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3. Liberté transcendantale : c'est la faculté par laquelle l'individu peut disposer de lui-même et déterminer sa volonté en l'absence de toute contrainte physique, c'est-à-dire indépendamment de la causalité naturelle (chez Kant par exemple). Est dit libre l'homme qui se gouverne selon sa raison. Cela sous-entend que l'individu doit être en mesure de faire preuve de discernement et d'un grand sens critique : l'homme libre se donne à lui-même des normes cognitives.
Cette liberté a deux conditions : l'indépendance et la spontanéité.
Si cette liberté existe, alors il y a une différence radicale entre l'homme et la nature.
4. Liberté morale
5. Liberté jaillissement
6. Liberté existentielle
Origine et développement du concept de liberté.
La liberté telle que nous l'entendons (comme propriété métaphysique ou comme condition transcendantale de la volonté) était ignorée des Anciens. Cela tient d'abord au fait que la volonté n'est pas pour eux une faculté à part du psychisme, et que le psychisme n'est pas lui-même une entité séparée de l'organisme (cf., par exemple, Aristote, "Traité de l'âme"). L'âme, chez les Grecs, est donc un principe d'animation du vivant (le cheval a donc une âme), alors que la comparaison pour nous de l'âme et d'un être vivant concret est bien difficile : l'âme moderne, c'est plutôt l'esprit, la pensée ou la conscience, ou quelque chose d'intérieur qui peut se distinguer de la vie animale ; mais ce n'est pas en général quelque chose que l'on pourrait facilement exemplifier par un cheval (mais ce point devrait sans doute être discuté d'après des thèses récentes sur l'intelligence et la sensibilité animales).
Une conséquence importante de cette conception ancienne de l'âme, c'est que l'action, ou au moins certains types d'action, a, pour les Grecs, une dignité moindre ; ce que montre par exemple l'esclavage et l'artisanat. Par nature, un être qui travaille n'est pas libre (Aristote, Politiques) car son activité déforme son corps et altère en conséquence les qualités de son âme. Ce qui a de la valeur, la finalité par excellence de l'activité humaine, c'est la pensée, l'activité de l'intellect, conçue comme la finalité et le vrai bien de l'âme : la liberté de l'homme serait donc dans la contemplation qui nécessite d'ailleurs des conditions de vie d'hommes libres. Cette liberté n'est pas contraire à la nature et à sa nécessité, puisqu'elle est la réalisation parfaite de l'essence de l'homme (il ne faut donc pas confondre l'emploi qui est fait ici du mot liberté avec d'autres emplois qui sont faits ailleurs dans l'article).
Le christianisme vient ensuite modifier cette conception, avec l'idée d'un dieu qui est volonté et qui crée, l'idée d'un dieu artisan (cf. Paul de Tarse). Cette idée de l'artisan se rencontre déjà chez Platon, mais ce n'est pas une conception créationniste : la théologie antique fait plutôt de Dieu un intellect non impliqué dans la création de la matière, même s'il peut y être engagé, par exemple pour y mettre de l'ordre. L'action va donc prendre de la valeur, ou changer de valeur, dans la mesure où le libre arbitre est maintenat métaphysiquement valorisé : cette valorisation a une origine morale, en particulier pour l'explication du péché. Le prix à payer de la théodicée (pour conserver la volonté juste de Dieu), c'est la malédiction de la liberté humaine, qui fait de l'homme un coupable par nature.
Le "liberum arbitrium" chrétien apparaît nettement chez Augustin d'Hippone ("De Libero arbitrio"). Sa finalité était de fonder une théodicée ; ce concept permet en effet de disculper Dieu de la responsabilité du mal (c'est là l'invention de l'intériorisation du péché dénoncée par Friedrich Nietzsche). La motivation est donc théologique et non anthropologique. Par la suite, le libre-arbitre deviendra un trait fondamental de l'anthropologie de Thomas d'Aquin.
On voit, par ce bref historique, que le problème de la liberté en Occident n'est pas séparable de l'histoire du concept de Dieu. Ceci est encore valable même au XXe siècle, chez Sartre par exemple (voir plus bas), lorsqu'il renverse le rapport de l'essence et de l'existence.
Aristote.
La première analyse de ce que l'on peut appeler libre-arbitre (en tant que spontanéité rationnelle) se trouve chez Aristote dans l' "Ethique à Nicomaque", livre III. Platon avait probablement déjà conçu, dans "La République", une réflexion sur la liberté, mais cette liberté est plutôt d'ordre métaphysique. Ce point sera développé un peu plus loin.
La réflexion d'Aristote se comprend d'après sa recherche de l'essence de la vertu : la vertu a trait aux actes volontaires. Mais quelle est l'essence du volontaire ? Pour le comprendre, il recherche ce qu'est l'involontaire de manière empirique et d'après ce qu'en dit le droit. Or, il y a deux causes de l'involontaire :
1. Aristote distingue deux sortes d'actes commis par ignorance :
Par exemple, si je suis ivre, je suis responsable de l'état irresponsable dans lequel je tombe. Pour les Grecs, l'ivresse double la peine. Mais si j'administre un poison en étant convaincu que c'est un remède, je pose un acte autre que celui qui est voulu ; je ne suis donc pas la cause de l'acte effectif. Je n'aurais pas agi ainsi si j'avais su ; et si j'avais su et que j'avais fait pareil, je serais responsable.
2. Chaque corps aspire à se reposer dans son lieu naturel : c'est une physique téléologique qui permet de comprendre ce qu'est la contrainte physique. Le feu monte pour retrouver le feu céleste. Il y a une spontanéité du mouvement naturel qui est un principe interne de mouvement.
Il résulte de cela qu'une pierre qui monte subit un mouvement "non naturel" : elle subit une contrainte extérieure à sa nature. De même, nous agissons de nous-mêmes (efficience causale interne) ou contraint (efficience causale externe).
On peut distinguer trois types d'actes :
Il est maintenant possible de préciser le concept de volontaire par inversion de ce qui a été dit : le volontaire c'est un acte spontané, accompli en connaissance de cause. Il y a la spontanéité du désir éclairé par l'intentionnalité de la raison :
Comme on peut le constater, la réflexion d'Aristote porte sur les conditions de la responsabilité. Son idée de la liberté ressemble peu à l'idée moderne ; elle concerne surtout une âme qui est principe d'animation. À ce titre, puisqu'Aristote admet qu'un cheval puisse être vertueux, il peut sans doute également être dit libre (i.e. s'il avait la raison). Cela n'aurait rien d'incongru ; c'est seulement que notre conception de l'âme s'est trouvée mêlée à des idées théologiques : notre idée de liberté se développe sous l'influence chrétienne.
Les futurs contingents.
Le problème des futurs contingents est un problème de logique qui se présente sous la forme d'une alternative. Aristote analyse la proposition suivante : "il y aura une bataille demain ou il n'y aura pas de bataille demain". Comme l'un ou l'autre est nécessairement vrai, il semble nécessaire que l'un arrive et pas l'autre. En conséquence, cette nécessité logique se traduirait par une nécessité des événements eux-mêmes. En réalité, selon Aristote, la nécessité ne porte que sur le "ou", ce qui fait que les parties de l'alternative ne sont pas nécessaires en elles-mêmes.
Platon.
Platon raconte dans un mythe comment les âmes choisissent leur future incarnation. Cela peut être interprété comme une conception métaphysique de la liberté, conception qui ne semble pas très courante dans l'Antiquité (on trouve une allusion très courte chez Cicéron) :
Période hellénistique.
Epicure.
Épicure a inventé la notion de clinamen pour éviter le déterminisme qui découle de sa physique. Voir à l'article Épicure, section Physique.
Stoïciens.
Pour le "fatum" stoïcien, voir Fatalisme : "J'appelle destin (fatum) ce que les Grecs appellent "heimarménè", c'est-à-dire l'ordre et la série des causes, quand une cause liée à une autre produit d'elle-même un effet. (...) On comprend dès lors que le destin n'est pas ce qu'entend la superstition, mais ce que dit la science, à savoir la cause éternelle des choses, en vertu de laquelle les faits passés sont arrivés, les présents arrivent et les futurs doivent arriver" (Cicéron, "De la divination").
Aspect pratique de la liberté : il y a une dimension pratique de la liberté et une dimension qui concerne nos états psychologiques. Cette dimension concerne particulièrement les passions de l'âme et la morale. La conception stoïcienne de la liberté est de ce point de vue une conception morale typique.
Augustin.
La liberté est pour Augustin correspondance entre la volonté humaine et la volonté divine ; elle n'est donc pas un choix, mais une sorte de nécessité à se conformer à l'ordre divin. Il existe toutefois deux sortes de liberté : la liberté parfaite qui précède la chute (épisode du péché originel) où l'homme est libre entièrement, parce qu'il fait de lui-même le bien, qu'il est ce bien qu'il réalise ; une liberté imparfaite, après la chute, qui témoigne de la corruption de la nature humaine, autrement dit de la mauvaise utilisation de sa volonté. Quand l'homme est bon malgré tout, ce n'est pas de son fait, mais par la grâce de Dieu :
Thomas d'Aquin.
Dans la scolastique, la liberté est une faculté de la raison et de la volonté, i. e. une faculté de faculté ! Malgré cette curiosité, ce qui est souligné, c'est la collaboration de la raison et de la volonté. Pour comprendre ce concept chez Thomas d'Aquin, il faut se représenter l'âme divisée en deux parties :
L'âme rationnelle est portée à l'universel ; c'est ce point qui permet de fonder la liberté. En effet, si les animaux sont déterminés "ad unum" (d'une façon unique), les hommes en revanche peuvent l'être de multiples façons : il y a un choix dans les possibles. L'instinct est une réponse déterminée à un stimulus ; il y a pas de choix. L'intelligence ouvre des possibles pour une situation donnée : il y a pour l'homme une multitude de comportements possibles. Ces choix sont ce qui constitue la liberté de l'âme. L'expression de cette liberté est la délibération qui est l'œuvre de la raison, car elle présente à l'agent plusieurs représentations. Le choix est alors un acte de la volonté qui se détermine à tel ou tel possible.
Comme on le voit dans le tableau proposé, une philosophie de la liberté implique une distinction entre la volonté et le désir :
On constate dans l'ensemble que la volonté devient une puissance rationnelle. Elle n'est pas déterminée par des choses particulières qu'elle transcende. L'animal, en revanche, est collé au particulier.
En résumé, la notion de libre-arbitre, c'est :
L'horizon métaphysique de cette conception, c'est Dieu. La conception rationnelle de l'action donne pour le chrétien une dignité immanente à l'homme. En effet, la valorisation antique de la pensée ne permettait pas de valoriser le choix, car la pensée a une nécessité logique. La volonté, en revanche, permet le libre-arbitre humain.
Descartes.
La conception de la liberté de Descartes, qui s'oppose à l'augustinisme jusqu'à un certain point, nous fait parvenir ici au commencement de la conception moderne de l'individu. De ce point de vue, la liberté cartésienne a des conséquences morales et politiques considérables.
Leibniz.
Leibniz nie à la fois la nécessité et l'absolue liberté telle qu'elle est conçue chez Descartes. Il cherche ainsi une réconciliation entre déterminisme et liberté. Sa critique repose sur quelques grands principes :
Pour Leibniz, l'aperception est la synthèse des petites perceptions, insensibles chacune en elle-même. L'inconscient leibnizien est donc fait de ces petites perceptions.
Par conséquent, il n'y a pas de liberté d'indifférence, car l'arbitre ne peut être dans un état d'équilibre entre deux objets puisqu'ils ne sont pas identiques. Il est impossible d'agir sans motif : notre comportement est donc nécessairment déterminé. Agir sans raison serait une imperfection, un acte aléatoire. Ainsi, être libre, c'est agir selon la plus parfaite des raisons que l'on puisse concevoir. La liberté est la plénitude d'une détermination rationnelle. Pourtant, cette surdétermination n'est-elle pas une aliénation ? La liberté étant en effet la plus parfaite raison, n'est-ce pas nier l'autodétermination du sujet ?
Il faut, selon Leibniz, distinguer le certain du nécessaire : il est certain que le sage agira pour le mieux, mais ce n'est pas nécessaire. La certitude n'implique pas la nécessité : l'obligation morale n'est pas nécessaire.
Cette conception de la liberté s'oppose à la conception scolastique : la philosophie des facultés hypostasie les facultés, elle pose en substance ce qui est en acte ; en disant que la volonté choisit, on lui prête une faculté qui appartient à l'entendement. Il n'y a donc pas de distinction entre volonté et entendement. La définition scolastique se réfute elle-même, c'est un schéma absurde. Pour Leibniz en effet, la volonté n'est jamais que l'intelligence qui choisit : la liberté appartient à la raison, et c'est la faculté du meilleur choix possible. Autrement dit c'est une autodétermination optimale.
En résumé, on ne peut choisir entre liberté métaphysique et déterminisme, car la liberté suppose la détermination.
Emmanuel Kant.
La philosophie kantienne de la liberté peut être résumée ainsi : la loi morale est la "ratio cognoscendi" de la liberté ; la liberté est la "ratio essendi" de la loi morale.
La liberté est pensée par Kant comme l'autonomie d'un sujet rationnel ; son champ est uniquement pratique. En effet, la soumission à la loi morale, pour être morale, doit être le fait d'une volonté pure. Or, seule peut être dite pure et bonne une volonté débarrassée des influences de la sensibilité. En conséquence, l'accomplissement de la loi morale (impératif catégorique) est liberté : c'est la libre soumission de la volonté,alors pour Kant la liberté c'est agir en observant la morale.
Phénoménologie de la liberté.
À la fin du XIXe siècle, la psychologie se cherche un statut scientifique. Ce statut implique un déterminisme psychophysiologique. Contre ce courant, Edmund Husserl va tenter de marquer les limites du point de vue naturaliste : celui-ci, selon Husserl, ne suffit pas à épuiser la réalité de l'esprit. Seul le point de vue de l'esprit sur lui-même peut en dévoiler l'essence vrai. Il cherche alors à établir des rapports psychophysiques permettant à l'esprit d'agir sur le monde par son corps propre, en affirmant ainsi la transcendance de l'ego.
Deux aspects fondamentaux de la phénoménologie pour comprendre la liberté :
Dans l'épokhè, il s'agit pour la conscience d'éliminer de son champ tout ce qui ne lui est pas immédiatement connu. On a là le cogito et la métaphysique de Descartes. Il s'agit de faire apparaître ce qui constitue en propre la conscience. Et ce qui résiste, c'est la conscience constitutive de tout sens, objet ou être.
En plaçant entre parenthèses le monde objectif, l'épokhè relativise radicalement la psychophysiologie, pour atteindre une subjectivité transcendantale. Ainsi, loin d'être déterminée par un objet, la conscience investit l'objet de sens. Dans la réduction, l'idée de nature objective peut donc être écartée, car elle n'appartient pas à la conscience. L'épokhè dévoile la conscience comme un absolu irréductible et le monde objectif comme un terme relatif.
Cette thèse permet à Edmund Husserl de rejeter l'idée d'une détermination des états de la conscience par les variations de l'organe central de la perception, le cerveau. Il admet pourtant que la conscience s'appuie sur un soubassement sensible, et qu'elle peut même être conditionnée par certains processus physiques dans son activité perceptive. Mais il y a des limites à cette dépendance, car, comme l'épokhè l'a montré, on ne peut réduire la conscience : on ne peut faire l'économie de son point de vue sur elle-même dans lequel il n'entre aucun donné objectif.
Cette thèse peut être développée suivant deux aspects qui donne un statut transcendantal à la liberté :
1. Il y a d'abord les phénomènes de la rétention, de l'attention, comme la saisie d'un sens spirituel dans l'objet sensible : l'esprit n'est pas un appareil perceptif passif, mais a une spontanéité propre intentionnelle. Par exemple, une livre n'est pas qu'un ensemble de formes imprimées, car ces formes ont un sens pour la conscience. Il n'y a donc pas de détermination mécanique des formes objectives, mais une signification inspirée de ces formes. Ce ne sont pas les données sensibles qui importent, mais les symboles que la conscience y trouve : c'est une activité intentionnelle du sujet, une projection dans l'objet. Cette activité isole des éléments, et en néglige d'autres. Mon intention constitue l'objet comme objet spirituel.
2. Cette thèse implique ensuite une situation de la conscience dans le monde : pour la phénoménologie, la conscience est déterminée par le monde, mais c'est du monde environnant constitué par elle qu'il s'agit, et non du monde objectif. Ainsi rendra-t-on compte du l'action humaine par le monde subjectif : c'est moi qui détermine le monde. Le principe de la liberté humaine sera alors une loi intérieure à la conscience. Ce rapport de la conscience à son monde renverse la dépendance classique entre l'objet et le sujet, puisque l'esprit est conditionné en tant qu'il constitue le monde. Cette position permet néanmoins de naturaliser l'esprit, mais pas d'une manière unilatérale : il y a un rapport réciproque nature / conscience.
Dès lors, le lieu de réalisation de la liberté sera le corps propre, c'est-à-dire non pas le corps en tant qu'il est connu par la science, mais le corps organique éprouvé par la conscience. Ce corps est comme l'interface entre le monde de l'esprit et celui de la nature. Le corps propre c'est la causalité spirituelle, le lieu où l'esprit s'objective et se réalise dans le monde.
En conclusion, cet ensemble de réflexions sur la conscience et le corps propre fait que la liberté transcendantale est bien dans la lignée de la métaphysique classique, car elle oppose, comme il a été vu plus haut, la raison à la sensibilité. La liberté est en effet l'indépendance transcendantale de la conscience : elle s'établit sur les ruines du déterminisme, car la spontanéité du sujet est irréductible.
Sartre.
Pour Sartre, la liberté transcendantale de l'ego est rendue manifeste par l'imagination. Cette dernière suppose en effet que la conscience soit douée de liberté :
La néantisation permet de conclure au primat de l'existence sur l'essence : la célèbre formule de Sartre selon laquelle "l'existence précède l'essence" signifie que l'individu n'est pas déterminé d'après un sens qui d'avance le définirait en le "chosifiant". Car si l'homme appartient à l'en-soi et à ce titre est une chose, il est aussi et avant tout un "existant", un être qui opère continuellement des "choix". La liberté est donc inhérente à l'existence humaine ; elle en est la condition. Être homme, c'est être "condamné à être libre", condamné à assumer son existence libre. Le "pour-soi" peut bien être facilement tenté par la "mauvaise foi", forme exemplaire de l'inauthenticité niant toute responsabilité : "je n'y suis pour rien", prétend-il alors ; c'est "la faute" des "autres", c'est "à cause de" telle ou telle passion qui s'est emparée de moi et à laquelle je n'ai pu résister, voire parce que Dieu ou "le destin" l'a "voulu"... Mais l'homme n'est pas libre d'échapper à la liberté : refuser la liberté, c'est encore la refuser librement. Et s'abstenir de choisir, c'est encore faire un choix − le choix de s'abstenir. Ainsi, à travers le suivisme ou la lâcheté prétendons-nous nier notre propre liberté − comme par le fanatisme nous prétendons nier celle des autres. Mais la liberté nous colle pour ainsi dire à la peau :
Certes, un projet peut bien se réaliser, mais il n'est plus alors un projet ; il relève désormais de l'en-soi. C'est pourquoi ""l'être du pour-soi est ce qu'il n'est pas et n'est pas ce qu'il est". La réalité humaine implique donc toujours un écart au réel (à l'en-soi), et c'est précisément en quoi consiste la liberté. La "raison" peut bien prétendre le contraire et se présenter comme l'instrument de la délibération volontaire, seule manifestation de la liberté : en réalité, dit Sartre, "la délibération volontaire est toujours truquée" ("L'Être et le Néant"), car "quand je délibère, les jeux sont faits" : délibérer c'est en effet choisir de délibérer, avant même toute délibération. Par conséquent, la délibération, quand elle a lieu, arrive toujours en dernier : "il y a "[...]" un choix de la délibération comme procédé qui m'annoncera ce que je projette, et par suite ce que je suis"". La liberté est donc tout entière dans ce choix originel qui oriente tout choix, quelque forme qu'il prenne finalement. Et la vraie liberté, évitant les nombreux pièges de l'attitude inauthentique, suppose de reconnaître et d'assumer ce caractère originel de l'existence.
Connaissance et expérience de la liberté, enjeux.
Les différentes conceptions vues ci-dessus nous font connaître plusieurs conceptions de la liberté. Mais le problème de savoir s'il y a quelque chose de tel que la liberté reste entière. Il y a un problème épistémique de la liberté, qui peut être envisagé d'un point de vue théorique et d'un point de vue pratique.
La connaissance théorique de la liberté.
S'il y a quelque chose comme la liberté, quelle sorte de chose est-ce ? Est-ce une substance, une essence, une faculté, un acte, etc. ? Les auteurs examinés plus haut nous ont déjà fourni quelques réponses possibles.
Comment en a-t-on connaissance ? Avoir connaissance de quelque chose comme la liberté, cela ne suppose-t-il pas en même temps avoir la preuve de son existence ? La liberté serait donc dans ce cas observable et devrait faire partie des phénomènes. Pourtant si la liberté se manifeste en tant que phénomène empirique, il faut bien qu'elle se conforme aux lois de la nature. Or, cela semble bien être une contradiction. Il semble que rien de tel que la liberté ne puisse être donné dans le monde ; mais il serait sans doute plus exact de conclure que la liberté, comme objet de connaissance, nous échappe, et qu'elle n'est jamais un objet de notre expérience.
Cette difficulté peut être contournée de plusieurs manières :
Le transcendantalisme et le déterminisme semblent donc s'entendre pour retirer la liberté de l'expérience humaine.
L'expérience de la liberté.
Les problèmes théoriques soulevés par le concept de liberté amènent à se poser la question de savoir si la conscience de la liberté, ou l'expérience que nous en avons, porte d'une manière certaine sur une réalité ?
Si oui, à quel genre de réalité a-t-on affaire ? L'expérience semble manquer de consistance pour le déterminer. En effet, si la conscience que nous avons de la liberté n'en est pas une connaissance, la liberté est soit une réalité métaphysique soit un concept vide.
Si conscience et connaissance sont deux choses différentes, avoir conscience de quelque chose ne garantit pas son existence. Il faut donc plus que la conscience pour savoir si effectivement nous sommes libres. Ainsi, il peut sembler que non, notre expérience de la liberté ne porte pas sur une liberté, mais sur un type d'être dont la nature est hors de notre portée.
C'est pourquoi, pour certains philosophes, vouloir prouver la liberté est une absurdité : "un homme qui n'a pas l'esprit gâté, n'a pas besoin qu'on lui prouve son franc arbitre ; car il le sent." (Bossuet) ; et pour Leibniz, la liberté fait l'objet "d'un vif sentiment interne". De même encore, Bergson en fait une donnée immédiate de la conscience.
La liberté serait donc d'abord un objet d'une intuition immédiate et interne. Mais on retombe alors dans les difficultés évoquées au début de cet article : le sentiment de la liberté, ou son intuition, n'est ni clair ni probant. L'aliéné ou l'homme ivre peuvent s'imaginer agissant de leur propre chef ; bien plus, même un homme tenu pour sain d'esprit est susceptible de se faire de graves illusions sur son propre compte.
C'est pourquoi le problème métaphysique de la liberté tire en fait son importance des enjeux moraux qui en découlent.
Enjeux métaphysiques et moraux de la liberté.
L'ensemble de cette problématique et les différentes conceptions des philosophes du passé permettent de voir plus précisément en quoi la liberté est un concept métaphysique fondamental : ses conséquences morales sont en effet considérables.
On voit bien ici en quoi une détermination métaphysique, en apparence très spéculative et difficile, peut se montrer décisive pour la vie, pour l'existence concrète. En effet, on pose ou on nie que la liberté soit un attribut essentiel : la liberté est ou non constitutive de la nature humaine. Nier la liberté, ce serait donc supprimer l'essence de l'homme. Pratiquement, la question serait de savoir si cela revient à dire que nier la liberté est une perspective dans laquelle on ne voit pas de contraintes morales qui empêchent quiconque de nier aussi l'humanité d'un autre homme. "Tout est permis" dit Nietzsche, assumant cette négation anti-humaniste de l'essence de l'homme. Mais les doctrines de ce genre ont-elles nécessairement ces conséquences ? Nier la liberté, cela implique-t-il qu'il ne soit pas interdit de nier, opprimer, torturer ou détruire l'autre ? Si, en effet, la liberté implique l'existence du devoir comme sa condition, sa suppression entraînerait peut-être la suppression d'une distinction entre le bien et le mal :
Sociologie de la liberté.
Sommes-nous plus libres sans les autres ? Comment penser la liberté par rapport aux libertés ? La liberté pour tous est-elle une véritable liberté ? La réalisation de la liberté, sa pratique politique, crée de nombreuses tensions.
L'autonomie politique est incarnée par la figure du citoyen, qui abandonne son indépendance naturelle pour se soumettre volontairement à des lois qui sont, au moins idéalement, les mêmes pour tous (Hobbes, Rousseau). C'est à cette condition que, selon cette théorie, les hommes peuvent être libres ensemble. Mais les lois peuvent être ressenties comme une aliénation par les individus.
Le paradigme du "bon sauvage".
Il existe cependant un point de vue opposé à cette vision de l'éducation défendant les libertés. Ainsi au XVIIIe siècle, Rousseau défendait un paradigme du "bon sauvage", considérant l'éducation comme une domestication de l'homme, et la société comme un carcan. Ce point de vue, qui sera développé par Sigmund Freud dans son essai Malaise dans la civilisation (1929), a été discuté dès la Révolution française. Un ouvrage comme Sa majesté des mouches de William Golding suggère au contraire que l'homme privé des contraintes sociales n'en devient pas nécessairement meilleur.
Définitions.
On distingue au niveau de l'individu plusieurs « types » de libertés :
De la Liberté aux droits de l'homme.
Le mouvement ouvrier, au XIXe siècle, ajoutera la distinction entre la liberté formelle et la liberté réelle.
Car la liberté existe aussi à un niveau plus global, plus collectif, avec par exemple la liberté de la presse, qui permet une libre publication, c'est à dire sans subir de censure arbitraire ou autoritaire.
Les différentes libertés collectives :
Paradoxalement, la notion de liberté peut parfois à ce niveau, nuire à la liberté de l'individu. Comme dans le cas de la liberté de la presse, par exemple. Ainsi les moyens techniques et financiers importants nécessaires aujourd'hui aux organes d'information, en particulier radiophoniques ou audiovisuels, tendent à la formation de cartels pratiquant l'autocensure, réduisant par là même le pouvoir de contrôle et de critique de l'individu sur ces vecteurs d'information... L'abolition de la censure n'est donc plus un gage de liberté, car si les publications ne sont plus soumises à des décisions arbitraires, les vecteurs de l'information deviennent en revanche de moins en moins accessibles à la grande masse des individus, réduisant de ce fait leur capacité à exprimer leurs opinions, ainsi que la variété des points de vue exposés. C'est pour cette raison que la presse est considérée comme le quatrième pouvoir (à l'instar des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire).
Dans cette même optique, les brevets logiciels, qui entraîneraient la formation de trusts surpuissant juridiquement, seraient une négation des libertés individuelles. Alors que des mouvements tels l'Open Source ou Logiciel libre tendent à favoriser l'accès à la connaissance et aux techniques de manière universelle, ce qui, à l'heure de la mondialisation, représente un élément primordial pour la défense des libertés individuelles dans les pays émergents, les rendant techniquement indépendants des pays « déjà développés ».
Textes d'étude.
MARC-AURELE