste avoir reçu ces informations qui lui ont été communiquées par courriel, il n'invoque pas que l'adresse à laquelle elles lui ont été adressées soit erronée, cette adresse étant celle qu'il a lui-même utilisé pour s'adresser à elle à la même période. Elle ajoute n'avoir pas plus manqué à son obligation de promotion et d'exploitation des oeuvres de M. [F], arguant avoir investi 269 616,73 euros de dépenses à cette fin, directement ou par l'intermédiaire de la société Wati B Prod qui y participait également, avoir organisé des partenariats avec des artistes mondialement connus, tandis que l'absence d'exploitation graphique des oeuvres musicales est accessoire et qu'elle en était dispensée compte tenu de l'exploitation et de la diffusion conforme aux usages qu'elle a opérées. En réponse aux moyens et arguments du défendeur, elle conteste avoir été mise en mesure d'exercer son droit de préférence en l'absence de toute communication des oeuvres achevées par l'auteur, celui-ci ayant soutenu devant le conseil de prud'hommes de Paris que les titres produits par la société Wati B Prod correspondaient à des oeuvres non définitives, alors qu'il soutient désormais, au mépris de l'estoppel, que les oeuvres produites par cette société étaient connues d'elle, ce dont il tire qu'elle était en mesure d'exercer son droit de préférence, outre qu'elle a sollicité des précisions de M. [F] et de son manager concernant certaines des oeuvres dont elle a eu connaissance afin de procéder à leur dépôt à la SACEM, et n'a obtenu aucune réponse. Elle réfute que la divulgation des oeuvres du défendeur lui permettait d'exercer son droit de préférence, dans la mesure où l'obligation de l'auteur était de lui communiquer ses oeuvres musicales avant leur divulgation et que ces divulgations ont eu lieu postérieurement à la mise en demeure du 24 novembre 2017 qui tendait à la résiliation du pacte de préférence, outre qu'elle ne disposait pas des informations relatives aux répartitions des crédits d'auteur des oeuvres et de la signature de M. [F] nécessaires à leur dépôt à la SACEM. 33. M. [J] [F] objecte d'abord que le pacte de préférence litigieux a pris fin cinq ans après sa signature soit le 30 mai 2018, non le 26 février 2019, le point de départ du contrat ne pouvant être reporté du seul fait de la carence de la demanderesse à établir le premier contrat subséquent de cession et d'édition d'une oeuvre musicale, signé en février 2014, et alors qu'en exécution de ce contrat elle devait éditer, au plus tard au jour de la signature, toutes les oeuvres antérieures non éditées à cette date. Selon lui, la demanderesse est, de ce fait, irrecevable à demander l'exécution forcée de ce contrat qui a pris fin sans qu'elle ait exercé son droit d'option et ne l'est, en tout état de cause, pas pour les contrats déposés à la SACEM postérieurement à cette date. Il fait, ensuite, valoir que la demanderesse a levé son option sur certaines des oeuvres qu'il a créés entre 2013 et 2018 sans qu'il soit besoin de les lui communiquer par courrier recommandé, n'ayant jamais exigé d'aucun des auteurs ce formalisme dans la remise des oeuvres achevées et alors qu'une simple écoute par l'éditeur satisfait à l'obligation de transmission. Il assure que la SAS Wati B Editions n'a exercé son droit de préférence que sur ses oeuvres de collaboration pour le groupe The Shin Sekaï ou avec d'autres artistes, après leur divulgation, mais ne l'a exercé à aucun moment pour ses oeuvres divulguées en solo alors qu'elles lui étaient connues du fait de leur divulgation et du fait que ces oeuvres ont été produites par la société Wati B Prod dirigée par la même personne qu'elle et dont elle verse aux débats les factures correspondant aux enregistrement sur lesquels elle revendique des droits. Il en conclut que la demanderesse était parfaitement informée de l'existence de ces titres divulgués le 24 novembre 2017 sur lesquels elle pouvait exercer son droit de préférence, mais qu'elle a sciemment choisi de ne pas le faire, les courriels de demande d'information adressé à son manager en octobre 2017 ne portant que sur les deux titres "Reine" et "J'ai dit non" ne pouvant remplacer une levée d'option auprès de lui, ou, subsidiairement, ne pouvant porter que sur les deux titres visés. Il allègue, enfin, que les fautes de la SAS Wati B Editions justifiaient la résiliation du contrat qu'il a opérée le 14 mai 2018, ces fautes consistant dans le défaut de reddition des comptes, le défaut de paiement de ses droits, l'absence d'exploitation permanente et suivie de ses oeuvres et le défaut d'édition graphique des oeuvres. Il précise n'avoir jamais reçu les courriels que la demanderesse prétend lui avoir adressés, alors qu'il aurait répondu si elle les avait envoyés, comme il a répondu le 14 novembre 2016 à celui de la société Wati B Prod relativement à sa facture de redevances d'artiste-interprète, outre qu'aucune pièce jointe n'apparaît attachée à ces envois et que les prétendues pièces produites par la demanderesse ne concernent que le second trimestre 2016, non les relevés des années 2014 à 2016, et seulement pour les exploitations à l'étranger. S'agissant de l'absence de paiement des redevances, il expose n'avoir été réglé qu'en 2020 pour les exploitations de ses oeuvres à l'étranger, la circonstance qu'il n'ait pas transmis de factures en raison de l'absence de réception des redditions de compte ne permettant pas à la demanderesse d'échapper à son obligation de paiement. Il conteste s'être rendu dans les locaux de la SAS Wati B Editions le 27 novembre 2017 pour se voir remettre une facture de paiement de ses droits, la pièce produite ne concernant que des contrats en lien avec les titres "Tant pis" et "Tout se passe après minuit" produits par la société Wati B Prod. S'agissant de l'absence d'exploitation permanente et suivie de ses oeuvres, il argue que les sommes invoquées en demande sont celles investies par la société Wati B Prod pour les enregistrements phonographiques du groupe The Shin Sekaï, que le contrat qui la lie à la société Because Editions ne porte que sur la gestion commerciale et administrative de son catalogue éditorial et sur la diffusion des oeuvres à l'étranger, laquelle est insignifiante alors que les rappeurs français sont très convoités à l'étranger, et que la demanderesse n'a opéré aucune action de promotion. S'agissant de l'absence d'édition graphique de ses oeuvres musicales, il la tient pour une obligation de résultat à laquelle la demanderesse a manqué. Appréciation du tribunal 34. Selon l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable au contrat du 1er juin 2013, "les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.Elles doivent être exécutées de bonne foi". 35. Aux termes de l'article L.132-4 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable au contrat du 1er juin 2013, "est licite la stipulation par laquelle l'auteur s'engage à accorder un droit de préférence à un éditeur pour l'édition de ses oeuvres futures de genres nettement déterminés.Ce droit est limité pour chaque genre à cinq ouvrages nouveaux à compter du jour de la signature du contrat d'édition conclu pour la première oeuvre ou à la production de l'auteur réalisée dans un délai de cinq années à compter du même jour.L'éditeur doit exercer le droit qui lui est reconnu en faisant connaître par écrit sa décision à l'auteur, dans le délai de trois mois à dater du jour de la remise par celui-ci de chaque manuscrit définitif.Lorsque l'éditeur bénéficiant du droit de préférence aura refusé successivement deux ouvrages nouveaux présentés par l'auteur dans le genre déterminé au contrat, l'auteur pourra reprendre immédiatement et de plein droit sa liberté quant aux oeuvres futures qu'il produira dans ce genre. Il devra toutefois, au cas où il aurait reçu ses oeuvres futures des avances du premier éditeur, effectuer préalablement le remboursement de celles-ci". 36. Le contrat du 1er juin 2013 entre la SAS Wati B Editions et M. [F] stipule :- en son article 1, intitulé "objet du contrat" que "1.1 l'auteur confère à l'éditeur qui l'accepte dans le cadre des dispositions de l'article L.132-4 du code de la propriété intellectuelle, un droit de préférence exclusif sur l'édition et l'exploitation de ses oeuvres futures (textes et/ou musiques) et de celles déjà écrites et/ou composées par l'auteur et non éditées à ce jour et ce dans les genres déterminés suivants : chansons avec ou sans paroles, oeuvre de variété (comprenant seulement la musique, comprenant seulement les paroles, comprenant paroles et musiques), musique de film ou de cinéma ou de télévision ou pour des oeuvres multimédia, musique de film publicitaire ou de messages radiophoniques publicitaires, spectacles musicaux (...)"- en son article 2, intitulé "durée du contrat", que "le droit de préférence est consenti à l'éditeur pour une durée de 5 (cinq) années consécutives à compter du jour de la signature du premier contrat de cession et d'édition d'oeuvre musicale signé en vertu des présentes. A toutes fins utiles, il est précisé que c'est la date de création de l'oeuvre achevée et non celle de sa divulgation qui est prise en compte pour déterminer si ladite oeuvre entre dans le champ du présent contrat de préférence"- en son article 3, intitulé "exercice du droit de préférence", sous le paragraphe 3.1 libellé "sur la transmission de l'oeuvre à l'éditeur" que "l'auteur s'engage à soumettre à l'éditeur dès leur achèvement et avant même leur divulgation, par courrier recommandé avec accusé de réception, toutes les oeuvres musicales reproduites sur un manuscrit ou sur tout support sonore, dans les genres déterminés au contrat soit sous son nom soit sous son pseudonyme (...) L'éditeur fera connaître par écrit à l'auteur dans un délai de trois (3) mois à compter de la remise du manuscrit ou de tout autre support s'il lève ou non l'option. A défaut de manifester de volonté dans le délai de trois mois précité, l'éditeur sera réputé avoir refusé l'oeuvre et l'auteur pourra disposer librement des droits éditoriaux (...)"- en son article 10 intitulé "résiliation anticipée" que "dans l'hypothèse où l'une quelconque des parties n'exécuterait pas les obligations mises à sa charge aux termes du présent accord, l'autre partie aura la faculté de mettre fin de plein droit au présent pacte, sous réserve de dénoncer par lettre recommandée avec accusé de réception à son cocontractant les inexécutions qu'il lui reproche et que l'autre partie n'ait pas remédié à ces inexécutions dans un délai de 30 (trente) jours après la date de réception de cette lettre recommandée avec accusé de réception et ce, sans préjudice de tous les éventuels dommages et intérêts supplémentaires qui pourraient être dus". 37. En premier lieu, la stipulation de l'article 2 de ce contrat, en tant qu'elle en reporte le point de départ à "la signature du premier contrat de cession et d'édition d'oeuvre musicale", n'est qu'une application des dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle. 38. Si M. [F] prétend que la SAS Wati B Editions a tardé à établir le premier contrat de cession et d'édition de ses oeuvres musicales, les pièces qu'il produit démontrent, au contraire, que six des dix titres composant le premier album du groupe The Shin Sekaï dont il était membre, divulgué le 21 janvier 2013 (pièce M. [F] no9), ont donné lieu à des contrats signés le 26 avril 2013 (pièces M. [F] no3.17 à 3.22), aucun contrat n'étant produit pour les titres "Eiffel", "Erreur du passé" et "Peu importe". 39. La circonstance que l'oeuvre musicale "Rappelle toi" (pièce M. [F] no3.16), faisant partie du même album et divulguée à la même date, n'ait fait l'objet que d'un contrat de cession et d'édition signé le 25 février 2014 n'établit pas, à elle seule, une manoeuvre de la demanderesse visant à retarder sciemment le point de départ du contrat litigieux signé le 1er juin 2013. 40. En second lieu, s'agissant de l'exercice par la SAS Wati B Editions de son droit de préférence, celle-ci ne conteste pas que la clause du contrat litigieux imposant à M. [F] de lui soumettre ses oeuvres achevées par courrier recommandé n'a jamais été mise en oeuvre, tandis qu'elle a pu exercer ce droit sur les titres du deuxième et du troisième album du groupe The Shin Sekaï entre le 25 février 2014 et le 23 septembre 2016 (pièces M. [F] no3.1 à 3.16). 41. Néanmoins, le fait que M. [F] ait enregistré ses oeuvres musicales en solo avec les moyens de la société Wati B Prod, ce que les factures de studio établissent (pièces SAS Wati B Editions no6), et le fait que cette société, personne morale distincte, et la SAS Wati B Editions ait le même dirigeant, M. [G] [R] (pièces SAS Wati B Editions no1, 3 et 5) ne suffisent pas à démontrer que M. [F] a satisfait à son obligation de remise des oeuvres à l'éditeur. 42. À l'inverse, dès lors que la SAS Wati B Editions a pu exercer son droit de préférence sur les oeuvres musicales du groupe The Shin Sekaï après leur divulgation et sans que les auteurs les lui aient remises par courrier recommandé, il lui était loisible d'exercer ce même droit à l'égard des oeuvres musicales en solo que M. [F] a divulgué au cours de la période d'exécution du contrat litigieux, notamment entre le 2 septembre 2016 et le 6 août 2018 (sa pièce no19). 43. Les échanges de courriel qu'elle verse aux débats (ses pièces no42 et 43) ne démontrent pas qu'elle ait tenté d'exercer ce droit de préférence, aucun de ces courriels n'étant adressé à M. [F], alors qu'elle disposait de son adresse courriel et fait état, au titre des redditions de comptes, des courriels qu'elle lui aurait adressé à la même période (ses pièces no8 et 9). 44. De même, la SAS Wati B Editions a signé le 2 février 2018 avec la SAS Black Palladium un contrat de co-édition de l'oeuvre musicale "Maffuzzy style", dont M. [F] est coauteur avec M. [D] [I] (pièce SAS Wati B Editions no18). Or, de même que pour les autres oeuvres musicales de collaboration entre M. [F] et M. [D] [I], alias Seysey, dont la SAS Black Palladium est l'éditeur (pièce SAS Wati B Editions no17), la demanderesse a pu exercer son droit de préférence éditoriale sans que l'auteur ait respecté le formalisme contractuel de la remise de l'oeuvre à l'éditeur. 45. Par ailleurs, la circonstance que M. [F] ait pu adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui auraient pu l'induire en erreur sur ses intentions ne peut avoir de conséquence qu'au cours d'une même instance (en ce sens Cour de cassation, 2ème chambre civile, 15 mars 2018, no17-21.991). Les conclusions qu'il a soutenues devant le conseil de prud'hommes de Paris dans un litige l'opposant à la société Wati B Prod, si elles affaiblissent la crédibilité de ses affirmations, sont, néanmoins, sans conséquence juridique. 46. En troisième lieu, s'agissant de la validité de la résiliation opérée par M. [F] par courrier du 14 mai 2018, il n'est pas contesté et il résulte de l'article 4 du contrat du 1er juin 2013 (pièce SAS Wati B Editions no4) que la SAS Wati B Editions était tenue des obligations de l'éditeur résultant des contrats de cession et d'édition musicale "pour les oeuvres concernées". 47. Au titre de son obligation de reddition des comptes, elle s'appuie sur des courriels des 14 octobre 2016 et 13 juin 2017 (ses pièces no8 et 9), ainsi qu'une remise en main propre du 6 octobre 2017 (sa pièce no10). 48. Les deux courriels sont adressés à M. [F] à une adresse courriel depuis laquelle il a répondu par courriel du 4 novembre 2016 (pièce SAS Wati B Editions no32). Toutefois, la ou les pièces jointes que la SAS Wati B Editions soutient y être jointes n'apparaissent pas dans l'impression de la pièce produite, à la différence du courriel envoyé le 4 novembre 2016 qui comporte la mention "6 pièces jointes" ainsi que le symbole les figurant (pièce SAS Wati B Editions no32), faisant ainsi douter de leur transmission. 49. De plus, les pièces jointes versées aux débats ne concernent que les relevés du second semestre 2016 et du premier semestre 2017 pour les seules exploitations à l'étranger (pièces Wati B Editions no8 et 9), en sorte que les redditions de compte pour les années 2014 à 2019 en France n'ont jamais été produites et celles pour l'étranger pour les années 2014, 2015 et premier semestre 2016 n'ont été produites qu'après l'introduction de l'instance (pièce Wati B Editions no26 à 28). 50. En outre, la circonstance que la SAS Wati B Editions ait pu transmettre le 13 juin 2017 un courriel mentionnant "tu trouveras ci-joint le décompte de tes royalties d'éditions pour le 2ème semestre 2016" dont la pièce jointe mentionne "Half-Yearly for period 01/01/2017 to 30/06/2017", se traduisant par période semi-annuelle du 01/01/2017 au 30/06/2017, ne suffit pas à remplir ses obligations de redditions de comptes. 51. Enfin, la pièce de remise contre décharge invoquée par la SAS Wati B Editions, datée du 27 novembre 2017 (sa pièce no10) mentionne : "Monsieur [J] [F] reconnaît avoir reçu ce jour de la part de la société Wati B Prod ses lettres d'engagement et contrats d'enregistrements (...)" ne démontre en rien que la SAS Wati B Editions lui ait remis ce même jour les comptes d'exploitation de ses oeuvres musicales pour les années 2014 à 2019. 52. Au titre de son obligation de paiement des droits, la SAS Wati B Editions relève que ceux issus des exploitations en France sont versés par la SACEM directement à l'auteur. S'agissant de ceux issus des exploitations à l'étranger, aucune des pièces qu'elle produit ne prouve que le paiement en ait eu lieu antérieurement au virement qu'elle a opérée le 14 septembre 2020 (sa pièce no34), soit postérieurement à l'introduction de l'instance, la circonstance que M. [F] n'ait pas établi les factures correspondantes étant inopérante à cet égard. 53. Au titre de l'obligation d'exploitation permanente et suivie de ses oeuvres par l'éditeur, M. [F] fait observer à bon droit que les factures produites par la SAS Wati B Editions concernent, en réalité, des sommes investies par la société Wati B Prod, personne morale distincte (ses pièces no6 et 36), dont elle ne peut pas valablement se prévaloir pour justifier du respect de sa propre obligation d'exploitation permanente et suivie. 54. À l'inverse, la demanderesse produit plusieurs échanges de courriels de février 2016 à janvier 2018 (ses pièces no37 à 41) montrant qu'elle a su nouer des partenariats ayant permis la mise en valeur du groupe The Shin Sekaï et a, ainsi, participé à sa notoriété. 55. Au titre de son obligation d'édition graphique des oeuvres, du fait que M. [F] est un artiste de rap et RnB et que l'exploitation des oeuvres musicales de ce genre a lieu principalement par téléchargement et via les réseaux sociaux, la SAS Wati B Editions oppose à bon droit son caractère secondaire. 56. Il résulte de l'ensemble que, compte tenu des manquements avérés de la SAS Wati B Editions à ses obligations de reddition de comptes et de paiement sans retard des droits dus à M. [F] pour les exploitations de ses oeuvres à l'étranger, la résiliation qu'il a annoncée le 14 mai 2018 du contrat de préférence éditoriale du 1er juin 2013 n'était pas abusive. 57. En conséquence, les demandes de la SAS Wati B Editions relatives à l'exécution forcée de ce contrat et en indemnisation des préjudices qu'elle invoque à ce titre seront rejetées, ainsi que sa demande subsidiaire d'expertise. 58. En l'absence de faute dans la divulgation par M. [F] de ses oeuvres musicales composées en solo ou en collaboration avec M. [D] [I], les demandes de la SAS Wati B Editions dirigées contre la SAS Black Palladium Music, fondées sur la complicité de ces mêmes fautes, seront également rejetées. 59. Compte tenu de l'absence de reddition de compte de chacun des contrats relatifs aux oeuvres "TPCMP", "Aime-moi demain", "Alter ego", "Mes épaules", "Normal", "Précieuse", "Je n'en peux plus", "J'ai du mal", "Ma jolie", "Où aller", "Du berceau au linceul", "Dévergondé", "Rêver / Nouvelle ère / Mes torts / Dis leur", "Nous sommes demain / Oublie-moi", "Rien à foutre / Soum soum", "Mens moi dans les yeux", "Rappelle-toi", "Je reviendrai", "Ne me le dis pas", "Moi d'abord", "La peur", "Si j'étais", "Tout ce que je sais", la demande reconventionnelle de M. [F] de résiliation de ces contrats sera accueillie. III - Sur les mesures réparatrices Moyens des parties 60. M. [J] [F] réclame l'indemnisation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'inexécution par la demanderesse de ses obligations contractuelles, faisant état de la perte d'opportunités professionnelles. 61. La SAS Wati B Editions conclut que le défendeur n'a manqué aucune opportunité professionnelle, ayant divulgué plusieurs oeuvres musicales à son détriment. Appréciation du tribunal 62. Selon l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable au contrat du 1er juin 2013, "le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part". 63. Par application de l'article 1149 du même code, dans sa rédaction applicable au contrat du 1er juin 2013, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé. 64. L'article 1153 du même code, dans sa rédaction applicable au contrat du 1er juin 2013, prévoit que "dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement". 65. Au cas présent, M. [F] ne fait qu'alléguer de pertes d'opportunités professionnelles sans les identifier et les démontrer, d'autant qu'il a produit les oeuvres musicales pour lesquelles la SAS Wati B Editions n'a pas exercé son droit de préférence et en a recueilli les fruits. 66. Le retard de la demanderesse dans l'exécution de son obligation de payer les droits dont elle était redevable à M. [F] au titre des exploitations de ses oeuvres musicales à l'étranger n'est réparable que par la condamnation aux intérêts au taux légal et ce paiement, pour lequel elle n'a pas été mise en demeure, a eu lieu en cours d'instance. 67. Le manquement de la SAS Wati B Editions à son obligation de reddition de compte, encore effectif au jour de la décision s'agissant de l'exploitation des oeuvres de M. [F] en France, lui cause un préjudice qui sera réparé par l'allocation de 1000 euros à titre de dommages et intérêts. 68. Le surplus des demandes de M. [F] sera, en conséquence, rejeté. IV - Sur le caractère abusif de la procédure Moyens des parties 69. La SAS Black Palladium Music estime qu'elle n'a été assignée par la demanderesse qu'afin de faire pression sur elle dans la mesure où elle fait partie de l'entourage professionnel de M. [F] et dans la pleine conscience qu'elle avait de ce qu'elle n'était en rien concernée par le litige et en l'absence de toute démarche amiable préalable. Elle fait valoir un préjudice moral résultant du traumatisme de son assignation alors qu'elle n'était que récemment créée et un préjudice professionnel tiré de la dégradation de son image dans le petit milieu de la musique par un des plus gros labels indépendants français de musique urbaine. 70. La SAS Wati B Editions réplique qu'en l'absence de toute faute commise par elle dans l'exercice de son droit d'agir compte tenu du bien fondé de ses demandes, la SAS Black Palladium Music devra être déboutée. Appréciation du tribunal 71. L'article 1240 du code civil prévoit que "tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer". 72. En application de l'article 32-1 du code de procédure civile, "celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 € sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés". 73. Le droit d'agir en justice participe des libertés fondamentales de toute personne. Il dégénère en abus constitutif d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil lorsqu'il est exercé en connaissance de l'absence totale de mérite de l'action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l'autre partie à se défendre contre une action que rien ne justifie sinon la volonté d'obtenir ce que l'on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté (en ce sens Cour de cassation, 3ème chambre civile, 10 octobre 2012, no11-15.473). 74. Au cas présent, la SAS Wati B Editions a pu croire fondées ses demandes dirigées contre la SAS Black Palladium Music, leur seul rejet excluant de faire dégénérer en abus l'action qu'elle a introduite. 75. Au surplus, la SAS Black Palladium Music ne produit aucune pièce établissant le préjudice qu'elle invoque, lequel ne consiste que dans les frais engagés pour sa défense, indemnisés au titre des frais non compris dans les dépens. 76. La demande à ce titre de la SAS Black Palladium Music sera, en conséquence, rejetée. V - Sur les dispositions finales V.1 - S'agissant des dépens 77. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie. 78. En vertu de l'article 699 du même code, "les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.La partie contre laquelle le recouvrement est poursuivi peut toutefois déduire, par compensation légale, le montant de sa créance de dépens". 79. La SAS Wati B Edition étant partie perdante, elle sera condamnée aux dépens, avec distraction au profit des avocats de M. [F], de la SAS Black Palladium Music et de la SACEM. V.2 - S'agissant de l'article 700 du code de procédure civile 80. L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation. 81. La SAS Wati B Editions, partie condamnée aux dépens, sera condamnée à payer 10 000 euros à M. [F] et 5000 euros à la SAS Black Palladium Music à ce titre. 82. La demande de la SAS Wati B Editions à ce titre sera rejetée. V.3 - S'agissant de l'exécution provisoire 83. Aux termes de l'article 515 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable à la date de l'assignation, "hors les cas où elle est de droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d'office, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi.Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation". 84. Eu égard aux termes du jugement, l'exécution provisoire, nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, sera ordonnée. PAR CES MOTIFS Le tribunal : Ecarte la fin de non-recevoir soulevée par la SAS Wati B Editions tirée de la prescription des demandes de M. [J] [F] en résiliation des contrats de cession et d'édition subséquents au contrat de préférence éditoriale du 1er juin 2013 ; Déboute la SAS Wati B Editions de sa demande en exécution forcée du contrat de préférence éditoriale du 1er juin 2013 conclu avec M. [J] [F] ; Déboute la SAS Wati B Editions de ses demandes de dommages et intérêts à l'encontre de M. [J] [F] et de sa demande subsidiaire d'expertise ; Déboute la SAS Wati B Editions de sa demande en paiement à l'égard de la SAS Black Palladium Music ; Résilie les contrats de cession et d'édition conclus entre la SAS Wati B Editions et M. [J] [F] pour les oeuvres "TPCMP", "Aime-moi demain", "Alter ego", "Mes épaules", "Normal", "Précieuse", "Je n'en peux plus", "J'ai du mal", "Ma jolie", "Où aller", "Du berceau au linceul", "Dévergondé", "Rêver / Nouvelle ère / Mes torts / Dis leur", "Nous sommes demain / Oublie-moi", "Rien à foutre / Soum soum", "Mens moi dans les yeux", "Rappelle-toi", "Je reviendrai", "Ne me le dis pas", "Moi d'abord", "La peur", "Si j'étais", "Tout ce que je sais" ; Condamne la SAS Wati B Editions à payer 1000 euros à M. [J] [F] à titre de dommages et intérêts ; Déboute M. [J] [F] du surplus de ses demandes en dommages et intérêts ; Déboute la SAS Black Palladium Music de sa demande en procédure abusive ; Condamne la SAS Wati B Editions aux dépens avec droit pour Maîtres Laurence Goldgrab, Christine Aubert-Maguero et Anne Boissard, avocates au barreau de Paris, de recouvrer ceux dont elles ont fait l'avance sans recevoir provision ; Condamne la SAS Wati B Editions à payer 10 000 euros à M. [F] et 5000 euros à la SAS Black Palladium Music en application de l'article 700 du code de procédure civile ; Déboute la SAS Wati B Editions de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; Ordonne l'exécution provisoire. Fait et jugé à Paris le 27 septembre 2023 La greffière Le président
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JURITEXT000048389794
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 27 septembre 2023, 19/03973
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2023-09-27
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Tribunal judiciaire de Paris
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19/03973
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 19/03973 - No Portalis 352J-W-B7D-CPQLR No MINUTE : Assignation du :29 mars 2019 JUGEMENT rendu le 27 septembre 2023 DEMANDERESSE Société MANUFACTURE DE TABACS HEINTZ VAN LANDEWYCK[Adresse 3]1741 LUXEMBOURG représentée par Maître Marc SABATIER, avocat au barreau de PARIS, et par Maître Charles DE HAAS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire D1166 DÉFENDERESSE S.A.S. NICOSWITCHanciennement dénommée LIBERTÉ DE FUMER[Adresse 2][Localité 1] représentée par Maître Gwendal BARBAUT de la SELEURL IPSIDE AVOCAT, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #E1489 COMPOSITION DU TRIBUNAL Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjointAnne BOUTRON, vice-présidenteLinda BOUDOUR, juge assistés de Lorine MILLE, greffière, DÉBATS A l'audience du 12 avril 2023 tenue en audience publique devant Jean-Christophe GAYET et Linda BOUDOUR, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir donné lecture du rapport, puis entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 13 septembre 2023, puis prorogé au 27 septembre 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort ________________________________ EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. La société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck se présente comme une société de droit luxembourgeois créée en 1847, ayant pour activité la commercialisation de produits du tabac. 2. Elle est titulaire de la marque verbale de l'Union européenne "Maya" no4172615, déposée le 21 décembre 2004 pour désigner en classe 34 des produits de tabacs bruts, tabacs à fumer, à priser, à mâcher, cigares, cigarettes, cigarillos, papier à cigarettes, douilles à cigarettes, tabacs en carottes et en rouleaux, articles pour fumeurs. 3. La société par actions simplifiée (ci-après SAS) Nicoswitch, anciennement dénommée Liberté de fumer, immatriculée le 16 avril 2009 au registre du commerce et des sociétés (RCS) de Brive, a pour activité la distribution de produits liés à la cigarette électronique. 4. Reprochant à la SAS Nicoswitch d'offrir à la vente, sur son site internet <dlice.fr>, un flacon de liquide pour cigarettes électroniques ou e-liquide utilisant le signe "Maya", la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck l'a mise en demeure, par lettre de son conseil du 2 février 2018, d'en cesser l'usage et de procéder au retrait de la vente des flacons en stock. 5. Par lettre de son conseil du 28 février 2018, la SAS Nicoswitch, considérant qu'elle n'utilisait pas le signe "Maya" à titre de marque, a refusé de faire droit aux demandes de la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck. 6. Après avoir fait dresser trois procès-verbaux d'huissier portant sur l'exploitation du site internet <dlice.fr>, par acte d'huissier du 29 mars 2019, la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck a fait assigner la SAS Nicoswitch en contrefaçon de marque devant ce tribunal. 7. Le 18 avril 2019, la marque verbale de l'Union européenne "Maya" no4172615, fondant l'action en contrefaçon de la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck, a fait l'objet d'une demande en déchéance par une société tierce devant l'Office européen de la propriété intellectuelle (EUIPO). 8. La SAS Nicoswitch a alors sollicité un sursis à statuer dans l'attente de l'issue de cette action en déchéance, que le juge de la mise en état a accordé par ordonnance du 16 octobre 2020. 9. La demande en déchéance devant l'EUIPO a été retirée le 20 décembre 2021, ce qui a entrainé la reprise de la présente instance. 10. L'instruction a été close par ordonnance du 15 septembre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 12 avril 2023 pour être plaidée. PRÉTENTIONS DES PARTIES 11. Dans ses dernières conclusions au fond, notifiées par voie électronique le 9 septembre 2022, la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck demande au tribunal de : - la recevoir en ses demandes, fins et conclusions et y faisant droit ;- juger irrecevable pour défaut de lien suffisant la demande reconventionnelle en déchéance de la marque de l'Union européenne "Maya" no4172615 en ce qu'elle vise d'autres produits que les tabacs à fumer et les cigarettes ;- juger mal fondée la demande reconventionnelle en déchéance de la marque de l'Union européenne "Maya" no4172615 en ce qu'elle vise cette fois les tabacs à fumer et les cigarettes et, en conséquence, en débouter la SAS Nicoswitch ;- juger qu'en reproduisant à l'identique la marque de l'Union européenne "Maya" enregistrée sous le no4172615, la SAS Nicoswitch s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon à son préjudice;En conséquence :- condamner la SAS Nicoswitch à lui verser 230 000 euros en réparation des actes de contrefaçon ;Subsidiairement :- condamner la SAS Nicoswitch à lui payer 100 000 euros à titre provisionnel et à parfaire ;- ordonner sous astreinte, la production de tous les documents ou informations détenus par la SAS Nicoswitch utiles pour déterminer l'origine et les réseaux de distribution des produits contrefaisants- et renvoyer l'affaire à telle audience qu'il lui plaira, afin de lui permettre de conclure définitivement sur le montant des dommages et intérêtsEncore plus subsidiairement :- juger que la SAS Nicoswitch s'est rendue coupable d'actes de parasitisme à son préjudice ;En conséquence :- condamner la SAS Nicoswitch à lui payer 230 000 euros en réparation ;En toute hypothèse :- faire interdiction totale et immédiate à la SAS Nicoswitch d'user du signe Maya, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, sous astreinte ;- ordonner la publication du jugement à intervenir, sur la page d'accueil du site de la SAS Nicoswitch (dlice.fr) et dans 10 (dix) journaux ou publications professionnelles ;- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir en toutes ses dispositions, nonobstant appel et sans constitution de garantie ;- condamner la SAS Nicoswitch à lui payer 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens. 12. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le13 septembre 2022, la SAS Nicoswitch demande au tribunal de :à titre principal : - la déclarer recevable à agir reconventionnellement en déchéance de la marque de l'Union européenne "Maya" no4172615 pour l'intégralité des produits de la classe 34 désignés dans l'enregistrement, - prononcer la déchéance des droits de la société Heintz Van Landewyck sur cette marque pour l'intégralité des produits de la classe 34 désignés dans l'enregistrement, avec effet au 3 février 2011, ou à titre subsidiaire au 13 avril 2017 ;- déclarer la société Heintz Van Landewyck irrecevable à agir en contrefaçon de la marque de l'Union européenne "Maya" no4172615- ordonner la transmission de la décision devenue définitive à l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), à titre subsidiaire : - prononcer la déchéance des droits de la société Heintz Van Landewyck sur la marque de l'Union européenne "Maya" no4172615 pour les produits de tabacs bruts, tabacs à fumer, à priser, à mâcher; cigares, cigarettes, cigarillos; papier à cigarettes, douilles à cigarettes; tabacs en carottes et en rouleaux; articles pour fumeurs de la classe 34 désignés dans l'enregistrement avec effet au 3 février 2011, ou à titre subsidiaire avec effet au 13 avril 2017 ; - et déclarer la société Heintz Van Landewyck irrecevable à agir en contrefaçon de cette marque pour ces produits ;- ordonner la transmission de la décision devenue définitive à l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO),en toutes hypothèses : - dire et juger qu'elle n'a commis aucun acte de contrefaçon de la marque de l'Union européenne "Maya" no4172615 ni aucun acte de concurrence déloyale et parasitaire,- débouter la société Heintz Van Landewyck de toutes ses demandes, fins et conclusions, - à titre reconventionnel, condamner la société Heintz Van Landewyck à lui verser 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de son avocat, - ordonner l'exécution provisoire de ses demandes reconventionnelles. MOTIFS DU JUGEMENT I - Sur la demande reconventionnelle en déchéance de la marque de l'Union européenne "Maya" no4172615 Moyens des parties 13. La SAS Nicoswitch fait valoir que la déchéance de la marque de l'Union européenne "Maya" no4172615 dont la demanderesse est titulaire doit être prononcée pour l'ensemble des produits visés dans son enregistrement, à compter du 3 février 2011 compte tenu de son enregistrement le 3 février 2006, du fait de l'absence d'usage sérieux de cette marque, les preuves d'usage produites n'étant que des documents internes à la demanderesse ou préparatoires dont la preuve de la diffusion au public n'est pas rapportée, des tableaux financiers et factures non certifiés, des extraits de publicité ou de son site internet non datés, des extraits d'articles de presse ou de sites internet n'établissant pas l'usage de la marque opposée. Elle assure que sa demande reconventionnelle est recevable compte tenu que la demanderesse elle-même considère depuis son assignation qu'il existe une proximité entre les produits pour cigarettes électroniques et ceux du tabac pour l'ensemble des produits visés dans son enregistrement. 14. La société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck oppose que sa demande principale en contrefaçon n'étant fondée qu'en ce que sa marque "Maya" désigne exclusivement les tabacs à fumer et les cigarettes, la défenderesse est irrecevable en sa demande reconventionnelle en déchéance visant l'ensemble des produits visés à son enregistrement autres que ceux précités, à défaut de présenter un lien suffisant avec la demande principale et d'intérêt légitime à poursuivre cette déchéance pour ces autres produits. 15. Elle considère que les pièces qu'elle produit établissent suffisamment l'usage sérieux de sa marque pour les tabacs à fumer et les cigarettes depuis le 13 avril 2017, soit cinq ans à compter de la demande en déchéance présentée par la défenderesse, en raison du chiffre d'affaires réalisés au cours de cette période, du budget publicitaire consacré à sa marque "Maya" et de ses factures de vente tant en France qu'en Europe. Réponse du tribunal I.1 - S'agissant de la recevabilité de la demande reconventionnelle en déchéance de la marque de l'Union européenne "Maya" no4172615 pour l'ensemble des produits visés à son enregistrement 16. Aux termes de l'article 70 alinéa 1 du code de procédure civile, "les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant". 17. Le demandeur en déchéance de droits de marque justifie d'un intérêt à agir lorsque sa demande tend à lever une entrave à l'utilisation du signe dans le cadre de son activité économique (Cour de cassation, chambre commerciale, 18 mai 2010, no09-65.072). 18. Conformément à l'article 122 du même code, "constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée". 19. En application des articles 63, 124, 127 et 128 du règlement (UE) no2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne, reprenant les dispositions antérieures du règlement (CE) no40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 modifié sur la marque communautaire, l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (l'EUIPO) est compétent pour statuer sur les demandes en nullité ou en déchéance d'une marque de l'Union européenne, sauf si celles-ci sont présentées à titre reconventionnel comme moyen de défense dans le cadre d'une action en contrefaçon. 20. Interprétant les dispositions de l'article 124 sous d), lu en combinaison avec l'article 128, paragraphe 1, de ce règlement, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit qu'une "demande reconventionnelle en nullité d'une marque de l'Union européenne peut concerner l'ensemble des droits que le titulaire de cette marque tire de l'enregistrement de celle-ci, sans que cette demande reconventionnelle soit restreinte, dans son objet, par le cadre contentieux défini par l'action en contrefaçon" (CJUE, 8 juin 2023, LM c. KP, C-654/21). 21. Au cas présent, la circonstance que la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck n'oppose sa marque de l'Union européenne "Maya" no4172615 à la SAS Nicoswitch qu'en tant qu'elle désigne les tabacs à fumer et les cigarettes n'interdit pas à cette dernière de demander reconventionnellement la déchéance de cette marque pour l'ensemble des produits figurant à son enregistrement. 22. Ainsi, la SAS Nicoswitch dispose d'un intérêt à demander la déchéance de la marque litigieuse qui lui est opposée pour l'ensemble des produits visés à son enregistrement dans la mesure où les produits autres que les tabacs à fumer et les cigarettes pourraient également lui être opposés comme produits similaires à son e-liquide "Maya" dans l'hypothèse d'un échec de la présente action fondée sur ces seuls derniers produits. 23. En effet, selon la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck elle-même, les liquides pour cigarettes électroniques vendus par la SAS Nicoswitch sont, à tout le moins, similaires aux tabacs à fumer et cigarettes visés à l'enregistrement de sa marque de l'Union européenne "Maya" no4172615 (ses conclusions pages 10). 24. Les liquides pour cigarettes électroniques sont commercialisés comme un substitut à la consommation du tabac. Il s'en déduit que les tabacs bruts, tabacs à priser, à mâcher, cigares, cigarillos, papier à cigarettes, douilles à cigarettes, tabacs en carottes et en rouleaux et articles pour fumeurs ne sont pas moins similaires à ces liquides que les tabacs à fumer et cigarettes visés à l'enregistrement de la marque litigieuse. 25. La demande reconventionnelle en déchéance présentée par la SAS Nicoswitch, en tant qu'elle vise également les tabacs bruts, tabacs à priser, à mâcher, cigares, cigarillos, papier à cigarettes, douilles à cigarettes, tabacs en carottes et en rouleaux et articles pour fumeurs libellés à l'enregistrement de la marque de l'Union européenne "Maya" no4172615 se rattache, de ce fait, par un lien suffisant à la demande originaire en contrefaçon de la demanderesse fondée sur les seuls tabacs à fumer et cigarettes visés à l'enregistrement de cette marque. 26. La fin de non-recevoir soulevée par la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck sera, en conséquence, écartée. I.2 - S'agissant de l'usage sérieux de la marque de l'Union européenne "Maya" no4172615 27. Selon l'article 15 du règlement (CE) no40/94 du Conseil sur la marque communautaire, modifié par le règlement (CE) no1653/2003 du Conseil du 18 juin 2003, applicable à la marque de l'Union européenne "Maya" no4172615 enregistrée le 3 février 2006, "1. Si, dans un délai de cinq ans à compter de l'enregistrement, la marque communautaire n'a pas fait l'objet par le titulaire d'un usage sérieux dans la Communauté pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, la marque communautaire est soumise aux sanctions prévues au présent règlement, sauf juste motif pour le non-usage.2. Sont également considérés comme usage au sens du paragraphe 1 :a) l'emploi de la marque communautaire sous une forme qui diffère par des éléments n'altérant pas le caractère distinctif de la marque dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée ;b) l'apposition de la marque communautaire sur les produits ou sur leur conditionnement dans la Communauté dans le seul but de l'exportation.3. L'usage de la marque communautaire avec le consentement du titulaire est considéré comme fait par le titulaire". 28. Interprétant les dispositions similaires de la directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) a dit pour droit "qu'une marque fait l'objet d'un usage sérieux lorsqu'elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l'identité d'origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l'exclusion d'usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque. L'appréciation du caractère sérieux de l'usage de la marque doit reposer sur l'ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l'exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l'étendue et la fréquence de l'usage de la marque (...)" (CJCE, 11 mars 2003, Ansul BV c. Ajax Brandbeveiliging BV, C-40/01). 29. Interprétant les dispositions équivalentes de l'article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l'Union européenne, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que "dans le cas d'une demande reconventionnelle en déchéance des droits attachés à une marque de l'Union européenne, la date à prendre en compte pour déterminer si la période ininterrompue de cinq ans figurant à cette disposition est arrivée à son terme est celle de l'introduction de cette demande" (CJUE, 17 décembre 2020, Husqvarna AB c. Lidl Digital International GmbH & Co, C-607/19). 30. Au soutien de l'usage sérieux de sa marque de l'Union européenne "Maya" no4172615 la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck produit aux débats, notamment :- des duplicata de factures de cigarettes et de tabacs "Maya" de divers types (original, green, blue, 100% tabac, yellow, ryo, myo) pour l'année 2017 en France, Belgique, Italie et Espagne et pour les années 2018 à 2022 en France (ses pièces no19 à 22 et 30 à 33)- des articles de presse des 20 juin 2012 et 12 mai 2022 citant la marque "Maya" pour les cigarettes ou le tabac à rouler (ses pièces no27-1 à 27-4). 31. Ces pièces établissent suffisamment l'exploitation ininterrompue de la marque litigieuse "Maya" par la demanderesse pour les cigarettes et le tabac à fumer entre 2012 et 2022, la période ininterrompue de cinq ans à prendre en considération courant du 13 avril 2017 au 13 avril 2022, dès lors que la première demande reconventionnelle a été notifiée par la défenderesses dans ses conclusions à cette dernière date. 32. En revanche, la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck ne produit aucune pièce relative à l'exploitation de cette marque pour les autres produits visés à son enregistrement, à savoir : tabacs bruts, tabacs à priser, à mâcher, cigares, cigarillos, papier à cigarettes, douilles à cigarettes, tabacs en carottes et en rouleaux et articles pour fumeurs. 33. Il en résulte que la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck sera déchue de ses droits sur la marque de l'Union européenne "Maya" no4172615 pour les tabacs bruts, tabacs à priser, à mâcher, cigares, cigarillos, papier à cigarettes, douilles à cigarettes, tabacs en carottes et en rouleaux et articles pour fumeurs à compter du 13 avril 2022 et le surplus de la demande reconventionnelle présentée par la SAS Nicoswitch en déchéance de ses droits sur cette même marque pour les cigarettes et le tabac à fumer sera rejetée. II - Sur la contrefaçon de marque Moyens des parties 34. La société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck soutient que la défenderesse a contrefait sa marque de l'Union européenne "Maya" no4172615 en apposant le signe "Maya" sur des flacons de liquide pour cigarettes électroniques, reprenant ainsi àl'identique le même terme distinctif pour des produits qu'elle estime très similaires aux tabacs à fumer et cigarettes visés à l'enregistrement de sa marque, créant un risque de confusion dans l'esprit du public concerné qu'elle définit comme les consommateurs de produits et articles de tabac d'un niveau d'attention particulièrement faible en raison du caractère précipité de leur achat. Elle ajoute que le signe "Maya" tel qu'utilisé le rend plus visible que les autres signes ou marques apposés sur les produits litigieux et considère que le fait que ce terme désigne également une variété de mangue est inopérant, cette signification en étant, selon elle, largement ignorée par le consommateur moyen, ce dont elle en déduit l'usage de ce signe à titre de marque par la défenderesse. 35. La SAS Nicoswitch objecte que les liquides pour cigarettes électroniques qu'elle vend le sont sous les marques "D'lice" et "D50", tandis qu'elle n'utilise le terme "Maya" que pour désigner la saveur de l'un de ses produits, en référence à une variété de mangue, ce terme étant immédiatement suivi du syntagme "mangue sensuelle" avec lequel il forme un tout indissociable, ce terme étant largement utilisé par d'autres opérateurs économiques pour désigner soit des fruits, soit des saveurs de liquides pour cigarettes électroniques, ce dont elle déduit qu'il ne s'agit pas d'un usage à titre de marque, dès lors insusceptible de constituer une contrefaçon. Réponse du tribunal 36. L'article 9 du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne prévoit que "1. L'enregistrement d'une marque de l'Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif.2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque :a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée ;b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque (...)" 37. Il en résulte que "le titulaire d'une marque enregistrée ne peut interdire l'usage par un tiers d'un signe identique à sa marque, (...), que si les quatre conditions suivantes sont réunies :– cet usage doit avoir lieu dans la vie des affaires ;– il doit être fait sans le consentement du titulaire de la marque ;– il doit être fait pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée, et– il doit porter atteinte ou être susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, et notamment à sa fonction essentielle qui est de garantir aux consommateurs la provenance des produits ou des services" (CJCE, 11 septembre 2007, Céline SARL c. Céline SA, C-17/06 §16). 38. L'usage pour des produits au sens des dispositions du règlement précité a lieu "lorsqu'un tiers appose le signe constituant sa dénomination sociale, son nom commercial ou son enseigne sur les produits qu'il commercialise" (CJCE, 12 novembre 2002, Arsenal Football Club c. Matthew Reed, C-206/01 §41). 39. Il y a usage pour des produits ou des services au sens de ladite disposition "lorsque le tiers utilise ledit signe de telle façon qu'il s'établit un lien entre le signe constituant la dénomination sociale, le nom commercial ou l'enseigne du tiers et les produits commercialisés ou les services fournis par le tiers" (CJCE, 11 septembre 2007, Céline SARL c. Céline SA, C-17/06 §23). 40. En l'occurrence, il résulte du procès-verbal d'huissier du 8 juin 2018 produit par la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck (sa îèce no7a) et il n'est pas contesté par la SAS Nicoswitch qu'elle appose sur un type de flacon de liquides pour cigarettes électronique qu'elle vend le signe "Maya", identique à la marque opposée par la demanderesse. 41. Toutefois, il ressort des procès-verbaux de constat produits par la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck que les flacons d'e-liquides litigieux font partie d'une gamme de produits vendus sur internet par la défederesse sous les marques "D50" ou "D'lice"(ses pièces no7a, pages 26 à 30, no7b, 15a et 15b). Ces deux marques ont été déposées la première le 27 février 2013 sous le no3986315 à l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) par un tiers et concédée en licence à la société Liberté de fumer, ancienne dénomination de la SAS Nicoswitch, la seconde le 20 novembre 2020 sous le no4703634 à l'INPI par la SAS Nicoswtich (pièces de la défenderesse no1, 1bis et 14). 42. Ces mêmes constats, ainsi que les extraits de son site internet <www.dlice.fr> versés aux débats par la défenderesse (ses pièces no2 et 15), montrent que le signe "Maya" critiqué décrit le parfum de mangue du produit sur lequel il est inscrit, vanté par les termes "mangue sensuelle", en caractères plus petits sur le flacon, à l'instar des autres parfums de la gamme dont ce produit fait partie, le terme "maya" désignant une variété de mangue (sa pièce no16). De plus, ce signe "Maya" est également utilisé par des marques concurrentes de la SAS Nicoswitch pour désigner le parfum de mangue de flacons d'e-liquides (pièce de la défenderesse no17). 43. Ainsi, l'usage du signe "Maya" par la défenderesse a lieu à titre de référence dans sa gamme de produits et ne vise, de ce fait, pas à l'associer à la provenance du produit, fonction essentielle de la marque. 44. En conséquence, l'utilisation du signe "Maya" par la SAS Nicoswitch n'est pas constitutif d'une contrefaçon de la marque de l'Union européenne "Maya" no4172615 et la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck sera déboutée de sa demande à ce titre, de même que de ses demandes indemnitaires principales et subsidiaires, et de ses demandes subsidiaires au titre du droit d'information. III - Sur le parasitisme Moyens des parties 45. La société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck invoque à titre subsidiaire le caractère parisitaire de la reproduction du signe "Maya" par la défenderesse sur ses produits. 46. La SAS Nicoswitch conteste le caractère notoire de la marque opposée, le caractère distinct des faits de parasitisme allégués de ceux avancés au titre de la contrefaçon et la démonstration de l'existence d'investissements financiers consacrés au développement et à la promotion de la marque "Maya". Réponse du tribunal 47. Aux termes des articles 1240 du code civil, "tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer". 48. Le parasitisme, qui n'exige pas de risque de confusion, consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 10 juillet 2018, no16-23.694). 49. En l'espèce, le seul usage du signe "Maya" par la SAS Nicoswitch, identique à la marque de l'Union européenne "Maya" no4172615 dont la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck est titulaire, en tant que référence à l'un des parfums de sa gamme de produits vendus sur internet sous les marques "D50" ou "D'lice", ne constitue pas un parasitisme dans la mesure où le signe litigieux "Maya" n'est pas apposé par la défenderesse sur son produit pour en identifier l'origine et la notoriété de la marque "Maya" de la demanderesse est, à cet égard indifférente. 50. La demande subsidiaire de la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck à ce titre sera, en conséquence, rejetée, ainsi que sa demande subséquente en indemnisation fondée sur le parasitisme. Elle sera, également, déboutée de ses demandes principales en interdiction et en publication compte tenu du rejet des fondements principaux et subsidiaires de ces demandes. IV - Sur le caractère abusif de la procédure Moyens des parties 51. La SAS Nicoswitch réclame la condamnation de la demanderesse pour avoir introduit l'action sans réelle démarche amiable préalable et dans la volonté de lui nuire compte tenu du caractère infondé de ses demandes. 52. La société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck réfute toute intention de nuire et avance avoir d'abord tenté une démarche amiable par sa mise en demeure. Réponse du tribunal 53. L'article 1240 du code civil prévoit que "tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer". 54. Le droit d'agir en justice participe des libertés fondamentales de toute personne. Il dégénère en abus constitutif d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil lorsqu'il est exercé en connaissance de l'absence totale de mérite de l'action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l'autre partie à se défendre contre une action que rien ne justifie sinon la volonté d'obtenir ce que l'on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté (en ce sens Cour de cassation, 3ème chambre civile, 10 octobre 2012, no11-15.473). 55. Toutefois, la défenderesse ne caractérise pas autre chose qu'une mauvaise appréciation de ses droits par la demanderesse et la seule circonstance que société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck soit déboutée de ses demandes n'est pas de nature à faire dégénérer son action en abus et la SAS Nicoswitch ne démontre aucun préjudice distinct des frais engagés pour sa défense, lesquels sont indemnisés au titre des frais non compris dans les dépens. 56. La SAS Nicoswitch sera, en conséquence, déboutée de sa demande à ce titre. V - Sur les autres demandes V.1 - S'agissant des dépens 57. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie. 58. En vertu de l'article 699 du même code, "les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.La partie contre laquelle le recouvrement est poursuivi peut toutefois déduire, par compensation légale, le montant de sa créance de dépens". 59. La société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck, qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens, avec distraction au profit de l'avocat de la SAS Nicoswitch. V.2 - S'agissant des frais non compris dans les dépens 60. L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation. 61. La société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck, partie condamnée aux dépens, sera condamnée à payer 8000 euros à la SAS Nicoswitch au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. 62. La demande de la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck à ce titre seront, en conséquence, rejetées. V.3 - S'agissant de l'exécution provisoire 63. Selon l'article 515 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable à la date de l'assignation, "hors les cas où elle est de droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d'office, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi.Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation". 64. L'exécution provisoire sera ordonnée, étant nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, en raison de son ancienneté, à l'exception la déchéance partielle de la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck sur la marque de l'Union européenne "Maya" no4172615. PAR CES MOTIFS Le tribunal : Écarte la fin de non-recevoir soulevée par la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck ; Prononce, à compter du 13 avril 2022, la déchéance partielle des droits de la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck sur la marque de l'Union européenne "Maya" no4172615 pour les tabacs bruts, tabacs à priser, à mâcher, cigares, cigarillos, papier à cigarettes, douilles à cigarettes, tabacs en carottes et en rouleaux et articles pour fumeurs ; Dit que passée en force de chose jugée, copie de cette décision est transmise à l'EUIPO sans tarder par l'une des parties à la procédure, par application de l'article 128 §6 du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne ; Rejette la demande reconventionnelle de la SAS Nicoswitch en déchéance de la marque de l'Union européenne "Maya" no4172615 pour les tabacs à fumer et cigarettes ; Déboute la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck de ses demandes principales et subsidiaires en contrefaçon de sa marque de l'Union européenne "Maya" no4172615, ainsi qu'au titre du droit d'information ; Déboute la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck de ses demandes en parasitisme ; Déboute la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck de ses demandes principales en interdiction et en publication ; Déboute la SAS Nicoswitch de sa demande reconventionnelle au titre de la procédure abusive ; Condamne la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck aux dépens, avec droit pour Maître Gwendal Barbaut, avocat au barreau de Paris, de recouvrer ceux dont il a fait l'avance sans recevoir provision ; Condamne la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck à payer 8000 euros à la SAS Nicoswitch en application de l'article 700 du code de procédure civile ; Déboute la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; Ordonne l'exécution provisoire à l'exception de la déchéance partielle des droits de la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck sur la marque de l'Union européenne "Maya" no4172615. Fait et jugé à Paris le 27 septembre 2023 La greffière Le président
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JURITEXT000048389795
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AUTRES_DECISIONS
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Tribunal judiciaire de Paris, 27 septembre 2023, 20/12771
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2023-09-27
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Tribunal judiciaire de Paris
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20/12771
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CT0196
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TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 20/12771 - No Portalis 352J-W-B7E-CTNDH No MINUTE : Assignation du :3 septembre 2018 JUGEMENT rendu le 27 septembre 2023 DEMANDERESSES E.U.R.L. ELITE CONNEXION[Adresse 2][Localité 6] Madame [B] [V]intervenante volontaire[Adresse 4][Localité 3] représentées par Maître Anne-Laure MOYA-PLANA, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #C0176 et par Maître WEISSENBACHER de la SELARL FORWARD AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant, substitué par Maître Sébastien OLAZCUAGA, avocat au barreau de BORDEAUX DÉFENDERESSE S.A.R.L. VIEW6[Adresse 1][Localité 5] représentée par Maître Jérémy ARMET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0351 COMPOSITION DU TRIBUNAL Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjointAnne BOUTRON, vice-présidenteLinda BOUDOUR, juge assistés de Lorine MILLE, greffière, DÉBATS A l'audience du 07 juin 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 27 septembre 2023. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffeContradictoireEn premier ressort ________________________________ EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE 1. La société Elite Connexion se présente comme une agence matrimoniale haut de gamme, créée en 2006 par Mme [B] [V], ancien mannequin connue sous le nom de [B] [V], qui en est la gérante, cette activité étant exploitée via le site internet www.elite connexion.com dont le nom de domaine est réservé depuis le 3 avril 2006. 2. La société Elite Connexion est titulaire de la marque verbale de l'Union européenne "[B]" no17961695 enregistrée le 26 septembre 2018 pour désigner les services des classes 35, 41 et 45 dont celui d'agence matrimoniale en classe 45. 3. La société View6, immatriculée depuis le 29 décembre 2009, exerce l'activité d'agence matrimoniale et propose ses services via le site internet [07]. 4. Elle expose avoir découvert que la société View6 avait réservé les mots-clefs "Elite connexion" et "[B] [V]" sur les régies publicitaires des moteurs de recherche Google et Ask pour le déclenchement d'annonces promotionnelles conduisant vers le site Internet estherkeller.com, qu'elle a fait constater par huissier les 6 et 13 juillet 2018. 5. Par courrier du 16 juillet 2018, la société Elite Connexion a, par l'intermédiaire de son conseil, mis en demeure la société View6 de cesser toute atteinte aux signes "Elite connexion" et "[B] [V]". 6. Par courrier du 2 août 2018, le conseil de la société View6 a contesté toute réservation fautive desdits signes, ajoutant que la société View6 avait retiré les annonces sponsorisées litigieuses dès le 21 juillet 2018. Procédure 7. Par acte du 3 septembre 2018, la société Elite Connexion a fait assigner la société VIEW6 devant le tribunal de commerce de Bordeaux en concurrence déloyale afin de faire cesser et d'obtenir réparation des atteintes aux signes "Elite connexion" et "[B] [V]". 8. En raison de demandes fondées sur une contrefaçon de marque, la juridiction consulaire bordelaise, après avoir reçu Mme [V] en son intervention volontaire, s'est, le 20 décembre 2019, déclarée incompétente au profit du tribunal de grande instance de Paris, devenu tribunal judiciaire, et a dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 9. Par ordonnance du 20 juillet 2021, le juge de la mise en état, saisi par la société View6, a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par celle-ci, l'a condamnée au paiement d'une amende civile de 1 500 euros et à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et renvoyé au fond le moyen tiré du défaut de qualité et d'intérêt à agir de la société Elite Connexion. 10. L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 septembre 2022 et l'affaire plaidée le 7 juin 2023. PRÉTENTIONS DES PARTIES 11. Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 mai 2022, la société Elite Connexion et Mme [V] demandent au tribunal de: DIRE ET JUGER que la société VIEW6, par la réservation du signe « [B] » à titre de mot-clé, et son association à une annonce promotionnelle ne présentant ni dans son titre ni dans sa description le signe distinctif « [D] [N] », sur les régies publicitaires AdWords et Ask Sponsored Listings des moteurs de recherche Google et Ask, a créé un risque de confusion entre la société ELITE CONNEXION et la société VIEW6, et commis par là-même des actes de contrefaçon par reproduction de la marque verbale de l'Union européenne « [B] » no17961695, au préjudice de la société ELITE CONNEXION ; DIRE ET JUGER que la société VIEW6, par la réservation des signes « ELITE CONNEXION » et « [B] [V] », et leur association à une annonce promotionnelle ne présentant ni dans son titre ni dans sa description le signe distinctif « [D] [N] », sur les régies publicitaires AdWords et Ask Sponsored Listings des moteurs de recherche Google et Ask, a créé un risque de confusion entre la société ELITE CONNEXION et la société VIEW6, et commis ainsi des actes de concurrence déloyale, au préjudice de la société ELITE CONNEXION ; En conséquence ORDONNER la communication, sous astreinte de 10 000 € par jour de retard, à compter du mois suivant la signification du jugement à intervenir, le Tribunal se réservant le droit de liquider directement l'astreinte, des « analytics » certifiés de toutes les campagnes promotionnelles (certifiées comme étant exhaustives par les régies publicitaires des moteurs de recherche), pour tous les sites web de la société VIEW6 – au premier rang desquels estherkeller.com -, faisant état notamment des « impressions », des « clics » et des « conversions » relatifs à toutes les annonces déclenchées à partir de requêtes présentant en leur sein les signes « ELITE CONNEXION », « [B] » et/ou « [V] », et ce pour les régies publicitaires de tous les moteurs de recherches sur Internet – dont Google, Ask, Orange, Bing, Yahoo, Qwant, Lycos et Search Encrypt ; DÉSIGNER tels experts informatique et comptable qu'il plaira au tribunal avec pour mission d'établir le manque à gagner de la société ELITE CONNEXION résultant de l'utilisation par la société VIEW6 de la marque verbale de l'Union européenne « [B] » no17961695, ainsi que des signes distinctifs « ELITE RENCONTRE » et « [B] [V] », à destination d'un public français, et ce pour les cinq années ayant précédé la délivrance de l'acte introductif d'instance et ce jusqu'au jour du jugement ; CONDAMNER la société VIEW6 au paiement d'une indemnité à fixer au résultat de l'expertise ordonnée, en réparation du manque à gagner de la société ELITE CONNEXION ; CONDAMNER la société VIEW6, dans l'attente du résultat de l'expertise ordonnée, au paiement d'une indemnité, à titre provisionnel, de 50 000 €, en réparation du manque à gagner de la société ELITE CONNEXION ; CONDAMNER la société VIEW6 au paiement d'une indemnité de 30 000 €, en réparation des pertes subies par la société ELITE CONNEXION ; CONDAMNER la société VIEW6 au paiement d'une indemnité de 20 000 €, en réparation du préjudice moral subi par Madame [B] [V] ; ORDONNER à la société VIEW6 de cesser toute promotion de ses services d'agence matrimoniale par le déclenchement d'annonces promotionnelles créant un risque de confusion avec la marque verbale de l'Union européenne « [B] » no17961695, ainsi qu'avec les signes distinctifs « ELITE CONNEXION » et « [B] [V] », par le truchement des régies publicitaires de tous les moteurs de recherche sur Internet, et ce sous astreinte de 2 000 € par infraction constatée et par jour de retard, à compter de la signification du jugement à intervenir, le Tribunal se réservant le droit de liquider l'astreinte directement ; ORDONNER la publication du jugement à intervenir, dans son intégralité ou par extraits, au choix de la société ELITE CONNEXION, dans 3 journaux ou publications professionnelles au choix de cette dernière, et aux frais avancés de la société VIEW6, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 3 000 € HT, soit la somme totale de 9 000 € HT ; CONDAMNER la société VIEW6 au paiement de la somme de 15 000 € au profit de la société ELITE CONNEXION et de Madame [B] [V], au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; CONDAMNER la société VIEW6 aux entiers dépens. 12. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 juin 2022, la société View6 demande au tribunal de : A titre préliminaire : DECLARER irrecevable la société Elite Connexion en ses demandes pour défaut de qualité à agir et d'intérêt à agir compte tenu de ses prétentions et demandes fondées sur le nom patronymique « [B] [V] » et sur la marque « [B] » déposée le 26 septembre 2018 ; DECLARER irrecevable Madame [B] [V] en ses demandes pour défaut d'intérêt à agir dans la mesure où elle ne justifie d'aucun préjudice distinct de celui de la société Elite Connexion ; A titre principal : DEBOUTER la société Elite Connexion et Madame [B] [V] de l'ensemble de leurs demandes du fait de l'absence de faute caractérisant un acte de contrefaçon ou un acte parasitaire de la part de la société View 6 ; A titre subsidiaire : DEBOUTER la société Elite Connexion et Madame [B] [V] de l'ensemble de leurs demandes du fait de l'absence de préjudice consécutif à l'utilisation des termes litigieux ; A titre reconventionnel :CONDAMNER solidairement la société Elite Connexion et Madame [B] [V] à payer à la société View 6 5000 € de dommages et intérêts en réparation des actes de dénigrements constatés à compter du 21 février 2022. En tout état de cause :CONDAMNER la société Elite Connexion, solidairement avec Madame [B] [V] à verser à la société View 6 la somme de 13 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; CONDAMNER la société Elite Connexion, solidairement avec Madame [B] [V], aux entiers dépens, y compris les éventuels frais d'exécution et le remboursement des procès verbaux de constat du 12 octobre 2018, du 7 octobre 2021 et 12 octobre 2021. MOTIVATION Sur les fins de non-recevoir soulevées par la société View6 Moyens des parties 13. La société View6 fait valoir le défaut de qualité et d'intérêt à agir de la société Elite Connexion relativement au grief d'atteinte au nom patronymique "[B] [V]" au motif que celle-ci ne dispose d'aucun droit sur les termes "[B] [V]", n'établit pas qu'un droit d'usage lui aurait été concédé et ne peut se substituer à Mme [V] pour obtenir réparation d'un éventuel préjudice. Elle conclut également à l'irrecevabilité des demandes de la société Elite Connexion au titre de la marque verbale de l'Union européenne "[B]" pour des faits antérieurs au 26 septembre 2018. Elle fait en outre valoir que Mme [V] n'a pas d'intérêt à agir dans la mesure où elle ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui de la société Elite Connexion. 14. La société Elite Connexion et Mme [V] soutiennent que celle-ci a consenti à sa société un droit d'usage sur son nom patronymique et font valoir que Mme [V] est intervenue volontairement à la procédure afin de régulariser cette fin de non-recevoir soulevée par la société View6. Réponse du tribunal 15. Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile :"L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé". 16. Selon l'article 122 du code de procédure civile :"Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée". 17. En l'occurrence, aucune disposition ne réserve au titulaire du nom patronymique le droit d'agir en responsabilité délictuelle du fait de son utilisation par un tiers estimée comme fautive. Au demeurant et en tout état de cause, Mme [V], intervenue volontairement à la procédure, déclare avoir consenti à la société Elite Connexion, dont elle est la gérante, le droit d'user de son nom patronymique pour son activité commerciale et les articles de presse versés aux débats par les demanderesses (leurs pièces no3) établissent que la société Elite Connexion use de la notoriété, attestée par lesdits articles et au demeurant non contestée, du nom de Mme [B] [V] pour faire la promotion de ses services d'agence matrimoniale. Enfin, la société Elite Connexion fait valoir dans le cadre de son action en concurrence déloyale un préjudice propre tiré de l'usage non autorisé et à des fins commerciales par la société View6 du nom de Mme [V]. Elle dispose de ce fait d'un intérêt à agir. Il convient en conséquence d'écarter la fin de non recevoir de la société View6 tendant à déclarer irrecevable la société Elite Connexion en ses demandes pour défaut de qualité à agir et d'intérêt à agir compte tenu de ses prétentions et demandes fondées sur le nom patronymique « [B] [V] »". 18. La société View6 ne conteste pas par ailleurs la titularité de la société Elite Connexion sur la marque verbale de l'Union européenne [B] no17961695, de sorte qu'il n'y a pas non plus lieu de faire droit à la fin de non-recevoir de la société View6 résultant d'un prétendu défaut de qualité à agir et d'intérêt à agir de cette société sur le fondement de cette marque, étant précisé que le moyen de la société View6 tiré de la période de protection est une question de fond qui a vocation à être tranchée dans le cadre de l'analyse des actes de contrefaçon allégués. 19. Enfin, Mme [B] [V] a un intérêt à agir pour la protection de son nom, étant relevé en outre qu'aux termes du dispositif des écritures de l'intervenante volontaire, Mme [V] demande la réparation d'un préjudice moral qui lui est propre, de sorte que cette fin de non-recevoir soulevée par la société View6 sera également écartée. Sur la contrefaçon de la marque verbale de l'Union européenne « [B] » no17961695 Moyens des parties 20. La société Elite Connexion et Mme [V] exposent que des recherches dans les moteurs Google et Ask avec les mots clés « agence matrimoniale [B] » et « agence matrimoniale [B] paris » font apparaître des annonces promotionnelles dirigeant les internautes vers le site internet [D] [N] (<estherkeller.com>) en créant un risque de confusion sur l'origine des services dans l'esprit des internautes. 21. La société VIEW6 fait valoir que les prétentions des demandeurs sont irrecevables, car les faits qui lui sont reprochés sont antérieurs au dépôt de leur marque de l'Union européenne. Elle ajoute que les termes « [B] » et "[B] [V]" ne sont plus réservés depuis le 21 juillet 2018 et que le déclenchement d'annonces ne résulte depuis cette date que de l'option de ciblage dit de la « requête large » dont elle ne saurait être déclarée responsable. Elle soutient également ne jamais avoir utilisé les services de la régie publicitaire Ask. Elle ajoute qu'il ne peut lui être reproché d'avoir réservé les mots clés "agence matrimoniale [Localité 6]" qui ne sont pas distinctifs. Elle affirme également que les internautes peuvent savoir que l'annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque du fait de la mention du nom de domaine [07] dans l'annonce sponsorisée et du renvoi par ce lien à son site internet, sans qu'aucune référence à Elite Connexion ou [B] [V] ne soit faite dans ses annonces promotionnelles. Réponse du tribunal 22. L'article 9 du règlement 2017/1001 du 14 juin 2017 énonce que :"1. L'enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit exclusif2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque : a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée ;b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque ;c)ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans l'Union et que l'usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l'Union européenne ou leur porte préjudice". 23. L'article 11 du même règlement précise que "le droit conféré par une marque de l'Union européenne est opposable aux tiers à compter de la date de publication de l'enregistrement de la marque". 24. Aux termes de l'article L. 717-1 du code de la propriété intellectuelle : "constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur la violation des interdictions prévues aux articles 9, 10, 13 et 15 du règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne". 25. La Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que les dispositions de l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 (qui sont reprises en substance par l'article 9, paragraphe 1, sous a), du règlement 40/94, ainsi que l'article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001), doivent être interprétées en ce sens que le titulaire d'une marque est habilité à interdire l'usage, sans son consentement, d'un signe identique à ladite marque par un tiers, lorsque cet usage a lieu dans la vie des affaires, est fait pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, et porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque (voir, notamment, arrêts du 11 septembre 2007, Céline, C-17/06, point 16, et du 18 juin 2009, L'Oréal e.a., C-487/07, point 58). 26. Selon la CJUE, la sélection de mots clés par un annonceur dans le cadre d'un service de référencement payant sur internet permettant de déclencher l'affichage de son annonce, constitue un usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services au sens de l'article 5, paragraphe 1, de la directive 89/104 (CJCE 23 mars 2010, Google France et Google, C-236/08 à C-238/08, points 51 et 52, 67 à 73) 27. Dans son arrêt Google précité, la CJUE a précisé que l'usage d'un signe identique à une marque d'autrui dans le cadre d'un service de référencement tel qu'«AdWords» n'est pas susceptible de porter atteinte à la fonction de publicité de la marque (point 98) et que la question de l'atteinte à la fonction d'indication d'origine de la marque dépend en particulier de la façon dont cette annonce est présentée (CJCE 8 juillet 2010 Portakabin C-558/08 points 34 et 35 rappelant les points 83, 84 89 et 90 de la jurisprudence Google et CJCE 22 septembre 2011Interflora, C-323/09 points 44 et 45). 28. La Cour de justice, a, par un arrêt rendu le 22 septembre 2011(Interflora, C-323/09, points 44 et 45), précisé, en ce qui concerne l'atteinte à la fonction d'indication d'origine de la marque au sens de l'article5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104, que:« 44. La question de savoir s'il est porté atteinte à la fonction d'indication d'origine d'une marque lorsqu'est montrée aux internautes, à partir d'un mot clé identique à cette marque, une annonce d'un tiers, tel qu'un concurrent du titulaire de la marque, dépend en particulier de la façon dont cette annonce est présentée. Il y a atteinte à cette fonction lorsque l'annonce ne permet pas ou permet seulement difficilement à l'internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par l'annonce proviennent du titulaire de la marque ou d'une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d'un tiers (arrêts précités Google France et Google, points 83 et 84, ainsi que Portakabin, point 34). En effet, dans une telle situation, qui est au demeurant caractérisée par la circonstance que l'annonce apparaît tout de suite après l'introduction de la marque en tant que mot de recherche et est affichée à un moment où la marque est, dans sa qualité de mot de recherche, également indiquée sur l'écran, l'internaute peut se méprendre sur l'origine des produits ou des services en cause (arrêt Google France et Google, précité, point 85). 45. Lorsque l'annonce du tiers suggère l'existence d'un lien économique entre ce tiers et le titulaire de la marque, il y a lieu de conclure qu'il y a atteinte à la fonction d'indication d'origine de cette marque. De même, lorsque l'annonce, tout en ne suggérant pas l'existence d'un lien économique, reste à tel point vague sur l'origine des produits ou des services en cause qu'un internaute normalement informé et raisonnablement attentif n'est pas en mesure de savoir, sur la base du lien promotionnel et du message commercial qui est joint à celui-ci, si l'annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque ou, bien au contraire, s'il est économiquement lié à celui-ci, il convient de conclure qu'il y a atteinte à ladite fonction de la marque (arrêts précités Google France et Google, points 89 et 90, ainsi que Portakabin, point 35). ». 29. Au cas présent, la société Elite Connexion est titulaire de la marque de l'Union européenne [B] no017961695 qui vise notamment en classe 45 les services d'agence matrimoniale. La protection de cette marque débutant avec la publication de son enregistrement le 18 février 2019, seuls les faits constatés à compter de cette date peuvent être pris en compte dans l'appréciation de la contrefaçon alléguée. Il est également constant que la société Elite Connexion n'a pas consenti à l'usage de sa marque précitée par la société View6 qui exploite sous le nom de domaine estherkeller.com un service d'agence matrimoniale identique au service désigné par cette marque [B]. 30. Le procès-verbal de constat du 12 juin 2019 versé aux débats par les demanderesses (leur pièce no20) établit qu'une recherche avec les mots clés "agence matrimoniale [B] paris", sur le moteur de recherche Google déclenche l'apparition en première position d'une annonce portant l'intitulé "Agence matrimoniale à [Localité 6]/ Confidentialité / accompagnement" et présentant un lien vers le site [07], sous la mention "Annonce" caractéristique d'un référencement payant. Cette annonce précède un résultat intitulé "Elite connexion Agence Matrimoniale haut de..." correspondant à un résultat dit naturel, c'est-à-dire déterminé par le seul algorithme du moteur de recherche et ne résultant pas d'un référencement payant. Par ailleurs, la recherche par mots clés "agence matrimoniale paris", dépourvue du terme "[B]", déclenche en seconde position un résultat portant dans son intitulé notamment la mention "EstherKeller.com", également sous la mention "Annonce" caractéristique des référencements payants . 31. La réservation par la société View6 du mot "[B] ", identique à la marque dont la société Elite Connexion est titulaire, dans le cadre d'un référencement payant se déduit de la mention "annonce" caractéristique des référencements payants et du fait qu'une recherche avec les seuls mots clés "agence matrimoniale paris", dépourvue du terme "[B]" fait apparaître une annonce différente, en particulier en ce qu'elle contient la mention expresse "EstherKeller.com" dans son titre. Les constats d'huissier que la société View6 verse aux débats (ses pièces no5 et 31-1) des 12 octobre 2018 et 7 octobre 2021 ne permettent pas d'apporter la preuve contraire, comme elle le soutient. 32. Il est par ailleurs établi par le procès-verbal susvisé que l'emploi du signe [B] comme mot-clef a pour effet de déclencher l'apparition d'une annonce faisant la promotion de services identiques aux services d'agence matrimoniale visés en classe 45 pour lesquels la marque de la société Elite Connexion a été enregistrée ainsi que l'affichage d'un lien promotionnel dirigeant vers le site estherkeller.com de la société View6 dont il est constant qu'il est dédié aux services d'agence matrimoniale. 33. La sélection par la société View6 d'un signe identique à la marque de la société Elite Connexion en tant que mot-clef pour déclencher l'affichage de son annonce publicitaire constitue un usage dans la vie des affaires. 34. En outre, la façon dont est présentée l'annonce sponsorisée de la société View6 ne permet pas à l'internaute normalement informé et raisonnablement attentif, qui appartient au grand public au regard de la nature des services concernés, de savoir si les services proposés dans l'annonce sponsorisée de la société View6, déclenchée par les mots clés "agence matrimoniale [B] paris", proviennent du titulaire de la marque litigieuse ou d'une entreprise qui lui est économiquement liée. En effet, l'annonce sponsorisée de la société View6 ne mentionne à aucun moment le nom de l'agence matrimoniale qui propose ces services, l'adresse URL estherkeller.com n'étant pas à elle seule suffisante à établir l'origine des services ainsi proposés, à la différence de l'annonce déclenchée par les mots clés "agence matrimoniale paris" qui porte dans son titre la mention expresse "EstherKeller.com". De plus, l'annonce est affichée à un moment où la marque est, dans sa qualité de mot de recherche, également indiquée sur l'écran, circonstance retenue par la CJUE dans l'arrêt Interflora précité pour caractériser la difficulté de l'internaute à identifier l'origine des services proposés. Cette difficulté est ici également caractérisée par le fait que le signe [B] n'apparaît sur la page que dans le moteur de recherche et à aucun autre endroitde la page, et notamment pas dans le résultat dirigeant vers le site de la société Elite Connexion qui se trouve en deuxième position, en dessous de l'annonce promotionnelle de la société View6. Il résulte de ce qui précède une atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir l'identité d'origine des produits et services d'origine. 35. Ainsi, en réservant à titre de mot clé dans un service de référencement payant le signe"[B]", pour faire la promotion de services d'agence matrimoniale en permettant le déclenchement d'une annonce dont la présentation ne permet pas à un internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir que la société View6 est un tiers par rapport au titulaire de la marque [B], la société View6 a fait un usage dans la vie des affaires d'un signe identique à la marque de la société Elite Connexion pour désigner des services identiques, d'une manière portant atteinte à la fonction essentielle de la marque de garantie d'origine. La contrefaçon de la marque de l'Union européenne no17961695 est par conséquent caractérisée. Sur les faits de concurrence déloyale opposés à la société View6 Moyens des parties 36. La société Elite Connexion fait valoir que la société VIEW6 a commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice par la réservation des mots clés "Elite Connexion" et « [B] [V] » sur les moteurs de recherche Google, Ask et Seekweb déclenchant une annonce promotionnelle du site estherkeller.com et sans que le titre, ni le descriptif de l'annonce ne fassent référence au signe « [D] [N] », créant ainsi un risque de confusion entre la société Elite Connexion et de la société View6. Elle ajoute que l'usage par la société View6 des termes « haut de gamme » et « rencontres sérieuses » qui sont fréquemment utilisés par la société Elite Connexion entretient également la confusion. 37. La société View6 fait valoir que les termes « Elite Connexion » et « [B] [V]» ne sont plus réservés depuis le 21 juillet 2018 et que le déclenchement d'annonces ne résulte depuis cette date que de l'option de ciblage dit de la « requête large » dont elle ne saurait être déclarée responsable. Elle soutient également ne jamais avoir utilisé les services des régies publicitaires Ask et Seekweb. Elle ajoute que la mention du signe « [D] [N] » au sein de l'URL affichée aux termes de l'annonce ([07]/agence/matrimoniale) exclut tout risque de confusion. Elle soutient également que les deux sociétés ne sont pas en situation de concurrence, n'ayant pas les mêmes cibles. Enfin, elle fait valoir l'absence de préjudice , affirmant n'avoir acquis aucun client pendant la période active des liens sponsorisés litigieux. Réponse du tribunal 38. En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. 39. La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un signe qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce. 40. L'appréciation de la faute doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits en prenant en compte le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de l'imitation, l'ancienneté du signe imité, l'originalité ou la notoriété du signe copié. 41. Le démarchage de la clientèle d'autrui est licite s'il n'est accompagné d'un acte déloyal. Ainsi, le simple usage à titre de mots clefs de signes distinctifs de concurrent n'est pas en lui-même déloyal, encore faut-il qu'il en soit résulté un risque de confusion sur l'origine des produits commercialisés par les deux entreprises (Com, 29 novembre 2011, no10-26.969 ; Com., 29 janvier 2013, no11-24.713, 11-21.011). 42. Pour être accueillie, l'action en concurrence déloyale doit être fondée sur des actes distincts de ceux sanctionnés au titre de la contrefaçon (Cass com 16 déc. 2008, no07-17.092). Sur l'utilisation de la dénomination sociale Elite Connexion à titre de mots clés 43. En l'espèce, la société en demande est immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris depuis le 1er juin 2015 sous la dénomination sociale " Elite Connexion". 44. La réservation par la société View6 du signe "elite connexion" à titre de mot-clé dans le cadre d'un service de référencement payant sur les moteurs de recherche Google, Ask et Orange est établi par la mention "annonce" accompagnant les résultats litigieux, caractéristique des annonces payantes. Comme relevé plus haut, les constats d'huissier que la société View6 verse aux débats (ses pièces no5 et 31-1) des 12 octobre 2018 et 7 octobre 2021 ne permettent pas d'apporter la preuve contraire. 45. Il ressort des procès-verbaux datés des 6 et 13 juillet 2018 (leurs pièces no8 et 9) qu'une recherche avec les mots clés "ELITE CONNEXION" sur le moteur de recherche Google déclenche en première position une annonce promotionnelle affichant l'URL [07] dirigeant vers la page du site internet [D] [N], sans que la dénomination sociale "Elite Connexion" n'apparaisse dans le titre, le texte ou l'adresse URL de l'annonce. Un internaute normalement informé et raisonnablement attentif ne peut en l'espèce se méprendre sur l'origine des services proposés par les annonces de la société View6 dans la mesure où apparaît immédiatement sous lesdites annonces promotionnelles, et donc sur la même page de résultats, un résultat présentant les services de la société Elite Connexion sous la mention de sa dénomination sociale tant dans le titre que dans le texte du résultat et de son URL elite-connexion.com. Le risque de confusion n'est pas davantage établi s'agissant de l'annonce constatée le 6 juillet 2018 dans la mesure où le texte commercial de l'annonce sponsorisée comporte la mention"[D] [N]", comme suit:"[D] [N] a bâti sa réputation sur l'excellence de son carnet d'adresse. Profils très sélectionnés. Prestation sur mesure (...)". Il en est de même de l'annonce déclenchée sur le moteur de recherche Ask avec les mots clés "agence matrimoniale elite connexion" telle que constatée par le procès verbal du 9 novembre 2018. La concurrence déloyale du fait de ces annonces n'est ainsi pas caractérisée. 46. Le constat établi le 13 juillet 2018 (pièce no9) montre également qu'une recherche avec les mots clés "ELITE CONNEXION" sur le moteur de recherche ASK déclenche en troisième position une annonce commerciale intitulée "Agence matrimoniale efficace - Rencontrez la bonne personne" affichant l'adresse sur internet [07] dirigeant vers la page d'accueil du site, sans que le nom [D] [N] ne soit mentionné dans le texte de l'annonce, et qui ne reprend par ailleurs aucun des termes de la dénomination sociale "Elite Connexion" que ce soit dans le titre, dans le texte de l'annonce ou dans l'adresse internet. Un internaute normalement informé et raisonnablement attentif ne peut pas non plus se méprendre sur l'origine des services proposés par cette annonce promotionnelle dans la mesure où apparaît sur la même page de résultat en première position des résultats naturels "le Vésinet : [B] [V] relooke chez [E]" mentionnant dans le texte d'accompagnement l'"agence matrimoniale "haut de gamme" Elite Connexion" alors de plus qu'apparaissent dans les annonces sponsorisées en deuxième et quatrième position des annonces commerciales portant chacune la mention du terme "Elite". Ici encore le risque de confusion n'est pas établi et la concurrence déloyale n'est pas caractérisée. 47. Par ailleurs, le procès verbal en date du 9 novembre 2018 (pièce no17) montre qu'une recherche avec les mots clés "agence matrimoniale elite connexion" sur le moteur de recherche Orange déclenche, en deuxième position des annonces payantes, une annonce comportant un lien dirigeant vers le site [D] [N] sans que ce signe n'apparaisse dans le titre ou le corps de l'annonce. Ici encore un internaute normalement informé et raisonnablement attentif ne peut pas confondre les services offerts par la société View6 sous le signe [D] [N] et ceux de la société Elite Connexion dans la mesure où l'annonce litigieuse apparaît en deuxième position des annonces payantes et qu'elle ne reprend pas la dénomination sociale Elite Connexion dans son titre, son texte ou son lien vers son adresse internet. Il en résulte que la concurence déloyale n'est pas caractérisée. 48. En outre, la société Elite Connexion est mal fondée à faire grief à la société View6 de l'usage des termes "haut de gamme" et "rencontres sérieuses" qui ne sauraient faire l'objet d'une quelconque appropriation pour les services d'agence matrimoniale. 49. Ainsi, la société Elite Connexion ne rapporte pas la preuve d'un usage déloyal par la société View6 de la dénomination sociale "Elite Connexion" et son action en concurrence déloyale pour les faits susvisés doit être rejetée. Sur l'utilisation du nom patronymique "[B] [V]" à titre de mots clés 50. Ainsi que relevé plus haut, la société Elite Connexion use dans ses communications commerciales du nom patronymique de Mme [V], dont la notoriété est établie par les articles de presse versés aux débats (pièces des demandeurs no3) et n'est au demeurant pas contestée, Mme [V] ayant par ailleurs déclaré à la procédure lui avoir conféré le droit de faire usage de son nom patronymique à des fins commerciales. 51. La réservation par la société View6 des mots clefs "[B] [V]" dans le cadre d'un service de référencement payant sur les moteurs de recherche Google et Ask est ici encore établie par la mention "annonce" accompagnant les résultats litigieux, sans que les constats d'huissier que la société View6 verse aux débats (ses pièces no5 et 31-1) des 12 octobre 2018 et 7 octobre 2021 ne permettent pas d'apporter la preuve contraire. 52. Les constats d'huissier des 6 et 13 juillet 2018 (pièces no8 et 9 des demandeurs) montrent qu'une recherche avec les mots clés "[B] [V]" dans les moteurs de recherche Google et Ask déclenche en première position une annonce promotionnelle dirigeant vers le site internet [D] [N]. Un internaute raisonnablement attentif et normalement informé ne peut cependant se méprendre sur l'origine des services proposés par ces annonces de la société View6 dès lors, d'une part, que le nom de [B] [V] n'apparaît ni dans le titre, ni dans le texte, ni dans l'adresse internet des annonces payantes et que d'autre part, le premier résultat naturel, c'est-à-dire non promu par des achats de mots clés, déclenché par la requête dans les moteurs Ask et Google désigne "[B]" ou "[B] [V]" dans le titre ou dans le texte du résultat, le nom étant associé à la société Elite Connexion. Il en est de même s'agissant de l'annonce sponsorisée déclenchée sur le moteur de recherche Seekweb apparaissant sur le constat réalisé le 7 avril 2022 (leur pièce no26). 53. La société Elite Connexion sera en conséquence déboutée de sa demande fondée sur la concurrence déloyale. Sur les mesures réparatrices 54. En vertu de l'article L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :"1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon. Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée." 55. Ces dispositions doivent être interprétées, d'une part, à la lumière du principe de réparation intégrale, en vertu duquel la partie lésée doit se trouver dans la situation qui aurait été la sienne en l'absence des faits litigieux, sans perte ni profit pour elle ; d'autre part, à la lumière de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur le respect des droits de propriété intellectuelle, qui prévoit à son article 13 §1 que les dommages et intérêts doivent être adaptés au préjudice que le titulaire du droit « a réellement subi du fait de l'atteinte ». 56. Il appartient à la partie demanderesse d'établir tant le principe du préjudice qu'elle invoque que le quantum des dommages et intérêts qu'elle sollicite : il n'appartient pas au tribunal de palier la carence du demandeur dans l'administration de la preuve de son préjudice. Sur les demandes de la société Elite Connexion 57. La société Elite Connexion demande, pour lui permettre de déterminer son manque à gagner, la communication sous astreinte par la société VIEW6 de l'ensemble de ses rapports de type « analytics » faisant état des « clics » et des « conversions » relatifs aux annonces déclenchées à partir les mots-clés litigieux pour les régies publicitaires des moteurs de recherche Google et Ask sur les cinq années ayant précédé l'acte introductif d'instance et la désignation d'un expert informatique et comptable. 58. Cependant, la société Elite Connexion n'a produit aucun élément de nature à justifier ces demandes et il n'appartient pas au tribunal, par le prononcé de telles mesures, de palier sa carence dans l'adminstration de la preuve. En effet, il ne se déduit pas des actes de contrefaçon le principe d'un manque à gagner qui pourrait justifer à lui seul d'ordonner les mesures sollicitées, encore faut-il que soient rapportés des éléments de nature à attester de l'existence d'un tel préjudice, tel un détournement de clientèle, une baisse ou absence de hausse d'activité, ce que ne fait pas la société Elite Connexion. Ces demandes seront en conséquence rejetées. 59. La société Elite Connexion demande par ailleurs la condamnation de la société View 6 à lui payer à titre provisionnel les sommes de 50 000 euros au titre de son manque à gagner et 30 000 euros au titre de ses pertes subies. Ainsi qu'évoqué ci-dessus, le manque à gagner allégué n'étant aucunement établi dans son principe, sa demande de réparation à cet égard sera rejetée. 60. S'agissant des pertes subies, la société Elite Connexion fait valoir des investissements qu'elle aurait consentis pour la protection et la promotion du signe distinctif « Elite Connexion» sans cependant verser aux débats aucun élément à cet égard. Cependant, l'utilisation de la marque [B] à titre de mot clé pour déclencher une annonce promotionnelle portant atteinte à la fonction essentielle de la marque et dont il est constant qu'il a pour objet de permettre aux professionnels de s'attirer une clientèle a nécessairement causé à la société Elite Connexion, propriétaire de la marque de l'Union européenne, un préjudice résultant de la banalisation et de la dilution de la valeur et de la disctinctivité de sa marque qu'il convient d'indemniser à hauteur de 5.000 euros à titre provisionnel en réparation des pertes subies. 61. Il convient également de faire droit aux mesures d'interdiction selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision. 62. Le préjudice subi de la société Elite Connexion étant suffisamment réparé, la demande de publication de la présente décision sera rejetée. Sur les demandes de Mme [V] 63. Mme [V] demande la condamnation de la société VIEW6 à lui payer une indemnité de 20.000 € en réparation de son préjudice moral, évoquant une atteinte à son image, sans cependant avoir exposé les moyens fondant une telle demande. En particulier, Mme [V] n'a pas caractérisé la faute de la société View6 à son égard de nature à justifier l'indemnisation réclamée. La demande de Mme [V] sera en conséquence rejetée. Sur la demande reconventionnelle de la société View6 fondée sur le dénigrement Moyens des parties 64. La société View6 soutient que les demanderesses ont commis des actes de dénigrement auprès de sa cliente justifiant leur condamnation à 5 000 euros en réparation de son préjudice. 65. La société Elite Connexion et Mme [V] n'ont pas répondu à cette demande. Réponse du tribunal 66. En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. 67. Le dénigrement est constitué lorsque les propos visent les produits, les services ou l'activité d'une entreprise et sont tenus dans le but d'inciter une partie de la clientèle de l'entreprise visée à s'en détourner. Le dénigrement est sanctionné sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil (en ce sensCour de cassation, chambre commerciale, 4 mars 2020, no18-15.651). 68. Au soutien de sa prétention, la société View6 verse aux débats un courriel du 18 février 2022 dans lequel elle indique à un de ses clients: "nous avons eu la courtoisie de vous proposer des photos de personnes de votre âge pour taire les propos médisants de [B] [V] à notre égard (rapportés par vos soins)", ainsi qu'un courriel daté du 21 février 2022 dans lequel elle écrit à une cliente "toutes mes excuses pour le retard, j'ai été très pris par mon travail et effectivement les propos négatifs de [B] [V] nécessitaient une clarification". Ces pièces sont insuffisantes à établir le dénigrement allégué en l'absence de pièces établissant l'existence des propos prétendument tenus. 69. La demande de la société View6 sera en conséquence rejetée. Sur les frais du procès et l'exécution provisoire 70. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société View6 supportera les dépens et sera condamnée à payer à la société Elite connexion la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 71. Il convient par ailleurs de rejeter la demande de la société View6 présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la demande de remboursement des frais de constats d'huissier, ceux-ci n'ayant pas été judiciairement ordonnés (Cass, 2ème chambre civile, 12 janvier 2017, no16-10.123). 72. L'exécution provisoire qui est de droit conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile n'a pas lieu d'être écartée. PAR CES MOTIFS Le tribunal :Ecarte les fins de non recevoir soulevées par la société View6 ; Condamne la société View6 à verser à la société Elite Connexion 5000 euros à titre provisionnel à titre de dommages et intérêts en réparation de la contrefaçon de la marque de l'Union européenne [B] no17961695 ; Interdit à la société View6 la réservation du signe [B] à titre de mot clef dans le cadre de référencements payants sur tout moteur de recherche pour déclencher une annonce promotionnelle de ses services d'agence matrimoniale présentée de manière à créer un risque de confusion avec la marque verbale de l'Union européenne [B] no17961695, dans un délai de 15 jours à compter de la signification du présent jugement puis sous astreinte de 200 euros par jour de retard qui courra pendant 180 jours ; Se réserve la liquidation de l'astreinte ; Rejette la demande de la société Elite Connexion:- en réparation d'actes de concurrence déloyale- de communication de documents- de désignation d'experts informatique et comptable;- de publication du jugement à intervenir aux frais avancés de la société VIEW6 Rejette la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral de Mme [B] [V] Rejette les demandes reconventionnelles de la société View6 en dénigrement et au titre des frais non compris dans les dépens, Condamne la société View6 aux dépens Condamne la société View6 à verser à la société Elite Connexion 5000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Fait et jugé à Paris le 27 septembre 2023 La greffière Le président
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JURITEXT000048430358
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ARRET
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Cour d'appel d'Orléans, 5 décembre 2019, 19/025041
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2019-12-05
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Cour d'appel d'Orléans
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Constate ou prononce le désistement d'instance et/ou d'action
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19/025041
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C1
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ORLEANS
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COUR D'APPEL D'ORLÉANS2ème chambre commerciale, économique et financièree.mail : [Courriel 5] No RG 19/02504 - No Portalis DBVN-V-B7D-F7TM Copies le : 05/12/2019à la SCP GUILLAUMA PESME ORDONNANCE D'INCIDENT LE 05 DECEMBRE 2019, NOUS, Carole CAILLARD, Président de chambre chargé de la mise en état à la cour d'appel d'ORLEANS, assisté de Marie-Claude DONNAT, Greffier, dans l'affaire ENTRE : la SA BANQUE DU GROUPE CASINO Agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié audit siège en cette qualité[Adresse 3][Localité 4] Ayant pour avocat postulant Me Pierre GUILLAUMA, membre de la SCP GUILLAUMA-PESME, avocat au barreau d'ORLEANS et pour avocat plaidant Me Jean-Pierre HAUSSMANN, membre de la SELARL HAUSSMANN KAINIC HASCOET HELAIN, avocat au barreau de l'Essonne, DÉFENDEUR à L'INCIDENT- APPELANT d'un Jugement en date du 14 Mars 2019 rendu par le Tribunal d'Instance de BLOIS D'UNE PART,ET : [I] [T][Adresse 1][Adresse 1][Localité 2] Défaillant DÉFENDEUR à L'INCIDENT - INTIMÉD'AUTRE PART, Après avoir entendu les Conseils des parties à notre audience du JEUDI 21 novembre 2019, il leur a été indiqué que l'ordonnance serait prononcée, par mise à disposition au greffe, le JEUDI 05 décembre 2019. EXPOSE La société Banque du groupe Casino a interjeté appel le 10 juillet 2019 d'un jugement rendu le 14 mars 2019 par le tribunal d'instance de Blois dans le litige l'opposant à M. [I] [T]. Le greffe a adressé à l'appelante un avis de caducité le 24 octobre 2019 afin de solliciter ses observations sur le fait qu'aucun acte de signification de la déclaration d'appel n'apparaissait avoir été remis au greffe, dans le délai d'un mois prévu par l'article 902 du Code civil, courant en l'espèce à compter du 23 Septembre 2019 et sur la caducité de la déclaration d'appel susceptible d'être encourue. Le conseil de l'appelante a produit un acte d'assignation et signification des conclusions et pièces du 15 octobre 2019 délivré à l'intimé. Les parties ont été convoquées à l'audience d'incident du 21 novembre 2019. Le 19 novembre 2019, l'appelante a adressé des conclusions aux termes desquelles elle se désiste de son recours, demande de dire ce désistement parfait en l'absence de constitution et de conclusions d'intimé et de statuer ce que de droit sur les dépens. CELA ÉTANT EXPOSÉ : Au regard des conclusions de désistement du 19 novembre 2019 et du fait que l'intimé n'a pas constitué avocat, il convient de constater le désistement d'appel de la société Banque du groupe Casino lequel, étant fait sans réserves, et intervenant sans qu'aient été formulés un appel incident ou une demande incidente, emporte acquiescement au jugement entrepris, par application de l'article 403 du code de procédure civile et extinction de l'instance et dessaisissement de la cour. Il résulte de la combinaison des articles 399 et 405 du code de procédure civile que le désistement d'appel emporte, sauf convention contraire, soumission de payer les frais de l'instance éteinte. PAR CES MOTIFS Constatons le désistement d'appel de la société Banque du groupe Casino du recours enrôlé sous le numéro de rôle RG 19-2504 ainsi que l'extinction de l'instance et le dessaisissement de la cour; Disons que la société Banque du groupe Casino conservera la charge des dépens de l'instance d'appel. ET la présente ordonnance a été signée par le Conseiller de la mise en état et le Greffier LE GREFFIER LE CONSEILLER DE LA MISE EN ETAT
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JURITEXT000048430359
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ARRET
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Cour d'appel de Versailles, 3 décembre 2019, 18/007771
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2019-12-03
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Cour d'appel de Versailles
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Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
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18/007771
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13
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VERSAILLES
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Arrêt rendu le 3 décembre 2019 par la 13ème chambre de la cour d’appel de Versailles RG 18/00777 Droit du crédit, financement du crédit, coût du crédit, taux d'intérêt du crédit, taux effectif global du crédit erroné, sanction, substitution du taux d'intérêt légal au taux conventionnel (non), motifs, sanction manifestement disproportionnée compte tenu du taux légal en vigueur, absence de préjudice démontré pour l’emprunteur. Arguant que le contrat de prêt litigieux mentionne un TEG erroné, l’emprunteur sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a dit et jugé que la stipulation de l’intérêt conventionnel figurant au contrat de prêt est nulle et que le taux d’intérêt légal doit lui être substitué conformément à une jurisprudence établie de la Cour de cassation. La Cour infirme la décision des premiers juges en tenant compte de l'évolution du droit positif résultant de l'ordonnance du 17 juillet 2019 qui conduit à apprécier différemment la sanction applicable en cas d’absence ou d’erreur de TEG résultant de la jurisprudence constante de la Cour de cassation. La Cour considère que, compte tenu de la sévérité que présente pour la banque la sanction de la substitution du taux légal au taux contractuel et de l’absence de préjudice démontré pour l’emprunteur résultant du caractère erroné du TEG mentionné dans le contrat de prêt, il convient d’écarter la sanction prétorienne qui n’est manifestement pas proportionnée compte tenu du taux légal actuellement en vigueur, l’emprunteur n’ayant pas de droits acquis à obtenir son application dès lors que celle-ci n’est prévue par aucun texte législatif.
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COUR D'APPEL DE VERSAILLES Code nac : 53A 13e chambre ARRÊT No CONTRADICTOIRE DU 03 DÉCEMBRE 2019 No RG 18/00777 - No Portalis DBV3-V-B7C-SEYZ AFFAIRE : SA DEXIA CRÉDIT LOCAL C/ SA PROMOCIL Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Décembre 2017 par le Tribunal de Commerce de NANTERRENo chambre : 4No Section : No RG : 2015F02240 Expéditions exécutoiresExpéditionsCopiesdélivrées le : 03/12/2019 à : Me Mélina PEDROLETTI Me Richard NAHMANY TC NANTERRE RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS LE TROIS DÉCEMBRE DEUX MILLE DIX NEUF,La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre : LA SA DEXIA CRÉDIT LOCAL inscrite au RCS de NANTERRE sous le no 351 804 042, agissant aux poursuites et diligences de son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège[Adresse 1][Localité 4] Représentée par Maître Mélina PEDROLETTI avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : V 626 et par Maître Dominique LEFORT avocat plaidant au barreau de PARIS. APPELANTE**************** LA SA PROMOCIL Société Anonyme d'Habitation à Loyer ModéréNo SIRET : 445 520 398[Adresse 3][Localité 2] Représentée par Maître Richard NAHMANY avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 485 et par Maître Stéphanie BARRE-HOUDART avocat plaidant au barreau de PARIS. INTIMÉE **************** Composition de la cour : L'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Octobre 2019, Madame Delphine BONNET, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de : Madame Sophie VALAY-BRIERE, Présidente,Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller,Madame Delphine BONNET, Conseiller, qui en ont délibéré, Greffier, lors des débats : Madame Sylvie PASQUIER-HANNEQUIN La société anonyme Dexia crédit local (la société Dexia) est un établissement de crédit spécialisé dans les prêts au secteur public. Par acte du 15 mai 2006, elle a régularisé avec la société anonyme d'HLM Promocil un contrat de prêt no MPH983698EUR portant sur un montant de 14 514 357,39 euros conclu pour une durée de trente-deux ans et six mois et destiné à refinancer un contrat de prêt antérieur. Le montant des taux d'intérêt applicables suivait trois phases : une première phase à taux fixe, suivie d'une deuxième phase s'étendant de 2007 à 2027 durant laquelle s'appliquait un taux d'intérêt structuré dont le calcul variait selon l'évolution de la différence entre le cours CMS EUR 30 ans et le cours CMS EUR 2 ans, puis une dernière phase à taux fixe jusqu'au 1er décembre 2038, date d'échéance du prêt. Le 6 juillet 2007 les parties ont conclu un contrat de prêt no MPH985376EUR destiné à refinancer le prêt du 15 mai 2006 pour un montant égal au capital restant dû, soit la somme de 13 954 936,65 euros, et ce pour un durée de trente-et-un ans et sept mois s'achevant le 1er décembre 2038. Le taux d'intérêt applicable au remboursement de ce prêt suivait également trois phases : - une première phase à un taux fixe annuel de 1,89 % , du 1er décembre 2007 au 1er décembre 2010,- une deuxième phase à taux variable en fonction de l'évolution de la parité Euro-Franc suisse par rapport à la parité Euro-Dollar américain selon les modalités suivantes :- si le cours Euro-Franc suisse est supérieur ou égal au cours Euro-Dollar américain, le taux d'intérêt est de 3,38%,- si le cours Euro-Franc suisse est strictement inférieur au cours Euro-Dollar américain, le taux d'intérêt est de 4,38% majoré de 30 % fois la différence entre les deux cours,- une troisième phase à taux fixe de 3,38%, du 1er décembre 2027 au 1er décembre 2038. La hausse substantielle du Franc suisse fin 2009 a entraîné l'inversion entre les cours de change Euro/Franc suisse et EUR/USD, risquant ainsi le déclenchement de l'application du taux d'intérêt applicable à 3,68 % +30 % du delta entre ces cours. Lors d'une réunion du 12 avril 2011, alors que le taux d'intérêt contractuel anticipé était de 9,09 % la société Dexia a présenté à la société Promocil deux propositions de refinancement du prêt du 6 juillet 2007 : - soit la souscription d'un nouveau prêt d'un montant de 11 647 415,94 euros à taux fixe ;- soit un réaménagement du prêt par la stipulation d'un passage temporaire, pour les échéances 2011, 2012, 2013 et 2014, à un taux fixe de 4,85% avant de revenir à la formule d'indexation stipulée au contrat du 6 juillet 2007, puis l'application lors de la troisième phase de remboursement du taux Euribor 12 mois, avec en outre une modification du mode d'amortissement, qui de ligne à ligne deviendrait progressif à 5 %. Le 8 juin 2011, le conseil d'administration de la société Promocil a donné son accord sur un refinancement du prêt, indiquant que « la finalité de ce refinancement serait de passer temporairement à taux fixe les trois prochaines échéances. » Par courrier du 6 septembre 2011, la société Dexia a adressé à la société Promocil une offre indicative de refinancement, qui prévoyait l'application d'un taux fixe de 5,50 % aux échéances de 2011, 2012 et 2013 au lieu du taux d'intérêt structuré stipulé au contrat du 6 juillet 2007, ainsi que l'application du taux Euribor 12 mois lors de la troisième phase en lieu et place du taux fixe de 3,38 %, outre la modification du mode d'amortissement. Le 19 septembre 2011, à la suite d'une conversation téléphonique avec la société Promocil, la société Dexia a communiqué une télécopie de confirmation décrivant les caractéristiques essentielles du nouveau prêt de refinancement et sur laquelle le client a donné son accord écrit. Le 24 novembre 2011, la société Promocil a signé le contrat de prêt noMPH276404EUR établi le 3 octobre 2011 par la société Dexia. Ce contrat prévoit, conformément à la télécopie du 19 septembre, l'application du taux d'intérêt selon les modalités suivantes : - une première phase à taux fixe de 4,90 %, du 1er décembre 2011 au 1er décembre 2013 exclu,- une deuxième phase à taux variable en fonction de l'évolution de la parité Euro-Franc suisse par rapport à la parité Euro-Dollar américain, avec un taux de 3,38 % si le cours Euro-Franc suisse est supérieur ou égal au cours Euro-Dollar américain, ou un taux de 3,38 % + 29,50 % du delta si le cours Euro-Franc suisse est inférieur au cours Euro-Dollar américain, du 1er décembre 2013 au 1er décembre 2027 exclu,- une troisième phase à taux fixe égal à l'Euribor 12 mois. L'article 12 du contrat comporte en outre une clause relative au taux effectif global calculé à la date d'émission du contrat, soit 6,05 % l'an. Les 21 mai et 3 juin 2013, la société Dexia a adressé de nouvelles propositions de financement à la société Promocil, qui les a déclinées. Les 9 février et 4 mai 2015, la société Dexia a adressé à sa co-contractante deux documents présentant l'évolution attendue à ces dates du taux d'intérêt. Par assignation du 24 novembre 2015, la société Promocil a saisi le tribunal de commerce de Nanterre afin d'obtenir la nullité de la stipulation conventionnelle d'intérêt et conséquemment la substitution du taux légal au taux d'intérêt prévu au contrat MPH 276404EUR pour défaut d'indication du TEG dans l'acte constatant le contrat de prêt au moment de l'échange des consentements des parties ainsi que le remboursement des intérêts trop perçus. Par jugement contradictoire du 15 décembre 2017, le tribunal de commerce de Nanterre a : - dit que la télécopie du 19 septembre 2011 constitue un contrat de prêt,- dit que la stipulation de l'intérêt conventionnel figurant sur la télécopie du 19 septembre 2011 est nulle et que le taux d'intérêt légal doit lui être substitué depuis le 19 septembre 2011,- débouté la société Dexia de sa demande relative à la confirmation de la télécopie du 19 septembre 2011, - débouté la société Dexia de sa demande relative à la réfection de la télécopie du 19 septembre 201l et à la régularisation du taux d'intérêt contractuel,- débouté la société Dexia de sa demande relative à la prescription,- condamné la société Dexia à rembourser à la société Promocil la somme de 2 180 964,65 euros, somme à parfaire au regard des intérêts excédentaires ultérieurement éventuellement versés après le 2 décembre 2016, majorée des intérêts de droit avec capitalisation des intérêts,- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du jugement,- condamné la société Dexia à payer à la société Promocil la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,- condamné la société Dexia à supporter les dépens. La société Dexia a interjeté appel de cette décision le 5 février 2018. Par ordonnance d'incident du18 avril 2019, le conseiller de la mise en état a débouté la société Dexia de sa demande de sursis à statuer dans l'attente de la publication de l'ordonnance mentionnée à l'article 55-I al. 1-2o de la loi du 10 août 2018. Dans ses dernières conclusions, déposées au greffe et notifiées par RPVA le 11 septembre 2019, elle demande à la cour de : - infirmer le jugement en toutes ses dispositions ; I] sur la demande en nullité du taux d'intérêt contractuel, infirmer le jugement et rejeter la demande nouvelle fondée sur un TEG erroné, 1) sur le grief tiré de l'absence de TEG dans la télécopie : - à titre principal, rejeter la demande en raison de ce que la télécopie du 19 septembre 2011 n'est pas un « écrit constatant un contrat de prêt »,- à titre de premier subsidiaire, déclarer la demande irrecevable comme prescrite,- à titre de second subsidiaire, rejeter la demande en raison de la confirmation,- à titre de troisième subsidiaire, rejeter la demande en raison de la réfection, 2) sur le grief tiré du TEG erroné : - à titre principal, déclarer la demande irrecevable comme prescrite,- à titre de premier subsidiaire, rejeter la demande en raison de ce que le « contrat de prêt » de 2011 n'est pas un « écrit constatant un contrat de prêt »,- à titre de second subsidiaire, rejeter la demande en raison de la confirmation,- à titre de troisième subsidiaire, rejeter la demande en raison de ce que le taux effectif global mentionné dans le « contrat de prêt » de 2011 n'est pas erroné, 3) sur les deux griefs : - à titre infiniment subsidiaire, rejeter la demande en raison de ce que la sanction d'une absence de TEG ou d'un TEG erroné n'est pas la nullité du taux d'intérêt contractuel,- au cas où la nullité du taux d'intérêt contractuel serait prononcée, dire qu'elle a pour conséquence :- de rendre applicable le taux d'intérêt structuré contractuel pour les échéances annuelles à compter du 1er décembre 2011 (inclus et jusqu'à l'échéance du 1er décembre 2026 incluse) dans sa formule du contrat de prêt de 2007, à l'exclusion de toute application du taux légal,- de rendre applicable le taux d'intérêt fixe de 3,38 % pour les échéances du 1er décembre 2027 (incluse) au 1er décembre 2038, à l'exclusion de toute application du taux légal, II] condamner la société Promocil à 80 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel avec distraction au profit de maître Pedroletti, selon l'article 699 du code de procédure civile. Dans ses dernières conclusions, déposées au greffe et notifiées par RPVA le 3 septembre 2019, la société Promocil demande à la cour de : - déclarer recevable mais mal fondé l'appel principal interjeté par la société Dexia,- la déclarer recevable et bien fondée en ses conclusions,y faisant droit, - confirmer le jugement en toutes ses dispositions,- prononcer la nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels pour le contrat MPH276404EUR en raison du défaut de mention du taux effectif global dans l'écrit constatant le contrat de prêt, à savoir la télécopie du 19 septembre 2011 et/ou l'erreur affectant le taux effectif global,- dire que le taux d'intérêt légal doit être substitué au taux d'intérêt prévu au contrat MPH276404EUR depuis sa conclusion, soit le 19 septembre 2011,- condamner la société Dexia à la restitution, à son bénéfice, du trop-perçu estimé pour les années 2012 à 2018 à la somme de 2 717 848,50 euros, somme à parfaire au regard des versements excédentaires qui pourraient intervenir ultérieurement, - dire que pour le temps d'exécution restant à courir du contrat MPH276404EUR, le calcul des intérêts produits sera fait par application du taux légal en lieu et place du taux conventionnel,- dire et juger que la restitution du trop-perçu portera intérêts au taux légal,- ordonner la capitalisation des intérêts,- débouter la société Dexia de l'ensemble de ses demandes, prétentions et moyens comme infondés,- condamner la société Dexia à lui verser la somme de 30 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,- condamner la société Dexia aux entiers dépens avec distraction au profit de la Selarl Houdart et associés, conformément à l'article 699 du code de procédure civile. L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 septembre 2019. Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile. SUR CE, Aucun moyen n'étant soulevé ou susceptible d'être relevé d'office, il convient de déclarer l'appel de la société Dexia recevable. 1) sur la nullité de la stipulation conventionnelle d'intérêt en raison du défaut de mention du taux effectif global dans la télécopie du 19 septembre 2011 La société Dexia fait valoir que la demande de nullité du taux d'intérêt contractuel doit être rejetée par infirmation du jugement quant à l'absence de TEG au motif, à titre principal, que la télécopie ne peut être qualifiée de contrat de prêt compte tenu de l'objet limité du consentement des parties en 2011 et, à titre subsidiaire, en ce que d'une part elle est prescrite, d'autre part en raison de la confirmation et enfin en raison de la réfection réalisée par le contrat de prêt de 2011. - sur la nature de la télécopie du 19 septembre 2011 La société Dexia soutient que le "contrat de prêt de 2011" n'est qu'un simple réaménagement du contrat de prêt de 2007 et non un nouveau contrat de prêt, nonobstant sa dénomination et son article 1er, soulignant qu'il y a une totale continuité entre le contrat de prêt de 2007 et le "contrat de prêt" de 2011 puisqu'il n'y a eu aucun nouvel accord des parties, ni sur le montant du capital, ni sur la durée du prêt, ni sur les dates d'échéance, ni sur les modalités de remboursement anticipé, qui ont fait l'objet d'un accord en 2007 et non en 2011, et qu'il n'y a eu de nouvel accord, en dehors du passage temporaire à taux fixe pour trois échéances, que sur le mode d'amortissement, mais celui-ci n'a pas d'influence sur le montant du taux d'intérêt et ne concerne donc pas le TEG, sur un taux d'intérêt classique pour une phase lointaine (2027-2038, taux Euribor 12 mois au lieu du taux fixe de 3,38%) et sur une modification accessoire et exclusivement favorable à Promocil de la formule du taux structuré en cas d'activation de l'indexation. Elle affirme que la seule cause du « contrat de prêt » de 2011 n'est pas de conclure un nouveau contrat de prêt mais seulement de conclure un avenant de passage temporaire à taux fixe, comme cela a été voté par le conseil d'administration de la société Promocil le 8 juin 2011, les autres modifications n'étant qu'accessoires. Après avoir décrit la procédure de conclusion du contrat de prêt, la société Promocil soutient que la commune intention des parties a été de procéder à une opération de refinancement par la conclusion d'un nouveau contrat de prêt tel que cela ressort des propositions indicatives de refinancement de la société Dexia du 12 avril 2011, de la délibération de son conseil d'administration du 8 juin 2011, de l'offre de refinancement du 6 septembre 2011, de la télécopie de confirmation du 19 septembre 2011 et du contrat émis le 3 octobre 2011 qu'elle a signé le 24 novembre suivant. Elle souligne qu'il y a remboursement anticipé du prêt au moyen d'un nouveau prêt et non pas simplement modification de ses conditions financières. Elle prétend qu'en conséquence la télécopie de confirmation du 19 septembre 2011 est un acte constatant un contrat de prêt, relevant que ce document expose les conditions du remboursement du prêt quitté et ses caractéristiques financières puis les caractéristiques principales du prêt mis en place et qu'il y est précisé que la signature vaut accord sur cette opération lequel constitue un engagement irrévocable de l'emprunteur. Elle affirme que la conclusion du contrat de prêt s'opère au moyen, et au moment de cet échange de télécopie, et que donc une fois l'échange réalisé le prêt est conclu définitivement, le contrat de prêt formel signé par la suite n'étant qu'une simple mise en forme juridique des conditions de cette opération de prêt structuré. L'article 1er (montant et objet) du contrat de prêt émis le 3 octobre 2011 et signé le 24 novembre 2011stipule très clairement, comme les précédents prêts du 15 mai 2006 et du 6 juillet 2007, qu'il a pour objet de "refinancer en date du 01/12/2011 à hauteur de 11 647 415,94 euros le contrat de prêt no MPH258823EUR" et énonce que le prêt nouveau est «autonome du contrat de prêt refinancé et est exclusivement régi par les dispositions du présent contrat » et que « par la souscription du présent contrat les sommes refinancées sont réputées remboursées au prêteur à la date du refinancement ». L'opération de refinancement du prêt existant par un prêt nouveau comporte en effet deux opérations juridiques simultanées et indissociables : le remboursement anticipé du prêt «refinancé» et le versement des fonds correspondant au montant du nouveau prêt dit de «refinancement», les deux flux se compensant l'un avec l'autre. Il s'agit donc bien d'un nouveau contrat de prêt et non pas d'un simple avenant ou d'un réaménagement. Le tribunal s'est également livré à une analyse complète des éléments produits par la société Promocil, à savoir les propositions indicatives de refinancement de la société Dexia du 12 avril 2011, la délibération du conseil d'administration du 8 juin 2011, l'offre de refinancement du 6 septembre 2011 et la télécopie elle-même du 19 septembre 2011 et, par des motifs pertinents que la cour adopte, après avoir écarté la qualification d'avenant au contrat de 2007, a jugé que la télécopie 2011 constituait un écrit constatant un contrat de prêt, au sens de l'article L. 314-5 ancien du code de la consommation et de l'article L. 313-4 du code monétaire et financier, en sorte que le TEG devait être mentionné sur la télécopie du 19 septembre 2011. La décision est confirmée de ce chef. - sur la prescription de la demande La société Dexia soutient que la demande en nullité du taux d'intérêt contractuel pour absence de TEG doit être déclarée irrecevable comme prescrite au motif que le taux d'intérêt structuré litigieux a été consenti par le contrat de prêt du 6 juillet 2007 et que le délai de prescription quinquennale de l'action en nullité du taux d'intérêt contractuel doit courir au plus tard à compter de cette date en sorte que le délai a expiré le 6 juillet 2012 alors que l'assignation date du 24 novembre 2015, répétant que le "contrat de prêt" de 2011 n'a pour seul objet que de stipuler un passage temporaire à taux fixe. La société Promocil répond que la prescription ne peut pas lui être opposée, l'assignation ayant été délivrée le 24 novembre 2015 dans le délai de cinq ans prévu à l'article 1304 du code civil tandis que la télécopie date du 19 septembre 2011. L'action en nullité de la stipulation de l'intérêt conventionnel exercée par l'emprunteur qui a obtenu un concours financier pour les besoins de son activité professionnelle court, s'agissant d'un prêt, de la date de la convention. Contrairement à ce que soutient la société Dexia, en présence non pas d'un réaménagement du contrat de 2007 mais d'un nouveau contrat de prêt, l'action de la société Promocil en nullité de la stipulation d'intérêts a commencé à courir à compter de la télécopie du 19 septembre 2011 date à laquelle l'emprunteur a pu constater l'absence de TEG dès la réception de ce document. Cette action introduite le 24 novembre 2015, dans le délai de prescription quinquennale, est donc recevable. - sur la confirmation La société Dexia fait valoir pour l'essentiel que la demande de nullité de la stipulation des intérêts contractuels doit être rejetée lorsque comme en l'espèce il y a eu confirmation, laquelle résulte du paiement des intérêts sans réserve par la société Promocil et de la signature du "contrat de prêt" par celle-ci le 24 novembre 2011. Elle relève que la connaissance de l'absence de mention du TEG dans la télécopie relève de sa simple lecture et qu'ainsi la société Promocil en payant sans réserves les intérêts contractuels antérieurement à l'assignation et en signant l'acte mentionnant le TEG a entendu réparer ce vice. La société Promocil soutient que le paiement par un emprunteur d'intérêts conventionnels en méconnaissance de l'omission ou de l'erreur commise par son prêteur ne peut valoir régularisation et confirmation sauf à interdire aux emprunteurs d'agir en nullité de la clause d'intérêts conventionnelle dès lors qu'ils auraient versé les intérêts de leur prêt en sorte qu'aucune sanction de la méconnaissance de la réglementation du TEG ne serait alors possible. Elle ajoute que la société Dexia n'apporte pas la démonstration qu'en versant les intérêts à partir du 1er décembre 2011 et a fortiori en signant le contrat de prêt formalisé, elle était consciente du vice résultant de l'absence de la mention du TEG dans la télécopie et avait l'intention de le couvrir. La confirmation d'un acte entaché d'une nullité relative peut être effectuée. En application de l'article 1338, devenu 1182, du code civil, elle suppose à la fois la connaissance du vice affectant l'acte et l'intention de le réparer. En l'espèce, la société Promocil, qui ne pouvait pas ignorer que la télécopie ne comportait pas la mention du nouveau taux effectif global, connaissait le vice l'affectant et a néanmoins par la suite signé le 24 novembre 2011 le contrat de prêt mentionnant ce taux puis payé les échéances à partir du 1er décembre 2011 démontrant ainsi sa volonté de renoncer à se prévaloir de l'omission antérieure et de valider l'acte. Le jugement doit donc être infirmé de ce chef et le moyen tiré de l'omission du taux effectif global dans la télécopie du 19 novembre 2011 sera donc écarté, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens développés par les parties sur cette question. 2) sur la nullité de la stipulation conventionnelle d'intérêt en raison de l'erreur affectant le taux effectif global A titre principal, la société Dexia conclut à l'irrecevabilité de la demande en raison de la prescription. A titre subsidiaire, elle conclut au rejet de la demande d'une part au motif que le contrat de 2011 n'est pas un écrit constatant un contrat de prêt, reprenant les arguments développés sur l'absence de qualification de la télécopie du 19 novembre 2011, d'autre part en raison de la confirmation de l'acte par le paiement des intérêts sans réserves, et ensuite en raison de l'absence de TEG erroné. Il a déjà été répondu à la fin de non recevoir tirée de la prescription soulevée par la société Dexia ci-dessus. Pour les mêmes motifs que précédemment développés la demande de la société Promocil n'est pas prescrite et est recevable. De même, il a été dit que la télécopie du 19 septembre 2011 est un écrit constatant un contrat de prêt et que les dispositions des articles L. 314-5 ancien du code de la consommation et L. 313-4 du code monétaire et financier sont applicables au nouveau contrat de prêt conclu entre les parties en 2011. - sur l'erreur de TEG La société Dexia fait observer que la société Promocil dans son assignation du 24 novembre 2015 jusqu'à ses conclusions du 25 janvier 2019 n'avait soulevé que le moyen tiré de l'absence de TEG dans la télécopie et n'a soulevé ce second moyen tiré du caractère erroné du TEG qu'à la suite de l'arrêt de la cour de céans du 27 novembre 2018 qui a admis à tort le caractère erroné du TEG en raison de sa date de calcul au motif que le « contrat de prêt » faisant suite à la télécopie n'était qu'un instrumentum en sorte que le TEG devait être calculé à la date de la télécopie. Elle fait valoir que l'article R. 313-1 1 ancien du code de la consommation invoqué par la société Promocil n'est pas applicable au TEG du contrat litigieux dès lors qu'il n'y aucune adaptation du taux d'intérêt qui est fixé dès la conclusion du contrat de prêt. Elle soutient qu'elle s'est conformée à la jurisprudence de la Cour de cassation, qui a été méconnue par l'arrêt précité du 27 novembre 2018, applicable aux prêts à taux variable, lui permettant de choisir un seul exemple pour calculer le TEG, pourvu qu'il soit significatif, sans avoir à se référer à une date précise. Elle estime que la référence aux dernières parités de change connues à la date d'émission du contrat de prêt (3 octobre 2011) est un exemple significatif, ce d'autant que, dans les deux cas, 19 septembre et 3 octobre 2011 la différence entre les parités EUR/CHF et EUR/USD était négative, ce qui confirmait le déclenchement de l'indexation du taux structuré, et donc le bien-fondé de la décision de Promocil de conclure un passage temporaire à taux fixe. Elle estime qu'il est contraire à tout bon sens de prononcer la nullité du taux d'intérêt contractuel en raison des variations aléatoires du TEG, alors que ces variations auraient pu conduire au résultat inverse et ainsi exclure la nullité, sans pour autant ni remettre en cause la seule information qui pouvait intéresser Promocil, ni donner à celle-ci une information sur le coût réel du prêt. La société Promocil soutient que le contrat de prêt n'étant qu'un simple instrumentum ne révélant pas un nouvel accord des parties, n'emportant ni confirmation, ni réfection, le TEG ajouté dans cet acte aurait dû être calculé à la date de la télécopie constatant l'accord des parties sur le contrat de prêt soit le 19 septembre 2011 et non à la date d'émission du contrat formalisé, le 3 octobre 2011, en sorte que le TEG qui y est mentionné est erroné puisqu'il ressortissait à 6,90 % et non pas à 6,05 % comme mentionné dans l'acte. Elle fait valoir, en réponse à l'argumentation de la société Dexia et se référant à l'article R. 313-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable en septembre 2011, que pour les prêts à taux variable l'article qui n'évoque pas "d'exemple" impose que le TEG soit calculé en partant de l'hypothèse que le taux d'intérêt et les autres frais resteront fixes par rapport au niveau initial et s'appliqueront jusqu'au terme du contrat de crédit et soutient ainsi que le "niveau initial " ne peut être que le niveau du taux variable tel qu'il est à la date de l'accord des parties, et non à une date postérieure en sorte que le TEG du refinancement de 2011 devait être calculé en appliquant les données disponibles au 19 septembre 2011 et non pas celles disponibles à la date d'édition de l'instrumentum de 2011, soit le 3 octobre 2011, et ce d'autant plus que cette date d'édition est totalement déconnectée de la date de signature par l'emprunteur qui est bien postérieure. Elle rappelle enfin que de jurisprudence constante, la Cour de cassation assimile la mention d'un taux effectif global erroné à l'absence de mention du taux effectif global. Le taux effectif global figurant dans le contrat de prêt émis le 3 octobre 2011 est de 6,05 %. Il n'est pas contesté par la société Dexia que le TEG calculé au 19 septembre 2011, date de la télécopie scellant l'accord des parties, ressort à 6,90 %, selon l'analyse du cabinet financier Orféor, au demeurant non produite aux débats ni en première instance ni en appel par l'intimée, soit un taux supérieur de 0,85 % au TEG indiqué.Contrairement à ce que soutient la banque Dexia le contrat de prêt daté du 3 octobre 2011 n'est pas un negotium mais un simple instrumentum en ce qu'il a seulement mis en forme l'accord auquel les parties étaient parvenues antérieurement en y ajoutant le taux effectif global omis dans la télécopie antérieure, lequel aurait donc dû être calculé à la date de la télécopie et non, comme l'a fait Dexia, à la date de ce contrat. La société Dexia ne peut sérieusement soutenir qu'il n'y a pas lieu à se référer à une date précise pour calculer le TEG puisque celui-ci doit être calculé à la date de conclusion du prêt, et ce nonobstant le fait que la variation du TEG entre la date de la télécopie et la date d'émission du contrat de prêt est due à la variation des parités EUR/CHF et EUR/USD, qui était aléatoire. La société Promocil est donc fondée à prétendre que le taux effectif global indiqué dans cet acte, 6,05 %, est erroné. - sur la confirmation La société Dexia prétend qu'en payant les intérêts sans réserves lors des échéances des 1er décembre 2011, 2012, 2013 (taux fixe de 4,90 %) et du 1er décembre 2014 alors que l'indexation du taux structuré était déclenchée, la société Promocil a manifesté la volonté de réparer le vice tiré du TEG prétendument erroné. Elle soutient que le mémorandum d'Orféor montre que la société Promocil avait nécessairement connaissance de la prétendue erreur du TEG lors du paiement des intérêts sans réserves puisque la variation du TEG entre le 19 septembre 2011 et le 3 octobre 2011 est due aux variations des parités EUR/CHF et EUR/USD, parités parfaitement connues de la société Promocil qui a pu suivre quotidiennement la variation de ces parités afin d'estimer la variation du taux structuré et le risque de réalisation de la condition suspensive déclenchant l'indexation, à savoir une différence arithmétiquement négative entre les parités EUR/CHF et EUR/USD. Elle fait également état de la totale indifférence de la société Promocil au TEG figurant dans le contrat de prêt de 2011 (comme pour l'absence de TEG dans la télécopie) puisque ce contrat n'est pas celui qui a stipulé le taux d'intérêt structuré en vigueur, que Promocil ne se préoccupait lors de la conclusion de ce contrat de prêt que du montant du taux fixe des échéances de 2011 à 2013, et non de comparer une offre de Dexia à l'offre d'autres banques ni de vérifier l'incidence de ce taux fixe sur toute la durée du prêt. La société Promocil soutient, comme pour l'absence de mention du TEG dans la télécopie du 19 septembre 2011, que le paiement des intérêts ne vaut que confirmation du consentement de l'emprunteur à payer des intérêts au titre du prêt mais ne vaut pas confirmation du consentement à payer les intérêts du prêt tels qu'ils ont été irrégulièrement stipulés au regard de l'article 1907 du code civil et de la législation sur le taux effectif global. Elle ajoute que les conditions de la confirmation ne sont pas réunies dès lors que la société Dexia n'apporte pas la démonstration qu'en versant les intérêts à compter du 1er décembre 2011 elle était consciente du vice et avait l'intention de le couvrir. La confirmation d'un acte nul exige à la fois la connaissance du vice l'affectant et l'intention de le réparer. Si curieusement la société Promocil n'a pas produit l'analyse du cabinet Orféor, et s'il ne fait pas de doute que cette société d'HLM suivait attentivement la variation des parités EUR/CHF et EUR/USD, la connaissance par celle-ci de l'erreur de TEG affectant le contrat de 2011 n'est toutefois pas démontrée par la société Dexia en sorte que la confirmation de l'acte ne saurait être déduite du paiement sans réserves des intérêts les 1er décembre 2011, 2012, 2013 et le 1er décembre 2014 alors que l'indexation du taux structuré était déclenché. Ce moyen sera écarté. 3) sur la sanction du TEG erroné Après avoir rappelé que la sanction de la nullité du taux intérêt contractuel par sa substitution par le taux légal résulte uniquement de la jurisprudence de la Cour de cassation, la société Dexia fait état de la remise en cause de cette jurisprudence par des juges du fond puis par le législateur. Elle soutient que la jurisprudence de la Cour de cassation est désavouée par la réforme de 2018-2019 soulignant que l'ordonnance du 17 juillet 2019 instaure la sanction de la déchéance des intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice de l'emprunteur. Elle souligne que la loi du 10 août 2018 et l'ordonnance du 17 juillet 2019 ont mis en plein jour l'absence de tout fondement textuel de la jurisprudence de la Cour de cassation et l'absence de tout caractère proportionnel de la sanction de la nullité du taux d'intérêt. Puis, elle se réfère à une jurisprudence de la CJUE et soutient que si cette juridiction avait à statuer sur le TEG dans les prêts structurés (ce qui ne saurait être le cas faute de tout texte de droit de l'UE en matière de prêts à des professionnels et de TEG), elle déciderait certainement que la sanction de la nullité du taux d'intérêt retenu par la Cour de cassation ne serait pas proportionnée. Elle soutient qu'il est impossible de maintenir l'actuelle jurisprudence de la Cour de cassation sur la nullité du taux d'intérêt, laquelle ne peut plus ni se fonder sur l'article 1907 alinéa 2 du code civil ni prétendre que sa jurisprudence conduit à une sanction proportionnée en sorte qu'elle doit nécessairement procéder à un revirement inéluctable de sa jurisprudence. La société Dexia invite la cour à anticiper ce revirement, soutenant que cette anticipation du revirement de jurisprudence par les juges du fond est d'autant plus impérieuse que leurs décisions appliquant l'actuelle jurisprudence de la Cour de cassation encourent le risque d'être cassées, en ce que la loi du 10 août 2018 et l'ordonnance précitée ont ôté toute base légale à la jurisprudence fondée sur l'article 1907 code civil. Elle ajoute qu'il n'y a aucun droit acquis à la nullité du taux d'intérêt chez les emprunteurs. Elle demande donc à la cour de céans d'écarter la sanction de la nullité du taux d'intérêt qui est dénuée de caractère proportionnel en ce que le TEG n'était d'aucune utilité pour l'information de la société Promocil, et en ce que le préjudice subi par la société Promocil est inexistant puisque le TEG ne donne aucune indication sur le montant du taux d'intérêt structuré. La société Promocil rappelle qu'il est de jurisprudence constante que la nullité de la stipulation de l'intérêt conventionnel entraîne la substitution du taux légal au taux conventionnel à l'ouverture du crédit. Elle soutient en premier lieu que les modifications des dispositions du code de la consommation et du code monétaire et financier issues de l'ordonnance no 2019-740 du 17 juillet 2019 sont sans effet sur le cas d'espèce précisant qu'en l'absence de ratification par le Parlement, l'ordonnance en cause n'a que le caractère d'un acte administratif en sorte que la réforme mise en oeuvre par le gouvernement n'est pas acquise, en second lieu que la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a point d'effet rétroactif, et enfin que le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation auquel la société Dexia invite la cour d'appel à participer n'a pas ce caractère d'évidence que l'appelante s'emploie à imposer. Elle affirme qu'en l'état actuel du droit positif la Cour de cassation ne peut décider autre chose que ce qu'elle a décidé jusqu'à présent et elle demande en conséquence la substitution du taux légal au taux d'intérêt stipulé au contrat de 2011 et la restitution des intérêts trop perçus. L'article 55 de la loi no 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance a autorisé le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi visant à modifier les dispositions du code de la consommation et du code monétaire et financier relatives au taux effectif global et à prévoir les mesures de coordination et d'adaptation découlant de ces modifications en vue de clarifier et d'harmoniser le régime des sanctions civiles applicables en cas d'erreur ou de défaut de ce taux, en veillant en particulier, conformément aux exigences énoncées par la directive 2008/48/CE concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE et par la directive 2014/17/UE sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel et modifiant les directives 2008/48/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) no 1093/2010, au caractère proportionné de ces sanctions civiles au regard des préjudices effectivement subis par les emprunteurs. L'ordonnance no 2019-740 du 17 juillet 2019 relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d'erreur du taux effectif global retient une sanction civile unique posée par le premier alinéa du nouvel article L. 341-48-1 du code de la consommation : « En cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux annuel effectif global (?), le prêteur peut être déchu du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice pour l'emprunteur ». Le rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance précise que "l'habilitation ne prévoyant pas que le nouveau régime de sanction doit s'appliquer aux actions en justice introduites avant la publication de l'ordonnance, celle-ci ne comprend pas de disposition sur ce point. Il revient donc aux juges civils d'apprécier, selon les cas, si la nouvelle sanction harmonisée présente un caractère de sévérité moindre que les sanctions actuellement en vigueur et, dans cette hypothèse, d'en faire une application immédiate dans le cadre d'actions en justice introduites avant la publication de l'ordonnance." Si l'ordonnance no 2019-740 du 17 juillet 2019 n'a pas encore été ratifiée, le projet de loi la ratifiant a été déposé à l'assemblée nationale le 2 octobre 2019, soit dans le délai de trois mois à compter de la publication de l'ordonnance prévu à l'article 55 de la loi d'habilitation du 10 août 2018, en sorte que l'ordonnance du 17 juillet 2019 est entrée en vigueur au jour de sa publication. Contrairement à ce que soutient la société Promocil, l'emprunteur n'a pas de droits acquis à obtenir l'application de la sanction prétorienne de la substitution du taux légal au taux contractuel dès lors que celle-ci n'est prévue par aucun texte législatif. L'évolution du droit positif résultant de l'ordonnance du 17 juillet 2019, et qui a pu auparavant inspirer le législateur dans la rédaction de la loi no 204-844 du 29 juillet 2014 relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public, conduit à apprécier différemment la sanction applicable en cas d'absence ou d'erreur de TEG résultant de la jurisprudence constante de la Cour de cassation pour mettre fin à l'automacité de la sanction et de l'effet d'aubaine qu'elle représente pour certains emprunteurs cherchant à obtenir la substitution du taux conventionnel par le taux légal particulièrement bas actuellement en sorte qu'elle n'est souvent pas proportionnée au manquement constaté. Il convient de rappeler que le TEG a pour l'emprunteur une fonction essentiellement informative. En l'espèce, dès lors que les objectifs de la société Promocil lors des négociations ayant abouti au nouveau contrat de prêt de 2011 étaient de garantir le passage temporaire à taux fixe des échéances de 2011 à 2014 et d'agir en fonction des opportunités du marché pour se prononcer en parfaite connaissance de cause sur la proposition de refinancement "taux optionnel indexé sur l'écart des cours de change EUR/CHF et EUR/USD", la mention d'un TEG exact au jour de la télécopie n'était d'aucune utilité pour son information ni sur le coût réel du prêt, ni sur les conséquences du passage temporaire à taux fixe étant relevé d'une part que la variation du TEG entre la date de la télécopie (19 septembre 2011) et la date d'émission du contrat de prêt (3 octobre 2011) est due à la variation des parités EUR/CHF et EUR/USD qui était aléatoire et qui aurait pu conduire à la situation inverse, celle où le TEG calculé à la date de la télécopie aurait été inférieur au TEG calculé à la date d'émission du contrat de prêt (au lieu d'être supérieur) et d'autre part que le contrat de prêt précisait que "du fait des caractéristiques du prêt, le taux effectif global ne peut être fourni qu'à titre indicatif. Ainsi, à titre d'information, le taux effectif global, calculé conformément à la loi susvisée et sur la base des derniers index et cours de change publiés à la date d'émission du contrat, est à ce jour de 6,05 % l'an, soit un taux de période de 6,05 % pour une durée de période de 12 mois. Ce taux effectif global indicatif ne saurait être opposable à Dexia Crédit Local dans des hypothèses différentes." Il convient en conséquence, compte tenu de la sévérité que présente pour la société Dexia la sanction de la substitution du taux légal au taux contractuel et de l'absence de préjudice démontré pour la société Promocil résultant du caractère erroné du TEG mentionné dans le contrat de prêt du 3 octobre 2011, d'écarter la sanction prétorienne qui n'est manifestement pas proportionnée compte tenu du taux légal actuellement en vigueur et, infirmant le jugement, de débouter la société Promocil de toutes ses demandes. PAR CES MOTIFS, La cour statuant par arrêt contradictoire, Déclare l'appel de la société Dexia crédit local recevable, Infirme le jugement sauf en ce qu'il a dit que la télécopie du 19 septembre 2011 constitue un contrat de prêt et rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de la société Promocil, Statuant à nouveau sur les autres chefs, Dit que la mention du taux annuel effectif global dans le contrat de prêt émis par la société Dexia crédit local le 3 octobre 2011 est erronée, Dit qu'il n'en est résulté aucun préjudice pour la société d'HLM Promocil, Déboute la société d'HLM Promocil de ses demandes, Condamne la société d'HLM Promocil aux dépens de première instance et d'appel et dit que ces derniers pourront être recouvrés directement par maître Pedroletti conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, Déboute les parties du surplus de leurs demandes. Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. Signé par Madame Sophie VALAY-BRIERE, Présidente et par Madame Sylvie PASQUIER-HANNEQUIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. Le greffier,La présidente,
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JURITEXT000048508224
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Cour d'appel de Basse-Terre, 25 novembre 2019, 19/015701
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2019-11-25
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Cour d'appel de Basse-Terre
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Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
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19/015701
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13
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BASSE_TERRE
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COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE ORDONNANCE DE RETENTION ADMINISTRATIVE DU 25 NOVEMBRE 2019 R.G : No RG 19/01570 - No Portalis DBV7-V-B7D-DFSB Décision déférée à la Cour : Ordonnance Référé du Juge des libertés et de la détention de POINTE-A-PITRE, décision attaquée en date du 22 Novembre 2019, enregistrée sous le no 19/578 Monsieur LE PREFET DE LA GUADELOUPE[Adresse 6][Localité 2] Non comparant, ni représenté, bien que régulièrement convoqué Monsieur le PROCUREUR DE LA REPUBLIQUEPrès le Tribunal de Grande-Instance de Pointe-à-Pitre Appelants de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention près le Tribunal de Grande-Instance de Pointe-à-Pitre, rendue le 22 Novembre 2019 statuant sur une demande de prolongation d'une mesure de rétention administrative Monsieur [E] [Y] [I]Né le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 4] (HAITI)Actuellement retenu au centre de rétention administrative[Adresse 5][Localité 3] Comparant Assisté de Maître Guylène NABAB, avocat au barreau de la Guadeloupe, de Saint-Martin et de Saint-Barthélémy L'affaire a été débattue le 25 Novembre 2019, en audience publique, devant la cour composée de : Mme Catherine BRUN, Présidente de chambre, déléguée par ordonnance du premier président de la Cour d'Appel de Basse-Terre, assistée de M. Rony PAKIRY, greffier Le ministère public, représenté par M. Eric RAVENET, Substitut général près la Cour d'Appel de Basse-Terre Le juge des libertés et de la détention de Pointe à Pitre a rendu le 22 novembre 2019 à 11h48 une ordonnance rejetant la demande de prolongation de rétention administrative de [E] [Y] [I], notifiée au procureur de la République à 12h15. Le ministère public a interjeté appel de cette décision avec demande d'effet suspensif le 22 novembre 2019 à 13h22 et a notifié sa déclaration d'appel motivée à monsieur le Préfet de la Guadeloupe, monsieur le Directeur de la PAF de la Guadeloupe, à [E] [Y] [I] et à son avocat Maître [D] le 22 novembre 2019 à 14h43, soit dans le délai prévu par la loi. Le préfet de la Guadeloupe a interjeté appel de cette décision le 22 novembre 2019. Au cours de l'audience, [E] [Y] [I] a estimé que ses droits avaient été bafoués car il n'avait pas vu de médecin une fois par jour comme cela avait été prescrit. Il a déclaré ne pas prendre régulièrement le traitement qui lui a été donné par le médecin car il ne voyait l'infirmière que tous les deux ou trois jours. Il a ajouté qu'avant son interpellation il n'avait aucun problème de santé et ne prenait aucun traitement. Il a souhaité bénéficier d'un temps supplémentaire pour préparer son départ. Après avoir dit qu'il vivait avec sa compagne avec laquelle il prévoyait de se marier, il a admis qu'ils vivaient non loin l'un de l'autre mais pas ensemble. Monsieur l'Avocat Général a estimé que la procédure était régulière et a demandé l'infirmation de la décision dont appel ainsi que la prolongation de la mesure de rétention compte tenu des garanties insuffisantes offertes par [E] [Y] [I]. La défense a sollicité la confirmation de la décision déférée à la cour. [E] [Y] [I] a eu la parole en dernier. SUR CE LA COUR, Il résulte des pièces transmises que [E] [Y] [I], de nationalité haïtienne, est entré de façon clandestine sur le territoire français. Contrôlé le 18 novembre 2019 conformément à l'article 78-2 du code de procédure pénale sur la commune des Abymes, il était dans l'incapacité de justifier de son identité déclarée et était retenu aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français. Il n'était pas en mesure de produire les documents requis. Conformément aux dispositions de l'article L611-1-1 du CESEDA, ses droits lui étaient notifiés. Il bénéficiait alors d'une visite médicale au terme de laquelle le Docteur [W] attestait que l'état de santé de [E] [Y] [I] était compatible avec la mesure de garde à vue tout en précisant qu'il existait une nécessité pour le gardé à vue "de voir le médecin une fois par jour pendant la durée de sa garde à vue et/ou toute prolongation". A l'issue du délai de vingt-quatre heures prévu par ce texte, quand l'étranger n'est pas en mesure de justifier de son droit de circuler ou de séjourner en France la durée de la retenue effectuée en application de ce même article 78-3 s'impute sur celle de la retenue pour vérification du droit de séjour. C'est dans ces conditions que l'autorité préfectorale a pris un arrêté no2019/618 prononçant l'obligation de quitter le territoire français en date du 18/11/2019 assorti d'une mesure de rétention administrative au CRA des Abymes. Le mardi 19 novembre 2019, le Docteur [O] [V], exerçant à la clinique les Eaux Claires procédait à un nouvel examen médical de [E] [Y] [I] et estimait qu'il présentait un gastrite aigue liée probablement au stress, prescrivait du Loxen 20mg jusqu'à trois fois par jour si TA supérieure à 16/10mmHg, ajoutant "pas de critère de gravité par ailleurs, ok retour à domicile, revoir médecin traitant selon évolution, revenir si aggravation." Le préfet saisissait le 20 novembre 2019 le juge des libertés et de la détention de Pointe à Pitre aux fins de voir ordonner la prolongation de la rétention pour une durée de vingt-huit jours. Le juge des libertés et de la détention de Pointe à Pitre, par ordonnance du 22 novembre 2019, a considéré la procédure irrégulière et rejeté la demande du préfet en prolongation de la rétention administrative, au regard des dispositions de l'article L511-4 10o du CESEDA qui précise que ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français "l'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié". Pour ce magistrat, le premier certificat médical du 18/11/2019 indiquant que [E] [Y] [I] avait besoin de voir un médecin une fois par jour pendant toute la durée de sa garde à vue, et l'autorité préfectorale n'ayant pas fait en sorte que cette visite soit effective, la rétention administrative de [E] [Y] [I] était entachée d'irrégularité. Pour autant, le juge des libertés et de la détention ne justifie pas en quoi l'état de santé de l'appelant nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, alors que - à deux reprises, son état de santé a été déclaré compatible avec la mesure de rétention administrative les 18 et 19 novembre 2019,- à l'occasion de la seconde visite médicale en date du 19 novembre 2019, le Docteur [V] [O], qui constatait que l'intéressé présentait une gastrite aigue probablement liée au stress, n'estimait pas nécessaire un suivi régulier, ne prescrivait qu'un suivi d'évolution et un nouvel examen en cas d'aggravation seulement. Dans ces conditions, le dernier certificat médical étant revenu sur la nécessité d'une visite médicale une fois par jour et ne prescrivant qu'un nouvel examen en cas d'aggravation des symptômes, l'autorité préfectorale a respecté les droits de la personne placée en rétention administrative. Par ailleurs, [E] [Y] [I] s'est maintenu de manière irrégulière sur le territoire national depuis novembre 2010, qui serait la date de son arrivée clandestine en Guadeloupe, y compris après les décisions de rejet de sa demande d'asile déposée à l'OFPRA du 06/05/2011 ainsi que son recours à la CNDA en date du 16/04/2014. Le risque de fuite, conformément à l'article L551-1 du CESEDA apparaît non négligeable dés lors qu'il s'est précédemment soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement, ce qui a été le cas le 23 juin 2017 à l'occasion de l'arrêté préfectoral no2017/2439 rejetant une demande de délivrance de titre de séjour. Il ne justifie pas d'une vie privée et familiale ancienne et stable en Guadeloupe même s'il a reconnu un enfant français vivant en Guadeloupe alors qu'il reconnaît lui-même ne pas en être le père biologique et qu'il ne vit pas avec la mère de cet enfant. Le préfet n'a pu organiser l'éloignement de [E] [Y] [I] vers son pays d'origine dans les délais prévus par la loi compte tenu de ce qu'il a demandé son admission au bénéfice de l'asile. Il convient en conséquence d'infirmer l'ordonnance entreprise et d'ordonner la prolongation de la rétention administrative de [E] [Y] [I] pour un délai de vingt-huit jours. PAR CES MOTIFS Reçoit le Préfet de la Guadeloupe et le Procureur de la République de Pointe-à-Pitre en leur appel, Infirme l'ordonnance entreprise, Ordonne la prolongation de la rétention administrative de [E] [Y] [I] pour un délai de vingt-huit jours à compter du 22 Novembre 2019 Dit que l'ordonnance sera notifiée par tout moyen aux intéressés. Fait à Basse-Terre, le 25 Novembre 2019 à 12 H 00. Le greffier Le magistrat
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JURITEXT000048508225
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ARRET
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Cour d'appel de Papeete, 22 novembre 2019, 18/001291
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2019-11-22
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Cour d'appel de Papeete
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Radie l'affaire pour défaut de diligence des parties
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18/001291
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10
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PAPEETE
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COUR D'APPEL DE PAPEETEGREFFE CIVIL No minute : 519 No de répertoire général : RG 18/00129 LISTE DES PARTIES ET AVOCATS DU DOSSIER APPELANT M. [H] [S]AJ Totaleassisté de Me Etienne CHAPOULIE, avocat au barreau de POLYNESIE INTIMEE La Compagnie d'Assurance Generaliassistée de Me Thibaud MILLET, avocat au barreau de POLYNESIE O R D O N N A N C E M. Patrice GELPI, conseiller chargé de la mise en état, assisté de Mme Faimano NATUA, faisant fonction de greffier ; RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE : Par ordonnance d'injonction de payer du 23 juin 2015, le président du tribunal de première instance de Papeete a enjoint à Monsieur [H] [S] de payer à la compagnie d'assurances GENERALI la somme de 58.781 francs CFP correspondant au montant de la prime de sa police d'assurance. L'ordonnance d'injonction de payer lui a été signifiée le 20 juillet 2015. Monsieur [H] [S] a formé opposition à cette ordonnance le 6 août 2015. Par jugement du 27 novembre 2017, auquel la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, le tribunal de première instance de Papeete a :- déclare recevable l'opposition formée par Monsieur [H] [S] à l'encontre de l'ordonnance d'injonction de payer rendue le 23 juin 2015 par le tribunal civil de première instance de Papeete ;- mis à néant ladite ordonnance ;- statuant à nouveau, débouté Monsieur [H] [S] de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en paiement ;- condamné Monsieur [H] [S] à payer à la compagnie d'assurances GENERALI la somme de 58.781 francs CFP ;- débouté les parties du surplus de leurs prétentions ;- condamné Monsieur [H] [S] à payer à compagnie d'assurances GENERALI la somme de 100.000 francs CFP sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;- et condamné Monsieur [H] [S] aux dépens qui pourront être recouvrés comme il est prévu à l'article 409 du code de procédure civile de la Polynésie française. Suivant requête enregistrée au greffe le 12 avril 2018, M. [H] [S] a relevé appel de cette décision. Aux termes de conclusions enregistrées au greffe le 20 juillet 2017, il a soulevé un incident par lequel il sollicite un sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir du tribunal de première instance de Papeete, sur sa demande visant à constater la nullité de l'avenant du 25 avril 2013 à sa police d'assurance. Il a maintenu sa demande par conclusions déposées le 12 août 2019. La compagnie d'assurances GENERALI a répliqué sur cet incident par conclusions déposées au greffe le 15 mai 2019. Conformément aux dispositions de l'article 60 du code de procédure civile de la Polynésie française, les parties ont été appelées à l'audience d'incident fixée devant le conseiller de la mise en état le 25 octobre 2019. A l'issue de celle-ci, la décision a été mise en délibéré au 13 décembre 2019. SUR CE : Vu les dispositions des articles 50, 51, alinéa 2, 56 à 58, 60 à 62 du code de procédure civile de la Polynésie française ; Vu les conclusions sur incident rappelées ci-dessus, auxquelles il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé des moyens des parties ; Le sursis à statuer est une mesure d'administration judiciaire que le conseiller de la mise en état peut ordonner, même d'office, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice. Le présent appel défère à la censure de la cour le jugement ayant condamné Monsieur [S] à payer à la compagnie d'assurances GENERALI une somme de 58 781 francs CFP, correspondant au paiement de la prime due au titre de l'avenant du 25 avril 2013 à sa police d'assurance no AC962800, couvrant son local professionnel pour la période du 1er mars 2013 au 1er mars 2014. Or, il apparaît que Monsieur [S] a introduit une nouvelle instance devant le tribunal de première instance de Papeete, par acte d'huissier du 26 avril 2018, aux fins de voir prononcer la nullité de cet avenant de renouvellement et dire que ce dernier est nul et de nul effet. Il est également établi que la compagnie d'assurances GENERALI, invoquant une identité de moyens et d'objets entre l'instance ayant donné lieu au jugement querellé et celle introduite par assignation du 26 avril 2018, a soulevé une exception de litispendance devant le premier juge. Celle-ci a cependant été rejetée aux termes d'une ordonnance du juge de la mise en état du 13 mars 2019. Il n'appartient pas au conseiller de la mise en état, dont les pouvoirs sont strictement limités par les dispositions rappelées ci-dessus et dont les ordonnances n'ont pas, au principal, autorité de la chose jugée, de statuer sur le fond du litige. Par conséquent, il ne lui revient pas, en l'espèce, d'apprécier le bien-fondé des moyens de Monsieur [S] tirés de l'inexistence ou de la nullité de l'avenant contractuel précité, ou d'examiner l'incidence procédurale de l'articulation de ces demandes. En revanche, il n'est pas contestable que le sort du présent recours dépend de la décision à intervenir quant à la nullité dudit avenant, puisque l'exigibilité de la prime correspondant en résulte. Il est donc manifestement dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice de faire droit à la demande de sursis à statuer présentée par l'appelant. Par suite, il n'est pas justifié de faire droit à la demande formée par la compagnie GENERALI au titre des frais irrépétibles. Les dépens de la présente instance seront joints à ceux du fond. PAR CES MOTIFS, Le conseiller de la mise en état, statuant par ordonnance susceptible de recours dans les conditions fixées par l'article 62 du code de procédure civile de la Polynésie française : Dit qu'il sera sursis à statuer sur l'ensemble des demandes des parties dans l'attente de la décision définitive à intervenir dans l'instance enrôlée sous le numéro 18/201 devant le tribunal de première instance de Papeete ; Ordonne le retrait du présent dossier du rôle de la cour ; Dit qu'il sera réinscrit à première demande de la partie la plus diligente justifiant du prononcé de ladite décision définitive ; Déboute la compagnie d'assurances GENERALI de sa demande au titre des frais irrépétibles ; Dit que les dépens de l'instance d'incident seront joints à ceux du fond. Papeete, le 22 novembre 2019. P/Le Greffier,Le magistrat chargé de la mise en état, signé : F. NATUA signé : P. GELPI Copies authentiques délivrées à Me Chapoulie, M. [S], Me Millet le 22.11.2019
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