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La Volupté prise sur le fait/00 | J.-P.-R. Cuisin La Volupté prise sur le fait Chez Roux, Libraire, au Palais-Royal, 1815 (p. i-xii). Première nuit ► Préface bookLa Volupté prise sur le faitJ.-P.-R. CuisinChez Roux, Libraire, au Palais-Royal1815ParisTPréfaceJ.-P.-R. Cuisin - La Volupté prise sur le fait, 1815.djvuJ.-P.-R. Cuisin - La Volupté prise sur le fait, 1815.djvu/12i-xii Nous devons tous convenir, et je m’adresse à vous, libertins systématiques et calculateurs, sur qui la volupté des sens a tant d’empire, nous devons, dis-je, avouer que ce fortuné Diable Boiteux, né d’une fiole brisée, fut bien le plus heureux des Épicuriens, lorsque la fée Sein d’amour lui fit présent de cette bague enchantée avec laquelle il avait le pouvoir magique de découvrir les toits des palais, des châteaux, des boudoirs somptueux, ainsi que ceux des simples grisettes, marchandes de modes, voire même des prudes, religieuses, pensionnaires ; et, muni de ce charme puissant qui le rendait à la fois témoin commode et invisible des amours d’un souverain, comme de celles d’une simple bergère, pouvait, comme une abeille voluptueuse, recueillir les faits les plus piquans, les plus délicieux des annales de l’amour, et des recherches secrètes de la galanterie-pratique. On assure même que cette bague, mille fois plus précieuse que le régent (quoiqu’il vaille, dit-on, quatorze millions), lui donnait la faculté de lire dans les cœurs, dans la pensée... Mais, vous entends-je dire, je me rappelle avoir lu le Diable Boiteux, et je ne me ressouviens pas de ces particularités... Sans doute, mon cher lecteur, vous ne connaissez, comme la plupart du vulgaire et des profanes, que l’édition banale de Alain Réné Lesage, et je vois bien que, loin d’être inscrit sur la liste des favoris, des vrais adeptes, vous n’avez pas reçu, en échange de votre diplome de voluptueux, un exemplaire de cette incomparable édition, qui a été toujours considérée par les connaisseurs comme le Manuel des partisans du plaisir et des véritables professeurs de volupté. Le manuscrit de ce rare ouvrage fut, assure-t-on, trouvé dans le boudoir de la reine d’Otaïti ; il en reste maintenant bien peu d’exemplaires, et à peine si l’on en pourrait rencontrer un chez la D***, ou au no 113, car ce charmant écrit ne traite que de la véritable volupté, et peut-être, dans les lieux que je viens de citer, n’en découvrirait-on pas la moindre trace... Mais puisque vous n’avez nulle connaissance de l’auteur et de l’ouvrage que je cite, il est inutile d’augmenter vos regrets, en m’étendant complaisamment sur toutes les beautés qu’il renferme : loin donc d’avoir voulu ici éveiller malignement vos sens et votre curiosité, sans la satisfaire, je prétends au contraire vous associer à mes charmans travaux, à mes rondes de nuit ; venez, cher lecteur, et même chère lectrice ; donnez-moi votre belle main, madame, prenez cette lanterne sourde et ce gros paquet de clefs dont un savant limier de police m’a fait don, et qui lui viennent par héritage du fameux lieutenant de police Dubois. Ne craignez rien, vous dis-je, au moment que je vous parle, nous sommes déjà invisibles. Le savant physicien Robertson, par un sortilége fort ingénieux, m’a travaillé dans ses laboratoires chimiques, et j’ai la puissance de voir, et de n’être point vu ; puissance qu’il m’est facile de conférer à autre. Montons donc dans ce remise, et faisons-nous conduire au palais Royal ; c’est à peu près le centre de Paris, comme celui du plaisir, ou pour mieux dire, de la dissipation et du bruit... — Mais pourquoi ces clefs d’acier, ces rossignols, ces boutons aimantés et ces petits leviers ? m’observez-vous. — Pourquoi ?... Pour nous introduire plus facilement, tandis que la nuit nous favorisera de son ombre, dans les retraites les plus profondes, dans les boudoirs les mieux enveloppés de somptueuses draperies ? Que nous importent la clarté ou les ombres de la nuit ; ne sommes-nous pas invisibles à volonté ? — Il n’y a pas de doute ; mais nous ne laissons pas que d’être palpables, susceptibles d’être touchés et sentis, et la nuit en général, par le calme qu’elle apporte et le sommeil dans lequel elle ensevelit tout le monde, est bien plus propice à faire nos caravanes. — Non, caravanes n’est pas le mot. — Hé bien, belle dame, qualifiez comme il vous plaira notre pélerinage galant, car, je vous l’avoue, je suis auteur, et, pour l’instruction du siècle, je crois devoir faire un journal périodique de toutes nos revues nocturnes : combien, avouez-le, charmante femme, cette gazette d’amour sera instructive et édifiante !... Je veux l’écrire sous votre dictée ; car rien n’est délié et délicat comme le style d’une femme, pour exprimer le plaisir ou la folie. — J’y consens ; mais comment diviserons-nous notre Œuvre galante ? Quel titre et quelle gravure lui donnerons-nous surtout ?... Car vous savez, mon cher auteur, que, dans le siècle où nous sommes, rien ne fascine les yeux, l’imagination, comme une gravure et un titre ingénieusement trouvés. — Ma foi, madame, je laisse l’un et l’autre aux soins de votre sagacité. — Puisqu’il en est ainsi, nous appellerons notre ouvrage, les Nuits de Paris, ou la Volupté prise sur le fait. — L’idée est vraiment charmante, et je l’adopte sans examen : fort bien ; mais la gravure ?... — La gravure ?... monsieur ; nous mettrons en scène deux génies ailés (ce sera nous) qui, planant sur des toits découverts, ou s’introduisant dans l’intérieur des familles, transmettent à leurs contemporains la relation fidèle de leurs découvertes sur les mœurs et la galanterie du siecle... — À merveille ! madame ; que votre imagination est riche et féconde ! Vous saisissez de suite l’à-propos des choses. Belle, et de l’esprit ! combien votre voisinage va me devenir dangereux dans le genre des perquisitions amoureuses que j’entreprends sous vos auspices... — C’est plutôt sous les vôtres que je marche, monsieur. Allons, partons sans plus discourir, et inscrivez sur vos tablettes galantes : |
Hamont - Dupleix d’après sa correspondance inédite, 1881.djvu/42 | revers, réduisant ainsi la garnison à une capitulation
inévitable. Il était donc nécessaire de fermer la place
par un large fossé, un bon mur ; œuvre assez longue et
coûteuse, l’espace à boucher se développant sur plus
de deux mille mètres. Dupleix n’avait pas d’ingénieur
avec lui. Les coffres de la Compagnie étaient vides. Il
ne se décourageait pas. Se ressouvenant de ses études
sur la fortification, il traçait lui-même le plan des travaux,
il en surveillait la construction ; il puisait dans
sa bourse pour y aider ; en un mot, il était à la fois l’ingénieur,
l’entrepreneur et le banquier.
Dupleix en était là de son œuvre. Il avait acquitté
presque toutes les dettes que la Compagnie avait contractées
à la suite de la guerre de Mahé. Tout marchait
donc à souhait, et ces premiers succès dans le travail
de préparation d’ordinaire si difficile, l’enivraient d’espoir.
Insensible au climat qui amollissait tant de courages,
suppléant à tout par un travail acharné, il
redoublait d’activité et de feu, lorsqu’il recevait, le
18 septembre 1743, des directeurs de Paris, — hommes
timorés, qui voulaient toujours changer de chevaux au
milieu du gué, — une dépêche décourageante : « L’intention
de M. le contrôleur général est que la Compagnie
commence par acquitter ses dettes et par restreindre
ensuite son commerce, suivant ce qu’il lui restera de
fonds. Les dépenses lui ont paru exorbitantes ; c’est
sur quoi le ministre a donné à la Compagnie les ordres les
plus précis ; elle en confie l’exécution à votre zèle et à
votre prudence. Elle regardera ce service comme le
plus grand et le plus important pour elle que tous
ceux qu’on lui a rendus jusqu’à présent. Il y a quel-
<references/> |
Verne - Nord contre sud, Hetzel, 1887.djvu/44 | {{nr|38|{{sc|nord contre sud.}}|}}
{{Séparateur|l}}où le général Ripley commande les forces des esclavagistes. Les deux forts Walker et Beauregard battent l’entrée de la baie à quatre mille mètres l’un de l’autre. Huit vapeurs la défendent, et sa barre la rend presque inabordable à une flotte d’assaillants.
Le 5 novembre, le chenal a été balisé, et, après un échange de quelques coups de canon, Dupont pénètre dans la baie, sans pouvoir débarquer encore les troupes de Sherman. Le 7, avant midi, il attaque le fort Walker, puis le fort Beauregard. Il les écrase sous une grêle de ses plus gros obus. Les forts sont évacués. Les fédéraux en prennent possession presque sans combat, et Sherman occupe ce point si important pour la suite des opérations militaires. C’était un coup porté au cœur même des États esclavagistes. Les îles voisines tombent l’une après l’autre au pouvoir des fédéraux, même l’île Tybee et le fort Pulaski, lequel commande la rivière de Savannah. L’année finie, Dupont est maître des cinq grandes baies de North-Edisto, de Saint-Helena, de Port-Royal, de Tybee, de Warsaw, et de tout ce chapelet d’îlots semés sur la côte de la Caroline et de la Géorgie. Enfin, le 1{{er}} janvier 1862, un dernier succès lui permet de réduire les ouvrages confédérés, élevés sur les rives du Coosaw.
Telle était la situation des belligérants au commencement de février de l’année 1862. Tels étaient les progrès du gouvernement fédéral vers le Sud, au moment où les navires du commodore Dupont et les troupes de Sherman menaçaient la Floride.
<references/> |
L’Ami commun | Charles Dickens L’Ami commun Traduction par Henriette Loreau. 2 tomes Hachette, 1885. PREMIÈRE PARTIE ENTRE LA COUPE ET LES LÈVRES I. À la découverte 1 II. L’homme de quelque part 6 III. Un nouveau personnage 11 IV. La famille Wilfer 31 V. Boffins Bower 42 VI. À la dérive 58 VII. Où mister Wegg cherche une partie de lui-même 73 VIII. Mister Boffin en consultation 82 IX. Consultation de mister et de missis Boffin 96 X. Contrat de mariage 111 XI. Podsnaperie 126 XII. La sueur du front d’un honnête homme 140 XIII. À la piste de l’oiseau de proie 156 XIV. Découverte de l’oiseau de proie 165 XV. Deux nouveaux serviteurs 173 XVI. Enfants à garder et choses à regarder 186 XVII. Hideux marais 201 DEUXIÈME PARTIE GENS DE MÊME FARINE I. Pédagogie 206 II. Toujours pédagogique 224 III. Il faut agir ! 234 IV. Où Cupidon est soufflé 245 V. Où Mercure est souffleur 257 VI. Énigme insoluble 271 VII. Pacte amical 283 VIII. Enlèvement innocent 293 IX. Testament de l’orphelin 307 X. Un successeur 315 XI. Affaires de cœur 321 XII. Oiseaux de proie 333 XIII. Solo et duo 346 bookL’Ami communCharles DickensHenriette LoreauHachette1885ParisT2 tomesDickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvuDickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/1 XIV. De ferme propos 2 XV. Tout lui dire ! 13 XVI. Doux anniversaire 28 TROISIÈME PARTIE LONG DÉTOUR I. Logés à Triste-Enseigne 40 II. Toujours le brouillard 52 III. Toujours aux Portefaix 63 IV. Heureux anniversaire 68 V. Le boueur doré tombe en mauvaise compagnie 80 VI. De mal en pis 94 VII. Forte position des deux amis 108 VIII. Fin d’un long voyage 118 IX. Prédiction 129 X. Où est-elle ? 144 XI. Dans les ténèbres 156 XII. Combinaison 165 XIII. Quand on veut noyer son chien on dit qu’il est galeux 173 XIV. Mister Wegg prépare une meule pour le nez de mister Boffin 182 XV. Pis que jamais 194 XVI. Repas des trois lutins 206 XVII. Chœur social 210 QUATRIÈME PARTIE PIÈGES ET TRAPPES I. Au bord de l’eau 230 II. Le boueur doré se relève 240 III. Rechute du boueur doré 249 IV. Mariage clandestin 258 V. À propos de la femme du mendiant 267 VI. Au secours ! 282 VII. Mieux vaut être Abel que Caïn 293 VIII. Quelques grains de poivre 303 IX. Deux places vacantes 313 X. Découverte de l’habilleuse de poupées 323 XI. Suite de la découverte de miss Wren 329 XII. L’ombre qui passe 339 XIII. Explication 350 XIV. Échec et mat 358 XV. Pris au piège 368 XVI. Des uns et des autres 379 XVII. La voix de la société 390 |
Le guide culinaire/Table alphabétique | Auguste Escoffier Le guide culinaire Émile Colin et Cie, 1903 (p. 1239-1243). ◄ Annexe Table des séries ► Table alphabétique bookLe guide culinaireAuguste EscoffierVictor MorinÉmile Colin et Cie1903VTable alphabétiqueAuguste Escoffier - Le Guide Culinaire - Aide-mémoire de cuisine pratique, 1903.djvuAuguste Escoffier - Le Guide Culinaire - Aide-mémoire de cuisine pratique, 1903.djvu/71239-1243 A Abatis 829 Abricots chauds 1111 Abricots froids 1142 Ailerons 830 Allumettes (Hors-d’œuvre) 262 Alose 399 Alouettes 941 Aloyau 574 Amourettes de bœuf 575 Ananas chauds 1113 xxxx—xxxxfroids 1142 Anchois 442 Andouilles et Andouillettes 757 Anguille 400 Animelles de mouton 698 Appareils pour crêpes 1086 xxxx—xxxxpour garnitures chaudes 97 Appareils divers pour glaces 1162 Appareils à Glace crème 1162 Appareils à Glace aux fruits et liqueurs 1164 Appareils à Glace simples 1161 Artichauts 994 Asperges 999 Aspics 105 Assaisonnement des farces 94 Attereaux 284 Aubergines 1001 B Ballotines de volaille 831 Bananes 1114 Bar 442 Barbeau 406 Barbillon 407 Barbue 442 Baron de mouton 699 Baron d’agneau 722 Barquettes diverses 286 Bavarois 1126 Bavaroise 1210 Bec-figue 946 Bécasse 946 Bécassine 946 Beefsteack-pie 628 Béguinettes 946 Beignets de crème 1080 xxxx—xxxxdivers 1082 xxxx—xxxxde fruits 1079 Beignets pour Hors-d’œuvre chauds 288 Beignets soufflés 1082 xxxx—xxxxviennois 1081 Beurres composés 68 Biftecks 595 Bitoques 596 Biscuits glacés 1172 xxxx—xxxxglacés divers 1173 Blancs pour viandes 562 Blanchaille 407 Blanc-manger 1127 Blanquette d’agneau 735 xxxx—xxxxde veau 692 xxxx—xxxxde volaille 834 Blinis 290 Bloaters 442 Bœuf salé et fumé 639 Boissons pour soirées 1210 Bombes glacées 1174 Bouchées diverses 290 Boudins noirs et blancs 756 Boudins de volaille 832 Bouillabaisses diverses 440 Braisés (Principes généraux des) 546 Brême 407 Brochet 407 Brocheton 411 C Cabillaud 443 Café glacé 1210 Cailles 930 Canepetière, 925 Caneton Nantais 871 Caneton Rouennais 876 Cannelons 294 Canneloni 1055 Capilotade 834 Carbonades de bœuf 629 xxxx—xxxxde porc 759 Cardons 1002 Carottes 1003 Carpe 411 Carré d’agneau 723 xxxx—xxxxde mouton 700 xxxx—xxxxde porc 738 xxxx—xxxxde veau 642 Carrelet 444 Cassoulet 716 Céleri 1005 Céleri-rave 1006 Cèpes 1006 Cerises chaudes 1115 xxxx—xxxxfroides 1143 Cervelles d’agneau 722 xxxx—xxxxde bœuf 577 xxxx—xxxxde mouton 700 xxxx—xxxxde porc 740 xxxx—xxxxde veau 640 Champignons 1007 Charlottes chaudes 1084 xxxx—xxxxfroides 1129 Châteaubriand 596 Chauds-froids 106 Chayottes 1011 Chevreuil 895 Chicken-pie 843 Chicorée 1011 Choesels 630 Choux Bruxelles 1018 xxxx—xxxxfleurs 1017 xxxx—xxxxrouges 1014 Citronnade 1211 Civet de chevreuil 895 Civets de lièvre divers 901 Cochon de lait 763 Cœur de veau 642 Compotes 1198 Concombres 1019 Confitures 1201 Congre 444 Consommés garnis 149 xxxx—xxxxfroids pour soupers 175 Contrefilet 58 Coq de bruyère 925 Coquilles Saint-Jacques 541 Coquilles de volaille 835 Côte de bœuf 583 xxxx—xxxxde chevreuil 896 xxxx—xxxxde mouton 700 xxxx—xxxxde porc 740 xxxx—xxxxde veau 643 Côtelettes d’agneau 725 xxxx—xxxxdiverses 295 Côtelettes de volaille 795 Coulibiac d’anguille 401 xxxx—xxxxde saumon 421 Coulibiacs (petits) 423 Coupes glacées 1109 Courts-bouillons pour poissons 386 Courgettes 1019 Crâbes 517 Crèmes (Potages) 195 xxxx—xxxx beurrées 1073 Crèmes chaudes 1085 xxxx—xxxxdiverses 1072 xxxx—xxxxfroides 1132 Crêpes 1087 Crépinettes d’agneau 735 xxxx—xxxxde porc 757 xxxx—xxxxde volaille 836 Crêtes et rognons 836 Crevettes 517 Cromesquis 296 Croquettes 297 Croquettes d’entremets 1037 Crosnes 1020 Croustades (Hors-d’œuvre chaud) 301 Croûtes (Hors-d’œuvre chaud) 302 Croûtes d’entremets chaudes 1088 Croûtes diverses 1069 xxxx—xxxx—xxxxfroides 1185 Cuisson du sucre 1076 Cuissot de chevreuil 897 Culotte de bœuf 617 Currie d’agneau 735 xxxx—xxxxde mouton 717 D Dartois (Hors-d’œuvre chaud) 303 Daube de bœuf 630 xxxx—xxxxde mouton 717 Dindonneau 856 Dolmas 1023 Dorade 445 E Eaux de fruits 1211 Échinée de porc 741 Écrevisses 518 Émincés de bœuf 631 xxxx—xxxxde mouton 718 xxxx—xxxxde porc 759 xxxx—xxxxde volaille 838 Endives 1023 Entrecôtes 518 Entremets chauds 1061 Entremets froids 1125 Épaule d’agneau 720 xxxx—xxxxde mouton 706 xxxx—xxxxde porc 741 xxxx—xxxxde veau 649 Éperlans 445 Épigrammes d’agneau 736 xxxx—xxxxde mouton 718 Épinards 1021 Escalopes de veau 662 Escargots 542 Essence de poisson 10 Essences diverses 11 Estouffade de bœuf 632 Esturgeon 417 F Faisan 913 Farce pour bordures 92 xxxx—xxxxpour cochon de lait 763 Farce à la graisse 90 xxxx—xxxxgratin 92 xxxx—xxxxmousseline 89 xxxx—xxxxà la panade et au beurre 88 Farce à la panade et crème 89 Farce pour pâtés et galantines 94 Farce pour poissons 95 395 xxxx—xxxxpour quenelles à potages 143 Farinages 1053 Fenouil tubéreux 1023 Féra 417 Feuilles de vigne farcies 1023 Feuilletage 1126 Fèves 1024 Filet de bœuf 585 xxxx—xxxxde mouton 715 xxxx—xxxxde porc 741 xxxx—xxxxde veau 650 Filets de volaille 795 xxxx—xxxxen chevreuil 597 xxxx—xxxxmignons de bœuf 597 Filets de mouton 715 Flamri 1134 Foie gras 884 xxxx—xxxxde porc 741 xxxx—xxxxde veau 651 Foies de volaille 839 Fondants (Hors-d’œuvre chaud) 304 Fonds blanc 7 xxxx—xxxxbrun 6 xxxx—xxxxde cuisine 1 xxxx—xxxxpour gelées 79 xxxx—xxxxde gibier 8 xxxx—xxxxde poisson 9 xxxx—xxxxde veau 8 xxxx—xxxxau vin rouge 9 Fonds de volaille 8 Fondus au parmesan 1053 Fraise de veau 655 Fraises 1144 Fricadelles de bœuf 633 xxxx—xxxxde porc 760 xxxx—xxxxde veau 693 Fricandeau 663 Fritots 840 Friture (Principes généraux de la) 568 Friture pour poissons 391 Fruits rafraîchis 1187 G Galantine 958 Garbures (Potages) 230 Garnitures pour Relevés et Entrées 85 Gayettes 760 Gelées de fruits 1206 xxxx—xxxxd’entremets 1135 xxxx—xxxxgrasses 82 Gibiers 895 Gigot d’agneau 730 xxxx—xxxxde mouton 707 Glace de gibier 12 xxxx—xxxxde poisson 13 xxxx—xxxxde viande 12 xxxx—xxxxde volaille 12 Glaces diverses 11 xxxx—xxxx(Moulage des) 1161 Gnoki 1054 Godiveau 90 xxxx—xxxxLyonnais 91 Gombos 1024 Goujons 417 Goulash 634 Granités 1187 Gras-double 625 Gratins (Principes généraux des) 562 Grenadins de veau 664 xxxx—xxxxfroids 664 Grenouilles 544 Grillades (Principes généraux des) 564 Grives 939 Grouses 925 H Hachis de bœuf 635 xxxx—xxxxde mouton 718 xxxx—xxxxde porc 759 Haddock 447 Hampe ou Onglée 584 Harengs 448 Haricot de mouton 718 Haricots blancs 1026 xxxx—xxxxflageolets 1026 xxxx—xxxxrouges 1027 xxxx—xxxxverts 1027 Homard 525 Hors-d’œuvre chauds 283 xxxx—xxxxfroids 259 Houblon 1025 Huîtres 274-307 539 I Irish-Stew 719 J Jambon 742 Jarrets de veau 656 Jus de veau lié 17 K Kaches divers 100 Keftédés 598 Krapfuns 1081 L Laitances 415 Laitues 1028 Lamproie 418 Langouste 535 Langoustine 537 Langue de bœuf 614 Langues d’agneau 730 xxxx—xxxxde mouton 710 xxxx—xxxxde porc 753 xxxx—xxxxde veau 657 Lapin de garenne 909 Lasagnes 1055 Lavaret 418 Lentilles 1028 Lièvre 901 Longe de veau 658 Lotte 418 M Macaroni 1055 Maïs 1029 Mandarines 1115 Maquereaux 449 Marcassin 1115 Marinades diverses 900 Marmelades 74 Marquise 1188 Marquise Alice 1154 Marrons 1030 Matelote de veau 694 Matelotes types 397 xxxx—xxxxdiverses 398 Matignon 100 Mazagran de volaille 840 Mazagrans (petits) 309 Médaillons de bœuf 598 xxxx—xxxxde veau 665 Melon (Hors-d’œuvre) 275 Melon (Entremets) 1155 Merlans 541 Merles 939 Meringue ordinaire 1074 xxxx—xxxxitalienne 1075 Meringues garnies 1155 xxxx—xxxxen surprise 1123 Mirepoix 101 Mont Blanc 1156 Morilles 1009 Morue 454 Mostèle 458 Mou de veau 658 Moulage des glaces 1116 Moules 540 Moussaka 719 Mousses glacées 1182 xxxx—xxxxdiverses 1182 Mousses et Mousselines 103 Mousse de bécasse 947 xxxx—xxxxde caneton 881 xxxx—xxxxde faisan 919 xxxx—xxxxde foie gras 893 xxxx—xxxxde homard 534 xxxx—xxxxde jambon 747 xxxx—xxxxde lièvre 906 xxxx—xxxxvolaille 840 xxxx—xxxxde perdreau 927 Mousserons 1010 Mulet 458 Museau de bœuf 615 Mutton-pie 720 N Navarin 720 Navets 1030 Nectarines 1115 Noisettes d’agneau 734 xxxx—xxxxde chevreuil 896 xxxx—xxxxde mouton 716 xxxx—xxxxde veau 665 Noix de veau 659 Nonats 458 Noques 1055 Nouilles 1057 Nymphes 544 O Œufs (Série des) 330 xxxx—xxxxà la neige 1156 xxxx—xxxxde vanneau 383 Oie 869 Oignons 1031 Ombre-Chevalier 418 Omelettes d’entremets 1090 xxxx—xxxxordinaires 375 xxxx—xxxxsoufflées 1091 xxxx—xxxxsoufflées en surprise 1092 Oranges 1115 Oreilles de porc 753 xxxx—xxxxde veau 664 Ortolans 943 Oseille 1032 Oursins 540 Oxalis 1032 P Pain froid (Appareil pour) 107 Pain de foie gras 893 xxxx—xxxxde fruits 1138 xxxx—xxxxde homard 534 xxxx—xxxxde lièvre 909 xxxx—xxxxde veau 694 Palais de bœuf 616 Paleron 617 Panades pour farces 86 Pannequets d’entremets 1094 Parfaits glacés 1182 Patates 1033 Paupiettes de bœuf 637 xxxx—xxxxde veau 666 Pâte à baba 1067 xxxx—xxxxà biscuits à la cuiller 1068 Pâte à biscuit manqué 1068 xxxx—xxxxà biscuit punch 1068 xxxx—xxxxà beignets viennois 1066 Pâte à brioche 1064 xxxx—xxxxà brioche commune 1065 Pâte à brioche mousseline 1065 Pâte à chou 1067 xxxx—xxxxà chou commune 101 xxxx—xxxxà dumpling et pudding 1064 Pâte à foncer ordinaire 1063 Pâte à foncer pour tartes 1063 Pâte à feuilletage 1061 xxxx—xxxxà frire pour entremets 1079 Pâte à frire pour fritots et légumes 101 Pâte à galette 1063 xxxx—xxxxà génoise 1067 xxxx—xxxxà mazarine 1066 xxxx—xxxxà pâté 958 xxxx—xxxxà petits gâteaux 1064 xxxx—xxxxà ramequins 1067 xxxx—xxxxà savarin 1066 xxxx—xxxxsèche 1063 Pâtés chauds pour entrées 956 Pâtés froids 960 Paupiettes 637 666 Petits pâtés (Hors-d’œuvre chaud) 310 Pêches chaudes 1116 xxxx—xxxxfroides 1148 Perche 419 Perdreaux 925 Petits pois 1033 Petit salé 760 Pieds d’agneau 731 xxxx—xxxxde mouton 710 xxxx—xxxxde porc 754 xxxx—xxxxde veau 668 Pigeonneaux 860 Pilaw d’agneau 736 Pilaw de mouton 721 xxxx—xxxxde volaille 854 Piments 1035 Pintades 868 Plat-de-côte 619 Plum-pudding 1097 Pluviers 953 Pochés (Principes généraux des) 554 Poêlés (Principes généraux des) 556 Pointe de culotte 617 Poires chaudes 1117 xxxx—xxxxfroides 1150 Poitrine d’agneau 731 xxxx—xxxxde bœuf 620 xxxx—xxxxde mouton 711 xxxx—xxxxde veau 669 Poissons au bleu 391 xxxx—xxxxd’eau douce 397 xxxx—xxxxde mer 440 Polenta 1058 Pommes entremets chaudes 1119 Pommes entremets froides 1152 Pommes de terre (Hors-d’œuvre chaud) 315 Pommes de terre (Légume) 1036 Porc bouilli 7612 Potages clairs 149 xxxx—xxxxcrèmes 195 xxxx—xxxxétrangers 240 xxxx—xxxxinvariables 214 xxxx—xxxxde légumes 226 xxxx—xxxxprovençaux 237 xxxx—xxxxpurées 183 xxxx—xxxxveloutés 203 Poulardes 768 Poulets en cocotte 822 xxxx—xxxxgrillés 822 xxxx—xxxxpoêlés 822 xxxx—xxxxsautés 806 Poussins 827 Poutine 459 Pralins 1076 Préparation des glaces 1159 Pressed-beef 639 Profiteroles pour potages 145 Puddings de bœuf 628 xxxx—xxxxà la crème 1095 xxxx—xxxxfroids 1139 xxxx—xxxxde fruits 1096 xxxx—xxxxglacés 1183 xxxx—xxxxau pain 1098 xxxx—xxxxde riz 1100 xxxx—xxxxde saucisses 762 xxxx—xxxxsoufflés 1101 Punch à la romaine 1188 Punchs pour soirées 1213 Q Quasi de veau 671 Quenelles diverses 96 Quenelles pour potages 145 Quenelles de volaille 832 Queues de bœuf 620 xxxx—xxxxde porc 755 Quiche Lorraine 316 R Râble de lièvre 907 Ragoût de mouton 721 Raie 459 Râle de genêt 939 Ramequins 317 Raviolis 1058 Ris d’agneau 732 Ris de veau 671 Rissoles (Hors d’œuvre chaud) 317 Rissoles d’entremets 1104 Riz au blanc 1047 xxxx—xxxxpour entremets 1104 xxxx—xxxxau gras 1047 xxxx—xxxxà la grecque 1047 xxxx—xxxxImpératrice 1157 xxxx—xxxxà l’Indienne 1047 xxxx—xxxxMaltaise 1157 xxxx—xxxxpilaw 1047 xxxx—xxxxà la turque 1048 Rizottos 1048 Rognons de bœuf 622 xxxx—xxxxde coq 836 xxxx—xxxxde mouton 712 xxxx—xxxxde porc 755 xxxx—xxxxde veau 682 Rolly-Pudding 1104 Rôtis (Principes généraux des) 978 Rôtis d’agneau et mouton 984 Rôtis de bœuf 983 xxxx—xxxxde gibier 989 xxxx—xxxxde porc 985 xxxx—xxxxde venaison 988 xxxx—xxxxde volaille 985 Rougets 460 Roux blanc 14 xxxx—xxxxblond 14 xxxx—xxxxbrun 13 Royales pour potages 147 Ruthel 419 S Sabayon 1077 Saint-Pierre 463 Salades simples 969 xxxx—xxxxcomposées 971 Salsifis 1048 Sandwichs 1196 Sanglier 900 Sardines 463 Sauce allemande 18 xxxx—xxxxbéchamel 19 xxxx—xxxxblanche grasse 17 xxxx—xxxxdemi-glace 17 xxxx—xxxxespagnole 15 xxxx—xxxxespagnole maigre 16 Sauce suprême 19 xxxx—xxxxtomate 20 xxxx—xxxxvelouté de volaille 718 Sauces anglaises chaudes 54 Sauces anglaises froides 66 Sauces blanches composées (Petites) 35 Sauces brunes composées (Petites) 21 Sauces pour entremets 1077 xxxx—xxxxfroides 61 xxxx—xxxxpour rôtis à l’anglaise 982 Saucisses 761 Saumon 420 Saumure (Grande) 77 xxxx—xxxxau sel 77 xxxx—xxxxpour langues 77 Sautés d’agneau 736 xxxx—xxxxde veau 694 Savories 1189 Selle d’agneau 733 Selle de chevreuil 898 xxxx—xxxxde mouton 715 xxxx—xxxxde veau 685 Soles (Filets de) 479 xxxx—xxxxentières 467 Sorbets 1186 Soufflés (Hors-d’œuvre) 320 Soufflés d’entremets 1105 xxxx—xxxxfroids 105 xxxx—xxxxglacés 1184 xxxx—xxxxde volaille 846 Spooms 1188 Sterlet 432 Stockfish 507 Subrics (Hors-d’œuvre) 322 Subrics d’entremets 1109 Suédoise 1157 Suprêmes de volaille 795 T Tanche 432 Tartelettes 323 Tendrons de veau 671 Terrapène 537 Terrines diverses 967 Tête d’aloyau 624 xxxx—xxxxde porc 755 xxxx—xxxxde veau 689 Thon 507 Timbales d’entrées 956 xxxx—xxxxd’entremets 1109 xxxx—xxxx(Petites) 325 Tomates 1049 Topinambours 1051 Tortue 539 Tournedos 598 Tourtes 957 Tripes à la mode de Caen 626 Truffes 1052 Truite 432 Truites de rivière 437 Turbot 508 Turbotin 512 Twarogue 313 V Vanneaux 953 Velouté (Sauce) 17 xxxx—xxxxde poisson 18 xxxx—xxxxde volaille 18 xxxx—xxxxde volaille froid pour soupers 177 Vesiga 422 Vins chauds 1213 Vive 516 Vol-au-vent 957 Volaille (Filets de) 795 xxxx—xxxx(Suprêmes de) 795 W Withe-bait 439 Z Zampino froid 282 742 |
Le Tour du monde - 11.djvu/91 | [[Catégorie:Images à reprendre]]d’eau des bâtiments du Lloyd, sont, à certaines époques
de l’année, une entrave, sinon un obstacle à la navigation ?
Les ingénieurs modernes ont exécuté et exécutent
chaque jour, sur le parcours des voies ferrées, des travaux
d’art bien autrement compliqués. D’ailleurs, si l’on
ne pouvait venir à bout de l’obstacle, on pouvait le tourner
en creusant un canal de quatre kilomètres au plus de
longueur, qui eût permis aux bâtiments d’éviter cet incommode
passage. Les deux projets avaient été proposés
par le comte Szechenyi. L’Autriche repoussa le premier
comme impraticable, la Turquie ne voulut point du second ;
je ne sais pour quel motif. Mais on le laissa libre
de construire sa chaussée, que l’Autriche peut interdire
à volonté ; si bien qu’en dépit du proverbe, ces fameuses
portes, dont elle tient un battant, ne sont ''ni ouvertes ni fermées''.
À part ses écueils et ses rapides, le défilé des Portes
de Fer me parut moins beau, moins grandiose que celui
de Cazan. Au bout d’une heure il s’élargit, ses rocs
ferrugineux se séparent et s’affaissent pour faire place,
vers Turnu-Severinu, à des rives argileuses, arrondies,
hautes à peine de quarante mètres et beaucoup plus
basses du côté de la Serbie.
Turnu-Severinu, malgré son nom antique, est une
ville d’origine et de construction toutes modernes. Ses
premières maisons commençaient à peine à sortir de
terre en 1840. Elle renferme aujourd’hui plus de trois
mille habitants, et est le centre d’un commerce assez
Récifs du Danube aux Portes de Fer. — Dessin de Lancelot.
considérable, ce dont j’ai pu m’assurer par moi-même
pendant le séjour que j’y ai fait en revenant de Bucharest
en France. Tout ce qu’il m’a été donné d’en voir
à ce premier arrêt de quelques minutes, c’est une tour
en ruines cachée sous les arbres d’un jardin public qui
descend jusqu’auprès du débarcadère, et sur le galet
une foule nombreuse entourant quatre hommes qui portaient
à grand-peine sur leurs épaules un gigantesque
poisson blanc et brun, ayant un faux air de requin. Il
mesurait au moins trois mètres, et ses derniers tressaillements
avaient une telle énergie qu’ils faisaient chanceler
les pêcheurs. « Oah ! » s’exclama tout à coup mon
compagnon anglais qui avait à peine desserré les dents
depuis notre départ d’Orsova, et s’était montré indifférent
à tout, « je connais ! un esturgeon ! La chair en
est bonne comme celle d’un jeune veau. On le mange
frais ou salé, mariné, fumé et séché. De sa laite et
de ses œufs on fait le caviar ; sa graisse, excellente,
se conserve et s’emploie comme le beurre. Le grand
esturgeon atteint douze à quinze pieds de longueur,
et pèse mille à douze cents livres, souvent beaucoup
plus.
— Peste ! m’écriai-je à mon tour, voilà un mirifique
poisson ! Mais ne pourriez-vous pas, ajoutai-je, continuant
de m’adresser à mon interlocuteur, vous qui savez
tant de choses, me dire quelle est cette tour en ruines
que nous apercevons un peu sur notre droite, à travers
les arbres ?
— Peuh ! fit-il, un monument romain ; on en trouve
partout ; mais les esturgeons deviennent rares. Savez-vous
que ce poisson était en grande estime chez les
Romains, à ce point qu’il faisait son entrée dans la salle
du banquet au son de la flûte, porté par des serviteurs
couronnés, comme un ancien triomphateur ?
<references/> |
Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/209 | n’en présente que trois mille cinq cents, dans la partie la plus proche de la côte, du moins d’après notre estime.
Au couchant elle s’élève davantage, et peut avoir une moyenne de quatre mille cinq cents pieds.
Cette différence établie, nous trouvons dans la plaine de la Makata la même pénurie de bois que dans celles du Far-West ; et la région qui est au couchant de l’Ousagara, avec ses terres arides et ses dépôts salins, peut être comparée à la partie occidentale du Colorado et au territoire de l’Utah.
Dans l’Ouyanzi, à l’ouest de l’Ougogo, le terrain se relève longitudinalement, arrive à mille pieds au-dessus de la région précédente, et arrêtant les vapeurs que charrient les vents d’est, redevient productif, et ne le cède en fertilité qu’à la vallée de la Moukondokoua<ref>Il y a certainement des traits d’une grande ressemblance entre les deux régions : un sol rouge, qui a valu au Colorado le nom qu’il porte ; des plaines ondulées et dépourvues d’arbres, des terres salines, des rochers aux formes bizarres, et tout ce qui résulte d’un ciel de feu, dans un pays aride que balaye un vent glacé ; effets de mirage, trombes sableuses, etc. Nous comprenons que, frappé de cette vue, l’auteur se soit rappelé les montagnes dont la base lui avait offert le même tableau. Il est certain aussi qu’on peut rattacher la triple rampe de l’Ousagara, non-seulement aux Highlands de l’Ouhiao et des Manganjas, mais au Lupata, aux Drakensberg, aux monts des Basoatos ; bref, que c’est l’un des pans de la muraille qui entoure la péninsule ; et que du Kénia aux Zwarteberg la ligne est aussi longue que celle des Montagnes-Rocheuses. Mais ces rapports Sont-ils suffisants pour que les deux chaînes aient le même caractère et jouent le même rôle ? Nous n’avons pas à discuter cette question ; nous rappellerons seulement que pour Burton, l’Oussgara est l’équivalent des Ghattes de l’Inde, et que Livingstone, en décrivant la chaîne qui soutient le plateau des Maravis, est frappé du rapport qu’elle présente avec la partie des Ghattes que l’on traverse pour aller de Bombay à Pounah. (Voir ''Explorations du Zambèse et de ses affluents'' par ''D.'' et ''Ch. Livingstone'', librairie Hachette, 1866, p. 494, et Burton, ''Voyage eux grands lacs'', p. 199.) {{FAD|(''Note du traducteur''.)|marge=1em}}</ref>.
Les Vouasagara sont donc des montagnards.
Violents dans les districts du nord, où ils ont pris les mœurs des Vouahoumba, qu’ils avoisinent, ils sont doux et bons dans les districts du sud.
Les attaques répétées qu’ils ont eues à subir de la part des Vouadirigo ou Vouahéhé, de celle des Vouaségouhha, des Vouahoumba et des Vouagogo, leur ont donné de la défiance à l’égard des étrangers ; mais dès qu’on les rassure, ils se montrent pleins de franchise et d’amabilité.
Ils ne sont, hélas ! que trop fondés à se méfier des Arabes et des Vouangouana de Zanzibar.
Dans l’est de leur territoire, Mboumi a été brûlé deux fois en peu d’années par les traitants et par les chasseurs d’esclaves.
Réhennéko a éprouvé le même sort ; et Abdallah ben Nasib a porté le fer et la flamme depuis Mi-
<references/> |
La Société nouvelle, année 9, tome 1, 1893.djvu/459 | courses dans les bois. Avec les sauvages, nous mangions, nous dormions, nous marchions. Plus d’une fois nous portâmes à califourchon sur nos épaules les enfants, lesquels s’affectionnèrent tellement, qu’ils préféraient notre compagnie à celle de leurs parents, qui ne nous jalousaient point. Les racines, les lézards, les vermisseaux et semblables aliments qu’ils allaient quérir dans les bois, ils les partageaient fraternellement avec nous, après que furent épuisées nos provisions de riz et de farine. »
Quand ils arrivaient seuls ou avec une faible escorte, ces messagers de la civilisation gagnaient les cœurs par le charme des discours, par des manières accortes, des yeux riant la douceur et la bonté. Mais quelle terreur inspirait l’arrivée soudaine d’un navire du soleil descendu, d’un prodigieux navire aux énormes voiles blanches, dont le ventre s’ouvrait, livrant passage à une troupe armée, à des sabres luisants, à des chevaux, êtres extraordinaires ! Partout la même histoire. Ces étrangers descendus du ciel, investis d’une puissance terrible, furent pris pour des ancêtres, des divinités de la foudre et de la lumière, adorés et obéis. Que ne furent-ils bons et raisonnables !
Une poignée de cavaliers armés de canons et de tromblons conquirent l’Amérique, précédés qu’ils étaient de l’effrayante nouvelle : « Du pays solaire les dieux arrivent lançant la foudre par la bouche, et montant les coursiers du tonnerre » !
Les Mexicains baisaient la proue du navire qui amenait les Espagnols ; les croyant des Immortels à la suite de Quetzalcoatl, ils leur amenaient de belles Indiennes afin de gagner leurs bonnes grâces. Montezuma vint se prosterner devant les mystérieux étrangers, les teignit de sang, leur sacrifia des victimes, offrit à Cortez un costume complet de dieu. À ce dieu, ils donnèrent le nom d’Astre-Roi, à ses compagnons celui d’Enfants du Soleil. Les domestiques furent titrés de prêtres et grands prêtres.
Mais pourquoi ces êtres divins avaient-ils dévalé des nuages ? On ne soupçonnait leur soif de l’or, mais on avait une peur bleue qu’ils décrétassent la fin du siècle. Au lieu de se mettre en ordre de combat, au lieu de frapper d’estoc et de taille, de tuer, de butiner, pourquoi les Espagnols ne se rendaient-ils pas droit aux temples, s’asseyant sur les trônes pour commander aux peuples agenouillés ? Les Floridiens croyaient que les Célestes tuaient par l’éclair des yeux ; des natifs tombèrent raides morts en leur présence ; des femmes plus hardies apportaient des nouveau-nés, imploraient bénédiction. Dans leurs annales pictographiques, les Virginiens marquèrent l’arrivée des Européens par un cygne, qui par le bec jetait feu et fumée. On aspergeait Alarcon de maïs : Tu es notre seigneur, fils du Soleil, et à notre seigneur rien ne doit rester caché. Et chacun
<references/> |
Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/541 | propos paraissent infiniment spirituels après le diner, qui seraient plats et inconvenans si l’on s’avisait de les tenir à jeun, dans la matinée.
D’où je ne prétends point conclure que la France doive
désormais se priver de toute liberté dans ses propos, et se
comporter, dans sa vie littéraire, comme faisaient les convives
de Swift pendant les heures de tranquillité un peu engourdie
qui précédaient pour eux le réveil du dîner. Tout juste demanderais-je que, de temps à autre, les écrivains de chez vous se
souvinssent de l’arrivée parmi eux de ces auditeurs étrangers
qui obligent les hôtes d’un salon à modifier le ton de leur causerie. Un peu plus de réserve sur tel ou tel thème, à cela se
borne tout le sacrifice que je me permettrais de leur conseiller.
Et puis surtout je voudrais qu’une série de limites bien visibles
rendissent plus facile, aux lecteurs anglais, de distinguer,
parmi les productions françaises, celles qui relèvent de la
littérature et celles qui trop souvent, jusqu’ici, en ont emprunté
les dehors pour couvrir une marchandise de mauvais aloi.
J’ajouterai que les œuvres françaises qui risquent ainsi de
n’être pas bien comprises hors de France relèvent toujours,
plus ou moins, du genre du roman ; et, en vérité, nul effort
ne saurait empêcher désormais le roman de jouer un rôle prépondérant dans les relations intellectuelles de nos deux pays.
Malgré toutes les protestations des critiques ou des moralistes,
c’est toujours par son roman que la France, en particulier, aura
chance d’agir sur l’esprit anglais ; et tout porte à croire qu’une
fortune semblable est réservée, en France, au roman anglais.
Jusqu’à présent, toutefois, c’est un fait que quelques-uns de
nos plus grands romanciers contemporains n’ont jamais pu
réussir à traverser la Manche. Je veux parler surtout de
trois hommes que les lettrés anglais s’accordent à considérer
comme les maîtres les plus significatifs de notre roman au
cours de ces trente dernières années, George Meredith, Henry
James, et Thomas Hardy. Du consentement général.de notre
critique, ces trois hommes nous ont donné une œuvre exceptionnellement originale et forte, d’un style très personnel, de
telle sorte que, sans hésiter, nous les mettons au niveau des
plus grands romanciers français de notre temps. Mais en
France, aucune des nombreuses tentatives qui, depuis un demi-siècle,
<references/> |
Gide - La Porte étroite, 1909.djvu/151 | ''{{tiret2|mau|vaise}}''<i>, il fait très froid et père ne parle plus que de
rentrer en ville, À présent que Juliette ni Robert
ne sont plus avec nous, nous pourrions aisément
te loger, mais il vaut mieux que tu descendes chez
tante Félicie qui sera heureuse elle aussi de te recevoir.</i>
<i>À mesure que le jour de notre revoir se rapproche,
mon attente devient plus anxieuse ; c’est
presque de l’appréhension ; ta venue tant souhaitée,
il me semble, à présent, que je la redoute ; je
m’efforce de n’y plus penser ; j’imagine ton coup
de sonnette, ton pas dans l’escalier, et mon cœur
cesse de battre ou me fait mal... Surtout ne t’attends
pas à ce que je puisse te parler... Je sens
s’achever là mon passé ; au delà je ne vois rien ;
ma vie s’arrête... »</i>
Quatre jours après, c’est-à-dire une semaine
avant ma libération, je reçus pourtant
encore une lettre très brève :
« <i>Mon ami, je t’approuve entièrement de ne pas
chercher à prolonger outre mesure ton séjour au</i>
<references/> |
Duboscq - Le Pacifique et la rencontre des races, 1929.pdf/10 | cains et les Européens qu’ils reçoivent chez
eux, et en outre ces Asiatiques savent où ils
vont, connaissent théoriquement, avant d’y
débarquer, l’Europe et l’Amérique, leurs sciences et leur civilisation. Alors que jadis l’Europe alla au-devant de l’Amérique, aujourd’hui l’Asie vient au-devant de nous avec son
génie particulier et armée de notre savoir et
de nos idées. Les remous ne peuvent être comparés à ceux qui ont pu se produire il y a cinq siècles, et l’on voit par conséquent ce que vaut le rapprochement dont nous parlons.
En réalité, les échanges intellectuels entre
l’Asie et les autres continents, plus encore que
le déplacement des individus dans les deux
sens, posent des problèmes ethniques, sociaux,
politiques, que la découverte de l’Amérique
n’avait pas posés. Quand l’Espagne organisa
ses conquêtes d’au-delà de l’Océan, elle n’eut
qu’à leur imposer un régime qui lui réservait
les profits sans souci des indigènes. Ceux-ci
ne reçurent aucun droit. Quant aux colons,
interdiction leur fut faite de rien vendre et
rien acheter ailleurs qu’en Espagne. L’unique
but des conquistadores était d’assurer à la
métropole le monopole du commerce d’outremer ; problème économique — si tant est qu’il y eut là un véritable problème — dont la solution ne nécessitait que des mesures de surveillance.
<references/> |
Swift - Le Conte du tonneau - tome 2 - Scheurleer 1732.djvu/24 | {{nr|2|{{Espacé|6px;font-size:150%;font-family:serif|{{sc|Operation Mechanique}}}}|}}roitra le plus à fon avantage. Pour prendre un parti là-dessus, j’ai employé trois jours entiers à parcourir la ''Sale de Westmunster, le Cimetiere de St. Paul, Fleet-street, & tous les autres Endroits qui fourmillent de Boutiques de Libraires,'' pour voir quels Titres sont le plus à la Mode ; & je n’en ai point trouvé qui eut une aussi grande vogue, que ''Lettre à un Ami.''
Rien n’est plus commun à présent
que de voir de longues Epitres adressées
à certaines Personnes, & destinées pour
certains Endroits, sans qu’on puisse s’imaginer la moindre raison qui ait porté
leurs Auteurs à les écrire.
Telles sont une <i>Lettre à mon plus
proche Voisin. Epitre à un Etranger, que
je ne connois ni d’Eve ni d’Adam. Lettre
à un Homme de Qualité résident dans les
Nuées.</i> Ces Piéces, d’ailleurs, roulent la
plupart sur des Sujets, qui naturellement n’ont rien à démêler avec la Poste.
Ce sont de longs <i>Systémes de Philosophie ;
d’obscurs</i> & <i>merveilleux Traitez de Politique ; des Dissertations laborieuses sur la
Critique</i> & <i>sur les Antiquitez</i> ; des <i>Avis
donnez au Parlement</i> ; & d’autres Ouvrages de cette nature.
<references/> |
Swift - Le Conte du tonneau - tome 2 - Scheurleer 1732.djvu/25 |
Je n’ai pas hésité un moment à imiter de si excellens Modeles ; &, puisque je suis persuadé que vous publierez
cette Lettre, dès que vous l’aurez reçûë, quelque chose que je puisse dire
pour vous en détourner, j’ai une grace
à vous demander, sans laquelle il ne
me sera pas possible de figurer, comme
il faut, avec mes Collegues les Auteurs
Epistolaires de nos jours.
C’est, Monsieur, de vouloir bien
témoigner en ma faveur, devant le Tribunal du Public, que cette Lettre a été
griffonnée à la hâte, que je n’ai commencé à songer cette matiere que
hier, lorsqu’en discourant ensemble de
choses & d’autres nous tombâmes par
hazard sur ce Sujet ; que je ne me portois pas trop bien, quand nous nous
separâmes ; & que, pour ne pas manquer la poste, je n’ai pas eu le loisir de
bien arranger mes Matériaux, & de
corriger mon Stile. Enfin, Monsieur,
je vous conjure de ne pas négliger la
moindre de ces sortes d''’Excuses modernes'', qui puisse être de quelque usage, pour pallier la Négligence d’un
Auteur.
Je vous prie, Monsieur, que, lors-
<references/> |
Propos japonais | Urbain-Marie Cloutier Propos japonais Imprimerie franciscaine missionnaire, 1922. R. P. URBAIN-MARIE, O. F. M. Missionnaire Apostolique du Japon. PROPOS JAPONAIS préface : p. labelle, sup. p. s. s. 5ème mille QUÉBEC Imprimerie Franciscaine Missionnaire 1922 pages Dédicace V Préface VI propos de vie sociale Le contraste japonais 3 En chemin de fer 9 La politesse 19 En hiver 29 Cérémonial des visites 35 Les bruits de la rue 43 Les pompier 53 propos rustiques Le village japonais 63 À Naidaibu 67 Enterrement catholique 73 Pèlerinage catholique au cimetière d’Asahigawa 79 Hiroshima 83 propos religieux Tolérance du catholicisme 91 Mentalité religieuse 97 Fête Shintoïste 109 Dans une bonzerie 117 Le « Hanami » 125 Le culte des morts 129 propos historiques Aperçu général du catholicisme 147 La préfecture apostolique de Sapporo 161 L'île de Karafuto (Saghalien) 171 propos apostoliques Importance de la conversion du Japon 189 Obstacles à la conversion du Japon 201 Moyens d’apostolat 219 Vie intime du missionnaire 233 Une conquête de la vraie foi 245 Le Dieu de nos autels en pays de mission 251 Du nord au sud (aperçu superficiel de l’église actuelle du Japon 261 Table des gravures 291 Table des matières 293 bookPropos japonaisUrbain-Marie CloutierImprimerie franciscaine missionnaire1922QuébecCCloutier - Propos japonais.pdfCloutier - Propos japonais.pdf/1 |
Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance (1873-1874), tome 5.djvu/30 | des mains de sa dame le heaume et l'écu, et dont l'ailette est rejetée en arrière de l’épaule (fig. 6<ref>Voyez aussi l’une des figures du bahut de 1300 environ, déposé aujourd’hui au musée de Cluny ({{sc|Mobilier}}, t. {{rom-maj|I}}, p. 27).</ref>). Ces exemples, et d’autres encore qu'il serait trop long de citer, montrent que les ailettes étaient généralement attachées sous les aisselles avec des courroies, qu’elles pouvaient être portées en avant ou en arrière suivant le besoin, présenter ainsi des targes mobiles ; et qu’enfin, lorsque le heaume était lacé, on ramenait leur extrémité supérieure vers la base de l’habillement de tète. Dans l’adoubement de la chevalerie anglaise, les ailettes sont extrêmement rares. Nous avons l’occasion de revenir sur cette première pièce d’armure de fer à l’article {{sc|Armure}}.
'''ALEMÈLE''', s. f. (''lemèle'', ''limèle'', ''lamièle''). Lame de l’épée (voy. {{sc|Épée}}).
{{bloc centré|<poem>« Tant aloit Artus guencisaut,
Souvent deriere, souvent devant,
Que d’Escalibor<ref>Escalibor, nom de l’épée d’Artus.</ref> l’alemèle
Lui embati en la cervele,
Traist et empainst, et cil caï ;
Par angoisse jetta un cri<ref>''[[:w:Roman de Brut|Li Romans de Brut]]'', vers 11936 et suiv.</ref>. »</poem>}}
'''ARBALÈTE''', s. f. Arme de jet, dérivée de l’arc (arc-baliste), composée d’un arc fait de nerf, de corne ou de métal, d’un arbrier ou corps de bois destiné à fixer l’arc et à recevoir le projectile, et d’une noix avec sa détente. Il est question d’arbalètes dès les premières croisades, et un manuscrit de la Bibliothèque nationale<ref>Bible, ancien fonds latin Saint-Germain ({{s|X}}).</ref> de la fin du {{s|X}}<ref>Voyez ''Dictionn. d’architect.'' , t. {{rom-maj|I}}, {{sc|Architecture militaire}}, fig. 9 ''bis''.</ref> montre, dans une de ses vignettes, deux arbalétriers à pied tirant contre les remparts de la ville de Tyr. En 1139, cette arme, reconnue comme très-meurtrière, fut interdite par le concile de Latran entre armées chrétiennes, mais permise contre les infidèles. Elle fut reprise par les troupes à pied de Richard Cœur-de-Lion et de Philippe-Auguste, malgré le bref d’Innocent {{rom-maj|III}}, qui renouvela les défenses du concile de 1139<ref>Voyez la ''Notice sur les armes de jet'', par M. le lieutenant-colonel Penguilly L’Haridon, ancien conserv. du musée d’artillerie de Paris.</ref> et ne fut abandonnée, comme arme de guerre, que sous le règne de François I{{e|er}}.<section end="S3"/> |
Propos japonais/1 | Urbain-Marie Cloutier Propos japonais Imprimerie franciscaine missionnaire, 1922 (p. 9-16). ◄ Préface En chemin de fer ► Le contraste japonais bookPropos japonaisUrbain-Marie CloutierImprimerie franciscaine missionnaire1922QuébecCLe contraste japonaisCloutier - Propos japonais.pdfCloutier - Propos japonais.pdf/19-16 Entre les mœurs du Japon et celles des autres pays d’Europe et d’Amérique, il existe un contraste ni plus ni moins que renversant. À peine l’étranger a-t-il mis le pied sur cette terre nouvelle pour lui, qu’il est sous l’empire d’un étonnement indescriptible. À son point de vue, tout lui paraît et tout se fait à l’envers. C’est à chaque instant, quelque chose d’inouï qu’il remarque et qu’il apprend, à mesure qu’il se mêle à la vie publique et, à plus forte raison, lorsqu’il prend contact avec la vie privée. ⁂ La vie publique, avec son spectacle si singulier, lui cause une surprise qu’on ne peut s’imaginer. En descendant du bateau, ses yeux cherchent en vain de ces voitures publiques telles qu’il en a vues en son pays. À leur place, il aperçoit une foule de kuruma ou pousse-pousse, sortes de petites voitures très légères, traînées par un homme, et sur lesquelles on ne peut monter d’ordinaire qu’un seul à la fois. Mais c’est surtout cet homme cheval qui l’étonne : « Que c’est pitié ! » pense-t-il, de voir ainsi un homme en tirer un autre ! » Cependant voici la rue, avec son brouhaha et le va-et-vient des gens qui la couvrent. Quel spectacle ! Pas de trottoirs ! Tout le monde dans la rue, s’y croisant et s’y mêlant continuellement ! Presque pas de voitures traînées par ces bêtes ! Et puis, quelle étrange manière de conduire les chevaux ! Au lieu d’être monté sur sa voiture, comme on le fait à l’étranger, le conducteur, ici, marche, les bras croisés, très souvent, devant son cheval, qu’il guide par une corde. Et c’est là, non pas seulement une coutume, mais une loi d’ordre public. Quelle en est la raison au juste, je ne sais. En tout cas, comme tout le monde marche dans la rue, c’est bien moins dangereux ainsi pour les promeneurs inattentifs, le conducteur de la voiture étant bien placé pour avertir les gens de lui livrer passage. D’ailleurs, il y a peu de chevaux au Japon, surtout dans les régions méridionales. En revanche il y a une foule de ni-guruma ou petites charrettes traînées par des hommes ou même par des femmes, et sur lesquelles on transporte toutes sortes de colis. L’étranger ne remarque pas sans étonnement, non plus, les nouvelles maisons que l’on construit. À peine a-t-on dressé la charpente, qu’on fait le toit définitivement. Or, qui niera que ce ne soit pratique, lorsqu’il pleut ? Le menuisier japonais, travaille, lui aussi, différemment de l’ouvrier étranger : il a des instruments, par exemple le rabot et la scie, fabriqués de telle sorte que, au lieu de les pousser, il les tire sur lui. Vraiment, on dirait que ces Japonais ont juré de faire tout en sens inverse des autres peuples. ⁂ Et cela n’est encore que de la vie publique. La vie privée réserve à l’étranger bien d’autres surprises. le R. P. Calixte Gélinas Un Catéchumène Un Catéchiste Qu’il « interpelle » à une maison, par exemple ? — aux maisons japonaises on ne frappe pas, les portes étant en papier. — D’abord, il lui faudra enlever ses chaussures, sous peine de passer pour impoli : premier embarras ! Ensuite, il lui faudra exécuter le cérémonial assez compliqué de la visite : autre embarras plus ennuyeux encore ! Enfin, il doit, comme les autres, rester assis sur ses talons : ce qui le met littéralement à la torture, n’ayant pas, comme les Japonais, les genoux faits à une telle position. Puis, un coup d’œil rapide dans l’appartement lui découvre encore d’autres sujets d’étonnement. C’est le maître de la maison qui fume avec une pipe dont la cheminée ne contient pas plus gros de tabac qu’une fève, et qui frotte ses allumettes tout juste dans le sens contraire à l’habitude des fumeurs canadiens. C’est la femme qui fume aussi consciencieusement que son mari ; il faut voir comment elle laisse lentement échapper la fumée par ses narines, sans doute pour en savourer la douceur, et comment elle la fait disperser en volutes légères et capricieuses. Quelquefois il aperçoit, dans un coin, un enfant assis sur ses talons, près d’une toute petite table, et y traçant des caractères, en commençant par la droite et en allant de haut en bas ; ou bien, lisant un livre, en commençant par ce que, nous, nous croyons la fin ; ou encore, aiguisant un crayon d’une manière toute différente de celle des écoliers de chez nous. Cependant, on le comprend, ce n’est pas dans une simple visite qu’on peut tout voir. Il faut vivre en contact plus ou moins immédiat avec cette vie familiale, pour en remarquer tous les détails. Alors, l’étranger s’apercevra qu’on n’a pas de berceau pour les bébés, qu’on se contente de se les attacher sur le dos, que les enfants eux-mêmes portent ainsi leurs petits frères ou leurs petites sœurs, et que, bien plus, les femmes font leur ménage dans la maison, scient du bois devant la porte ou font leur lavage, avec leur enfant sur le dos. Et chose étrange ! même alors, l’enfant dort paisiblement ; des mères vont même jusqu’à dire que ce n’est qu’alors qu’elles peuvent endormir leurs marmots. Autres détails non moins curieux : la femme époussette les rares meubles de la maison, avant d’y faire le balayage ; et le soir, elle se peigne, avant de se coucher. Mais ces usages, quelque étranges qu’ils paraissent, ont leur raison spéciale dans les conditions particulières de la vie familiale en ce pays ; et lorsqu’on est sur les lieux, on trouve que les coutumes japonaises sont aussi rationnelles que les nôtres. Je n’ai rien dit encore du langage. Pourtant, là aussi, l’étranger se heurte à des contrastes qui sont peut-être les plus embarrassants. Le Japonais a une manière différente de la nôtre de penser et de parler. Ce que nous concevons en premier lieu, il le conçoit en dernier, et ce que nous plaçons au commencement d’une phrase il le place à la fin. Toujours à l’envers, quoi !... Mieux que cela ! Là où nous donnerions une réponse négative, il en donne une affirmative et vice-versa. Par exemple, si je dis à quelqu’un : « Vous ne faites pas de promenade aujourd’hui, n’est-ce pas ? » Si réellement il ne veut pas en faire, mon brave Japonnais répondra : « oui » ; et s’il veut en faire, il répondra : « non. » Cette apparente anomalie n’est pas, non plus, sans explication. Le « oui » ou le « non » japonais correspondent, non pas au fait objectif et réel, mais à la conjecture de l’interlocuteur. Par exemple, lorsque, à la question ci-dessus, le Japonais répond « oui », il veut dire : « Vous l’avez bien conjecturé, je ne vais pas en promenade aujourd’hui ; » et si sa réponse est négative, il veut dire : « Vous vous trompez, j’y vais. » Pour la même raison, les Japonais répondent « non », quand nous ne disons ni « oui » ni « non ». Par exemple : si je demande à quelqu’un : « Où avez-vous acheté cet objet ? » Il répondra selon la circonstance : « Non, c’est moi-même qui l’ai fabriqué, » voulant dire : « Vous vous trompez, je ne l’ai pas acheté, c’est moi-même qui l’ai fabriqué. » Une autre réponse, qui nous étonne fort encore, c’est quand nous rencontrons une personne de notre connaissance que nous n’avons pas vue depuis quelque temps. Si nous lui demandons, par exemple : « Comment va la santé ? » Pour toute réponse, nous entendons un « Je vous remercie » très poli, très gentil d’ailleurs, mais tout court, sans commentaire ni supplément, de sorte que, en définitive, nous ne sommes pas plus renseignés qu’auparavant. « Étrange manière, tout de même, de répondre aux gens ! » pense-t-on, lorsqu’on n’a pas encore appris que ce simple remerciement de la part d’un japonais signifie précisément qu’il est en bonne santé et qu’il veut exprimer par là sa reconnaissance pour l’attention qu’on lui marque. Il est donc bien vrai de dire : « Autre pays, autres mœurs » ! |
Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance (1873-1874), tome 5.djvu/24 | garniture de l'avant-bras fut suspendue à celle de l'arrière-bras par un lacet de soie ou de cuir (fig. 3<ref>Manuscr. Biblioth. nation., latin, n°873 ({{s|xv}}).</ref>). Habituellement le coude est garni, dès le {{s|xiv}}, d’une cubitière<ref>Voyez {{sc|Cubitière}}.</ref>. Mais nous avons choisi cet exemple, bien qu’il date de 1430 environ, parce qu’il présente une disposition plus ancienne et qui n’était plus adoptée alors qu’accidentellement. Le manuscrit de la Bibliothèque nationale (fonds français, n°1997) donne une description très-exacte de cette partie de l’armure<ref>Voyez ''Du costume militaire des Français en 1446'', par M. R. de Belleval. Aubry, édit. 1866.</ref>. Voici ce passage en entier : « Item, lautre faczon davant-braz sont lesquelx sont faiz de trois pièces, cest assavoir une pièce qui couvre depuis la ployeure de la main jusques à trois doiz près la ployeure du braz ; et depuis la ployeure du braz y en a une autre qui vient jusques à hault de la jointure de lespaulle, à quatre doiz près. Pardessus lesquelles deux pièces y en a une autre qui couvre le code (cette pièce, la cubitière, manque dans la fig. 3) et la ployeure du braz et partie des autres deux pièces aussi, lesquelles trois pièces tout pareilles tant au braz droit que au braz senestre ; et se atachent avecques éguilletes. »
Dans la figure 3, les ganses avec aiguillettes passent par trois trous percés près du bord supérieur de la garniture de l’arrière-bras. La spallière est attachée avec une courroie à boucle sous l’aisselle.
On se servait aussi d’aiguillettes au {{s|xv}} pour attacher les jaques. Pour les aiguillettes des écus et targes, voyez ces articles à la partie des {{sc|Jeux}} (art. {{sc|Joute}}).
'''AILETTE''', s. f. On désigne ainsi une pièce d’armure qui, vers la seconde moitié du {{rom-maj|xiii|13}}{{e|e}} siècle, fut posée sur les épaules de l’homme d’armes, afin de garantir cette partie du corps contre les coups de masse que le camail et la cotte de mailles ne protégeaient pas suffisamment. Les flèches et carreaux, les coups d’épée, ne pouvaient percer ou entamer une bonne maille posée sur un haubergeon rembourré. Les hommes d’armes prirent donc, pour en venir aux mains, outre l’épée, comme arme offensive dans la mêlée, des masses de fer, de plomb ou de bronze, des haches à longs manches. Lorsqu’un bras vigoureux faisait tomber le poids de ces armes sur le heaume ou le bacinet, il arrivait, le plus souvent, que<section end="S2"/> |
Seu - Miroir, cause de malheur, et autres contes coréens, 1934.pdf/110 | {{nr|106|MIROIR, CAUSE DE MALHEUR|}}quitta les siens en leur assurant qu'il reviendrait
riche.
C'est en mendiant de village en village qu'il
atteignit enfin la ville proposée. L'aspect des habitations
et l'élégance des passants laissaient
croire suffisamment que c'était une ville riche.
Il frappa à la porte d'une belle maison habitée
par un de ses anciens serviteurs dont le nom
était gravé à l'entrée. Un jeune homme vint et
lui demanda :
— « Qui voulez-vous voir ? »
— « Song Sébang est-il à la maison ? »
— « Comment ! misérable ! tu oses appeler ce
nom sans ajouter le mot Seigneur ! »
— « Va dire à Song Sébang que je suis le Seigneur
Tchai Du-Bon de Séoul ! » reprit-il avec
un sourire de mépris.
Bientôt il fut introduit auprès de Song Sébang
qui était un homme d'une cinquantaine d'années.
— « Assieds-toi là, jeune homme ! fit-il froidement,
tu as bien fait de venir chez nous, car
nous avons besoin de toi ! »
Puis fixant ses regards à la fois ironiques et
terribles sur le pauvre Techai Du-Bon stupéfait,
Song Sébang continua:
— « Tu viens ici, en
notre bonheur ! n'est-ce pas ? Vous vous êtes
assez servi de nous ! Laissez-nous donc maintenant
vivre en paix ! s'enflamma-t-il, sache que
nous vivons ici en Yang-Ban<ref>Yang-Ban est une classe sociale de la Corée qui
correspond en France à la haute bourgeoisie sous
l'ancien régime.</ref> et ta présence
somme, pour troubler
<references/> |
Swift - Le Conte du tonneau - tome 2 - Scheurleer 1732.djvu/41 | {{nr||{{Espacé|6px;font-size:150%;font-family:serif|{{sc|de l’esprit}}}}|19}}nées en haut, avec la même contrainte
qu’on remarque aux yeux d’un homme, qui fait tous ses efforts pour ne
pas
succomber au sommeil. Par tous
ces Symtomes, il paroit évidemment,
que
la Faculté de raisonner est alors entierement suspenduë dans leurs ames,
& que l’Imagination s’étant rendu Maltresse du cerveau y répand par-tout une
foule de chiméres.
Je laisse-là cette Digression, pour décrire les degrès, par lesquels l’''Esprit'' approche, peu à peu, vers la region superieure des cerveaux assemblez dans un
même lieu. Dès que vos yeux sont dans
la disposition requise, vous ne voïez rien
d’abord ; mais, après un court intervalle,
une petite lumiere tremblante commence à paroitre, & semble dancer dans l’air
devant vous. Ensuite, à force de hausser
& de baisser votre corps, les vapeurs
commencent à monter vers le cerveau
avec rapidité, à un tel point que vous
vous sentez appesanti, & étourdi, comme un homme qui a trop bu à jeun. Le
Docteur commence son operation en même tems, & il débute par un bourdonnement d’un ''beau-creux'', qui vous perce
l’ame de part en part. L’Auditoire le lui
<references/> |
Edits déclarations et arrests concernans la religion protestante réformée/Édit de Nantes | Édits, déclarations et arrests concernans la religion protestante réformée, 1662-1751, précédés de l’édit de Nantes Librairie Fischbacher et Cie, 1885 (p. 55-138). ◄ Table sommaire et chronologique des Édits Édits et Déclarations etc. ► Édit de Nantes bookÉdits, déclarations et arrests concernans la religion protestante réformée, 1662-1751, précédés de l’édit de NantesLibrairie Fischbacher et Cie1885ParisMSÉdit de NantesEdits, déclarations et arrests concernans la religion protestante réformée, 1662-1751, précédés de l'édit de Nantes.djvuEdits, déclarations et arrests concernans la religion protestante réformée, 1662-1751, précédés de l'édit de Nantes.djvu/755-138 L’ÉDIT DE NANTES L’Édit de Nantes ÉDIT DU ROY SUR LA PACIFICATION DES TROUBLES de ce Royaume. Donné a Nantes au mois d’Avril 1598. Vérifie en Parlement le 25 Février 1599. Avec les Articles particuliers intervenus sur icelui, aussi vérifiez en Parlement. ENRY par la grâce de Dieu, Roy de France et de Navarre : À tous présens et à venir, Salut. Entre les grâces infinies qu’il a plû à Dieu nous départir, celle est bien des plus insignes et remarquables, de nous avoir donné la vertu et la force de ne céder aux effroyables troubles, confusions et désordres, qui se trouvèrent à notre avènement à ce Royaume qui étoit divisé en tant de parts et de factions, que la plus légitime en étoit quasi la moindre ; et de nous être néanmoins tellement roidis contre cette tourmente, que nous l’ayons enfin surmontée, et touchions maintenant le port de salut, et le repos de cet État. De quoi à lui seul en soit la gloire toute entière, et à nous la grâce et l’obligation qu’il se soit voulu servir de notre labeur pour parfaire ce bon œuvre. Auquel il a été visible à tous si nous avons porté ce qui était non seulement de notre devoir et pouvoir, mais quelque chose de plus qui n’eût peut-être pas été en autre temps bien convenable à la dignité que nous tenons, que nous n’avons plus eu crainte d’y exposer puisque nous y avons tant de fois et si librement exposé notre propre vie. Et en cette grande concurrence de si grandes et périlleuses affaires ne se pouvant toutes composer tout à la fois et en même temps, il nous a fallu tenir cet ordre d’entreprendre premièrement celles qui ne se pouvaient terminer que par la force et plutôt remettre et suspendre pour quelque temps les autres qui se devaient et pouvaient traiter par la raison et la justice. Comme les différends généraux d’entre nos bons Sujets et les maux particuliers des plus saines parties de l’État que nous estimions pouvoir bien plus aisément guérir, après en avoir ôté la cause principale qui était en la continuation de la guerre civile. En quoi nous étant (par la grâce de Dieu) bien et heureusement succédé, et les armes et hostilités étant du tout cessées en tout le dedans du Royaume. Nous espérons qu’il nous succédera aussi bien aux autres affaires qui restent à y composer et que, par ce moyen, nous parviendrons à l’établissement d’une bonne paix et tranquille repos qui a toujours été le but de tous nos vœux et intentions et le prix que nous désirons de tant de peines et travaux auxquels nous avons passé ce cours de notre âge. Entre les affaires auxquelles il a fallu donner patience et l’une des principales ont été les plaintes que nous avons reçues de plusieurs de nos Provinces et Villes Catholiques de ce que l’exercice de la Religion Catholique n’était pas universellement rétabli comme il est porté par les édits ci-devant faits pour la Pacification des troubles à l’occasion de la Religion. Comme aussi les supplications et remontrances qui nous ont été faites par nos Sujets de la Religion Prétendue Réformée, tant sur l’inexécution de ce qui leur est accordé par ces édits que sur ce qu’ils désireraient y être ajouté pour l’exercice de leurdite Religion, la liberté de leurs consciences, et la sûreté de leurs personnes et fortunes, présumant avoir juste sujet d’en avoir nouvelles et plus grandes appréhensions à cause de ces derniers troubles et mouvements dont le principal prétexte et fondement a été sur leur ruine. À quoi, pour ne nous charger de trop d’affaires tout à la fois, et aussi que la fureur des armes ne compatisse point à l’établissement des lois, pour bonnes qu’elles puissent être, nous avons toujours différé de temps en temps de pourvoir. Mais maintenant qu’il plaît à Dieu commencer à nous faire jouir de quelque meilleur repos, nous avons estimé ne le pouvoir mieux employer qu’à vaquer à ce qui peut concerner la gloire de son sainct Nom et service et à pourvoir qu’il puisse être adoré et prié par tous nos Sujets et s’il ne lui a plu permettre que ce soit pour encore en une même forme et Religion, que ce soit au moins d’une même intention et avec telle règle qu’il n’y ait point pour cela de trouble et de tumulte entre eux, et que nous et ce Royaume puissions toujours mériter et conserver le titre glorieux de Très-Chrétiens qui a été par tant de mérites et dès si longtemps acquis, et par même moyen ôter la cause du mal et troubles qui peut advenir sur le fait de la Religion qui est toujours le plus glissant et pénétrant de tous les autres. Pour cette occasion, ayant reconnu cette affaire de très grande importance et digne de très bonne considération, après avoir repris les cahiers des plaintes de nos sujets catholiques, ayant aussi permis à nos sujets de la Religion Prétendue Réformée de s’assembler par députés pour dresser les leurs, et mettre ensemble toutes leurs remontrances et, sur ce fait, conférer avec eux par diverses fois, et revu les Édits précédents, nous avons jugé nécessaire de donner maintenant sur le tout à tous nos Sujets une loi générale, claire, nette et absolue, par laquelle ils soient réglés sur tous les différends qui sont cy-devant sur ce survenus entre eux, et y pourront encore survenir cy-après, et dont les uns et les autres aient sujet de se contenter, selon que la qualité du temps le peut porter : n’étant pour nôtre regard entrez en cette délibération que pour le seul zèle que nous avons au service de Dieu et qu’il se puisse dorénavant faire et rendre par tous nos dits Sujets et établir entr’eux une bonne et perdurable paix. Sur quoi nous implorons et attendons de sa divine bonté la même protection et faveur qu’il a toujours visiblement départie à ce Royaume, depuis sa naissance et pendant tout ce long âge qu’il a atteint et qu’elle fasse la grâce à nos dits sujets de bien comprendre qu’en l’observation de cette notre ordonnance consiste, après ce qui est de leur devoir envers Dieu et envers nous, le principal fondement de leur union et concorde, tranquillité et repos, et du rétablissement de tout cet État en sa première splendeur, opulence et force. Comme de notre part nous promettons de la faire exactement observer sans souffrir qu’il y soit aucunement contrevenu. Pour ces causes, ayant avec l’avis des Princes de notre sang, autres Princes et Officiers de la Couronne et autres Grands et notables personnages de notre Conseil d’État étant près de nous, bien et diligemment pesé et considéré toute cette affaire : Avons, par cet Édit perpétuel et irrévocable, dit, déclaré et ordonné, disons, déclarons et ordonnons ce qui s'ensuit. Article Premier. Premièrement, Que la mémoire de toutes choses passées d’une part et d’autre, depuis le commencement du mois de Mars 1585 jusqu’à notre avènement à la Couronne et durant les autres troubles précédents, et à leur occasion, demeurera éteinte et assoupie, comme de chose non advenuë. Et ne sera loisible ni permis à nos Procureurs Généraux, ni autres personnes quelconques, publiques ni privées, en quelque temps, ni pour quelque occasion que ce soit, en faire mention, procès ou poursuite en aucunes Cours ou Juridictions que ce soit. II. Deffendons à tous nos Sujets, de quelque état et qualité qu’ils soient, d’en renouveler la mémoire, s’attaquer, ressentir, injurier, ni provoquer l’un l’autre par reproche de ce qui s’est passé, pour quelque cause et prétexte que ce soit, en disputer, contester, quereller ni s’outrager ou s’offenser de fait ou de parole : Mais se contenir et vivre paisiblement ensemble comme frères, amis et concitoyens, sur peine aux contrevenants d’être punis comme infracteurs de Paix et perturbateurs du repos public. III. Ordonnons que la Religion Catholique, Apostolique et Romaine sera remise et rétablie en tous les lieux et endroits de cetui nôtre Royaume et Païs de notre obéissance où l’exercice d’icelle a été intermis pour y être paisiblement et librement exercé sans aucun trouble ou empêchement. Deffendant très-expressément à toutes personnes, de quelque état, qualité ou condition qu’elles soient, sur les peines que dessus, de troubler, molester, ni inquiéter les Ecclésiastiques en la célébration du Divin Service, jouissance et perception des dîmes, fruits et revenus de leurs Bénéfices, et tous autres droits et devoirs qui leur appartiennent : et que tous ceux qui durant les troubles se sont emparez des Églises, maisons, biens et revenus appartenans ausdits Écclésiastiques, et qui les détiennent et occupent, leur en délaissent l’entière possession et paisible jouissance, en tels droits, libertez et sûretez qu’ils avoient auparavant qu’ils en fussent dessaisis. Défendant aussi très-expressément à ceux de ladite Religion Prétendue Réformée, de faire Prêches ni aucun exercice de ladite Religion es Églises, maisons et habitations desdits Écclésiastiques. IV. Sera au choix desdits Ecclésiastiques d’acheter les maisons et bâtimens construits aux places profanes sur eux occupées durant les troubles, ou contraindre les possesseurs desdits bâtimens d’acheter le fonds, le tout suivant l’estimation qui en sera faite par Experts, dont les parties conviendront : et à faute d’en convenir, leur en sera pourvu par les Juges des lieux : sauf ausdits possesseurs leur recours contre qui il appartiendra. Et où lesdits Ecclésiastiques contraindroient les possesseurs d’acheter le fonds, les deniers de l’estimation ne seront mis en leurs mains, ains demeureront lesdits possesseurs chargez, pour en faire profit à raison du denier vingt, jusqu’à ce qu’ils ayent été employez au profit de l’Église : ce qui se fera dans un an. Et où ledit tems passé l’acquéreur ne voudroit plus continuer ladite rente, il en sera déchargé en consignant les deniers entre les mains de personnes solvables, avec l’autorité de la Justice. Et pour les lieux sacrez, en sera donné avis par les Commissaires, qui seront ordonnez pour l’exécution du présent Édit, pour sur ce y être par nous pourvu. V. Ne pourront toutefois les fonds et places occupées pour les réparations et fortifications des Villes et lieux de nôtre Royaume, et les matériaux y employez, être vendiquez ni répétez par les Ecclésiastiques, ou autres personnes publiques ou privées, que lorsque lesdites réparations et fortifications seront démolies par nos Ordonnances. VI. Et pour ne laisser aucune occasion de troubles et différens entre nos Sujets ; Avons permis et permettons à ceux de ladite Religion Prétendue Réformée, vivre et demeurer par toutes les Villes et lieux de cetui nôtre Royaume et Pais de nôtre obéissance, sans être enquis, vexez, molestez, ni astrains à faire chose, pour le fait de la Religion, contre leur conscience, ne pour raison d’icelle être recherchez es maisons et lieux où ils voudront habiter, en se comportant au reste selon qu’il est contenu en nôtre présent Édit. VII. Nous avons aussi permis à tous Seigneurs, Gentilshommes, et autres personnes, tant regnicoles qu’autres, faisans profession de la Religion Prétendue Réformée, ayans en nôtre Royaume et Païs de nôtre obéissance Haute Justice, ou plein Fief de Haubert (comme en Normandie) soit en propriété ou usufruit, en tout, ou par moitié, ou pour la troisième partie, avoir en telles de leurs Maisons desdites Hautes Justices, ou Fiefs susdits, qu’ils seront tenus nommer devant nos Baillifs et Sénéchaux, chacun en son détroit, pour leur principal domicile, l’Exercice de ladite Religion, tant qu’ils y seront résidens, et en leur absence leurs Femmes, ou bien leur Famille, ou partie d’icelle. Et encore que le droit de Justice ou plein Fief de Haubert soit controversé, néanmoins l’Exercice de ladite Religion y pourra être fait, pourvu que les dessusdits soient en possession actuelle de ladite Haute Justice, encore que nôtre Procureur Général soit partie. Nous leur permettons aussi avoir ledit Exercice en leurs autres Maisons de Haute Justice, ou Fiefs susdits de Haubert, tant qu’ils y seront présens, et non autrement, le tout tant pour eux, leur famille, sujets, que autres qui y voudront aller. VIII. Es Maisons des Fiefs, où ceux de ladite Religion n’auront ladite Haute Justice, ou Fief de Haubert, ne pourront faire ledit Exercice que pour leur Famille tant seulement. N’entendons toutesfois s’il y survenoit d’autres personnes, jusques au nombre de trente, outre leur Famille, soit à l’occasion des Baptêmes, visites de leurs amis, ou autrement, qu’ils en puissent être recherchez : moyennant aussi que lesdites Maisons ne soient au dedans des Villes, Bourgs ou Villages appartenans aux Seigneurs Hauts Justiciers Catholiques autres que Nous, esquels lesdits Seigneurs Catholiques ont leurs Maisons. Auquel cas ceux de ladite Religion ne pourront dans lesdites Villes, Bourgs, ou Villages faire ledit Exercice, si ce n’est par permission et congé desdits Seigneurs Hauts Justiciers, et non autrement. IX. Nous permettons aussi à ceux de ladite Religion, faire et continuer l’Exercice d’icelle dans toutes les Villes et lieux de nôtre obéissance, où il étoit par eux établi et fait publiquement par plusieurs et diverses fois, en l’année 1596. et en l’année 1597. jusques à la fin du mois d’Août, nonobstant tous Arrêts et Jugemens à ce contraires. X. Pourra semblablement ledit Exercice être établi et rétabli en toutes les Villes et Places où il a été établi, ou dû être, par l’Édit de Pacification fait en l’année 1577. Articles particuliers, et Conférences de Nerac et Flex ; sans que ledit établissement puisse être empêché es lieux et Places du Domaine donnez par ledit Édit, Articles et Conférences, pour lieux de Bailliages, ou qui le seront cy-après, encore qu’ils ayent été depuis aliénez à personnes Catholiques, ou le seront à l’avenir. N’entendons toutesfois que ledit Exercice puisse être rétabli es lieux et Places dudit Domaine, qui ont été cy-devant possédez par ceux de ladite Religion Prétendue Réformée, esquels il auroit été mis en considération de leurs personnes, ou à cause du privilège des Fiefs, si lesdits Fiefs se trouvent à présent possédez par personnes de ladite Religion Catholique, Apostolique et Romaine. XI. Davantage, en chacun des anciens Bailliages, Sénéchaussées, et Gouvernemens tenans lieu de Bailliage, ressortissans nuëment et sans moyen és Cours de Parlement : Nous ordonnons qu’és Fauxbourgs d’une Ville, outre celles qui leur ont été accordées par ledit Édit, Articles particuliers et Conférences ; et où il n’y auroit des Villes, en un Bourg ou Village, l’Exercice de ladite Réligion Prétendue Réformée se pourra faire publiquement pour tous ceux qui y voudront aller, encore qu’esdits Bailliages, Sénéchaussées et Gouvernemens y ait plusieurs lieux où ledit Exercice soit à présent établi, fors et excepté pour ledit lieu de Bailliage nouvellement accordé par le présent Édit, les Villes esquelles il y a Archevêché et Évêché, sans toutefois que ceux de ladite Religion Prétendue Réformée soient pour cela privez de ne pouvoir demander et nommer pour ledit lieu dudit Exercice, les Bourgs et Villages proches desdites Villes ; excepté aussi les lieux et Seigneuries appartenans aux Ecclésiastiques, esquelles nous n’entendons que ledit second lieu de Bailliage puisse être établi, les en ayans, de grâce spéciale, exceptez et reservez. Voulons et entendons, sous le nom d’anciens Bailliages, parler de ceux qui étoient du tems du feu Roy Henry, nôtre très-honoré Seigneur et beau-père, tenus pour Bailliages, Sénéchaussées et Gouvernemens ressortissans sans moyen en nosdites Cours. XII. N’entendons par le présent Édit déroger aux Édits et Accords cy-devant faits pour la réduction d’aucuns Princes, Seigneurs, Gentilshommes et Villes Catholiques en nôtre obéissance, en ce qui concerne ladite Religion : Lesquels Édits et Accords seront entretenus et observez pour ce regard, selon qu’il sera porté par les instructions des Commissaires qui seront ordonnez pour l’exécution du présent Édit. XIII. . Défendons très-expressément à tous ceux de ladite Religion, faire aucun Exercice d’icelle ; tant pour le Ministère, Règlement, Discipline ou Instruction publique d’Enfans et autres, en cetui nôtre Royaume, et Païs de notre obéissance, en ce qui concerne la Religion, fors qu’es lieux permis et octroyez par le présent Édit. XVI. Comme aussi de faire aucun Exercice de ladite Religion en nôtre Cour et Suite, ni pareillement en nos Terres et Païs qui sont delà les Monts, ni aussi en nôtre Ville de Paris, ni à cinq lieuës de ladite Ville : toutefois ceux de ladite Religion demeurans ésdites Terres et Païs de delà les Monts, et en nôtredite Ville, et cinq lieues autour d’icelle ne pourront être recherchez en leurs Mai- sons, ni adstraints à faire chose pour le regard de leur Religion contre leur conscience, en se comportans au reste selon qu’il est contenu en nôtre présent Édit. XIV. Ne pourra aussi l’Exercice public de ladite Religion être fait aux Armées, sinon aux quartiers des Chefs qui en feront profession ; autres toutefois que celui où sera le logis de Nôtre Personne. XVI. Suivant l’Article II. de la Conférence de Nerac, Nous permettons à ceux de ladite Religion, de pouvoir bâtir des lieux pour l’Exercice d’icelle aux Villes et Places où il leur est accordé, et leur seront rendus ceux qu’ils ont cy-devant bâtis, ou le fonds d’iceux, en l’état qu’il est à présent : même es lieux où ledit Exercice ne leur est permis, sinon qu’ils eussent été convertis en autre nature d’édifices. Auquel cas leur seront baillez par les possesseurs desdits édifices, des lieux et places de même prix et valeur, qu’ils étoient avant qu’ils y eussent bâti, ou la juste estimation d’iceux, à dire d’Experts ; sauf ausdits propriétaires et possesseurs leur recours contre qui il appartiendra. XVII. Nous défendons à tous Prêcheurs, Lecteurs et autres, qui parlent en public, user d’aucunes paroles, discours et propos tendans à exciter le Peuple à sédition : ainsi leur avons enjoint et enjoignons de se contenir et comporter modestement, et de ne rien dire qui ne soit à l’instruction et édification des Auditeurs, et à maintenir le repos et tranquillité par nous établis en notredit Royaume, sur les peines portées par les précedens Édits. Enjoignans très-expressément à nos Procureurs Généraux et leurs Substituts d’informer d’office contre ceux qui y contreviendront, à peine d’en répondre en leurs propres et privez noms, et de privation de leurs Offices. XVIII. Défendons aussi à tous nos Sujets, de quelque qualité et condition qu’ils soient ; d’enlever par force ou induction, contre le gré de leurs parens, les enfans de ladite Religion pour les faire Baptiser ou Confirmer en l’Église Catholique, Apostolique et Romaine. Comme aussi mêmes défenses sont faites à ceux de ladite Religion Prétendue Réformée, le tout à peine d’être punis exemplairement. XIX. Ceux de ladite Religion Prétendue Réformée, ne seront aucunement adstraints, ni demeureront obligez pour raison des abjurations, promesses et sermens qu’ils ont cy-devant faits, ou cautions par eux baillées, concernant le fait de ladite Religion, et n’en pourront être molestez ni travaillez en quelque sorte que ce soit. XX. Seront tenus aussi garder et observer les Fêtes indictes en l’Eglise Catholique, Apostolique et Romaine, et ne pourront és jours d’icelles besogner, vendre ni étaller à Boutiques ouvertes, ni pareillement les Artisans travailler hors leurs Boutiques et en chambre et maisons fermées, esdits jours de Fêtes, et autres jours défendus, en aucun métier, dont le bruit puisse être entendu au dehors des passans, ou des voisins ; dont la recherche néanmoins ne pourra être faite que par les Officiers de la Justice. XXI. Ne pourront les Livres concernans ladite Religion Prétendue Réformée être imprimez et vendus publiquement qu’es Villes et lieux où l’Exercice public de ladite Religion est permis. Et pour les autres Livres, qui seront imprimez es autres Villes, seront vus et visitez, tant par nos Officiers que Théologiens, ainsi qu’il est porté par nos Ordonnances. Défendons très-expressément l’impression, publication et vente de tous Livres, Libelles et Écrits diffamatoires, sur les peines contenues en nos Ordonnances ; enjoignons à tous nos Juges et Officiers d’y tenir la main. XXII. Ordonnons qu’il ne sera fait différence ni distinction, pour le regard de ladite Religion, à recevoir les Écoliers pour être instruits es Universitez, Collèges et Écoles ; et les Malades et Pauvres es Hôpitaux, Maladeries et Aumônes publiques. XXIII. Ceux de ladite Religion Prétendue Réformée seront tenus garder les Loix de l’Église Catholique, Apostolique, Romaine, reçues en cetui nôtre Royaume, pour le fait des Mariages contractez, et à contracter, és dégrez de consanguinité et affinité. XXIV. Pareillement ceux de ladite Religion payeront les droits d’entrée, comme il est accoutumé, pour les Charges et Offices dont ils seront pourvus, sans être contrains d’assister à aucunes cérémonies contraires à leurdite Religion. Et étans appellez par serment, ne seront tenus d’en faire d’autre que de lever la main, jurer et promettre à Dieu qu’ils diront la vérité. Et ne seront aussi tenus de prendre dispense du serment par eux prêté en passant les Contracts et Obligations. XXV. Voulons et ordonnons, que tous ceux de ladite Religion Prétenduë Réformée, et autres qui ont suivi leur parti, de quelque qualité et condition qu’ils soient, soient tenus et contrains par toutes voies dues et raisonnables, et sous les peines contenues aux Édits sur ce fait, payer et acquitter les Dîmes aux Curez, et autres Ecclésiastiques, et à tous autres à qui elles appartiennent, selon l’usage et coutume des lieux. XXVI. Les exheredations ou privations, soit par disposition d’entre vifs, ou Testamentaires, faites seulement en haine, ou pour cause de Religion, n’auront lieu, tant pour le passé que pour l’avenir, entre nos Sujets. XXVII. Afin de réunir d’autant mieux les volontez de nos Sujets, comme est nôtre intention, et ôter toutes plaintes à l’avenir, Declarons tous ceux qui font ou feront profession de ladite Religion Prétendue Réformée, capables de tenir et exercer tous États, Dignitez, Offices et Charges publiques quelconques, Royales, Seigneuriales, ou des Villes de nôtredit Royaume, Pais, Terres, et Seigneuries de nôtre obéissance, nonobstant tous sermens à ce contraires, et d’être indifféremment admis et reçus en iceux. Et se contenteront nos Cours de Parlemens, et autres Juges, d’informer et enquérir sur la vie, mœurs, Religion et honnête conversation de ceux qui sont ou seront pourvus d’Offices, tant d’une Religion que d’autre, sans prendre d’eux autre serment que de bien et fidellement servir le Roy en l’exercice de leurs Charges, et garder les Ordonnances, comme il a été observé de tout tems. Advenant aussi vacation desdits États, Charges et Offices, pour le regard de ceux qui seront en notre disposition, il y sera par Nous pourvu indifféremment et sans distinction, de personnes capables, comme chose qui regarde l’union de nos Sujets. Entendons aussi que ceux de ladite Religion Prétenduë Réformée puissent être admis et reçus en tous Conseils, Délibérations, Assemblées et Fonctions qui dépendent des choses dessus dites, sans que pour raison de ladite Religion ils en puissent être rejettez, ou empêchez d’en jouir. XXVIII. Ordonnons pour l’Enterrement des morts de ceux de ladite Religion, pour toutes les Villes et lieux de ce Royaume, qu’il leur sera pourvu promptement en chacun lieu par nos Officiers et Magistrats, et par les Commissaires que Nous députerons à l’exécution de Nôtre présent Édit, d’une place la plus commode que faire se pourra. Et les Cimetières qu’ils avoient par cy-devant, et dont ils ont été privez à l’occasion des troubles, leur seront rendus, sinon qu’ils se trouvassent à présent occupez par édifices et bâtiments, de quelque qualité qu’ils soient : auquel cas leur en sera pourvu d’autres gratuitement. XXIX. Enjoignons très-expressement à nosdits Officiers de tenir la main, à ce qu’ausdits Enterrements il ne se commette aucun scandale : et seront tenus dans quinze jours après la réquisition qui en sera faite, pourvoir à ceux de ladite Religion de lieu commode pour lesdites sépultures, sans user de longueur et remise, à peine de cinq cens écus en leurs propres et privez noms. Sont aussi faites défenses, tant ausdits Officiers que tous autres, de rien exiger pour la conduite desdits corps morts, sur peine de concussion. XXX. Afin que la Justice soit rendue et administrée à nos Sujets sans aucune suspicion, haine, ou faveur, comme étant un des principaux moyens pour les maintenir en paix et concorde ; Avons ordonné et ordonnons, qu’en nôtre Cour de Parlement de Paris, sera établie une Chambre, composée d’un Président et seize Conseillers dudit Parlement, laquelle sera appeilée et intitulée, la Chambre de l’Edit, et connoîtra, non-seulement des Causes et Procez de ceux de ladite Religion Prétendue Réformée, qui seront dans l’étendue de ladite Cour, mais aussi des Ressorts de nos Pariemens de Normandie et Bretagne, selon la Jurisdiction qui lui sera cy-après attribuée par ce présent Édit, et ce jusques à tant qu’en chacun desdits Pariemens ait été établie une Chambre pour rendre la Justice sur les lieux. Ordonnons aussi que des quatre Offices de Conseillers en nostredit Parlement, restans de la dernière érection qui en a par Nous été faite, en seront présentement pourvus et reçus audit Parlement quatre de ceux de ladite Religion Prétenduë Réformée, suffisans et capables, qui seront distribuez ; à sçavoir, le premier reçu, en ladite Chambre de l’Édit, et les autres trois, à mesure qu’ils seront reçus, en trois des Chambres des Enquêtes : Et outre que des deux premiers Offices de Conseillers Laiz de ladite Cour, qui viendront à vaquer par mort, en seront aussi pourvûs deux de ladite Religion Prétendue Réformée, et iceux reçus, distribuez aussi aux deux autres Chambres des Enquêtes. XXXI. Outre la Chambre cy-devant établie à Castres pour le Ressort de notre Cour de Toulouse, laquelle sera continuée en l’état qu’elle est ; Nous avons, pour les mêmes considérations, ordonné et ordonnons, qu’en chacune de nos Cours de Parlemens de Grenoble et de Bordeaux, sera pareillement établie une Chambre, composée de deux Présidens, l’un Catholique, et l’autre de la Religion Prétenduë Réformée, et de douze Conseillers ; dont les six premiers seront Catholiques, et les autres six de ladite Religion : lesquels Président et Conseillers Catholiques seront par nous pris et choisis des Corps de nosdites Cours. Et quant à ceux de ladite Religion, serat fait création nouvelle d’un Président et six Conseillers pour le Parlement de Bordeaux, et d’un Président et trois Conseillers pour celui de Grenoble ; lesquels avec les trois Conseillers de ladite Religion, qui sont à présent audit Parlement, seront employez en ladite Chambre de Dauphiné. Et seront créez lesdits Offices de nouvelle création aux mêmes gages, honneurs, autoritez et prééminences que les autres desdites Cours. Et sera ladite séance de ladite Chambre de Bordeaux, audit Bordeaux, ou à Nérac, et celle de Dauphiné à Grenoble. Ladite chambre de Dauphiné connaîtra des causes de ceux de ladite religion prétendue réformée du ressort de notre parlement de Provence, sans qu’ils aient besoin de prendre lettres d’évocation ni autres provisions qu’en notre chancellerie de Dauphiné, comme aussi ceux de ladite religion de Normandie et Bretagne ne seront tenus prendre lettres d’évocation ni autres provisions qu’en notre chancellerie de Paris. Nos sujets de ladite religion du parlement de Bourgogne auront le choix et option de plaider en la chambre ordonnée au parlement de Paris ou en celle de Dauphiné. Et ne seront aussi tenus prendre lettres d’évocation ni autres provisions qu’esdites chancelleries de Paris ou Dauphiné, selon l’option qu’ils feront. Toutes lesdites chambres composées comme dit est connaîtront et jugeront en souveraineté et dernier ressort par arrêt privativement à tous autres des procès et différends mus et à mouvoir esquels de ladite religion prétendue réformée seront parties principales, ou garants, en demandant ou défendant en toutes matières, tant civiles que criminelles, soient lesdits procès par écrit ou appellations verbales, et ce si bon semble auxdites parties et l’une d’icelles le requiert, avant contestation en cause, pour le regard des procès à mouvoir ; excepté toutefois pour toutes matières bénéficiales et les possessoires des dîmes non inféodés, les patronats ecclésiastiques et les causes où il s’agira des droits et devoirs ou domaine de l’Église qui seront toutes traitées et jugées ès cours de parlement, sans que lesdites chambres de l’Édit en puissent connaître. Comme aussi nous voulons que pour juger et décider les procès criminels qui interviendront entre lesdits ecclésiastiques et ceux de ladite religion prétendue réformée, si l’ecclésiastique est défendeur, en ce cas la connaissance et jugement du procès criminel appartiendra à nos cours souveraines, privativement auxdites chambres, et [dans le cas] où l’ecclésiastique sera demandeur et celui de ladite religion défendeur, la connaissance et jugement du procès criminel appartiendra par appel et en dernier ressort auxdites chambres établies. Connaîtront aussi lesdites chambres, en temps de vacations, des matières attribuées par les édits et ordonnances aux chambres établies en temps de vacations, chacune en son ressort. Sera la chambre de Grenoble dès à présent unie et incorporée au corps de ladite cour de parlement et les présidents et conseillers de ladite religion prétendue réformée nommés présidents et conseillers de ladite cour, et tenus du rang et nombreux d’iceux. Et à ces fins seront premièrement distribués par les autres chambres, puis extraits et tirés d’icelles pour être employés et servir en celle que nous ordonnons de nouveau, à la charge toutefois qu’ils assisteront et auront voix et séance en toutes les délibérations qui se feront, les chambres assemblées, et jouiront des mêmes gages, autorités et prééminences que font les autres présidents et conseillers de ladite cour. Voulons et entendons que lesdites chambres de Castres et Bordeaux soient réunies et incorporées en iceux parlements en la même forme que les autres quand besoin sera, et que les causes qui nous ont mû d’en faire l’établissement cesseront et n’auront plus de lieu entre nos sujets, et seront à ces fins les présidents et conseillers d’icelles, de ladite religion, nommés et tenus pour présidents et conseillers desdites cours. Seront aussi créés et érigés de nouveau en la chambre ordonnée pour le parlement de Bordeaux deux substituts de nos procureurs et avocats généraux, dont celui du procureur sera catholique et l’autre de ladite religion, lesquels seront pourvus desdits offices aux gages compétents. Ne prendront tous lesdits substituts autre qualité que de substitut, et lorsque les chambres ordonnées pour les parlements de Toulouse et Bordeaux seront unies et incorporées auxdits parlements, seront lesdits substituts pourvus d’offices de conseillers en iceux. Les expéditions de la chancellerie de la chambre de Bordeaux se feront en présence de deux conseillers d’icelle chambre, dont l’un sera catholique et l’autre de ladite religion prétendue réformée, en l’absence d’un des maîtres des requêtes de notre hôtel ; et l’un des notaires et secrétaires de ladite cour de parlement de Bordeaux fera résidence au lieu où ladite chambre sera établie, ou bien un des secrétaires ordinaires de la chancellerie, pour signer les expéditions de ladite chancellerie. Voulons et ordonnons qu’en ladite chambre de Bordeaux il y ait deux commis du greffier dudit parlement, l’un au civil et l’autre au criminel, qui exerceront leurs charges par nos commissions et seront commis aux greffes civil et criminel et pourtant ne pourront être destitués ni révoqués par lesdits greffiers du parlement ; toutefois seront tenus rendre l’émolument desdits greffes auxdits greffiers ; lesquels commis seront salariés par lesdits greffiers selon qu’il sera avisé et arbitré par ladite chambre. Plus, y sera ordonné des huissiers catholiques qui seront pris en la cour ou d’ailleurs, selon notre bon plaisir, outre lesquels en sera de nouveau érigé deux de ladite religion et pourvus gratuitement, et seront tous les huissiers réglés par la chambre, tant en l’exercice et département de leurs charges qu’ès émoluments qu’ils devront prendre. Sera aussi expédiée commission d’un payeur des gages et receveur des amendes de ladite chambre pour en être pourvu tel qu’il nous plaira, si la chambre est établie ailleurs qu’en ladite ville ; et la commission ci-devant accordée au payeur des gages de la chambre de Castres sortira son plein et entier effet ; et sera jointe à ladite charge la commission de la recette des amendes de ladite chambre. Sera pourvu de bonnes et suffisantes assignations pour les gages des officiers des chambres ordonnées par cet Édit. Les présidents, conseillers et autres officiers catholiques desdites chambres seront continués le plus longuement que faire se pourra et comme nous verrons être à faire pour notre service et le bien de nos sujets et en licenciant les uns sera pourvu d’autres en leurs places avant leur pertement [départ] sans qu’ils puissent durant le temps de leur service se départir ni absenter desdites chambres sans le congé d’icelles qui sera jugé sur les causes de l’ordonnance. Seront lesdites chambres établies dedans six mois, pendant lesquels, si tant l’établissement demeure à être fait, les procès mus et à mouvoir où ceux de ladite religion seront parties, des ressorts de nos parlements de Paris, Rouen, Dijon et Rennes, seront évoqués en la chambre établie présentement à Paris en vertu de l’édit de l’an 1577, ou bien au Grand Conseil, au choix et option de ceux de ladite religion, s’ils le requièrent. Ceux qui seront du parlement de Bordeaux, en la chambre établie à Castres ou audit Grand Conseil, à leur choix, et ceux qui seront de Provence, au parlement de Grenoble. Et si lesdites Chambres ne sont établies dans trois mois après la présentation qui y aura été faite de notre présent Édit, celui de nos parlements qui en aura fait refus sera interdit de connaître et juger des causes de ceux de ladite religion. Les procès non encore jugés, pendants esdites cours de parlement et Grand Conseils, de la qualité susdite, seront renvoyés, en quelque état qu’ils soient, esdites chambres, chacun en son ressort, si l’une des parties de ladite religion le requiert, dedans quatre mois après l’établissement d’icelles, et quant à ceux qui seront discontinués et ne sont en état de juger, lesdits de la religion seront tenus faire déclaration à la première intimation et signification qui leur sera faite de la poursuite, et ledit temps passé, ne seront plus reçus à requérir lesdits renvois. Lesdites chambres de Grenoble et Bordeaux, comme aussi celle de Castres, garderont les formes et style des parlements au ressort desquels elles seront établies, et jugeront en nombre égal d’une et d’autre religion, si les parties ne consentent au contraire. Tous les juges auxquels l’adresse sera faite des exécutions des arrêts, commissions desdites chambres et lettres obtenues ès chancelleries d’icelles, ensemble tous huissiers et sergents seront tenus les mettre à exécution, et lesdits huissiers et sergents faire tous exploits par tout notre royaume, sans demander placet, visa ne pareatis, à peine de suspension de leurs états et des dépens, dommages et intérêts des parties, dont la connaissance appartiendra auxdites chambres. Ne seront accordées aucunes évocations des causes dont la connaissance est attribuée auxdites chambres, sinon ès cas des ordonnances dont le renvoi sera fait à la plus prochaine chambre établie suivant notre Édit ; et les partages des procès desdites chambres seront jugés en la plus prochaine, observant la proportion et forme desdites chambres dont les procès seront procédés ; excepté pour la Chambre de l’Édit en notre parlement de Paris où les procès partis seront départis en la même chambre, par les juges qui seront par nous nommés par nos lettres particulières pour cet effet, si mieux les parties n’aiment attendre le renouvellement de ladite chambre. Et advenant qu’un même procès soit parti en toutes les chambres mi-parties, le partage sera renvoyé à ladite chambre de Paris. Les récusations qui seront proposées contre les présidents et conseillers des chambres mi-parties pourront être jugées au nombre de six, auquel nombre les parties seront tenues de se restreindre, autrement sera passé outre, sans avoir égard auxdites récusations. L’examen des présidents et conseillers nouvellement érigés esdites chambres mi-parties sera fait en notre privé Conseils ou par lesdites chambres, chacune en son détroit, quand elles seront en nombre suffisant, et néanmoins le serment accoutumé sera par eux prêté dans les cours où lesdites chambres seront établies et, à leur refus, en notre dit Conseil privé excepté ceux de la chambre de Languedoc, lesquels prêteront le serment ès mains de notre chancelier ou en icelle chambre. Voulons et ordonnons que la réception de nos officiers de ladite religion soit jugée esdites chambres mi-parties par la pluralité des voix, comme il est accoutumé pour les autres jugements, sans qu’il soit besoin que les opinions surpassent des deux tiers suivant l’ordonnance, à laquelle pour ce regard est dérogé. Seront faites aux chambres mi-parties les propositions, délibérations et résolutions qui appartiendront au repos public et pour l’état particulier et police des villes où icelles chambres seront. L’article de la juridiction desdites chambres ordonnées par le présent Édit sera suivi et observé selon sa forme et teneur, même en ce qui concerne l’exécution, inexécution ou infraction de nos édits, quand ceux de ladite religion seront parties. Les officiers subalternes royaux ou autres dont la réception appartient à nos cours de parlement, s’ils sont de ladite religion prétendue réformée, pourront être examinés et reçus esdites chambres, à savoir ceux des ressorts des parlements de Paris, Normandie et Bretagne en la chambre de Paris ; ceux de Dauphiné et Provence en la chambre de Grenoble ; ceux de Bourgogne en ladite Chambre de Paris ou de Dauphiné à leur choix ; ceux du ressort de Toulouse en la chambre de Castres, et ceux du parlement de Bordeaux en la chambre de Guyenne, sans qu’autres se puissent opposer à leur réception et rendre parties, que nos procureurs généraux ou leurs substituts et les pourvus esdits offices. Et néanmoins le serment accoutumé sera par eux prêté ès cours de parlements, lesquelles ne pourront prendre aucune connaissance de leursdites réceptions, et au refus desdits parlements, lesdits officiers prêteront le serment esdites chambres, après lequel ainsi prêté, seront tenus présenter par un huissier ou notaire l’acte de leurs réceptions aux greffiers desdites cours de parlements et en laisser copie collationnée auxdits greffiers, auxquels est enjoint d’enregistrer lesdits actes, à peine de tous dépens, dommages et intérêts des parties. Et [au cas] où lesdits greffiers seront refusant de ce faire, suffira auxdits officiers de rapporter l’acte de ladite sommation expédié par lesdits huissiers ou notaires, et icelle faire enregistrer au greffe de leursdites juridictions pour y avoir recours quand besoin sera, à peine de nullité de leurs procédures et jugements. Et quant aux officiers dont la réception n’a accoutumé d’être faite en nosdits parlements en cas que ceux à qui elle appartient fissent refus de procéder audit examen et réception, se retireront lesdits officiers par devers lesdites chambres, pour leur être pourvu comme il appartiendra. Les officiers de ladite religion prétendue réformée qui seront pourvus ci-après pour servir dans les corps de nos cours de parlements, Grand Conseil, chambres des comptes, cours des aides, bureaux des trésoriers généraux de France et autres officiers des finances seront examinés et reçus ès lieux où ils ont accoutumé de l’être ; et en cas de refus ou déni de justice, leur sera pourvu en notre Conseil privé. Les réceptions de nos officiers faites en la chambre ci-devant établie à Castres demeureront valables, nonobstant tous arrêts et ordonnances à ce contraires. Seront aussi valables les réceptions des juges, conseillers, élus et autres officiers de ladite religion faites en notre privé Conseil ou par commissaires par nous ordonnés pour le refus de nos cours de parlements, des aides et chambres des comptes, tout ainsi que si elles étaient faites esdites cours et chambres et par les autres juges à qui la réception appartient ; et seront leurs gages alloués par les chambres des comptes sans difficulté ; et si aucuns ont été rayés, seront rétablis sans qu’il soit besoin d’autre jussion que le présent Édit et sans que lesdits officiers soient tenus de faire apparaître d’autre réception, nonobstant tous arrêts donnés au contraire, lesquels demeureront nuls et de nul effet. En attendant qu’il y ait moyen de subvenir aux frais de justice desdites chambres sur les deniers des amendes, sera par nous pourvu d’assignation valable et suffisante pour fournir auxdits frais, sauf d’en répéter [réclamer] les deniers sur les biens des condamnés. Les présidents et conseillers de ladite religion prétendue réformée ci-devant reçus en notre cour de parlement du Dauphiné et en la Chambre de l’Édit incorporée en icelle continueront et auront leurs séances et ordres d’icelles, à savoir, les présidents comme ils en ont joui et jouissent à présent, et les conseillers suivant les arrêts et provisions qu’ils en ont obtenus en notre Conseil privé. Déclarons toutes sentences, jugements, arrêts, saisies, ventes et décrets faits et donnés contre ceux de ladite religion prétendue réformée, tant vivants que morts, depuis le trépas du feu roi Henry second, notre très-honoré seigneur et beau-père, à l’occasion de ladite religion, tumultes et troubles depuis advenus, ensemble l’exécution d’iceux jugements et décrets, dès à présent cassés, révoqués et annulés, et iceux cassons, révoquons et annulons, ordonnant qu’ils seront rayés et ôtés des registres des greffes des cours, tant souveraines qu’inférieures. Comme nous voulons aussi être ôtées et effacées toutes marques, vestiges et monuments desdites exécutions, livres et actes diffamatoires contre leurs personnes, mémoire et postérité, et que les places esquelles été faites pour cette occasion démolitions ou rasements soient rendues en tel état qu’elles sont aux propriétaires d’icelles, pour en jouir et disposer à leur volonté. Et généralement avons cassé, révoqué et annulé toutes procédures et informations faites pour entreprises quelconques, prétendus crimes de lèse-majesté et autres ; nonobstant lesquelles procédures, arrêts et jugements contenant réunion, incorporation et confiscation, voulons que ceux de ladite religion et autres qui ont suivi leur parti ou leurs héritiers rentrent en la possession réelle et actuelle de tous et chacuns leurs biens. Toutes procédures faites, jugements et arrêts donnés durant les troubles contre ceux de ladite religion qui ont porté les armes ou se sont retirés hors de notre royaume ou dans icelui, ès villes et pays par eux tenus, en quelque autre matière que de la religion et troubles, ensemble toutes péremptions d’instances, prescriptions tant légales, conventionnelles que coutumières, et saisies féodales échues pendant lesdits troubles ou par empêchements légitimes provenus d’iceux et dont la connaissance demeurera à nos juges, seront estimées comme non faites, données ni advenues ; et telles les avons déclarées et déclarons et icelles mises et mettons à néant, sans que les parties s’en puissent aucunement aider, ains [mais] seront remises en l’état qu’elles étaient auparavant, nonobstant lesdits arrêts et l’exécution d’iceux, et leur sera rendue la possession en laquelle ils étaient pour ce regard. Ce que dessus aura pareillement lieu pour le regard des autres qui ont suivi le parti de ceux de ladite religion, ou qui ont été absents de notre royaume pour le fait des troubles. Et pour les enfants mineurs de ceux de la qualité susdite qui sont morts pendant les troubles, remettons les parties au même état qu’elles étaient auparavant sans refondre les dépens, ni être tenus de consigner les amendes. N’entendons toutefois que les jugements donnés par les juges présidiaux ou autres juges inférieurs contre ceux de ladite religion ou qui ont suivi leur parti, demeurent nuls, s’ils ont été donnés par juges siégeant ès villes par eux tenues et qui leur étaient de libre accès. Les arrêts donnés en nos cours de parlements, ès matières dont la connaissance appartient aux chambres ordonnées par l’édit de l’an 1577 et articles de Nérac et Fleix esquelles cours les parties n’ont procédé volontairement, c’est-à-dire ont allégué et proposé fins déclinatoires ou qui ont été donnés par défaut ou forclusion, tant en matière civile que criminelle, nonobstant lesquelles fins lesdites parties ont été contraintes de passer outre, seront pareillement nuls et de nulle valeur Et pour le regard des arrêts donnés contre ceux de ladite religion, qui ont procédé volontairement et sans avoir proposé fins déclinatoires, iceux arrêts demeureront et néanmoins sans préjudice de l’exécution d’iceux se pourront, si bon leur semble, pourvoir par requête civile devant les chambres ordonnées par le présent Édit, sans que le temps porté par les ordonnances ait couru à leur préjudice. Et jusqu’à ce que ces chambres et chancelleries d’icelles soient établies, les appellations verbales ou par écrit interjetées par ceux de ladite religion devant les juges, greffiers ou commis, exécuteurs des arrêts et jugements, auront pareil effet que si elles étaient relevées par lettres royaux. En toutes enquêtes qui se feront pour quelque cause que ce soit, ès matières civiles, si l’enquêteur ou commissaire est catholique, seront les parties tenues de convenir d’un adjoint et [au cas] où ils n’en conviendraient, en sera pris d’office par ledit enquêteur ou commissaire un qui sera de ladite religion prétendue réformée et sera la même chose pratiquée quand le commissaire ou enquêteur sera de ladite religion, pour l’adjoint qui sera catholique. Voulons et ordonnons que nos juges puissent connaître de la validité des testaments auxquels ceux de ladite religion auront intérêt, s’ils le requièrent ; et les appellations desdits jugements pourront être relevées auxdites chambres ordonnées pour les procès de ceux de ladite religion, nonobstant toutes coutumes à ce contraires, même celle de Bretagne. Pour obvier tous différends qui pourraient survenir entre nos cours de parlements et les chambres d’icelles cours ordonnées par notre présent Édit, sera par nous fait un bon et ample règlement entre lesdites cours et chambres, et tel que ceux de ladite religion prétendue réformée jouiront entièrement dudit Édit, lequel règlement sera vérifié en nos cours de parlements et gardé et observé, sans avoir égard aux précédents. Inhibons et défendons à toutes nos cours souveraines et autres de ce royaume de connaître et juger les procès civils et criminels de ceux de ladite religion, dont par notre Édit est attribuée la connaissance auxdites chambres, pourvu que le renvoi en soit demandé, comme il est dit au XLC article ci-dessus. Voulons aussi par manière de provision, et jusqu’à ce qu’en ayons autrement ordonné, qu’en tous procès mus ou à mouvoir où ceux de ladite religion seront en qualité de demandeurs ou défendeurs parties principales ou garants ès matières civiles esquelles nos officiers et sièges présidiaux ont pouvoir de juger en dernier ressort, leur soit permis de requérir que deux de la chambre où les procès se devront juger ; s’abstiennent du jugement d’iceux ; lesquels sans expression de cause seront tenus s’en abstenir, nonobstant l’ordonnance par laquelle les juges ne se peuvent tenir pour récusés sans cause, leur demeurant outre ce les récusations de droit contre les autres ; et ès esquelles matières criminelles aussi lesdits présidiaux et autres juges royaux subalternes jugent en dernier ressort, pourront les prévenus étant de ladite religion requérir que trois desdits juges s’abstiennent du jugement de leurs procès, sans expression de cause Et les prévôts des maréchaux de France, vibaillis, visénéchaux, lieutenants de robe Courte et autres officiers de semblable qualité jugeront suivant les ordonnances et règlements ci-devant donnés pour le regard des vagabonds ; et quant aux domiciliés, chargés et prévenus des cas prévôtaux, s’ils sont de ladite religion, pourront requérir que trois desdits juges qui en peuvent connaître s’abstiennent du jugement de leur procès et seront tenus s’en abstenir, sans aucune expression de cause, sauf si en la compagnie où lesdits procès se jugeront se trouvaient jusqu’au nombre de deux en matière civile et trois en matière criminelle de ladite religion, auquel cas ne sera permis de récuser sans expression de cause ; ce qui sera commun et réciproque aux catholiques en la forme que dessus, pour le regard desdites récusations de juges où ceux de ladite religion prétendue réformée seront en plus grand nombre. N’entendons toutefois que lesdits sièges présidiaux, prévôts des maréchaux, vibaillis, visénéchaux et autres qui jugent en dernier ressort prennent en vertu de ce que dit est connaissance des troubles passés. Et quant aux crimes et excès advenus par autre occasion que du fait des troubles, depuis le commencement du mois de mars de l’année 1585 jusqu’à la fin de l’année 1597, en cas qu’ils en prennent connaissance, voulons qu’il y puisse avoir appel de leurs jugements par devant les chambres ordonnées par le présent édit comme il se pratiquera en semblable pour les catholiques complices, et où ceux de ladite religion prétendue réformée seront parties. Voulons aussi et ordonnons que dorénavant, en toutes instructions autres qu’informations de procès criminels ès sénéchaussées de Toulouse, Carcassonne, Rouergue, Lauraguais, Béziers, Montpellier et Nîmes, le magistrat ou commissaire député pour ladite instruction, s’il est catholique, sera tenu prendre un adjoint qui soit de ladite religion prétendue réformée, dont les parties conviendront et [au cas] où ils n’en pourraient convenir, en sera pris d’office un de ladite religion par le susdit magistrat ou commissaire ; comme en semblable, si ledit magistrat ou commissaire est de ladite religion, il sera tenu, en la même forme susdite, prendre un adjoint catholique. Quand il sera question de faire procès criminel par les prévôts des maréchaux ou leurs lieutenants à quelqu’un de ladite religion domicilié qui sera chargé et accusé d’un crime prévôtal, lesdits prévôts ou leursdits lieutenants, s’ils sont catholiques, seront tenus d’appeler à l’instruction desdits procès un adjoint de ladite religion, lequel adjoint assistera aussi au jugement de la compétence et au jugement définitif dudit procès, laquelle compétence ne pourra être jugée qu’au plus prochain siège présidial, en assemblée, avec les principaux officiers dudit siège qui seront trouvés sur les lieux, à peine de nullité, sinon que les prévenus requissent que la compétence fût jugée esdites chambres ordonnées par le présent Édit ; auquel cas, pour le regard des domiciliés ès provinces de Guyenne, Languedoc, Provence et Dauphiné, les substituts de nos procureurs généraux esdites chambres feront, à la requête d’iceux domiciliés, apporter en icelles les charges et informations faites contre iceux pour connaître et juger si les causes sont prévôtables ou non, pour après selon la qualité des crimes être par icelles chambres renvoyés à l’ordinaire ou jugés prévôtablement, ainsi qu’ils Verront être à faire par raison, en observant le contenu en notre présent Édit et seront tenus les juges présidiaux, prévôts des maréchaux, vibaillis, visénéchaux et autres qui Jugent en dernier ressort de respectivement obéir et satisfaire aux commandements qui leur seront faits par lesdites chambres, tout ainsi qu’ils ont accoutumé de faire auxdits parlements, à peine de privation de leurs états. Les criées, affiches et subhastations des héritages dont on poursuit le décret seront faites ès lieux et heures accoutumées, si faire se peut, suivant nos ordonnances, ou bien ès marchés publics, si, au lieu où sont assis les héritages y a marché [au cas] où il n’y en aurait point, seront faites au plus prochain marché du ressort du siège où l’adjudication se doit faire, et seront les affiches mises au poteau dudit marché et à l’entrée de l’auditoire dudit lieu, et par ce moyen seront bonnes et valables lesdites criées et passé outre à l’interposition du décret, sans s’arrêter aux nullités qui pourraient être alléguées pour ce regard. Tous titres, papiers, enseignements et documents qui ont été pris seront rendus et restitués de part et d’autre à ceux à qui ils appartiennent, encore que lesdits papiers ou les châteaux et maisons esquels ils étaient gardés aient été pris et saisis, soit par spéciales commissions du feu roi dernier décédé, notre très-honoré seigneur et beau-frère, ou nôtres, ou par les mandements des gouverneurs et lieutenants généraux de nos provinces, ou de l’autorité des chefs de l’autre part, ou sous quelque autre prétexte que ce soit. Les enfants de ceux qui se sont retirés hors de notre royaume, depuis la mort du feu roi Henry deuxième, notre très-honoré seigneur et beau-père, pour cause de la religion et troubles, encore que lesdits enfants soient nés hors ledit royaume, seront tenus pour vrais François et régnicoles, et tels les avons déclarés et déclarons, sans qu’il leur soit besoin prendre lettres de naturalité ou autres provisions de nous que le présent Edit, nonobstant toutes lettres à ce contraires, auxquelles nous avons dérogé et dérogeons ; à la charge que lesdits enfants nés ès pays étrangers seront tenus, dans dix ans après la publication du présent Édit, de venir demeurer dans ce royaume. Ceux de ladite religion prétendue réformée et autres qui ont suivi leur parti, lesquels auraient pris à ferme avant les troubles aucuns greffes ou autre domaine, gabelle, imposition foraine et autres droits à nous appartenant dont ils n’ont pu jouir à cause d’iceux troubles, demeureront déchargés, comme nous les déchargeons de ce qu’ils n’auront reçu desdites fermes, ou qu’ils auront sans fraude payé ailleurs qu’ès recettes de nos finances, nonobstant toutes obligations sur ce par eux passées. Toutes places, villes et provinces de notre royaume, pays, terres et seigneuries de notre obéissance useront et jouiront des mêmes privilèges, immunités, libertés, franchises, foires, marchés, juridictions et sièges de justice qu’elles faisaient auparavant les troubles commencés, au mois de mars [l’an] 1585 et autres précédents, nonobstant toutes lettres à ce contraires et les translations d’aucuns desdits sièges, pourvu qu’elles aient été faites seulement à l’occasion des troubles, quels sièges seront remis et rétablis ès villes et lieux où ils étaient auparavant. S’il y a quelques prisonniers qui soient encore détenus par autorité de justice ou autrement, même ès galères, à l’occasion des troubles ou de ladite religion, seront élargis et mis en pleine liberté. Ceux de ladite religion ne pourront ci-après être surchargés et foulés d’aucunes charges ordinaires ou extraordinaires plus que les catholiques et selon la proportion de leurs biens et facultés et pourront les parties qui prétendront être surchargés se pourvoir par devant les juges auxquels la connaissance en appartient, et seront tous nos sujets, tant de la religion catholique que prétendue réformée, indifféremment déchargés de toutes charges qui ont été imposées de part et d’autre durant les troubles sur ceux qui étaient de contraire parti et non consentants, ensemble des dettes créées et non payées, frais faits sans le consentement d’iceux, sans toutefois pouvoir répéter [réclamer] les fruits qui auront été employés au paiement desdites charges. N’entendons aussi que ceux de ladite religion et autres qui ont suivi leur parti, ni les catholiques qui étaient demeurés ès villes et lieux par eux occupés et détenus, et qui leur ont contribué soient poursuivis pour le paiement des tailles, aides, octrois, crues, taillon, ustensiles, réparations et autres impositions et subsides échus et imposés durant les troubles advenus devant et jusqu’à notre avènement à la Couronne, soit par les édits, mandements des feu Rois nos prédécesseurs, ou par l’avis et délibération des gouverneurs et Etats des provinces, cours de parlement et autres, dont nous les avons déchargés et déchargeons, en défendant aux trésoriers généraux de France et de nos finances, receveurs généraux et particuliers, leurs commis entremetteurs et autres intendants et commissaires de nosdites finances, les rechercher, molester, ni inquiéter directement ou indirectement, en quelque sorte que ce soit. Demeureront tous, chefs, seigneurs, chevaliers, gentilshommes, officiers, corps de villes et communautés, et tous les autres qui les ont aidés et secourus, leurs veuves, hoirs et successeurs, quittes et déchargés de tous deniers qui ont été par eux et leurs ordonnances pris et levés, tant des deniers royaux, à quelque somme qu’ils se puissent monter, que des villes, communautés et particuliers, des rentes, revenus, argenterie, ventes de biens meubles ecclésiastiques et autres, bois de haute futaie soit du domaine ou autres, amendes, butins, rançons ou autre nature de deniers par eux pris à l’occasion des troubles commencés au mois de mars 1585 et autres troubles précédents jusqu’à notre avènement à la Couronne, sans qu’ils ni ceux qui auront été par eux commis à la levée desdits deniers et qui les ont baillés ou fournis par leurs ordonnances en puissent être aucunement recherchés à présent ni pour l’avenir ; et demeureront quittes, tant eux que leurs commis, de tout le maniement et administration desdits deniers, en rapportant pour toutes décharges dans quatre mois après la publication du présent Édit faite en notre cour de parlement de Paris, acquits dument expédiés des chefs de ceux de ladite religion ou de ceux qui auront été par eux commis à l’audition et clôture des comptes, ou des communautés des villes qui ont eu commandement et charge durant lesdits troubles. Demeureront pareillement quittes et déchargés de tous actes d’hostilité, levée et conduite de gens de guerre, fabrication et évaluation de monnaie, faite selon l’ordonnance desdits chefs, fonte et prise d’artillerie et munitions, confection de poudres et salpêtres, prises, fortifications, démantèlements et démolitions des villes, châteaux, bourgs et bourgades, entreprises sur icelles, brûlements et démolitions d’églises et maisons, établissement de justice, jugements et exécutions d’iceux, soit en matière civile ou criminelle, police et règlement faits entre eux, voyages et intelligences, négociations, traités et contrats faits avec tous princes et communautés étrangères et introduction desdits étrangers ès villes et autres endroits de notre royaume et généralement de tout ce qui a été fait, géré et négocié durant lesdits troubles depuis la mort du feu Roi Henry deuxième, notre très-honoré seigneur et beaupère, par ceux de ladite religion et autres qui ont suivi leur parti, encore qu’il dût être particulièrement exprimé et spécifié. Demeureront aussi déchargés ceux de ladite religion de toutes assemblées générales et provinciales par eux faites et tenues, tant à Mantes que depuis ailleurs jusqu’à présent, ensemble des conseils par eux établis et ordonnés par les provinces, délibérations, ordonnances et règlements faits auxdites assemblées et conseils, établissement et augmentations de garnisons, assemblées de gens de guerre, levées et prises de nos deniers, soit entre les mains des receveurs généraux ou particuliers, collecteurs des paroisses ou autrement, en quelque façon que ce soit, arrêts de seel, continuation ou érection nouvelle des traites et péages, et recettes d’iceux, même à Royan et sur les rivières de Charente, Garonne, du Rhône et Dordogne, armements et combats par mer, et tous accidents et excès advenus pour faire payer lesdites traites, péages et autres deniers, fortifications des villes, châteaux et places, impositions de deniers et corvées, recettes d’iceux deniers, destitution de nos receveurs et fermiers et autres officiers, établissement d’autres en leurs places et de toutes unions, dépêches et négociations faites tant dedans que dehors le royaume ; généralement de tout ce qui a été fait, délibéré, écrit et ordonné par lesdites assemblées et conseils, sans que ceux qui ont donné leurs avis, signé et exécuté, fait signer et exécuter lesdits ordonnances, règlements et délibérations en puissent être recherchés, ni leurs veuves, héritiers et successeurs, ores [aujourd’hui] ni à l’avenir, encore que les particularités ne soient ici à plein déclarées. Et sur le tout sera imposé silence perpétuel à nos procureurs généraux, leurs substituts et tous ceux qui pourraient y prétendre intérêt en quelque façon et manière que ce soit, nonobstant tous arrêts, sentences, jugements, informations et procédures faites au contraire. Approuvons en outre, validons et autorisons les comptes qui ont été ouïs, clos et examinés par les députés de ladite assemblée, voulons qu’iceux, ensemble les acquits et pièces qui ont été rendues par les comptables, soient portées en notre chambre des comptes de Paris, trois mois après la publication du présent Édit et mises ès mains de notre procureur général pour être délivrés au garde des livres et registres de notre dite chambre pour y avoir recours toutes fois et quante que besoin sera, sans que lesdits comptes puissent être revus, ni lesdits comptables tenus à aucune comparution ni correction, sinon en cas d’omission de recette ou faux acquits, imposant silence à notre dit procureur général pour le surplus que l’on voudrait dire être défectueux et les formalités n’avoir été bien gardées. Défendant aux gens de nos comptes, tant de Paris que des autres provinces où elles sont établies, d’en prendre aucune connaissance en quelque sorte ou manière que ce soit. Et pour le regard des comptes qui n’auront encore été rendus, voulons iceux être ouïs, clos et examinés par les commissaires qui a ce seront par nous députés, lesquels sans difficulté passeront et alloueront toutes les parties payées par lesdits comptables en vertu des ordonnances de ladite assemblée, ou autre ayant pouvoir. Demeureront tous collecteurs, receveurs, fermiers et tous autres bien et dûment déchargés de toutes les sommes de deniers qu’ils ont payées auxdits commis de ladite assemblée, de quelque nature qu’ils soient, jusqu’au dernier jour de ce mois. Voulons le tout être passé et alloué aux comptes qui s’en rendront en nos chambres des comptes purement et simplement en vertu des quittances qui seront ci-après rapportées et si aucunes étaient ci-après expédiées ou délivrées, elles demeureront nulles, et ceux qui les accepteront ou délivreront seront condamnés à l’amende de faux emploi. Et [au cas] où il y aurait quelques comptes déjà rendus, sur lesquels seraient intervenues aucunes radiations ou charges, pour ce regard avons icelles ôtées et levées, rétabli et rétablissons lesdites parties entièrement, en vertu, de ces présentes, sans qu’il soit besoin pour tout ce que dessus de lettres particulières ni autre chose que l’extrait du présent article. Les gouverneurs, capitaines, consuls et personnes commises au recouvrement des deniers pour payer les garnisons des places tenues par ceux de ladite religion auxquels nos receveurs et collecteurs des paroisses auraient fourni par prêt sur leurs cédules et obligations, soit par contrainte ou pour obéir aux commandements qui leur en ont été faits par les trésoriers généraux, les deniers nécessaires pour l’entretenement desdites garnisons jusqu’à la concurrence de ce qui était porté par l’état que nous avons fait expédier au commencement de l’an 1596 et augmentations depuis par nous accordées, seront tenus quittes et déchargés de ce qui a été payé pour l’effet susdit, encore que lesdites cédules et obligations n’en soit fait expresse mention, lesquelles leur seront rendues comme nulles. Et pour y satisfaire, les trésoriers et généraux en chacune généralité feront fournir par les receveurs particuliers de nos tailles leurs quittances auxdits collecteurs et par les receveurs généraux leurs quittances auxdits receveurs particuliers, pour la décharge desquels receveurs généraux seront les sommes dont ils auront tenu compte, ainsi que dit est, dossées [endossées] sur les mandements levés par le trésorier de l’Épargne, sous les noms des trésoriers généraux de l’extraordinaire de nos guerres, pour le paiement desdites garnisons ; et [au cas] où lesdits mandements ne monteront autant que porte notre dit état de l’année 1596 et augmentation, ordonnons que pour y suppléer seront expédiés nouveaux mandements de ce qui s’en défaudroit pour la décharge de nos comptables et restitution desdites promesses et obligations, en sorte qu’il n’en soit rien demandé à l’avenir à ceux qui les auront faites, et que toutes lettres de validations qui seront nécessaires pour la décharge des comptables seront expédiées en vertu du présent article. Aussi ceux de ladite religion se départiront et désisteront dès à présent de toutes pratiques, négociations et intelligences, tant dedans que dehors notre royaume et lesdites assemblées et conseils établis dans les provinces se sépareront promptement et seront toutes ligues et associations faites ou à faire sous quelque prétexte que ce soit, au préjudice de notre présent édit cassées et annulées comme nous les cassons et annulons. Défendant très expressément à tous nos sujets de faire dorénavant aucunes cotisations et levées de deniers sans notre permission, fortification, enrôlement d’hommes, congrégations et assemblées autres que celles qui leur sont permises par notre Édit, et sans armes, ce que nous prohibons et défendons, sur peine d’être punis rigoureusement, et comme contempteurs et infracteurs de nos mandements et ordonnances. Toutes prises qui ont été faites par mer durant les troubles en vertu des congés et aveux donnés et celles qui ont été faites par terre sur ceux de contraire parti et qui ont été jugées par les juges et commissaires de l’amirauté, ou par les chefs de ceux de ladite religion ou leur conseil, demeureront assoupies sous le bénéfice de notre présent Édit, sans qu’il en puisse être fait aucune poursuite, ni les capitaines et autres qui ont fait lesdites prises, leurs cautions et lesdits juges et officiers, leurs veuves et héritiers, recherchés ni molestés en quelque sorte que ce soit, nonobstant tous arrêts de notre Conseil privé et des parlements et toutes lettres de marques et saisies pendantes et non jugées, dont nous voulons leur être faite pleine et entière main-levée. Ne pourront semblablement être recherchés ceux de ladite religion des oppositions et empêchements qu’ils ont donnés par ci-devant, même depuis les troubles, à l’exécution des arrêts et jugements donnés pour le rétablissement de la religion catholique, apostolique et romaine en divers lieux de ce royaume. Et quant à ce qui a été fait ou pris durant les troubles, hors la voie d’hostilité ou par hostilité contre les règlements publics ou particuliers des chefs ou des communautés des provinces qui avaient commandement, en pourra être faite poursuite par la voie de justice. D’autant néanmoins que si ce qui a été fait contre les règlements d’une part et d’autre est indifféremment excepté et réservé de la générale abolition portée par notre présent Edit, et sujet à être recherché, il n’y a homme de guerre qui ne puisse être mis en peine, dont pourrait advenir renouvellement de troubles ; à cette cause, nous voulons et ordonnons que seulement les cas exécrables demeureront exceptés de ladite abolition, comme ravissements et forcements de femmes et filles, brûlements, meurtres et voleries faites par prodition et de guet-apens hors des voies d’hostilité et pour exercer vengeances particulières contre le devoir de la guerre, infractions de passeports et sauvegardes, avec meurtre et pillage sans commandement pour le regard de ceux de ladite religion et autres qui ont suivi leur parti des chefs qui ont eu autorité sur eux, fondé sur particulières occasions qui les ont mus à le commander et ordonner. Ordonnons aussi que punition sera faite des crimes et délits commis entre personnes de même parti si ce n’est en actes commandés par les chefs d’une part et d’autre, selon la nécessité, loi et ordre de la guerre. Et quant aux levées et exactions de deniers, port d’armes et autres exploits de guerre faits d’autorité privée et sans aveu, en sera faite poursuite par voie de justice. Dans les villes démantelées pendant les troubles, pourront les ruines et démantèlements d’icelles être par notre permission réédifiées et réparées par les habitants, à leurs frais et dépens, et les provisions octroyées ci-devant pour ce regard tiendront et auront lieu. Ordonnons, voulons et nous plaît que tous les seigneurs, chevaliers, gentilshommes et autres, de quelque qualité et condition qu’ils soient, de la religion prétendue réformée et autres qui ont suivi leur parti rentrent et soient effectuellement conservés en la jouissance de tous et chacuns leurs biens, droits, noms, raisons et actions, nonobstant les jugements ensuivis durant lesdits troubles et à raison d’iceux, lesquels arrêts, saisies, jugements et tout ce qui s’en serait ensuivi, nous avons à cette fin déclaré et déclarons nuls et de nul effet et valeur. Les acquisitions que ceux de ladite religion prétendue réformée et autres qui ont suivi leur parti auront faites par autorité d’autres que des feus Rois nos prédécesseurs, pour les immeubles appartenant à l’Église, n’auront aucun lieu ni effet ; ains [mais] ordonnons, voulons et nous plaît que lesdits ecclésiastiques rentrent incontinent et sans délai et soient conservés en la possession et jouissance réelle et actuelle desdits biens ainsi aliénés, sans être tenus de rendre le prix desdites ventes, et ce nonobstant lesdits contrats de vendition, lesquels à cet effet nous avons cassés et révoqués comme nuls, sans toutefois que lesdits acheteurs puissent avoir aucun recours contre les chefs par l’autorité desquels lesdits biens auront été vendus. Et néanmoins, pour les rembourser des deniers par eux véritablement et sans fraude déboursés, seront expédiées nos lettres patentes de permission à ceux de la dite religion, d’imposer et égaler sur eux les sommes à quoi se monteront lesdites ventes ; sans que Iceux acquéreurs puissent prétendre aucune action pour leurs dommages et intérêts à faute de jouissance, mais se contenteront du remboursement des deniers par eux fournis pour le prix desdites acquisitions, précomptant sur icelui les fruits par eux perçus, en cas que ladite vente se trouvât faite à vil et injuste prix. Et afin que tant nos justiciers, officiers qu’autres nos sujets soient clairement et avec toute certitude avertis de nos vouloir et intention et pour ôter toutes ambiguïtés et doutes qui pourraient être faits au moyen des précédents édits, pour la diversité d’iceux nous avons déclaré et déclarons tous autres précédents édits, articles secrets, lettres, déclarations, modifications, restrictions, interprétations, arrêts et registres, tant secrets qu’autres délibérations, cidevant par nous ou les Rois nos prédécesseurs faites à nos cours de parlements et ailleurs concernant le fait de ladite religion et des troubles advenus en notredit royaume, être de nul effet et valeur, auxquels et aux dérogatoires y contenues, nous avons par cettui Édit dérogé et dérogeons et dès à présent, comme pour lors les cassons, révoquons et annulons, déclarant par exprès que nous voulons que notre Édit soit ferme et inviolable, gardé et observé, tant par nosdits justiciers, officiers qu’autres sujets, sans s’arrêter ni avoir aucun égard à tout ce qui pourrait être contraire ou dérogeant à icelui. Et pour plus grande assurance de l’entretenement et observation que nous désirons d’icelui, voulons, ordonnons, et nous plaît que tous les gouverneurs et lieutenants généraux de nos provinces, baillis, sénéchaux et autres juges ordinaires des villes de notredit royaume, incontinent après la réception d’icelui Édit jurent de le faire garder et observer chacun en leur détroit, comme aussi les maires, échevins, capitouls, consuls et jurats des villes, annuels et perpétuels. Enjoignons aussi à nosdits baillis, sénéchaux ou leurs lieutenants et autres juges faire jurer aux principaux habitants desdites villes, tant d’une que d’autre religion, l’entretenement du présent Edit incontinent après la publication d’icelui. Mettant tous ceux desdites villes en notre protection et sauvegarde, et les uns à la garde des autres, les chargeant respectivement et par actes publics de répondre civilement des contraventions qui seront faites à notredit Édit dans lesdites par les habitants d’icelles, ou bien représenter et mettre ès mains de la justice lesdits contrevenants. Mandons à nos aimés et féaux les gens tenants nos cours de parlements, chambres des comptes et cours des aides, qu’incontinent après le présent édit reçu, ils aient, toutes choses cessantes et sur peine de nullité des actes qu’ils feraient autrement, à faire pareil serment que dessus et icelui notre Édit faire publier et enregistrer en nosdites cours selon la forme et teneur d’icelui, purement et simplement, sans user d’aucunes modifications, restrictions, déclarations ou registres secrets, ni attendre autre jussion, ni mandement de nous, et à nos procureurs généraux en requérir et pour suivre incontinent et sans délai cette publication. Si donnons en mandement esdits gens tenant nosdites cours de parlements, chambres de nos comptes, cours de nos aides, baillis, sénéchaux, prévôts et autres nos justiciers et officiers qu’il appartiendra et à leurs lieutenants, qu’ils fassent lire, publier et enregistrer cestui présent Édit et ordonnance en leurs cours et juridictions et icelui entretenir, garder et observer de point en point et du contenu en faire jouir et user pleinement et paisiblement tous ceux qu’il appartiendra cessant et faisant cesser tous troubles et empêchements au contraire ; car tel est notre plaisir. En témoin de quoi nous avons signé les présentes de notre propre main et à icelles afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, fait mettre et apposer notre scel. Donné à Nantes au mois d’avril, l’an de grace 1598, et de nôtre règne le neuvième. Signé : HENRY. Et au-dessous : Par le roi, étant dans son Conseil, FORGET. Et à côté : visa. Et scellé du grand scel de cire verte, sur lacs de soie rouge et verte. Lues, publiées et regîstrées, ouï et ce consentant le procureur général du Roi, en parlement à Paris le 25 février 1599. Signé : VOYSIN. Lu, publié et regîstré en la Chambre des Comptes, ouï et ce consentant le procureur général du Roi, le dernier jour de mars 1599. Signé : DE LA FONTAINE. Lu, publié et regîstré, ouï et ce consentant le procureur général du Roi, à Paris en la Cour des Aides, le 30 avril 1599. Signé : BERNARD. L’article sixième dudit Édit touchant la liberté de conscience et permission à tous les sujets de Sa Majesté de vivre et demeurer en ce royaume et pays de son obéissance aura lieu et sera observé selon sa forme et teneur, même pour les ministres, pédagogues que tous autres et généralement pour ceux qui sont ou seront de ladite religion, soient régnicoles ou autres, en se comportant au reste selon qu’il est porté par ledit Édit. Ne pourront être ceux de ladite religion contraints de contribuer aux réparations et constructions des églises, chapelles et presbytères, ni à l’achat des ornements sacerdotaux, luminaires, fontes de cloches, pain béni, droit de confréries, louage de maisons pour la demeure des prêtres et religieux et autres choses semblables, sinon qu’ils y fussent obligés par fondations, dotations, ou autres dispositions faites par eux ou leurs auteurs et prédécesseurs. Ne seront aussi contraints tendre et parer le devant de leurs maisons aux jours de fêtes ordonnés pour ce faire, mais seulement souffrir qu’il soit tendu et paré par l’autorité des officiers des lieux, sans que ceux de ladite religion contribuent aucune chose pour ce regard. Ne seront pareillement tenus ceux de ladite religion de recevoir exhortation lors ains qu’ils seront malades ou proches de la mort, soit par condamnation de justice ou autrement, d’autres que de la même religion et pourront être visités et consolés de leurs ministres sans y être troublés et quant à ceux qui seront condamnés par justice, les ministres les visitant en la prison y pourront faire les prières. Et hors ladite prison les assister et consoler sans faire prières en public. sinon en lieux où ledit exercice public leur est permis par ledit Édit. Sera loisible à ceux de ladite religion, de faire ledit exercice public d’icelle à Pimpoul (Paimpol) et pour Dieppe, au faubourg du Paulet et seront lesdits lieux de Pimpoul et du Paulet ordonnés pour lieux de bailliages. Quant à Sancerre, sera ledit exercice continué comme il est à présent, sauf à l’établir dans ladite ville, faisant apparaître par les habitants le consentement du seigneur du lieu à quoi leur sera pourvu par les commissaires que Sa Majesté députera pour l’exécution de l’Édit. Pourvoir aussi lesdits commissaires à ceux de la religion des villes de Chalons-sur-Marne, Vassy et Vitry-le-François en leur permettant ledit exercice dans lesdites villes ou faubourgs d’icelles pendant la guerre s’ils n’en peuvent jouir en sûreté ès lieux où ils le doivent avoir par ledit Édit. Sera aussi l’exercice libre et public rétabli dans la ville de Montagnac en Languedoc. Sur l’article faisant mention des bailliages, a été déclaré et accordé ce qui s’ensuit. Premièrement, pour l’établissement de l’exercice de ladite religion, pour les deux lieux accordés en chacun bailliage, sénéchaussée et gouvernement, ceux de ladite religion nommeront deux villes, ès faubourgs desquelles ledit exercice sera établi par les commissaires que Sa Majesté députera pour l’exécution de l’Edit. Et où il ne serait jugé à propos par eux, nommeront ceux de ladite religion deux ou trois bourgs ou villages proches de ces villes et pour chacunes d’elles dont les commissaires en choisiront l’un. Et si par hostilité, contagion ou autre légitime empêchement, il ne peut être continué dans ces lieux, leur en seront baillés d’autres pour le temps que durera l’empêchement. Secondement, qu’au gouvernement de Picardie, ne sera pourvu que de deux villes, aux faubourgs desquelles ceux de ladite religion pourront avoir l’exercice de celle-ci pour tous les bailliages, sénéchaussées et gouvernements qui en dépendent, et où il ne serait jugé à propos de l’établir dans les villes, leur seront baillés deux bourgs ou villages commodes. Tiercement, pour la grande étendue de la sénéchaussée de Provence et bailliage de Viennois, Sa Majesté accorde en chacun desdits bailliages et sénéchaussées un troisième lieu dont le choix et nomination se fera comme dessus pour y établir l’exercice de ladite religion, outre les autres lieux où il est déjà établi. Ce qui est accorde par ledit article pour l’exercice de ladite religion ès bailliages aura lieu pour les terres qui appartiennent à la feue reine belle-mère de Sa Majesté, et pour le bailliage de Beaujolais. Outre les deux lieux accordés pour l’exercice de ladite religion par les articles particuliers de l’an 1577 ès îles de Marennes et d’Oléron, leur en seront donnés deux autres à la commodité desdits habitants, savoir un pour toutes les îles de Marennes et un autre pour l’île d’Oléron. Les provisions octroyées par Sa Majesté pour l’exercice de ladite religion en la ville de Metz sortiront leur plein et entier effet. Sa Majesté veut et entend que l’art. XXVII de son Édit touchant l’admission de ceux de la religion prétendue réformée aux offices et dignités soit observé et entretenu selon sa forme et teneur, nonobstant les édits et accords ci-devant faits pour la réduction d’aucuns princes, seigneurs, gentilshommes et villes catholiques en son obéissance, lesquels n’auront lieu au préjudice de ceux de ladite religion qu’en ce qui regarde l’exercice d’icelle. Et sera ledit exercice réglé selon et ainsi qu’il est porté par les articles qui s’ensuivent, suivant lesquels seront dressées les instructions des commissaires que Sa Majesté députera pour l’exécution de son Édit, selon qu’il est porté par icelui. Suivant l’Édit fait par Sa Majesté pour la réduction du sieur duc de Guise, l’exercice de la religion prétendue réformée ne pourra être fait ni établi dans les villes et faubourgs de Rheims [Reims], Recroy [Rocroi], Saint-Pizié [Dizier], Guyse [Guise], Joinville, et Montcomet ès Ardennes. Ne pourra aussi être fait ès autres lieux ès environs desdites villes et places défendues par l’Édit de l’an 1577. Et pour ôter toute ambiguïté qui pourrait naître sur le mot « ès environs », déclare Sa Majesté avoir entendu parler des lieux qui sont dans la banlieue desdites villes, esquels lieux l’exercice de ladite religion ne pourra être établi, sinon qu’il y fût permis par l’Édit de 1577. Et d’autant que par icelui ledit exercice était permis généralement ès fiefs possédés par ceux de ladite religion sans que ladite banlieue en fût exceptée, déclare Sa Majesté que la même permission aura lieu, même ès fiefs qui seront dedans icelle tenus par ceux de ladite religion, ainsi qu’il est porté par son Édit donné à Nantes. Suivant aussi l’édit fait pour la réduction du sieur maréchal de La Châtre, en chacun des bailliages d’Orléans et Bourges ne sera ordonné qu’un lieu de bailliage pour l’exercice de ladite religion, lequel néanmoins pourra être continué ès lieux où il leur est permis de le continuer par l’édit de Nantes. La concession de prêcher ès fiefs, aura pareillement lieu dans lesdits bailliages en la forme portée par ledit édit de Nantes. Sera pareillement observé l’édit fait pour la réduction du sieur maréchal de Bois-Dauphin et ne pourra ledit exercice être fait ès villes, faubourgs et places amenées par lui au service de Sa Majesté, et quant à leurs environs ou banlieue, y sera l’édit de 1577 observé, même ès maisons de fief, ainsi qu’il est porté par l’édit de Nantes. Ne se fera aucun exercice de ladite religion ès villes, faubourgs et château de Morlaix, suivant l’édit fait sur la réduction de ladite ville et sera l’édit de 1577 observé au ressort de celle-ci, même pour les fiefs, selon l’édit de Nantes. En conséquence de l’édit pour la réduction de Quimper-Corentin, ne sera fait aucun exercice de ladite religion en tout l’évêché de Cornouaille. Suivant aussi l’édit fait pour la réduction de Beauvais, l’exercice de ladite religion ne pourra être fait en la ville de Beauvais ni trois lieues à la ronde. Pourra néanmoins être fait et établi au surplus de l’étendue du bailliage aux lieux permis par l’édit de 1577, même dans les maisons de fiefs ainsi qu’il est porté par l’édit de Nantes. Et d’autant que l’édit fait pour la réduction du feu sieur amiral de Villars n’est que provisionnel et jusqu’à ce que par le Roi en eût autrement été ordonné, Sa Majesté veut et entend que nonobstant celui-ci, son édit de Nantes ait lieu pour les villes et ressorts amenés à son obéissance par le sieur amiral comme pour les autres lieux de son royaume. En suite de l’édit pour la réduction du sieur duc de Joyeuse, l’exercice de ladite religion ne pourra être fait en la ville de Toulouse, faubourgs d’icelle et quatre lieues à la ronde, ni plus près que sont les villes de Villemur, Carman (Caraman) et l’Isle-en-Jourdan. Ne pourra aussi être remis dans les villes d’Allet (Alet), Firac (Fiac), Auriac, et Montesquieu à la charge toutefois que si auxdites villes aucuns de ladite religion faisaient instance d’avoir un lieu pour l’exercice d’icelle, leur sera baillé par les commissaires que Sa Majesté députera pour l’exécution de son édit ou par les officiers des lieux assignés pour chacune de ces villes lieu commode et de sûr accès qui ne sera éloigné de ces villes de plus d’une lieue. Pourra l’exercice être établi selon et ainsi qu’il est porté par ledit édit de Nantes au ressort de la cour de parlement de Toulouse, excepté toutefois ès bailliages, sénéchaussées et leurs ressorts dont le siège présidial a été ramené à l’obéissance du Roi par ledit sieur duc de Joyeuse, auxquels l’édit de 1577 aura lieu, entend toutefois Sadite Majesté que ledit exercice puisse être continué ès endroits desdits bailliages et sénéchaussées où il était du temps de ladite réduction et que la concession d’icelui exercice ès maisons de fiefs ait lieu dans iceux bailliages et sénéchaussées selon qu’il est porté par ledit édit de Nantes. L’édit fait pour la réduction de la ville de Dijon sera observé, et suivant icelui n’y aura autre exercice de religion que de la catholique, apostolique et romaine en ladite ville et faubourgs d’icelle ni quatre lieues à la ronde. Sera pareillement observé l’édit fait pour la réduction du sieur duc de Mayenne, suivant lequel ne pourra l’exercice de ladite religion prétendue réformée être fait ès villes de Châlons (Côte-d’Or), Seurre et Soissons (Aisne), bailliage dudit Châlons et deux lieues ès environs de Soissons durant le temps de six ans à commencer au mois de janvier, an 1596 ; passé lequel temps y sera l’édit de Nantes observé comme aux autres endroits de ce royaume. Sera permis à ceux de ladite religion, de quelque qualité qu’ils soient, d’habiter, aller et venir librement en la ville de Lyon et autres villes et places du gouvernement de Lyonnais, nonobstant toutes défenses faites au contraire par les syndics et échevins de la ville de Lyon et confirmées par Sa Majesté. Ne sera ordonné qu’un lieu de bailliage pour l’exercice de ladite religion en toute la sénéchaussée de Poitiers, outre ceux où il est à présent établi, et quant aux fiefs sera suivi l’édit de Nantes. Sera aussi l’exercice continué dans la ville de Chauvigny et ne pourra ledit exercice être rétabli dans les villes d’Agen et Périgueux, encore que par l’édit de 1577 il y pût être. N’y aura que deux lieux de bailliage pour l’exercice de ladite religion en tout le gouvernement de Picardie comme il a été dit ci-dessus, et ne pourront les deux lieux être donnés dans le ressort du bailliage et gouvernement réservés par les édits faits sur la réduction d’Amiens, Péronne, Abbeville. Pourra toutefois ledit exercice être fait ès maisons de fiefs par tout le gouvernement de Picardie selon et ainsi qu’il est porté par ledit édit de Nantes. Ne sera fait aucun exercice de ladite religion en la ville et faubourgs de Sens et ne sera ordonné qu’un lieu de bailliage pour ledit exercice en tout le ressort du bailliage, sans préjudice toutefois de la permission accordée pour les maisons de fiefs, laquelle aura lieu selon l’édit de Nantes. Ne pourra semblablement être fait l’exercice en la ville et faubourgs de Nantes et ne sera ordonné aucun lieu de bailliage pour ledit exercice à trois lieues à la ronde de ladite ville pourra toutefois être fait dans les maisons de fiefs, suivant icelui édit de Nantes. Veut et entend Sa Majesté que sondit édit de Nantes soit observé dès à présent en ce qui concerne l’exercice de ladite religion ès lieux où par les édits et accords faits pour la réduction d’aucuns princes, seigneurs, gentilshommes et villes catholiques il était inhibé, par provision tant seulement et jusqu’à ce qu’autrement fût ordonné. Et quant à ceux où ladite prohibition est limitée à certain temps, passé ledit temps, elle n’aura plus de lieu. Sera baillé à ceux de ladite religion un lieu pour la ville, prévôté et vicomté de Paris, à cinq lieues pour le plus de ladite ville, auquel ils pourront faire l’exercice public d’icelle. En tous les lieux où l’exercice de ladite religion se fera publiquement, on pourra assembler le peuple, même à son de cloche, et faire tous actes et fonctions appartenant tant à l’exercice de ladite religion qu’au règlement de la discipline comme tenir consistoires, colloques et synodes provinciaux et nationaux par la permission de Sa Majesté. Les ministres, anciens et diacres de ladite religion ne pourront être contraints de répondre en justice en qualité de témoins pour les choses qui auront été révélées en leurs consistoires lorsqu’il s’agit de censures, sinon que ce fût pour chose concernant la personne du Roi ou la conservation de son État. Sera loisible à ceux de ladite religion qui demeurent aux champs d’aller à l’exercice d’icelle ès villes et faubourgs et autres lieux où il sera publiquement établi. Ne pourront ceux de ladite religion tenir écoles publiques, sinon ès villes et lieux où l’exercice public d’icelle leur est permis, et les provisions qui leur ont été ci-devant accordées pour l’érection et entretenement des collèges seront vérifiées [au cas] où besoin sera et sortiront leur plein et entier effet. Sera loisible aux pères faisant profession de ladite religion de pourvoir leurs enfants de tels éducateurs que bon leur semblera et en substituer un ou plusieurs par testament, codicille ou autre déclaration passée par devant notaires, ou écrite et signée de leurs mains, demeurant les lois reçues en ce royaume, ordonnances et coutumes des lieux en leur force et vertu, pour les dations et provisions de tuteurs et curateurs. Pour le regard des mariages des prêtres et personnes religieuses qui ont été ci-devant contractés, Sadite Majesté ne veut ni entend, pour plusieurs bonnes considérations, qu’ils en soient recherchés ni molestés ; et sera sur ce imposé silence à ses procureurs généraux et autres officiers d’icelle. Déclare néanmoins Sa Majesté qu’elle entend que les enfants issus desdits mariages pourront succéder seulement ès meubles, acquêts et conquêts immeubles de leurs pères et mères, et au défaut desdits enfants, les parents plus proches et aptes à succéder, et les testaments, donations et autres dispositions faites ou à faire par personnes de ladite qualité, desdits biens meubles, acquêts et conquêts immeubles, sont déclarées bonnes et valables. Ne veut toutefois Sadite Majesté que les religieux et religieuses profés puissent venir à aucune succession directe ni collatérale ; mais seulement pourront prendre les biens qui leur ont été ou seront laissés par testament, donations, ou autres dispositions, excepté toutefois ceux desdites successions directes et collatérales, et quant à ceux qui auront fait profession avant l’âge porté par les ordonnances d’Orléans et Blois, sera suivie et observée en ce qui regarde lesdites successions, la teneur desdites ordonnances, chacune pour le temps qu’elles ont eu lieu. Sa Majesté ne veut aussi que ceux de ladite religion qui auront ci-devant contracté ou contracteront ci-après mariages au tiers et quart degré en puissent être molestés, ni la validité desdits contrats révoquée en doute, ni pareillement la succession ôtée ni querellée aux enfants nés ou à naître d’iceux, et quant aux mariages qui pourraient être contractés en second degré ou de second au tiers entre ceux de ladite religion, se retirant devers Sa Majesté ceux qui seront de ladite qualité et auront contracté mariage en tel degré, leur seront baillées telles provisions qui leur seront nécessaires afin qu’ils n’en soient recherchés ni molestés, ni la succession querellée ni débattue à leurs enfants. Pour juger de la validité des mariages faits et contractés par ceux de ladite religion et décider s’ils sont licites, si celui de ladite religion est défendeur, en ce cas le juge royal connaîtra du fait dudit mariage, et où il serait demandeur et le défendeur catholique, la connaissance en appartiendra à l’official et juges ecclésiastiques, et si les deux parties sont de ladite religion, la connaissance en appartiendra aux juges royaux, voulant Sadite Majesté que, pour le regard de ces mariages et différends qui surviendront pour iceux, les juges ecclésiastiques et royaux, ensemble les chambres établies par son Édit, en connaissent respectivement. Les donations et légats [legs] faits et à faire, soit par disposition de dernière volonté à cause de mort ou entre vifs pour l’entretenement des ministres, docteurs, écoliers et pauvres de ladite religion prétendue réformée et autres causes pies, seront valables et sortiront leur plein et entier effet, nonobstant tous jugements, arrêts et autres choses à ce contraires, sans préjudice toutefois des droits de Sa Majesté et d’autrui, en cas que lesdits légats et donations tombent en main morte ; et pourront toutes actions et poursuites nécessaires pour la jouissance desdits légats, causes pies et autres droits, tant en jugement que dehors, être faites par procureur sous le nom du corps et communauté de ceux de ladite religion qui y aura intérêt, et s’il se trouve qu’il ait été ci-devant disposé desdites donations et légats, autrement qu’il n’est porté par ledit article, ne s’en pourra prétendre aucune restitution que ce qui se trouvera en nature. Permet Sadite Majesté à ceux de ladite religion eux assembler par devant le juge royal et par son autorité égaler et lever sur eux telle somme de deniers qu’il sera arbitré être nécessaire pour être employés pour les frais de leurs synodes et entretenements de ceux qui ont charges pour l’exercice de leurdite religion, dont on baillera l’état audit juge royal pour icelui garder, la copie duquel état sera envoyée par ledit juge royal de six en six mois à Sadite Majesté ou à son chancelier, et seront les taxes et impositions desdits deniers exécutoires, nonobstant oppositions ou appellations quelconques. Les ministres de ladite religion seront exempts des gardes et rondes, et logis de gens de guerre et autres assiettes et cueillettes de tailles, ensemble des tutelles, curatelles et commissions pour la garde des biens saisis par autorité de justice. En cas que les officiers de Sa Majesté ne pourvoient de lieux commodes pour les sépultures de ceux de ladite religion dans le temps porté par l’Édit, après leur réquisition et qu’il soit usé de longueur et remise, pour ce regard, sera loisible à ceux de ladite religion d’enterrer les morts dans les cimetières des catholiques aux villes et lieux où ils sont en possession de le faire jusqu’à ce qui leur en soit pourvu. Quant aux enterrements de ceux de ladite religion faits par ci-devant aux cimetières des catholiques en quelque lieu ou ville que ce soit, n’entend Sa Majesté qu’il en soit fait aucune recherche, innovation et poursuite, et sera enjoint à ses officiers d’y tenir la main. Pour le regard de la ville de Paris, outre les deux cimetières que ceux de ladite religion y ont présentement, à savoir celui de la Trinité et celui de Saint-Germain, leur sera baillé un troisième lieu commode pour desdites sépultures aux faubourgs Saint-Honoré ou Saint-Denis. Les présidents et conseillers catholiques qui serviront en la chambre ordonnée au parlement de Paris seront choisis par Sa Majesté sur le tableau des officiers dudit parlement et y seront employés personnages équitables, paisibles et modérés. Les conseillers de ladite religion prétendue réformée qui serviront en la chambre assisteront si bon leur semble ès procès qui se videront par commissaires et y auront voix délibérative, sans qu’ils aient part aux deniers consignés, sinon lorsque par l’ordre et prérogative de leur réception ils y devront assister. Le plus ancien président des chambres mi-parties présidera en l’audience, et en son absence le second, et se fera la distribution des procès par les deux présidents conjointement ou alternativement, par mois ou par semaine. Advenant vacation des offices dont ceux de ladite religion sont ou seront pourvus auxdites chambres de l’Édit, y sera pourvu de personnes capables qui auront attestation du synode ou colloque dont ils seront qu’ils sont de ladite religion et gens de bien. L’abolition accordée à ceux de ladite religion prétendue réformée par le LXXIIIIe article dudit Édit aura lieu pour la prise de tous deniers royaux, soit par ruptures de coffres ou autrement, même pour le regard de ceux qui se levaient sur la rivière de Charente quoiqu’ils eussent été affectés et assignés à des particuliers. L’article 46 des articles secrets faits en l’année 1577 touchant la ville et archevêché d’Avignon et comté de Venise [Venaissin], ensemble le traité fait à Nîmes, seront observés, selon leur forme et teneur, et ne seront aucunes lettres de marque, en vertu desdits articles et traités, données que par lettres patentes du Roi scellées de son grand sceau. Pourront néanmoins ceux qui les voudront obtenir se pourvoir en vertu du présent article, et sans autre commission, par devant les juges royaux, lesquels informeront des contraventions, déni de justice et iniquité des jugements proposés par ceux qui désireront obtenir lesdites lettres et les enverront avec leur avis clos et scellé à Sa Majesté, pour en être ordonné comme elle verra être à faire par raison. Sa Majesté accorde et veut que maître Nicolas Grimoult soit rétabli et maintenu au titre et possession des offices de lieutenant général civil ancien et de lieutenant général criminel au bailliage d’Alençon, nonobstant la résignation par lui faite à maître Jean Marguerit, réception d’icelui et la provision obtenue par maître Guillaume Bernard de l’office de lieutenant général, civil et criminel au siège d’Exmes, et les arrêts donnés contre ledit Marguerit résignateur durant les troubles au Conseil privé, des années 1586, 1587 et 1588, par lesquels maître Nicolas Barbier est maintenu dans les droits et prérogatives de lieutenant général ancien audit bailliage et Bernard à l’office de lieutenant à Exmes, lesquels Sa Majesté a cassés et annulés, et tous autres à ce contraires. Et outre Sadite Majesté, pour certaines bonnes considérations, a accordé et ordonné que Grimoult remboursera dedans trois mois Barbier de la finance qu’il a fournie aux parties casuelles pour l’office de lieutenant général, civil et criminel en la vicomté d’Alençon et de cinquante écus pour les frais, commettant à cette fin le bailli du Perche ou son lieutenant à Mortagne. Et le remboursement fait, ou bien que Barbier soit refusant ou dilayant [retardent] de le recevoir. Sadite Majesté a défendu audit Barbier, comme aussi audit Bernard, après la signification du présent article, de plus s’ingérer en l’exercice desdits offices, à peine de crime de faux, et envoie icelui Grimoult en la jouissance d’iceux offices, et droits y appartenant, et en ce faisant les procès qui étaient pendants au Conseil privé de Sa Majesté entre lesdits Grimoult, Barbier et Bernard demeureront terminés et assoupis, défendant Sadite Majesté aux parlements et tous autres d’en prendre connaissance et auxdites parties d’en faire poursuite. En outre Sadite Majesté s’est chargée de rembourser ledit Bernard de mille écus fournis aux parties casuelles pour icelui office et de soixante écus pour le marc d’or et frais, ayant pour cet effet présentement ordonné bonne et suffisante assignation, le recouvrement de laquelle se fera à la diligence et frais dudit Grimoult. Sadite Majesté écrira à ses ambassadeurs de faire instance et poursuite pour tous ses sujets, même pour ceux de ladite religion prétendue réformée, à ce qu’ils ne soient recherchés en leurs consciences, ni sujets à l’Inquisition, allant, venant, séjournant, négociant et trafiquant par tous les pays étrangers, alliés et confédérés de cette Couronne, pourvu qu’ils n’offensent la police des pays où ils seront. Les excès advenus en la personne d’Armand Courtines dans la ville de Millau en l’an 1587 et de Jean Renes et Pierre Seigneuret, ensemble les procédures faites contre eux par les consuls dudit Millau, demeureront abolies et assoupies par le bénéfice de l’Édit sans qu’il soit loisible à leurs veuves et héritiers, ni aux procureurs généraux de Sa Majesté, leurs substituts ou autres personnes quelconques, d’en faire mention, recherche, ni poursuite ; nonobstant et sans avoir égard à l’arrêt donné en la chambre de Castres le dixième jour de mars dernier, lequel demeurera nul et sans effet, ensemble toutes informations et procédures faites de part et d’autre. Tous ceux de ladite religion prétendue réformée qui sont demeurés titulaires des bénéfices seront tenus les résigner dans les six mois à personnes catholiques et ceux qui ont promesse de pensions sur lesdits bénéfices en seront payés et le paiement desdites pensions contraints leur payer leurs arréages échus daurant les troubles. Toutes poursuites, procédures, sentences, jugements et arrêts donnés tant contre le feu sieur de La Noue que contre le sieur Odet de La Noue, son fils, depuis leurs détentions et prisons en Flandre advenues ès mois de mai 1580 et de novembre 1584 et pendant leur continuelle occupation au fait des guerres et service de Sa Majesté, demeureront cassés et annulés et tout ce qui est ensuivi en conséquence d’iceux, et seront lesdits de La Noue reçus en leurs défenses et remis en tel état qu’ils étaient auparavant lesdits jugements et arrêts, sans qu’ils soient tenus refonder les dépens, ni consigner les amendes, si aucunes iès avaient encourues, ni qu’on puisse alléguer contre eux aucune péremption d’instance ou prescription pendant le temps. Ne veut Sa Majesté qu’il soit fait aucune recherche de la perception des impositions qui ont été levées à Royan, en vertu du contrat fait avec le sieur de Candelay et autres faits en continuation d’iceux, validant et approuvant ledit contrat pour le temps qu’il a eu lieu en tout son contenu, jusqu’au dix-huitième jour de mai prochain. Fait par le Roi étant en son Conseil, à Nantes, le deuxième jour de mai mille cinq cent quatre-vingt dix-huit. Signé : HENRY. Et au-dessous : Par le Roi, étant dans son Conseil, FORGET. Et scellé du grand scel de cire verte, sur lacs de soie rouge et verte. Lu, publié et regîstré, ouï et ce consentant le procureur général du Roi, le 25 février 1599. Signé : VOYSIN. Lu, publié et regîstré en la Chambre des Comptes, ouï et ce consentant le procureur général du Roi, le dernier jour de mars 1599. Signé : DE LA FONTAINE. Lu, publié et regîstré à Paris en la Cour des Aides, le 30 avril 1599. Signé : BERNARD. H enry par la grâce de Dieu, Roy de France et de Navarre. À nos Amez et Féaux, les Gens tenans nôtre Cour de Parlement à Paris, Salut. Nous avons au mois d’Avril dernier, fait expédier nos lettres d’Édit pour rétablissement d’un bon ordre et repos entre nos Sujets Catholiques et ceux de ladite Religion Prétenduë Réformée. Et outre ce nous avons accordé ausdits de ladite Religion, certains Articles secrets et particuliers, que nous voulons avoir pareille force et vertu, et être observez et accomplis tout ainsi que nôtre Édit. À ces causes, nous voulons, vous mandons, et très-expressement commandons par ces Présentes, que lesdits Articles signez de nôtre main, cy-attachez sous le contre-scel de nôtre Chancellerie, vous faites registrer es registres de nôtredite Cour, et le contenu en iceux garder, entretenir, et observer de point en point tout de même que celui de nôtredit Edit : Cessans et faisant cesser tous troubles et empechemens au contraire. Car tel est nôtre plaisir. Donné à Nantes le deuxième jour du mois de Mai, l’an de grâce mil cinq cens soixante-huit. Et de nôtre règne le neuvième. Signé, Par le Roy, Forget. Et scellé sur simple quëue de cire jaune. |
Michelet - OC, Histoire de France, t. 3.djvu/189 | {{nr||SUITE DU RÈGNE DE PHILIPPE-LE-BEL|179}}et de la ruse, fait un aveu implicite de sa faiblesse ;
elle en appelle à la liberté. On a vu quelles paroles
hardies le roi se fit adresser et dans la fameuse ''supplique
''du pueble de France'', et dans le discours des
députés des États de 1308. Mais rien n’est plus remarquable
que les termes de l’ordonnance par laquelle
il confirme l’affranchissement des serfs du Valois,
accordé par son frère : « Attendu que toute créature
humaine qui est formée à l’image nostre Seigneur,
doie généralement estre franche par droit naturel, et en
aucuns pays de cette naturelle liberté ou franchise, par
le joug de la servitude qui tant est haineuse, soit si
effaciée et obscurcie que les hommes et les fames qui
habitent èz lieux et pays dessusditz, en leur vivant
sont réputés ainsi comme morts, et à la fin de leur
douloureuse et chétive vie, si estroitement liés et
démenés, que des biens que Dieu leur a presté en cest
siècle ils ne peuvent en leur darnière volonté disposer
ne ordener<ref>''Ord''., ann.{{lié}}1311.</ref>... »
Ces paroles devaient sonner mal aux oreilles féodales.
Elles semblaient un réquisitoire contre le servage,
contre la tyrannie des seigneurs. La plainte qui
jamais n’avait osé s’élever, pas même à voix basse,
voilà qu’elle éclatait et tombait d’en haut comme une
condamnation. Le roi étant venu à bout de tous ses
ennemis, avec l’aide des seigneurs, ne gardait plus de
ménagement pour ceux-ci. Le 13{{lié}}juin 1313, il leur
défendit de faire aucune monnaie jusqu’à ce qu’ils
eussent lettres du roi qui les y autorisassent.
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Swift - Le Conte du tonneau - tome 2 - Scheurleer 1732.djvu/43 | {{nr||{{Espacé|6px;font-size:150%;font-family:serif|{{sc|de l’esprit}}}}|21}}cette distinction, soutenant que toutes les
Nations, quelles qu’elles puissent être,
adorent ''la véritable Divinité'', parce qu’elles adressent toutes leur culte à quelque puissance invisible, qui a toute la
bonté, & tout le pouvoir nécessaire,
pour subvenir à leurs besoins ; Notion,
qui renferme en effet les plus glorieux
attributs de l’Etre suprême. Il y a d’autres Auteurs, qui nous enseignent, que
ces Idolatres adorent deux ''Principes'',
l’un ''comme source de tout bien'', l’autre
''comme origine de tout mal''. Et, certainement, voilà ce qui me paroit l’idée la plus
naturelle, que les hommes puissent concevoir des choses invisibles, par les simples lumieres de la nature. La maniere
dont les Indiens & les Habitans de l’Europe ont manié cette idée, & les differentes consequences qu’ils en ont voulu tirer les uns & les autres à leur avantage, c’est à mon avis un point, qui
mérite un examen très-serieux.
La principale distinction, qu’il y a
à faire là-dessus, selon mon petit jugement, consiste en ce que les prémiers
sont plus souvent portez à la devotion
''par leurs craintes'', que les autres, ''par leurs désirs'' ; & que le mauvais Principe
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Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance (1873-1874), tome 5.djvu/341 | {{nr||— 15 —|[ CUISSOT ]}}plus de petite lame de recouvrement entre eux et la genouillère, et que les parties postérieures sont complètes, bouclées par deux courroies à la partie antérieure (fig. 8<ref>Statue de Charles, duc de Bourbon, mort eu 1453, église de Souvigny.</ref>). Les armures dites ''maximiliennes'', fort prisées à cette époque, sont dans ce cas (voy. {{sc|Armure}}, pl. 5). Les cannelures de ces cuissots ne permettaient guère l’adjonction de ces pièces recouvrantes.
[[Fichier:05-341.png|350px|centré]]
Mais de la seconde moitié du {{s|xiv}} au milieu du {{s|xv|e|-}} on portait aussi des cuissots fabriqués comme les brigantines, c’est-à-dire composés de plaques d’acier intercalées entre une garniture de forte toile en double ou de peau et un parement de velours ou de grosse étoffe de soie. Ces sortes de cuissots étaient lacés ou bouclés latéralement, ou on les passait comme un caleçon. Ils avaient de la souplesse dans la largeur, ce que les cuissots d’acier fermés ne pouvaient posséder, et étaient plus commodes pour monter à cheval. Les hommes d’armes, vers le commencement du {{s|xv}}, en portaient aussi, faits de peau et recouverts longitudinalement de cannelures d’acier rivées au moyen de bossettes (fig. 9<ref>Manuscr. Biblioth. nation., ''Chron.'', Froissart (1440 environ) ; statue dans l’église abbatiale de Tewkesbury (voy. Stothard, the Monumental Effigies of Great Britain).</ref>).{{droite|{{sc|v}}. — 40}} |
Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/211 | 1893, 1898. Son rôle fut insignifiant à la Chambre. Il est mort en 1900.
{{g|'''LA GRANDE SORTIE'''}}
{{interligne}}
La grande sortie du lundi 3 avril, point de départ de la lutte sanglante devant aboutir à la prise de Paris et à l’impitoyable répression, fut-elle une faute politique ? Peut-on la considérer aussi comme une opération militaire téméraire et absurde ? L’opinion affirmative a prévalu. Elle mérite vérification. La déroute, qui fut le résultat de la marche sur Versailles, a certainement influencé les jugements. Mais à la guerre, le succès est souvent un accident. On ne saurait changer les faits, mais on peut, quarante ans écoulés, les hommes mêlés à l’action en grande partie disparus et les passions apaisées, apprécier plus justement les causes qui les ont amenés.
Pour les combats des 3 et 4 avril, il est facile de faire retomber la responsabilité de l’échec sur l’incapacité des généraux improvisés qui ont cherché, qui ont décidé la grande sortie, et qui l’ont conduite. Or, de l’examen attentif de la situation, il résulte que ces généraux d’insurrection ne furent pas si incapables qu’on l’a dit et n’étaient point libres d’agir autrement qu’ils l’ont fait. Il leur était difficile, après l’échec inattendu du dimanche 2 avril, de ne pas diriger les combattants parisiens sur Versailles, et le plus tôt qu’il serait possible. Ils n’étaient pris au dépourvu que pour la date immédiate, car ils avaient combiné habilement, et selon les meilleures données militaires, ce mouvement offensif, Il était susceptible de réussir. Deux faits cependant furent négligés, d’une importance décisive, capables, si l’on en eût tenu compte, de changer le résultat de la sortie. Ces deux facteurs ne peuvent servir à faire {{tiret|considé|rer}}
<references/> |
Bassompierre - Journal de ma vie, 3.djvu/191 |
{{ancre|sp187}}M<sup>r</sup> le cardinal de Richelieu quelques jours auparavant<ref>Le 29 avril.</ref> avoit esté mis au conseil estroit, quy me promit
en mesme temps amitié, et que La Vieville ne me
pourroit nuyre devant luy, comme aussy firent le garde
des sceaux, et monsieur le connestable. {{ancre|sp187b}}Mais ce dernier
eut toujours opinion qu’il<ref>''Il'', M. de la Vieuville.</ref> seroit assés puissant
pour me faire mettre a la Bastille, dont il m’avertit plusieurs
fois, et entre autres, au sortir du conseil, un
matin (juillet) que La Vieville avoit fort insisté vers le
roy pour me faire arrester, disant qu'il avoit une
lettre d’un nommé Le Doux mestre des requestes,
qu’il montra, dans laquelle il luy mandoit que dans
les papiers de Lopes il avoit trouvé qu’un certain
Espagnol nommé Guadamiciles m'avoit fourny quarante
mille francs, et estoit vray qu’il avoit trouvé
dans son livre de rayson ces mots : ''Al s<sup>r</sup> m<sup>al</sup> de Bassompierre por guadamiciles, 40000 M<sup>s</sup>''<ref>Au seigneur maréchal de Bassompierre, pour cuirs dorés, 40,000 maravédis. ― ''Guadamicil'' ou ''guadamacil'', cuir bosselé et gravé.</ref>, quy estoit
deux cens escus pour des tapisseries de cuir doré,
ainsy nommées en espagnol. Tous conclurent qu’il
falloit sçavoir quy estoit ce Guadamiciles, le faire
prendre, et en suitte moy sy c'estoit un banquier
<ref follow=p190>la frontiere de Lorraine et d’Allemaigne sous la charge de M<sup>r</sup> le duc d’Angoulesme, et y eut pour mareschal de camp Marillac, quy y firent l’un et l’autre bien leurs affaires et firent entretenir ladite armée un fort long temps par les divers avis qu’ils envoyerent de temps en temps donner au roy des forces ennemies quy estoint prestes d’entrer en France, bien qu’il n’y en eut pas seulement l’apparence.
<div align="right">(''Addition de l’auteur''.)</div></ref>
<references/> |
Michelet - OC, Histoire de France, t. 3.djvu/188 |
{{ancre+|MichHF3 App125aT|L’hypocrisie de ce gouvernement n’est en rien plus
remarquable que dans les affaires des monnaies.}} Il est
curieux de suivre d’année en année les mensonges, les
tergiversations du royal faux monnayeur<ref>[[Histoire de France (Jules Michelet)/édition 1893/Tome 3 - Appendice#MichHF3 App125a|''App''.{{lié}}125]].</ref>. {{ancre+|MichHF3 App125bT|En 1295}},
il avertit le peuple qu’il va faire une monnaie « où il
manquera peut-être quelque chose pour le titre ou le
poids, mais qu’il dédommagera ceux qui en prendront ;
sa chère épouse, la reine Jeanne de Navarre, veut bien
qu’on y affecte les revenus de la Normandie. » {{ancre+|MichHF3 App125cT|En 1305}},
il fait crier par les rues à son de trompe que sa nouvelle
monnaie est aussi bonne que celle de saint Louis.
Il avait ordonné plusieurs fois aux monnayeurs de
tenir secrètes les falsifications. Plus tard, il fait
entendre que ses monnaies ont été altérées par d’autres,
{{ancre+|MichHF3 App125dT|et ordonne de détruire les fours}} où l’''on avait fait de la
''fausse monnaie''. {{ancre+|MichHF3 App125eT|En 1310 et 1311, craignant la comparaison
des monnaies étrangères, il en défend l’importation.}}
{{ancre+|MichHF3 App125fT|En 1311, il défend de peser ou d’essayer les
monnaies royales.}}
Nul doute qu’en tout ceci le roi ne fût convaincu de
son droit, qu’il ne considérât comme un attribut de sa
toute-puissance d’augmenter à volonté la valeur des
monnaies. Le comique, c’est de voir cette toute-puissance,
cette divinité, obligée de ruser avec la méfiance
du peuple ; la religion naissante de la royauté a déjà
ses incrédules.
Enfin la royauté elle-même semble douter de soi.
Cette fière puissance, ayant été au bout de la violence
<references/> |
Seu - Miroir, cause de malheur, et autres contes coréens, 1934.pdf/128 | {{nr|124|MIROIR, CAUSE DE MALHEUR|}}et tu seras chez toi avant qu’aucun paysan ne se
soit réveillé. »
Après un dîner copieux les deux amis se préparèrent
à se coucher.
— « Je partage avec toi ma couchette ! » fit
l’hôte tout en invitant Lieu-Jin à y prendre place.
Mais celui-ci ayant ôté seulement ses guêtres et
chaussettes, s’installa, tout habillé, dans la couchette,
et cela, malgré le conseil de son ami qui
lui demandait de se déshabiller.
— « Non ! c’est pour ne pas perdre, demain
matin, du temps, répondit Lieu-Jin. Je n’aurai
qu’à mettre, en me réveillant, mes chaussettes et
guêtres pour partir. Bonsoir ! » fit-il tout en s’allongeant
sous la couverture. Puis il ajouta :
— « Tiens ! ami, je ne te réveillerai pas demain
matin. Je te dis donc, d’avance, bonjour, merci
et au revoir, pour demain ! »
Sachant l’entêtement de Lieu-Jin, sans insister
davantage, 1’hôte s’étendit à côté de son ami, sous
la même couverture. Bientôt les deux amis ronflèrent
brusquement, plongés dans un profond
sommeil.
Le lendemain matin, au premier chant des coqs,
Lieu-Jin se réveilla en sursaut. De la couchette,
sans en sortir, il mit en toute hâte ses chaussettes
et guêtres. Puis, sans déranger le dormeur, il
sortit de la chambre, sauta sur l’âne et se mit
en route. En arrivant chez lui, il constata, avec
quelque surprise, que ses pieds étaient nus et
que ses chaussettes et guêtres avaient disparu. Il
resta longtemps perplexe devant cette mystérieuse
disparition. Mais le mystère s’éclaircit quand, un
jour, son ami venu reprendre son âne lui dit :
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Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/L’Auteur aux adeptes du dessin | Giorgio Vasari Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant). DORBON-AINÉ, 1903 (1, p. 2-4). ◄ Notes du Traducteur Andrea Tafi ► L’Auteur aux adeptes du dessin bookLes vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectesGiorgio VasariWeiss, Charles (18...-19...; commandant)DORBON-AINÉ1903ParisC1L’Auteur aux adeptes du dessinLes vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvuLes vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/92-4 Aux Adeptes des Arts du Dessin, Giorgio VASARI Artistes excellents, mes très chers Compagnons. I l a toujours été si grand, le plaisir joint au profit et à l’honneur que j’ai retiré du fait de m’être livré, autant que j’ai pu le faire, à cet art si noble, que non seulement j’ai ressenti un ardent désir de l’exalter, de le célébrer et de l’honorer de toutes les manières qu’il m’a été possible ; mais qu’encore j’ai conçu une extrême affection pour tous ceux qui ont pris, dans cet art, le même plaisir, et qui ont su l’exercer avec plus de bonheur peut-être que je n’ai pu le faire. Aussi, de cette bonne volonté et de cette très sincère affection, il me paraît avoir récolté jusqu’à présent les fruits correspondants, car j’ai toujours été aimé et honoré de vous tous, et il a toujours régné entre nous je ne sais si je dois dire une incroyable familiarité et fraternité. À titre de réciprocité, je vous montrais mes œuvres, et vous me montriez les vôtres, nous aidant l’un et l’autre de conseils et d’appuis, suivant que les occasions le demandaient. Aussi, à cause de votre amablité, et bien plus pour votre excellent talent, non moins encore par suite de mon attachement pour vous, d’une inclination naturelle et d’un choix impérieux, je me suis toujours cru être absolument obligé de vous aider et de vous servir de toutes les manières et dans toutes les choses que j’ai pensé pouvoir vous procurer de l’agrément ou de l’utilité. C’est donc dans ce but que je publiai, l’an 1550, les vies de nos meilleurs et plus fameux artistes, incité par une occasion que j’ai exposée autre part, et aussi, pour dire la vérité, par une généreuse indignation que tant de talent ait été pendant si longtemps et restât encore ignoré. Je ne crois pas que mon travail ait été entièrement inutile ; au contraire, il demeure acquis, outre ce qu’on m’en a dit et écrit, de différents endroits, que du grand nombre d’exemplaires qu’on en a alors tiré, on ne trouve plus un volume chez les libraires. Entendant donc chaque jour les demandes faites par quantité d’amis et ne connaissant pas moins le secret désir de beaucoup d’autres, je me suis de nouveau remis au même travail (bien qu’étant occupé à d’importantes entreprises), avec le dessein non seulement d’ajouter ceux qui, ayant passé à une meilleure vie depuis cette époque jusqu’à maintenant, me donnent l’occasion d’écrire tout au long leur vie, mais encore de suppléer à tout ce qui manquait de perfection dans mon œuvre première. J’étais d’ailleurs en mesure de mieux comprendre beaucoup de choses et de revoir beaucoup d’autres, tant à cause de la faveur des illustres seigneurs que je sers, qui sont les véritables soutiens et protecteurs de toutes les vertus, que de la commodité qu’ils m’ont donnée d’explorer de nouveau toute l’Italie, de voir et d’entendre quantité de choses qui, primitivement, n’étaient pas parvenues à ma connaissance. J’ai donc pu aussi bien corriger qu’augmenter tant de passages, que plusieurs vies peuvent êtres dites avoir été pour ainsi dire refaites à nouveau ; d’autres, même parmi les artistes anciens, qui n’existaient pas, ont été ajoutées. Je n’ai reculé devant aucune fatigue, outre une grande dépense et de grands ennuis, pour raviver davantage la mémoire de ceux que j’honore tant, pour retrouver leurs portraits et les mettre en tête de leurs vies. Pour satisfaire davantage de nombreux amis que je compte hors des arts, mais qui sont très affectionnés aux arts, j’ai réuni, dans un abrégé, la plus grande partie des œuvres de ceux qui sont encore vivants, et qui sont dignes d’être toujours renommés à cause de leurs talents. La considération, en effet, qui me retint dans le temps, si l’on y réfléchit bien, n’a plus de raison d’être, puisque je me propose de ne parler que d’œuvres excellentes et dignes de louange. Cela pourra peut-être servir d’aiguillon et pousser chacun à travailler excellemment pour amener ses œuvres toujours du bien au mieux. De plus, celui qui écrira la suite de cette histoire pourra le faire avec plus de grandeur et de majesté, ayant ainsi l’occasion de décrire ces œuvres plus rares et plus parfaites qu’il verra dans la suite des temps sortir de vos mains, ayant été commencées dans un désir d’éternité, et terminées grâce à l’étude de ces divins génies. Les jeunes ensuite, qui vous suivront et vous étudieront, désireux de gloire (si l’appât du gain n’a pas autant de force), s’enflammeront peut-être et chercheront, à votre exemple, à devenir excellents. Pour que cet ouvrage soit parfait en tout, et qu’on n’ait rien à chercher ailleurs, j’y ai ajouté une grande partie des œuvres des plus célèbres maîtres de l’antiquité, tant Grecs que d’autres nations, dont la mémoire a été conservée jusqu’à nos jours par Pline et d’autres écrivains ; si elles n’avaient pas été décrites par eux, elles seraient, comme quantité d’autres, ensevelies dans un éternel oubli. Cette considération pourra peut-être également nous encourager à travailler vaillamment ; en voyant la grandeur et la noblesse de notre art, combien il a toujours été estimé et récompensé chez toutes les nations, et particulièrement par les plus nobles esprits et les souverains les plus puissants, nous serons incités et tous enflammés d’ardeur à laisser le monde orné d’œuvres aussi riches en nombre que rares en excellence. Ainsi embelli par nous, il nous mettra au rang où ont toujours été tenus par lui ces merveilleux génies si renommés. Acceptez donc avec bon vouloir ces travaux, quels qu’ils soient, que j’ai conduit avec amour à leur fin, pour glorifier l’art et honorer les artistes ; considérez-les comme un indice ou une parcelle de mon esprit qui ne désire nulle autre chose que votre grandeur et votre renommée, auxquelles il me semblera toujours participer en une certaine manière, puisque je suis toujours reçu par vous dans votre compagnie, ce dont je vous remercie et me félicite, quant à moi, infiniment. Préface de l’édition de 1568 Tous ces portraits ont été supprimés, comme n’offrant pas une authenticité suffisante. |
Le Conte du tonneau/Tome 1/00.4 | Jonathan Swift Le Conte du tonneau (1704) Henri Scheurleer, 1732 (Tome premier, p. 29-51). ◄ Epitre Dedicatoire I. SECT. Introduction au Conte du Tonneau. ► Preface. Occasion & Dessein de cet Ouvrage. bookLe Conte du tonneau (1704)Jonathan SwiftHenri Scheurleer1732La HayeTTome premierPreface. Occasion & Dessein de cet Ouvrage.Swift - Le Conte du tonneau - tome 1 - Scheurleer 1732.djvuSwift - Le Conte du tonneau - tome 1 - Scheurleer 1732.djvu/1029-51 L ES Beaux-Esprits de notre Age étant fort remarquables, par leur nombre & par leur pénétration, ils commencent à causer des frayeurs mortelles aux Mattadors de l’Etat, & de l’Eglise. Ces hommes vénérables tremblent à la seule idée que leurs spirituels ennemis pourroient bien emploïer le loisir d’une longue paix à faire des breches dans les endroits foibles de la Religion & de la Politique. Après avoir médité long-tems sur les moïens de prévenir ces desseins dangereux, d’émousser les curieuses recherches de ces ennemis publics, & de les détourner d’une matiere si delicate, ils se sont arrêtez unanimement à un projet dont l’exécution coûtera beaucoup de temps & de peines. Le danger cependant s’augmente d’heure en heure ; & il y a tout à craindre des nouvelles recrues de beaux esprits, tous équipez d’encre, de papier, & de plumes, & prêts à paroitre en bataille, au premier ordre, avec leurs armes offensives, dans la vaste Campagne des Brochures. Par consequent, ce n’est pas sans raison qu’on a jugé absolument necessaire de se servir de quelque promt expédient, en attendant que la grande entreprise, dont je viens de parler, soit en état d’être executée. Il y a quelques jours, que dans un grand Committé où l’on déliberoit sur ce sujet, un homme d’un esprit très-subtil remarqua que c’est une coutume parmi les gens de Mer, quand ils rencontrent une Baleine, de lui jetter un Tonneau vuide, pour l’amuser & pour la détourner d’attaquer le vaisseau même. On se mit d’abord à interpreter cette Parabole. Par la Baleine, on entendit le Leviathan de Hobbes, qui se plait à secouer & à ballotter tous les Systèmes de Religion, dont il y a plusieurs qui sont secs, creux, sujèts à corruption, & qui font d’autant plus de bruit, qu’ils sont vuides. C’est de ce Leviathan, qu’on dit que nos redoutables genies empruntent la plupart de leurs armes pernicieuses. Le Vaisseau passa, comme il est naturel, pour le type de la Societé civile. La grande difficulté fut de donner un sens juste au Tonneau ; mais, après un long débat, il fut resolu de le conserver dans le sens literal ; &, pour empêcher nos Leviathans d’aujourd’hui de balotter la Societé humaine, qui d’elle même n’est que trop sujette à voguer sans rames & sans voiles, on décréta, qu’il falloit les amuser par un Conte du Tonneau. On me fit l’honneur de m’en donner la commission comme ayant, pour m’en acquitter, des dispositions passablement heureuses. C’est dans cette vuë, que je donne au Public le Traité suivant, qui pourra servir, par interim, de jouet à notre bande quiéte de Beaux-Esprits, en attendant qu’on mette la derniere main à notre grand Ouvrage, sur lequel il est bon de donner ici en passant quelques lumieres au Lecteur benevole. Notre intention est d’ériger un grand College, capable de contenir neuf mille sept cens & quarante quatre personnes ; ce qui, par un calcul modeste, monte à peu près au nombre courant des Beaux-Génies de notre Ile. Ils doivent être partagez dans differentes classes, selon leur different tour d’esprit. L’entrepreneur lui-même en doit donner au premier jour un plan exact, auquel je renvoïe le Lecteur curieux ; me contenant de lui donner ici une foible idée d’un petit nombre des classes principales. Telles sont : une grande Classe Pederastique dirigée par des maîtres de langue François & Italiens ; la Classe pour apprendre à épeller, vaisseau d’une étenduë prodigieuse ; la Classe des Lunettes ; la Classe des Juremens ; la Classe de la Critique ; la Classe de la Salivation ; la Classe de la Science d’aller à cheval sur un Baton ; la Classe de la Poesie ; la Classe de l’Art de foeter le Sabot ; la Classe de l’Hypocondre ; la Classe du Jeu ; & un grand nombre d’autres, dont la liste pourroit devenir ennuieuse. Personne ne sera admis comme membre de ce College, sans apporter un Certificat de Bel-Esprit, signé par deux personnes capables d’en juger, & à ce commises. Il est temps de finir cette parenthese, pour revenir au but principal de ma Préface. Je puis dire sans vanité, qu’une Préface est une piece d’esprit dont je connois fort bien le point de perfection : plût au ciel, que j’eusse assez d’habileté pour y arriver. Trois fois j’ai mis mon imagination à la gêne, pour en faire une, dont le tour fut de mon invention ; & trois fois mes efforts ont été infructueux. Je ne m’en étonne point : mon genie a été mis à sec par le Traité même que je publie ici. Il n’en est pas ainsi de mes féconds Confreres les Modernes, qui ne se laissent jamais échapper une Preface, ou une Epitre Dedicatoire, sans la distinguer par quelque trait propre à étonner le Lecteur à l’entrée de l’Ouvrage, & à exciter en lui une impatience merveilleuse pour ce qui va suivre. Tel étoit ce coup de maître d’un Poëte fort ingenieux, qui, pour ne rien dire de commun, se compare lui-même au Boureau, & son Mecenas au Criminel. Voilà ce qui s’appelle insigne, recens, indictum ore alieno. Rare & sublime effort d’une imaginative, Qui ne le cede en rien à personne qui vive. Dans mon Cours de Prefaces que j’ai fait, cours aussi noble qu’utile, j’ai remarqué plusieurs traits de la même force. Je ne ferai pas l’affront aux Auteurs de tirer ces traits de leur place, afin de les insérer ici : je sai trop, que rien n’est plus delicat, & moins capable de soufrir le transport, qu’un bon-mot à la moderne. Il y a des choses qui sont infiniment spirituelles aujourd’hui, ou à jeun, ou dans un tel lieu, ou à huit heures, ou entre la poire & le fromage, ou dites par Monsieur un tel, ou dans une matinée d’Eté ; qui sont aneanties, par le moindre changement de situation, ou d’application. C’est ainsi que l’esprit a ses promenades limitées, dont il ne sauroit s’éloigner de l’épaisseur d’un cheveu, sans courir risque de se perdre absolument. Nos Modernes ont trouvé l’art de fixer ce Mercure, en l’attachant aux tems, aux lieux, & aux personnes. Il y a tel trait d’esprit, qui ne sauroit sortir dans son entier de la place de Covent-garden : il y en a tel, qui n’est intilligible que dans un coin de Hide-park J’avouë que je suis quelquefois touché d’une douleur sincere, en songeant que tant de passages assaisonnez par la mode, auxquels je vais donner l’effort dans mon Ouvrage, seront hors de vogue, au premier changement de décorations. Je suis pourtant trop sincere, pour ne pas approuver ce gout de notre âge : je voudrois bien savoir pourquoi nous nous mettrions en frais, pour fournir d’esprit les siécles futurs ; puisque les précédens n’ont pas songé à faire de pareilles provisions pour nous. Du moins, c’est-là mon sentiment, parce que c’est celui de nos Critiques les plus modernes, & par consequent les plus orthodoxes. L’envie cependant que j’ai, que toutes les personnes accomplies, qui ont acquis une part dans le gout qui doit avoir cours dans le present mois d’Août 1697., puissent pénétrer jusqu’au fond du sublime, qui regne dans tout mon Ouvrage, m’oblige d’établir ici en leur faveur la maxime generale que voici. Tout Lecteur, qui souhaite d’entrer comme il faut dans les pensées d’un Auteur, ne sauroit mieux faire, que de se placer dans la situation ou se trouvoit l’Auteur lui-même à mesure que chaque passage important couloit de sa plume. Rien n’est plus propre que cette methode à lier l’Auteur & le Lecteur par une correspondance exacte d’idées. Pour faciliter au public cette methode si delicate, autant que les bornes d’une Préface le peuvent permettre. Je lui dira d’abord, que les Pieces les plus rafinées de mon Traité ont été mises au monde dans un lit placé dans un Galetas. Il faura encore que, pour des raisons que je trouve bon de garder par devers moi, j’ai jugé à propos d’éguiser souvent mon genie par la faim ; & que tout l’Ouvrage a été commencé, continué, & fini pendant un long Cours de Medecine, & une grande disette d’argent. Il faut, par consequent, que le Lecteur benevole, s’il veut pénétrer dans un grand nombre de mes plus brillantes pensées, s’en rende l’entrée facile, en s’y preparant duëment selon les instructions que je viens de lui donner, C’est-là mon principal Postulatum, Comme je fais profession de m’accommoder en tout au gout des Modernes, j’ai grand’peur qu’on ne me reproche d’avoir poussé ma Préface si loin, sans déclamer, selon la coutume, contre cette multitude d’Ecrivains, de laquelle toute la multitude des Ecrivains se plaint avec tant de raison. Je viens justement de parcourir une centaine de Préfaces, qui, dès l’entrée, adressent au public leur justes plaintes sur un desordre si criant. J’en ai retenu un petit nombre d’exemples, que je vai exposer aux yeux du Lecteur avec toute l’exactitude, que ma memoire me voudra permettre. Une de ces Préface commence ainsi : Se mettre dans l’esprit d’être Auteur, dans un temps où la Presse fourmille, &c. Une autre, La taxe qu’on a mise sur le papier ne diminue pas le nombre des petits Ecrivains qui infectent, &c. Une autre, Quand chaque Garçon Bel-Esprit prend la plume en main, il est ridicule d’entrer dans le Catalogue, &c. Une autre, Lorsqu’on remarque quelle Friperie accable à présent la Presse, &c. Une autre, Monsieur, C’est uniquement pour obéir à vos ordres, que je me fais imprimer. A moins d’une raison de cette force, qui voudroit se mettre au niveau de cette Populace de petits Auteurs, &c. J’avouë que l’objection, qu’une coutume si bien établie fournit contre moi, est forte. On me permettra pourtant d’y répondre en deux mots. Premierement, je suis fort éloigné de croire, que le nombre des Auteurs soit préjudiciable à notre Nation ; & je crois avoir vigoureusement plaidé pour le contraire dans plusieurs endroits de mon Ouvrage. En second lieu, je ne comprens pas trop bien le procédé qu’on veut me donner pour modelle. J’ai observé qu’un bon nombre de ces Préfaces polies sont de la même main, & quelles sont composées justement par ceux-là, qui accablent le public par les productions les plus volumineuses. Le Lecteur ne trouvera pas mauvais, j’espere, que je lui debite là-dessus un petit Conte. Un Charlatan, s’étant posté dans la Place nommée Leicester-fields, avoit attiré autour de lui une Assemblée des plus nombreuses. Un de ceux qui la compofoient étoit un gros drolle, qui étoit presque étouffé par la presse. Il s’écrioit à tout moment, Bon Dieu ! quelle chienne de canaille s’est attroupée ici ? Eh, je vous prie, bonnes gens, faites un peu de place. Quel Diable peut avoir mis ensemble cette populace abominable ? Au Diable soient les marauts, qui me pressent de cette force ? Homme de bien, au nom du Seigneur, ôtez de-là votre coude. Un Tisseran, qui se trouvoit tout près de cet animal plaintif, n’étant à la fin plus maître de son indignation, & le regardant de travers : Que la peste vous crêve, dit-il. Bœuf engraissé que vous étes. Dites-nous, au nom du Diable qui d’entre nous tous contribue autant à la presse que vous ? Ne voyez-vous pas que votre chienne de Figure prend plus de place que cinq autres ? La place n’est-elle pas autant à nous qu’à votre bédaine ? Mettez vos diables d’intestins dans une espace raisonnable, & il y aura place pour nous tous. En voilà bien assez sur ce sujet. Il me reste encor à avertir mes Lecteurs, qu’il y a certains privileges communs à tous les Ecrivains, dont je me flatte qu’on me laissera jouïr en repos. Une de ces prerogatives veut que dans les endroits, où l’on ne m’entendra pas, on supposera qu’il y a quelque chose de profond & d’utile, caché sous ces tenèbres : une autre, que tout ce qu’on verra en lettres italiques sera censé contenir quelque chose d’extraordinaire, ou dans le genre fleuri, ou dans le genre sublime. Pour ce qui regarde la Liberté que j’ai cru pouvoir prendre quelque fois de me louer moi-même, il n’est pas necessaire de l’excuser ; puisque cette pratique est fondée sur l’autorité suffisante d’un grand nombre d’illustres exemples. Je dois remarquer, qu’anciennement l’Eloge étoit une Pension, qu’on recevoit de la main du public ; mais, les Modernes, voïant qu’il y avoit trop de peine à la recueillir, ont depuis peu pris sagement le parti d’acheter le Fief tout entier. Depuis ce tems, ils en possedent le domaine à pur & à plein, & ils jouissent du revenu, comme ils le trouvent à propos. C’est pour cette raison, que quand un Auteur fait son propre Panegyrique, il se sert d’une espece de formulaire, par lequel il declare le droit qu’il a d’en user ainsi, & qui consiste d’ordinaire dans ces paroles, je parle sans vanité. Ce qui marque clairement, qu’il se croit autorisé par quelque autre titre que l’amour-propre. Comme la repetition de ce formulaire pourroit être ennuieuse à la fin, j’avertis ici une fois pour toutes, que dans toutes les occasions où je rends justice à mes propres talens, ledit formulaire est sous-enténdu. Je sens ma conscience fort au large de ce que, dans tout le cours d’un Traité si travaillé & si utile, je n’ai pas donné l’essor au moindre petit trait de Satire ; ce qui est l’unique article, sur lequel je me suis hazardé à m’éloigner des fameux modelles, que ma Patrie a produits dans notre âge. J’ai observé, que quelques esprits satiriques agissent avec le public de la même maniere, qu’un maître d’école traite un méchant garçon qu’il vient fraichement de foéter pour le rendre meilleur. Il commence par lui mettre devant les yeux toutes les particularitez du cas, qui est le motif de la correction : il s’étend ensuite sur la necessité du chatiment ; & il finit chaque periode par un bon coup de verges. Si j’entens quelque chose dans les affaires de ce monde, nos Censeurs feroient fort bien de s’épargner la peine de donner tant de coups de foûet inutilement. Il n’y a pas dans toute la nature un membre plus dur, & plus couvert d’un calus impénétrable, que les parties posterieures du public, qui sont également insensibles, soit qu’on les attaque à coups de pied ou à coups de verges. D’ailleurs, plusieurs de nos Satiriques me paroissent être dans une grande erreur, en s’imaginant, que, parce que les orties piquent, toutes les autres mauvaises herbes doivent avoir la même proprieté. Cette comparaison ne tend en aucune maniere à diminuer l’opinion, qu’on doit avoir du mérite de ce dignes Aureurs ; car, c’est une chose très-connue parmi les Naturalistes, que les mauvaises herbes ont la prééminence sur tous les vegetaux. C’est pourquoi le premier Monarque de toute notre Ile, dont le gout étoit si subtil & si rafiné, fit très-sagement, en ôtant la Rose du Collier de notre Ordre, pour mettre le Chardon à la place. De-là de profonds Antiquaires ont conjecturé, que la démangeaison satyrique, qui s’étend si fort parmi nous, nous est venue du Nord de l’Ile. Puisse-t-elle fleurir long-temps ici ; puisse-t-elle regarder de haut en bas le mépris des hommes, & égaler son dédain pour le public à l’insensibilité qu’il a pour ses plus rudes coups ; que sa propre stupidité, ni celle de ses partisans, ne l’empêche pas de pousser ses généreux desseins ; & qu’elle se souvienne toûjours qu’il en est de l’esprit comme d’un razoir, qui n’est jamais si propre à faire des balafres, que quand il a perdu son tranchant. Qu’elle n’oublie pas que ceux, dont les Dents sont trop pourries, pour pouvoir mordre vigoureusement, sont très-bien qualifiez pour suppléer à ce défaut par leur Haleine. Je ne suis pas susceptible de cette basse jalousie, qui pousse le vulgaire à mépriser les talens qui sont au-dessus de sa portée ; & je suis très-porté à rendre justice à cette Secte de nos Beaux-Esprits Britanniques. J’espere aussi, que ce petit Panegyrique aura l’honneur de lui plaire, puisque j’y sacrifie mes propres intérêts à sa gloire. Il faut avouer aussi, que la Nature même a mis les choses sur un tel pied, que, par la Satire, on acquiert de l’honneur & de la reputation à meilleur marché, que par aucune autre production de l’esprit. Il y a un certain Auteur ancien, qui propose comme un problême, Pourquoi les Dedicaces, & d’autres assortimens de flatterie, ne roulent que sur de vieux lieux-communs tout rouillez, sans la moindre teinture de nouveauté ? Pourquoi elles sont si capables de jetter le Lecteur Chrêtien dans le degout, & même, si l’on n’en previent promptement l’effet, de répandre la lethargie generalement par tout le Royaume : au lieu qu’il y a fort peu de Satires, qui n’animent l’attention du public par quelque chose de singulier ? On artribue d’ordinaire cette malheureuse destinée des Eloges à un défaut d’invention dans ceux qui se mélent de les débiter ; mais, à tort : la veritable solution de cette difficulté est aisée & naturelle. Les Materiaux du Panegyrique, étant renfermez dans des bornes très-étroites, ont été épuisez il y a long-tems : car, comme la santé est unique, au lieu que les maladies sont nombreuses, & reçoivent de jour en jour quelques nouvelles compagnes ; de même, les vertus sont en petit nombre, mais les vices & les extravagances sont innombrables, & le tems y ajoute continuellement quelque nouvelle espece, Ainsi, tout ce qu’un pauvre Auteur peut faire, c’est d’aprendre par cœur une liste des Vertus Cardinales, & de les prodiguer à son Heros, ou à son Mecenas. Il a beau les accommoder de differentes manieres, & jetter quelque varieté dans ses Phrases, le Lecteur est bientôt au fait ; il voit bientôt au travers de toute cette difference de sources, que tout cela n’est que du Cochon. L’Auteur n’en peut mais : nos expressions ne sauroient aller plus loin que nos idées ; &, quand celles-ci sont épuisées, les termes doivent de necessité subir le même sort. Mais, quand même le sujet du Panegyrique seroit aussi fécond que celui de la Satire, il ne seroit pas difficile pourtant de trouver la raison veritable, qui rend la derniere plus savoureuse que l’autre. L’Eloge ne roulant d’ordinaire que sur une personne à la fois, qu’il nomme ou qu’il designe clairement, doit par-là, de necessité, exciter l’envie de ceux qui n’ont point de part au gateau, & Soufrir de leur mauvaise humeur. Mais, la Satire ne nomme point les originaux de ses portraits : elle semble viser à tous les hommes ; &, graces à notre vanité aucun individu humain ne s’en croit l’objet particulier. Chacun rejette sagement sa part du fardeau sur les épaules du Monde entier, qui sont assez larges dans le fond pour le soutenir. Cette verité d’experience m’a fait réflechir plusieurs fois sur la difference qu’il y a à cet égard entre l’Angleterre & l’ancienne Athenes. Dans la République d’Athenes c’étoit le droit héréditaire de chaque Citoïen, de chaque Poëte, d’attaquer publiquement, & même de jouer sur le Theatre, les personages les plus illustres, un Créon, un Hyperbolus, un Alcibiade, un Demosthene. On les nommoit même, afin que le public n’en prétendit point cause d’ignorance. Le moindre mot, au contraire, qui sembloit réfléchir sur le Peuple en general, étoit aussi-tôt relevé & s’attiroit une punition exemplaire, quelque distinguée que fut la personne qui eut eu l’audace de le lacher. Chez nous, c’est justement le Revers de la Medaille ; on y peut emploïer en sureté toute la force de son éloquence contre la Societé en general, & dire en face à tout un Auditoire même ses veritez les plus odieuses. Vous pouvez declarer hardiment, que tous les hommes ont pris des chemins tortus ; qu’il ne reste plus au monde un seul homme integre ; que notre âge est la lie des siecles ; que la sceleratesse & l’atheisme se repandent parmi nous comme des maladies contagieuses ; que la bonne-foi a quitté la Terre avec Astrée. Vous pouvez vous étendre sur de pareils lieux-communs aussi nouveaux que brillans, autant que votre éloquente bile le trouve à propos ; &, quand vous aurez fini, tous les auditeurs vous en sauront gré, comme à un Orateur, qui vient de répandre un beau jour sur les veritez les plus utiles, & les plus precieuses. Je dis plus : vous ne courrez aucun risque, que celui d’épuiser vos poumons, en préchant dans l’Eglise de Covent-garden contre les Airs petits-maîtres, contre la Fornication, & quelque chose de pis encore. Vous avez la liberté, en celle de Whitball, de declamer contre l’Orgeuil, la Dissimulation, & la Bassesse de se laisser gagner par des présens : dans celle, qui est la plus frequentée par les gens de Robbe, vous pouvez attaquer avec fureur l’Injustice & la Rapine ; & dans une Chaire bourgeoise, au milieu de la Cité, personne ne vous contestera le droit de vous emporter contre l’Avarice, l’Hypocrisie, & l’Extorsion. Ce n’est qu’une balle jettée à tout hazard au milieu du Peuple ; chaque Auditeur est armé d’une raquête, & sait habilement éloigner la balle de lui & la renvoïer dans la multitude. Mais, d’un autre côté, n’allez pas vous tromper assez grossierement sur la nature des choses, pour vous laisser échaper en public le moindre mot touchant un tel, qui a fait mourir de faim la moitié d’une Armée navale, & qui a empoisonné le reste ; ni touchant un autre, qui s’atache assez aux veritables principes de l’amour & de l’honneur, pour ne païer aucunes dettes, excepté celles qui concernent le Jeu, & les Courtisanes. Ne dites rien d’un troisiéme, qui troque les grands biens de ses Ancêtres contre les maladies les plus infames. Taisez-vous sur le Chapitre de Paris, qui, gagné également par Venus, & par Junon, écoute tout leur plaidoïé en dormant. Ne vous émancipez pas sur le chapitre de cet Orateur, qui fait de longues Harangues dans le Senat, avec beaucoup de méditation, très-peu de sens, & fort mal-à-propos. Quiconque ôse entrer étourdiment dans un pareil détail doit s’attendre à être emprisonné, poursuivi en justice, comme un Calomniateur, & declaré coupable du crime qu’on nomme Scandalum Magnatum. Mais, je ne songe pas que je m’étends sur un sujet, où je ne suis nullement intéressé, puisque je n’ai, ni talent, ni inclination, pour la Satire. A cela près, je suis si satisfait de tout le cours présent des affaires humaines, que je prépare déja depuis plusieurs années les Matériaux d’un Panegyrique du Genre Humain, auquel j’ai dessein d’ajouter une seconde Partie intitulée, Defense modeste du Procedé de la Populace dans tous les Ages. J’avois quelque envie de joindre l’un & l’autre de ces Traitez à cet Ouvrage-ci, en qualité d’Appendix ; mais, voïant que mon livre de Lieux-communs se remplit plus lentement que je n’avois esperé, j’ai trouvé bon de differer cette affaire jusques à quelque occasion plus favorable. D’ailleurs, j’ai été détourné de l’exécution de ce dessein par un malheur domestique, dont, selon la coutume des Modernes, je devrois ici informer le Lecteur benevole. Cette particularité seroit d’un grand secours, pour donner à ma Préface le volume, qui est à préfent en vogue, & qui doit être étendu à proportion que l’Ouvrage même est petit. Néanmoins, malgré toutes ces considerations, je n’arrêterai pas plus long-temps, dans le Vestibule, l’impatience de mon Lecteur ; &, lui aïant duëment préparé l’esprit par ce Discours préliminaire, je suis prêt à l’introduire dans les sublimes Mystéres qui suivent. Livre très-estimé de plusieurs personnes, mais qui paroit tres-dangereux à d’autres. L’intention de l’Auteur est ici de depeindre l’ignorance, & les mauvaises mœurs, des petits-maitres Anglois, qui ne laissent pas de fe mêler de décider étourdiment des matieres les plus graves. Şujette au Peché Philosophique. Marché dans la Ville de Londres. C’est le Cours, où les gens de qualité se promenent en Carosse, dans les mêmes vuës qu’on le fait par tout ailleurs. Jaques premier, grand Docteur & petit Prince : on a fort joliment dépeint son caractere, & celui de la Reine Elisabet, dans ce seul vers Latin. Rex erat Elisabet, nunc est Regina Jacobus. L’Auteur fait allusion ici à un Repas dont parle Plutarque, où tous les mèts n’étoient que du Porc differement assaisonné. L’Eglise de la Cour. C’est le Crime de medire des gens titrez, contre lequel les Loix de l’Angleterre sont très-severes ; mais, comme on n’observe dans ce Païs que la lettre des Loix, on a trouvé un moïen très-facile de dire pis que pendre d’un Grand Seigneur, ou de la Famille, sans avoir rien à craindre. On le nomme même ; mais, on a soin de mettre des points à la place de quelques lettres : par exemple, voulez-vous dépeindre un Duc d’Ormond des couleurs les plus noires ; mettez seulement Or..nd, faites le rimer même si vous voulez avec un terme du même son : la Loi n’a point de prise sur vous, quoi qu’il soit certain, de la derniere certitude, que c’est ce Seigneur que vous avez eu en vuë. |
Histoire de France (Jules Michelet)/édition 1893/Moyen Âge/Livre 5/Chapitre 5 | Jules Michelet Œuvres complètes de J. Michelet s.d. (1893-1898) (Histoire de France, p. 163-181). ◄ Chapitre IV LIVRE VI ► Chapitre V bookŒuvres complètes de J. MicheletJules Michelets.d. (1893-1898)ParisCHistoire de FranceChapitre VMichelet - OC, Histoire de France, t. 3.djvuMichelet - OC, Histoire de France, t. 3.djvu/9163-181 Suite de Philippe-le-Bel. Ses trois fils (1314-1328). — Procès. — Institutions. La fin du procès du Temple fut le commencement de vingt autres. Les premières années du quatorzième siècle ne sont qu’un long procès. Ces hideuses tragédies avaient troublé les imaginations, effarouché les âmes. Il y eut comme une épidémie de crimes. Des supplices atroces, obscènes, qui étaient eux-mêmes des crimes, les punissaient et les provoquaient. Mais les crimes eussent-ils manqué, ce gouvernement de robe longue, de jugeurs, ne pouvait s’arrêter aisément, une fois en train de juger. L’humeur militante des gens du roi, si terriblement éveillée par leurs campagnes contre Boniface et contre le Temple, ne pouvait plus se passer de guerre. Leur guerre, leur passion, c’était un grand procès, un grand et terrible procès, des crimes affreux, étranges, punis dignement par de grands supplices. Rien n’y manquait, si le coupable était un personnage. Le populaire apprenait alors à révérer la robe ; le bourgeois enseignait à ses enfants à ôter le chaperon devant Messires, à s’écarter devant leur mule, lorsqu’au soir, par les petites rues de la Cité, ils revenaient attardés de quelque fameux jugement. Les accusations vinrent en foule, ils n’eurent point à se plaindre : empoisonnements, adultères, faux, sorcellerie surtout. Cette dernière était mêlée à toutes, elle en faisait l’attrait et l’horreur. Le juge frissonnait sur son siège lorsqu’on apportait au tribunal les pièces de conviction, philtres, amulettes, crapauds, chats noirs, images percées d’aiguilles... Il y avait en ces causes une violente curiosité, un acre plaisir de vengeance et de peur. On ne s’en rassasiait pas. Plus on brûlait, plus il en venait. On croirait volontiers que ce temps est le règne du Diable, n’étaient les belles ordonnances qui y apparaissent par intervalles, et y font comme la part de Dieu... L’homme est violemment disputé par les deux puissances. On croit assister au drame de Bartole : l’homme par-devant Jésus, le Diable demandeur, la Vierge défendeur. Le Diable réclame l’homme comme sa chose, alléguant la longue possession. La Vierge prouve qu’il n’y a pas prescription, et montre que l’autre abuse des textes. La Vierge a forte partie à cette époque. Le Diable est lui-même du siècle, il en réunit les caractères, les mauvaises industries. Il tient du juif et de l’alchimiste, du scolastique et du légiste. La diablerie, comme science, avait dès lors peu de progrès à faire. Elle se formait comme art. La démonologie enfantait la sorcellerie. Il ne suffisait pas de pouvoir distinguer et classer des légions de diables, d’en savoir les noms, les professions, les tempéraments ; il fallait apprendre à les faire servir aux usages de l’homme. Jusque-là on avait étudié les moyens de les chasser ; on chercha désormais ceux de les faire venir. Cet effroyable peuple de tentateurs s’accrut sans mesure. Chaque clan d’Écosse, chaque grande maison de France, d’Allemagne, chaque homme presque avait le sien. Ils accueillaient toutes les demandes secrètes qu’on ne peut faire à Dieu, écoutaient tout ce qu’on n’ose dire... On les trouvait partout. Leur vol de chauve-souris obscurcissait presque la lumière et le jour de Dieu. On les avait vus enlever en plein jour un homme qui venait de communier, et qui se faisait garder par ses amis, cierges allumés. Le premier de ces vilains procès de sorcellerie, où il n’y avait des deux côtés que malhonnêtes gens, est celui de Guichard, évêque de Troyes, accusé d’avoir, par engin et maléfice, procuré la mort de la femme de Philippe-le-Bel. Cette mauvaise femme, qui avait recommandé l’égorgement des Flamandes (voyez plus haut), est celle aussi qui, selon une tradition plus célèbre que sûre, se faisait amener, la nuit, des étudiants à la tour de Nesle, pour les faire jeter à l’eau quand elle s’en était servie. Reine de son chef pour la Navarre, comtesse de Champagne, elle en voulait à l’évêque, qui pour finance avait sauvé un homme qu’elle haïssait. Elle faisait ce qu’elle pouvait pour ruiner Guichard. D’abord, elle l’avait fait chasser du conseil et forcé de résider en Champagne. Puis elle avait dit qu’elle perdrait son comté de Champagne, ou lui son évêché. Elle le poursuivait pour je ne sais quelle restitution. Guichard demanda d’abord à une sorcière un moyen de se faire aimer de la reine, puis un moyen de la faire mourir. Il alla, dit-on, la nuit chez un ermite pour maléficier la reine et l’envoûter. On fit une reine de cire, avec l’assistance d’une sage-femme ; on la baptisa Jeanne, avec parrain et marraine, et on la piqua d’aiguilles. Cependant la vraie Jeanne ne mourait pas. L’évêque revint plus d’une fois à l’ermitage, espérant s’y mieux prendre. L’ermite eut peur, se sauva et dit tout. La reine mourut peu après. Mais soit qu’on ne pût rien prouver, soit que Guichard eût trop d’amis en cour, son affaire traîna. On le retint en prison. Le Diable, entre autres métiers, faisait celui d’entremetteur. Un moine, dit-on, trouva moyen par lui de salir toute la maison de Philippe-le-Bel. Les trois princesses ses belles-filles, épouses de ses trois fils, furent dénoncées et saisies. On arrêta en même temps deux frères, deux chevaliers normands qui étaient attachés au service des princesses. Ces malheureux avouèrent dans les tortures que, depuis trois ans, ils péchaient avec leurs jeunes maîtresses, « et même dans les plus saints jours ». La pieuse confiance du moyen âge, qui ne craignait pas d’enfermer une grande dame avec ses chevaliers dans l’enceinte d’un château, d’une étroite tour, le vasselage qui faisait aux jeunes hommes un devoir féodal des soins les plus doux, était une dangereuse épreuve pour la nature humaine, quand la religion faiblissait. Le Petit Jehan de Saintré, ce conte ou cette histoire du temps de Charles VI, ne dit que trop bien tout cela. Que la faute fût réelle ou non, la punition fut atroce. Les deux chevaliers, amenés sur la place du Martroi, près l’orme Saint-Gervais, y furent écorchés vifs, châtrés, décapités, pendus par les aisselles. De même que les prêtres cherchaient, pour venger Dieu, des supplices infinis, le roi, ce nouveau dieu du monde, ne trouvait point de peines assez grandes pour satisfaire à sa majesté outragée. Deux victimes ne suffirent pas. On chercha des complices. On prit un huissier du palais, puis une foule d’autres, hommes ou femmes, nobles ou roturiers ; les uns furent jetés à la Seine, les autres mis à mort secrètement. Des trois princesses, une seule échappa. Philippe-le-Long, son mari, n’avait garde de la trouver coupable ; il lui aurait fallu rendre la Franche-Comté qu’elle lui avait apporté en dot. Pour les deux autres, Marguerite et Blanche, épouses de Louis-Hutin et de Charles-le-Bel, elles furent honteusement tondues et jetées dans un château fort. Louis, à son avènement, fit étrangler la sienne (15 avril 1315), afin de pouvoir se remarier. Blanche, restée seule en prison, fut bien plus malheureuse. Une fois dans cette voie de crimes, l’essor étant donné aux imaginations, toute mort passe pour empoisonnement ou maléfice. La femme du roi est empoisonnée, sa sœur aussi. L’empereur Henri VII le sera dans l’hostie. Le comte de Flandre manque de l’être par son fils. Philippe-le-Bel l’est, dit-on, par ses ministres, par ceux qui perdaient le plus à sa mort, et non seulement Philippe, mais son père, mort trente ans auparavant. On remonterait volontiers plus haut pour trouver des crimes. Tous ces bruits effrayaient le peuple. Il aurait voulu apaiser Dieu et faire pénitence. Entre les famines et les banqueroutes des monnaies, entre les vexations du Diable et les supplices du roi, ils s’en allaient par les villes, pleurant, hurlant, en sales processions de pénitents tout nus, de flagellants obscènes ; mauvaises dévotions qui menaient au péché. Tel était le triste état du monde, lorsque Philippe et son pape s’en allèrent en l’autre chercher leur jugement. Jacques Molay les avait, dit-on, de son bûcher, ajournés à un an pour comparaître devant Dieu. Clément partit le premier. Il avait peu auparavant vu en songe tout son palais en flammes. « Depuis, dit son biographe, il ne fut plus gai et ne dura guère. » Sept mois après, ce fut le tour de Philippe. Il mourut dans sa maison de Fontainebleau. Il est enterré dans la petite église d’Avon. Quelques-uns le font mourir à la chasse, renversé par un sanglier. Dante, avec sa verve de haine, ne trouve pas, pour le dire, de mot assez bas : « Il mourra d’un coup de couenne, le faux-monnayeur ! » Mais l’historien français, contemporain, ne parle point de cet accident. Il dit que Philippe s’éteignit, sans fièvre, sans mal visible, au grand étonnement des médecins. Rien n’indiquait qu’il dût mourir sitôt ; il n’avait que quarante-six ans. Cette belle et muette figure avait paru impassible au milieu de tant d’événements. Se crut-il secrètement frappé par la malédiction de Boniface ou du grand maître ? ou bien plutôt le fut-il par la confédération des grands du royaume, qui se forma contre lui l’année même de sa mort ? Les barons et les nobles l’avaient suivi à l’aveugle contre le pape ; ils n’avaient pas fait entendre un mot en faveur de leurs frères, des cadets de la noblesse ; je parle des Templiers. Les atteintes portées à leurs droits de justice et de monnaie leur firent perdre patience. Au fond, le roi des légistes, l’ennemi de la féodalité, n’avait pas d’autre force militaire à lui opposer que la force féodale. C’était un cercle vicieux d’où il ne pouvait plus sortir. La mort le tira d’affaire. Quelle part eut-il réellement aux grands événements de son règne, on l’ignore. Seulement, on le voit parcourir sans cesse le royaume. Il ne se fait rien de grand en bien ou en mal qu’il n’y soit en personne : à Courtrai et à Mons-en-Puelle (1302, 1304), à Saint-Jean-d’Angely, à Lyon (1305), à Poitiers et à Vienne (1308, 1313). Ce prince paraît avoir été rangé et régulier. Nulle trace de dépense privée. Il comptait avec son trésorier tous les vingt-cinq jours. Fils d’une Espagnole, élevé par le dominicain Egidio de Rome, de la maison de Colonna, il eut quelque chose du sombre esprit de saint Dominique, comme saint Louis la douceur mystique de l’ordre de Saint-François. Egidio avait écrit pour son élève un livre De regimine principum, et il n’eut pas de peine à lui inculquer le dogme du droit illimité des rois. Philippe s’était fait traduire la Consolation de Boèce, les livres de Vegèce sur l’art militaire, et les lettres d’Abailard et d’Héloïse. Les infortunes universitaires et amoureuses du célèbre professeur, si maltraité des prêtres, étaient un texte populaire au milieu de cette grande guerre du roi contre le clergé. Philippe-le-Bel s’appuyait sur l’Université de Paris ; il caressait cette turbulente république, et elle le soutenait. Tandis que Boniface cherchait à s’attacher les Mendiants, l’Université les persécutait par son fameux docteur Jean Pique-Ane (Pungensasinum), champion du roi contre le pape. Au moment où les Templiers furent arrêtés, Nogaret réunit tout le peuple universitaire au Temple, maîtres et écoliers, théologiens et artistes, pour leur lire l’acte d’accusation. C’était une force que d’avoir pour soi un tel corps, et dans la capitale. Aussi le roi ne souffrit pas que Clément V érigeât les écoles d’Orléans en université, et créât une rivale à son Université de Paris. Ce règne est une époque de fondation pour l’Université. Il s’y fonde plus de collèges que dans tout le treizième siècle, et les plus célèbres collèges. La femme de Philippe-le-Bel, malgré sa mauvaise réputation, fonde le collège de Navarre (1304), ce séminaire de gallicans, d’où sortirent d’Ailly, Gerson et Bossuet. Les conseillers de Philippe-le-Bel, qui avaient aussi beaucoup à expier, font presque tous de semblables fondations. L’archevêque Gilles d’Aiscelin, le faible et servile juge des Templiers, fonda ce terrible collège, la plus pauvre et la plus démocratique des écoles universitaires, ce Mont-Aigu, où l’esprit et les dents, selon le proverbe, étaient également aigus. Là, s’élevaient, sous l’inspiration de la famine, les pauvres écoliers, les pauvres maîtres, qui rendirent illustres le nom de Cappets ; chétive nourriture, mais amples privilèges ; ils ne dépendaient, pour la confession, ni de l’évêque de Paris ni même du pape. Que Philippe-le-Bel ait été ou non un méchant homme ou un mauvais roi, on ne peut méconnaître en son règne la grande ère de l’ordre civil en France, la fondation de la monarchie moderne. Saint Louis est encore un roi féodal. On peut mesurer d’un seul mot tout le chemin qui se fit de l’un à l’autre. Saint Louis assembla les députés des villes du Midi, Philippe-le-Bel ceux des États de France. Le premier fit des établissements pour ses domaines, le second des ordonnances pour le royaume. L’un posa en principe la suprématie de la justice royale sur celle des seigneurs, l’appel au roi ; il essaya de modérer les guerres privées par la quarantaine et l’assurement. Sous Philippe-le-Bel, l’appel au roi se trouve si bien établi que le plus indépendant des grands feudataires, le duc de Bretagne, demande, comme grâce singulière, d’en être exempté. Le parlement de Paris écrit pour le roi au plus éloigné des barons, au comte de Comminges, ce petit roi des hautes Pyrénées, les paroles suivantes qui, un siècle plus tôt, n’eussent pas même été comprises : « Dans tout le royaume la connaissance et la punition du port d’armes n’appartient qu’à nous. » Au commencement de ce règne, la tendance nouvelle s’annonce fortement. Le roi veut exclure les prêtres de la justice et des charges municipales. Il protège les juifs et les hérétiques, il augmente la taxe royale sur les amortissements, sur les acquisitions d’immeubles par les églises. Il défend les guerres privées, les tournois. Cette défense motivée sur le besoin que le roi a de ses hommes pour la guerre de Flandre, est souvent répétée ; une fois même, le roi ordonne à ses prévôts d’arrêter ceux qui vont aux tournois. A chaque campagne, il lui fallait faire la presse, et réunir malgré elle cette indolente chevalerie qui se souciait peu des affaires du roi et du royaume. Ce gouvernement ennemi de la féodalité et des prêtres, n’avait pas d’autre force militaire que les seigneurs, ni guère d’argent que par l’Église. De là plusieurs contradictions, plus d’un pas en arrière. En 1287, le roi permet aux nobles de poursuivre leurs serfs fugitifs dans les villes. Peut-être en effet était-il besoin de ralentir ce grand mouvement du peuple vers les villes, d’empêcher la désertion des campagnes. Les villes auraient tout absorbé ; la terre serait restée déserte, comme il arriva dans l’empire romain. En 1290, le clergé arracha au roi une charte exorbitante, inexécutable, qui eût tué la royauté. Les principaux articles étaient que les prélats jugeraient des testaments, des legs, des douaires, que les baillis et gens du roi ne demeureraient par sur terres d’Église, que les évêques seuls pourraient arrêter les ecclésiastiques, que les clercs ne plaideraient point en cour laïque pour les actions personnelles, quand même ils y seraient obligés par lettres du roi (c’était l’impunité des prêtres) ; que les prélats ne payeraient pas pour les biens acquis à leurs églises ; que les juges locaux ne connaîtraient point des dîmes, c’est-à-dire que le clergé jugerait seul les abus fiscaux du clergé. En 1291, Philippe-le-Bel avait violemment attaqué la tyrannie de l’inquisition dans le Midi. En 1298, au commencement de la guerre contre le pape, il seconde l’intolérance des évêques, il ordonne aux seigneurs et aux juges royaux de leur livrer les hérétiques, pour qu’ils les condamnent et les punissent sans appel. L’année suivante, il promet que les baillis ne vexeront plus les églises de saisies violentes ; ils ne saisiront qu’un manoir à la fois, etc.. Il fallait aussi satisfaire les nobles. Il leur accorda une ordonnance contre leurs créanciers, contre les usuriers juifs. Il garantit leurs droits de chasse. Les collecteurs royaux n’exploiteront plus les successions des bâtards et des aubains sur les terres des seigneurs haut-justiciers : « A moins, ajoute prudemment le roi, qu’il ne soit constaté par idoine personne que nous avons bon droit de percevoir. » En 1302, après la défaite de Courtrai, le roi osa beaucoup. Il prit pour la monnaie la moitié de toute vaisselle d’argent (les baillis et gens du roi devaient donner tout) ; il saisit le temporel des prélats partis pour Rome ; enfin il imposa les nobles battus et humiliés à Courtrai : le moment était bon pour les faire payer. En 1303, pendant la crise, lorsque Nogaret eut accusé Boniface (12 mars), lorsque l’excommunication pouvait d’un moment à l’autre tomber sur la tête du roi, il promit tout ce qu’on voulut. Dans son ordonnance de réforme (fin mars), il s’engageait envers les nobles et prélats à ne rien acquérir sur leurs terres. Toutefois il y mettait encore une réserve qui annulait tout : « Sinon en cas qui touche notre droit royal. » Dans la même ordonnance, se trouvait un règlement relatif au parlement ; parmi les privilèges, l’organisation du corps qui devait détruire privilèges et privilégiés. Dans les années qui suivent, il laisse les évêques rentrer au parlement. Toulouse recouvre sa justice municipale ; les nobles d’Auvergne obtiennent qu’on respecte leurs justices, qu’on réprime les officiers du roi, etc. Enfin en 1306, lorsque l’émeute des monnaies force le roi de se réfugier au Temple, ne comptant plus sur les bourgeois, il rend aux nobles le gage de bataille, la preuve par duel, au défaut de témoins. La grande affaire des Templiers (1308-9) le força encore à lâcher la main. Il renouvela les promesses de 1303, régla la comptabilité des baillis, s’engagea à ne plus taxer les censiers des nobles, mit ordre aux violences des seigneurs, promit aux Parisiens de modérer son droit de prise et de pourvoierie, aux Bretons de faire de la bonne monnaie, aux Poitevins d’abattre les fours des faux monnayeurs. Il confirma les privilèges de Rouen. Tout à coup charitable et aumônier, il voulait employer le droit de chambellage à marier de pauvres filles nobles ; il donnait libéralement aux hôpitaux les pailles dont on jonchait les logis royaux dans ses fréquents voyages. L’hypocrisie de ce gouvernement n’est en rien plus remarquable que dans les affaires des monnaies. Il est curieux de suivre d’année en année les mensonges, les tergiversations du royal faux monnayeur. En 1295, il avertit le peuple qu’il va faire une monnaie « où il manquera peut-être quelque chose pour le titre ou le poids, mais qu’il dédommagera ceux qui en prendront ; sa chère épouse, la reine Jeanne de Navarre, veut bien qu’on y affecte les revenus de la Normandie. » En 1305, il fait crier par les rues à son de trompe que sa nouvelle monnaie est aussi bonne que celle de saint Louis. Il avait ordonné plusieurs fois aux monnayeurs de tenir secrètes les falsifications. Plus tard, il fait entendre que ses monnaies ont été altérées par d’autres, et ordonne de détruire les fours où l’on avait fait de la fausse monnaie. En 1310 et 1311, craignant la comparaison des monnaies étrangères, il en défend l’importation. En 1311, il défend de peser ou d’essayer les monnaies royales. Nul doute qu’en tout ceci le roi ne fût convaincu de son droit, qu’il ne considérât comme un attribut de sa toute-puissance d’augmenter à volonté la valeur des monnaies. Le comique, c’est de voir cette toute-puissance, cette divinité, obligée de ruser avec la méfiance du peuple ; la religion naissante de la royauté a déjà ses incrédules. Enfin la royauté elle-même semble douter de soi. Cette fière puissance, ayant été au bout de la violence et de la ruse, fait un aveu implicite de sa faiblesse ; elle en appelle à la liberté. On a vu quelles paroles hardies le roi se fit adresser et dans la fameuse supplique du pueble de France, et dans le discours des députés des États de 1308. Mais rien n’est plus remarquable que les termes de l’ordonnance par laquelle il confirme l’affranchissement des serfs du Valois, accordé par son frère : « Attendu que toute créature humaine qui est formée à l’image nostre Seigneur, doie généralement estre franche par droit naturel, et en aucuns pays de cette naturelle liberté ou franchise, par le joug de la servitude qui tant est haineuse, soit si effaciée et obscurcie que les hommes et les fames qui habitent èz lieux et pays dessusditz, en leur vivant sont réputés ainsi comme morts, et à la fin de leur douloureuse et chétive vie, si estroitement liés et démenés, que des biens que Dieu leur a presté en cest siècle ils ne peuvent en leur darnière volonté disposer ne ordener... » Ces paroles devaient sonner mal aux oreilles féodales. Elles semblaient un réquisitoire contre le servage, contre la tyrannie des seigneurs. La plainte qui jamais n’avait osé s’élever, pas même à voix basse, voilà qu’elle éclatait et tombait d’en haut comme une condamnation. Le roi étant venu à bout de tous ses ennemis, avec l’aide des seigneurs, ne gardait plus de ménagement pour ceux-ci. Le 13 juin 1313, il leur défendit de faire aucune monnaie jusqu’à ce qu’ils eussent lettres du roi qui les y autorisassent. Cette ordonnance combla la mesure. Quelque terreur que dût inspirer le roi après l’affaire du Temple, les grands se décidèrent à risquer tout et à prendre un parti. La plupart des seigneurs du Nord et de l’Est (Picardie, Artois, Ponthieu, Bourgogne et Forez) formèrent une confédération contre le roi : « A tous ceux qui verront, orront (ouïront) ces présentes lettres, li nobles et li communs de Champagne, pour nous, pour les pays de Vermandois et pour nos alliés et adjoints étant dedans les points du royaume de France, salut. Sachent tuis que comme très excellent et très puissant prince, notre très cher et redouté sire, Philippe, par la grâce de Dieu, roi de France, ait fait et relevé plusieurs tailles, subventions, exactions non deus, changement de monnoyes, et plusieurs aultres choses qui ont été faites, par quoi li nobles et li communs ont été moult grevés, appauvris... Et il n’apert pas qu’ils soient tournez en l’honneur et proufit du roy ne dou royalme, ne en deffension dou proufit commun. Desquels griefs nous avons plusieurs fois requis et supplié humblement et dévotement ledit sire li roy, que ces choses voulist défaire et délaisser ; de quoy rien n’en ha fait. Et encore en cette présente année courant, par l’an 1314, lidit nos sire le roy ha fait impositions non deuement, sur li nobles et li communs du royalme, et subventions lesquelles il s’est efforcé de lever ; laquelle chose ne pouvons souffrir ne soutenir en bonne conscience, car ainsi perdrions nos honneurs, franchises et libertés ; et nous et cis qui après nous verront (viendront)... Avons juré et promis par nos serments, leaument et en bonne foy, par (pour) nous et nos hoirs aux comtés d’Auxerre et de Tonnerre, aux nobles et aux communs desdits comtés, leurs alliés et adjoints, que nos, en la subvention de la présente année, et tous autres griefs et novelletés non deuement faites et à faire, au temps présent et avenir, que li roi de France, nos sires, ou aultre, lor voudront faire, lor aiderions, et secourerons à nos propres coustes et dépens... » Cet acte semblerait une réponse aux dangereuses paroles du roi sur le servage. Le roi dénonçait les seigneurs, ceux-ci le roi. Les deux forces qui s’étaient unies pour dépouiller l’Église, s’accusaient maintenant l’une l’autre par-devant le peuple, qui n’existait pas encore comme peuple, et qui ne pouvait répondre. Le roi, sans défense contre cette confédération, s’adressa aux villes. Il appela leurs députés à venir aviser avec lui sur le fait des monnaies (1314). Ces députés, dociles aux influences royales, demandèrent que le roi empêchât pendant onze ans les barons de faire de la monnaie, pour en fabriquer lui-même de bonne, sur laquelle il ne gagnerait rien. Philippe-le-Bel meurt au milieu de cette crise (1314). L’avènement de son fils Louis X, si bien nommé Hutin (désordre, vacarme), est une réaction violente de l’esprit féodal, local, provincial, qui veut À compléter Voy. la mort du président Minart. Rien de plus fréquent dans les hagiographes que cette lutte pour l’âme convertie, ou plutôt ce procès simulé où le Diable vient malgré lui rendre témoignage à la puissance du repentir. App. 103. « Agnei, lucifugi, etc. » (M. Psellus.) Cet auteur byzantin est du onzième siècle. (Edid. Gaulminus, 1615, in-12.) — Bodin, dans son livre De Præstigiis, imprimé à Bale en 1578, a dressé l’inventaire de la monarchie diabolique avec les noms et surnoms de 72 princes et de 7.405.926 diables. La sorcellerie naît surtout des misères de ce temps si manichéen. Des monastères elle avait passé dans les campagnes. Voir, sur le Diable, l'An mil, tome II ; sur les sorcières, Renaissance, Introduction ; sur le sabbat au moyen âge, Henri IV et Richelieu, ch. xvii et xviii. Le sabbat au moyen âge est une révolte nocturne de serfs contre le Dieu du prêtre et du seigneur. (1860.) Plusieurs furent accusés d’en avoir vendu en bouteilles. « Plût à Dieu, dit sérieusement Leloyer, que cette denrée fût moins commune dans le commerce ! » Mém. de Luther. La dénonciation avait été d’autant mieux accueillie que Guichard passait pour être fils d’un démon, d’un incube. (Archives, section hist., J. 433.) Marguerite, fille du duc de Bourgogne ; Jeanne et Blanche, filles du comte de Bourgogne (Franche-Comté). « Mulierculis... adhuc ætate juvenculis. » (Contin. G. de Nangis.) « Pluribus locis et temporibus sacrosanctis ». Jean de Meung Clopinel, qui, dit-on, par ordre de Philippe-le-Bel, allongea de dix-huit mille vers le trop long Roman de la Rose, exprime brutalement ce qu’il pense des dames de ce siècle. On conte que ces dames, pour venger leur réputation d’honneur et de modestie, attendirent le poète, verges en main, et qu’elles voulaient le fouetter. Il aurait échappé en demandant pour grâce unique que la plus outragée frappât la première. App. 104. Elle fut, dit brutalement le moine historien, engrossée par son geôlier ou par d’autres. — D’après ce qu’on sait des princes de ce temps, on croirait aisément que la pauvre créature, dont la première faiblesse n’était pas bien prouvée, fut mise à la discrétion d’un homme chargé de l’avilir. App. 105. App. 106. A sa mort, il demeura quelque temps comme abandonné. App. 107. A côté de Monaldeschi. App. 108. App. 109. C’est l’auteur du Roman de la Rose, Jean de Meung, qui lui avait traduit ces livres. — La confiance que lui accordait le roi ne l’avait pas empêché de tracer dans le Roman de la Rose ce rude tableau de la royauté primitive : Ung grant villain entre eulx esleurent, Le plus corsu de quanqu’ils furent, Le plus ossu, te le greigneur, Et le firent prince et seigneur. Cil jura que droit leur tiendroit, Se chacun en droit soy luy livre Des biens dont il se puisse vivre... De là vint le commencement Aux roys et princes terriens Selon les livres anciens. Rom. de la Rose, v. 1064. App. 110. « En celle année s’esmeut gran’dissension en les Recteur, maistres et escholiers de l’Université de Paris, et le prévost dudit lieu, parce que ledit prévost avoit fait pendre un clerc de ladite Université. Adonc cessa la lecture de toutes facultez, jusques à tant que ledit prévost l’amenda et répara grandement l’offense, et entre autres choses fut condamné ledit prévost à le dépendre et le baiser. Et convint que ledit prévost allast en Avignon vers le pape, pour soy faire absoudre. » 1285. (Nicolas Gilles.) App. 111. Ord., I, 502. Le roi déclare qu’il n’y aura pas de professeurs de théologie. Aux collèges de Navarre et de Montaigu, il faut ajouter le collège d’Harcourt (1280) ; la Maison du cardinal (1303) ; le collège de Bayeux (1308). — 1314, collège de Laon ; 1317, collège de Narbonne ; 1319, collège de Tréguier ; 1317-1321, collège de Cornouailles ; 1326, collège du Plessis, collège des Écossais ; 1329, collège de Marmoutiers ; 1332, un nouveau collège de Narbonne, fondé en exécution du testament de Jeanne de Bourgogne ; 1334, collège des Lombards ; 1334, collège de Tours ; 1336, collège de Lisieux ; 1337, collège d’Autun, etc. Mons acutus, dentes acuti, ingenium acutum. App. 112. App. 113. Ord., I, 329. Olim Parliamenti. App. 114. App. 115. App. 116. App. 117. App. 118. App. 119. App. 120. « Signifiez à tous, par cri général, sans faire mention de prélats ni de barons, c’est à savoir que toutes manières de gens apportent la moitié de leur vaissellement d’argent blanc ». (Ord., I, 317.) L’irritation semble avoir été grande contre les prêtres ; le roi est obligé de défendre aux Normands de crier : « Haro sur les clercs ! » (Ord., I, 318.) App. 121. Ord., fin 1302. Le roi déclare qu’en réformation de son royaume, il prend les églises sous sa protection et entend les faire jouir de leurs franchises ou privilèges comme au temps de son aïeul saint Louis. En conséquence, s’il lui arrive de prononcer quelque saisie sur un prêtre, son bailli ne devra y procéder qu’après mûre enquête, et la saisie ne dépassera jamais le taux de l’amende. On recherchera par tout le royaume les bonnes coutumes qui existaient au temps de saint Louis pour les rétablir. Si les prélats ou barons ont au parlement quelque affaire, ils seront traités honnêtement, expédiés promptement. (Ord., I, 357.) App. 122. Nul doute que le parlement ne remonte plus haut. On en trouve la première trace dans l’ordonnance dite testament de Philippe-Auguste (1190). Si pourtant l’on considère l’importance toute nouvelle que le parlement prit sous Philippe-le-Bel, on ne s’étonnera pas que la plupart des historiens l’en aient nommé le fondateur. App. 123. App. 124. App. 125. Ord., ann. 1311. Boulainvilliers. |
Seu - Miroir, cause de malheur, et autres contes coréens, 1934.pdf/150 | {{nr|146|MIROIR, CAUSE DE MALHEUR|}}pour vivre misérablement avec un bûcheron aussi
pauvre que simple ».
Il croyait déjà avoir gagné la partie quand, à
sa grande stupéfaction, la jeune femme indignée
se dressa devant lui, rouge de colère.
— « Sortez d’ici, grossier personnage ! Si c’est
là toute l’éducation que vous avez reçue, votre
espèce seigneuriale ne vaut même pas le pied de
mon mari. Hors d’ici, monstre ingrat ! » gronda-t-elle
tout en lui montrant du doigt la porte de
sortie.
Le jeune chasseur effronté pris d’une violente
colère et de honte voyait son projet manqué. Il
s’enfuit aussitôt tant il craignait justement les
sévères leçons de Maship qui ne tarderait pas à
rentrer. Mais il se jura d’enlever cette femme
tôt ou tard.
Un jour, à peine un mois après sa fuite, le
jeune chasseur ingrat revint dans le village de
Maship avec une véritable armée de domestiques.
Il fit enlever de force la femme de son sauveur
dans une chaise à porteurs. Indigné, le pauvre
bûcheron voulait se défendre, mais la force était
trop inégale, il ne reçut pour tous ses frais que
de terribles coups de bâton.
— « Ô jeune seigneur chasseur, s’écria-t-il tout
en se jetant aux pieds de son ravisseur, rappelez-vous
bien que c’est moi qui vous ai sauvé la
vie. Comment pouvez-vous m’insulter ainsi. Sans
moi, vous ne seriez peut-être plus depuis longtemps
sur la terre ! Seigneur, ayez pitié ! »
gémit-il tout en le suppliant de lui laisser sa
femme.
— « Si je ne suis pas mort c’est que le Grand
<references/> |
Bassompierre - Journal de ma vie, 4.djvu/126 | Guillemot<ref>Charles Guillemeau, médecin ordinaire du roi.</ref> quy estoint venus en poste avec moy pourroint tesmoygner que {{Mr}} de Guyse estoit party depuis moy de Paris, qu’il m’avoit outrepassé le premier jour que je couchay a la Chappelle la Reine<ref>La Chapelle-la-Reine, chef-lieu de canton de l’arrondissement de Fontainebleau.</ref>, que je l’avois rattrappé le soir suyvant a Poully, et qu’a
Moullins ne m’ayant peu suyvre, je l’avois devancé{{lié}}; et
que je luy priois d’asseurer monsieur le cardinal que
je n’estois point homme de brigue ny d’intrigue, que
je ne m’estois meslé jammais que de bien et fidellement
servir le roy premierement, et en suitte mes amis,
dont il estoit un des premiers et a quy j'avois voué
tout tres humble service{{lié}}: ce qu’il me promit de faire,
et moy l'ayant une fois esté voir, je luy dis aussy en
sustance les mesmes choses, dont il me tesmoygna d’estre satisfait.
Le roy se fit porter en Bellecourt dans la mayson de
madame de Chaponay<ref>Éléonore de Villars, fille de Balthazar de Villars, seigneur du Val, et de Louise de Langes, avait épousé Humbert de Chaponay, seigneur de l’Islemean, qui fut successivement lieutenant-général en la sénéchaussée de Lyon, et intendant ès provinces de Lyonnois, Bourbonnois et Berry.</ref> ou il fut encore bien mallade. Mais Dieu luy ayant rendu sa santé, il partit pour s’en
revenir a Paris<ref>Le roi partit de Lyon le 19 octobre, et de Roanne le 22.</ref>.
Nous le suyvismes un jour apres, {{Mrs}} le Comte,
cardinal de la Vallette, de Longueville, et moy, et
l’ayant rattrappé a Rouanne, nous embarquames devant
luy et vinmes jour et nuit a Briarre ou nous trouvasmes
mon carrosse quy nous ammena a Paris, ou peu de
<references/> |
Bassompierre - Journal de ma vie, 4.djvu/120 | de la terre aux plus hautes dignités, par une ingratitude
signalée, avoint tasché a le destruire, assavoir {{Mr}} de
Berulle que de simple prestre il avoit fait faire cardinal<ref>Ce reproche, quant au premier de ces deux personnages, était rétrospectif{{lié}}: le P. de Bérulle, créé cardinal en 1627, était mort en octobre 1629.</ref> et {{Mr}} de Marillac a quy il avoit premierement fait
donner en main les finances, et en suitte les sceaux{{lié}};
qu’il ne pretendoit en l’amirauté de Levant que ce que
ceux a quy il avoit succedé a l’amirauté de Ponant y
avoint pretendu, et qu’il ne croyoit pas que pour
n’estre pas homme d’espée, que {{Mr}} de Guyse luy deut
usurper de force ce qu’il ne demandoit qu’en justice,
ny que pour cela mesdames la princesse de Conty,
d’Elbeuf<ref>Il s’agit ici et dans la suite de la seconde duchesse d’Elbeuf, fille d'Henri IV et de Gabrielle d’Estrées.</ref> et d'Onano<ref>Voir t.{{lié}}I, p.{{lié}}212, note 2, et t.{{lié}}II, p. 283,{{lié}}note 3.</ref> fussent continuellement a
ses oreilles<ref>Aux oreilles de la reine-mère.</ref> pour mesdire de luy{{lié}}; qu’il avoit obligé
{{Mr}} le Grand en ce qu'il avoit peu, mais que c’estoit un
homme quy, ayant en sa tendre jeunesse possedé la
faveur du roy Henry troisieme, croyoit qu’elle estoit
de son patrimoine et ne pouvoit souffrir ceux quy la
possedoint{{lié}}; que le pretexte qu’il prenoit de le haïr
estoit injuste, veu que le roy, et non luy, avoit donné
la lieutenance de roy a une personne nourrie de jeunesse avec luy, de grande qualité, dont le grand pere estoit mareschal de France, et les pere et oncle avoint
possedé en Bourgongne la charge totale dont le roy ne
luy en avoit donné qu’une parcelle en reconnoissance
des services de ses ancestres et des siens, et {{tiret|particulie|rement}}
<references/> |
Seu - Miroir, cause de malheur, et autres contes coréens, 1934.pdf/143 | {{nr||MIROIR, CAUSE DE MALHEUR|139}}{{t2|LE FOIE DU LAPIN}}
Il y avait autrefois dans la profondeur de
l’Océan Pacifique un merveilleux Royaume sous-marin
dont le souverain vivait au milieu d’une
magnificence inouïe. Son Palais était en diamants,
entouré de toutes les splendeurs possibles et imaginables.
Un jour la fille unique et adorée de Sa Gracieuse
Majesté tomba gravement malade. Nulle
prière et aucun médecin ne pouvaient la guérir.
Cependant l’état de la princesse devint de plus
en plus grave, puis désespéré !
Le malheureux Roi tenta alors un ultime effort
pour sauver son unique héritière bien chérie :
Il invita en un conseil tous les docteurs et les
savants les plus réputés de son Royaume afin
de discuter le cas de la maladie de sa fille.
De longues discussions, aussi logiques qu’inutiles,
se poursuivaient sans aboutir à rien. Soudain
un vieux médecin de la cour entra dans
la salle de Conseil et dit au Roi :
— « Sire, je viens d’examiner l’Auguste malade.
Et je ne connais qu’un seul remède. Cependant
la difficulté ou la presque impossibilité de
<references/> |
Le Tour du monde - 10.djvu/256 | au jasmin, au melatti (''nyctanthus'') ; les autres condiments
sont de nature végétale, comme les germes de
différentes plantes et les tranches de coco sautées au
piment. Tous sont servis en fort petite quantité dans
des plats à compartiments où chacun choisit ceux qui
répondent le mieux à son goût ou à ses habitudes.
La première fois que ces saveurs {{corr|étrauges|étranges}} frappent un
palais européen, elles produisent une douleur réelle,
une sensation épouvantable de brûlure qui passe de la
bouche à l’estomac et semble toujours augmenter. On
boit, mais l’eau ne fait qu’activer et répandre par tout
le corps l’horrible cuisson ; on pense avoir avalé des
charbons ardents ; on demande un miroir pour s’assurer
si l’on a encore de la peau sur les lèvres et sur la langue.
Cependant cette singulière impression se calme peu à
peu et si l’on a le courage de renouveler l’expérience
on habitue assez vite ses organes à ces épices accumulées,
si bien que la cuisine javanaise, très-propre d’ailleurs
à exciter l’appétit, finit par devenir indispensable.
[[Fichier:Le Tour du monde-10-p256.jpg|thumb|center|400px|{{c|Cimetière javanais, à Soërabaija. — Dessin de M. de Molins.}}]]
{{corr|Quaut|Quant}} à moi, je ne tardai pas à adopter le système
d’alimentation des Indiens dans ce qu’il avait toutefois
de compatible avec mes idées. Mais si je n’ai jamais pu
manger de chenilles et de termites, j’ai vécu de riz et de
harie, accompagnés de s’mbals-s’mbals.
{{d|{{sc|de Molins}}.|4}}
{{----}}
<includeonly>
[[Fichier:Le Tour du monde-10-p251.jpg|thumb|center|500px|]]
</includeonly>
<references/> |
Le Tour du monde - 10.djvu/254 | costume ordinaire des Javanais que par un nœud de
diamants, fixé au très-petit turban qui lui serrait la
tête, et par la belle boucle en {{sic2|orfévrerie}} qui retenait la
ceinture de son sahrong.
Le soleil se couchait derrière la porte intérieure sous
laquelle passait le prince et la détachait en une belle
masse vigoureuse et grise sur le ciel incandescent or et
rose. Le parfum exquis de la fleur du ''cambodia'' que les
Indiens plantent sur les tombes, se répandait par ondulations
dans l’air limpide du soir ; la figure pensive
du prince, l’attitude recueillie du prêtre qui le suivait,
le calme profond du cimetière, tout cela formait un
spectacle imposant et qui est resté fortement gravé dans
ma mémoire (voy. p. 256).
<includeonly>
[[Fichier:Le Tour du monde-10-p256.jpg|thumb|center|400px|{{c|Cimetière javanais, à Soërabaija. — Dessin de M. de Molins.}}]]
</includeonly>
J’accompagnai quelque temps le ''radhen'', que sa suite
attendait dehors et, pour la première fois, je fus témoin
du respect qu’il inspire aux indigènes. Hommes,
femmes et enfants se prosternaient sur son passage,
le front contre terre, et ne se relevaient que lorsqu’il
était déjà loin. Ces démonstrations publiques envers un
homme me serrèrent le cœur, surtout en songeant que
cet homme prêtait les mains à l’asservissement de son
pays et vivait dans un luxe et une abondance payés par
l’or européen.
C’est dans le kampong javanais de Soërabaïja que se
fabriquent les objets en cuivre, tels que boîtes à bétel,
sébiles grandes et petites, et ces vases pour l’eau si
estimés des indigènes des autres parties de l’île.
Les ornements de ces différents objets sont d’un goût
charmant et bizarre, et tout à fait national : ce sont
d’élégantes arabesques et des représentations très-naïves
et très-originales des animaux du pays, ainsi que de ses
fruits et de ses fleurs. Le tout est gravé dans le cuivre,
au marteau et en creux, au moyen de poinçons d’acier
portant le relief de chaque ornement : c’est le contraire
du repoussé. Ce genre de travail se nomme en javanais
''kthothotok'', parfaite onomatopée.
C’est encore là que se trouvent les {{sic2|orfévres}} et les armuriers
indigènes : quand on a déjà vu les merveilleux
objets qui sortent de leurs mains, on reste stupéfait du
degré de simplicité auquel se réduisent l’outillage et
les ateliers de ces braves gens. Un marteau, une plaque
de plomb, quelques poinçons, un creuset primitif, voilà
pour les bijoutiers ; une enclume difforme, une forge
impossible, voilà pour les armuriers. Jamais d’aides ni
d’ouvriers ; armes ou bijoux sont inventés et exécutés
par le même individu. Aussi faut-il s’y prendre longtemps
à l’avance pour avoir des échantillons de leur
savoir-faire, et moi-même, je n’ai pu rapporter en Europe
que des bijoux achetés d’occasion et aucun de ceux
que j’avais commandés{{corr||.}}
Si les armes sont d’un damas moins fin et moins serré
que les damas de Perse et de Syrie, {{sic2|l’orfévrerie}} est d’une
exécution infiniment plus délicate que celle des Orientaux
que nous connaissons. Les bijoux riches présentent
des nielles et des ciselures parfaites de goût, de dessin
et de facture, et les bijoux plus ordinaires ne sont pas
moins remarquables : le repoussé est excessivement
saillant et la retouche au ciseau pratiquée avec une
adresse extrême.
Je visitai également l’un des plus grands ateliers où
l’on fabrique les sahrongs si recherchés des indigènes,
et, dans une vaste salle où étaient entassés plus de cent
femmes, je vis dessiner et teindre quelques-unes de ces
belles étoffes.
Une fois dessinée au moyen de poncifs à jour et de
poudre de charbon, l’étoffe est préparée pour la teinture ;
à cet effet, on recouvre d’une couche de cire liquéfiée
par la chaleur toutes les parties du dessin que la
première couleur ne doit pas atteindre. Dès que la cire
a été solidifiée par une immersion d’eau froide, l’étoffe
est plongée dans une teinture à froid qui mord partout,
excepté sur la cire que l’on fait ensuite fondre et disparaître
dans un bain d’eau bouillante ; on recommence
alors à couvrir de cire les parties déjà teintes et ceux
des endroits intacts qui doivent être préservés de la seconde
couleur, et, de réserve en réserve, après plusieurs
semaines d’un travail rendu terrible par la chaleur des
réchauds destinés à entretenir la cire à l’état liquide, on
obtient enfin ces merveilleuses indiennes dont les tons
luttent d’éclat, d’harmonie et de richesse avec ceux des
plus précieux cachemires.
J’eus ainsi l’explication du prix élevé de ces étoffes, si
lentement et si difficilement exécutées. Un beau sahrong,
sans coulées de cire, sans taches, sans lunes (produites
par une goutte de cire tombée par mégarde hors du
dessin), vaut plus de cent francs, et n’a pourtant que
deux mètres et demi de long sur un mètre de large.
N’étant pas chimiste, je ne pus me rendre compte des
produits employés soit pour obtenir, soit pour fixer les
tons de ces étoffes<ref>L’ouvrage intitulé : ''Description de Java, par Haffles et Crawfurd,
traduit de l’anglais par Marchal. Bruxelles, 1824'', pourra
être utilement consulté à ce sujet. J’en extrais les détails suivants
sur la composition de quelques « -uns des tons des teintures indiennes.
<p>Le ''bleu'' s’obtient au moyen du vin de l’aren (''borassus gomutus'') ;
le ''noir'', au moyen de l’écorce exotique ting’i et de celle du mangoustan
(''garcinia mangostana'') ; il se fabrique aussi à l’aide
d’autres infusions, et, en particulier, de celle de la paille de riz ; le
''vert'' est un mélange de bleu clair et d une décoction de tegrang
(bois exotique), auquel on ajoute du vitriol ; le ''jaune'' est composé
de tegrang et d’écorce de nangka (''artocarpus integrifolia'') ; enfin,
l’''écarlate'' s’obtient de la racine du wong-koudou (''morinda umbellata''),
mais, avant d’être plongée dans une infusion de cette plante,
renforcée d’écorce de jirak, l’étoffe a été préalablement bouillie
dans l’huile de wyen ou kamiri et lavée dans une décoction de merang
ou paille de pari. — Notons ici cette particularité que certaines
nuances d’étoffes sont exclusivement réservées aux souverains.</p></ref> ; mais ce que je puis assurer, pour
l’avoir expérimenté moi-même, c’est qu’ils sont à l’épreuve
des lavages les plus brutaux et les plus fréquents :
l’indienne s’use et se déchire ; mais plus elle vieillit,
plus ses couleurs deviennent riches et vives.
Le produit naturel le plus intéressant du pays, tant
par les nombreux usages auxquels il se prête que par
l’intelligence industrielle qu’il donne aux indigènes occasion
de déployer, est certainement le bois de bambou.
Non-seulement il sert comme bois de charpente à la
construction des maisons, mais il en fournit aussi les
cloisons extérieures et intérieures. Pour ce dernier
<references/> |
Le Tour du monde - 10.djvu/258 |
Rien n’est plus navrant que le chant des galériens javanais ;
il est resté gravé dans ma mémoire, et jamais
je n’ai pu le fredonner sans me sentir douloureusement
oppressé.
<includeonly>
[[Fichier:Le Tour du monde-10-p260.jpg|thumb|center|500px|{{c|Les galériens. — Dessin de M. de Molins.}}]]
</includeonly>
Ce fut pendant mon séjour à Soërabaïja que M. Pahu,
gouverneur général à Java pour le roi de Hollande, fit
dans l’île sa tournée d’inspection quinquennale, comme
le font tous les gouverneurs généraux avant leur rentrée
en Hollande et après leurs cinq années de fonctions. Une
grande fête avait été ordonnée pour la réception de ce
haut personnage ; la ville avait été ornée d’arcs de triomphe
où le bambou, le roting et les palmes de cocotiers
jouaient le premier rôle : de tous côtés, s’élevaient ces
gracieux et légers monuments, entièrement dus au talent
des indigènes.
Le jour de l’arrivée de Son Excellence, je vis dès le
matin s’échelonner sur la route que devait suivre le {{sic2|cortége}},
des hommes armés de lances et vêtus uniformément
de vestes de mêmes couleurs et de sahrongs relevés
de la même manière. Sur les quais stationnait la
foule indigène, et dans le milieu de la chaussée circulaient
les Européens en voiture, à pied ou à cheval.
Vers neuf heures, le canon des forts de la mer annonce
le débarquement du gouverneur, et une demi-heure
après, nous voyons passer devant nous un tourbillon
sans nom, une mêlée lancée à fond de train, où
voitures et escorte sont dans un tel désordre qu’il est
impossible de rien distinguer : c’est le {{sic2|cortége}} du gouverneur.
De temps en temps, un amoncellement d’hommes
et de chevaux se forme dans la cohue : c’est un cavalier
démonté, un cheval qui vient de s’abattre, et tous
ceux qui le suivent s’arrêtent et s’accumulent derrière
lui ; mais déjà la bête est de nouveau sur pied, l’homme
est vivement remonté en selle ; tout repart au triple galop :
et bientôt la rue reprend son aspect ordinaire.
Je ne suivrai pas le gouverneur général dans les réceptions
officielles, pas plus que dans ses visites aux résidents
de la province de Soërabaïja, et je me bornerai
à rapporter ici les splendeurs d’une fête équestre, espèce
de carrousel que le prince de Soërabaïja lui offrit sur le
champ de manœuvres.
Qu’on se représente une plaine immense entourée de
banians, autour de laquelle s’étale une triple ou quadruple
rangée de chevaux et d’hommes d’armes. Sur des
nattes étendues par terre, les princes qui doivent prendre
part au carrousel attendent que le gouverneur soit
venu se placer dans la tribune élevée pour lui au centre
de la place.
J’ai donc le temps d’examiner leurs traits, les bizarres
ornements de leurs toilettes de cour et les merveilleuses
étoffes de leurs sahrongs et de leurs ceintures.
Plusieurs d’entre eux appartiennent à la race bleue,
et la peau de leur visage, si l’on peut s’exprimer ainsi, a
l’air d’être éclairée en plein midi par un rayon de lune.
Leurs traits, d’une finesse et d’une régularité parfaites,
empreints de la calme mélancolie des Orientaux, me rappellent
involontairement les types que Léopold Robert a
immortalisés dans ses ''Moissonneurs'' ; leurs mouvements
sont pleins de grâce et de souplesse, et le seul reproche
qu’on pourrait faire à cette belle race, ce serait d’être un
peu efféminée.
Leur costume est des plus singuliers. Le sahrong, fait
en soie des plus belles nuances et attaché à la taille par
une ceinture flottante qui descend sur un pantalon fort
juste, étincelle de broderies d’or et laisse à nu la poitrine,
les épaules et les bras, frottés pour la circonstance
de poudre de riz colorée avec du safran. La coiffure est
faite d’un cône tronqué, bleu, rouge ou noir, orné de
galons d’or ou d’argent suivant la dignité de celui qui le
porte ; les oreilles sont garnies d’une sorte d’aile en {{sic2|orfévrerie}}
(''sumping'') d’un travail exquis de finesse et de
légèreté, et j’apprends que les fleurs de melatti qui y sont
adaptées remplacent, pour la présente occasion, les diamants
qui y sont fixés d’habitude, courtoisie faite par les
gens de la cour au régent qui donne la fête et qui, seul
aujourd’hui, a conservé ses pierreries.
Presque tous les princes sont accompagnés des officiers
de leur suite, parmi lesquels on distingue le porte-ombrelle,
chargé de garantir le teint de son seigneur des
rigueurs du soleil. Ces énormes parasols, or, rouges,
verts, bleus, argent, noirs, produisent le plus étrange effet ;
cela tient du bouclier et de la lance, c’est à la fois
militaire et coquet.
Les chevaux ont de belles selles demi-arabes ; le troussequin
en forme de musette est très-original : les unes
sont recouvertes en drap écarlate, les autres brodées
d’or et d’argent. Entre l’étrivière et le flanc du cheval, se
trouve une plaque de bois peint et ciselé, très-agréable
à l’œil, mais qui doit {{sic2|complétement}} empêcher la monture
de sentir la pression des jambes du cavalier ; sur
la croupière, sont adaptés de gros modillons d’or ou
d’argent ciselés avec un goût exquis ; la têtière et la bride
ressemblent beaucoup à celles des Arabes.
Bientôt cependant une grande animation se remarque
dans tous les groupes. Les hommes se lèvent, les chevaux
se pressent, se poussent et se mettent à ruer : on
monte à cheval, on se met en colonne. C’est le gouverneur
général qui vient d’arriver et le régent qui a donné
le signal.
Alors commença un immense carrousel, très-long,
très-compliqué, très-fatigant pour les acteurs comme
pour le public, et qui dura plusieurs heures. Comme
notre description n’en donnerait qu’une idée très-imparfaite,
nous nous bornerons donc à en indiquer les
incidents les plus remarquables.
Tous les cavaliers sont en selle ; l’immense colonne
s’élance au galop et parcourt trois fois l’arène ouverte
devant elle ; les sahrongs volent, les ceintures brillent
au soleil, et le tourbillon étincelant passe et repasse dans
la poussière dorée que soulèvent ses quinze mille chevaux.
Puis les cavaliers, se divisant en deux escadrons,
vont se ranger aux deux extrémités de la plaine ; les deux
armées se chargent alors mutuellement, à la manière
des Arabes dans leurs ''fantasias'', s’arrêtant au moment
où elles vont se heurter, et retournant sur leurs pas pour
se charger encore.
<references/> |
Le Tour du monde - 10.djvu/245 | {{tiret2|appren|tissage}} de malais bon gré mal gré, car tous les Chinois
ne savent pas parler fallançais comme lui, il reviendra,
le sourire sur les lèvres, me donnant cabayas et pantalons
au prix que j’ai fixé et se recommandera même à
moi, par une mimique significative qui me laissera persuadé que je suis volé comme dans un bois.
[[Fichier:Le Tour du monde-10-p245.jpg|thumb|center|500px|{{c|Marchand de paniers, à Batavia. — Dessin de Bida d’après une photographie.}}]]
Pour abréger la soirée, je vais faire une promenade à
pied, après mon dîner. Mais ce n’est pas chose facile de
marcher la nuit, sans clair de lune, dans le pays de Java.
Il y fait nuit, nuit complète ; on ne voit pas très-peu ou
très-indistinctement, c’est rien qu’il faut dire. Malgré la
faible lueur des lampes suspendues aux galeries des maisons,
les arbres, la terre et l’eau ne forment qu’une seule
masse noire, opaque, sans éloignements et sans distances.
Il serait même impossible de se garer des indigènes, qui
sont bruns et marchent nu-pieds, sans une ordonnance
de police qui les oblige à porter, dès la fin du jour, des
flambeaux de bambou ; j’en vois aussi passer près de
<references/> |
Le Tour du monde - 10.djvu/244 | indigènes, coiffé de son immense chapeau en forme
d’ombrelle et portant sur une traverse en bambou des
paniers de toutes sortes, tous en bambou également ; ce
sont des corbeilles plates, des cônes pour faire cuire le
riz à la vapeur, des tamis, des boîtes pour serrer la petite
monnaie et qui ressemblent à des nids d’oiseaux, des
cuillers de cuisine en coco, etc. : le marchand disparaît
presque tout entier sous sa gracieuse marchandise.
<includeonly>
[[Fichier:Le Tour du monde-10-p245.jpg|thumb|center|500px|{{c|Marchand de paniers, à Batavia. — Dessin de Bida d’après une photographie.}}]]
</includeonly>
« Moi, pallé fallançais, me dit un enfant du Céleste
Empire qui ne peut pas prononcer l’r, moi, pallé fallançais.
— Ah !... Eh bien ! vends-moi un pantalon de nuit et
une camisole de coton.
— Là, messel, toutsuitt, messel ? Mizol, patalo ! Thjiélanna,
cabaya. Là, messel, là.
— Comment dis-tu ?
— Thjiélanna, patalo, messel ! Mizol, cabaya ! Bon
macé, messel ! good, wehy good, messel ! ajoutait-il en
étirant les objets qu’il me montrait, de manière à prouver
leur solidité au plus incrédule chaland.
[[Fichier:Le Tour du monde-10-p244a.jpg|thumb|center|400px|{{c|La cueillette du siry. — Dessin de M. de Molins.}}]]
— Et combien vends-tu le thjiélanna et le cabaya ?
— Dou loupi, patalo ; dou loupi, mizol.
— Une roupie les deux, dis-je à mon tour.
— Dou loupi, messel, c’est pas cel.
— Une roupie, te dis-je.
— No, messel, tlop bon macé ! Bankloutt, messel.
— Comment ? {{corr|Bauqueroute|Banqueroute}}, veux-tu dire ?
— Bankloutt messel, bankloutt !
— Mais c’est le prix ?
— Bankloutt ! bankloutt. »
Et mon Chinois indigné plie immédiatement bagage
et me tourne le dos sans {{corr|daiguer|daigner}} même me saluer.
Il est vrai qu’à l’heure du dîner, quand j’aurai bien
bataillé avec mes marchands et commencé mon {{tiret|appren|tissage}}
<references/> |
Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/222 | On avait prévu quelques coups de fusil échangés simplement entre avant-gardes et avant-postes. La surprise que causa à tous la vigueur avec laquelle furent repoussées, le matin, les compagnies envoyées en avant, entraîna, le soir même, la mise en mouvement immédiat des fédérés sur tous les points de Paris. La confusion fut grande, mais au départ seulement. Les fédérés avaient pris leurs fusils dans un élan impulsif et s’étaient mis sur les rangs sans attendre qu’on eût sonné le rassemblement ou battu le rappel. Les nouvelles de l’échec de Courbevoie avaient suffi comme ordre d’appel. On avait crié ici et là, devant les maisons, dans les cours et les allées : « Aux armes ! Les Versaillais sont là ! » Et l’on s’était précipité, au hasard, au devant de l’ennemi signalé. Chacun choisissait un peu selon ses préférences son poste de combat et le chef qui devait y conduire. Selon son quartier, on s’était groupé tant bien que mal. Les compagnies étaient mêlées et les bataillons confondus. On se cherchait dans le désordre de la nuit. Les plus ardents couraient se joindre à celui des trois corps qu’on supposait devoir suivre la route la plus courte pour atteindre l’ennemi et le battre. On se criait les uns aux autres : « À Versailles ! » On voulait y arriver, on y arriverait ! Comment et par quel chemin ? c’était l’affaire des chefs. Ils n’avaient qu’à commander, on irait, et l’on verrait après ! Cette ruée farouche hors des murs d’une population exaspérée, cette poussée pêle-mêle et sans s’occuper du danger n’avait rien des mouvements réglés d’une armée aux formations régulières, divisée en colonnes, devant se diriger avec ordre et ensemble vers un objectif assigné. Comme sous une irrésistible impulsion cette masse s’était levée. Sans attendre la convocation des chefs, la prise d’armes était décidée dans les esprits. L’irruption enthousiaste et furieuse en dehors de l’enceinte fortifiée, la marche à la délivrance,
<references/> |
Auguste Escoffier - Le Guide Culinaire - Aide-mémoire de cuisine pratique, 1903.djvu/117 |
{{brn|4}}
{{c|{{style|font-size:130%; font-family:'Didot';font-weight:900|{{Esp|SÉRIE DES APPAREILS ET PRÉPARATIONS DIVERSES POUR GARNITURES CHAUDES|10}}}}}}
{{Séparateur|4|mt=2em|mb=3em}}
'''Appareils à Cromesquis et à Croquettes'''. — Voir au
chapitre des ''Hors-d’œuvre chauds''.
'''Appareils à pommes Dauphine, Duchesse, et Marquise'''.
— Voir au chapitre des ''Légumes'' à l’article ''Pommes de
terre.''
'''Appareil Maintenon''' [''Pour farcir les côtelettes de ce nom''). —
Réduire de moitié 4 décilitres de sauce Béchamel et 1 décilitre de
Soubise.
Faire la liaison avec 3 jaunes d’œufs, et ajouter 100 grammes
de champignons émincés, étuvés au beurre à l’avance.
'''Appareil à la Montglas''' [''Pour côtelettes et divers''). — Détailler
en julienne courte et un peu plus grosse que la julienne
ordinaire : 150 grammes de langue écarlate, 100 grammes de
champignons cuits, et 100 grammes de truffes.
Lier cette julienne avec 2 décilitres et demi de sauce Demi-glace
au Madère très réduite ; étaler sur un plat beurré, et laisser
refroidir pour l’emploi.
'''Appareil à la Provençale''' (''Pour côtelettes farcies''). — Réduire
très serrée 5 décilitres de sauce Béchamel. L’additionner
d’une pointe d’ail écrasé, et faire la liaison avec 3 jaunes d’œufs.
'''Bordures en farce'''. — Ces bordures se font en farce de
même nature que l’élément principal des mets auxquels elles
servent de support, et se pochent dans des moules à bordure, unis
ou cannelés, grassement beurrés.
Les moules unis sont décorés à volonté avec de belles lames de
truffes, détails de blanc d’œuf poché, langue écarlate, pistaches,
etc.
On peut se dispenser de décorer les moules historiés.
Ces bordures servent surtout pour les Entrées de volaille, de poisson, et petites Entrées de viandes de boucherie saucées.<br>{{FAD|7|marge=2em}}
<references/> |
Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/224 | corps en reconnaissance se rapprocher. Chaque matin on signalait plus proches les grand’gardes de l’ennemi. Les généraux ne voulaient point temporiser et repoussaient la tactique que devait préconiser et malheureusement appliquer Cluseret : ils ne voulaient pas attendre d’être bloqués dans Paris pour commencer le feu. Avec raison, le moment d’agir leur paraissait venu. Leur position n’était point alors désavantageuse. Ils disposaient de forces, sans doute en partie inexercées, point aguerries, mais suffisamment armées et animées du meilleur esprit. Pleins d’ardeur, les officiers attendaient chaque jour le signal. La bravoure, l’intrépidité même, se manifestaient partout dans les rangs. Cette armée irrégulière avait, dans son ensemble, le désir de bien se comporter au feu. Il convient de faire remarquer qu’au 3 avril elle était encore supérieure en nombre à l’ennemi au devant duquel elle était impatiente de s’élancer. C’étaient là de sérieux éléments de succès.
Comme position topographique, les fédérés avaient derrière eux pour appui, et en cas improbable d’un échec, pour protéger une retraite, les forts du sud, l’enceinte bastionnée et de gros villages barricadés. Au devant d’eux s’étendait, au sud-ouest, une campagne accidentée, vallonnée où la cavalerie versaillaise ne pourrait se déployer ; à l’ouest le terrain était très boisé, avec les hauteurs de Rueil, de Garches et des pentes, des ravins, d’accès difficile à l’artillerie ; enfin au nord-ouest on rencontrait la Seine et des bourgs considérables, Asnières, Clichy, Levallois, Courbevoie. La plaine, entre Courbevoie, Bezons, Nanterre, offrait pour déployer des forces considérables, un vaste champ, que Versailles n’occupait pas. On pouvait, avec les troupes du centre-ouest et l’aile droite du nord-ouest, atteindre le plateau du Butard dominant le Chesnay et Versailles, sans rencontrer d’autres obstacles que ceux
<references/> |
Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/225 | des routes aux pentes raides environnées de bois, montant au-dessus de Rueil, de Bougival et de la Celle-Saint-Cloud.
La sortie n’était pas imprudemment décidée. Il n’y avait qu’à en fixer l’échéance. La date ne devait pas en être trop éloignée. Plus on différait le choc, plus on le rendait hasardeux. Tout en ne soupçonnant pas la hâte fébrile et la merveilleuse activité, avec lesquelles {{M.|Thiers}} avait rassemblé des troupes, embrigadé les rapatriés d’Allemagne, et restauré, au physique et au moral, ces hommes délabrés et désorbités, les généraux de la Commune savaient que des renforts survenaient à Versailles tous les jours, et que les Allemands faciliteraient de leur mieux la reconstitution de l’armée impériale. Il ne fallait pas attendre que toutes les forces dont {{roi|Napoléon|III}} et Bazaine ne s’étaient pas servis fussent reconstituées et prêtes à entrer en lignes. Se hâter de prendre l’offensive était, au point de vue militaire, le meilleur. Quand la Commune aurait battu les troupes rassemblées déjà autour de Versailles, elle se porterait au devant des renforts attendus ou en voie d’organisation, et dans cette série de combats contre des fractions d’armées, aux éléments désorganisés et démoralisées, elle aurait certainement l’avantage. Ceci n’était ni mal raisonné, ni téméraire ; et l’attaque sur Versailles des trois côtés à la fois, devait forcer ses défenseurs à éparpiller leurs forces.
Avec toutes leurs troupes massées, offrant un avantage numérique sur les corps versaillais fractionnés, les fédérés eussent attaqué ceux-ci successivement, sans leur permettre de se rejoindre. Les généraux versaillais, obligés de faire face à Duval au sud, à Eudes au sud-ouest, à Bergeret à l’ouest, et à Flourens au nord-ouest, dans la nécessité alors de découvrir Versailles, quartier général et siège du gouvernement, eussent été probablement culbutés séparément,
<references/> |
Bassompierre - Journal de ma vie, 4.djvu/129 | continua encores jusques a ce que le roy alla disner, et
que monsieur le cardinal le suyvit.
Cette brouillerie fut tenue sy secrette de toutes
parts, qu'aucun n’en sceut rien et qu’on ne s’en doutta
pas. Mesmes Monsieur frere du roy, quy avoit esté au
devant du roy jusques a Montargis, le roy luy ayant
fort prié de s’accommoder avec monsieur le cardinal
a quy il vouloit mal, luy avoit respondu qu’il luy supplioit tres humblement de vouloir entendre les justes raysons qu’il avoit de le hair, apres quoy il feroit tout
ce qu’il plairoit a Sa Majesté luy commander, ce que
le roy ayant escouté tout au long, pria Monsieur de
vouloir oublier ses pretendues offenses et aymer monsieur le cardinal, luy avoit promis<ref>C'est-à-dire{{lié}}: Monsieur le lui avait promis.</ref>{{lié}}; mais le roy estant arrivé le samedy a Paris, soit que Monsieur fut mallade, ou qu’il feignit de l’estre, n’estoit point
encores venu trouver le roy quy le soir mesme<ref>Le soir même du dimanche 10 novembre.</ref> envoya Le Plessis Pralain apprendre des nouvelles de sa santé{{lié}}: mais peu apres, Le Plessis Pralain vint dire au roy que monsieur son frere estoit dans le logis, quy le
venoit trouver{{lié}}; sur quoy le roy envoya querir monsieur
le cardinal, et ayant un peu parlé a monsieur son frere,
luy presenta monsieur le cardinal et le pria de l’aymer
et de le tenir pour son serviteur, ce que Monsieur promit assés froidement au roy de faire, pourveu qu'il se comportat envers luy comme il devoit. J’estois present
en cet accord apres lequel estant proche de monsieur
le cardinal, il me prit et me dit{{lié}}: «{{lié}}Monsieur se plaint
de moy, et Dieu sçait s’il en a sujet{{lié}}; mais les battus
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Szozat | Mihály Vörösmarty Szozat Traduction par Melchior de Polignac. Poésies magyares, Texte établi par Melchior de Polignac, Ollendorff, 1896 (p. xvi-xvii). collectionSzozatMihály VörösmartyMelchior de PolignacOllendorff1896ParisCPolignac - Poésies magyares, Ollendorff, 1896.djvuPolignac - Poésies magyares, Ollendorff, 1896.djvu/9xvi-xvii À ta patrie sans défaillance Sois fidèle, ô Magyar ! Elle est ton berceau et ta tombe, Elle te nourrit et doit t’ensevelir. Dans le vaste monde, hors d’ici, Il n’est pas de place pour toi, Heureux ou malheureux Il te faut y vivre, y mourir. C’est la terre sur laquelle Le sang de tes pères a coulé, À elle, que mille ans ont soudé Chacun des noms que tu vénères. C’est ici que pour la patrie Ont lutté les armées d’Arpad, Et qu’ont enfin brisé ses chaînes Les bras de grand Hunyad. Liberté ! c’est ici qu’on porta Tes étendards rougis du sang De nos plus vaillants, succombés Pendant cette lutte si longue. Et, après tant de mauvais jours Et malgré les dissensions, Amoindrie, mais non écrasée, La nation vit dans la patrie. C’est à toi, univers, patrie de nations, Que bravement elle s’adresse : Dix siècles de souffrance ne méritent-ils pas La vie complète ou bien la mort ? Se pourrait-il que tant de cœurs Aient en vain versé tout leur sang ? Que tant d’âmes fidèles aient souffert En vain, brisées pour la patrie ? Se peut-il que tant de génies, de forces, De volontés si saintes Se consument sans résultat Sous le poids des malédictions ? Il faut qu’il vienne, il reviendra Le temps meilleur, que demandent En soupirant, les ferventes prières De centaines de milliers de lèvres ! Ou bien... qu’elle vienne, s’il le faut, La mort sublime et grandiose Où la race entière écrasée Aura la même sépulture ! Et les peuples entoureront Ce tombeau de toute une race, Dans les yeux de millions d’humains Brilleront des larmes de deuil. Sois inébranlable et fidèle À ta patrie, ô Magyar ! Elle te fait vivre ; si tu tombes, Sa poussière te recouvrira. Dans le vaste monde, hors d’ici Il n’est pas de place pour toi ; Heureux ou malheureux Il te faut y vivre, y mourir. |
Contes de la bécasse (Havard, 1894)/Pierrot | Guy de Maupassant Contes de la bécasse (Havard, 1894) Contes de la bécasse, V. Havard éd., 1894 (p. 53-66). collectionContes de la bécasse (Havard, 1894)Guy de MaupassantV. Havard éd.1894ParisTMaupassant - Contes de la bécasse, 1894.djvuMaupassant - Contes de la bécasse, 1894.djvu/653-66 À Henry Roujon. Mme Lefèvre était une dame de campagne, une veuve, une de ces demi-paysannes à rubans et à chapeaux falbalas, de ces personnes qui parlent avec des cuirs, prennent en public des airs grandioses, et cachent une âme de brute prétentieuse sous des dehors comiques et chamarrés, comme elles dissimulent leurs grosses mains rouges sous des gants de soie écrue. Elle avait pour servante une brave campagnarde toute simple, nommée Rose. Les deux femmes habitaient une petite maison à volets verts, le long d’une route, en Normandie, au centre du pays de Caux. Comme elles possédaient, devant l’habitation, un étroit jardin, elles cultivaient quelques légumes. Or, une nuit, on lui vola une douzaine d’oignons. Dès que Rose s’aperçut du larcin, elle courut prévenir madame, qui descendit en jupe de laine. Ce fut une désolation et une terreur. On avait volé, volé Mme Lefèvre ! Donc, on volait dans le pays, puis on pouvait revenir. Et les deux femmes effarées contemplaient les traces de pas, bavardaient, supposaient des choses : « Tenez, ils ont passé par là. Ils ont mis leurs pieds sur le mur ; ils ont sauté dans la plate-bande ». Et elles s’épouvantaient pour l’avenir. Comment dormir tranquilles maintenant ! Le bruit du vol se répandit. Les voisins arrivèrent, constatèrent, discutèrent à leur tour ; et les deux femmes expliquaient à chaque nouveau venu leurs observations et leurs idées. Un fermier d’à côté leur offrit ce conseil : « Vous devriez avoir un chien ». C’était vrai, cela ; elles devraient avoir un chien, quand ce ne serait que pour donner l’éveil. Pas un gros chien, Seigneur ! Que feraient-elles d’un gros chien ! Il les ruinerait en nourriture. Mais un petit chien (en Normandie, on prononce quin), un petit freluquet de quin qui jappe. Dès que tout le monde fut parti, Mme Lefèvre discuta longtemps cette idée de chien. Elle faisait, après réflexion, mille objections, terrifiée par l’image d’une jatte pleine de pâtée ; car elle était de cette race parcimonieuse de dames campagnardes qui portent toujours des centimes dans leur poche pour faire l’aumône ostensiblement aux pauvres des chemins, et donner aux quêtes du dimanche. Rose, qui aimait les bêtes, apporta ses raisons et les défendit avec astuce. Donc il fut décidé qu’on aurait un chien, un tout petit chien. On se mit à sa recherche, mais on n’en trouvait que des grands, des avaleurs de soupe à faire frémir. L’épicier de Rolleville en avait bien un, un tout petit ; mais il exigeait qu’on le lui payât deux francs, pour couvrir ses frais d’élevage. Mme Lefèvre déclara qu’elle voulait bien nourrir un « quin », mais qu’elle n’en achèterait pas. Or, le boulanger, qui savait les événements, apporta, un matin, dans sa voiture, un étrange petit animal tout jaune, presque sans pattes, avec un corps de crocodile, une tête de renard et une queue en trompette, un vrai panache, grand comme tout le reste de sa personne. Un client cherchait à s’en défaire. Mme Lefèvre trouva fort beau ce roquet immonde, qui ne coûtait rien. Rose l’embrassa, puis demanda comment on le nommait. Le boulanger répondit : « Pierrot. » Il fut installé dans une vieille caisse à savon et on lui offrit d’abord de l’eau à boire. Il but. On lui présenta ensuite un morceau de pain. Il mangea. Mme Lefèvre, inquiète, eut une idée : « Quand il sera bien accoutumé à la maison, on le laissera libre. Il trouvera à manger en rôdant par le pays. » On le laissa libre, en effet, ce qui ne l’empêcha point d’être affamé. Il ne jappait d’ailleurs que pour réclamer sa pitance ; mais, dans ce cas, il jappait avec acharnement. Tout le monde pouvait entrer dans le jardin. Pierrot allait caresser chaque nouveau venu, et demeurait absolument muet. Mme Lefèvre cependant s’était accoutumée à cette bête. Elle en arrivait même à l’aimer, et à lui donner de sa main, de temps en temps, des bouchées de pain trempées dans la sauce de son fricot. Mais elle n’avait nullement songé à l’impôt, et quand on lui réclama huit francs, — huit francs, madame ! — pour ce freluquet de quin qui ne jappait seulement point, elle faillit s’évanouir de saisissement. Il fut immédiatement décidé qu’on se débarrasserait de Pierrot. Personne n’en voulut. Tous les habitants le refusèrent à dix lieues aux environs. Alors on se résolut, faute d’autre moyen, à lui faire « piquer du mas ». « Piquer du mas », c’est « manger de la marne ». On fait piquer du mas à tous les chiens dont on veut se débarrasser. Au milieu d’une vaste plaine, on aperçoit une espèce de hutte, ou plutôt un tout petit toit de chaume, posé sur le sol. C’est l’entrée de la marnière. Un grand puits tout droit s’enfonce jusqu’à vingt mètres sous terre, pour aboutir à une série de longues galeries de mines. On descend une fois par an dans cette carrière, à l’époque où l’on marne les terres. Tout le reste du temps, elle sert de cimetière aux chiens condamnés ; et souvent, quand on passe auprès de l’orifice, des hurlements plaintifs, des aboiements furieux ou désespérés, des appels lamentables montent jusqu’à vous. Les chiens des chasseurs et des bergers s’enfuient avec épouvante des abords de ce trou gémissant ; et, quand on se penche au-dessus, il sort une abominable odeur de pourriture. Des drames affreux s’y accomplissent dans l’ombre. Quand une bête agonise depuis dix à douze jours dans le fond, nourrie par les restes immondes de ses devanciers, un nouvel animal, plus gros, plus vigoureux certainement, est précipité tout à coup. Ils sont là, seuls, affamés, les yeux luisants. Ils se guettent, se suivent, hésitent, anxieux. Mais la faim les presse : ils s’attaquent, luttent longtemps, acharnés ; et le plus fort mange le plus faible, le dévore vivant. Quand il fut décidé qu’on ferait « piquer du mas » à Pierrot, on s’enquit d’un exécuteur. Le cantonnier qui binait la route demanda dix sous pour la course. Cela parut follement exagéré à Mme Lefèvre. Le goujat du voisin se contentait de cinq sous ; c’était trop encore ; et, Rose ayant fait observer qu’il valait mieux qu’elles le portassent elles-mêmes, parce qu’ainsi il ne serait pas brutalisé en route et averti de son sort, il fut résolu qu’elles iraient toutes les deux, à la nuit tombante. On lui offrit, ce soir-là, une bonne soupe avec un doigt de beurre. Il l’avala jusqu’à la dernière goutte ; et, comme il remuait la queue de contentement, Rose le prit dans son tablier. Elles allaient à grands pas, comme des maraudeuses, à travers la plaine. Bientôt elles aperçurent la marnière et l’atteignirent ; Mme Lefèvre se pencha pour écouter si aucune bête ne gémissait. — Non — il n’y en avait pas ; Pierrot serait seul. Alors Rose qui pleurait, l’embrassa, puis le lança dans le trou ; et elles se penchèrent toutes deux, l’oreille tendue. Elles entendirent d’abord un bruit sourd ; puis la plainte aiguë, déchirante, d’une bête blessée, puis une succession de petits cris de douleur, puis des appels désespérés, des supplications de chien qui implorait, la tête levée vers l’ouverture. Il jappait, oh ! il jappait ! Elles furent saisies de remords, d’épouvante, d’une peur folle et inexplicable ; et elles se sauvèrent en courant. Et, comme Rose allait plus vite, Mme Lefèvre criait : « Attendez-moi, Rose, attendez-moi ! » Leur nuit fut hantée de cauchemars épouvantables. Mme Lefèvre rêva qu’elle s’asseyait à table pour manger la soupe, mais, quand elle découvrait la soupière, Pierrot était dedans. Il s’élançait et la mordait au nez. Elle se réveilla et crut l’entendre japper encore. Elle écouta ; elle s’était trompée. Elle s’endormit de nouveau et se trouva sur une grande route, une route interminable, qu’elle suivait. Tout à coup, au milieu du chemin, elle aperçut un panier, un grand panier de fermier, abandonné ; et ce panier lui faisait peur. Elle finissait cependant par l’ouvrir, et Pierrot, blotti dedans, lui saisissait la main, ne la lâchait plus ; et elle se sauvait éperdue, portant ainsi au bout du bras le chien suspendu, la gueule serrée. Au petit jour, elle se leva, presque folle, et courut à la marnière. Il jappait ; il jappait encore, il avait jappé toute la nuit. Elle se mit à sangloter et l’appela avec mille petits noms caressants. Il répondit avec toutes les inflexions tendres de sa voix de chien. Alors elle voulut le revoir, se promettant de le rendre heureux jusqu’à sa mort. Elle courut chez le puisatier chargé de l’extraction de la marne, et elle lui raconta son cas. L’homme écoutait sans rien dire. Quand elle eut fini, il prononça : « Vous voulez votre quin ? Ce sera quatre francs ». Elle eut un sursaut ; toute sa douleur s’envola du coup. « Quatre francs ! vous vous en feriez mourir ! quatre francs ! ». Il répondit : « Vous croyez que j’vas apporter mes cordes, mes manivelles, et monter tout ça, et m’n aller là-bas avec mon garçon et m’faire mordre encore par votre maudit quin, pour l’ plaisir de vous le r’donner ? fallait pas l’ jeter. » Elle s’en alla, indignée. — Quatre francs ! Aussitôt rentrée, elle appela Rose et lui dit les prétentions du puisatier. Rose, toujours résignée, répétait : « Quatre francs ! c’est de l’argent, madame. » Puis, elle ajouta : « Si on lui jetait à manger, à ce pauvre quin, pour qu’il ne meure pas comme ça ? » Mme Lefèvre approuva, toute joyeuse ; et les voilà reparties, avec un gros morceau de pain beurré. Elles le coupèrent par bouchées qu’elles lançaient l’une après l’autre, parlant tour à tour à Pierrot. Et sitôt que le chien avait achevé un morceau, il jappait pour réclamer le suivant. Elles revinrent le soir, puis le lendemain, tous les jours. Mais elles ne faisaient plus qu’un voyage. Or, un matin, au moment de laisser tomber la première bouchée, elles entendirent tout à coup un aboiement formidable dans le puits. Ils étaient deux ! On avait précipité un autre chien, un gros ! Rose cria : « Pierrot ! » Et Pierrot jappa, jappa. Alors on se mit à jeter la nourriture ; mais, chaque fois elles distinguaient parfaitement une bousculade terrible, puis les cris plaintifs de Pierrot mordu par son compagnon, qui mangeait tout, étant le plus fort. Elles avaient beau spécifier : « C’est pour toi, Pierrot ! » Pierrot, évidemment, n’avait rien. Les deux femmes, interdites, se regardaient ; et Mme Lefèvre prononça d’un ton aigre : « Je ne peux pourtant pas nourrir tous les chiens qu’on jettera là dedans. Il faut y renoncer ». Et, suffoquée à l’idée de tous ces chiens vivants à ses dépens, elle s’en alla, emportant même ce qui restait du pain qu’elle se mit à manger en marchant. Rose la suivit en s’essuyant les yeux du coin de son tablier bleu. |
Un oncle à héritage/1 | Stella Blandy Un oncle à héritage Librairie Bloud et Barral, 1883 (p. 1-6). Chapitre 2 ► Chapitre 1 bookUn oncle à héritageStella BlandyLibrairie Bloud et Barral1883ParisCChapitre 1Blandy - Un oncle a heritage.djvuBlandy - Un oncle a heritage.djvu/131-6 — Madame, dit la femme de service en entrant dans la salle à manger au moment où la causerie s’animait devant le dessert à demi dévasté, c’est une dépêche qu’on apporte du télégraphe. La correspondance par voie électrique n’est pas assez passée dans nos mœurs pour que l’arrivée d’un télégramme soit chose aussi banale que la remise d’une lettre. La maîtresse de la maison, qui avait ce soir-là deux étrangers à sa table, prit le papier bleu du télégraphe et le posa près de son assiette sans l’ouvrir, mais avec une curiosité et un trouble évidents. — Madame, lui dit le plus âgé de ses deux convives, ne nous traitez pas avec cette cérémonie, et prenez connaissance de ce télégramme... Monsieur Albert, joignez-vous à moi pour solliciter Mme Maudhuy de nous traiter, comme il sied, en amis de la maison. — Je n’oserais m’honorer si tôt de ce titre qui vous appartient, monsieur Langeron, répliqua le jeune homme en s’inclinant devant le vieillard ; mais Charles peut affirmer que sa familiarité avec moi autorise sa mère à me traiter sans façons. — Eh ! sans doute, dit à son tour Charles Maudhuy. Une dépêche, c’est toujours un événement inattendu qui rompt toutes obligations présentes, et qui demande à être connu à la minute ; mais les femmes — j’en demande pardon à ma mère — sont dominées par les menues convenances de détail, au point d’y sacrifier l’essentiel. Charles Maudhuy exprimait là, d’un ton à demi gai, une de ses convictions intimes. Qu’elle fût ou non à l’honneur de ses vingt-six ans, elle s’harmonisait chez lui avec son attitude un peu gourmée, avec sa manière de porter haut la tête et de cligner les paupières pour regarder. Mais en ce moment il tenait ses yeux tout grands ouverts et fixés avec une expression d’avidité sur le télégramme. On eût dit qu’il lisait une nouvelle impatiemment attendue à travers les plis du papier bleu. — Eh bien, mère, tu ne te décides pas ? dit-il en voyant que Mme Maudhuy tournait l’enveloppe entre ses mains sans se résoudre à en faire sauter le cachet blanc. — C’est involontaire, répondit Mme Maudhuy, et je vous prie, messieurs, d’excuser cet incident désagréable qui vient nous gâter la fête de mon fils, que vous avez été assez aimables pour vouloir bien célébrer avec nous. Oui, c’est involontaire ; je n’ai jamais pu ouvrir un télégramme sans un battement de cœur. C’est une série de dépêches qui, en trois jours, — il y à longtemps déjà, — porta la ruine dans notre maison. Enfin, c’est par un télégramme que j’ai appris que j’étais veuve, et vous, mes enfants, orphelins. Charles Maudhuy s’agita sur sa chaise. Ces détails oiseux, ces explications d’un sentiment féminin, l’impatientaient ; mais sa sœur, qui était assise à table entre lui et M. Langeron, fut plus sensible à ce rappel d’un triste passé. Elle se leva, vint embrasser sa mère et retourna vers sa place avec la même grâce muette. — Enfin, poursuivit Mme Maudhuy, je ne puis me défendre d’une sorte de superstition contre les nouvelles que m’apporte le télégraphe. — Peut-être celles-ci te feront-elles changer d’avis, lui dit son fils avec un singulier sourire, mêlé d’espoir et d’anxiété. — Ta sais donc d’avance ce que contient cette dépêche ? — Comment le saurais-je ? Mais le sang me bout sous les ongles d’attendre ainsi. Charles Maudhuy joignit le geste à la parole. Il allongea le bras par-dessus le couvert d’Albert Develt, placé à la gauche de Mme Maudhuy ; il prit la dépêche, l’ouvrit d’un geste si brusque qu’elle en fut déchirée au coin, et tout en murmurant : — C’est cela... c’est bien cela ! Il tira vivement sa montre et articula plus haut : — Il n’est que sept heures moins un quart. Ah ! quel bonheur que le dimanche nous ait fait avancer le dîner ! Cécile, ma petite sœur, que ma valise soit préparée d’ici à dix minutes. Je cours moi-même choisir une voiture qui ait un bon cheval. Tous les convives furent debout en un instant, se parlant mutuellement sans s’entendre. — Je t’accompagne, dit Albert Develt à son ami. Ils sortirent tous deux, en hâte, pendant que Mme Maudhuy lisait à sa fille et à M. Langeron la dépêche laissée sar la table et ainsi conçue : « M. Maudhuy a fait une chute. N’a pas repris connaissance depuis l’accident survenu à midi. « J. Trassey. » — Et la dépêche est datée d’une heure trois quarts en gare de Sennecey, dit M. Langeron. Ce blessé, madame, est-ce votre beau-frère, l’oncle de vos enfants, dont vous m’avez souvent parlé ? — Lui-même. Une chute assez grave pour causer un évanouissement de deux heures est presque une annonce de mort quand il s’agit d’un vieillard de soixante-quatorze ans. Ah ! le pauvre homme ! je n’ai pas eu beaucoup à me louer de lui, mais je le plains. — Ce cher oncle ! s’écria Cécile, moi qui espérais toujours le revoir, qui rêvais de le retrouver bien portant, bon et aimable comme il l’a toujours été avec moi... — Il faut te hâter, lui dit sa mère, de préparer la valise de ton frère. Avec la permission de M. Langeron, j’irai l’aider tout à l’heure, vérifier si tu n’as rien oublié. — Faites, faites, dit le vieil ami de la maison. Le temps presse ; Charles aura quelque peine à gagner la gare pour l’heure de l’express. Après l’avoir expédié, j’aurai quelques explications à vous demander sur cet événement, mais... Le vieillard pencha la tête vers la porte de la salle à manger restée entr’ouverte, afin de voir si la jeune fille était encore à portée d’entendre ; mais Cécile était déjà affairée à l’autre bout de l’appartement. Quand M. Langeron se fut assuré de son tête-à-tête avec la maîtresse de la maison, il continua : — Mais à condition que vous ne me trouverez pas indiscret de vous interroger sur vos affaires devant M. Albert Develt. L’occasion nous autorise à le mettre au courant de tout ce qui concerne votre famille, et, s’il est un prétendant possible à la main de Mlle Cécile, il vaut mieux qu’il connaisse votre situation de fortune, votre parenté, avant qu’aucune question délicate n’ait été soulevée entre vous. À cet effet, si vous le trouvez bon, madame, je vous questionnerai un peu plus qu’il ne serait besoin de la part d’un aussi ancien ami de votre mari et de votre maison que je suis. — Ce sera une preuve d’intelligente amitié, répondit Mme Maudhuy. Je sais que Cécile plaît à M. Devell, mais j’ignore quelles sont les prétentions pécuniaires de ce jeune homme. Il vaut donc mieux qu’il renonce à ma fille sans mot dire après avoir appris ce soir, comme par hasard, la modestie de notre situation, que s’il se retirait après avoir formulé sa demande. — C’est toute la confiance que vous avez dans l’ami de votre fils, chère madame ? — Est-ce qu’on épouse des filles sans dot de notre temps, et à Paris ? — Sans dot, sans dot ! répliqua M. Langeron en frappant du bout de ses doigts sur le papier bleu de la dépêche ; sans dot, ce mot, redouté des épouseurs, n’est peut-être plus de saison. |
La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 3.djvu | |Type=book
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Les Liaisons dangereuses/Lettre 1 | Pierre Choderlos de Laclos Les Liaisons dangereuses J Rozez, 1869 (volume 1, p. 15-18). ◄ Préface du rédacteur Lettre II — La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont ► Lettre I — Cécile Volanges à Sophie Carnay bookLes Liaisons dangereusesPierre Choderlos de LaclosJ Rozez1869BruxellesCvolume 1Lettre I — Cécile Volanges à Sophie CarnayChoderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvuChoderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/915-18 Cécile Volanges à Sophie Carnay, aux Ursulines de..... Tu vois, ma bonne amie, que je te tiens parole, & que les bonnets & les pompons ne prennent pas tout mon temps ; il m’en restera toujours pour toi. J’ai pourtant vu plus de parures dans cette seule journée que dans les quatre ans que nous avons passés ensemble, & je crois que la superbe Tanville aura plus de chagrin à ma première visite, où je compte bien la demander, qu’elle n’a cru nous en faire toutes les fois qu’elle est venue nous voir in fiocchi. Maman m’a consultée sur tout, & elle me traite beaucoup moins en pensionnaire que par le passé. J’ai une femme de chambre à moi ; j’ai une chambre & un cabinet dont je dispose, & je t’écris à un secrétaire très-joli, dont on m’a remis la clef, & où je peux renfermer tout ce que je veux. Maman m’a dit que je la verrais tous les jours à son lever ; qu’il suffisait que je fusse coiffée pour dîner, parce que nous serions toujours seules, & qu’alors elle me dirait chaque jour l’heure où je devrais l’aller joindre l’après-midi. Le reste du temps est à ma disposition, & j’ai ma harpe, mon dessin, & des livres comme au couvent ; si ce n’est que la mère Perpétue n’est pas là pour me gronder, & qu’il ne tiendrait qu’à moi d’être toujours sans rien faire : mais comme je n’ai pas ma Sophie pour causer ou pour rire, j’aime autant m’occuper. Il n’est pas encore cinq heures ; je ne dois aller retrouver maman qu’à sept ; voilà bien du temps, si j’avais quelque chose à te dire ! Mais on ne m’a encore parlé de rien ; & sans les apprêts que je vois faire, & la quantité d’ouvrières qui viennent toutes pour moi, je croirais qu’on ne songe pas à me marier, & que c’est un radotage de plus de la bonne Joséphine. Cependant maman m’a dit si souvent qu’une demoiselle devait rester au couvent jusqu’à ce qu’elle se mariât, que puisqu’elle m’en fait sortir, il faut bien que Joséphine ait raison. Il vient d’arrêter un carrosse à la porte, & maman me fait dire de passer chez elle, tout de suite. Si c’était le monsieur ! Je ne suis pas habillée, la main me tremble & le cœur me bat. J’ai demandé à la femme de chambre si elle savait qui était chez ma mère : « Vraiment, m’a-t-elle dit, c’est M. C***. » Et elle riait. Oh ! je crois que c’est lui. Je reviendrai sûrement te raconter ce qui se sera passé. Voilà toujours son nom. Il ne faut pas se faire attendre. Adieu, jusqu’à un petit moment. Comme tu vas te moquer de la pauvre Cécile ! Oh ! j’ai été bien honteuse ! Mais tu y aurais été attrapée comme moi. En entrant chez maman, j’ai vu un Monsieur en noir, debout auprès d’elle. Je l’ai salué du mieux que j’ai pu, & suis restée sans pouvoir bouger de ma place. Tu juges combien je l’examinais ! « Madame, a-t-il dit à ma mère, en me saluant, voilà une charmante demoiselle, & je sens mieux que jamais le prix de vos bontés. » À ce propos si positif, il m’a pris un tremblement tel que je ne pouvais me soutenir : j’ai trouvé un fauteuil, & je m’y suis assise, bien rouge & bien déconcertée. J’y étais à peine, que voilà cet homme à mes genoux. Ta pauvre Cécile alors a perdu la tête ; j’étais, comme dit maman, tout effarouchée. Je me suis levée en jetant un cri perçant ; ... tiens, comme ce jour du tonnerre. Maman est partie d’un éclat de rire, en me disant : « Eh bien ! qu’avez-vous ? Asseyez-vous, & donnez votre pied à monsieur. » En effet, ma chère amie, le monsieur était un cordonnier : je ne peux te rendre combien j’ai été honteuse ; par bonheur il n’y avait que maman. Je crois que quand je serai mariée, je ne me servirai plus de ce cordonnier-là. Conviens que nous voilà bien savantes ! Adieu. Il est près de six heures, ma femme de chambre dit qu’il faut que je m’habille. Adieu, ma chère Sophie : je t’aime comme si j’étais encore au couvent. P.S Je ne sais par qui envoyer ma lettre : ainsi j’attendrai que Joséphine vienne. Paris, ce 3 août 17... Pensionnaire du même couvent. Tourière du couvent. |
Henri Poincaré - Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Tome 2, 1893.djvu/426 |
À cause de la présence du terme logarithmique, quand <math>y_1</math> variera
de zéro à <math>2\pi,</math> <math>w_1</math> variera de <math>-\infty</math> à <math>+\infty.</math>
Donc, quand, donnant aux <math>y_k</math> toutes les valeurs possibles, on
fera varier <math>y_1</math> de zéro à <math>2\pi,</math> les <math>w</math> prendront toutes les valeurs
possibles. De plus, dans ces conditions, nous avons vu que <math>\Delta</math> ne
change pas de signe.
Donc les <math>y</math> sont des fonctions ''uniformes'' des <math>w</math> pour toutes les
valeurs réelles des <math>w.</math> En effet, on peut, en parlant de{{lié}}(11) et
de{{lié}}(13) et en appliquant le théorème du {{lia|Chap.02|par030|{{n°|{{t|30|112}}}}|80|Henri Poincaré - Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Tome 1, 1892.djvu}}, développer les <math>y</math>
suivant les puissances de
{{c|<math> w_1-h_1,\quad w_2-h_2,\quad \ldots,\quad w_n-h_n ,</math>|m=1em}}
{{SA|<math>h_1,\,h_2,\,\ldots,\,h_n</math> étant des constantes quelconques, puisque le déterminant
fonctionnel ne s’annule jamais.}}
J’ajoute que
{{c|<math> y_1,\quad y_2-w_2,\quad y_3-w_3,\quad \ldots,\quad y_n-w_n </math>|mt=0em|mb=1em}}
{{SA|sont des fonctions périodiques de}}
{{c|<math> w_2,\quad w_3,\quad \ldots,\quad w_n \,;</math>|m=1em}}
{{SA|et, en effet, quand <math>y_k</math> augmente de <math>2\pi,</math> <math>w_k</math> augmente de <math>2\pi.</math> La
première équation{{lié}}{{lia|Chap.20|Eq.215-2bis|(2{{lié}}''bis'')|422}} nous montre ensuite que les <math>x_i</math> sont
aussi des fonctions uniformes des <math>w</math> périodiques par rapport à}}
{{c|<math> w_2,\quad w_3,\quad \ldots,\quad w_n .</math>|m=1em}}
Quand <math>w_1</math> tend vers <math>\pm\infty,</math> <math>y_1</math> tend vers zéro ou vers <math>2\pi\,;</math> il faut
voir ce que deviennent les équations{{lié}}(11) et{{lié}}(13) quand on y fait,
par exemple,
{{c|<math> w_1=\infty,\qquad y_1=0 .</math>|m=1em}}
L’équation{{lié}}(13) devient illusoire et l’équation{{lié}}(11) s’écrit
{{c|<math> w_k = y_k + \frac{d\mathrm{S}'}{dx_k^0} \cdot</math>|m=1em}}
On tire de là <math>y_2,</math> <math>y_3,</math> <math>\ldots,\,y_n</math> en fonctions des <math>n-1</math> arguments
{{c|<math> w_2,\quad w_3,\quad \ldots,\quad w_n .</math>|m=1em}}
On voit sans peine que <math>y_k-w_k</math> est périodique par rapport
<references/> |
Henri Poincaré - Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Tome 2, 1893.djvu/425 | {{nr||SÉRIES DE M. BOHLIN.|411|}}{{SA|pour la première de ces quantités je me bornerai à remarquer
qu’elle dépend seulement de <math>y_1,</math> et pas de <math>y_2,</math> <math>y_3,\,\ldots y_n.</math>}}
Quant à la seconde on trouve, en faisant,
{{c|<math> \lambda = x_k^0 = 0 ,</math>|m=1em}}
{{SA|après la différentiation}}
{{c|<math> \frac{d\mathrm{S}_1}{d\lambda} = \frac{\mathrm{D}}{2} \int \frac{dy_1}{\sqrt{-\mathrm{F}_1}} \cdot</math>|mt=0em|mb=1em}}
Cela posé, considérons les seconds membres des équations{{lié}}(11) et{{lié}}(13).
Ce sont <math>n</math> fonctions <math>y_1,</math> <math>y_2,</math> <math>\ldots,\,y_n\,;</math> leur déterminant fonctionnel
<math>\Delta</math> par rapport à <math>y_1,</math> <math>y_2,</math> <math>\ldots,\,y_n</math> est divisible par <math>\sqrt{\mu}\,;</math> mais
si on le divise par <math>\sqrt{\mu},</math>, puis qu’après la division on fasse <math>\mu=0,</math>
ce déterminant fonctionnel se réduit à
{{c|<math> \frac{\mathrm{D}}{ 2 \sqrt{ -\mathrm{F}_1}} \cdot</math>|m=1em}}
Cette expression ne s’annule pour aucun système de valeurs
des <math>y,</math> puisque <math>\mathrm{F}_1</math> n’est jamais infini.
Si donc <math>\mu</math> est suffisamment petit, <math>\Delta</math> ne s’annule pas.
En revanche, <math>\Delta</math> peut devenir infini ; en effet, les seconds membres
des équations{{lié}}(11) et{{lié}}(13) deviennent infinis pour
{{c|<math>y_1 = 2 k \pi .</math>|m=1em}}
Il résulte de là que, quand on donnera à <math>y_2,</math> <math>y_3,</math> <math>\ldots,\,y_n</math> toutes
les valeurs possibles et qu’on fera varier <math>y_1</math> de zéro à <math>2\pi,</math> <math>\Delta</math> ne
changera pas de signe.
Nous prendrons pour simplifier
\theta_1&=1,& \theta_k&=0,
de sorte que les équations{{lié}}(11) et{{lié}}(13) s’écriront
<!-- Pour éviter la collision, je rajoute le suffixe 'z' nux numéros d'équation. -->
{{MathForm1|(11){{Ancre|Eq.215-11z}}|<math>
w_k = y_1\,\frac{d\beta_1}{dx_k^0} + y_k + \frac{d\mathrm{S}'}{dx_k^0} ,
{{MathForm1|(13){{Ancre|Eq.215-13z}}|<math>
w_1 = \alpha \log \mathrm{tang} \frac{y_1}{4} + \gamma\, y_1 + \Theta .
<references/> |
Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/436 | mains de l’autre,<ref follow="Scioppius-(c)" group=lower-alpha>ce dernier égard il ne soit pas faible. Sa belle
latinité n’est pas un petit relief. {{sc|Rem. de
M. Bayle.}}</ref> qui s’en était
servi contre les jésuites.
'''SENNERT.''' L’éditeur se trompe
sur l’année de la naissance
de ce célèbre médecin, et il la
recule de cinq ans, sans en avoir
aucune raison apparente. Il la
place sous l’année 1577, et constamment
elle appartient à l’année
1572. D’ailleurs notre auteur
dit d’une manière trop concise,
et un peu trop sèchement,
que le sentiment de ce philosophe,
savoir, que l’âme des bêtes
n’est pas matérielle, le fit accuser
d’impiété. En débitant ce
dogme, il devait en même temps
dire tout ce qui l’accompagnait,
et les raisons dont Sennert l’appuyait.
Ce médecin ne disait
pas simplement que ''l’âme des''
''bêtes n’est pas matérielle'', mais
il rejetait (''lib.'' 1, ''de Plast. seminis''
''facultate'') l’opinion de
ceux qui soutiennent qu’elle
n’est pas d’une nature plus noble
que les élémens <ref>Notre auteur, qui s’est presque toujours
dispensé de citer, a changé ici de méthode ;
et pour prouver que Sennert ''rejetait''
''l’opinion de ceux qui soutiennent que'' l’âme
''n’est pas d’une nature plus noble que les''
''élémens'', il cite, par parenthèse (''lib. I de''
''Plast. seminis facultate'') pour nous apprendre
que c’est là le livre où Sennert rejette
cette opinion. Il a sans doute cru que ce
trait d’érudition donnerait du relief à sa
remarque. C’est dommage qu’il n’y ait pas
réussi, car il s’y était pris d’une manière
fort adroite. Voici comment. {{sc|{{M.|Bayle}}}},
qu’il copie ici mot à mot, avait cité ''Sennert'',
''{{lang|la|ubi supr.}}'', ''c.'' 9, ''p.'' 137. Notre critique voulant
remplir cet ''{{lang|la|ubi supr.}}'', et substituer le
titre du livre auquel cette citation se rapporte,
a parcouru, en remontant, une douzaine
de citations ; mais il s’est malheureusement
arrêté à celle-ci : {{lang|la|''vide Jacobum''
''Schegkium, lib. I de Plast. seminis facultate,''
''apud Sennert''}}, ''ibid. cap.'' 5, ''p.'' 129 : où,
comme l’on voit, {{M.|Bayle}} cite un ouvrage
de ''Schegkius'', et non pas de Sennert. {{sc|Nouv.
Observ.}}</ref> ; et il disait
que, de sa nature, elle est
aussi immortelle que l’âme de
l’homme : de sorte que si celle-ci
ne périt avec le corps comme
l’autre, c’est par une grâce particulière
du Créateur. Il avouait
à la vérité que l’âme des bêtes
n’est pas produite de la matière ;
ainsi il se moquait de l’éduction
des scolastiques. Mais enfin tant
qu’il ne disait pas que cette âme
était réellement immortelle, il
n’y a pas lieu de le taxer d’impiété
<ref>Dans la dernière édition cet article est
corrigé sur le Dictionnaire de {{M.|Bayle}},
d’où notre auteur a pris ce qu’il dit ici.
'''SEXTUS''' <ref group=lower-alpha>Il fallait dire ''{{lang|la|Sextus ab Hemminaga}}''.
{{sc|Rem. de M. Bayle.}}</ref> '''AB HEMMINYA.'''
Cet article a été oublié, ou peut-être
cet auteur n’est pas connu
<ref name="Sextus_ab_Hemminya-(1)">Cet article se trouve dans l’édition de
1707 et suivantes, au mot ''Sixte de Homminga''.
{{sc|Nouv. Observ.}}</ref> ; il doit l’être beaucoup des
astrologues, puisqu’il fut dans
son siècle <ref group=lower-alpha>Les remarques de notre auteur devraient
suivre le caractère qu’il faut donner
au Moréri, qui est un ouvrage destiné principalement
à l’instruction des lecteurs qui
n’ont point d’étude. Un tel ouvrage doit
éclaircir chaque chose, sans qu’il soit besoin
de consulter un autre livre. Ce n’est pas
apprendre en quel temps {{lang|la|Sixtus ab Hemminga}}
et Pic de la Mirande ont vécu, que
de parler comme on parle ici : au lieu de
''son siècle'' il eût fallu dire le XVI{{e}}. siècle,
et plus bas, au lieu de ''dans le sien'', dire
dans le XV{{e}}. {{sc|Rem. de M. Bayle.}}</ref> à leur égard, ce
que fut le célèbre Pic de la Mirande
dans le sien ; jamais homme
ne fut plus attaché à cette
science que le fut Sextus dans
les premières années de sa vie :
mais ayant eu le temps d’en connaître
l’illusion et l’inutilité, il
en devint dans la suite un des
plus rudes adversaires, et il lui<section end="Remarque2"/> |
La Philosophie française | Henri Bergson La Philosophie française La Revue de Paris, année 22, tome 2, 1915 (p. 238-258). journalLa Revue de ParisLa Philosophie françaiseHenri BergsonRevue de Paris1915ParisCannée 22, tome 2La Philosophie françaiseRevue de Paris, année 22, tome 2, 1915.djvuRevue de Paris, année 22, tome 2, 1915.djvu/1238-258 (Tableau récapitulatif destiné à l’Exposition de San Francisco) Le rôle de la France dans l’évolution de la philosophie moderne est bien net : la France a été la grande initiatrice. Ailleurs ont surgi également, sans doute, des philosophes de génie ; mais nulle part il n’y a eu, comme en France, continuité ininterrompue de création philosophique originale. Ailleurs on a pu aller plus loin dans le développement de telle ou telle idée, construire plus systématiquement avec tels ou tels matériaux, donner plus d’extension à telle ou telle méthode ; mais bien souvent les matériaux, les idées, la méthode étaient venus de France. Il ne peut être question ici d’énumérer toutes les doctrines, ni de citer tous les noms. Nous ferons un choix ; puis nous tâcherons de démêler les traits caractéristiques de la pensée philosophique française. Nous verrons pourquoi elle est restée créatrice, et à quoi tient sa puissance de rayonnement. Toute la philosophie moderne dérive de Descartes. Nous n’essaierons pas de résumer sa doctrine : chaque progrès de la science et de la philosophie permet d’y découvrir quelque chose de nouveau, de sorte que nous comparerions volontiers cette œuvre aux œuvres de la nature, dont l’analyse ne sera jamais terminée. Mais de même que l’anatomiste fait dans un organe ou dans un tissu une série de coupes qu’il étudie tour à tour, ainsi nous allons couper l’œuvre de Descartes par des plans parallèles situés les uns au-dessous des autres, pour obtenir d’elle, successivement, des vues de plus en plus profondes. Une première coupe révèle dans le cartésianisme la philosophie des idées « claires et distinctes », celle qui a définitivement délivré la pensée moderne du joug de l’autorité pour ne plus admettre d’autre marque de la vérité que l’évidence. Un peu plus bas, en creusant la signification des termes « évidence », « clarté », « distinction », on trouve une théorie de la méthode. Descartes, en inventant une géométrie nouvelle, a analysé l’acte de création mathématique. Il décrit les conditions de cette création. Il apporte ainsi des procédés généraux de recherche, qui lui ont été suggérés par sa géométrie. En approfondissant à son tour cette extension de la géométrie, on arrive à une théorie générale de la nature, considérée comme un immense mécanisme régi par des lois mathématiques. Descartes a donc fourni à la physique moderne son cadre, le plan sur lequel elle n’a jamais cessé de travailler, en même temps qu’il a apporté le type de toute conception mécanistique de l’univers. Au-dessous de cette philosophie de la nature on trouverait maintenant une théorie de l’esprit ou, comme dit Descartes, de la « pensée », un effort pour résoudre la pensée en éléments simples : cet effort a ouvert la voie aux recherches de Locke et de Condillac. On trouverait surtout cette idée que la pensée existe d’abord, que la matière est donnée par surcroît et pourrait, à la rigueur, n’exister que comme représentation de l’esprit. Tout l’idéalisme moderne est sorti de là, en particulier l’idéalisme allemand. Enfin, au fond de la théorie cartésienne de la pensée, il y a un nouvel effort pour ramener la pensée, au moins partiellement, à la volonté. Les philosophies « volontaristes » du xixe siècle se rattachent ainsi à Descartes. Ce n’est pas sans raison qu’on a vu dans le cartésianisme une « philosophie de la liberté ». À Descartes remontent donc les principales doctrines de la philosophie moderne. D’autre part, quoique le cartésianisme offre des ressemblances de détail avec telles ou telles doctrines de l’antiquité ou du moyen âge, il ne doit rien d’essentiel à aucune d’elles. Le mathématicien et physicien Biot a dit de la géométrie de Descartes : « proles sine matre creata ». Nous en dirions autant de sa philosophie. ⁂ Si toutes les tendances de la philosophie moderne coexistent chez Descartes, c’est le rationalisme qui prédomine, comme il devait dominer la pensée des siècles suivants. Mais à côté ou plutôt au-dessous de la tendance rationaliste, recouvert et souvent dissimulé par elle, il y a un autre courant qui traverse la philosophie moderne. C’est celui qu’on pourrait appeler sentimental, à condition de prendre le mot « sentiment » dans l’acception que lui donnait le xviie siècle, et d’y comprendre toute connaissance immédiate et intuitive. Or ce second courant dérive, comme le premier, d’un philosophe français. Pascal a introduit en philosophie une certaine manière de penser qui n’est pas la pure raison, puisqu’elle corrige par l’ « esprit de finesse » ce que le raisonnement a de géométrique, et qui n’est pas non plus la contemplation mystique, puisqu’elle aboutit à des résultats susceptibles d’être contrôlés et vérifiés par tout le monde. On trouverait, en rétablissant les anneaux intermédiaires de la chaîne, qu’à Pascal se rattachent les doctrines modernes qui font passer en première ligne la connaissance immédiate, l’intuition, la vie intérieure, comme à Descartes (malgré les velléités d’intuition qu’on rencontre dans le cartésianisme lui-même) se rattachent plus particulièrement les philosophies de la raison pure. Nous ne pouvons entreprendre ce travail. Bornons-nous à constater que Descartes et Pascal sont les grands représentants des deux formes ou méthodes de pensée entre lesquelles se partage l’esprit moderne. L’un et l’autre ont rompu avec la métaphysique des Grecs. Mais l’esprit humain ne renonce pas facilement à ce dont il a fait sa nourriture pendant bien des siècles. La philosophie grecque avait alimenté le moyen âge, grâce à Aristote. Elle avait imprégné la Renaissance, grâce surtout à Platon. Il était naturel qu’on cherchât, après Descartes, à l’utiliser en la rapprochant du cartésianisme. On devait y être porté par la tendance même des philosophes à mettre leur pensée sous une forme systématique, car le « système » par excellence est celui qui a été préparé par Platon et Aristote, définitivement constitué et consolidé par les néo-platoniciens ; et il serait aisé de montrer (nous ne pouvons entrer dans le détail de cette démonstration) que toute tentative pour bâtir un système s’inspire par quelque côté de l’aristotélisme, du platonisme ou du néo-platonisme. De fait, les deux doctrines métaphysiques qui surgirent hors de France dans la seconde moitié du xviie siècle furent des combinaisons du cartésianisme avec la philosophie grecque. La philosophie de Spinoza, si originale soit-elle, aboutit à fondre ensemble la métaphysique de Descartes et l’aristotélisme des docteurs juifs. Celle de Leibniz, dont nous ne méconnaissons pas non plus l’originalité, est encore une combinaison du cartésianisme avec l’aristotélisme, surtout avec l’aristotélisme des néo-platoniciens. Pour des raisons que nous indiquerons tout à l’heure, la philosophie française n’a jamais eu beaucoup de goût pour les grandes constructions métaphysiques ; mais quand il lui a plu d’entreprendre des spéculations de ce genre, elle a montré ce qu’elle était capable de faire, et avec quelle facilité elle le faisait. Tandis que Spinoza et Leibniz construisaient leur système, Malebranche avait le sien. Lui aussi avait combiné le cartésianisme avec la métaphysique des Grecs (plus particulièrement avec le platonisme des Pères de l’Église). Le monument qu’il a élevé est un modèle du genre. Mais il y a en même temps chez Malebranche toute une psychologie et toute une morale qui conservent leur valeur, même si l’on ne se rallie pas à sa métaphysique. Là est une des marques de la philosophie française : si elle consent parfois à devenir systématique, elle ne fait pas de sacrifice à l’esprit de système ; elle ne déforme pas à tel point les éléments de la réalité qu’on ne puisse utiliser les matériaux de la construction en dehors de la construction même. Les morceaux en sont toujours bons. ⁂ Descartes, Pascal, Malebranche, tels sont les trois grands représentants de la philosophie française au xviie siècle. Ils ont fourni trois types de doctrines que nous rencontrons dans les temps modernes. Essentiellement créatrice fut encore la philosophie française du xviiie siècle. Mais, ici encore, nous devons renoncer à entrer dans le détail. Disons un mot des théories les plus importantes et citons les principaux noms. On commence seulement à rendre à Lamarck la justice qui lui est due. Ce naturaliste, qui fut aussi un philosophe, est le véritable créateur de l’évolutionnisme biologique. Il est le premier qui ait conçu nettement, et poussé jusqu’au bout, l’idée de faire sortir les espèces les unes des autres par voie de transformation. La gloire de Darwin n’en est pas diminuée. Darwin a serré de plus près les faits ; il a surtout découvert le rôle de la concurrence et de la sélection. Mais concurrence et sélection expliquent comment certaines variations se conservent ; elles ne rendent pas compte — Darwin le disait lui-même — des causes de la variation. Bien avant Darwin, (puisque ses recherches datent de la fin du xviiie siècle et du commencement du xixe), Lamarck avait affirmé avec la même netteté la transformation des espèces, et il avait essayé, en outre, d’en déterminer les causes. Plus d’un naturaliste revient aujourd’hui à Lamarck, soit pour combiner ensemble lamarckisme et darwinisme, soit même pour remplacer le darwinisme par un lamarckisme perfectionné. C’est dire que la France a fourni à la science et à la philosophie, au xviiie siècle, le grand principe d’explication du monde organisé, comme, au siècle précédent, avec Descartes, elle leur avait apporté le plan d’explication de la nature inorganique. Les recherches et les réflexions de Lamarck avaient d’ailleurs été préparées en France par beaucoup de travaux originaux sur la nature et la vie. Bornons-nous à rappeler les noms de Buffon et de Bonnet. ⁂ D’une manière générale, les penseurs français du xviiie siècle ont fourni les éléments de certaines théories de la nature qui devaient se constituer au siècle suivant. Nous venons de parler du problème de l’origine des espèces. Celui de la relation de l’esprit à la matière, abordé dans un sens plutôt matérialiste, fut posé cependant par les philosophes français du xviiie siècle avec une précision telle qu’il appelait aussi bien, dès lors, d’autres solutions. Il faut citer ici les noms de La Mettrie, de Cabanis, etc., et encore celui de Charles Bonnet. On montrerait sans peine que leurs recherches sont à l’origine de la psycho-physiologie qui s’est développée pendant le xixe siècle. Mais la psychologie elle-même, entendue comme une idéologie, c’est-à-dire comme une reconstruction de l’esprit avec des éléments simples, — la psychologie telle que l’a comprise l’école « associationiste » du siècle dernier, — est sortie, en partie, des travaux français du xviiie siècle, notamment de ceux de Condillac. Il est juste de reconnaître que les Anglais y ont contribué pour une part plus large encore, et que la doctrine de Locke n’avait pas été sans influence sur l’idéologie française. Mais Locke n’avait-il pas été influencé lui-même par Descartes ? Anticipant sur ce que nous aurons à dire du xixe siècle, nous pouvons dès maintenant faire remarquer que l’œuvre psychologique de Taine, son analyse de l’intelligence, dérive en partie de l’idéologie du xviiie siècle, plus spécialement de Condillac. ⁂ Nous n’avons pas à parler ici de la philosophie sociale. Tout le monde sait comment s’élaborèrent en France, au cours du xviiie siècle, les principes de la science politique en général, et plus particulièrement les idées qui devaient amener une transformation de la société. À Montesquieu, à Turgot, à Condorcet, est dû l’approfondissement des concepts de loi, de gouvernement, de progrès, etc., comme aux encyclopédistes en général (d’Alembert, Diderot, La Mettrie, Helvetius, d’Holbach) le mouvement qui aboutit à « rationaliser » l’humanité et à la tourner aussi du côté des arts mécaniques. Mais la plus puissante des influences qui se soient exercées sur l’esprit humain depuis Descartes, — de quelque manière d’ailleurs qu’on la juge, — est incontestablement celle de Jean-Jacques Rousseau. La réforme qu’il opéra dans le domaine de la pensée pratique fut aussi radicale que l’avait été celle de Descartes dans le domaine de la spéculation pure. Lui aussi remit tout en question ; il voulut remodeler la société, la morale, l’éducation, la vie entière de l’homme sur des principes « naturels ». Ceux mêmes qui ne se sont pas ralliés à ses idées ont dû adopter quelque chose de sa méthode. Par l’appel qu’il a lancé au sentiment, à l’intuition, à la conscience profonde, il a encouragé une certaine manière de penser que l’on trouvait déjà chez Pascal (dirigée, il est vrai, dans un sens tout différent), mais qui n’avait pas encore droit de cité en philosophie. Quoiqu’il n’ait pas construit un système, il a inspiré en partie les systèmes métaphysiques du xixe siècle : le Kantisme d’abord, puis le « romantisme » de la philosophie allemande lui durent beaucoup. L’art et la littérature lui doivent au moins autant. Son œuvre apparaît à chaque génération nouvelle sous quelque nouvel aspect. Elle agit encore sur nous. ⁂ Dans le coup d’œil que nous venons de jeter sur la philosophie française du xviie et du xviiie siècles, nous avons pris une vue d’ensemble ; nous avons dû laisser de côté un grand nombre de penseurs et ne considérer que les plus importants d’entre eux. Que sera-ce pour le xixe siècle ? Il n’y a guère de savant français, ni même d’écrivain français, qui n’ait apporté sa contribution à la philosophie. Si les trois siècles précédents avaient vu naître et se développer les sciences abstraites et concrètes de la matière inorganique, — mathématiques, mécanique, astronomie, physique et chimie, — le xixe siècle devait approfondir en outre les sciences de la vie : vie organique et même, jusqu’à un certain point, vie sociale. Ici encore les Français furent des initiateurs. On leur doit la théorie de la méthode, et une partie importante des résultats. Nous faisons allusion surtout à Claude Bernard, et à Auguste Comte. L’Introduction à la médecine expérimentale de Claude Bernard a été, pour les sciences concrètes de laboratoire, ce que le Discours de la méthode de Descartes avait été pour les sciences plus abstraites. C’est l’œuvre d’un physiologiste de génie qui s’interroge sur la méthode qu’il a suivie, et qui tire de sa propre expérience des règles générales d’expérimentation et de découverte. La recherche scientifique, telle que Claude Bernard la recommande, est un dialogue entre l’homme et la nature. Les réponses que la nature fait à nos questions donnent à l’entretien une tournure imprévue, provoquent des questions nouvelles auxquelles la nature réplique en suggérant de nouvelles idées, et ainsi de suite indéfiniment. Ni les faits ni les idées ne sont donc constitutifs de la science : celle-ci, toujours provisoire et toujours, en partie, symbolique, naît de la collaboration de l’idée et du fait. Immanente à l’œuvre de Claude Bernard est ainsi l’affirmation d’un écart entre la logique de l’homme et celle de la nature. Sur ce point, et sur plusieurs autres, Claude Bernard a devancé les théoriciens « pragmatistes » de la science. Le Cours de philosophie positive d’Auguste Comte est une des grandes œuvres de la philosophie moderne. L’idée, simple et géniale, d’établir entre les sciences un ordre hiérarchique qui va des mathématiques à la sociologie, s’impose à notre esprit, depuis que Comte l’a formulée, avec la force d’une vérité définitive. Si l’on peut contester sur certains points l’œuvre sociologique du maître, il n’en a pas moins eu le mérite de tracer à la sociologie son programme et de commencer à le remplir. Réformateur à la manière de Socrate, il eût été tout disposé, comme on l’a fait remarquer, à adopter la maxime socratique « connais-toi toi-même » ; mais il l’eût appliquée aux sociétés et non plus aux individus, la connaissance de l’homme social étant à ses yeux le point culminant de la science et l’objet par excellence de la philosophie. Ajoutons que le fondateur du positivisme, qui se déclara l’adversaire de toute métaphysique, est une âme de métaphysicien, et que la postérité verra dans son œuvre un puissant effort pour « diviniser » l’humanité. Renan n’a pas de parenté intellectuelle avec Comte. Mais, à sa manière, et dans un sens assez différent, il a eu, lui aussi, cette religion de l’humanité qu’avait rêvée le fondateur du positivisme. La séduction qu’il exerça sur son temps tient à bien des causes. Ce fut d’abord un merveilleux écrivain, si toutefois on peut encore appeler écrivain celui qui nous fait oublier qu’il emploie des mots, sa pensée paraissant s’insinuer directement dans la nôtre. Mais bien séduisante aussi, bien adaptée au siècle qui avait revivifié les sciences historiques, était la conception doublement optimiste de l’histoire qui pénétrait l’œuvre de ce maître ; car, d’une part, il pensait que l’histoire enregistre un progrès ininterrompu de l’humanité, et, d’autre part, il voyait en elle un succédané de la philosophie et de la religion. Cette même foi à la science — aux sciences qui étudient l’homme — se retrouve chez Taine, un penseur qui eut autant d’influence que Renan en France, et qui en eut peut-être plus encore que Renan à l’étranger. Taine veut appliquer à l’étude, de l’activité humaine sous ses diverses formes, dans la littérature, dans l’art, dans l’histoire, les méthodes du naturaliste et du physicien. D’autre part, il est tout pénétré de la pensée des anciens maîtres : avec Spinoza il croit à l’universelle nécessité ; sur la puissance en quelque sorte magique de l’abstraction, sur les « qualités principales » et les « facultés maîtresses », il a des vues qui le rapprochent d’Aristote et de Platon. Il revient ainsi, implicitement, à la métaphysique ; mais il borne l’horizon de cette métaphysique à l’homme et aux choses humaines. Pas plus que Renan, il ne ressemble ni ne se rattache à Comte. Et pourtant ce n’est pas tout à fait sans raison qu’on le classe parfois, ainsi que Renan lui-même, parmi les positivistes. Il y a bien des manières, en effet, de définir le positivisme ; mais nous croyons qu’il faut y voir, avant tout, une conception anthropocentrique de l’univers. ⁂ Entre la philosophie biologique et la philosophie sociale, dont la création est due pour une si large part, au génie français, vient se placer un ordre de recherches qui, lui aussi, appartient surtout au xixe siècle : nous voulons parler de la psychologie. Ce n’est pas à dire qu’il n’y eût eu déjà, particulièrement en France, en Angleterre et en Écosse, des psychologues pénétrants ; mais l’observation intérieure, laissée à elle même et réduite à l’étude des phénomènes normaux, avait difficilement accès à certaines régions de l’esprit, notamment au « subconscient ». À la méthode habituelle d’observation intérieure le xixe siècle en a adjoint deux autres : d’un côté, l’ensemble des procédés de mensuration dont on fait usage dans les laboratoires, et, d’autre part, la méthode qu’on pourrait appeler clinique, celle qui consiste à recueillir des observations de malades et même à provoquer des phénomènes morbides (intoxication, hypnotisme, etc.). De ces deux méthodes, la première a été pratiquée surtout en Allemagne ; quoiqu’elle ne soit pas négligeable, elle est loin d’avoir donné ce qu’on attendait d’elle. La seconde, au contraire, a déjà fourni des résultats importants, et elle en laisse entrevoir d’autres, plus considérables encore. Or cette dernière psychologie, cultivée aujourd’hui dans bien des pays, est une science d’origine française, qui est restée éminemment française. Préparée par les aliénistes français de la première moitié du xixe siècle, elle s’est constituée d’une manière définitive avec Moreau de Tours, et elle n’a pas cessé, depuis, d’être représentée en France par des maîtres, soit qu’ils fussent venus de la pathologie à la psychologie, soit que ce fussent des psychologues attirés vers la pathologie mentale. Il nous suffira de citer les noms de Charcot, de Ribot, de Pierre Janet et de Georges Dumas. ⁂ Mais, tandis qu’une partie de la philosophie française, au xixe siècle, s’orientait ainsi dans la direction de la physiologie, de la psychologie, de la sociologie, le reste prenait pour objet de spéculation, comme aux siècles précédents, la nature en général, l’esprit en général. Dès le début du siècle, la France eut un grand métaphysicien, le plus grand qu’elle eût produit depuis Descartes et Malebranche : Maine de Biran. Peu remarquée au moment où elle parut, la doctrine de Maine de Biran a exercé une influence croissante : on peut se demander si la voie que ce philosophe a ouverte n’est pas celle où la métaphysique devra marcher définitivement. À l’opposé de Kant (car c’est à tort qu’on l’a appelé le « Kant français »), Maine de Biran a jugé que l’esprit humain était capable, au moins sur un point, d’atteindre l’absolu et d’en faire l’objet de ses spéculations. Il a montré que la connaissance que nous avons de nous-même, en particulier dans le sentiment de l’effort, est une connaissance privilégiée, qui dépasse le pur « phénomène » et qui atteint la réalité « en soi », — cette réalité que Kant déclarait inaccessible à nos spéculations. Bref, il a conçu l’idée d’une métaphysique qui s’élèverait de plus en plus haut, vers l’esprit en général, à mesure que la conscience descendrait plus bas, dans les profondeurs de la vie intérieure. Vue géniale, dont il a tiré les conséquences sans s’amuser à des jeux dialectiques, sans bâtir un système. Que d’ailleurs Maine de Biran ait une certaine parenté avec Pascal, c’est ce que nous entrevoyons quand nous lisons Ravaisson. Attaché à Pascal autant qu’à Maine de Biran, épris de l’art grec autant que de la philosophie grecque, Ravaisson nous fait admirablement comprendre comment l’originalité de chaque philosophe français ne l’empêche pas de se relier à une certaine tradition, et comment cette tradition elle-même rejoint la tradition classique. Un Descartes a beau rompre avec la philosophie des anciens : son œuvre conserve les qualités d’ordre et de mesure qui furent caractéristiques de la pensée grecque. Ravaisson a mis en lumière ce côté artistique et classique de la pensée philosophique française. Lui-même a tracé les linéaments d’une philosophie qui mesure la réalité des choses à leur degré de beauté. On ne peut prononcer le nom de Ravaisson sans y associer celui de Lachelier, un penseur dont l’influence fut tout aussi considérable. Lachelier réveilla la philosophie universitaire à un moment où elle s’endormait dans la doctrine, facile et aimable, de Victor Cousin. Sa thèse sur le fondement de l’induction restera classique, comme tout ce qui porte la marque de la perfection. Sa doctrine, qui se réclame du kantisme, dépasse en réalité l’idéalisme de Kant et inaugure même un réalisme d’un genre particulier, qui pourrait être rattaché à celui de Maine de Biran. Maître incomparable, il a nourri de sa pensée plusieurs générations de maîtres. De la philosophie de Ravaisson, et plus particulièrement de ses vues sur l’habitude, de la philosophie d’Auguste Comte aussi (en tant qu’elle affirme l’irréductibilité des sciences les unes aux autres) on pourrait rapprocher la théorie neuve et profonde que Boutroux expose dans sa thèse sur « la contingence des lois de la nature ». Par une voie toute différente, par l’analyse des conditions auxquelles est soumise la construction des concepts scientifiques, le grand mathématicien Henri Poincaré est arrivé à des conclusions du même genre : il montre ce qu’il y a de relatif à l’homme, de relatif aux exigences et aux préférences de notre science, dans le réseau de lois que notre pensée étend sur l’univers. Analogue est la doctrine de Milhaud. Et l’on pourrait ranger du même côté Édouard Le Roy, si l’œuvre de ce philosophe n’était animée, malgré certaines ressemblances extérieures, d’un esprit différent : sa critique de la science est liée à des vues personnelles, profondes, sur la réalité en général, sur la morale et la religion. L’idée dominante de Liard a été de maintenir en face l’une de l’autre la métaphysique et la science, comme deux formes également légitimes de la pensée. Le même souci existe chez Fouillée. Psychologue et sociologue autant que dialecticien, Fouillée a développé une théorie des idées-forces qui est un rationalisme élargi. Il n’est guère de question, théorique ou pratique, que ce penseur brillant n’ait abordée, et sur laquelle il n’ait présenté des vues intéressantes et suggestives. Il eut dans Guyau un disciple génial. Moins célèbre que Nietzsche, Guyau avait soutenu, avant le philosophe allemand, en termes plus mesurés et sous une forme plus acceptable, que l’idéal moral doit être cherché dans la plus haute expansion possible de la vie. Nous avons laissé de côté dans cette énumération rapide, deux penseurs de premier ordre que nous ne pouvions pas rattacher à la tradition issue de Maine de Biran. Nous voulons parler de Renouvier et de Cournot. Parti du criticisme kantien, qu’il avait d’ailleurs profondément modifié dès le début, Renouvier s’en est dégagé peu à peu pour arriver à des conclusions qui ne sont pas très éloignées, quant à la lettre, de celles du dogmatisme métaphysique : il affirme, en particulier, l’indépendance de la personne humaine ; il réintègre la liberté dans le monde. Mais il renouvelle la signification de ces thèses, en les rapprochant des données de la science positive, et surtout en les faisant précéder d’une critique de l’entendement humain. Par sa morale, autant que par sa théorie de la nature et de l’homme, il a agi considérablement sur la pensée de son temps. Conduit à la philosophie, lui aussi, par l’étude des sciences, et en particulier par les mathématiques, Cournot institua une critique d’un genre nouveau, qui, à la différence de la critique kantienne, porte à la fois sur la forme et sur la matière de notre connaissance, sur les méthodes et sur les résultats. Sur une foule de points — notamment sur le hasard et la probabilité — il a apporté des vues neuves, pénétrantes et profondes. Il est temps de mettre ce penseur à sa vraie place, — une des premières, — parmi les philosophes du xixe siècle. On pourrait maintenant, pour conclure, dire un mot de l’entreprise tentée par l’auteur de l’Évolution créatrice pour porter la métaphysique sur le terrain de l’expérience et pour constituer, en faisant appel à la science et à la conscience, en développant la faculté d’intuition, une philosophie capable de fournir, non plus seulement des théories générales, mais aussi des explications concrètes de faits particuliers. La philosophie, ainsi entendue, est susceptible de la même précision que la science positive. Comme la science, elle pourra progresser sans cesse en ajoutant les uns aux autres des résultats une fois acquis. Mais elle visera en outre — et c’est par là qu’elle se distingue de la science — à élargir de plus en plus les cadres de l’entendement, dût-elle briser tel ou tel d’entre eux, et à dilater indéfiniment la pensée humaine. Nous avons passé en revue un certain nombre de philosophes français, en tenant surtout compte de leur diversité, de leur originalité, de ce qu’ils ont apporté de nouveau et de ce que le monde leur doit. Nous allons maintenant chercher s’ils ne présenteraient pas certains traits communs, caractéristiques de la pensée française. Le trait qui frappe d’abord, quand on parcourt un de leurs livres, est la simplicité de la forme. Si on laisse de côté, dans la seconde moitié du xixe siècle, une période de vingt ou trente ans pendant laquelle un petit nombre de penseurs, subissant une influence étrangère, se départirent parfois de la clarté traditionnelle, on peut dire que la philosophie française s’est toujours réglée sur le principe suivant : il n’y a pas d’idée philosophique, si profonde ou si subtile soit-elle, qui ne puisse et ne doive s’exprimer dans la langue de tout le monde. Les philosophes français n’écrivent pas pour un cercle restreint d’initiés ; ils s’adressent à l’humanité en général. Si, pour mesurer la profondeur de leur pensée et pour la comprendre pleinement, il faut être philosophe et savant, néanmoins il n’est pas d’homme cultivé qui ne soit en état de lire leurs principales œuvres et d’en tirer quelque profit. Quand ils ont eu besoin de moyens d’expression nouveaux, ils ne les ont pas cherchés, comme on l’a fait ailleurs, dans la création d’un vocabulaire spécial (opération qui aboutit souvent à enfermer, dans des termes artificiellement composés, des idées incomplètement digérées), mais plutôt dans un assemblage ingénieux des mots usuels, qui donne à ces mots de nouvelles nuances de sens et leur permet de traduire des idées plus subtiles ou plus profondes. Ainsi s’explique qu’un Descartes, un Pascal, un Rousseau, — pour ne citer que ceux-là, — aient beaucoup accru la force et la flexibilité de la langue française, soit que l’objet de leur analyse fût plus proprement la pensée (Descartes), soit que ce fût aussi le sentiment (Pascal, Rousseau). Il faut, en effet, avoir poussé jusqu’au bout la décomposition de ce qu’on a dans l’esprit pour arriver à s’exprimer en termes simples. Mais, à des degrés différents, tous les philosophes français ont eu ce don d’analyse. Le besoin de résoudre les idées et même les sentiments en éléments clairs et distincts, qui trouvent leurs moyens d’expression dans la langue commune, est caractéristique de la philosophie française depuis ses origines. Si maintenant on passe de la forme au fond, voici ce qu’on remarquera d’abord. La philosophie française a toujours été étroitement liée à la science positive. Ailleurs, en Allemagne par exemple, tel philosophe a pu être savant, tel savant a pu être philosophe ; mais la rencontre des deux aptitudes ou des deux habitudes a été un fait exceptionnel et, pour ainsi dire, accidentel. Si Leibniz fut à la fois un grand philosophe et un grand mathématicien, nous voyons que le principal développement de la philosophie allemande, celui qui remplit la première moitié du xixe siècle, s’est effectué en dehors de la science positive. Il est de l’essence de la philosophie française, au contraire, de s’appuyer sur la science. Chez Descartes, l’union est si intime entre la philosophie et les mathématiques qu’il est difficile de dire si sa géométrie lui fut suggérée par sa métaphysique ou si sa métaphysique est une extension de sa géométrie. Pascal fut un profond mathématicien, un physicien original, avant d’être un philosophe. La philosophie française du xviiie siècle se recruta principalement parmi les géomètres, les naturalistes et les médecins (d’Alembert, La Mettrie, Bonnet, Cabanis, etc.). Au xixe siècle, quelques-uns des plus grands penseurs français, Auguste Comte, Cournot, Renouvier, etc., vinrent à la philosophie à travers les mathématiques ; l’un d’eux, Henri Poincaré, fut un mathématicien de génie. Claude Bernard, qui nous a donné la philosophie de la méthode expérimentale, fut un des créateurs de la science physiologique. Ceux mêmes des philosophes français qui se sont voués pendant le dernier siècle à l’observation intérieure ont éprouvé le besoin de chercher en dehors d’eux, dans la physiologie, dans la pathologie mentale, etc., quelque chose qui les assurât qu’ils ne se livraient pas à un simple jeu d’idées, à une manipulation de concepts abstraits : la tendance est déjà visible chez le grand initiateur de la méthode d’introspection profonde, Maine de Biran. En un mot, l’union étroite de la philosophie et de la science est un fait si constant, en France qu’il pourrait suffire à caractériser et à définir la philosophie française. Un trait moins particulier, mais bien frappant encore, est le goût des philosophes français pour la psychologie, leur penchant à l’observation intérieure. Assurément ce trait ne pourrait plus suffire, comme le précédent, à définir la tradition française, car l’aptitude à se sonder soi-même, et à pénétrer sympathiquement dans l’âme d’autrui, est sans doute aussi répandue en Angleterre et en Amérique, par exemple, qu’elle l’est en France. Mais, tandis que les grands penseurs allemands (même Leibniz, même Kant) n’ont guère eu, en tout cas, n’ont guère manifesté, de sens psychologique, tandis que Schopenhauer (tout imprégné, d’ailleurs, de la philosophie française du xviiie siècle) est peut-être le seul métaphysicien allemand qui ait été psychologue, au contraire il n’y a pas de grand philosophe français qui ne se soit révélé, à l’occasion, subtil et pénétrant observateur de l’âme humaine. Inutile de rappeler les fines études psychologiques qu’on trouve chez Descartes et chez Malebranche, intimement mêlées à leurs spéculations métaphysiques. La vision d’un Pascal était aussi aiguë quand elle s’exerçait dans les régions mal éclairées de l’âme que lorsqu’elle portait sur les choses physiques, géométriques, philosophiques. Condillac fut un psychologue autant qu’un logicien. Que dire alors de ceux qui ont ouvert à l’analyse psychologique des voies nouvelles, comme Rousseau ou Maine de Biran ? Pendant tout le xviie et le xviiie siècles, la pensée française, s’exerçant sur la vie intérieure, a préparé la psychologie purement scientifique qui devait être l’œuvre du xixe siècle. Nul, d’ailleurs, n’a plus contribué à fonder cette psychologie scientifique qu’un Moreau de Tours, un Charcot ou un Ribot. Remarquons que la méthode de ces psychologues, — celle qui a valu à la psychologie, en somme, ses plus importantes découvertes, — n’est qu’une extension de la méthode d’observation intérieure. C’est toujours à la conscience qu’elle fait appel ; seulement, elle note les indications de la conscience chez le malade, au lieu de s’en tenir à l’homme bien portant. Tels sont les deux principaux traits de la philosophie française. En se composant ensemble, ils donnent à cette philosophie sa physionomie propre. C’est une philosophie qui serre de près les contours de la réalité extérieure, telle que le physicien se la représente, et de très près aussi ceux de la réalité intérieure, telle qu’elle apparaît au psychologue. Par là même, elle répugne le plus souvent à prendre la forme d’un système. Elle rejette aussi bien le dogmatisme à outrance que le criticisme radical ; sa méthode est aussi éloignée de celle d’un Hegel que de celle d’un Kant. Ce n’est pas à dire qu’elle ne soit pas capable d’édifier, quand il lui plaît, quelque grande construction. Mais les philosophes français semblent avoir eu généralement cette arrière-pensée que systématiser est facile, qu’il est trop aisé d’aller jusqu’au bout d’une idée, que la difficulté est plutôt d’arrêter la déduction où il faut, de l’infléchir comme il faut, grâce à l’approfondissement des sciences particulières et au contact sans cesse maintenu avec la réalité. Pascal a dit que l’ « esprit géométrique » ne suffisait pas : le philosophe doit y joindre l’ « esprit de finesse ». Et Descartes, ce grand métaphysicien, déclarait avoir consacré peu d’heures à la métaphysique, entendant par là, sans doute, que le travail de pure déduction ou de pure construction métaphysique s’effectue de lui-même, pour peu qu’on y ait l’esprit prédisposé. — Allèguera-t-on qu’en se faisant moins systématique la philosophie s’écarte de son but, et que son rôle est précisément d’unifier le réel ? — Mais la philosophie française n’a jamais renoncé à cette unification. Seulement, elle ne se fie pas au procédé qui consiste à prendre telle ou telle idée et à y faire entrer, de gré ou de force, la totalité des choses. À cette idée on pourra toujours en opposer une autre, avec laquelle on construira, selon la même méthode, un système différent ; les deux systèmes seront d’ailleurs également soutenables, également invérifiables ; de sorte que la philosophie deviendra un simple jeu, un tournoi entre dialecticiens. Remarquons qu’une idée est un élément de notre intelligence, et que notre intelligence elle-même est un élément de la réalité : comment donc une idée, qui n’est qu’une partie d’une partie, embrasserait-elle le Tout ? L’unification des choses ne pourra s’effectuer que par une opération beaucoup plus difficile, plus longue, plus délicate : la pensée humaine, au lieu de rétrécir la réalité à la dimension d’une de ses idées, devra se dilater elle-même au point de coïncider avec une portion de plus en plus vaste de la réalité. Mais il faudra, pour cela, le travail accumulé de bien des siècles. En attendant, le rôle de chaque philosophe est de prendre, sur l’ensemble des choses, une vue qui pourra être définitive sur certains points, mais qui sera nécessairement provisoire sur d’autres. On aura bien là, si l’on veut, une espèce de système ; mais le principe même du système sera flexible, indéfiniment extensible, au lieu d’être un principe arrêté, comme ceux qui ont donné jusqu’ici les constructions métaphysiques proprement dites. Telle est, nous semble-t-il, l’idée implicite de la philosophie française. C’est une idée qui n’est devenue tout à fait consciente d’elle-même, ou qui n’a pris la peine de se formuler, que dans ces derniers temps. Mais, si elle ne s’était pas dégagée plus tôt, c’est justement parce qu’elle était naturelle à l’esprit français, esprit souple et vivant, qui n’a rien de mécanique ou d’artificiel, esprit éminemment sociable aussi, qui répugne aux constructions individuelles et va d’instinct à ce qui est humain. Par là, par les deux ou trois tendances que nous venons d’indiquer, s’explique peut-être ce qu’il y a eu de constamment génial et de constamment créateur dans la philosophie française. Comme elle s’est toujours astreinte à parler le langage de tout le monde, elle n’a pas été le privilège d’une espèce de caste philosophique ; elle est restée soumise au contrôle de tous ; elle n’a jamais rompu avec le sens commun. Pratiquée par des hommes qui furent des psychologues, des biologistes, des physiciens, des mathématiciens, elle s’est continuellement maintenue en contact avec la science aussi bien qu’avec la vie. Ce contact permanent avec la vie, avec la science, avec le sens commun, l’a sans cesse fécondée en même temps qu’il l’empêchait de s’amuser avec elle-même, de recomposer artificiellement les choses avec des abstractions. Mais, si la philosophie française a pu se revivifier indéfiniment ainsi en utilisant toutes les manifestations de l’esprit français, n’est-ce pas parce que ces manifestations tendaient elles-mêmes à prendre la forme philosophique ? Bien rares, en France, sont les savants, les écrivains, les artistes et même les artisans qui s’absorbent dans la matérialité de ce qu’ils font, qui ne cherchent pas à extraire — fût-ce avec maladresse, fût-ce avec quelque naïveté — la philosophie de leur science, de leur art ou de leur métier. Le besoin de philosopher est universel : il tend à porter toute discussion, même d’affaires, sur le terrain des idées et des principes. Il traduit probablement l’aspiration la plus profonde de l’âme française, qui va tout droit à ce qui est général et, par là, à ce qui est généreux. En ce sens, l’esprit français ne fait qu’un avec l’esprit philosophique. H. BERGSON Ce travail doit être distribué, sous forme de brochure, aux visiteurs de l’exposition de San Francisco. Avec d’autres travaux du même genre, se rapportant aux différentes branches de la science, et rédigés par divers auteurs. Il fera partie d’un ouvrage intitulé La Science française, qui paraîtra prochainement à la librairie Larousse. 1596-1650. 1623-1662. 1638-1715. 1744-1829. 1707-1788. 1720-1793. Charles Bonnet, né à Genève, appartenait à une famille française. 1709-1751. 1757-1808. 1689-1755. 1727-1781. 1713-1791. 1717-1783. 1713-1784. 1709-1751. 1715-1771. 1723-1789. Né à Genève, d’une famille d’origine française, en 1712. Mort en 1778. Voltaire (1691-1778) appartient à l’histoire des lettres plutôt qu’à celle de la philosophie. Nous nous attachons surtout, dans le présent travail, à ceux qui furent, en philosophe, les créateurs d’idées et de méthodes nouvelles. 1813-1878. 1798-1857. La sociologie devant faire l’objet d’une monographie spéciale, nous ne parlons ici ni de Saint-Simon, ni de Fourier, ni de Pierre Leroux, ni de Proudhon. La même raison fait que nous laissons de côté des penseurs contemporains éminents qui se sont orientés vers la sociologie : Espinas, Tarde, Durkheim, Lévy-Brühl, Le Bon, Worms, Bouglé, Simiand, Izoulet, Lacombe, Richard et beaucoup d’autres. L’œuvre de l’école sociologique française est considérable ; il faut qu’elle soit étudiée séparément. On y rattacherait l’œuvre des moralistes : Bureau, Belot, Parodi, H. Michel, Caro, Bourdeau, Rauh, Darlu, Malapert, Buisson, etc. Enfin il faudrait faire une place à part — car il ne rentre dans aucune catégorie — au penseur original qu’est G. Sorel. 1823-1892. 1828-1893. Elle a eu en France des représentants remarquables ; citons en particulier Alfred Binet. 1766-1824. De Brian il faudrait rapprocher Ampère (1775-1826). La place nous manque ici pour parler de l’école théologique. Rappelons les nom de De Bonald (1754-1840), de De Maistre (1753-1821) et de Lamennais (1782-1854). 1813-1900. 1792-1867. Nous n’insistons pas sur la philosophie de Cousin, parce qu’elle fut surtout un éclectisme. Il n’y en eut pas moins, dans l’école de Cousin, des philosophes très distingués, tels que Saisset, Simon, Janet. Il faut faire une place à part à Jouffroy (1796-1842) et à Vacherot (1809-1897). Comme précurseur de Cousin citons Royer-Collard (1763-1845). 1854-1912. Nous laissons de côté, dans la présente étude, les travaux relatifs à l’analyse et à la critique des méthodes scientifiques. La part de la France, ici encore, est considérable. Citons, parmi beaucoup d’autres auteurs : le grand chimiste Berthelot, Jules et Paul Tannery, Lechalas, Couturat, Duhem, Rey, Perrin, Borel, Pierre Boutroux, L. Poincaré, Goblot. L’œuvre de Lalande, comme aussi celles de Meyerson et de Brunschvieg, appartiennent tout à la fois à la théorie des sciences et à la philosophie générale. Nous en dirions autant du beau livre de Hannequin sur la théorie des atomes. — Dans les travaux de Le Dantec on trouve une interprétation et une extension mécanistiques de la science positive. Nous ne pouvons non plus parler de l’esthétique (Sully-Prudhomme, Séailles, Souriau, Dauriac, Bazaillas, Paulhan, Lalo, etc.), ni de l’histoire de la philosophie (Ravaisson, Cousin, Bouillier, Janet, Vacherot, Fouillée, Em. Boutroux, Delbos, Lévy-Brühl, Brochard, Espinas, Adam, Thamin, Halévy, Picavet, Faguet, X. Léon, G. Lyon, Delacroix, R. Berthelot, Hamelin, Basch, Berr, Rodier, Robin, Rivaud, Bréhier, etc.). La philosophie religieuse a donné lieu, en France, à des travaux importants. Rappelons seulement, pour nous en tenir aux plus récents, les noms d’Ollé-Laprune, de Blondel, de Laberthonnière, de Fonsegrive, de Wilbois, de H. Bois, de Segond, d’Auguste Sabatier, de Paul Sabatier, etc. 1838-1912. 1854-1888. Combien d’autres métaphysiciens et psychologues mériteraient d’être étudiés ici ! Citons, en particulier, Évellin, Dunan, Paulhan, Weber. 1818-1903. Parmi les philosophes qui se rattachent à Renouvier, citons Pillon, Dauriac et Hamelin. 1801-1877. |
Réponse à George Sand | Pour les autres utilisations de ce mot ou de ce titre, voir Réponse. Lerminier Réponse à George Sand Revue des Deux Mondes, période initiale, tome 13, 1838 (p. 458-475). journalpériode initialeRéponse à George SandLerminier1838ParisVtome 13Réponse à George SandRevue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvuRevue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/7458-475 RÉPONSE À GEORGE SAND. Madame, L’honneur que vous m’avez fait m’impose le devoir de vous répondre. Devant les objections et les saillies d’un esprit comme le vôtre, le silence serait discourtois et presque injurieux. En m’écrivant, vous vous êtes proposé la défense d’un ami et de quelques principes : or, je crois n’avoir blessé ni ces principes, ni l’homme même. Mais il suffit que vous en pensiez autrement, pour que je doive quelques explications à l’éloquent avocat de M. de La Mennais ; car, pourquoi vous défendre, madame, d’étendre votre patronage sur ce grand client, au moment où, pour lui, vous entrez dans la lice ? Cette défense officieuse ne sera pas un des traits les moins originaux de sa gloire et de la vôtre. Vous avez donc ici pour moi, madame, un double caractère : je dois répondre au défenseur de M. de La Mennais, et maintenir la justesse de mes critiques ; je m’adresse aussi à la femme illustre pour laquelle mon admiration est d’accord avec celle du siècle. Tour à tour vous parlez en votre nom et au nom de quelques hommes ; j’aurai donc à m’occuper tour à tour des opinions communes et des inspirations personnelles que contient votre lettre. Je ne crois pas m’être égaré, madame, en blâmant, dans la théorie du droit que produit le Livre du peuple, l’absence de l’intelligence puisque M. de La Mennais s’adressait au peuple pour lui exposer ses droits et ses devoirs, il devait lui faire connaître les véritables caractères de la souveraineté sociale, dont la première condition est l’intelligence. Examinez ce point, et vous trouverez qu’il est impossible à l’homme de ne pas mettre la raison du pouvoir dans la supériorité de l’esprit. Mais l’intelligence a pour compagne et pour instrument la volonté, et l’union de l’intelligence et de la volonté a pour résultat la puissance. Dire que Dieu est souverain, c’est dire une chose simple et vraie, car la cause suprême conçoit, veut et agit du même coup. Dire que la raison est souveraine, c’est reconnaître en elle l’essence de Dieu même, et proclamer le principe de la civilisation moderne, depuis la ruine du moyen-âge. Dire que le peuple est souverain, c’est l’identifier avec l’humanité même, et l’engager à conformer ses actes aux lois de Dieu et de la raison. La souveraineté appartient donc en réalité à Dieu, en principe à l’esprit, en droit et en espérance au peuple. Pour nous, vous le voyez, la souveraineté du peuple n’est pas dans la collection des souverainetés individuelles. Et d’abord qu’est-ce que la souveraineté de l’individu ? cela veut-il dire que l’homme est souverain de lui-même, ou souverain dans la société ? La différence est grande, et il vaudrait la peine de définir les termes. Que chaque homme ait un droit imprescriptible à maintenir et à développer sa liberté, voilà un principe hors de toute controverse entre nous : maintenant, pour l’investir de droits politiques et de puissance sociale, que lui demanderons-nous ? Vous paraissez disposée à vous contenter de sa qualité d’homme, pour le proclamer citoyen habile et capable ; je suis plus difficile : l’homme naturel ne me suffit pas ; il me faut l’homme social avec les développemens et les mérites de l’éducation. Ériger le total des volontés individuelles en souveraineté sociale n’est pas raisonnable, car aujourd’hui nous ne pouvons plus dire avec Rousseau : « S’il plaît au peuple de se faire mal à lui-même, qui est-ce qui a le droit de l’en empêcher ? » Ce droit, ou plutôt ce devoir doit être rempli par ceux à qui leurs études et leurs connaissances permettent d’apprécier et de servir les intérêts sociaux. Et puisque j’ai prononcé le nom de Rousseau, je voudrais rappeler en passant la mission de ce grand homme. En face des institutions et des lois que le moyen-âge avait léguées à l’Europe moderne, où dominaient encore les instincts des premières mœurs, les accidens de la conquête, et qu’exploitait aussi, d’une façon égoïste l’arbitraire des gouvernans, Rousseau fit entendre le cri du droit individuel et se mit à proclamer que la loi était l’expression de la volonté générale. Cette définition, dont la justesse était incomplète, avait le mérite de résumer, dans une énergique précision, les tendances et les passions du siècle. Dans le style politique, la volonté devait primer l’intelligence à une époque où les esprits, saturés de théories, aspiraient à l’action. C’est la gloire éternelle de Rousseau d’avoir inspiré nos pères, d’avoir évoqué, pour ainsi dire, les puissances actives de notre révolution, les théoriciens de la Constituante, Condorcet, Mme Rolland et la Gironde, la tribune de la Convention. Mais ces temps ont disparu, il n’en reste plus que d’immortels souvenirs, et d’autres réalités nous provoquent à d’autres pensées. Si Rousseau écrivait à une époque où le complet désaccord des idées avec les institutions provoquait un changement radical ; nous, aujourd’hui, nous vivons dans un temps où les héritiers de la grande révolution que précéda Jean-Jacques ont besoin, pour accomplir dans la pratique de nouveaux progrès qui soient durables, de demander à la science sociale des évolutions nouvelles. Quelle est aujourd’hui notre plaie la plus vive, si ce n’est l’anarchie des esprits que tout accuse, jusqu’à la lettre même qu’en ce moment, madame, j’ai l’honneur de vous écrire ? Vous seriez-vous crue dans l’obligation d’intervenir en faveur de M. de La Mennais ; lui aurais-je adressé moi-même des critiques que j’estime fondamentales ; et vous adresserais-je aujourd’hui la défense de ces critiques, sans ces divisions intellectuelles auxquelles ne peuvent échapper les intentions les plus droites et les plus consciencieuses ? Permettez-moi de vous dire, madame, qu’aujourd’hui, la langue et la méthode du Contrat social ne suffisent plus à la situation ; je voudrais que vos amis et vous fussiez convaincus que la science politique n’échappe pas plus que les autres sciences à la nécessité de renouveler, dans chaque siècle, ses procédés et son style. Et vous-même, ne reproduisez-vous pas, non les réminiscences du siècle dernier, mais les inspirations de votre époque, quand vous écrivez ces lignes : La législation ne sera plus autre chose que la manifestation de l’esprit humain, représenté dans son ensemble par la coopération médiate et immédiate de toutes ses parties ? La loi sociale est donc, pour vous comme pour nous, la manifestation de l’esprit humain. Mais l’esprit humain existe-t-il sans le développement de l’éducation ? Or, si l’éducation est nécessaire pour donner à l’esprit sa valeur, il suit que tout homme appelé à un acte politique, à une fonction sociale, doit avoir une éducation, c’est-à-dire un développement d’esprit qui soit en rapport avec les droits et les devoirs auxquels il est convié. Voyez l’avantage d’employer les termes les plus justes et les meilleurs : quand Rousseau définit la loi l’expression de la volonté générale, il est obligé d’ajouter en note que, pour qu’une volonté soit générale, il n’est pas toujours nécessaire qu’elle soit unanime, mais qu’il est nécessaire que toutes les voix soient comptées, car, dit-il, toute exclusion formelle rompt la généralité. Ainsi il arrive au suffrage universel par un incident de logique grammaticale. Si nous disons, au contraire, que la loi est la manifestation de l’esprit humain, nous mettons le droit de concourir à sa création là où est la lumière, et nous sommes dans la sainte nécessité de répandre partout cette lumière, pour étendre indéfiniment le droit. L’éducation, l’éducation du peuple, voilà le grand besoin, voilà le véritable levier. Les maîtres de la sagesse antique faisaient de l’éducation le corollaire de leur politique ; les publicistes modernes doivent y reconnaître la voie la plus sûre qui puisse mener le peuple au pouvoir. L’homme naît dans l’animalité ; pour qu’il devienne social, il faut qu’il soit élevé dans son esprit et dans son corps : refuser à des hommes non élevés une part dans la manifestation de l’esprit humain, ce n’est pas les reléguer au rang des brutes, c’est attendre qu’ils soient montés au rang qui leur appartient. Je conçois donc, pour le législateur, un double devoir : il ne reconnaîtra le droit que là où l’esprit particulier sera suffisamment ouvert pour concourir à la représentation de l’esprit général, et en même temps il prodiguera ses soins, ses moyens, sa puissance, à répandre partout, à tous les degrés, sous toutes les formes, la lumière qui confère le droit ; il a devant lui une multitude d’hommes ; qu’il la convertisse progressivement en nation de citoyens. Voilà sur quoi je me fonde pour dire que la souveraineté du peuple n’est pas la collection des volontés individuelles. Ne pas considérer l’éducation et l’instruction du peuple comme la première condition des droits et des progrès politiques, c’est ne pas reconnaître le principe et les qualités de l’intelligence ; c’est croire implicitement à l’égalité naturelle des esprits, erreur qu’il est inutile de dérober à Helvétius. C’est aussi, par une conséquence irrésistible, s’en remettre exclusivement, pour les changemens sociaux, au triomphe de la force. Mais j’oubliais, madame, que vous accusez mon système de mener droit à l’esclavage. Vous avez dû sourire en écrivant cette accusation, car il est assez probable que, si l’esclavage n’avait pour appui que mes théories, les planteurs pourraient fermer leurs cases et jeter leurs rotins à la mer. Mais vous avez pensé sans doute que, dans une plaidoirie, il n’y avait pas à se refuser ces exagérations audacieuses qui, sans convaincre, peuvent étonner : on s’arrange d’ailleurs pour les avancer ou les retirer, suivant la circonstance. Ainsi vous m’accordez que j’ai raison de refuser au peuple, tel qu’il est aujourd’hui, le droit de gouverner la société ; puis, quelques lignes plus bas, vous concluez qu’ayant tiré des conséquences absurdes de mon principe, vous en avez démontré la fausseté. Comment puis-je à la fois avoir raison et être absurde sur le même point ? Si j’ai raison de ne pas proclamer roi le peuple d’aujourd’hui, je ne saurais donc, pour cette opinion que vous reconnaissez juste, être accusé de le condamner à l’esclavage. Mais laissons cette plaisanterie, et permettez-moi de vous suivre dans le double point de vue de la pratique et de l’histoire. Il semblerait plus facile de tomber d’accord sur les faits que sur les principes des choses, et cependant nous ne pouvons nous entendre sur les mots peuple et bourgeoisie. Cette divergence sur des réalités politiques aussi considérables n’est particulière ni à vous, ni à moi ; on peut la remarquer dans d’autres esprits, et elle est un mal, car elle fausse les idées et égare les passions. Pour rappeler rapidement le passé, vous savez qu’en 1789, la société française tout entière s’est appelée peuple par l’organe du tiers et par la bouche de son plus éloquent tribun, de Mirabeau. « Il est infiniment heureux, disait le député d’Aix, que notre langue, dans sa stérilité, nous ait fourni un mot que les autres langues n’auraient pas donné dans leur abondance, un mot qui présente tant d’acceptions différentes, un mot qui nous qualifie sans nous avilir, un mot qui se prête à tout, qui, modeste aujourd’hui, puisse agrandir notre existence à mesure que les circonstances le rendront nécessaire... » Le mot peuple fut donc élevé, en 1789, à sa plus haute généralité ; il enveloppa toutes les différences et toutes les classes ; les trois ordres disparurent ; il n’y eut plus qu’une grande réalité : la nation, le peuple. Quand donc j’ai écrit et dit, depuis sept ans, que le peuple c’est tout le monde, je ne disais pas une chose étrange et nouvelle, mais je reproduisais le bon sens des fondateurs de la révolution. Vous niez que la révolution de 1789 ait constitué le peuple, parce que par le peuple vous n’entendez que le prolétaire, et je maintiens ma proposition, parce que par le peuple j’entends la société même, soumise au principe de l’égalité. Je me représente la démocratie française comme partagée en deux grandes parties, les classes moyennes et les classes ouvrières, et je dis que, dans la nature des choses, les deux parties ne sont pas hostiles l’une à l’autre. La faute a été grande de la part des républicains de déclarer la guerre à la bourgeoisie, cette moitié du peuple : dès-lors tout a été envenimé, tout a été dénaturé. Non, l’ouvrier n’est pas l’ennemi nécessaire du bourgeois, ni le pauvre du riche, ni l’ignorant du savant, et il est insensé d’ériger des inégalités que la science sociale doit travailler à aplanir, en un mur éternel que la force et le canon peuvent seuls faire tomber. La bourgeoisie a des travers. Qui le nie ? On lui impute souvent, avec raison, la médiocrité de l’esprit et l’égoïsme du cœur : ces défauts sont réels, mais ils ne sont pas incurables, mais ils n’ont pas envahi la généralité des classes moyennes. Je ne crois pas avoir été infidèle à la réalité en disant qu’au sein de la bourgeoisie deux partis étaient en présence ; que l’un, peu nombreux, mais discipliné, mais habile, travaillait à entraîner la bourgeoisie à l’attitude égoïste d’une aristocratie ; que l’autre, plus considérable, plus généreux, demande à la bourgeoisie de garder les instincts et les sympathies populaires, de faciliter à tout travailleur prolétaire la conquête successive du bien-être et des droits politiques. Verriez-vous par hasard, dans cette manière d’apprécier les choses, l’oubli des principes démocratiques ? Mais pourquoi vous dissimulerais-je, madame, qu’à mes yeux les prétendus conservateurs doivent beaucoup de leurs succès à l’effroi répandu par les entreprises et les théories de quelques hommes qui se disaient exclusivement les défenseurs du peuple ? Toujours, en politique, les fautes, même commises avec bonne foi, profitent aux adversaires, et la défaite suit de près l’erreur. Il ne m’est pas possible d’accepter les définitions que vous m’offrez ; vous appelez le peuple tout ce qui ne possède que par son travail et relativement à son travail, et la bourgeoisie tout ce qui possède sans travail ou au-delà de son travail. Quant au peuple, vous savez que je ne le définis point par le prolétaire, mais que je vois dans le mot peuple le terme social le plus général. Sans doute, il arrive dans les habitudes du langage d’appeler plus particulièrement peuple les classes ouvrières ; mais cette acception ne saurait être élevée au rang d’une définition juste. Si M. de La Mennais eût intitulé son ouvrage le Livre du pauvre ou du prolétaire, il eût donné à ses pages un titre plus exact, puisqu’il ne voulait s’adresser qu’à une partie du peuple, de la société. Mais arrivons à la définition de la bourgeoisie. Avant d’en débattre les termes mêmes, je veux résumer les différences fondamentales qui nous séparent : le peuple est pour vous une partie qui doit absorber le tout ; le peuple est pour moi un tout qui doit organiser des rapports de droit et de justice entre ses parties. La bourgeoisie est pour vous une minorité puissante, une aristocratie, à laquelle vous voulez bien accorder, il est vrai, l’élasticité ; la bourgeoisie est pour moi la moitié du peuple, une démocratie réelle qui, par sa nature et par sa position, ouvre ses rangs au prolétariat, au sein de laquelle quelques hommes peuvent rêver la résurrection ridicule de quelques manies nobiliaires, mais qui, dans son génie et sa majorité, est nécessairement peuple. Veuillez y songer, madame, vous et moi, et bien d’autres, sommes à la fois bourgeois et peuple. Pouvez-vous raisonnablement faire de la bourgeoisie française une coalition de tyrans armés contre l’émancipation du peuple, c’est-à-dire contre la moitié d’eux-mêmes ? Il faudrait éviter ces exagérations ; elles nuisent à la cause qu’on veut servir ; elles communiquent aux discussions politiques je ne sais quelle exaltation romanesque qui effarouche les esprits, au lieu de les convaincre. Pesons maintenant les termes de votre définition. La bourgeoisie, dites-vous, est tout ce qui possède sans travail ; il y a, en effet, les heureux du siècle qui ne doivent pas leurs richesses à un travail personnel ; mais ce fait incontestable n’est pas à discuter entre nous, puisque vous l’acceptez, puisque le Livre du Peuple, que vous défendez, recommande expressément de n’attenter en rien à la propriété. Passons à la seconde partie de votre définition : la bourgeoisie est tout ce qui possède au-delà de son travail. Qu’entendez-vous par les mots travail et au-delà ? Cotez-vous le prix du travail jour par jour, et voulez-vous dire que tout homme qui reçoit un prix supérieur aux frais nécessaires à la vie pendant vingt-quatre heures est un bourgeois, et par une conséquence naturelle de vos opinions, un aristocrate ? Mais n’y a-t-il pas différentes espèces de travaux, différentes formes, différentes mesures de salaire et de rémunération ? Le savant, l’industriel, l’écrivain, l’artiste, ne sont-ils pas des travailleurs ? Les appellerez-vous des privilégiés, parce qu’ils recevront en une somme unique le prix de quelque grande œuvre, ou en plusieurs fois le salaire annuel des travaux qui sont le but et l’habitude de leur vie ? Reconnaissez, madame, que le bourgeois, par la nature de sa condition et de son existence, est du peuple comme l’ouvrier ; et que s’il s’en distingue par des avantages qui peuvent être conquis, il n’en est pas séparé par un privilége incommunicable. Enfin, quelles sont les conclusions de la partie politique de votre lettre ? Vous laissez entendre que la bourgeoisie, sans y être forcée, ne renoncera jamais aux moyens qu’elle possède de jouir plus que le peuple en travaillant moins ; vous considérez le pouvoir politique comme une ville forte, fermée de toutes parts, où l’on n’entre jamais que d’assaut. Je vous répondrai que les grandes insurrections comme la résistance des Américains en 1776, comme les deux mouvemens de 1789 et de 1830, ont eu pour causes des idées justes et des passions généreuses, qu’elles avaient été proclamées raisonnables, nécessaires et légitimes par une immense majorité, même avant leur triomphe définitif. Pour que la force puisse être appelée au secours des idées, il faut que la société soit convaincue, d’abord, qu’il n’y a plus pour elle d’autre issue que la lutte, et aussi que les idées pour lesquelles on l’appelle à combattre sont les plus vraies et les meilleures. Mais heureusement, après avoir indiqué un parti extrême, vous dites ne réclamer qu’une chose, la possibilité pour chacun de faire entendre ses désirs et ses besoins, de mettre sa boule dans l’urne sociale ; vous avez écrit ces mots : Le peuple, trop peu intelligent pour gouverner lui-même, le sera bien assez pour reconnaître ceux qui seront les plus aptes à le faire pour lui. C’est avec une joie infinie que je vous vois répéter l’observation échappée à Montesquieu il y a un siècle : Le peuple est admirable pour choisir ceux à qui il doit confier quelque partie de son autorité. Comment contester sans aveuglement le bon sens inné du peuple, et sans égoïsme le droit qu’il a de développer sa raison et de l’appliquer à la direction de ses propres destinées ? Ici, madame, nous tomberons d’accord : pas plus que vous, je ne me trouve satisfait d’un système électoral qui ne reconnaît l’habileté politique qu’à deux cent mille citoyens. Le problème de l’élection me paraît appeler tous les efforts des publicistes, et ce n’est pas hier que j’ai tracé ces lignes : C’est dans le pouvoir législatif que la France doit porter une révolution pacifique et progressive ; elle voudrait que l’intelligence fût admise au partage des droits sociaux avec la propriété. Maintenant examinons ensemble, si bon vous semble, le christianisme de M. de La Mennais. Il est reconnu entre nous que M. de La Mennais nie également le catholicisme et le protestantisme, et qu’il ne prend plus pour code que le texte même de la loi promulguée par le maître. Mais s’il laisse de côté les commentaires et les développemens de ceux qui se sont posés comme les continuateurs immédiats du Christ, n’est-ce pas à la charge d’apporter lui-même des commentaires nouveaux et d’autres développemens ? L’Évangile est scellé, car, suivant les paroles même du Livre du Peuple, il sera ouvert devant les nations dans l’avenir, et il serait permis à l’homme qui se sépare ouvertement de toutes les explications antérieures, de s’abstenir de tout effort pour éclairer le genre humain ! Oui, dites-vous, il est injuste de demander quelque chose à M. de La Mennais ; il enseigne ce qu’il croit et ce que beaucoup avec lui croient juste ; il attaque du présent tout ce qui lui semble mauvais, sans être obligé de dire ce qu’il faut mettre à la place... Entendons-nous, madame ; je n’ai pas demandé à M. de La Mennais de nous dérouler l’histoire du xxe siècle, mais seulement de donner à sa pensée un développement ultérieur ; aussi je ne crois pas que vous réussissiez à me mettre en contradiction avec moi-même, en citant une de mes phrases où je dis qu’il serait puéril de vouloir prophétiser en détail les incidens et les formes par lesquelles doit passer l’humanité. Pas de prophéties, mais un système d’idées qui s’élève sur les ruines et les négations accumulées. Prenez garde que dans votre ardeur à défendre M. de La Mennais, vous ne détruisiez vous-même sa grandeur réelle, et celle que l’imagination se plaît à lui décerner. On le presse d’affirmer quelque chose après avoir tout nié, et vous vous hâtez de répondre pour lui qu’il n’est obligé à rien. Eh ! madame, mes exigences sont un hommage, et vos fins de non-recevoir, presqu’une atteinte à son génie. Aussi, à la fin de votre lettre, vous efforcez-vous de retirer ce que vous avez allégué, car vous nous représentez M. de La Mennais sur des pentes escarpées, dans des sentiers inconnus, descendant dans des abîmes, et allant le premier à la découverte de la terre promise... Que demandé-je autre chose que de voir le prêtre breton, comme un autre Moïse, montrer au peuple un autre Chanaan ? Mais il y a ici une option nécessaire ; on ne peut à la fois ressembler à tout le monde, et se trouver seul et le premier dans des sentiers inconnus, dans des abîmes ; on ne peut en même temps marcher au milieu de plusieurs dans la plaine et s’égarer solitaire sur la cime des monts, au milieu des nuages. Le véritable La Mennais, à mes yeux, est, non pas un démocrate enrégimenté qui écrit des choses utiles sans doute, mais que d’autres peuvent écrire comme lui. C’est l’homme extraordinaire et fatal que le vieux catholicisme a perdu, et que doit conquérir de plus en plus le génie philosophique ; c’est le théologien ultramontain, à moitié converti, que je caractérisais en 1832 ; c’est le révolutionnaire que je défendais en 1834 contre ses adversaires, et que j’appelais avec raison le seul prêtre de l’Europe, car il était prêtre encore, en s’élevant contre les puissans, même en désobéissant au pape ; c’est enfin l’auteur du Livre du Peuple, qui dépouille aujourd’hui devant lui le catholicisme, comme un vêtement qui l’obsède, qui néanmoins s’appelle encore chrétien, et auquel je demande avec raison quel est son christianisme. Pourquoi parlez-vous, madame, de l’abbé Châtel, quand je parle d’Arius et de Luther ? En 1832, j’ai dit à M. de La Mennais puisqu’il avait le goût du schisme, d’en avoir le courage, et vous savez que sa soumission passagère au pape a été en effet suivie d’une révolte éclatante. Il n’y a donc plus à revenir sur ce passé. Mais aujourd’hui il y va d’un intérêt nouveau, plus grand, et qui aurait pu frapper un esprit comme le vôtre. M. de La Mennais se montre dans le Livre du Peuple, démocrate et chrétien ; il a, s’il m’est permis de rappeler mes expressions, cousu une page du catéchisme à un lambeau du Contrat social. Cette association est-elle juste ? La dernière partie du livre ne détruit-elle pas la seconde ? Voilà la question. Ne seriez-vous pas curieuse de connaître sur ce point l’opinion de Rousseau lui-même, dont M. de La Mennais a embrassé les principes ? « Je me trompe, écrit Rousseau dans l’avant-dernier chapitre du Contrat social, en disant une république chrétienne ; chacun de ces mots exclut l’autre. Le christianisme ne prêche que servitude et dépendance ; son esprit est trop favorable à la tyrannie pour qu’elle n’en profite pas toujours. Les vrais chrétiens sont faits pour être esclaves ; ils le savent et ne s’en émeuvent guère ; cette courte vie a trop peu de prix à leurs yeux... » Et encore : « La religion chrétienne, loin d’attacher les cœurs des citoyens à l’état, les en détache comme de toutes choses de la terre : je ne connais rien de plus contraire à l’esprit social. » Ainsi, Jean-Jacques, loin de faire du christianisme le corollaire de sa théorie de la souveraineté du peuple, le déclare anti-social ; et cependant l’auteur du Livre du Peuple, fidèle à Rousseau sur le premier point, s’en sépare sur le second. Pourquoi ? Qui a raison, du maître ou du disciple ? Avouez donc, madame, que tout conduit M. de La Mennais à l’obligation de formuler un système, et félicitez-vous de cette nécessité, loin de vous en plaindre. Quoi ! le christianisme, tant par sa nature que par l’esprit de l’époque où nous le voyons aujourd’hui parvenu, sera l’objet des explications et des sentimens les plus contradictoires, et il suffira à M. de La Mennais, après avoir nié violemment les deux grandes formes chrétiennes, le catholicisme et le protestantisme, de se dire chrétien à sa façon, pour en être cru sur parole, et pour imposer aux autres une foi personnelle qu’il ne définit point ! Constatons les inconvéniens de cette méthode arbitraire. Le nouveau maître de M. de La Mennais, Rousseau, lui crie que la religion chrétienne n’est pas sociale, ne convient pas à des républicains. Il a tort peut-être ; mais il fallait démontrer l’erreur du législateur de la démocratie, surtout quand on lui empruntait les bases et l’appareil de son système, quand on s’adressait à un public, à un parti, à des lecteurs, nourris encore des principes de l’auteur du Contrat social. M. de La Mennais aurait dû penser qu’au lieu de porter la lumière dans les esprits, il y jetait les ténèbres, en associant, sans explication, des termes que beaucoup réputaient inconciliables. Mais il y a d’autres inconvéniens : le christianisme officiel, que M. de La Mennais accable de ses mépris, se relève avec avantage contre lui ; il se sert de la seconde partie du Livre du Peuple pour détruire la première, et de cette façon, ou les pages de M. de La Mennais n’ont pas d’effet possible, ce que j’ai dit, ou elles propageront l’abnégation et l’humilité chrétienne, ce que probablement il n’a pas voulu. Déjà le parti protestant, dont le Semeur est l’organe, a, par une habile tactique, déclaré que le Livre du Peuple contenait trop de bonnes choses pour pouvoir produire beaucoup de mal, et que l’auteur avait lui-même mis le remède à côté du poison. Enfin l’esprit philosophique du siècle est tenu en échec par l’incohérence et la vague obscurité des formules employées par M. de La Mennais, et ne peut les accepter comme contenant des vérités claires, concordantes et solides. Le christianisme, que j’ai eu raison, ce me semble, de considérer comme un grand système d’idées et de passions, comporte les perspectives et les interprétations les plus diverses. Il faut donc, dans ces vastes régions, s’orienter soi-même, surtout quand on veut diriger les autres. S’appeler chrétien, sans ajouter comment on entend l’être, c’est ne pas dire autre chose qu’on n’est ni musulman, ni juif, et qu’on est né au sein du christianisme de sa famille et de sa patrie, C’est bien ; mais ensuite, pour élever le fait historique à une valeur rationnelle, il faut entrer dans le fond des choses et savoir en tirer la lumière. Or au-dessus du christianisme, si étendu et si profond qu’il paraisse, est l’infini de la réalité, l’infini de la moralité humaine. C’est en face de cette moralité que je veux conduire M. de La Mennais, pour qu’il l’envisage à nu, sans le voile des formules et des croyances chrétiennes. Je mène ce chrétien indécis et équivoque devant la nature des choses, et je lui demande s’il est bien convaincu que la morale du christianisme ne soit susceptible d’aucun amendement et d’aucune réforme. Croit-il que la morale pratique de l’humanité ne soit pas perfectible comme ses autres développemens ? ne reconnaît-il pas qu’aujourd’hui la régénération des mœurs ne peut dépendre que de la révolution des idées ? Niera-t-il que la vertu, comme la science, puisse changer de formes, quand l’histoire nous montre la vertu antique supplantée par la vertu chrétienne ? Comprenez mon dessein, madame ; je ne presse si fort M. de La Mennais que pour l’attirer à de nouveaux progrès, à de nouvelles conquêtes. Depuis qu’il s’est séparé du catholicisme, il appartient fatalement à la philosophie ; mais cette fatalité, glorieuse pour lui comme pour nous, doit se développer de plus en plus. Vous appelez M. de La Mennais un grand moraliste politique, soit ; mais alors qu’il nous fasse connaître sa morale ; qu’il nous dise s’il accepte l’humilité chrétienne comme une vertu éternelle, l’indépendance de la raison comme un péché, l’abattement et la tristesse comme des dispositions normales de l’ame, qu’il nous réponde enfin si sa morale est toute chrétienne. Vous voyez, madame, qu’en nommant M. de La Mennais un moraliste, vous ne l’avez pas sauvé de l’obligation d’édifier des idées positives ; vous avez, au contraire, signalé, peut-être à votre insu, le point où il doit, s’il est conséquent et progressif, porter l’effort de sa pensée. Après avoir fait de M. de La Mennais un moraliste, vous me reprochez, madame, d’avoir dit qu’il y avait dans lui quelque chose de l’utopiste, et vous semblez trouver mauvais qu’on appelle utopistes Saint-Simon et Fourier. Ce n’est pas pour déprécier ces grands hommes, mais bien pour les qualifier, que j’ai employé ce mot. Un utopiste est le penseur qui a la double force de nier la société existante et d’édifier une société idéale. Malheureusement pour lui, M. de La Mennais n’a encore du caractère de l’utopiste que la moitié, la négation absolue de ce qui est. Si je l’engage à se compléter, vous dénoncez un piége dans cette invitation. Ce sont là, madame, de nobles embûches qui ne sauraient épouvanter que l’inconséquence et la faiblesse. L’utopie vous paraît chose si compromettante, que vous avez la malice de m’en renvoyer l’accusation à la fin de votre lettre. Je n’ai point à fonder une société idéale, parce que je n’ai jamais eu le dessein d’anathématiser et de nier la société qui existe ; je crois la société susceptible de développemens et de réforme ; j’attribue aux théories et aux idées la puissance d’élever la civilisation moderne à une moralité plus vraie, et la conscience des progrès accomplis depuis trois siècles interdit à ma raison tout désespoir pour l’avenir. Vous me reprochez encore le conseil que j’adresse à M. de La Mennais de faire de nouvelles tentatives pour concilier la science et la foi, et je vois, par les questions que vous posez, que vous ne vous rendez pas compte avec exactitude des rapports qui existent entre ces deux termes. La foi n’est pas le but fatal de la science, elle en est, au contraire, une préparation ; la science n’est pas le chemin fatal de la foi ; c’est, au contraire, la foi qui mène à la science : elle précède la démonstration et la certitude. Il y a, entre ces deux termes que l’esprit humain ne doit pas laisser immobiles, action et réaction. Loin donc de nier qu’on puisse être tout ensemble homme de science et de foi, je crois que l’homme est d’autant plus parfait que ces deux forces vivent chez lui dans un exact équilibre ; aussi ai-je regretté que, chez M. de La Mennais, la partie affective et sentimentale ait trop empiété, dans ces derniers temps, sur la partie rationnelle. Mais le génie a des retours imprévus et peut se signaler par des contrastes éclatans. Joignez-vous plutôt à moi, madame, pour conjurer M. de La Mennais de reprendre les beaux travaux que j’annonçais, avec tant de plaisir, au public en 1834. M. de La Mennais, quand il eut écrit l’Essai sur l’Indifférence, a laissé le catholicisme au même point qu’à la mort de Bossuet, comme je l’ai remarqué en 1832. Aujourd’hui il écrit le Livre du Peuple à l’école de Rousseau ; il est temps qu’il soit lui-même, et que l’écrivain populaire songe enfin à l’originalité du penseur. Au surplus, madame, je ne puis m’empêcher de trouver bizarre la vivacité avec laquelle vous vous plaignez des dissentimens qui me séparent de M. de La Mennais, quand vous-même déclarez n’être pas de ceux qui acceptent son présent sans restriction. Vous n’êtes donc pas satisfaite sur tous les points ? Votre pensée n’est pas en communion complète avec l’esprit de l’homme que vous avez cru devoir défendre ; comment en douter, quand je trouve ces mots dans votre lettre « Le christianisme de M. de La Mennais n’a pas toute l’extension panthéistique que nous lui donnerions, si nous étions appelé à la libre interprétation de son évangile démocratique. » Je n’avais pas besoin de cet aveu, madame, pour connaître les inclinations et les perplexités de votre génie : la lecture de vos livres m’avait assez fait voir vos doutes pathétiques et vos indécisions éloquentes. Oui, en ce moment vous êtes tourmentée, parce que vous ne vous entendez pas avec vous-même sur quelques principes élémentaires et souverains dans la recherche de la vérité. Le christianisme et le panthéisme ne sont pas deux formes qu’on puisse concilier, car ce sont deux puissances ennemies qui se disputent le monde. Si vous vous consumiez dans de stériles efforts pour les unir, vous n’y réussiriez pas plus que Novalis et Schelling ; vous compromettriez dans ce laborieux paralogisme la sécurité de votre esprit et la grandeur de votre œuvre. Il faut choisir. Et ne perdez pas de vue, madame, quand vous examinerez ces questions, que s’il y a plusieurs christianismes, c’est-à-dire plusieurs manières d’entendre le sens de la tradition chrétienne, il y a aussi plusieurs panthéismes, plusieurs façons d’arriver à la conception idéale du monde et de Dieu. Que je voudrais vous voir devant à de mûres réflexions la conquête de quelques convictions inébranlables, ne plus aventurer sur de grands problèmes de brillantes inconséquences, mais, maîtresse de vous-même, donner aux splendeurs de votre imagination une pensée une et forte à revêtir. Le temple est magnifique, mais quel en sera le Dieu ? Le temps est venu pour vous de donner à vos opinions philosophiques plus de consistance et d’étendue, car vous entrez dans une nouvelle phase de la vie et du talent. L’inspiration et la fantaisie vous ont élevée à une hauteur où elles ne suffiraient pas à vous maintenir. Puisez maintenant, madame, de nouvelles forces dans la réflexion et la science. Vous avez fait briller votre nom comme une radieuse étoile au-dessus de nos têtes, ne descendez pas de l’horizon, fixez-y votre gloire et sachez durer en grandissant encore. Approfondissez de plus en plus le rôle social auquel vous êtes appelée ; sauvez-vous de l’imprudence de traiter lestement les idées et de méconnaître la cause philosophique que votre honneur est de servir. À notre époque, l’imagination et la poésie ne peuvent trouver d’éclat durable que dans leur union avec le bon sens et la science. Croyez-vous que l’auteur de Werther ait dégradé les magiques richesses que lui avait prodiguées la Muse, en y mêlant les profondeurs d’une haute raison ? Puisque comme Goëthe, à qui nous devons la Métamarphose des plantes, vous avez étudié la nature, que tardez-vous à le suivre dans le culte réfléchi de l’histoire et de l’idéalisme ? Si déjà vous aviez pris ce parti, d’où peut dépendre l’avenir de votre pensée, vous ne demanderiez pas aujourd’hui, madame, s’il y a une philosophie moderne. Depuis que les sociétés humaines se développent sur la terre, il y a toujours eu pour elles deux ordres de choses fort différens, d’une part les lois et les institutions positives, de l’autre les idées et les théories. À travers des formes inégales et diverses, ces deux réalités coexistent à tous les momens de l’histoire, dans des rapports inégaux, tantôt violens, tantôt pacifiques. Là où vous voyez une tradition religieuse en possession paisible ou contestée de l’empire des faits, tenez pour constant qu’il y a derrière elle une tradition philosophique qui sait à la fois soutenir la religion et l’outrepasser. N’avez-vous jamais songé que la philosophie grecque, tant celle de la grande Grèce, que celle d’Athènes, et celle d’Alexandrie, avait une place considérable dans les causes historiques qui ont enfanté le christianisme, et qu’elle forme comme une longue chaîne d’idées, dont le commencement se rattache à la sagesse des Hindous pour aboutir à l’évangile du Christ ? Eh bien ! madame, à côté de la tradition philosophique de l’antiquité, le travail de l’esprit humain a mis la tradition d’une philosophie moderne qui a commencé à se développer aussitôt que la théologie chrétienne eut achevé la rédaction définitive des dogmes et des formules de la religion. Nous retrouvons, vous le voyez, les deux réalités dont je vous parlais, et les destinées de l’humanité dépendent de la nature de leurs rapports. Il y a, madame, une philosophie moderne par la même loi de développement qui a donné au genre humain le christianisme après le polythéisme. Ne tombez-vous pas d’accord avec moi qu’il vaut mieux, pour l’esprit, spéculer devant l’image du sacrifice consommé sur le Golgotha, qu’au milieu des mille simulacres qui traduisaient la pluralité des dieux ? Non que, pour moi, le christianisme soit toute la vérité ; mais comme il a sur le polythéisme une supériorité incontestable, ce progrès de la religion a permis à la pensée spéculative de porter plus loin qu’elle n’avait fait encore ses théories et ses applications. Sans doute ce n’est pas volontairement que l’église a laissé triompher l’esprit philosophique ; mais après des luttes acharnées, elle a dû renoncer à prévaloir contre lui. La philosophie moderne a donc eu à la fois le christianisme pour point de départ, et l’église pour adversaire, c’est-à-dire une position avantageuse et l’aiguillon du combat. En France moins qu’ailleurs on ne saurait oublier ou méconnaître ces faits, car c’est surtout parmi nous que la philosophie moderne a été militante, et qu’elle a prouvé aux moins clairvoyans sa puissance et sa force par de victorieux résultats. Dans quelles préoccupations évangéliques et chrétiennes s’étaient donc perdus vos souvenirs, madame, quand vous m’avez demandé des nouvelles de la philosophie moderne ? Vous n’aviez donc plus en mémoire les traditions de la raison française depuis Abailard jusqu’à Condorcet, depuis le contemporain de la révolution communale du xiie siècle jusqu’à l’homme qui, dans l’intervalle de sa proscription et de sa mort, esquissait une théorie des progrès de l’esprit humain ? Croyez-moi, ne séparez pas la cause de la liberté de la cause philosophique, et cherchez toujours dans la science et les idées la cause légitime des conquêtes et des droits politiques. Je n’ignore pas, madame, qu’il est de mode aujourd’hui de mettre dans tout un peu de christianisme. On est engoué de la couleur chrétienne, on raffole du principe chrétien. Si un poète dramatique met en scène un empereur romain qui a commencé à régner quatre ans après la mort de Jésus-Christ, il assaisonnera son drame païen d’une conversion au christianisme, à une époque où les disciples peu nombreux du Christ n’étaient que des juifs dissidens et ne s’appelaient pas encore chrétiens. Ce n’est pas tout : un journal éminemment religieux, la Gazette de France, présentera cette scène à ses lecteurs comme un hommage public rendu par l’esprit du siècle à la religion catholique. Dans beaucoup de romans, les héros, aujourd’hui, sont chrétiens ; je me trompe, ils sont eux-mêmes des Christ méconnus, persécutés. Si un homme a échoué dans une conspiration politique, c’est un Christ ; si tel autre n’a pu parvenir à se faire un nom dans les lettres ou dans les arts, c’est encore un nouveau Christ que l’impiété du siècle crucifie. D’autres écriront avec un aplomb merveilleux que l’humanité n’existe que par le christianisme, qu’il n’y a rien avant lui ni hors de lui, s’embarrassant peu de l’espace et du temps dans leurs jugemens historiques. Cette manie ne durera pas, le bon sens public nous en est garant ; mais il ne faut pas que, même en passant, elle effleure les esprits sérieux et solides. Ayons pour le christianisme le respect qu’il mérite, mais restons fidèles à la cause de la raison et de la philosophie ; sachons poser et traiter les questions sociales avec netteté ; distinguons les principes, ne mettons pas l’étiquette du christianisme sur des théories qui le contredisent ; gardons-nous aussi de faire intervenir la morale chrétienne là où il faudrait plutôt jeter les germes d’une moralité nouvelle. La philosophie moderne, vous écriez-vous, est donc très contente d’elle-même ? Mais il me semble qu’à considérer seulement le passé de deux siècles, c’est-à-dire, depuis Descartes et Spinosa, la philosophie peut, avec quelque orgueil, contempler son ouvrage : de la métaphysique elle est descendue à l’application politique des principes et des idées ; elle a renversé tout un antique système de formes sociales ; elle a jeté les principes d’un ordre nouveau. Croyez-vous que l’histoire nous montre beaucoup d’exemples d’une puissance aussi rapidement victorieuse ? Mais, aujourd’hui, dites-vous, où est le pouvoir de la philosophie ? Fait-elle vivre dans l’abondance tous les indigens ? Force-t-elle le privilége et le monopole à ouvrir à tous la porte de la cité ? Non ; il faut donc dédaigner les idées pour échauffer les passions. Voici ma réponse : quand l’amour chrétien embrasa les hommes, ils durent cependant se contenir et se résigner long-temps au spectacle des plus déchirantes misères, et certes la somme des douleurs humaines était alors plus forte que dans notre siècle. Aussi la résignation était-elle la vertu par excellence. Aujourd’hui que l’esprit humain demande à la science la grandeur et le bien-être de l’humanité, il ne peut échapper, malgré sa force, à la condition du temps ; aussi trouve-t-il sa vertu, non plus dans une résignation mystique, mais dans une patience active et intelligente, c’est-à-dire dans le travail. Maudire la philosophie au xixe siècle, parce qu’elle n’improvise pas le paradis sur la terre, serait le cri d’un matérialisme grossier que je ne saurais songer à vous imputer un instant. Comme vous, madame, je gémis de la misère et de l’ignorance où sont encore les classes ouvrières ; mais je ne crois pas à une conspiration unanime et permanente de la bourgeoisie, pour laisser languir les prolétaires, cette seconde moitié du peuple, dans le malaise et les ténèbres. Travaillons de concert à aplanir les obstacles, répandons partout les idées les plus claires et les plus saines ; calmons le ressentiment des uns, attendrissons l’égoïsme de quelques autres. Les progrès de l’humanité n’ont-ils pas toujours dépendu des convictions répandues dans les esprits ? Les idées n’ont-elles pas toujours mené les hommes ? Au moyen-âge, le christianisme, représenté par l’église, élevait la tête au-dessus des rois et des peuples ; aujourd’hui la pensée en son propre nom s’occupe à diriger le monde. Si la religion trouve sa force dans l’apparence de l’immobilité, la philosophie est si forte, qu’elle peut, pour ainsi dire, se détruire impunément elle-même, et qu’elle cherche des triomphes dans la mobilité de ses formes et de ses systèmes. Ne vous étonnez donc pas si, travailleur obscur dans l’ordre philosophique des choses humaines, je ne désespère ni de l’intelligence, ni des destinées du monde, et si quelque enthousiasme m’a été laissé au fond de l’ame, pour prix de mon labeur. Voilà, madame, les explications que je vous devais. Je crois avoir démontré la justesse des critiques que j’avais adressées à M. de La Mennais, et quel que soit mon désir de vous être agréable, je ne saurais les retirer. Quant à vous, madame, il n’était pas en mon pouvoir de vous donner une preuve plus sincère de mon estime et de ma déférence que cette lettre même, car j’ai fait pour vous ce que je n’ai fait pour personne : j’ai répondu à des objections et à des critiques. Vous savez que ni les unes ni les autres ne manquent à celui qui écrit et qui parle devant le public ; jusqu’à présent je n’en avais relevé aucunes, profitant en silence de celles dont je reconnaissais le fondement, peu troublé de celles qui me semblaient erronées. Veuillez donc voir, madame, dans cette réponse, un témoignage de l’admiration que je vous ai vouée depuis que je vous lis. Lerminier. |
Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/42 |
Je compte rester à la campagne tout le temps de l’absence de {{M.|de}} Tourvel. J’ai pris ce temps pour jouir & profiter de la société de la respectable madame de Rosemonde. Cette femme est toujours charmante : son grand âge ne lui fait rien perdre ; elle conserve toute sa mémoire & sa gaieté. Son corps seul a quatre-vingt-quatre ans ; son esprit n’en a que vingt.
Notre retraite est égayée par son neveu le vicomte de Valmont, qui a bien voulu nous sacrifier quelques jours. Je ne le connaissais que de réputation, et elle me faisait peu désirer de le connaître davantage ; mais il me semble qu’il vaut mieux qu’elle. Ici, où le tourbillon du monde ne le gâte pas, il parle raison avec une facilité étonnante, et il s’accuse de ses torts avec une candeur rare. Il me parle avec beaucoup de confiance, et je le prêche avec beaucoup de sévérité. Vous qui le connaissez, vous conviendrez que ce serait une belle conversion à faire : mais je ne doute pas, malgré ses promesses, que huit jours de Paris ne lui fassent oublier tous mes sermons. Le séjour qu’il fera ici sera au moins autant de retranché sur sa conduite ordinaire ; et je crois que, d’après sa façon de vivre, ce qu’il peut faire de mieux est de ne rien faire du tout. Il sait que je suis occupée à vous écrire, & il m’a chargée de vous présenter ses respectueux hommages. Recevez aussi le mien avec la bonté que je vous connais, et ne doutez jamais des sentiments sincères avec lesquels j’ai l’honneur d’être, etc.
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Bakounine/Œuvres complètes/TomeV41 | Michel Bakounine Bakounine/Œuvres complètes Œuvres, Texte établi par James Guillaume, P.-V. Stock (Bibliothèque sociologique, N° 43), 1911, Tome V (p. 169-199). collectionBakounine/Œuvres complètesMichel BakounineP.-V. Stock (Bibliothèque sociologique, N° 43)1911ParisVTome VBakounine - Œuvres t5.djvuBakounine - Œuvres t5.djvu/7169-199 I « Nous avons cru jusqu’à présent, dit la Montagne, que les opinions politiques et religieuses étaient indépendantes de la qualité de membre de l’Internationale ; et, quant à nous, c’est sur ce terrain que nous nous plaçons. » On pourrait croire, au premier abord, que M. Coullery a raison. Car, en effet, l’Internationale, en acceptant dans son sein un nouveau membre, ne lui demande pas s’il est religieux ou athée, s’il appartient à tel parti politique ou s’il n’appartient à aucun. Elle lui demande simplement : Es-tu ouvrier, ou, si tu ne l’es pas, éprouves-tu le besoin et te sens-tu la force d’embrasser franchement, complètement, la cause des ouvriers, de t’identifier avec elle à l’exclusion de toutes les autres causes qui pourraient lui être contraires ? Sais-tu que les ouvriers, qui produisent toutes les richesses du monde, qui sont les créateurs de la civilisation, et qui ont conquis pour les bourgeois toutes les libertés, sont aujourd’hui condamnés a la misère, à l’ignorance et à l’esclavage ? As-tu compris que la cause principale de tous les maux qu’endure l’ouvrier, c’est la misère, et que cette misère, qui est le lot de tous les travailleurs dans le monde, est une conséquence nécessaire de l’organisation économique actuelle de la société, et notamment de l’asservissement du travail, c’est-à-dire du prolétariat, sous le joug du capital, c’est-à-dire de la bourgeoisie ? As-tu compris qu’entre le prolétariat et la bourgeoisie il existe un antagonisme qui est irréconciliable, parce qu’il est une conséquence nécessaire de leurs positions respectives ? Que la prospérité de la classe bourgeoise est incompatible avec le bien-être et la liberté des travailleurs, parce que cette prospérité excessive n’est et ne peut être fondée que sur l’exploitation et sur l’asservissement de leur travail, et que, pour la même raison, la prospérité et la dignité humaine des masses ouvrières exigent absolument l’abolition de la bourgeoisie comme classe séparée ? Que par conséquent la guerre entre le prolétariat et la bourgeoisie est fatale et ne peut finir que par la destruction de cette dernière ? As-tu compris qu’aucun ouvrier, quelque intelligent et quelque énergique qu’il soit, n’est capable de lutter seul contre la puissance si bien organisée des bourgeois, puissance représentée et soutenue principalement par l’organisation de l’État, de tous les États ? Que pour te donner de la force tu dois t’associer non avec des bourgeois, — ce qui serait de ta part une sottise ou un crime, parce que tous les bourgeois, en tant que bourgeois, sont nos ennemis irréconciliables, — ni avec des ouvriers infidèles, et qui seraient assez lâches pour aller mendier les sourires et la bienveillance des bourgeois, mais avec des ouvriers honnêtes, énergiques, et qui veulent franchement ce que tu veux ? As-tu compris qu’en présence de la coalition formidable de toutes les classes privilégiées, de tous les propriétaires capitalistes et de tous les États dans le monde, une association ouvrière isolée, locale ou nationale, appartînt-elle même à l’un des plus grands pays de l’Europe, ne pourra jamais triompher, et que, pour tenir tête à cette coalition et pour obtenir ce triomphe, il ne faut rien de moins que l’union de toutes les associations ouvrières locales et nationales en une association universelle, il faut la grande Association Internationale des Travailleurs de tous les pays ? Si tu sais, si tu as bien compris et si tu veux réellement tout cela, viens à nous, quelles que soient d’ailleurs tes croyances politiques et religieuses. Mais pour que nous puissions t’accepter, tu dois nous promettre : 1o De subordonner désormais tes intérêts personnels, ceux même de ta famille, aussi bien que tes convictions et manifestations politiques et religieuses, à l’intérêt suprême de notre association : la lutte du travail contre le capital, des travailleurs contre la bourgeoisie sur le terrain économique ; 2o De ne jamais transiger avec les bourgeois dans un intérêt personnel ; 3o De ne jamais chercher à t’élever individuellement, seulement pour ta propre personne, au-dessus de la masse ouvrière, ce qui ferait de toi-même immédiatement un bourgeois, un ennemi et un exploiteur du prolétariat ; car toute la différence entre le bourgeois et le travailleur est celle-ci, que le premier cherche son bien toujours en dehors de la collectivité, et que le second ne le cherche et ne prétend le conquérir que solidairement avec tous ceux qui travaillent et qui sont exploités par le capital bourgeois ; 4o De rester toujours fidèle à la solidarité ouvrière, car la moindre trahison de cette solidarité est considérée par l’Internationale comme le crime le plus grand et comme la plus grande infamie qu’un ouvrier puisse commettre. En un mot, tu dois accepter franchement, pleinement, nos statuts généraux, et tu prendras l’engagement solennel d’y conformer désormais tes actes et ta vie. Nous pensons que les fondateurs de l’Association Internationale ont agi avec une très grande sagesse en éliminant d’abord du programme de cette association toutes les questions politiques et religieuses. Sans doute, ils n’ont point manqué eux-mêmes ni d’opinions politiques, ni d’opinions anti-religieuses bien marquées ; mais ils se sont abstenus de les émettre dans ce programme, parce que leur but principal c’était d’unir avant tout les masses ouvrières du monde civilisé dans une action commune. Ils ont dû nécessairement chercher une base commune, une série de simples principes sur lesquels tous les ouvriers, quelles que soient d’ailleurs leurs aberrations politiques et religieuses, pour peu qu’ils soient des ouvriers séreux, c’est-à-dire des hommes durement exploités et souffrants, sont et doivent être d’accord. S’ils avaient arboré le drapeau d’un système politique ou anti-religieux, loin d’unir les ouvriers de l’Europe, ils les auraient encore plus divisés ; parce que, l’ignorance des ouvriers aidant, la propagande intéressée et au plus haut degré corruptive des prêtres, des gouvernements et de tous les partis politiques bourgeois, sans en excepter les plus rouges, a répandu une foule d’idées fausses dans les masses ouvrières, et que ces masses aveuglées se passionnent malheureusement encore trop souvent pour des mensonges qui n’ont d’autre but que de leur faire servir, volontairement et stupidement, au détriment de leurs intérêts propres, ceux des classes privilégiées. D’ailleurs, il existe encore une trop grande différence entre les degrés de développement industriel, politique, intellectuel et moral des masses ouvrières dans les différents pays, pour qu’il soit possible de les unir aujourd’hui par un seul et même programme politique et anti-religieux. Poser un tel programme comme celui de l’Internationale, en faire une condition absolue d’entrée dans cette association, ce serait vouloir organiser une secte, non une association universelle ; ce serait tuer l’Internationale. Il y a eu encore une autre raison qui a fait éliminer d’abord du programme de l’Internationale, en apparence du moins et seulement en apparence toute tendance politique. Jusqu’à ce jour, depuis le commencement de l’histoire, il n’y a pas eu encore de politique du peuple, — et nous entendons par ce mot le bas peuple, la canaille ouvrière qui nourrit le monde de son travail ; il n’y a eu que la politique des classes privilégiées, de ces classes se sont servies de la puissance musculaire du peuple pour se détrôner mutuellement, et pour se mettre à la place l’une de l’autre. Le peuple à son tour n’a jamais pris parti pour les unes contre les autres que dans le vague espoir qu’au moins l’une de ces révolutions politiques, dont aucune n’a pu se faire sans lui, apporterait quelque soulagement à sa misère et à son esclavage séculaires. Il s’est toujours trompé. Même la grande Révolution française l’a trompé. Elle a tué l’aristocratie nobiliaire et a mis à sa place la bourgeoisie. Le peuple ne s’appelle plus ni esclave ni serf, il est proclamé né libre en droit, mais dans le fait son esclavage et sa misère restent les mêmes. Et ils resteront toujours les mêmes tant que les masses populaires continueront de servir d’instrument à la politique bourgeoise, que cette politique s’appelle conservatrice, libérale, progressiste, radicale, et lors même qu’elle se donnerait les allures les plus révolutionnaires du monde. Car toute politique bourgeoise, quels que soient son nom et sa couleur, ne peut avoir au fond qu’un seul but : le maintien de la domination bourgeoise, et la domination bourgeoise, c’est l’esclavage du prolétariat. Qu’a dû donc faire l’Internationale ? Elle a dû d’abord détacher les masses ouvrières de toute politique bourgeoise, elle a dû éliminer de son programme tous les programmes politiques bourgeois. Mais, à l’époque de sa fondation, il n’y avait pas dans le monde d’autre politique que celle de l’Église, ou de la monarchie, ou de l’aristocratie, ou de la bourgeoisie ; la dernière, surtout celle de la bourgeoisie radicale, était sans contredit plus libérale et plus humaine que les autres : mais toutes, également fondées sur l’exploitation des masses ouvrières, n’avaient en réalité d’autre but que de se disputer le monopole de cette exploitation. L’Internationale a donc dû commencer par déblayer le terrain, et, comme toute politique, au point de vue de l’émancipation du travail, se trouvait alors entachée d’éléments réactionnaires, elle a du d’abord rejeter de son sein tous les systèmes politiques connus, afin de pouvoir fonder, sur ces ruines du monde bourgeois, la vraie politique des travailleurs, la politique de l’Association Internationale. (Égalité du 7 août 1869.) II Les fondateurs de l’Association internationale des travailleurs ont agi avec d’autant plus de sagesse en évitant de poser des principes politiques et philosophiques comme base de cette association, et en ne lui donnant d’abord pour unique fondement que la lutte exclusivement économique du travail contre le capital, qu’ils avaient la certitude que, du moment qu’un ouvrier met le pied sur ce terrain, du moment que, prenant confiance aussi bien dans son droit que dans sa force numérique, il s’engage avec ses compagnons de travail dans une lutte solidaire contre l’exploitation bourgeoise, il sera nécessairement amené, par la force même des choses, et par le développement de cette lutte, à reconnaître bientôt tous les principes politiques, socialistes et philosophiques de l’Internationale, principes qui ne sont rien, en effet, que, le juste exposé de son point de départ, de son but. Nous avons exposé ces principes dans nos derniers numéros. Au point de vue politique et social, ils ont pour conséquence nécessaire l’abolition des classes, par conséquent celle de la bourgeoisie, qui est la classe dominante aujourd’hui ; l’abolition de tous les États territoriaux, celle de toutes les patries politiques, et, sur leur ruine, l’établissement de la grande fédération internationale de tous les groupes productifs, nationaux et locaux. Au point de vue philosophique, comme ils ne tendent à rien de moins qu’à la réalisation de l’idéal humain, du bonheur humain, de l’égalité, de la justice et de la liberté sur la terre, que par là même ils tendent à rendre tout à fait inutiles tous les compléments célestes et toutes les espérances d’un monde meilleur, ils auront pour conséquence également nécessaire l’abolition des cultes et de tous les systèmes religieux. Annoncez tout d’abord ces deux buts à des ouvriers ignorants, écrasés par le travail de chaque jour, et démoralisés, empoisonnés pour ainsi dire sciemment par les doctrines perverses que les gouvernements, de concert avec toutes les castes privilégiées, prêtres, noblesse, bourgeoisie, leur distribuent à pleines mains, et vous les effrayerez ; ils vous repousseront peut-être, sans se douter que toutes ces idées ne sont rien que l’expression la plus fidèle de leurs propres intérêts, que ces buts portent en eux la réalisation de leurs vœux les plus chers ; et qu’au contraire les préjugés religieux et politiques au nom desquels ils les repousseront peut-être sont la cause directe de la prolongation de leur esclavage et de leur misère. Il faut bien distinguer entre les préjugés des masses populaires et ceux de la classe privilégiée. Les préjugés des masses, comme nous venons de le dire, ne sont fondés que sur leur ignorance et sont tout contraires à leurs intérêts, tandis que ceux de la bourgeoisie sont précisément fondés sur les intérêts de cette classe, et ne se maintiennent, contre l’action dissolvante de la science bourgeoise elle-même, que grâce à l’égoïsme collectif des bourgeois. Le peuple veut, mais il ne sait pas ; la bourgeoisie sait, mais elle ne veut pas. Lequel des deux est l’incurable ? La bourgeoisie, sans aucun doute. Règle générale : on ne peut convertir que ceux qui sentent le besoin de l’être, que ceux qui portent déjà dans leurs instincts ou dans les misères de leur position soit extérieure, soit intérieure, tout ce que vous voulez leur donner ; jamais vous ne convertirez ceux qui n’éprouvent le besoin d’aucun changement, ni même ceux qui, tout en désirant sortir d’une position dont ils sont mécontents, sont poussés, par la nature de leurs habitudes morales, intellectuelles et sociales, à chercher une position meilleure dans un monde qui n’est pas celui de vos idées. Convertissez, je vous prie, au socialisme un noble qui convoite la richesse, un bourgeois qui voudrait se faire noble, ou même un ouvrier qui ne tendrait de toutes les forces de son âme qu’à devenir un bourgeois ! Convertissez encore un aristocrate réel ou imaginaire de l’intelligence, un demi-savant, un quart, un dixième, une centième partie de savant, gens pleins d’ostentation scientifique, et souvent parce qu’ils ont eu seulement la chance d’avoir compris tant bien que mal quelques livres, sont pleins de mépris arrogant pour les masses illettrées, et s’imaginent qu’ils sont appelés à former entre eux une nouvelle caste dominante, c’est-à-dire exploitante. Aucun raisonnement ni aucune propagande ne seront jamais en état de convertir ces malheureux. Pour les convaincre, il n’est qu’un seul moyen : c’est le fait ; c’est la destruction de la possibilité même des situations privilégiées, de toute domination et de toute exploitation ; c’est la révolution sociale, qui, en balayant tout ce qui constitue l’inégalité dans le monde, les moralisera en les forçant de chercher leur bonheur dans l’égalité et dans la solidarité. Il en est autrement des ouvriers sérieux. Nous entendons par ouvriers sérieux tous ceux qui sont réellement écrasés par le poids du travail ; tous ceux dont la position est si précaire et si misérable qu’aucun, à moins de circonstances tout à fait extraordinaires, ne puisse avoir seulement la pensée de conquérir pour lui-même, et seulement pour lui-même, dans les conditions économiques d’aujourd’hui et dans le milieu social actuels, une position meilleure ; de devenir, par exemple, à son tour, un patron ou un conseiller d’État. Nous rangeons naturellement aussi dans cette catégorie les rares et généreux ouvriers qui, tout en ayant la possibilité de monter individuellement au-dessus de la classe ouvrière, n’en veulent pas profiter, aimant mieux souffrir encore quelque temps de l’exploitation bourgeoise, solidairement avec leurs camarades de misère, que de devenir des exploiteurs à leur tour. Ceux-là ont pas besoin d’être convertis ; ils sont des socialistes purs. Nous parlons de la grande masse ouvrière qui, éreintée par son travail quotidien, est ignorante et misérable. Celle-là, quels que soient les préjugés politiques et religieux qu’on ait tâché et même réussi en partie de faire prévaloir dans sa conscience, est socialiste sans le savoir ; elle est, au fond de son instinct, et par la force même de sa position, plus sérieusement, plus réellement socialiste, que ne le sont tous les socialistes scientifiques et bourgeois pris ensemble. Elle l’est par toutes les conditions de son existence matérielle, par tous les besoins de son être, tandis que ces derniers ne le sont que par les besoins de leur pensée ; et, dans la vie réelle, les besoins de l’être exercent toujours une puissance bien plus forte que ceux de la pensée, la pensée étant ici, comme partout et toujours, l’expression de l’être, le reflet de ses développements successifs, mais jamais son principe. Ce qui manque aux ouvriers, ce n’est pas la réalité, la nécessité réelle des aspirations socialistes, c’est seulement la pensée socialiste. Ce que chaque ouvrier réclame dans le fond de son cœur : une existence pleinement humaine en tant que bien-être matériel et développement intellectuel, fondée sur la justice, c’est-à-dire sur l’égalité et sur la liberté de chacun et de tous dans le travail, — ne peut évidemment pas se réaliser dans le monde politique et social actuel, qui est fondé sur l’injustice et sur l’exploitation cynique du travail des masses ouvrières. Donc, tout ouvrier sérieux est nécessairement un révolutionnaire socialiste, puisque son émancipation ne peut s’effectuer que par le renversement de tout ce qui existe maintenant. Ou bien cette organisation de l’injustice, avec tout appareil de lois iniques et d’institutions privilégiées, doit périr, ou bien les masses ouvrières resteront condamnées à un esclavage éternel. Voici la pensée socialiste dont les germes se retrouveront dans l’instinct de chaque travailleur sérieux. Le but est donc de lui donner la pleine conscience de ce qu’il veut, de faire naître en lui une pensée qui corresponde à son instinct, car, du moment que la pensée des masses ouvrières se sera élevée à la hauteur de leur instinct, leur volonté sera déterminée, et leur puissance deviendra irrésistible. Qu’est-ce qui empêche encore le développement plus rapide de cette pensée salutaire au sein des masses ouvrières ? Leur ignorance, et en grande partie les préjugés politiques et religieux par lesquels les classes intéressées s’efforcent encore aujourd’hui d’obscurcir leur conscience et leur intelligence naturelle. Comment dissiper cette ignorance, comment détruire ces préjugés malfaisants ? — Par l’instruction et par la propagande ? Ce sont sans doute de grands et beaux moyens. Mais dans l’état actuel des masses ouvrières ils sont insuffisants. L’ouvrier isolé est trop écrasé par son travail, et par ses soucis quotidiens, pour avoir beaucoup de temps à donner à son instruction. Et d’ailleurs, qui fera cette propagande ? Seront-ce les quelques socialistes sincères, issus de la bourgeoisie, qui sont pleins de généreuse volonté, sans doute, mais qui sont trop peu nombreux, d’abord, pour donner à leur propagande toute la largeur nécessaire, et qui, d’un autre côté, appartenant par leur position à un monde différent, n’ont pas sur le monde ouvrier toute la prise qu’il faudrait, et qui excitent en lui des défiances plus ou moins légitimes ? « L’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes », dit le préambule de nos statuts généraux. Et il a mille fois raison de le dire. C’est la base principale de notre grande Association. Mais le monde ouvrier est généralement ignorant, la théorie lui manque encore tout à fait. Donc il ne lui reste qu’une seule voie, c’est celle de son émancipation par la pratique. Quelle peut et doit être cette pratique ? Il n’en est qu’une seule. C’est celle de la lutte solidaire des ouvriers contre les patrons. C’est l’organisation et la fédération des caisses de résistance. (Égalité du 14 août 1869.) III Si l’Internationale se montre d’abord indulgente pour les idées conservatrices et réactionnaires, soit en politique, soit en religion, que des ouvriers peuvent avoir en entrant dans son sein, ce n’est pas du tout par indifférence pour ces idées. On ne peut la taxer d’indifférence, puisqu’elle les déteste et les repousse de toutes les forces de son être, toute idée réactionnaire étant le renversement du principe même de l’Internationale, comme nous l’avons déjà démontré dans nos précédents articles. Cette indulgence, nous le répétons encore, lui est inspirée par une haute sagesse. Sachant parfaitement que tout ouvrier sérieux est un socialiste par toutes les nécessités inhérentes à sa position misérable, et que des idées réactionnaires, s’il en a, ne peuvent être que l’effet de son ignorance, elle compte sur l’expérience collective qu’il ne peut manquer d’acquérir au sein de l’Internationale, et surtout sur le développement de la lutte collective des travailleurs contre les patrons, pour l’en délivrer. Et, en effet, du moment qu’un ouvrier, prenant foi dans la possibilité d’une prochaine transformation radicale de la situation économique, associé à ses camarades, commence à lutter sérieusement pour la diminution de ses heures de travail et l’augmentation de son salaire, du moment qu’il commence à s’intéresser vivement à cette lutte toute matérielle, on peut être certain qu’il abandonnera bientôt toutes ses préoccupations célestes, et que, s’habituant à compter toujours davantage sur la force collective des travailleurs, il renoncera volontairement au secours du ciel. Le socialisme prend dans son esprit la place de la religion. Il en sera de même de sa politique réactionnaire. Elle perdra son soutien principal à mesure que la conscience de l’ouvrier se verra délivrée de l’oppression religieuse. D’un autre côté, la lutte économique, en se développant et en s’étendant toujours davantage, lui fera connaître de plus en plus, d’une manière pratique et par une expérience collective, qui est nécessairement toujours plus instructive et plus large que chaque expérience isolée, ses ennemis véritables, qui sont les classes privilégiées, à savoir le clergé, la bourgeoisie, la noblesse, et l’État ; ce dernier n’étant là que pour sauvegarder tous les privilèges de ces classes, et prenant nécessairement toujours leur parti contre le prolétariat. L’ouvrier, ainsi engagé dans la lutte, finira forcément par comprendre l’antagonisme irréconciliable qui existe entre ces suppôts de la réaction et ses intérêts humains les plus chers, et, arrivé à ce point, il ne manquera pas de se reconnaître et de se poser carrément comme un socialiste révolutionnaire. Il n’en est pas ainsi des bourgeois. Tous leurs intérêts sont contraires à la transformation économique de la société ; et si leurs idées y sont contraires aussi, si ces idées sont réactionnaires, ou, comme on les nomme poliment aujourd’hui, modérées ; si leur intelligence et leur cœur repoussent ce grand acte de justice et d’émancipation que nous appelons la révolution sociale ; s’ils ont horreur de l’égalité sociale réelle, c’est-à-dire de l’égalité politique, sociale et économique à la fois ; si, dans le fond de leur âme, ils veulent garder pour eux-mêmes, pour leur classe ou pour leurs enfants, un seul privilège, ne fût-ce que celui de l’intelligence, comme le font aujourd’hui beaucoup de socialistes bourgeois ; s’ils ne détestent, non-seulement de toute la logique de leur esprit, mais encore de toute la puissance de leur passion, l’ordre de choses actuel, — alors on peut être certain qu’ils resteront des réactionnaires, des ennemis de la cause ouvrière toute leur vie. Il faut les tenir loin de l’Internationale. Il faut les en tenir bien loin, car ils ne pourraient y entrer que pour la démoraliser et pour la détourner de sa voie. Il est d’ailleurs un signe infaillible auquel les ouvriers peuvent reconnaître si un bourgeois qui demande à être reçu dans leurs rangs vient à eux franchement, sans l’ombre d’hypocrisie et sans la moindre arrière-pensée. Ce signe, ce sont les rapports qu’il a conservés vis-à-vis du monde bourgeois. L’antagonisme qui existe entre le monde ouvrier et le monde bourgeois prend un caractère de plus en plus prononcé. Tout homme qui pense sérieusement et dont les sentiments et l’imagination ne sont point altérés par l’influence souvent inconsciente de sophismes intéressés, doit comprendre aujourd’hui qu’aucune réconciliation entre eux n’est possible. Les travailleurs veulent l’égalité, et les bourgeois veulent le maintien de l’inégalité. Évidemment l’une détruit l’autre. Aussi la grande majorité des bourgeois capitalistes et propriétaires, ceux qui ont le courage de s’avouer franchement ce qu’ils veulent, ont-ils également celui de manifester avec la même franchise l’horreur que leur inspire le mouvement actuel de la classe ouvrière. Ceux-ci sont des ennemis aussi résolus que sincères, nous les connaissons, et c’est bien. Mais il est une autre catégorie de bourgeois qui n’ont ni la même franchise, ni le même courage. Ennemis de la liquidation sociale, que nous appelons, nous, de toute la puissance de nos âmes comme un grand acte de justice, comme le point de départ nécessaire et la base indispensable d’une organisation égalitaire et rationnelle de la société, ils veulent, comme tous les autres bourgeois, conserver l’inégalité économique, cette source éternelle de toutes les autres inégalités ; et en même temps ils prétendent vouloir comme nous l’émancipation intégrale du travailleur et du travail. Ils maintiennent contre nous, avec une passion digne des bourgeois les plus réactionnaires, la cause même de l’esclavage du prolétariat, la séparation du travail et de la propriété immobilière ou capitaliste, représentés aujourd’hui par deux classes différentes ; et ils se posent néanmoins comme les apôtres de la délivrance de la classe ouvrière du joug de la propriété et du capital ! Se trompent-ils ou trompent-ils ? Quelques-uns se trompent de bonne foi, beaucoup trompent ; le plus grand nombre se trompe et trompe à la fois. Ils appartiennent tous à cette catégorie de bourgeois radicaux et de socialistes bourgeois qui ont fondé la Ligue de la paix et de la liberté. Cette Ligue est-elle socialiste ? Au commencement et pendant la première année de son existence, comme nous avons eu déjà l’occasion de le dire, elle a repoussé le socialisme avec horreur. L’an passé, à son Congrès de Berne, elle a repoussé triomphalement le principe de l’égalité économique. Aujourd’hui, se sentant mourir et désirant vivre encore un peu, et comprenant enfin qu’aucune existence politique n’est désormais possible sans la question sociale, elle se dit socialiste ; elle est devenue socialiste bourgeoise : ce qui veut dire qu’elle veut résoudre toutes les questions sociales sur la base de l’inégalité économique. Elle veut, elle doit conserver l’intérêt du capital et la rente de la terre, et elle prétend émanciper les travailleurs avec cela ! Elle s’efforce de donner un corps au non-sens. Pourquoi le fait-elle ? Qu’est-ce qui lui a fait entreprendre une œuvre aussi incongrue que stérile ? Il n’est pas difficile de le comprendre. Une grande partie de la bourgeoisie est fatiguée du règne du césarisme et du militarisme qu’elle-même a fondé en 1848, par crainte du prolétariat. Rappelez-vous seulement les journées de Juin, avant-coureurs des journées de Décembre ; rappelez-vous cette Assemblée nationale qui, après les journées de Juin, maudissait et insultait, à l’unanimité moins une voix, l’illustre et on peut bien dire l’héroïque socialiste Proudhon, qui seul avait eu le courage de jeter le défi du socialisme à ce troupeau enragé de bourgeois conservateurs, libéraux et radicaux. Et il ne faut pas oublier que parmi ces insulteurs de Proudhon il y a une quantité de citoyens encore vivants, et aujourd’hui plus militants que jamais, et qui, auréolés par les persécutions de Décembre, sont devenus depuis les martyrs de la liberté. Donc il n’y a point de doute que la bourgeoisie tout entière, y compris la bourgeoisie radicale, n’ait été proprement la créatrice du despotisme césarien et militaire dont elle déplore aujourd’hui les effets. Après s’en être servie contre le prolétariat, elle voudrait s’en délivrer à cette heure. Rien de plus naturel : ce régime l’humilie et la ruine. Mais comment s’en délivrer ? Jadis elle était courageuse et puissante, elle avait la puissance des conquêtes. Aujourd’hui elle est lâche et débile, elle est affligée de l’impuissance des vieillards. Elle ne reconnaît que trop bien sa faiblesse, elle sent qu’à elle seule elle ne peut rien. Il lui faut donc un aide. Cet aide ne peut être que le prolétariat : donc il faut gagner le prolétariat. Mais comment le gagner ? Par des promesses de liberté et d’égalité politique ? Ce sont des mots qui ne touchent plus les travailleurs. Ils ont appris à leurs dépens, ils ont compris par une dure expérience, que ces mots ne signifient pour eux rien que le maintien de leur esclavage économique, souvent même plus dur qu’auparavant. Si donc vous voulez toucher le cœur de ces misérables millions d’esclaves du travail, parlez-leur de leur émancipation économique. Il n’est plus d’ouvrier qui ne sache, maintenant, que c’est là pour lui l’unique base sérieuse et réelle de toutes les autres émancipations. Donc il faut leur parler de réformes économiques de la société. « Eh bien, se sont dit les ligueurs de la Paix et de la liberté, parlons-en, disons-nous socialistes aussi. Promettons-leur des réformes économiques et sociales, à condition toutefois qu’ils veillent bien respecter les bases de la civilisation et de l’omnipotence bourgeoise : la propriété individuelle et héréditaire, l’intérêt du capital et la rente de la terre. Persuadons-les qu’à ces conditions seules, qui d’ailleurs nous assurent la domination et aux travailleurs l’esclavage, le travailleur peut être émancipé. Persuadons-les encore que, pour réaliser toutes ces réformes sociales, il faut faire d’abord une bonne révolution politique, exclusivement politique, aussi rouge qu’il leur plaira au point de vue politique, avec un grand abattis de têtes si cela devient nécessaire, mais avec le plus grand respect pour la sainte propriété ; une révolution toute jacobine, en un mot, qui nous rendra les maîtres de la situation ; et une fois maîtres, nous donnerons aux ouvriers ce que nous pourrons et ce que nous voudrons. » C’est ici un signe infaillible auquel les ouvriers peuvent reconnaître un faux socialiste, un socialiste bourgeois : si, en leur parlant de révolution, ou, si l’on veut, de transformation sociale, il leur dit que la transformation politique doit précéder la transformation économique ; s’il nie qu’elles doivent se faire toutes les deux à la fois, ou même que la révolution politique ne doit être rien que la mise en action immédiate et directe de la liquidation sociale pleine et entière, — qu’ils lui tournent le dos, car ou bien il n’est rien qu’un sot, ou bien un exploiteur hypocrite. (Égalité du 21 août 1869.) IV L’Association internationale des travailleurs, pour rester fidèle à son principe et pour ne pas dévier de la seule voie qui puisse la conduire à bon port, doit se prémunir surtout contre les influences de deux sortes de socialistes bourgeois : les partisans de la politique bourgeoise, y compris même les révolutionnaires bourgeois, et ceux de la coopération bourgeoise, ou soi-disant hommes pratiques. Considérons d’abord les premiers. L’émancipation économique, avons-nous dit dans le précédent numéro, est la base de toutes les autres émancipations. Nous avons résumé par ces mots toute la politique de l’Internationale. Nous lisons en effet dans les considérants de nos statuts généraux la déclaration suivante : « Que l’assujettissement du travail au capital est la source de toute servitude, politique, morale et matérielle, et que, pour cette raison, l’émancipation des travailleurs est le grand but auquel doit être subordonné tout mouvement politique. » Il est bien entendu que tout mouvement politique qui n’a point pour objet immédiat et direct l’émancipation économique, définitive et complète, des travailleurs, et qui n’a pas inscrit sur son drapeau, d’une manière bien déterminée et bien claire, le principe de l’égalité économique, ce qui veut dire la restitution intégrale du capital au travail, ou bien la liquidation sociale, — que tout mouvement politique pareil est bourgeois, et, comme tel, doit être exclu de l’Internationale. Doit par conséquent être exclue sans pitié la politique des bourgeois démocrates ou socialistes bourgeois, qui, en déclarant que « la liberté politique est la condition préalable de l’émancipation économique », ne peuvent entendre par ces mots autre chose que ceci : « Les réformes ou la révolution politiques, doivent précéder les réformes ou la révolution économiques ; les ouvriers doivent par conséquent s’allier aux bourgeois plus ou moins radicaux pour faire d’abord avec eux les premières, sauf à faire ensuite contre eux les dernières. » Nous protestons hautement contre cette funeste théorie, qui ne pourrait aboutir, pour les travailleurs, qu’à les faire servir encore une fois d’instrument contre eux-mêmes, et à les livrer de nouveau à l’exploitation des bourgeois. Conquérir la liberté politique d’abord, ne peut signifier autre chose que la conquérir d’abord toute seule, en laissant, au moins pendant quelques jours, les rapports économiques et sociaux dans l’état où ils sont, c’est-à-dire les propriétaires et les capitalistes avec leur insolente richesse, et les travailleurs avec leur misère. Mais cette liberté une fois conquise, — dit-on, — elle servira aux travailleurs d’instrument pour conquérir plus tard l’égalité ou la justice économique. La liberté, en effet, est un instrument magnifique et puissant. Le tout est de savoir si les travailleurs pourront réellement s’en servir, si elle sera réellement en leur possession, ou si, comme cela a toujours été jusqu’ici, leur liberté politique ne sera qu’une apparence trompeuse, une fiction ? Un ouvrier, dans sa situation économique présente, auquel on viendrait parler de liberté politique, ne pourrait-il pas répondre par le refrain d’une chanson bien connue : ::: Ne parlez pas de liberté La pauvreté, c’est l’esclavage ! Et, en effet, il faut être amoureux d’illusions pour s’imaginer qu’un ouvrier, dans les conditions économiques et sociales dans lesquelles il se trouve présentement, puisse profiter pleinement, faire un usage sérieux et réel, de sa liberté politique. Il lui manque pour cela deux petites choses : le loisir et les moyens matériels. D’ailleurs, ne l’avons-nous pas vu en France, le lendemain de la révolution de 1848, la révolution la plus radicale qu’on puisse désirer au point de vue politique ? Les ouvriers français n’étaient certes ni indifférents, ni inintelligents, et, malgré le suffrage universel le plus large, ils ont dû laisser faire les bourgeois. Pourquoi ? parce qu’ils ont manqué des moyens matériels qui sont nécessaires pour que la liberté politique devienne une réalité, parce qu’ils sont restés les esclaves d’un travail forcé par la faim, tandis que les bourgeois radicaux, libéraux et même conservateurs, les uns républicains de la veille, les autres convertis du lendemain, allaient et venaient, s’agitaient, parlaient et conspiraient librement, les uns grâce à leurs rentes ou à leur position bourgeoise lucrative, les autres grâce au budget de l’État qu’on avait naturellement conservé et qu’on avait même rendu plus fort que jamais. On sait ce qui en est résulté : d’abord les journées de Juin ; plus tard, comme conséquence nécessaire, les journées de Décembre. Mais, dira-t-on, les travailleurs, devenus plus sages par l’expérience même qu’ils ont faite, n’enverront plus des bourgeois dans les assemblées constituantes ou législatives, ils enverront de simples ouvriers. Tout pauvres qu’ils sont, ils pourront bien donner l’entretien nécessaire à leurs députés. Savez-vous ce qui en résultera ? C’est que les ouvriers députés, transportés dans des conditions d’existence bourgeoise et dans une atmosphère d’idées politiques toutes bourgeoises, cessant d’être des travailleurs de fait pour devenir des hommes d’État, deviendront des bourgeois, et peut-être même plus bourgeois que les bourgeois eux-mêmes. Car les hommes ne font pas les positions, ce sont les positions, au contraire, qui font les hommes. Et nous savons par expérience que les ouvriers bourgeois ne sont souvent ni moins égoïstes que les bourgeois exploiteurs, ni moins funestes à l’Internationaleque les bourgeois socialistes, ni moins vaniteux et ridicules que les bourgeois anoblis. Quoi qu’on fasse et quoi qu’on dise, tant que le travailleur restera plongé dans son état actuel, il n’y aura point pour lui de liberté possible, et ceux qui le convient à conquérir les libertés politiques, sans toucher d’abord aux brûlantes questions du socialisme, sans prononcer ce mot qui fait pâlir les bourgeois : la liquidation sociale, lui disent simplement : « Conquiers d’abord cette liberté pour nous, afin que plus tard nous puissions nous en servir contre toi ». Mais ils sont bien intentionnés et sincères, ces bourgeois, dira-t-on. — Il n’y a pas de bonnes intentions et de sincérité qui tiennent contre les influences de la position, et, puisque nous avons dit que les ouvriers mêmes qui se mettraient dans cette position deviendraient forcément des bourgeois, à plus forte raison les bourgeois qui resteront dans cette position resteront-ils des bourgeois. Si un bourgeois, inspiré par une grande passion de justice, d’égalité et d’humanité, veut sérieusement travailler à l’émancipation du prolétariat, qu’il commence d’abord par rompre tous les liens politiques et sociaux, tous les liens politiques et sociaux, de vanité et de cœur avec la bourgeoisie. Qu’il comprenne d’abord qu’aucune réconciliation n’est possible entre le prolétariat et cette classe, qui, ne vivant que de l’exploitation d’autrui, est l’ennemie naturelle des prolétaires. Après avoir tourné définitivement le dos au monde bourgeois, qu’il vienne alors se ranger sous le drapeau des travailleurs, sur lequel sont inscrits ces mots : « Justice, Égalité et Liberté pour tous. Abolition des classes par l’égalisation économique de tous. Liquidation sociale. » Il sera le bienvenu. À l’égard des socialistes bourgeois et des bourgeois ouvriers qui viendront nous parler de conciliation entre la politique bourgeoise et le socialisme des travailleurs, nous n’avons qu’un conseil à donner à ces derniers : il faut leur tourner le dos. Puisque les socialistes bourgeois s’efforcent d’organiser aujourd’hui, avec l’appât du socialisme, une formidable agitation ouvrière, afin de conquérir la liberté politique, une liberté qui, comme nous venons de le voir, ne profiterait qu’à la bourgeoisie ; puisque les masses ouvrières, arrivées à l’intelligence de leur position, éclairées et dirigées par le principe de l’Internationale, s’organisent en effet et commencent à former une véritable puissance, non nationale, mais internationale ; non pour faire les affaires des bourgeois, mais leurs propres affaires ; et puisque, même pour réaliser cet idéal des bourgeois d’une complète liberté politique avec des institutions républicaines, il faut une révolution, et qu’aucune révolution ne peut triompher que par la seule puissance du peuple, il faut que cette puissance, cessant de tirer les marrons du feu pour messieurs les bourgeois, ne serve désormais qu’à faire triompher la cause du peuple, la cause de tous ceux qui travaillent contre tous ceux qui exploitent le travail. L’Association internationale des travailleurs, fidèle à son principe, ne donnera jamais la main à une agitation politique qui n’aurait pas pour but immédiat et direct la complète émancipation économique du travailleur, c’est-à-dire l’abolition de la bourgeoisie comme classe économiquement séparée de la masse de la population, ni à aucune révolution qui dès le premier jour, dès la première heure, n’inscrira pas sur son drapeau la liquidation sociale. Mais les révolutions ne s’improvisent pas. Elles ne se font pas arbitrairement ni par les individus, ni même par les plus puissantes associations. Indépendamment de toute volonté et de toute conspiration, elles sont toujours amenées par la force des choses. On peut les prévoir, en pressentir l’approche quelquefois, jamais en accélérer l’explosion. Convaincus de cette vérité, nous nous faisons cette question : Quelle est la politique que l’Internationale doit suivre pendant cette période plus ou moins longue qui nous sépare de cette terrible révolution sociale que tout le monde pressent aujourd’hui ? Faisant abstraction, comme le lui commandent ses statuts, de toute politique nationale et locale, elle donnera à l’agitation ouvrière dans tous les pays un caractère essentiellement économique, en posant comme but : la diminution des heures de travail et l’augmentation des salaires ; comme moyens : l’association des masses ouvrières et la formation des caisses de résistance. Elle fera la propagande de ses principes, car ces principes, étant l’expression la plus pure des intérêts collectifs des travailleurs du monde entier, sont l’âme et constituent toute la force vitale de l’Association. Elle fera cette propagande largement, sans égard pour les susceptibilités bourgeoises, afin que chaque travailleur, sortant de la torpeur intellectuelle et morale dans laquelle on s’efforce de le retenir, comprenne la situation, sache bien ce qu’il doit vouloir faire et à quelles conditions il peut conquérir ses droits d’homme. Elle en fera une propagande d’autant plus énergique et sincère que, dans l’Internationale même, nous rencontrons souvent des influences qui, affectant de mépriser ces principes, voudraient les faire passer pour une théorie inutile et s’efforcent de ramener les travailleurs au catéchisme politique, économique et religieux des bourgeois. Elle s’étendra enfin et s’organisera fortement à travers les frontières de tous les pays, afin que, quand la révolution, amenée par la force des choses, aura éclaté, il se trouve une force réelle, sachant ce qu’elle doit faire, et par là même capable de s’en emparer de la révolution et de lui donner une direction vraiment salutaire pour le peuple ; une organisation internationale sérieuse des associations ouvrières de tous les pays, capable de remplacer ce monde politique des États et de la bourgeoisie qui s’en va. Nous terminons cet exposé fidèle de la politique de l’Internationale en reproduisant le dernier paragraphe des considérants de nos statuts généraux : « Le mouvement qui s’accomplit parmi les ouvriers des pays les plus industrieux de l’Europe, en faisant naître de nouvelles espérances, donne un solennel avertissement de ne point retomber dans les vieilles erreurs. » (Égalité du 28 août 1869.) Cette question qui, va être discuté au Congrès de Bâle, se divise en deux parties, la première comprenant le principe, la seconde l’application pratique du principe. La question du principe elle-même doit être envisagée à deux points de vue : à celui de l’utilité et à celui de la justice. Au point de vue de l’émancipation du travail, est-il utile, est-il nécessaire que le droit d’héritage soit aboli ? Poser cette question, c’est selon nous, la résoudre. L’émancipation du travail peut-elle signifier autre chose que sa délivrancedu joug de la propriété et du Comme on le voit par ce début, les articles Politique de l’Internationale sont la continuation de la série La Montagne et M. Coullery (voir p. 105). Ceux du 31 juillet (article Le Jugement de M. Coullery) et du 7 août. Séance du 31 juillet 1848. — Le Progrès du Locle avait publié, dans son numéro du 17 avril 1869, des extraits du compte-rendu sténographique de cette séance de l’Assemblée constituante de 1848. Refrain d’une chanson de Pierre Lachambeaudie Ce que Bakounine appelle les « bourgeois ouvriers », ce sont les « ouvriers embourgeoisés » de Genève, comme il y en avait un certain nombre dans les sections de la « fabrique ». L’assemblée générale dans laquelle fut adopté ce rapport, rédigé par Bakounine, eut lieu probablement le samedi 21 août 1869. Le rapport fut présenté au Congrès de Bâle au nom des sections de Genève. |
Blandy - Un oncle a heritage.djvu/19 |
— Il faut te hâter, lui dit sa mère, de préparer
la valise de ton frère. Avec la permission de
M. Langeron, j’irai l’aider tout à l’heure, vérifier si
tu n’as rien oublié.
— Faites, faites, dit le vieil ami de la maison.
Le temps presse ; Charles aura quelque peine à
gagner la gare pour l’heure de l’express. Après l’avoir
expédié, j’aurai quelques explications à vous
demander sur cet événement, mais...
Le vieillard pencha la tête vers la porte de la
salle à manger restée entr’ouverte, afin de voir si
la jeune fille était encore à portée d’entendre ;
mais Cécile était déjà affairée à l’autre bout de
l’appartement. Quand M. Langeron se fut assuré de
son tête-à-tête avec la maîtresse de la maison, il
continua :
— Mais à condition que vous ne me trouverez
pas indiscret de vous interroger sur vos affaires
devant M. Albert Develt. L’occasion nous autorise
à le mettre au courant de tout ce qui concerne
votre famille, et, s’il est un prétendant possible à la
main de Mlle Cécile, il vaut mieux qu’il connaisse
votre situation de fortune, votre parenté, avant
qu’aucune question délicate n’ait été soulevée entre
vous. À cet effet, si vous le trouvez bon, madame,
je vous questionnerai un peu plus qu’il ne serait
besoin de la part d’un aussi ancien ami de votre
mari et de votre maison que je suis.
— Ce sera une preuve d’intelligente amitié, répondit
Mme Maudhuy. Je sais que Cécile plaît à
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Les Liaisons dangereuses/Lettre 10 | Pierre Choderlos de Laclos Les Liaisons dangereuses J Rozez, 1869 (volume 1, p. 40-46). ◄ Lettre IX — Madame de Volanges à la présidente de Tourvel Lettre XI — La présidente de Tourvel à Madame de Volanges ► Lettre X — La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont bookLes Liaisons dangereusesPierre Choderlos de LaclosJ Rozez1869BruxellesCvolume 1Lettre X — La marquise de Merteuil au vicomte de ValmontChoderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvuChoderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/940-46 La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont. Me boudez-vous, vicomte ? ou bien êtes-vous mort ? ou, ce qui y ressemblerait beaucoup, ne vivez-vous plus que pour votre présidente ? Cette femme, qui vous a rendu les illusions de la jeunesse, vous en rendra bientôt aussi les ridicules préjugés. Déjà vous voilà timide & esclave ; autant vaudrait être amoureux. Vous renoncez à vos heureuses témérités. Vous voilà donc vous conduisant sans principes & donnant tout au hasard, ou plutôt au caprice. Ne vous souvient-il plus que l’amour est, comme la médecine, seulement l’art d’aider à la nature ? Vous voyez que je vous bats avec vos armes ; mais je n’en prendrai pas d’orgueil ; car c’est bien battre un homme à terre. Il faut qu’elle se donne, me dites-vous : eh ! sans doute, il le faut ; aussi se donnera-t-elle comme les autres, avec cette différence que ce sera de mauvaise grâce. Mais, pour qu’elle finisse par se donner, le vrai moyen est de commencer par la prendre. Que cette ridicule distinction est bien un vrai déraisonnement de l’amour ! Je dis l’amour ; car vous êtes amoureux. Vous parler autrement, ce serait vous trahir ; ce serait vous cacher votre mal. Dites-moi donc, amant langoureux, ces femmes que vous avez eues ; croyez-vous les avoir violées ? Mais, quelque envie qu’on ait de se donner, quelque pressée que l’on en soit, encore faut-il un prétexte ; & y en a-t-il de plus commode pour nous, que celui qui nous donne l’air de céder à la force ? Pour moi, je l’avoue, une des choses qui me flattent le plus, est une attaque vive & bien faite, où tout se succède avec ordre, quoique avec rapidité ; qui ne nous met jamais dans ce pénible embarras de réparer nous-mêmes une gaucherie dont au contraire nous aurions dû profiter ; qui sait garder l’air de la violence jusque dans les choses que nous accordons, & flatter avec adresse nos deux passions favorites, la gloire de la défense & le plaisir de la défaite. Je conviens que ce talent, plus rare que l’on ne croit, m’a toujours fait plaisir, même alors qu’il ne m’a pas séduite, & que quelquefois il m’est arrivé de me rendre, uniquement comme récompense. Telle, dans nos anciens tournois, la beauté donnait le prix de la valeur & de l’adresse. Mais vous, vous qui n’êtes plus vous, vous vous conduisez comme si vous aviez peur de réussir. Et depuis quand voyagez-vous à petites journées & par des chemins de traverse ? Mon ami, quand on veut arriver, des chevaux de poste & la grande route ! Mais laissons ce sujet qui me donne d’autant plus d’humeur qu’il me prive du plaisir de vous voir. Au moins écrivez-moi plus souvent que vous ne faites, & mettez-moi au courant de vos progrès. Savez-vous que voilà plus de quinze jours que cette ridicule aventure vous occupe, & que vous négligez tout le monde. À propos de négligence, vous ressemblez aux gens qui envoient régulièrement savoir des nouvelles de leurs amis malades, mais qui ne se font jamais rendre la réponse. Vous finissez votre dernière lettre par me demander si le chevalier est mort. Je ne réponds pas, & vous ne vous en inquiétez pas davantage. Ne savez-vous plus que mon amant est votre ami-né ? Mais rassurez-vous, il n’est point mort ; ou s’il l’était, ce serait de l’excès de sa joie. Ce pauvre chevalier, comme il est tendre ! comme il est fait pour l’amour ! comme il sait sentir vivement ! la tête m’en tourne. Sérieusement, le bonheur parfait qu’il trouve à être aimé de moi, m’attache véritablement à lui. Ce même jour, où je vous écrivais que j’allais travailler à notre rupture, combien je le rendis heureux ! Je m’occupais pourtant tout de bon des moyens de le désespérer, quand on me l’annonça. Soit caprice ou raison, jamais il ne me parut si bien. Je le reçus cependant avec humeur. Il espérait passer deux heures avec moi, avant celle où ma porte serait ouverte à tout le monde. Je lui dis que j’allais sortir : il me demanda où j’allais ; je refusai de le lui apprendre. Il insista : Où vous ne serez pas, repris-je avec aigreur. Heureusement pour lui, il resta pétrifié de cette réponse ; car s’il eût dit un mot, il s’ensuivait immanquablement une scène qui eût amené la rupture que j’avais projetée. Étonnée de son silence, je jetai les yeux sur lui, sans autre projet, je vous jure, que de voir la mine qu’il faisait. Je retrouvai sur cette charmante figure cette même tristesse à la fois profonde & tendre à laquelle vous-même êtes convenu qu’il était si difficile de résister. La même cause produisit le même effet ; je fus vaincue une seconde fois. Dès ce moment, je ne m’occupai plus que des moyens d’éviter qu’il pût me trouver un tort. Je sors pour affaire, lui dis-je avec un air un peu plus doux, & même cette affaire vous regarde ; mais ne m’interrogez pas. Je souperai chez moi ; revenez, & vous serez instruit. Alors il retrouva la parole ; mais je ne lui permis pas d’en faire usage. Je suis très pressée, continuai-je : laissez-moi ; à ce soir. Il baisa ma main & sortit. Aussitôt, pour le dédommager, peut-être pour me dédommager moi-même, je me décide à lui faire connaître ma petite maison dont il ne se doutait pas. J’appelle ma fidèle Victoire. J’ai ma migraine ; je me couche pour tous mes gens ; &, restée enfin seule avec la véritable, tandis qu’elle se travestit en laquais, je fais une toilette de femme de chambre. Elle fait ensuite venir un fiacre à la porte de mon jardin, & nous voilà parties. Arrivées dans ce temple de l’amour, je choisis le déshabillé le plus galant. Celui-ci est délicieux ; il est de mon invention : il ne laisse rien voir, & pourtant fait tout deviner. Je vous en promets un modèle pour votre présidente, quand vous l’aurez rendue digne de le porter. Après ces préparatifs, pendant que Victoire s’occupe des autres détails, je lis un chapitre du Sopha, une lettre d’Héloïse & deux contes de La Fontaine, pour recorder les différents tons que je voulais prendre. Cependant mon chevalier arrive à ma porte avec l’empressement qu’il a toujours. Mon suisse la lui refuse & lui apprend que je suis malade : premier incident. Il lui remet en même temps un billet de moi, mais non de mon écriture, suivant ma prudente règle. Il l’ouvre, & y trouve, de la main de Victoire : « À neuf heures précises, au boulevard, devant les cafés. » Il s’y rend, & là un petit laquais qu’il ne connaît pas, qu’il croit au moins ne pas connaître, car c’était toujours Victoire, vient lui annoncer qu’il faut renvoyer sa voiture et le suivre. Toute cette marche romanesque lui échauffait la tête d’autant, & la tête échauffée ne nuit à rien. Il arrive enfin, & la surprise & l’amour causaient en lui un véritable enchantement. Pour lui donner le temps de se remettre, nous nous promenons un moment dans le bosquet, puis je le ramène vers la maison. Il voit d’abord deux couverts mis ; ensuite un lit fait. Nous passons jusqu’au boudoir, qui était dans toute sa parure. Là, moitié réflexion, moitié sentiment, je passai mes bras autour de lui & me laissai tomber à ses genoux. « Ô mon ami ! lui dis-je, pour vouloir te ménager la surprise de ce moment, je me reproche de t’avoir affligé par l’apparence de l’humeur ; d’avoir pu un instant voiler mon cœur à tes regards. Pardonne-moi mes torts ; je veux les expier à force d’amour. » Vous jugez de l’effet de ce discours sentimental. L’heureux chevalier me releva, & mon pardon fut scellé sur cette même ottomane où vous & moi scellâmes si gaiement & de la même manière notre éternelle rupture. Comme nous avions six heures à passer ensemble & que j’avais résolu que tout ce temps fût pour lui également délicieux, je modérai ses transports, & l’aimable coquetterie vint remplacer la tendresse. Je ne crois pas avoir jamais mis tant de soin à plaire, ni avoir été jamais aussi contente de moi. Après le souper, tour à tour enfant & raisonnable, folâtre & sensible, quelquefois même libertine, je me plaisais à le considérer comme un sultan au milieu de son sérail, dont j’étais tour-à-tour les favorites différentes. En effet, ses hommages réitérés, quoique toujours reçus par la même femme, le furent toujours par une maîtresse nouvelle. Enfin au point du jour il fallut se séparer ; & quoi qu’il dît, quoi qu’il fit même pour me prouver le contraire, il en avait autant besoin que peu envie. Au moment où nous sortîmes, & pour dernier adieu, je pris la clef de cet heureux séjour ; & la lui remettant entre les mains : « Je ne l’ai eue que pour vous, lui dis-je, il est juste que vous en soyez maître ; c’est au sacrificateur à disposer du temple. » C’est par cette adresse que j’ai prévenu les réflexions qu’aurait pu lui faire naître la propriété, toujours suspecte, d’une petite maison. Je le connais assez pour être sûre qu’il ne s’en servira que pour moi ; & si la fantaisie me prenait d’y aller sans lui, il me reste bien une double clef. Il voulait à toute force prendre jour pour y revenir ; mais je l’aime trop encore pour vouloir l’user si vite. Il ne faut se permettre d’excès qu’avec les gens qu’on veut quitter bientôt. Il ne sait pas cela, lui ; mais, pour son bonheur, je le sais pour deux. Je m’aperçois qu’il est trois heures du matin, & que j’ai écrit un volume, ayant le projet de n’écrire qu’un mot. Tel est le charme de la confiante amitié : c’est elle qui fait que vous êtes toujours ce que j’aime le mieux ; mais, en vérité, le chevalier est ce qui me plaît davantage. De..., ce 12 août 17... |
Les Liaisons dangereuses/Lettre 11 | Pierre Choderlos de Laclos Les Liaisons dangereuses J Rozez, 1869 (volume 1, p. 46-49). ◄ Lettre X — La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont Lettre XII — Cécile Volanges à la marquise de Merteuil ► Lettre XI — La présidente de Tourvel à Madame de Volanges bookLes Liaisons dangereusesPierre Choderlos de LaclosJ Rozez1869BruxellesCvolume 1Lettre XI — La présidente de Tourvel à Madame de VolangesChoderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvuChoderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/946-49 La présidente de Tourvel à madame de Volanges Votre lettre sévère m’aurait effrayée, madame, si par bonheur, je n’avais trouvé ici plus de motifs de sécurité que vous ne m’en donnez de crainte. Ce redoutable M. de Valmont, qui doit être la terreur de toutes les femmes, paraît avoir déposé ses armes meurtrières avant d’entrer dans ce château. Loin d’y former des projets, il n’y a pas même porté de prétentions, & la qualité d’homme aimable que ses ennemis mêmes lui accordent, disparaît presque ici, pour ne lui laisser que celle de bon enfant. C’est apparemment l’air de la campagne qui a produit ce miracle. Ce que je puis vous assurer, c’est qu’étant sans cesse avec moi, paraissant même s’y plaire, il ne lui est pas échappé un mot qui ressemble à l’amour, pas une de ces phrases que tous les hommes se permettent, sans avoir, comme lui, ce qu’il faut pour les justifier. Jamais il n’oblige à cette réserve, dans laquelle toute femme qui se respecte est forcée de se tenir aujourd’hui, pour contenir les hommes qui l’entourent. Il sait ne point abuser de la gaieté qu’il inspire. Il est peut-être un peu louangeur ; mais c’est avec tant de délicatesse, qu’il accoutumerait la modestie même à l’éloge. Enfin, si j’avais un frère, je désirerais qu’il fût tel que M. de Valmont se montre ici. Peut-être beaucoup de femmes lui désireraient une galanterie plus marquée ; & j’avoue que je lui sais un gré infini d’avoir su me juger assez bien pour ne pas me confondre avec elles. Ce portrait diffère beaucoup de celui que vous me faites, &, malgré cela, tous deux peuvent être ressemblants en fixant les époques. Lui-même convient d’avoir eu beaucoup de torts, & on lui en aura bien aussi prêté quelques-uns. Mais j’ai rencontré peu d’hommes qui parlassent des femmes honnêtes avec plus de respect, je dirais presque d’enthousiasme. Vous m’apprenez qu’au moins sur cet objet il ne trompe pas. Sa conduite avec madame de Merteuil en est une preuve. Il nous en parle beaucoup et c’est toujours avec tant d’éloges et l’air d’un attachement si vrai, que j’ai cru, jusqu’à la réception de votre lettre, que ce qu’il appelait amitié entre eux deux était bien réellement de l’amour. Je m’accuse de ce jugement téméraire, dans lequel j’ai eu d’autant plus de tort, que lui-même a pris souvent le soin de la justifier. J’avoue que je ne regardais que comme finesse, ce qui était de sa part une honnête sincérité. Je ne sais ; mais il me semble que celui qui est capable d’une amitié aussi suivie pour une femme aussi estimable, n’est pas un libertin sans retour. J’ignore au reste si nous devons la conduite sage qu’il tient ici à quelques projets dans les environs, comme vous le supposez. Il y a bien quelques femmes aimables à la ronde ; mais il sort peu, excepté le matin, & alors il dit qu’il va à la chasse. Il est vrai qu’il rapporte rarement du gibier ; mais il assure qu’il est maladroit à cet exercice. D’ailleurs, ce qu’il peut faire au dehors m’inquiète peu, & si je désirais le savoir, ce ne serait que pour avoir une raison de plus de me rapprocher de votre avis ou de vous ramener au mien. Sur ce que vous me proposez, de travailler à abréger le séjour que M. de Valmont compte faire ici, il me paraît bien difficile d’oser demander à sa tante de ne pas avoir son neveu chez elle, d’autant qu’elle l’aime beaucoup. Je vous promets pourtant, mais seulement par déférence & non pas par besoin, de saisir l’occasion de faire cette demande, soit à elle, soit à lui-même. Quant à moi, M. de Tourvel est instruit de mon projet de rester ici jusqu’à son retour, & il s’étonnerait, avec raison, de la légèreté qui m’en ferait changer. Voilà, madame, de bien longs éclaircissements ; mais j’ai cru devoir à la vérité, un témoignage avantageux à M. de Valmont, & dont il me paraît avoir grand besoin auprès de vous. Je n’en suis pas moins sensible à l’amitié qui a dicté vos conseils. C’est à elle que je dois aussi ce que vous me dites d’obligeant à l’occasion du retard du mariage de mademoiselle votre fille. Je vous en remercie bien sincèrement ; mais, quelque plaisir que je me promette à passer ces moments avec vous, je les sacrifierais de bien bon cœur au désir de savoir mademoiselle de Volanges plus tôt heureuse, si pourtant elle peut jamais l’être plus qu’auprès d’une mère aussi digne de toute sa tendresse et de son respect. Je partage avec elle ces deux sentiments qui m’attachent à vous, & je vous prie d’en recevoir l’assurance avec bonté. J’ai l’honneur d’être, etc. De..., ce 13 août 17... |
Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/67 | }}je ne dois pas répondre. Tu en parles bien à ton aise ; &, d’ailleurs, tu ne sais pas au juste ce qui en est ; tu n’es pas là pour voir. Je suis sûre que si tu étais à ma place, tu ferais comme moi. Sûrement, en général, on ne doit pas répondre, & tu as bien vu, par ma lettre d’hier, que je ne le voulais pas non plus : mais c’est que je ne crois pas que personne se soit jamais trouvé dans le cas où je suis.
Et encore être obligée de me décider toute seule ! Madame de Merteuil, que je comptais voir hier au soir, n’est pas venue. Tout s’arrange contre moi : c’est elle qui est cause que je le connais ! C’est presque toujours avec elle que je l’ai vu, que je lui ai parlé. Ce n’est pas que je lui en veuille du mal ; mais elle me laisse là au moment de l’embarras. Oh ! je suis bien à plaindre !
Figure-toi qu’il est venu hier comme à l’ordinaire. J’étais si troublée, que je n’osais le regarder. Il ne pouvait pas me parler, parce que maman était là. Je me doutais bien qu’il serait fâché, quand il verrait que je ne lui avais pas écrit. Je ne savais quelle contenance faire. Un instant après il me demanda si je voulais qu’il allât chercher ma harpe. Le cœur me battait si fort, que ce fut tout ce que je pus faire que de répondre qu’oui. Quand il revint, c’était bien pis. Je ne le regardai qu’un petit moment. Il ne me regardait pas, lui ; mais il avait un air, qu’on aurait dit qu’il était malade. Ça me faisait bien de la peine. Il se mit à accorder ma harpe, & après, en me l’apportant, il me
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Les Liaisons dangereuses/Lettre 7 | Pierre Choderlos de Laclos Les Liaisons dangereuses J Rozez, 1869 (volume 1, p. 33-34). ◄ Lettre VI — Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil Lettre VIII — La présidente de Tourvel à madame de Volanges ► Lettre VII — Cécile Volanges à Sophie Carnay bookLes Liaisons dangereusesPierre Choderlos de LaclosJ Rozez1869BruxellesCvolume 1Lettre VII — Cécile Volanges à Sophie CarnayChoderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvuChoderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/933-34 Cécile Volanges à Sophie Carnay. Si je ne t’ai rien dit de mon mariage, c’est que je ne suis pas plus instruite que le premier jour. Je m’accoutume à n’y plus penser, et je me trouve assez bien de mon genre de vie. J’étudie beaucoup mon chant & ma harpe ; il me semble que je les aime mieux depuis que je n’ai plus de maître : ou plutôt c’est que j’en ai un meilleur. M. le chevalier Danceny, ce monsieur dont je t’ai parlé, & avec qui j’ai chanté chez Mme de Merteuil, a la complaisance de venir ici tous les jours & de chanter avec moi des heures entières. Il est extrêmement aimable. Il chante comme un ange, & compose de très jolis airs dont il fait aussi les paroles. C’est bien dommage qu’il soit chevalier de Malte ! Il me semble que s’il se mariait, sa femme serait bien heureuse... Il a une douceur charmante. Il n’a jamais l’air de faire un compliment, et pourtant tout ce qu’il dit flatte. Il me reprend sans cesse, tant sur la musique que sur autre chose : mais il mêle à ses critiques tant d’intérêt et de gaieté, qu’il est impossible de ne pas lui en savoir gré. Seulement quand il vous regarde, il a l’air de vous dire quelque chose d’obligeant. Il joint à tout cela d’être très complaisant. Par exemple, hier, il était prié d’un grand concert ; il a préféré de rester toute la soirée chez maman. Cela m’a bien fait plaisir ; car, quand il n’y est pas, personne ne me parle, & je m’ennuie ; au lieu que quand il y est, nous chantons et nous causons ensemble. Il a toujours quelque chose à me dire. Lui & madame de Merteuil sont les deux seules personnes que je trouve aimables. Mais adieu, ma chère amie ; j’ai promis que je saurais pour aujourd’hui une ariette dont l’accompagnement est très difficile, & je ne veux pas manquer de parole. Je vais me remettre à l’étude jusqu’à ce qu’il vienne. De..., ce 7 août 17... Pour ne pas abuser de la patience du lecteur, on supprime beaucoup de lettres de cette correspondance journalière ; on ne donne que celles qui ont paru nécessaires à l’intelligence des événements de cette société. C’est par le même motif qu’on supprime aussi toutes les lettres de Sophie Carnay, et plusieurs de celles des acteurs de ces aventures. |
Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/52 | vouloir l’user si vite. Il ne faut se permettre d’excès qu’avec les gens qu’on veut quitter bientôt. Il ne sait pas cela, lui ; mais, pour son bonheur, je le sais pour deux.
Je m’aperçois qu’il est trois heures du matin, & que j’ai écrit un volume, ayant le projet de n’écrire qu’un mot. Tel est le charme de la confiante amitié : c’est elle qui fait que vous êtes toujours ce que j’aime le mieux ; mais, en vérité, le chevalier est ce qui me plaît davantage.
{{Droite|De..., ce 12 août 17...|4|fs=0.90em}}
{{T3|'''Lettre XI.'''}}
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Votre lettre sévère m’aurait effrayée, madame, si par bonheur, je n’avais trouvé ici plus de motifs de sécurité que vous ne m’en donnez de crainte. Ce redoutable {{M.|de Valmont}}, qui doit être la terreur de toutes les femmes, paraît avoir déposé ses armes meurtrières avant d’entrer dans ce château. Loin d’y former des projets, il n’y a pas même porté de prétentions, & la qualité d’homme aimable que ses ennemis mêmes lui accordent, disparaît presque ici, pour<section end="s2"/>
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Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/53 | }}ne lui laisser que celle de bon enfant. C’est apparemment l’air de la campagne qui a produit ce miracle. Ce que je puis vous assurer, c’est qu’étant sans cesse avec moi, paraissant même s’y plaire, il ne lui est pas échappé un mot qui ressemble à l’amour, pas une de ces phrases que tous les hommes se permettent, sans avoir, comme lui, ce qu’il faut pour les justifier. Jamais il n’oblige à cette réserve, dans laquelle toute femme qui se respecte est forcée de se tenir aujourd’hui, pour contenir les hommes qui l’entourent. Il sait ne point abuser de la gaieté qu’il inspire. Il est peut-être un peu louangeur ; mais c’est avec tant de délicatesse, qu’il accoutumerait la modestie même à l’éloge. Enfin, si j’avais un frère, je désirerais qu’il fût tel que M. de Valmont se montre ici. Peut-être beaucoup de femmes lui désireraient une galanterie plus marquée ; & j’avoue que je lui sais un gré infini d’avoir su me juger assez bien pour ne pas me confondre avec elles.
Ce portrait diffère beaucoup de celui que vous me faites, &, malgré cela, tous deux peuvent être ressemblants en fixant les époques. Lui-même convient d’avoir eu beaucoup de torts, & on lui en aura bien aussi prêté quelques-uns. Mais j’ai rencontré peu d’hommes qui parlassent des femmes honnêtes avec plus de respect, je dirais presque d’enthousiasme. Vous m’apprenez qu’au moins sur cet objet il ne trompe pas. Sa conduite avec madame de Merteuil en est une preuve. Il nous en parle {{tiret|beau|coup}}
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Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/43 |
{{T3|'''Lettre IX.'''}}
{{Centré|Madame de Volanges à la présidente de Tourvel.|sc|m=1.3em}}
Je n’ai jamais douté, ma jeune & belle amie, ni de l’amitié que vous avez pour moi, ni de l’intérêt sincère que vous prenez à tout ce qui me regarde. Ce n’est pas pour éclaircir ce point, que j’espère convenu à jamais entre nous, que je réponds à votre ''réponse :'' mais je ne crois pas pouvoir me dispenser de causer avec vous au sujet du vicomte de Valmont.
Je ne m’attendais pas, je l’avoue, à trouver jamais ce nom-là dans vos lettres. En effet, que peut-il y avoir de commun entre vous & lui ? Vous ne connaissez pas cet homme ; où auriez-vous pris l’idée de l’âme d’un libertin ? Vous me parlez de sa ''rare candeur :'' oh ! oui ; la candeur de Valmont doit être en effet très rare. Encore plus faux et dangereux qu’il n’est aimable & séduisant, jamais, depuis sa plus grande jeunesse, il n’a fait un pas ou dit une parole sans avoir un projet, & jamais il n’eut un projet qui ne fût malhonnête ou criminel. Mon amie, vous me connaissez, vous savez si des vertus que je tâche d’acquérir, l’indulgence n’est pas celle que je chéris le plus. Aussi, si Valmont était entraîné par des passions fougueuses ; si, comme mille autres, il était séduit par les erreurs de son âge, blâmant sa conduite, je plaindrais sa personne, & j’attendrais, en silence, le temps où
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Les Propos d’Alain (1920)/Tome 1/021 | Alain Les propos d’Alain Nouvelle Revue Française, 1920 (1, p. 38-39). ◄ XX. XXII. ► XXI. bookLes propos d’AlainAlainNouvelle Revue Française1920ParisV1XXI.Alain - Propos, tome 1, 1920.djvuAlain - Propos, tome 1, 1920.djvu/938-39 XXI Quand j’eus terminé mes études, je rapportai dans ma ville natale un certain nombre de couronnes de papier, ce qui fit que je dînai une fois ou deux en cérémonie avec les penseurs de l’endroit. J’entends encore l’avocat marguillier, qui voulut donner, au dessert, un morceau de Métaphysique : « Tout a une cause, dit-il ; mais, s’il faut à chaque cause une cause, rien n’est expliqué ; il faut donc une cause sans cause, qui est Dieu ». À quoi je répondais : « Tout a une cause ; donc il faut une cause de Dieu ; alors Dieu n’est plus Dieu. Ou bien, si Dieu est sans cause, il n’est pas vrai que tout ait une cause ». Il y avait, là autour, deux ou trois épiciers qui admiraient poliment. Je suppose qu’en dedans ils se moquaient de nous ; je le suppose, mais je n’en suis pas sûr. Les hommes simples se défient souvent d’eux-mêmes, et respectent les bavards. Si j’avais été épicier dans ce temps-là, j’aurais aimé à dire à ces deux théologiens : « De quoi parlez-vous donc ? Je sais bien ce que c’est qu’une cause. Par exemple je sais que les mauvaises pluies de l’été sont causes que le pruneau est cher ; je sais que la pointe du pain de sucre est meilleure que la base, à cause que le sucre descend au fond du moule, tandis que l’eau reste en haut. Mais vous parlez de tout. Qu’est-ce que c’est que Tout ? J’entends bien que Tout c’est Tout. Mais, réellement, quand je veux penser à Tout je ne pense à rien. Qu’est-ce alors, que la cause de Tout ? Ma tête s’y perd. Je n’entends ni l’argument ni l’objection Depuis, j’ai entendu des arguments plus subtils encore. Un théologien m’a prouvé que le monde a commencé, par cette belle raison qu’il ne peut s’être écoulé, à l’istant où je parle, une infinité d’instants ; car, disait-il, l’instant qui suit augmenterait l’infini, ce qui est absurde. Je veux vous faire voir, par un exemple, ce que valent les enchaînements de paroles. Je pose à un homme très jeune, et qui n’a que de vagues notions de mathématiques, la question suivante : Si je double le côté d’un carré, que devient la surface ? Il me répond : « Elle devient double ». Au temps de Socrate, le disciple tombait déjà dans cette sottise ; et elle est naturelle, si l’on ne considère que les mots. Évidemment, si le côté est double, la surface est double ; si le côté est triple, la surface est triple. Si notre idée du carré était aussi confuse que l’idée d’Infini, ou de Tout, ou de Dieu, un tel raisonnement passerait pour bon. Je pourrais même le fortifier en disant : la cause qui fait que la surface augmente, c’est que le côté augmente ; il ne peut y avoir plus ni moins dans l’effet que dans la cause ; donc le carré de côté double a une surface double. Seulement, ici, au lieu d’écouter le discours, je considère un carré ; je le dessine sur le sable, afin d’en fixer l’image ; je double le côté ; je vois que la surface est quadruplée, et je me moque du théologien. Morale : Dès que vos yeux n’aperçoivent pas une image nette de la chose, bouchez-vous les oreilles. |
Les Propos d’Alain (1920)/Tome 1/139 | Alain Les propos d’Alain Nouvelle Revue Française, 1920 (1, p. 189-190). ◄ CXXXVIII. CXL. ► CXXXIX. bookLes propos d’AlainAlainNouvelle Revue Française1920ParisV1CXXXIX.Alain - Propos, tome 1, 1920.djvuAlain - Propos, tome 1, 1920.djvu/9189-190 CXXXIX Notre République, depuis qu’elle a atteint l’âge mûr, adore les petits jeunes gens ; c’est dans l’ordre. Ce sont comme de hardis petits pages, toujours courant, pour le service de la dame. L’un ramasse les dossiers, quand elle les perd, ce qui arrive assez souvent ; l’autre s’empare du maroquin, et le porte avec religion, ce qui l’autorise à prendre un auto-taxi et à fumer un gros cigare ; le troisième ne porte rien, comme dans la chanson, mais il est si gentil ! Toute cette jeunesse a le baccalauréat en poche, et court après quelque licence en droit, non sans passer par les coulisses et par les cabinets de toilette ; car il n’est pas de bonne politique sans bruits de cuvette, et nos ministres ne se croiraient pas ministres s’ils n’essuyaient pas les plâtres du Conservatoire national ; il faut bien que vieillesse se passe. Les attachés, comme d’insolents moineaux, picorent les miettes, miettes de secrets, miettes de femmes. Avec les jeunes ils jouent Figaro, et avec les vieilles ils jouent Chérubin. Les minces imitent Le Bargy, et les gros imitent Guitry ; tous, depuis l’entente cordiale, grasseyent à l’anglaise. Quand ils auront leurs vingt-cinq ans, ils iront montrer à quelque sous-préfecture comment l’aristocratie républicaine noue ses cravates. Au reste, un peu trop polis toujours, et sans autorité, comme tous les valets de cœur. Quoiqu’ils soient là peur apprendre la politique, ils l’apprennent fort mal. Ils sont Parisiens trop tôt, rient trop de tout, et parlent trop. Ils jugent trop facilement des intérêts d’après ce que l’on entend dans les boudoirs d’actrices. Ils ont quitté trop tôt la province ; ils se donnent l’air de la mépriser ; en réalité, ils l’ignorent ; ils ignorent tout. Aussi, quand ils y reviendront, on se moquera d’eux, pendant qu’ils croiront, avec des finesses de vaudeville, duper tout le monde. C’est pourquoi ils se dessécheront au lieu de mûrir, et finiront en enfants chauves, conduits au nez par leur femme, et ayant, pour tout art de vivre, appris le bridge. La politique, à ce que je crois, se forme hors de la grande politique, dans la pratique des affaires privées et publiques. On trouverait peu de Parisiens parmi ceux qui ont un peu gouverné ; et cela se comprend. Ce n’est qu’en province, et sous l’œil observateur de ceux pour qui la journée est longue, que l’on apprend à s’observer soi-même, à se surveiller, à ramasser son jugement au-dedans de soi, et à ne dire que la moitié de ce que l’on peut dire. Eux ne savent que taper aux vitres, comme de grosses mouches bourdonnantes, se jeter en étourneaux dans les conversations et se rouler sur tous les tapis, comme de petits chiens préférés. Ce qui fait qu’ils attrapent parfois des coups de pied, et encore trop rarement pour que cela leur apprenne à vivre. |
Les Propos d’Alain (1920)/Tome 1/048 | Alain Les propos d’Alain Nouvelle Revue Française, 1920 (1, p. 73-74). ◄ XLVII. XLIX. ► XLVIII. bookLes propos d’AlainAlainNouvelle Revue Française1920ParisV1XLVIII.Alain - Propos, tome 1, 1920.djvuAlain - Propos, tome 1, 1920.djvu/973-74 XLVIII Chacun connaît la force d’âme des Stoïciens. Ils raisonnaient sur les passions, haine, jalousie, crainte, désespoir, et ils arrivaient ainsi à les tenir en bride, comme un bon cocher tient ses chevaux. Un de leurs raisonnements, qui m’a toujours plu et qui m’a été utile plus d’une fois, est celui qu’ils font sur le passé et l’avenir. « Nous n’avons, disent-ils, que le présent à supporter. Ni le passé ni l’avenir ne peuvent nous accabler, puisque l’un n’existe plus, et que l’autre n’existe pas encore. » C’est pourtant vrai. Le passé et l’avenir n’existent que lorsque nous y pensons ; ce sont des opinions, non des faits. Nous nous donnons bien du mal pour fabriquer nos regrets et nos craintes. J’ai vu un équilibriste qui ajustait une quantité de poignards les uns sur les autres ; cela faisait une espèce d’arbre effrayant qu’il tenait en équilibre sur son front. C’est ainsi que nous ajustons et portons nos regrets et nos craintes, en imprudents artistes. Au lieu de porter une minute, nous portons une heure ; au lieu de porter une heure, nous portons une journée, dix journées, des mois, des années. L’un, qui a mal à la jambe, pense qu’il souffrait hier, qu’il a souffert déjà autrefois, qu’il souffrira demain ; il gémit sur sa vie tout entière. Il est évident qu’ici la sagesse ne peut pas beaucoup ; car on ne peut toujours pas supprimer la douleur présente. Mais s’il s’agit d’une douleur morale, qu’en restera-t-il si l’on se guérit de regretter et de prévoir ? Cet amoureux maltraité, qui se tortille sur son lit au lieu de dormir, et qui médite des vengeances corses, que resterait-il de son chagrin s’il ne pensait ni au passé, ni à l’avenir ? Cet ambitieux, mordu au cœur par un échec, où va-t-il chercher sa douleur, sinon dans un passé qu’il ressuscite et dans un avenir qu’il invente ? On croit voir le Sysiphe de la légende, qui soulève son rocher et renouvelle ainsi son supplice. Je dirais à tous ceux qui se torturent ainsi : Pense au présent ; pense à ta vie qui se continue de minute en minute ; chaque minute vient après l’autre ; il est donc possible de vivre comme tu vis, puisque tu vis. Mais l’avenir m’effraie, dis-tu. Tu parles de ce que tu ignores. Les événements ne sont jamais ceux que nous attendions ; et quant à la peine présente, justement parce qu’elle est très vive, tu peux être sûr qu’elle diminuera. Tout change, tout passe. Cette maxime nous a attristés assez souvent ; c’est bien le moins qu’elle nous console quelquefois. |
Les Propos d’Alain (1920)/Tome 1/119 | Alain Les propos d’Alain Nouvelle Revue Française, 1920 (1, p. 164-165). ◄ CXVIII. CXX. ► CXIX. bookLes propos d’AlainAlainNouvelle Revue Française1920ParisV1CXIX.Alain - Propos, tome 1, 1920.djvuAlain - Propos, tome 1, 1920.djvu/9164-165 CXIX Mon jeune ami le Silloniste m’a offert son almanach, que je lui ai, du reste, payé ; car je ne veux point m’enrichir aux dépens des autres. Dans cette brochure, ils font voir que la grande Presse est dominée par les manieurs d’argent, ce qui fait qu’une opinion sincère et libre ne peut pas s’y produire. Ils annoncent, en revanche, un nouveau journal qui, par la générosité de tous ceux qui le liront et de tous ceux qui le feront, sera vraiment un Libre Journal, libre dans la pensée, libre dans l’expression. J’approuve ces nobles projets. Je veux faire seulement une remarque. Il est hors de doute que la liberté des rédacteurs de cette feuille ne sera jamais absolument sans limite ; par exemple on n’y pourra parler sans respect des opinions religieuses, tandis qu’on y pourra parler sans respect des grands financiers, ou des auteurs à la mode. Pour dire toute ma pensée, je suis assuré que je ne pourrais pas, quand je le voudrais, écrire mon Propos quotidien dans cette feuille-là comme je l’écris ici. Est-ce à dire que ma liberté d’écrire ici, dans ces colonnes, ce que je pense, comme je le pense, est-ce à dire que cette liberté soit sans limites ? Non pas. Personne, il est vrai, ne me donne de conseils ; personne ne me demande de changer, d’adoucir. Mais pourquoi ? Justement parce que je me conseille moi-même. Je me modère moi-même. Il y a des boutades que je lance sans précaution ; il y en a d’autres que je prépare ou que j’explique ; et quelquefois il m’arrive d’atténuer ou de corriger ce que j’ai écrit l’avant-veille. Toutes ces précautions dépendent de la rhétorique, ou art de persuader. Ont-elles pour fin de ménager les opinions d’un parti, ou les intérêts d’un bailleur de fonds ? Je ne sais ; tout cela ensemble si vous voulez, en ce sens que ce qui choquerait violemment les lecteurs aurait sa répercussion sur la caisse. Mesquines, basses, viles préoccupations, dira-t-on. Bah ! Ce sont des paroles. Il faut voir les choses comme elles sont. On n’écrit pas pour être approuvé toujours et sans résistance : d’accord. Mais on n’écrit pas non plus pour heurter et irriter ceux qui liront, ou, en d’autres termes, pour conduire un directeur de journal à la faillite. Il s’agit de se tenir dans l’entre-deux ; de ménager un peu ; de heurter un peu ; et en somme de se faire une liberté dans les entraves mêmes, une liberté conquise, une liberté qui ait prise sur les choses et sur les gens ; non une liberté en l’air. Sans ces difficultés, que l’on rencontre dans toute action réelle, l’individu serait livré à sa fantaisie ; il ne se surveillerait plus lui-même ; il ne mesurerait plus ses jugements ; il ne dirigerait plus sa pointe. Il déclamerait. Il ferraillerait. Pour moi, je crois qu’un homme aura toujours la liberté qu’il saura prendre, et seulement celle-là. Et il devra la conquérir par audace et prudence mêlées. Mais déclamer le socialisme à des socialistes, et le sillonisme à des sillonistes, ce n’est que liberté apparente, et réel esclavage. |
Les Propos d’Alain (1920)/Tome 1/142 | Alain Les propos d’Alain Nouvelle Revue Française, 1920 (1, p. 193-194). ◄ CXLI. CXLIII. ► CXLII. bookLes propos d’AlainAlainNouvelle Revue Française1920ParisV1CXLII.Alain - Propos, tome 1, 1920.djvuAlain - Propos, tome 1, 1920.djvu/9193-194 CXLII Au fond du petit café, dans le coin des politiciens, un commerçant achevait le couplet nationaliste : qu’il fallait non seulement maintenir mais conquérir ; que les morts importaient peu, pourvu que la France fût grande et redoutée, et qu’enfin tous ces pacifistes étaient des égoïstes, tout simplement. Égoïstes ? dit un ouvrier à la peau tannée, aux mains noircies par le feu. Si j’étais égoïste j’aimerais la guerre. Oui. D’abord, la caserne qu’est-ce que c’est ? C’est une usine où l’on ne travaille guère, où l’on dort beaucoup, où l’on mange assez. Les patrons y sont durs ? Mais non. Il y a moyen de se cacher, si l’on est en retard. Et jamais vous n’êtes renvoyé. Au pis aller, la prison ; mais vous avez du pain. En guerre, c’est encore mieux. L’air et la lumière. Ce que l’on n’a pas, on le prend. Tout est à tous. Le communisme. Bien mieux, le communisme sans le travail. Et, alors, tous les hommes égaux. Plus d’enclos, plus de portes. J’ai faim : vous, le commerçant, vous me nourrissez. Je suis las : je prends votre lit. C’est vrai qu’il faut se lever avant l’aube, et marcher avec le sac et le fusil. Mais moi, qui vous parle, je me lève avant le soleil, et je marche toute la journée dans le charbon et la fumée ; je vais du four au laminoir, en traînant au bout d’une pince une plaque de fer rouge. Voilà mon soleil. Mais vous dites : on va à la guerre pour se battre. C’est vrai. On peut y laisser un bras ou une jambe. C’est comme à l’usine. Il n’y a pas longtemps, une chaudière a sauté : il pleuvait du fer ; et en même temps on était cuit par la vapeur. Je ne compte pas les engrenages, les wagons qui roulent, les chaînes qui cassent, les pièces de fer qui basculent. Et pourtant personne n’y pense. À la guerre c’est de même ; car l’habitude peut tout. Et s’il n’en était pas ainsi, les guerres ne dureraient pas longtemps. Pour faire la guerre il faut des milliers de héros, et on les trouve. Et puis enfin, voir du pays, voir des rivières, des plaines, des montagnes ; connaître les heures au soleil et à la lune, et, la nuit, quand on est de faction, regarder tourner les étoiles, c’est une belle vie. Donc, si vous y tenez, bourgeois, je laisserai là mon marteau et ma pince, et je prendrai le fusil en chantant. Se battre ? mais cela se fait tout seul et sans peine ; c’est l’instinct ; dès que l’on a un peu trop bu, on se bat. Non. J’ai l’idée qu’un homme raisonnable doit se retenir et respecter l’ordre autant qu’il le peut, même s’il donne plus qu’il ne reçoit. Car il est juste que, si un homme est plus fort que les autres, sa force les aide à vivre au lieu de les tuer. Voilà mon idée. Ainsi parla l’ouvrier. |
Les Propos d’Alain (1920)/Tome 1/082 | Alain Les propos d’Alain Nouvelle Revue Française, 1920 (1, p. 115-116). ◄ LXXXI. LXXXIII. ► LXXXII. bookLes propos d’AlainAlainNouvelle Revue Française1920ParisV1LXXXII.Alain - Propos, tome 1, 1920.djvuAlain - Propos, tome 1, 1920.djvu/9115-116 LXXXII Les écoliers étaient au bord de l’eau ; ils attendent l’heure d’y retourner. Leur souvenir est plein de remous, de tourbillons, de débris flottants, de barques, de plages. Vous ne pouvez pas plus contre le cours de leurs idées que contre le cours de la Seine. Ils s’instruisaient tout à l’heure ; maintenant ils vont s’ennuyer. Mais Monsieur Benoît, l’instituteur, est un habile homme, et un brave homme. Lui aussi il était au bord de l’eau ; lui aussi il regarde flotter ses idées comme des épaves ; et comme toutes ces images ont mordu sur son cœur, il est un plus mauvais écolier que ses écoliers. Le tableau des mesures, et l’histoire de l’enfant sage qui met le couvert ou qui tient l’écheveau, sont de pauvres images, qui ne s’accrochent à rien. Monsieur Benoît n’en est point étonné ; il a remarqué souvent que les perceptions vives sont les reines de la pensée, encore plus si le cœur est touché. Hé bien donc, sur les pensées qui vous viennent, se dit-il, travaillons, comme broute la chèvre autour de son piquet. Voyons, qui va me décrire convenablement le courant du fleuve. Est-ce que l’eau court également vite dans toutes les parties du courant ? Non, certainement. Tous savent que, vers le milieu du fleuve, l’eau file comme une flèche. Et pourquoi cela ? Voyons, à quoi allons-nous comparer ce courant d’eau ? À une foule d’hommes, peut-être, qui descendent du train et se poussent vers la sortie. Quels sont ceux qui vont le plus vite ? Quels sont ceux qui sont arrêtés ? Par quoi le sont-ils ? Où sont les frottements ? Est-ce la même chose, de frotter contre un homme qui marche ainsi vers la sortie, ou de frotter contre le mur ? Revenons au fleuve. Représentons-nous toutes ces gouttes d’eau qui se précipitent, non plus par le désir d’arriver, mais par la pesanteur, qui les fait rouler sur la pente. Voici des grains de plomb ; nous allons les faire rouler. Par où s’échappent-ils le mieux ? Mais n’y en a-t-il pas aussi qui vont tourner sur eux-mêmes ? N’y a-t-il pas, dans une foule, des gens qui tournent sur eux-mêmes au lieu d’avancer ? Oui. Ceux qui frottent contre le mur. Ils roulent sur le mur, comme ferait une roue. Bon. Quelqu’un n’a-t-il pas vu des parties d’eau qui tournaient ? Oui, des tourbillons. Comment étaient-ils ? Creux comme des entonnoirs. Pourquoi cela ? Dans quel sens tournaient-ils ? Vous ne l’avez pas remarqué ? Écrivez un sujet de devoir pour demain. Vous dessinerez le fleuve vu du pont. Vous marquerez les piles et les arches, ainsi que les régions où le courant est le plus rapide ; puis la position, le sens, le déplacement des tourbillons. Vous estimerez la plus grande vitesse, en mètres par seconde, |
Les Propos d’Alain (1920)/Tome 1/110 | Alain Les propos d’Alain Nouvelle Revue Française, 1920 (1, p. 152-153). ◄ CIX. CXI. ► CX. bookLes propos d’AlainAlainNouvelle Revue Française1920ParisV1CX.Alain - Propos, tome 1, 1920.djvuAlain - Propos, tome 1, 1920.djvu/9152-153 CX Soutenir que la peine de mort ne fait pas peur aux assassins, c’est aller contre le bon sens. Si les punitions peuvent quelque chose, il faut dire que la plus redoutable a plus de puissance que les autres. Allez-vous soutenir que les peines ne peuvent rien contre les délits ? L’expérience répond tous les jours. Les écoliers sont vifs et oublieux ; leur nature les porte à parler, à rire, à se moquer ; quand ils se coalisent, ils redeviennent sauvages, jusqu’à rendre fou parfois l’homme débonnaire qui a charge de leur apprendre l’orthographe. Or chacun sait que quelques punitions un peu dures, pourvu qu’on se garde de pardonner, rétablissent immédiatement l’ordre et la paix. On dresse à coups de fouet les chiens et les chevaux ; pourtant ce sont des bêtes. On dresse même des lions. Or il y a dans tout homme un cheval, un chien, un lion à dompter. Pourquoi voulez-vous que les châtiments ne puissent pas aider la raison ? Je vois bien ce qui manque à la peine de mort ; c’est justement ce qui explique la puissance du fouet ; c’est le souvenir de la peine, qui se lie si bien, par sa vivacité, au souvenir de la faute que celui qui a été puni une fois ne peut plus penser à la faute sans penser au fouet. Par ce mécanisme, la faute n’est plus aussi attrayante qu’elle était ; le désir est tempéré par la crainte ; voilà pourquoi le chien flaire le rôti sans y toucher. Il est trop clair que la guillotine n’instruit pas ceux qu’elle touche. Cette objection, remarquez-le, vaut contre l’emprisonnement perpétuel aussi. Seulement il faut voir comment l’homme est fait. Il prévoit plus loin que les animaux, et il est capable d’inventer en prévoyant. De là les passions. L’homme est plus souvent conduit à mal faire par des espérances qu’il se forge, que par un désir bien déterminé éclairé par l’expérience de la veille. L’avance, l’amour, l’ambition, sont comme des mirages ; on vole, on menace, on tue pour jouir de biens qu’on n’a jamais possédés. Eh bien, la guillotine est un mirage aussi. Je ne dis pas qu’elle soit puissante à l’instant où le couteau de l’assassin se lève. Elle peut apparaître, et barrer l’avenir, au moment où l’assassin achète le couteau, ou bien quand il va se laisser prendre aux discours des autres, quand il s’enivre de projets, quand il se construit d’avance une vie plus heureuse que celle qu’il a. Je suis sûr que la clémence présidentielle et les discours du ministre de la justice fournissent les arguments les plus forts aux Méphistophélès de carrefour, quand ils cherchent des âmes à acheter. Non qu’ils craignent tant la mort ; on ne peut craindre ce dont on ne peut se faire aucune idée. Mais il y a les jours d’attente, la toilette, et la marche, à l’échafaud. Quand on pèse, en imagination, les profits et les risques, on peut avoir peur de cette peur-là. |
Les Propos d’Alain (1920)/Tome 1/038 | Alain Les propos d’Alain Nouvelle Revue Française, 1920 (1, p. 60-61). ◄ XXXVII. XXXIX. ► XXXVIII. bookLes propos d’AlainAlainNouvelle Revue Française1920ParisV1XXXVIII.Alain - Propos, tome 1, 1920.djvuAlain - Propos, tome 1, 1920.djvu/960-61 XXXVIII Les barques pontées sur lesquelles les Bretons de l’île de Croix vont à la grande pêche sont des mécaniques merveilleuses. J’ai entendu un ingénieur qui disait que le cuirassé le mieux dessiné est un monstre, comparé à ces gracieuses et solides coques, où la courbure, la pente, l’épaisseur sont partout ce qu’elles doivent être. On admire les travaux des abeilles ; mais les travaux humains de ce genre ressemblent beaucoup aux cellules hexagonales de la ruche. Observez l’abeille ou le pêcheur, vous ne trouverez pas trace de raisonnement ni de géométrie ; vous y trouverez seulement un attachement stupide à la coutume, qui suffit pourtant à expliquer ce progrès et cette perfection dans les œuvres. Et voici comment. Tout bateau est copié sur un autre bateau ; toute leur science s’arrête là : copier ce qui est, faire ce que l’on a toujours fait. Raisonnons là-dessus à la manière de Darwin. Il est clair qu’un bateau très mal fait s’en ira par le fond après une ou deux campagnes, et ainsi ne sera jamais copié. On copiera justement les vieilles coques qui ont résisté à tout. On comprend très bien que, le plus souvent, une telle vieille coque est justement la plus parfaite de toutes, j’entends celle qui répond le mieux à l’usage qu’on en fait. Méthode tâtonnante, méthode aveugle, qui conduira pourtant à une perfection toujours plus grande. Car il est possible que, de temps en temps, par des hasards, un médiocre bateau échappe aux coups de vent et offre ainsi un mauvais modèle ; mais cela est exceptionnel. Sur un nombre prodigieux d expériences, il ne se peut pas qu’il y en ait beaucoup de trompeuses. Un bateau bien construit peut donner contre un récif ; un sabot peut échapper. Mais, sur cent mille bateaux de toute façon jetés aux vagues, les vagues ramèneront à peine quelques barques manquées et presque toutes les bonnes ; il faudrait un miracle pour que toujours les meilleures aient fait naufrage. On peut donc dire, en toute rigueur, que c’est la mer elle-même qui façonne les bateaux, choisit ceux qui conviennent et détruit les autres. Les bateaux neufs étant copiés sur ceux qui reviennent, de nouveau l’Océan choisit, si l’on peut dire, dans cette élite, encore une élite, et ainsi des milliers de fois. Chaque progrès est imperceptible ; l’artisan en est toujours à copier, et à dire qu’il ne faut rien changer à la forme des bateaux ; et le progrès résulte justement de cet attachement à la routine. C’est ainsi que l’instinct tortue dépasse la science lièvre. |
Les Propos d’Alain (1920)/Tome 1/050 | Alain Les propos d’Alain Nouvelle Revue Française, 1920 (1, p. 76-77). ◄ XLIX. LI. ► L. bookLes propos d’AlainAlainNouvelle Revue Française1920ParisV1L.Alain - Propos, tome 1, 1920.djvuAlain - Propos, tome 1, 1920.djvu/976-77 L Quelquefois on rencontre sur la route un spectre humain qui se chauffe au soleil ou qui se traîne vers sa maison ; cette vue de l’extrême décrépitude et de la mort imminente nous inspire une horreur insurmontable au premier moment ; nous fuyons en disant : « Pourquoi cette chose humaine n’est-elle pas morte ? » Elle aime encore la vie, pourtant ; elle se chauffe au soleil ; elle ne veut pas mourir. Dur chemin pour nos pensées ; la réflexion souvent y trébuche, se blesse, s’irrite, se jette dans un mauvais sentier. C’est bientôt fait. Comme je cherchais la bonne route, après une vue de ce genre, par discours prudents et tâtonnants, je voyais devant moi un ami tout tremblant de mauvaise éloquence, avec des feux d’enfer dans les yeux. Enfin il éclata : « Tout est misère, dit-il. Ceux qui se portent bien craignent la maladie et la mort ; ils y mettent toutes leurs forces ; ils ne perdent rien de leur terreur ; ils la goûtent tout entière. Et voyez ces malades ; ils devraient appeler la mort ; mais point du tout ; ils la repoussent ; cette crainte s’ajoute à leurs maux. Vous dites : comment peut-on craindre la mort quand la vie est atroce à ce point-là : Vous voyez pourtant qu’on peut haïr la mort en même temps ; et voilà comment nous finirons ». Ce qu’il disait lui semblait évident absolument : et, ma foi, j’en croirais bien autant, si je voulais. Il n’est pas difficile d’être malheureux ; ce qui est difficile c’est d’être heureux ; ce n’est pas une raison pour ne pas l’essayer ; au contraire ; le proverbe dit que toutes les belles choses sont difficiles. J’ai des raisons aussi de me garder de cette éloquence d’enfer, qui me trempe par une fausse lumière d’évidence. Combien de fois me suis-je prouvé à moi-même que j’étais dans un malheur sans remède ; et pourquoi ? Pour des yeux de femme, peut-être éblouis ou fatigués, ou assombris par un nuage du ciel ; tout au plus pour quelque pensée médiocre, pour quelque mouvement de bile, pour quelque calcul de vanité que je supposais d’après des mines et des paroles ; car nous avons tous connu cette étrange folie ; et nous en rions de bon cœur un an après. J’en retiens que la passion nous trompe, dès que les larmes, les sanglots tout proches, l’estomac, le cœur, le ventre, les gestes violents, la contraction inutile des muscles se mêlent au raisonnement. Les naïfs y sont pris à chaque fois ; mais je sais que cette mauvaise lumière s’éteint bientôt. Je sais aussi que la maladie et la mort sont des choses communes et naturelles, et que cette révolte est certainement une pensée fausse et inhumaine ; car une pensée vraie et humaine doit toujours, il me semble, être adaptée en quelque façon à la condition humaine et au cours des choses. Et c’est déjà une raison assez forte pour ne pas se jeter en étourdi dans ces plaintes qui nourrissent la colère, et que la colère nourrit. Cercle d’enfer ; mais c’est moi qui suis le diable, et qui tiens la fourche. |
Les Propos d’Alain (1920)/Tome 1/122 | Alain Les propos d’Alain Nouvelle Revue Française, 1920 (1, p. 168-169). ◄ CXXI. CXXIII. ► CXXII. bookLes propos d’AlainAlainNouvelle Revue Française1920ParisV1CXXII.Alain - Propos, tome 1, 1920.djvuAlain - Propos, tome 1, 1920.djvu/9168-169 CXXII Suzette est belle comme un ange, mais pire qu’un diable quand elle va à ce qui lui plaît. Dédé est un petit paysan à tête carrée. Le gamin et la gamine se retrouvent aux vacances ; cela fait un joyeux ménage ; Suzette s’ensauvage, et Dédé se civilise. En somme, deux cosaques, qui rançonnent le pays à un quart de lieue. Il y avait un pommier penché, qui convenait pour la gymnastique, et des blés mûrs au-dessous. C’est là que je trouvai un jour mes cosaques comme je suivais le chemin vert. Tous deux grimpaient et sautaient, sans se soucier du blé mûr. Ces enfants ne me craignaient point du tout, et je n’ai aucun pouvoir sur eux, ni par la nature, ni par les lois écrites ; mais il me restait l’éloquence. Je fis donc un discours sur le blé. Comment la terre, labourée et ensemencée, multiplie les biens. Que le grain, après avoir dormi en terre, se gonfle à la pluie tiède, et s’allonge vers le soleil. Que le soleil dépose alors sur les feuilles vertes, tous les jours, un peu de charbon pris à l’atmosphère ; que ce charbon uni à l’eau descendait dans la tige, et s’y fixait en paille, bonne à manger, bonne à brûler ; et qu’enfin le meilleur de ce bouillon cuit et recuit au soleil formait au sommet des tiges une grappe de fleurs et un épi ; dont le laboureur, enfin récompensé, faisait la farine, le pain et les tartines, choses bonnes à manger, non seulement pour les bêtes, mais pour les gens. Que ces précieux biens mûrissent au soleil, sans qu’on les garde, attendu que tout le monde, à la campagne, respecte le blé, et jusqu’aux plus petits enfants, parce qu’on sait combien de travaux il coûte. Que du reste la gymnastique était une bonne chose aussi, et qu’il était bien naturel que l’on marchât et sautât sur des tartines de pain quand on ne pouvait pas faire autrement. Suzette n’en perdait pas un saut ni un rire. Mais Dédé laissa le jeu et resta debout dans le chemin, non point honteux, mais attentif, et regardant le blé en vrai paysan. Sans doute il prit ce jour-là la première notion de la richesse, du travail, et de tout ce qui occupait la pensée des hommes là autour, du matin au soir. Et pendant que Suzette l’appelait au jeu, tantôt câline, tantôt menaçante, son regard à lui saisissait les choses de la terre. Ce fut un grand combat non pas entre le plaisir et le devoir, il n’en pensait pas si long, mais entre un mouvement et une pensée. Comme Suzette criait, et comme ses jambes à lui l’entraînaient, il fit une action de héros ; il s’assit. Ce fut la fin du jeu, et le plus beau triomphe dont je puisse me vanter. Mais quel regard je reçus de Suzette ! Quel défi des passions à la raison ! Étonnement, fureur, espérance. Elle aussi mesurait à ce moment-là une force nouvelle ; elle déchiffrait son avenir de femme ; elle appelait les années : « Oui, si j’étais une vraie femme, et lui un homme, tu verrais bien, méchant raisonneur. Et, toi-même, tu déraisonnerais.» Tout cela dans un regard noir. Et puis elle n’y pensa plus. Les enfants sont faciles à gouverner. |
Les Propos d’Alain (1920)/Tome 1/065 | Alain Les propos d’Alain Nouvelle Revue Française, 1920 (1, p. 94-96). ◄ LXIV. LXVI. ► LXV. bookLes propos d’AlainAlainNouvelle Revue Française1920ParisV1LXV.Alain - Propos, tome 1, 1920.djvuAlain - Propos, tome 1, 1920.djvu/994-96 LXV Je ne sais si la pitié est aussi bonne qu’on le dit. Évidemment la pitié, chez un homme injuste ou tout à fait irréfléchi, vaut mieux qu’une insensibilité de brute. Mais faire de la pitié une espèce de vertu et un remède aux maux humains, je crois que c’est trop dire. Qu’est-ce que la pitié ? C’est une imitation automatique des souffrances d’autrui. Comme je bâille quand je vois bâiller, comme je fuis quand je vois fuir, ainsi je pâlis quand je vois pâlir, je pleure quand je vois pleurer, je tremble quand je vois trembler. À quoi cela tient-il ? Non seulement à un raisonnement très simple, qui nous présente les malheurs de nos semblables comme possibles aussi pour nous, et même probables, s’ils tiennent à des causes extérieures, mais aussi à quelque vieille habitude, plus vieille que nous, et qui semble cachée aux sources de la vie. La première fois que je vis, tout à fait par hasard, un chirurgien tailler dans la chair vivante, j’avais autant que je m’en rendais compte, plus de curiosité que de peine ; cela n’empêcha pas qu’après deux minutes, sans savoir du tout pourquoi, j’avais la sueur au front et j’étais sur le point de perdre le sentiment. C’est d’autant plus remarquable qu’un autre jour, où j’étais, cette fois, le patient, je me tins fort convenablement, et ce fut le spectateur qui but le cordial préparé pour moi. Chacun peut citer des faits de ce genre ; d’où l’on pourrait conclure qu’en un certain sens, le spectacle de la douleur humaine n’est pas mieux supportable que la douleur même. Seulement je ferai là-dessus trois remarques. La première, c’est que cette pitié automatique s’use très vite, comme on peut voir chez les médecins, chez les infirmiers, chez les militaires, et aussi chez les criminels d’habitude. De là ces métiers atroces de juge et de tortionnaire au temps passé. Par où l’on voit que la pitié fait défaut justement là où elle serait le plus nécessaire, si du moins on ne comptait que sur elle pour rendre l’homme plus doux à l’homme. La seconde remarque, c’est que la pitié suppose la présence, ou encore une imitation vive de la chose. Hors de quoi nous n’arrivons guère qu’à une pitié en paroles. La femme parée ne voit point l’ouvrière. Et, enfin, j’ai à dire que la pitié est tristesse, et que toute tristesse est déjà maladie, c’est-à-dire dépression, découragement, abandon de soi. Aussi est-il bon que le médecin n’ait point trop de pitié. Ajoutons que, par la contagion, celui qui voit votre pitié pour lui est encore attristé par là, c’est-à-dire plus malheureux par là. Une des grandes souffrances morales, c’est de faire pitié à quelqu’un. C’est pourquoi je disais ces jours-ci, mais assez obscurément, que la justice nous délivrait de la pitié, et que c’était bien. Car, dès que je vois par où passent et filtrent les maux, comme une eau perfide, aussitôt me voilà à boucher les fissures, et, pendant que je travaille, à chercher mille remèdes en imagination ; ce qui dispose mon corps à la joie ; car c’est l’agir qui est agréable, non le pâtir. Travaillons donc à penser les maux d’autrui, et le mécanisme de leurs causes, au lieu de verser larmes sur larmes. Il faut que la Fraternité sourie. |
Les Propos d’Alain (1920)/Tome 1/124 | Alain Les propos d’Alain Nouvelle Revue Française, 1920 (1, p. 170-171). ◄ CXXIII. CXXV. ► CXXIV. bookLes propos d’AlainAlainNouvelle Revue Française1920ParisV1CXXIV.Alain - Propos, tome 1, 1920.djvuAlain - Propos, tome 1, 1920.djvu/9170-171 CXXIV Souvent on se révolte contre Dieu comme si on croyait qu’il existe. Ainsi, au sujet du divorce, quelque esclave inconsolable essaiera de penser que c’est un Dieu sauvage et jaloux qui a réglementé les plaisirs de l’amour, et que, du moment que ce Dieu est violemment repoussé, la liberté reste. Penser ainsi, c’est croire que la morale vient réellement de Dieu ; c’est tout ensemble affirmer et nier Dieu. Mais si l’on comprend, au contraire, que Dieu et ses commandements sont des inventions humaines, alors il faut reconnaître que toute règle morale a une raison d’être. Dans les sociétés les plus différentes, on voit toujours que les plaisirs de l’amour sont réglés d’une manière ou d’une autre. On ne connaît pas d’organisation sociale fondée seulement sur le plaisir ; et en particulier le plaisir dont il s’agit ici est toujours traité avec défiance, comme si l’homme n’avait pas de plus grand ennemi. Quand on dit que tout ce qui est naturel est bon, on dit quelque chose de très obscur. Les passions sont naturelles ; la discipline des passions, condition de science, de paix, de justice, est naturelle aussi. Il faut choisir. Si l’homme vit en animal, il affaiblira les fonctions proprement humaines. Par exemple une vie de débauche sans frein conduit bientôt à un état mental déprimé, nuageux, vaseux, sans attention ni force. À mes yeux beaucoup de traits du caractère Turc s’expliquent par la solution polygamique, qui règle évidemment les mœurs du sexe féminin, mais qui, en revanche, ne peut manquer de fatiguer et d’abrutir le sexe masculin en variant les plaisirs et en multipliant les tentations. Le système monogamique doit être pris comme règle d’hygiène et de morale en même temps. Destiné à modérer les plaisirs de plus en plus, il doit conduire de l’amour à l’amitié raisonnable, du plaisir à la sagesse, par des épreuves inévitables et finalement avantageuses. C’est le premier essai de société ; chacun y doit apprendre à vivre selon la paix, et à aimer la paix ; c’est-à-dire à comprendre, à se plier, à calmer enfin les passions, ce qui est une préparation à la vie publique, en même temps qu’à l’inévitable vieillesse. Aussi ceux qui considèrent le mariage comme une suite de plaisirs le prennent mal, et le conduiront mal ; c’est aussi peu raisonnable que d’entrer dans une coopérative avec l’idée que si la coopération n’est pas uniquement avantageuse et agréable, on la lâchera. Raisonnablement, au contraire, il faut prendre la Coopération comme une éducation toujours pénible, et donc se donner comme idée directrice la Fidélité d’abord. Cette même idée ne convient pas moins au mariage. |
Les Propos d’Alain (1920)/Tome 1/133 | Alain Les propos d’Alain Nouvelle Revue Française, 1920 (1, p. 182-183). ◄ CXXXII. CXXXIV. ► CXXXIII. bookLes propos d’AlainAlainNouvelle Revue Française1920ParisV1CXXXIII.Alain - Propos, tome 1, 1920.djvuAlain - Propos, tome 1, 1920.djvu/9182-183 CXXXIII Le jeune théoricien dit : « Pourquoi des lois ? Pourquoi des juges ? des gendarmes et des ministres ? Pourquoi ne laisse-t-on pas les hommes vivre à leur guise, se grouper s’ils le veulent et comme ils l’entendent ? » Le sage répondit : « C’est justement ce que l’on fait ; c’est ce que l’on a toujours fait, c’est ce que l’on fera toujours. Vous vous faites je ne sais quelle idée de pouvoirs supérieurs qui imposeraient des lois aux hommes ; mais, de tels pouvoirs, il n’y en a point ; il ne peut pas y en avoir. Même les plus extravagants des tyrans n’ont été tyrans que parce que cela convenait au plus grand nombre. « Défiez-vous de la littérature, et voyez les choses comme elles sont : les hommes sont sur la terre tous entièrement libres, dans les limites de leur puissance. Vous ne pouvez pas trouver mauvais que beaucoup d’entre eux se groupent pour se protéger plus efficacement, et divisent entre eux le travail, de façon que, pendant que les uns produisent, les autres les gardent. Qu’on donne à certains gardiens un képi et un revolver, cela ne va pas contre le droit de nature. Qu’on donne à d’autres gardiens des toques et des robes, et qu’on les charge d’empêcher les querelles autant que possible, cela n’empêche pas qu’ils soient des hommes libres, unis à des hommes libres, et vivant selon la loi de nature ; car ils ne supportent d’autre contrainte que celle de leur propre prudence ou d’une force supérieure. » « Mais, dit le théoricien, ceux qui ne veulent point admettre de lois, qu’en faites-vous ? » Le sage répondit : « Ils sont libres comme les autres, et au même sens que les autres ; leur liberté a justement les mêmes limites que leur puissance ; ils résistent aux lois quand ils peuvent et comme ils peuvent. Ils sont vaincus, dites-vous ? Mais, dans l’état de liberté naturelle, il peut y avoir des vaincus. Il n’est pas dit que parce qu’un homme refusera d’obéir aux lois, il sera plus fort que le volcan, que le torrent ou que la foule. » |
Les Propos d’Alain (1920)/Tome 1/169 | Alain Les propos d’Alain Nouvelle Revue Française, 1920 (1, p. 228-229). ◄ CLXVIII. CLXX. ► CLXIX. bookLes propos d’AlainAlainNouvelle Revue Française1920ParisV1CLXIX.Alain - Propos, tome 1, 1920.djvuAlain - Propos, tome 1, 1920.djvu/9228-229 CLXIX Le fond de la Religion n’est peut-être qu’une espèce d’ivresse collective. La contagion des sentiments a une telle puissance, et notre corps est si naturellement porté à imiter les mouvements des corps qui lui ressemblent le plus, que les hommes réunis en viennent bientôt à aimer, à haïr, à penser en commun. La musique exprime merveilleusement ces actions et réactions ; le rythme est une loi commune, que tous les chanteurs adorent, lorsqu’ils chantent en chœur. Personne n’échappe entièrement à cette puissance de la foule. Que l’on soit citoyen dans une réunion publique, soldat dans un régiment, ou révolutionnaire chantant l’« Internationale », on se sentira comme emporté hors de soi-même ; on oubliera, tout soudain, les mille petites misères de la vie individuelle, le doute, l’hésitation, le regret, l’ennui ; la vie aura un sens et une saveur jusque-là inconnue. Il en est de cette ivresse comme de toute ivresse ; qui a bu boira. C’est par là qu’on peut expliquer cette longue suite des guerres impériales, où l’on dirait que les hommes trouvèrent leur plus haut plaisir à se battre et à mourir. Dans le fond, ce qui leur plaisait, ce n’était pas spécialement la bataille, c’était l’action en commun. De cette joie est née la poésie. Tous sentent quelque puissance invisible, qui agit à la fois en chacun d’eux et hors d’eux ; tous la cherchent ; tous veulent donner un corps à cette âme ; ce corps, ce sera le chef ou le prêtre, ou le prophète, ou quelque dieu qu’ils finiront par voir et toucher. Le Christ a dit une profonde parole : « Toutes les fois que vous serez réunis, je serai avec vous. » À bien regarder, il n’y a rien de plus dans ces prodigieux sentiments que ce que l’on observe dans un mouvement de terreur panique ; ce n’est toujours que la passion grandie, et l’animal divinisé. Autant qu’on peut savoir, la puissance proprement humaine, que nous appelons raison, vient d’une tout autre source. Elle est née, sans doute, dans les pays froids, pendant les longs hivers, alors qu’il faut fermer sa maison et vivre chacun avec soi. La Science, par ses calculs, par ses machines, par ses catapultes, par ses canons, devait vaincre la poésie ; la Justice devait vaincre l’Amour. Mais le combat dure encore et durera longtemps. Les hommes, même les plus raisonnables, ont une tendresse pour les dieux et pour la musique qui me fait penser que la guerre durera encore longtemps parmi nous. Les Muses protègent la retraite des dieux. |
Les Propos d’Alain (1920)/Tome 1/153 | Alain Les propos d’Alain Nouvelle Revue Française, 1920 (1, p. 208-209). ◄ CLII. CLIV. ► CLIII. bookLes propos d’AlainAlainNouvelle Revue Française1920ParisV1CLIII.Alain - Propos, tome 1, 1920.djvuAlain - Propos, tome 1, 1920.djvu/9208-209 CLIII Le colonel parlait de la nouvelle armée. Bien loin de sonner l’alarme, tout au contraire il se plaisait à comparer le présent au passé, et le brisquard d’autrefois au soldat citoyen d’aujourd’hui. « C’est une erreur, disait-il, de croire qu’un bon soldat est nécessairement une tête chaude, qui supporte impatiemment les travaux de la paix et les lois civiles. Cela fut vrai au temps où l’armée était un moyen de gouvernement. Alors on voulait des soldats à tout faire. Il y eut des héros dans ce genre-là ; c’étaient des hommes simples, qui n’avaient d’autre famille que le régiment. Ils se battaient bien ; mais, dans les marches et les cantonnements c’étaient des diables à tenir. J’aime mieux mon paysan rose comme une fille, qui a une bonne amie au village, et qui traîne dans les rues de cinq à sept. Celui-là ne songe point à couper les oreilles aux civils ; il compte les jours ; il craint la guerre ; mais il aime tellement l’ordre, la discipline et la paix qu’il tiendra bon autour de l’officier, et enfin se mettra dans une belle colère juste au moment où les soldats de métier jugeraient la partie perdue. Nous n’avons encore jamais fait la guerre avec des soldats comme ceux-là, j’entends instruits et exercés comme sont mes pioupious. Mais je les connais bien ; j’ai l’impression qu’ils ne seront jamais vaincus. Car ils ne feraient pas la guerre comme un jeu, où tantôt l’on gagne, tantôt l’on perd. Ils se battraient pour leurs libertés civiles, pour le droit de penser, pour le droit de voter ; ils perdraient leur dignité d’hommes en perdant la partie. Quand on a des idées comme celles-là, on ne désire point la guerre, mais on ne se rend jamais. » « Mais alors, lui dis-je, croyez-vous qu’il soit bien nécessaire, quand ils ont manœuvré comme il faut, de les tenir dans un dortoir, comme des collégiens, ou de les lâcher pour quelques heures dans une ville où ils n’ont ni parents ni amis ? S’ils étaient mariés, s’ils couchaient chez eux, s’ils pouvaient quelques heures tous les jours se retrouver à leur établi, ou à leur comptoir, ou à leur champ, ou à leur jardin, s’ils jouissaient chaque jour un peu de ces droits pour lesquels ils se battront si bien, où serait le mal ? » « Je ne vois point, dit le colonel, où serait le mal. Je vois qu’ils risqueraient moins de perdre leur santé avec les filles. Je vois que la simple consigne aurait plus de puissance que n’en a maintenant la prison. Je vois qu’ils échapperaient à ces heures d’oisiveté déprimante, à ces conversations niaises, à ces plaisanteries de caserne, qui travestissent et rapetissent les plus nobles devoirs. Un militaire ne devrait point être militaire hors des exercices, des marches et du tir. Ces temps viendront lorsque tous vos socialistes, qui sont pourtant des idéalistes, que diable, comprendront que le droit sans baïonnettes est un scandale pour la Raison. » |
Les Propos d’Alain (1920)/Tome 1/025 | Alain Les propos d’Alain Nouvelle Revue Française, 1920 (1, p. 43-44). ◄ XXIV. XXVI. ► XXV. bookLes propos d’AlainAlainNouvelle Revue Française1920ParisV1XXV.Alain - Propos, tome 1, 1920.djvuAlain - Propos, tome 1, 1920.djvu/943-44 XXV Une cheminée est ébranlée par le vent ; elle s’écroule enfin, une pierre tombe sur la tête d’un passant et le tue. Cela fait six lignes pour un journal ; on lit, et on n’y pense plus, tant un accident de ce genre semble d’accord avec le cours ordinaire des choses. Mais si la pierre tue quelqu’un que vous connaissez bien, alors vous considérez attentivement ce fait, avec toutes ses circonstances, et vous n’arrivez pas à l’accepter ; vous essayez de le nier. Vous vous dites : la cheminée aurait pu résister un peu plus longtemps ; le vent aurait pu souffler un peu moins fort à ce moment-là ; l’homme aurait pu prendre une autre rue, entrer chez le bouquiniste, passer sur l’autre trottoir, s’arrêter pour se moucher, se détourner pour éviter une flaque d’eau ; le moindre changement dans toutes ces circonstances rendait l’accident impossible. Et comme tous ces changements nous apparaissent comme possibles et même faciles à réaliser, nous accusons quelque destin ennemi, qui a voulu cet événement et non un autre. Ce qui nous trompe dans ces cas-là, c’est qu’une autre action nous paraît possible tout autant que celle qui a été faite ; il n’est pas plus difficile, pensons-nous, à un homme, de passer à droite d’une flaque d’eau que de passer à gauche. Nous jugeons ainsi parce que nous ne connaissons pas bien la liaison de toutes choses entre elles, et comment les actions des hommes dépendent rigoureusement de leur nature et des circonstances. Un myope se mouillera les pieds ; un distrait aussi, mais pour d’autres causes ; un autre oblique à droite parce qu’au moment où il a vu la flaque d’eau, il avait le pied gauche appuyé au sol et le pied droit en mouvement ; et cette position dépendait des pas qu’il avait faits ; chacun de ses pas, à son tour, dépendait des pas précédents, et aussi de ce qu’il voyait et entendait ; toutes les circonstances étaient liées à d’autres, au vent, à la neige, à l’heure, à la saison ; ainsi, pendant que cet homme prudent cherchait son chemin le long de la rue comme s’il avait su où il allait, les circonstances le roulaient vers l’accident comme le vent pousse les feuilles sèches et les flocons de neige. Vous demandez, vous, qu’il se soit trouvé un mètre plus loin au moment où la pierre arrivait, et vous croyez demander peu de chose ; en réalité vous demandez un autre univers à ce moment-là, car tout se tient ; et un autre univers l’instant d’avant, et d’autres univers d’instant en instant, différents de ce qu’ils ont été, jusqu’au fond des siècles. Et peut-être un de ces changements vous aurait tué, vous qui raisonnez si bien. Ne croyez donc pas que ce qui est aurait pu ne pas être ; c’est là une pensée d’enfant. Vous direz que cette pensée d’enfant était nécessaire comme tout le reste. Oui ; et mon discours aussi. La sagesse n’en est pas moins utile à ceux qui l’ont. |
Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/75 | provinciales.''
Il était impossible de s’occuper, un moment, de l’intérêt de la nation sans être frappé de la nullité politique du tiers. Le ministre a senti même que la distinction des ordres était contraire à toute espérance de bien, et il a projeté sans doute de la faire disparaître avec le temps. C’est du moins dans cet esprit que le premier plan des assemblées provinciales paraît avoir été conçu et rédigé. Il ne faut que le lire avec un peu d’attention pour s’apercevoir qu’on n’y avait pas égard à l’ordre personnel des citoyens. Il n’y était question que de leurs propriétés, ou de l’ordre réel. C’était comme propriétaire et non comme prêtre, noble ou roturier, qu’on devait être appelé dans ces assemblées, intéressantes par leur objet, bien plus importantes encore par la manière dont elles devaient se former, puisque par elles s’établissait une véritable représentation nationale.
Quatre espèces de propriétés étaient distinguées : 1o les seigneuries. Ceux qui les possèdent, nobles ou roturiers, ecclésiastiques ou laïques, devaient former la première classe. On divisait en trois autres classes les propriétés ordinaires ou simples, par opposition aux seigneuries. Une distribution plus naturelle n’en aurait formé que deux, indiquées par la nature des travaux et la balance des intérêts ; savoir, les propriétés de la campagne et celles des villes. Dans ces dernières, on aurait compris, avec les maisons, tous les arts, fabriques, métiers, etc. Mais on croyait sans doute que le temps n’était pas encore venu de fondre dans ces deux divisions les biens ordinaires ecclésiastiques. Ainsi on avait cru devoir laisser les biens simples du clergé dans une classe séparée. C’était la seconde. La troisième comprenait les biens de la campagne, et la quatrième les propriétés des villes. Remarquez que, trois de ces sortes de propriétés étant indistinctement possédées par des citoyens des trois ordres, trois classes sur quatre auraient pu être composées indifféremment de nobles, de roturiers ou de prêtres. La deuxième classe elle-même aurait contenu des chevaliers de Malte, et même des laïques pour représenter les hôpitaux, les fabriques paroissiales, etc. |
Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/68 | n’ont pas assez consulté les progrès des lumières et même de l’opinion publique. Elles n’auraient pas rencontré plus de difficultés en demandant deux voix contre une, et peut-être se fût-on hâté, alors, de leur offrir cette égalité contre laquelle on combat aujourd’hui avec tant d’éclat. Au reste, quand on veut décider une question comme celle-ci, il ne faut pas se contenter, comme on le fait trop souvent, de donner son désir, ou sa volonté, ou l’usage pour des raisons ; il faut remonter aux principes. Les droits politiques, comme les droits civils, doivent tenir à la qualité de citoyen.
Cette propriété légale est la même pour tous, sans égard au plus ou moins de propriété réelle dont chaque individu peut composer sa fortune ou sa jouissance. Tout citoyen qui réunit les conditions déterminées pour être électeur, a droit de se faire représenter, et sa représentation ne peut pas être une fraction de la représentation d’un autre. Ce droit est un ; tous l’exercent également, comme tous sont protégés également par la loi qu’ils ont concouru à faire. Comment peut-on soutenir, d’un côté, que la loi est l’expression de la volonté générale, c’est-à-dire de la pluralité, et prétendre en même temps que dix volontés individuelles peuvent balancer mille volontés particulières ? N’est-ce pas s’exposer à laisser faire la loi par la minorité, ce qui est évidemment contre la nature des choses ? Si ces principes, tout certains qu’ils sont, sortent un peu trop des idées communes, je rappellerai le lecteur à une comparaison qui est sous ses yeux. N’est-il pas vrai qu’il paraît juste à tout le monde, excepté à m l’évêque de Nev, que l’immense bailliage du Poitou ait plus de représentants aux états généraux que le petit bailliage de Gex ? Pourquoi cela ? Parce que, dit-on, la population et la contribution du Poitou sont bien supérieures à celles de Gex. On admet donc des principes d’après lesquels on peut déterminer la proportion des représentants. Voulez-vous que la contribution en décide ? Mais quoique nous n’ayons pas une connaissance certaine de l’imposition respective des ordres, il saute aux yeux que le tiers en supporte plus de la moitié. |
Le Mespris de la vie et consolation contre la mort/« Souvente-fois l’esclat d’un penchant édifice » | Jean-Baptiste Chassignet Le Mespris de la vie et consolation contre la mort Le Mespris de la vie et consolation contre la mort, Nicolas de Moinge, 1594 (p. 40). collectionLe Mespris de la vie et consolation contre la mortJean-Baptiste ChassignetNicolas de Moinge1594BesançonCChassignet - Le mespris de la vie et consolation contre la mort, 1594.djvuChassignet - Le mespris de la vie et consolation contre la mort, 1594.djvu/440 Souvente-fois l’esclat d’un penchant édifice Mon oreille à frappé, jay veu souvente-fois Au-devant de mon huis un funebre convois Presenter à Pluton ses pleurs en sacrifice, Souventefois la nuit des voluptez nourrice A plusieurs miens amis à fait perdre la vois, Et presque entre mes mains leur à couppé les doigs, Et le bourreau conduit mes voisins au supplice : Je m'esbais comment tant de perils divers Sont approchez de moy, & tombant à l'envers Quant ils m'ont apperceu, font tournez en arriere. Pourtant, cher Romanet, ne me repute heureus Encore ay je à passer le saut plus dangereus, Le jour n'est point finis avant l'heure derniere. |
Jean de Rotrou-Oeuvres Vol.5-1820.djvu/366 | nées,
Par qui las de régner, voir le règne suivant,
Me le perpétuer, et renaître vivant,
Par qui laissant l'État, en demeurer le Maître,
Et c'est vous, Mardesane, en qui je veux renaître ; [550]
Soutenez bien le bras, qui vous couronnera,
C'est un prix que je dois, à l'amour de Syra ;
Remplissez dignement, le trône, et notre attente,
Et représentez bien, celui qui vous présente.
Je suis à vous, Grand Prince, et je serais jaloux, [555]
Qu'un autre eût plus de zèle, et plus d'ardeur pour vous ;
Je sais, ce que je dois à votre amour extrême,
J'en ai le témoignage, et le gage en moi-même ;
Et quand dès le berceau, vous m'auriez couronné,
En me donnant le jour , vous m'avez plus donné ; [560]
À quoi donc, puis-je mieux, en employer l'usage,
Et destiner mes soins, qu'au soutien de votre âge ?
Occupez-les, Seigneur, j'en serai glorieux,
Le faix de vos travaux, me sera précieux,
Mais, m'en donnant l'emploi, demeurez-en l'arbitre, [565]
Commettez le pouvoir, mais retenez le titre ;
Ou si vous dépouillez, le titre, et le pouvoir,
Voyez, qui justement, vous en devez pourvoir.
Par la loi de l'État, le sceptre héréditaire,
Doit tomber de vos mains, en celles de mon frère ; [570]
Comblez-le des bontés, que vous avez pour moi.
La loi, qu'impose un père, est la première loi.
Vains sentiments de mère, importune tendresse !
On reçoit vos faveurs, avec tant de faiblesse !
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François Guizot | ◄ Auteurs G Fac-similés Biographie Citations Médias Données structurées historien, traducteur et homme politique français (1787 – 1874) Nouveau dictionnaire universel des synonymes de la langue française (1809) Des conspirations et de la justice politique (1821) Étude sur Shakespeare (1821) Histoire générale de la civilisation en Europe depuis la chute de l’empire romain jusqu’à la Révolution française, ou Cours d'histoire moderne (1838) Discours sur les fortifications de Paris (1841) Sir Robert Peel (1859) Mémoires pour servir à l'Histoire de mon temps (1858-1867) Encyclopédie progressive Parus dans la Revue des Deux Mondes : Historiens modernes de la France (mars 1852) L’Amour dans le mariage (mars 1855) Sir Robert Peel (4 parties – 1856) La Belgique et la roi Léopold en 1857 (juillet 1857) Madame Récamier (novembre 1859) Le Roi Louis-Philippe et l'empereur Nicolas (1841-1843) (janvier 1861) Un Projet de Mariage royal (juillet 1862) La Génération de 1789 (février 1863) La Science et le Surnaturel, méditations sur le christianisme (juillet 1864) M. de Barante, Souvenirs de famille, sa Vie et ses Oeuvres (juillet 1867) La Comtesse de Boigne, romancière (octobre 1867) La France et la Prusse responsables devant l'Europe (septembre 1868) Le Christianisme et le Spiritualisme (septembre 1869) Le duc Victor de Broglie (2 parties, sept-octobre 1871) Madame Récamier et ses amis (février 1873) La Démocratie et la société française Essais et Notices – L’histoire de France, depuis les temps les plus reculés jusqu’en 1789 Écrivains contemporains - M. Vitet, sa vie et ses œuvres (mars 1874) Essais et Notices – L’Histoire de France racontée à mes petits-enfans Grégoire de Tours Histoires (Histoire des Francs) William Shakespeare Beaucoup de bruit pour rien Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 3.djvu Coriolan Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain, 1819 Tome premier Tome deuxième Tome troisième Tome quatrième Tome cinquième Tome sixième Tome septième Tome huitième Tome neuvième Tome dixième Tome onzième Tome douzième Tome treizième Collection des mémoires relatifs à l'histoire de France (1823) – Tome I Notice sur Grégoire de Tours Grégoire de Tours – (Traduction : Livres I à VIII) Collection des mémoires relatifs à l'histoire de France (1823) – Tome II Grégoire de Tours – (Traduction : Livres IX et X) Notice sur Frédégaire – Traduction : Chronique de Frédégaire Notice sur la vie de Dagobert ier – Vie de Dagobert ier Notice sur la vie de Saint Léger – Vie de Saint Léger Notice sur la vie de Pépin le vieux – Vie de Pépin le vieux Parus dans la Revue des Deux Mondes : Lettres sur les hommes d’État de France — V. François Guizot, article de François-Adolphe Loève-Veimars, « Revue des Deux Mondes », n°2, 1834 Académie française — Réception de M. Guizot, article de Gustave Planche, « Revue des Deux Mondes », n°9, 1837 Nouvel écrit de M. Guizot, article anonyme, « Revue des Deux Mondes », n°14, 1838 La Restauration des Stuarts, à propos du Richard Cromwell de M. Guizot / Louis Vitet De la Philosophie de l'histoire contemporaine, à propos des Mémoires de M. Guizot / Ernest Renan La Monarchie de 1830 et les Mémoires de M. Guizot / Louis Vitet La Science et la Foi à propos des Méditations de M. Guizot / Louis Vitet Les Epreuves du régime constitutionnel – M. Guizot et ses Mémoires / Charles de Mazade Le Christianisme et la Société française à propos du livre de M. Guizot / Albert de Broglie Une nouvelle Histoire de France, de M. Guizot / Louis Vitet Guizot / Émile Faguet Guide bibliographique de la littérature française de 1800 à 1906 (1907), par Hugo P. Thieme |
John Nelson Darby | ◄ Auteurs D Fac-similés Biographie Citations Médias Données structurées fondateur du darbysme et prédicateur protestant anglais (1800 – 1882) Le Nouveau Testament, édition de 1859. Le Nouveau Testament, édition de 1872. La Sainte Bible : Ancien Testament et Nouveau Testament, édition de 1885. La Sainte Bible : Ancien Testament et Nouveau Testament, édition de 1885. De la doctrine des Wesleyens à l’égard de la perfection, 1840. Sur la formation des églises, 1841. Réponse à l'écrit anonyme intitulé : de la formation des églises, par Auguste Rochat, 1828. Quelques développements nouveaux sur les principes émis dans la brochure intitulée : De la formation des églises, 1841. Vues Scripturaires sur la Question des Anciens en réponse à l’écrit intitulé : Faut-il Établir des Anciens ?, 1849. Remarques sur la brochure de M. Fr. Olivier intitulée Essai sur le Royaume de Dieu, 1843. Coup-d’œil sur divers principes ecclésiastiques, 1848. L’Église et le morcellement amical, 1849. Court, mais sérieux examen des principes fondamentaux émis par M. Gaussen, dans son livre intitulé : Daniel le Prophète, 1850. Appel à la conscience de ceux qui prennent le titre d’Anciens, 1852. Les Frères de Plymouth et John Darby, leur doctrine et leur histoire, par Johann Jakob Herzog, 1845. Le plymouthisme d’autrefois et le darbysme d’aujourd'hui, par F. Estéoule, 1858. Affaire de Plymouth et de Béthesda, par W. Trotter, 1858. |
Revue de Paris - 1902 - tome 2.djvu/816 | hasard, parce que la maladie a ruiné l’organisme cérébral de Nietzsche quelques semaines ou quelques mois trop tôt ? Ou bien est-elle restée inachevée parce qu’il ne pouvait pas en être autrement, parce que l’œuvre dépassait les forces de l’auteur, parce que Nietzsche était condamné par la fatalité même de sa constitution physique et intellectuelle à n’être jamais qu’un dilettante très intelligent ; si bien que l’avortement de ''la Volonté de puissance'' serait en quelque sorte le symbole visible de la banqueroute spirituelle de la philosophie du Surhomme ? Je me demande si l’on peut choisir entre ces deux hypothèses autrement qu’en vertu de préférences tout individuelles, en vertu du plus ou moins de sympathie instinctive que nous inspire le tempérament intellectuel tout entier de Nietzsche. Mais dans tous les cas ''la Volonté de puissance'' — ébauche interrompue d’une géniale cosmologie, ou tragique effondrement d’un cerveau surmené que va terrasser la maladie — est une de ces œuvres « problématiques », qui captivent ceux-là mêmes qui les combattent, et dont Nietzsche lui-même a analysé, dans un bel aphorisme, le charme subtil et un peu pervers : « Nous sommes Immoralistes, dit-il ; nous sommes aujourd’hui la seule puissance qui n’ait pas besoin d’alliés pour vaincre ; car nous sommes de beaucoup les plus forts d’entre les forts. Nous n’avons même pas besoin de mensonge : or quelle autre puissance pourrait s’en passer ? Nous avons pour nous une séduction puissante, la plus puissante peut-être qui soit au monde : la séduction de la vérité... De la vérité ? Mais qui ose bien me mettre ce mot sur les lèvres ? Or donc, je l’en bannis ; je dédaigne ce mot orgueilleux. Non, la vérité aussi, nous pourrions nous en passer ; même sans elle nous pourrions conquérir le pouvoir et la victoire. Le sortilège qui combat pour nous, l’œil de Vénus qui séduit et aveugle nos ennemis mêmes, c’est la ''magie de l’extrême'', le charme aux effets souverains : nous autres immoralistes, nous sommes ''les plus avancés''... »
{{d|{{sc|henri lichtenberger}}|2}}
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<references/> |
Le Mespris de la vie et consolation contre la mort/« Ô sombre aveuglement du jugement humain » | <poem> Jean-Baptiste Chassignet Le Mespris de la vie et consolation contre la mort Le Mespris de la vie et consolation contre la mort, Nicolas de Moinge, 1594 (p. 35). collectionLe Mespris de la vie et consolation contre la mortJean-Baptiste ChassignetNicolas de Moinge1594BesançonCChassignet - Le mespris de la vie et consolation contre la mort, 1594.djvuChassignet - Le mespris de la vie et consolation contre la mort, 1594.djvu/435 XXII. O sombre aveuglement du jugement humain : Le cors devers sa fin à toute heure balance A toute heure la mort cite en derniere instance, Et nous osons promettre un ferme lendemain ; Autant comme se peut de nostre àge incertain Estendre le passage, autant par esperance Nous nous en promettons, & n'est telle puissance Qui des ambicieus refrene le dessein. O sottize du monde, ô vanité des hommes Plus voisins du tombeau de jour en jour nous sommes, Et chaque heure nous pousse au lieu ds trespassez. Nous vivons pour mourir, & sur le point extreme De la mort de ce cors, & quant nous mourons mesme Mal-heureus avortons rien ne nous semble assez. |
Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 11.djvu/413 | {{tiret2|ser|vice}} des peuples, et n’employa jamais à la dépense de sa frugale maison que le revenu du bien qu’il avait acheté de sa part légitime du butin fait sur l’ennemi. La sultane favorite avait montré le plus vif désir d’obtenir un objet de parure. « Hélas ! lui répondit le monarque, je crains Dieu, et je ne suis que le trésorier des musulmans. Leurs richesses ne m’appartiennent pas ; mais je possède encore trois boutiques dans la ville de Hems, vous pouvez en disposer, et je ne puis donner autre chose. » Sa chambre de justice était la terreur des grands et le refuge des pauvres. Quelques années après la mort du sultan, un citoyen opprimé sortit dans la rue en s’écriant : « Ô {{Hwp|Nur ad-Din|Noureddin}} ! Noureddin ! qu’es-tu devenu ? Prends pitié de ton peuple, et viens le secourir. » On craignit un tumulte, et un tyran sur son trône rougit ou trembla au nom d’un monarque qui avait cessé de vivre.
{{HdcerHors|Conquête de l’Égypte par les Turcs. A. D. 1163-1169.|ch59.13}}
Les armes des {{Hwp|Turcs (peuple)|Turcs}} et celles des {{Hwp|Francs|Francs}} avaient chassé les {{Hwp|Fatimides|fatimites}} de la {{Hwp|Syrie|Syrie}} ; mais le déclin de leur réputation et de leur influence en Égypte eut des suites encore plus importantes. On les respectait comme les descendans et les successeurs du prophète. Renfermés invisiblement dans le palais du {{Hwp|Le Caire|Caire}}, leur personne sacrée était rarement profanée par les regards, soit de leurs sujets, soit des étrangers. Les ambassadeurs<ref name=p405>D’après le récit de l’ambassadeur, {{Hwp|Guillaume de Tyr|Guillaume de Tyr}} (l. {{rom2|XIX|19}}, c. 17, 18) décrit le palais du Caire. On trouva dans</ref> latins ont décrit la céré-<references/><references group=f/> |
Boisacq - Dictionnaire etymologique grec - 1916.djvu/42 | {{nr||— 8 —}}ù^Xaôç,, n et -6ç, -6v ’brillant, éclatant, splendide’ ; â^Xaia f.
■"éclat, beauté, parure’ ; ùfXailuu ’parer, orner ; intr. briller’ ;
ctYXaupoç ’brillant’ (Nie. Ther. 62) ; cf. ’AfXaîa ’la Claire’,
déesse du ciel clair et ensoleillé invoquée par le campagnard,
"A^Xciupoç (seule forme épigr. ; aussi "AxpauXoç par méthathèse
des licjuides) une des trois filles de Kékrops, cf. Usener Gcitternamcn
135 sq. < *àYXaFoç, cf. Y^ctuKÔç.
aYXïç, -ï9oç f. ’gousse d’ail’. Cf. féX^lc,, -i6oç m /sens, lequel est
pour *YeX-YXïO- par dissimilation progressive.
ctYVOç f. et m. ’agnus castus’ ou ’gattilier’ arbrisseau de la famille
des Verbénacécs. < hébr. *’egen pour *’agn ; il y a un thème
’àgan ’se tenir cachées ou enfermées’ (femmes), or Tciyvoç jouait
un rôle aux thesmophories et chez les Vestales. Lewy Fremdw.
50 J ?]. — Etyni. obscure. Le latin agnus-castus repose à la fois
sur une confusion (ctYVOç interprété bomme qyvoç) et un emprunt ;
-— ail. heusclilamm, cf. Kluge^ 204.
dYVOç m. nom d’un poisson (Atli. 356 A). Etym. inconnue.
aYVÔç. Voy. ctYioç.
ctYVûjLii ’briser’ (hom. è’dHa èdYnv, fjHe Y 392. t 539 à lire êaHe,
att. èdYnv < *n-FdYriv ou par influence du pf. è’ctYa. Brugmann
Gr. Gr. =^264) ; dYn f. ’fragment, éclat ; endroit où se brisent
les vagues’ ; îuuYn f. ’refuge, abri contre le vent’ (< *Fi-FtjuY-n
Lobeck Prolegg. 307. Curtius^5T6. de Saussure Mémoire
155. G. Mcyer ^ 88). < *FaYvO|Lii. On est porté à admettre
la chute indo-européenne de r, sous certaines conditions, dans
le groupe initial cons. + r, p. ex lat. fungor : fruor frugês
got. hrûhjtm ’avoir besoin, se servir de’ ; skr. hhanâlil ’briser’
arm. hekanem ’je brise’ : lat. frangô got. hrïka ’je brise’ ; gr.
*FaYvO|Lii : Fpr|Yvû|ai néerl. wrak ’débris’ (d’un vaisseau) ; gr.
7T0TI : TTpoTÎ ; ags. specan ’parler’ : v. h. a. sprehhau. Sur cette
question voy. Brugmann Grdr. 1- 426 et ses références i).
corrige en àYKaa’(i), dat. pi. de àYKuûv avec a < p analogue à cppaoi
<.*(ppnai de qpprjv. Brugmann MU. III 69 n. oppose le parallélisme
àYKdç : ÔYKaeev = éKdç : ëKoBev. J. Schmidt Pluralbild. 344 per.siste.
1) Le groupement de Fick * I 541 (ef. PrellwitzS) gr. dYn lat.
vagus ’errant’ vagor ’error’ lit. ragiù vôgti ’dérober’ etc. ne satisfait
pas la sémantique.
<references/> |
Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/35 |
{{c|LIVINGSTON|fs=300%}}
{{C|SA VIE ET SES TRAVAUX.<ref>Cette notice a été lue hier à la séance de l’Académie des Sciences morales et politiques.</ref>|fs=200%|mt=2em}}
En peu d’années, l’Académie a fait des pertes considérables. La mort l’a frappée coup sur coup. Un de ses membres les plus jeunes lui a été enlevé. Nous avons vu disparaître la plupart des hommes illustres qui remontaient, par leur gloire comme par leur âge, jusqu’à l’autre siècle et qui laissent notre Académie, ainsi que notre temps, privés de leurs grands noms. La génération créatrice à laquelle ils appartenaient, et dont vous conserviez les précieux restes, n’aura bientôt plus d’autre asile que l’histoire.
Les trois derniers représentans d’une école philosophique célèbre, Garat, Destutt de Tracy, Laromiguière, sont morts à peu de distance l’un de l’autre. Nous avons vu s’éteindre, au retour de l’exil, la forte intelligence de Sieyes, et, peu de temps après, l’esprit brillant de Rœderer. Plus récemment encore, la tombe s’est ouverte pour le savant diplomate que nous avons entendu louer par celui-là même qui avait pu le mieux apprécier ses mérites, et nous sortons à peine d’accompagner les restes du grand politique qui a voulu, pour ainsi dire, en prononçant cet éloge, terminer, au sein de l’Institut, une vie mêlée à toutes les pensées d’un demi-siècle, sans être dominée par ses vicissitudes.
Nos pertes extérieures n’ont pas été moins grandes. Un économiste profond, Malthus ; un historien politique, {{M.|Ancillon}} ; un législateur habile, {{M.|Livingston}}, ont étendu notre deuil en Europe et
<references/> |
Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 12.djvu/296 | avoir écarté des monumens qui nous en restent, ces fables monstrueuses d’hommes avec des têtes de chien et des pieds fourchus, nous trouverons que quinze ans après la mort de {{Hwp|Gengis Khan|Gengis}}, les Mongouls connaissaient le nom et les mœurs des {{Hwp|Samoyèdes|Samoïèdes}}, qui habitent aux environs du cercle polaire, dans des huttes souterraines, et ne connaissent d’autre occupation que la chasse, dont ils tirent leur nourriture et les fourrures qui leur servent de vêtemens<ref>''Voy.'' dans {{Hwp|Richard Hakluyt|Hackluyt}} la relation de {{Hwp|Jean de Plan Carpin|Carpin}}, v. {{rom2|I|1}}, p. 30. {{Hwp|Abulghazi Bahadur|Abulghazi}} donne la généalogie des kans de Sibérie (part. {{rom2|VIII|8}}, pag. 485-495). Les Russes n’ont-ils trouvé aucune chronique tartare à {{Hwp|Tobolsk|Tobolsk}} ?</ref>.
{{HdcerHors|Les successeurs de Gengis. A. D. 1217-1259.|ch64.14}}
Tandis que les {{Hwp|Mongols|Mongouls}} et les {{Hwp|Tatars|Tartares}} envahissaient à la fois la {{Hwp|Chine|Chine}}, la {{Hwp|Syrie|Syrie}} et la {{Hwp|Pologne|Pologne}}, les auteurs de ces grands ravages se contentaient d’apprendre et de s’entendre dire que leur parole était le glaive de la mort. De même que les premiers califes, les premiers successeurs de Gengis parurent rarement en personne à la tête de leurs armées victorieuses. Sur les bords de l’{{Hwp|Ona (Ouda)|Onon}} et du {{Hwp|Selenga|Selinga}}, ''la horde dorée'' ou royale présentait le contraste de la grandeur et de la simplicité, d’un repas de mouton rôti et de lait de jument, et de cinq cents chariots d’or et d’argent distribués dans un seul jour. Les princes de l’Europe et de l’Asie furent contraints d’envoyer des ambassadeurs, ou d’entreprendre eux-mêmes ce long et pénible voyage. Le trône et la vie des grands-ducs de {{Hwp|Rus' de Kiev|Russie}}, des rois de la {{Hwp|Géorgie (pays)|Géorgie}} et<references/><references group=e/> |
Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 12.djvu/333 | vaient à sa raison et à ses forces. Il priva son fils bien-aimé, son collègue et son successeur, d’une jeune et belle princesse de {{Hwp|Trabzon|Trébisonde}} ; et tandis que le vieillard épuisé s’efforçait de consommer son mariage, le jeune {{Hwp|Manuel II Paléologue|Manuel}} se rendait aux ordres de {{Hwp|Sublime Porte|la Porte ottomane}}, suivi de cent Grecs des plus illustres maisons. Ils servirent avec honneur dans les armées de {{Hwp|Bajazet Ier|Bajazet}} ; mais l’entreprise de rétablir les fortifications de Constantinople irrita le prince ottoman, il menaça leur vie ; on démolit aussitôt les nouveaux ouvrages, et c’est peut-être faire trop d’honneur à la mémoire de {{Hwp|Jean V Paléologue|Jean Paléologue}} que d’attribuer sa mort à cette dernière humiliation.
{{HdcerHors|L’empereur Manuel, A. D. 1391-1425, Juillet 25.|ch64.38}}
Manuel, promptement averti de cet événement, s’échappa secrètement et en diligence du palais de {{Hwp|Bursa|Bursa}} et prit possession du trône de Constantinople. Bajazet, affectant de mépriser la perte de ce précieux otage, poursuivit ses conquêtes en Asie et en Europe, tandis que le nouvel empereur de Byzance faisait la guerre à son neveu, Jean de {{Hwp|Silivri|Sélymbrie}}, qui défendit durant huit années ses droits légitimes à la succession des restes de l’empire. Le victorieux sultan voulut enfin terminer ses exploits par la conquête de Constantinople ; mais il se rendit aux représentations de son visir, qui lui fit craindre que cette entreprise n’attirât contre lui une seconde et plus redoutable croisade de tous les princes de la chrétienté. {{HdcerEn|Détresse de Constantinople. A. D. 1395-1402.|ch64.39}}Bajazet écrivit à l’empereur grec une lettre conçue dans ces termes : « Par la faveur divine, notre invincible cimeterre a réduit sous notre obéissance presque toute<references/><references group=e/> |
Fragment d’un voyage au Saubat | M. Andrea Debono Fragment d’un voyage au Saubat Traduction par G. Lejean. Le Tour du monde, Volume 2, 1860 (p. 348-352). journalLe Tour du mondeFragment d’un voyage au SaubatM. Andrea DebonoG. LejeanLibrairie Hachette et Cie1860ParisVVolume 2Fragment d’un voyage au SaubatLe Tour du monde - 02.djvuLe Tour du monde - 02.djvu/431348-352 (AFFLUENT DU NIL BLANC) PAR M. ANDREA DEBONO. 1855 ...Le 23 décembre 1854, je quittai Khartoum avec une duhabié et un sandal montés par soixante-sept personnes, pour tenter la fortune au Saubat, jusqu’alors à peu près inconnu. J’arrivai le 1er janvier, après une navigation absolument dépourvue d’incidents, à l’embouchure de cette rivière. Le vent était favorable, mais le Saubat fait tant de détours qu’il me fallut plusieurs fois marcher à la cordelle. Nous voyageâmes toute la huit, et le 2 à midi j’atteignais l’établissement que j’avais formé l’année précédente, et où m’attendait mon agent, M. Terranova. Après avoir réglé en cet endroit mes affaires commerciales, je repartis le 4, et naviguai trois jours dans les mêmes conditions que j’ai dites en commençant, tantôt à la voile, tantôt à la cordelle. Les villages des Dinkas, qu’on ne voit pas à l’entrée du fleuve, parce que les marais empêchent les noirs d’habiter sur cette partie du Saubat, commencèrent le 4 et les jours suivants à se montrer sur la droite. Le 8, les villages dinkas disparurent pour faire place à ceux des Schelouks, peuples qu’il ne faut pas confondre avec ceux qui habitent sur le fleuve Blanc. Ceux du Saubat obéissent à un sultan qui demeure dans la tribu même : ils ont des cases en paille et des pirogues faites d’un seul tronc d’arbre, qui leur servent, lors des incursions de leurs terribles voisins les Nouers, à se sauver sur le fleuve avec leurs familles et leur mobilier, tant que dure la razzia. Le 10, les nombreux détours du fleuve, qui avaient presque cessé depuis deux jours, recommencèrent à ralentir notre navigation. Le lendemain, je trouvai sur la rive gauche un grand rassemblement de Nouers, et comme j’entrai en relation avec eux pour un achat de bétail, ils me proposèrent de me réunir à eux pour écraser toutes les autres tribus du Saubat, leur enlever leurs enfants et leurs troupeaux, et partager les profits. Ils prétendaient former une masse de cinquante mille guerriers, et ajoutaient qu’ils pouvaient sextupler ce nombre, sans compter les femmes et les enfants qui les suivent toujours à la guerre, suivant l’usage du pays. Il est vrai qu’alors le vaincu perd non-seulement la bataille, mais encore sa famille et son bétail. Sans discuter leurs exagérations, je leur répondis que je n’étais pas venu au Saubat pour faire la guerre, mais pour acheter de l’ivoire ; et me voyant résolu à refuser leur étrange proposition, ils se bornèrent à me demander ma neutralité dans la guerre qu’ils allaient faire aux Schelouks, ce que je leur promis aisément. Ils étaient persuadés qu’avec le secours d’une troupe d’hommes armés de fusil ils seraient invincibles. Nous continuâmes à voyager sans autres incidents, le cours du fleuve continuant à être sinueux. Le 15, le chef d’un village ou je m’arrêtai pour acheter une dent d’éléphant me dit qu’un des hommes du sandal, que j’avais envoyé en avant, avait tué involontairement d’un coup de feu un de ses hommes, et il me pria de donner quelques verroteries au père du défunt, qu’il me présenta. Cet homme me parut médiocrement affligé, et je soupçonnai une fraude, d’autant plus qu’une femme dit à mon drogman que le défunt avait été frappé par les Nouers, et non par mes hommes. Je donnai cependant les verroteries demandées, et le soir, ayant rejoint le sandal, je pris des informations qui me convainquirent que la réclamation était fondée. La femme qui avait dit le contraire avait probablement obéi a un sentiment de jalousie. 15 janvier. — Arrivée chez le Djak ou chef de la tribu ; il me fit présent d’une dent d’éléphant du poids de vingt livres, et d’une peau de tigre. Pour ne pas demeurer en reste de politesse, je lui donnai sur-le-champ un habillement complet, c’est-à-dire une chemise, un tarbouch et une paire de chaussures. Je restai quelques jours chez ce chef, qui me pria instamment de lui laisser un poste permanent pour le protéger contre les Nouers. Je lui promis de satisfaire à son vœu lorsque je repasserais en cet endroit, à mon retour, mais j’ajoutai qu’en ce moment j’avais besoin de tout mon monde pour aller en avant. Il m’en dissuada en me disant que plus loin je risquerais de trouver le fleuve à sec ; mais, comme je savais le penchant des noirs à mentir à tout propos, je n’en crus rien, et l’on verra plus loin si j’eus raison. 19 janvier. — Départ après midi, avec la dahabie, pour me rendre chez le vieux sultan des Schelouks. Le soir, je laisse à gauche le premier affluent du fleuve, nommé Nùol Dei. 20 janvier. — Nous continuons à marcher tout le jour par un bon vent, en laissant à droite les Nouers, à gauche les villages des Schelouks. Le bras du fleuve appelé Djibba reste sur notre droite. Le lendemain, à onze heures, nous rencontrons le troisième bras, nommé Nikana, et une heure plus loin un village, où nous nous arrêtons un instant pour faire nos achats. 22 janvier. — Nous arrivons chez le vieux sultan Luol Anian, et je trouve le sandal, que j’avais envoyé en avant. Ce n’est que le jour suivant que je puis voir le roi : vers midi, il arrive près de la barque portant à la main une branche verte et suivi de beaucoup de ses gens. Il ne se prête qu’avec défiance à entrer dans la dahabié, n’ayant jamais vu jusque-là de barques de cette espèce. Ici, comme chez le Djak, le chef échangea avec moi quelques présents et me demanda de l’aider contre les Nouers qui faisaient des razzias terribles sur son territoire, enlevant les bœufs et massacrant tout ce qui était capable de porter une lance. J’éludai sa demande, et il me répéta ce qui m’avait déjà été dit de la prochaine baisse des eaux. Mais d’une part il y avait plus de dix pieds d’eau à l’endroit où je me trouvais, et il me semblait impossible qu’un pareil fleuve pût se dessécher tout à coup ; d’autre part, je voulais arriver aux montagnes des Berris, qui, selon mon estimation, ne devaient pas être fort loin. Je savais qu’en 1852 le missionnaire D. Angelo Vinco y était allé de Bélénia, et rapportait avoir passé un fleuve étroit et profond, qui ne pouvait être que le Saubat ; et ce fut cette idée fixe d’aller chez les Berris qui me décida à partir sans retard. 26 janvier. — Arrivée chez le second sultan, nommé Adam Adaboukadj. Je m’y arrête deux jours, nous échangeons les présents d”usage, et le 28, je continue ma route. Je passe devant un bras du fleuve qui va rejoindre le Nikana ; le lendemain, je me trouve en face de deux autres bras considérables, remontant l’un vers les Djebbas, l’autre dans la direction des Bondjaks. Je suis ce dernier. 1er février. — À peine arrivé dans le Bondjak, je rencontrai successivement plusieurs écluses faites par les noirs en travers de la rivière, et garnies de nasses pour prendre le poisson. L’eau avait, dans cette partie, six à sept brasses de profondeur. Les noirs essayèrent de me détourner de franchir les écluses, en me disant qu’avant un mois je me trouverais à sec dans ce canal ; mais leur intérêt était trop évident pour me permettre de croire à leur dire. J’aurais voulu éviter de détruire les travaux de ces braves gens : cependant j’avais besoin de passer à tout prix ; je fis donc faire à la première écluse une ouverture suffisante pour donner passage aux deux barques et rien de plus, et je la franchis, poursuivi par les clameurs des noirs, qui s’empressèrent de rétablir la clôture derrière nous. Les écluses suivantes furent franchies de même. Nous naviguâmes ainsi du 1er au 9 février, et à cette dernière date nous atteignîmes les derniers villages des Bondjaks, au delà desquels j’appris qu’il n’y avait plus d’habitations sur le fleuve. J’ouvris des relations avec les chefs de la tribu, et en même temps je fis demander l’autorisation d’envoyer un agent au sultan des Bondjaks, qui demeurait dans l’intérieur, au village de Nikana. Je passai plusieurs jours au même lieu dans une inaction forcée. 1er mars. — Je reçois un chef qui me dit : « Entre nous autres rois, on se fait des présents et non des achats. » Et il m’offrit en effet quelques présents, que je rendis généreusement. Il m’apportait en outre une réponse affirmative à ma demande, et je fis immédiatement choix des gens qui devaient accompagner à Nikana mon agent Terranova. Mon « ambassadeur » et sa suite se mirent en route au matin, traversèrent plusieurs villages, et le soir ils arrivèrent au village royal. Le sultan leur assigna immédiatement un terrain pour planter leur camp, et fit défense à tous ses sujets d’aller voir les étrangers avant qu’il ne leur eût fait lui-même sa visite. Ils n’en furent pas moins assiégés par des curieux qui n’avaient jamais vu de blancs, et qui exprimaient par leurs gestes à quel point la couleur et le costume des nouveaux venus leur paraissaient étranges et même ridicules ; mais le roi, informé de cette curiosité indiscrète, en punit les auteurs par la perte de tous leurs bestiaux. Au matin, le sultan fit envoyer à Terranova et à ses gens une grande jarre de lait et un bœuf pour leur nourriture, et fit tendre de peaux de panthères tout l’espace compris entre la tente de mes hommes et sa case royale. Puis il arriva avec une suite de deux cents hommes, dont quelques-uns portaient des siéges pour son usage ; il s’assit en appuyant ses deux pieds sur deux de ses chefs couchés à terre, et leur cracha à la figure. Bien loin de s’offenser, les deux siéges vivants se frottèrent respectueusement toute la figure avec le royal cosmétique ; puis l’autocrate daigna demander à mon agent par quel motif il avait quitté son pays pour venir jusque chez les Bondjaks. Terranova lui répondit qu’il n’avait eu d’autre intention que de venir faire le commerce avec sa tribu. « Les sultans font des présents et pas de commerce », répondit le roi, comme l’avait déjà fait son subordonné les jours précédents ; et il accompagna cette fière parole du don de deux fort belles dents d’éléphant, en retour desquelles Terranova lui fit quelques cadeaux. Mon agent crut l’occasion favorable pour lui demander l’autorisation d’établir dans le village un poste fixe pour le commerce de l’ivoire ; le roi lui dit que cette denrée manquerait jusqu’à la saison prochaine, et lui fit comprendre qu’il ne tenait nullement à avoir près de lui un établissement permanent de ce genre. 1er avril. — J’essaye de sortir de l’espèce de prison où la baisse des eaux m’a enfermé ; mais à peine avons-nous commencé à marcher que nous touchons à un banc de sable. La barque, remise à flot avec beaucoup de peine, touche une seconde, puis une troisième fois ; nous sommes forcés de passer la nuit à l’endroit où nous sommes restés ensablés. Le lendemain 2, grands débats avec les noirs que j’ai réunis pour dégager les barques ; ils demandent à être payés d’avance. L’arrivée d’un chef envoyé par le sultan complique encore les difficultés : ce digne homme va trouver un des chefs réunis en face de nous et l’engage à tomber avec tous ses hommes sur ma troupe pendant qu’elle est dans l’eau, occupée à dégager la barque, lui promettant une victoire facile et de gros profits. Le chef, loin d’écouter ce conseil de brigand, en avertit notre drogman ; je fais aussitôt mettre mon monde sous les armes, et pointer ostensiblement un canon chargé à mitraille pour effrayer les groupes, qui, en effet, se reculent un peu, et j’obtiens pour ce jour un peu de tranquillité. 3 avril. — Les noirs, en tenue de guerre, continuent à s’attrouper autour des barques. Je ne voulais nullement ouvrir le feu contre eux, mais d’autre part il m’importait beaucoup de les intimider. Voici le parti auquel je m’arrêtai : je leur fis dire que j’étais venu pour faire le commerce et nullement pour me battre, mais que j’avais des armes à feu plus redoutables que leurs lances, car elles perçaient leurs boucliers ; et pour en donner la preuve, je fis poser deux boucliers l’un sur l’autre, et je fis tirer un coup de fusil. La balle les traversa tous deux. Je pus constater avec plaisir que cet avertissement leur inspirait des réflexions salutaires, et je n’eus plus à craindre de trahison. Je maintins cependant bonne garde toutes les nuits ; mon agent et moi nous faisions nous-mêmes le quart pour empêcher nos Barbarins de s’endormir, car, musulmans et par conséquent fatalistes, ces gens ne prennent aucune précaution et laissent tout aller, comme ils le disent, « à la garde de Dieu. » Nous perdîmes en ce lieu plusieurs jours, et ce fut seulement le 8 que je pus faire exécuter, par nos hommes et par les noirs payés à grand renfort de verroteries, un barrage à travers la rivière pour maintenir nos barques à flot. Voici l’opération que j’exécutai, et dont je donne ici le détail pour ne pas avoir à y revenir. Mon dessein était d’arriver, de quelque manière que ce fût, au point de la rivière où les eaux étaient encore assez hautes pour me permettre de passer. Pour cela, je m’imaginai de faire un premier barrage, puis un second au-dessous, et de rompre ensuite le premier pour faire passer par la brèche mes deux barques au courant de l’eau. Du second barrage, je passai à un troisième, et ainsi de suite, comme à travers autant d’écluses. Un travail aussi colossal m’eût été impossible et exécuter dans tout autre pays ; mais à cette époque la verroterie n’était pas encore aussi dépréciée parmi les noirs qu’elle l’est aujourd’hui ; il ne m’en coûta qu’un certain nombre de caisses de cette denrée, ce qui ne laissa pas que d’être encore extrêmement ruineux pour moi. En outre, tant de dépenses et d’efforts furent en pure perte. 9 avril. — La solitude s’est faite autour de nos barques : je ne vois plus à peu près personne. Je ne tarde pas à en apprendre la cause. Les Nouers ont exécuté une razzia sur les Bondjaks, et leur ont enlevé du bétail ; à l’approche de ces terribles ennemis, les Bondjaks se sont retirés sans essayer de résistance. Ces Nouers sont la terreur de tous les riverains du fleuve Blanc, même des Schelouks, et il suffit de deux Nouers pour mettre en fuite la population d’un village tout entier. 12 avril. — Première pluie attendue avec bien de l’impatience : les eaux montent d’une demi-brasse, mais cette hausse ne se soutient pas, les eaux redescendent, et j’en suis pour ma fausse espérance. Les jours suivants se passent dans les mêmes alternatives. Le 1er mai, je me décide à aller à la découverte ; je remonte le fleuve par terre, et au bout d’une demi-heure je trouve un lit parfaitement à sec : le peu d’eau qui fait flotter mes barques n’est retenu que par mon dernier barrage. Je visite nos magasins : nous n’avons de vivres que pour un mois, et nul espoir de sortir de cette impasse avant bien longtemps ! Tel est, en définitive, l’aspect réel du Saubat, de ce fleuve que l’Allemand Russegger, voyageur exact et consciencieux pourtant, a confondu avec le vrai Nil Blanc, et que des géographes encore plus récents regardent comme le cours inférieur du Godjob de l’Énaréa. Il est difficile de concevoir comment ce dernier fleuve, qui roule déjà dans ses montagnes natales une plus grande masse d’eau que le Nil d’Abyssinie, pourrait, après avoir recueilli les tributs que doivent lui verser les hautes régions de Singiro et de Kaffa, devenir, dans les plaines des Schelouks, ce chenal épuisé où mes embarcations sont restées engravées tant de mois ! 4 mai. — J’ai reçu une visite inattendue, celle du chef qui, le mois précédent, avait conseillé à ses compatriotes de m’attaquer et de piller mes barques. Il arriva sans armes, dans une barque montée par trois hommes seulement, Je prenais mon repas quand il se présenta, et j’affectai de ne faire aucune attention à lui. Cette réception inaccoutumée l’inquiéta : je le vis changer de couleur, son visage passant du noir à une teinte plombée. Quand j’eus fini, je me tournai vers lui en demandant au drogman ce que pouvait vouloir cet homme. Il prit alors la parole pour me dire qu’il était venu se justifier de certains mauvais bruits et notamment des intentions qui lui avaient été imputées d’avoir voulu me faire la guerre. Je lui répondis que je ne voulais pas entendre parler de semblable chose, que je ne craignais pas la guerre, mais que j’étais venu pour trafiquer paisiblement, et pour lui prouver qu’il n’était pas de taille à m’effrayer, je fis tirer un de mes canons chargé d’une pièce de bois en guise de boulet. Les noirs ayant ramassé ce projectile, que l’explosion avait lancé fort loin, j’interpellai le chef et lui demandai si les lances de ses hommes portaient à pareille distance. Son attitude me prouva qu’il avait compris la leçon et en profiterait. Il entreprit une longue justification pour me persuader qu’il était resté étranger à un complot tramé par les autres chefs, qu’il révéla à mon drogman, et qui consistait tout simplement à tomber sur nous durant la saison des pluies, lorsque l’humidité empêcherait nos terribles fusils de faire feu, et à nous massacrer sans danger. (Pour parer à ce péril, je fis soigneusement envelopper de peaux les batteries de nos fusils pendant que durèrent les pluies.) Mon conspirateur avait été trahi de la façon la plus inattendue. Une esclave dinka qu’il avait s’était empressée de tout révéler à mon drogman ; c’était le roi lui-même qui avait donné l’ordre de tomber sur nous, de nous égorger tous, sans excepter Terranova, son hôte ; de brûler nos corps et d’en jeter les cendres au vent ; « afin que nos cadavres ne restassent pas dans sa terre. » Sachant que ces noirs croient à la sorcellerie, je lui déclarai que je savais tout cela par des moyens magiques, et que je voulais bien lui pardonner ses perfidies passées, mais qu’il eût à y regarder à deux fois si, à l’avenir, il s’avisait encore de conspirer contre moi. Il me fit, pour me rassurer, le serment le plus solennel en usage chez ces peuples, « sur la race de ses bœufs, » et nous nous séparâmes assez bons amis pour la forme... Andrea Debono. « Je vous envoie le fragment d’un voyage sur le Saubat (affluent de droite du Nil Blanc) ; par M. Andrea Debono, négociant maltais établi à Khartoum pour la traite de l’ivoire. Il y a deux ans, les Annales des Voyages ont publié une relation de ce voyage écrite par M. Terranova, agent de M. Debono : mais vous pourrez voir, en comparant les deux relations, que le genre d’intérêt qu’elles offrent est tout à fait différent. Je regrette de ne pouvoir vous envoyer le journal entier de M. Debono, quoique je l’aie entre les mains : l’ensemble présente un caractère très-curieux et très-dramatique. M. Debono, surpris par la baisse subite des eaux et emprisonné par ce contre-temps, pendant onze mois, parmi des tribus peu sûres, harcelé et attaqué par les noirs, a failli plusieurs fois périr avec la jeune femme et l’enfant qui partageaient sa vie aventureuse. Sa relation, que j’ai dû abréger beaucoup en la traduisant, est proprement un journal de commerce écrit au jour le jour, et sans prétention à la publicité ; il offre par cela même une haute garantie de sincérité et d’exactitude. Le Saubat, sur lequel tous les géographes ont jusqu’ici adopté l’hypothèse qui l’identifie avec le fleuve d’Enaréa (S. d’Abyssinie), est le moins connu des grands affluents du fleuve Blanc. Tous les renseignements que j’ai pu avoir sur ce grand cours d’eau me confirment dans une pensée : c’est qu’il a sa source fort loin au sud-sud-est, qu’il reçoit une grande partie de ses eaux d’un ou deux canaux de dérivation du fleuve Blanc, et qu’il n’a aucun rapport avec le fleuve précité d’Enaréa, que je regarde, jusqu’à preuve du contraire, comme se rendant dans la mer des Indes sous les noms de Djouba (Ouebi Sidama, Jub, etc.). » Khartoum, août 1860. G. Lejean. |
La grande cuisine illustrée/1086 | Prosper Salles, Prosper Montagné Préface : Philéas Gilbert La grande cuisine illustrée 1900 (p. 451). bookLa grande cuisine illustréeProsper Salles, Prosper Montagné Préface : Philéas Gilbert1900MonacoCSalles et Montagné - La grande cuisine illustrée, 1900.djvuSalles et Montagné - La grande cuisine illustrée, 1900.djvu/6451 Cet appareil est certainement un des plus délicats qui s’emploie dans la préparation des glaces. Aussi demande-t-il à être exécuté avec toute la minutie désirable. En voici la méthode et les proportions : Mélanger 32 jaunes d’œufs et 1 litre de sirop à 28°. Passer au chinois et mettre à cuire au bain-marie. Lorsque l’appareil commence à napper la spatule, le retirer, le verser dans une grande terrine et le monter au frais avec une verge en osier comme une génoise. Ajouter 2 litres environ de crème fouettée. Le parfum s’ajoute à cet appareil au dernier moment seulement. Pour l’appareil à biscuits, la méthode diffère. Voici le procédé généralement employé : |
E. Feydeau - Souvenirs d’une cocodette, 1878.djvu/171 | <h3 style="color:transparent;margin-top:0em;margin-bottom:0em;font-size:2px">CHAPITRE VI</h3>
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<div style="float:left; vertical-align:top;margin-top: -0.35em; width:100%;">[[File:Cocodette-Bandeau-Ch6.png|600px|center|Bannière de début de chapitre]]</div></div>
<div style="line-height:120%; font-size:90%">{{a|Mon mari est plein d’expansion. — Pour quels motifs il m’épousa. — Histoire d’une homme amoureux de toutes les femmes. — Où mène la recherche de l’idéal. — Système de philosophie renouvelé de La Bruyère. — Mon mari devient incommode. — Je suis une machine à plaisir.}}</div>
{{Lettrine/I|[[Fichier:Cocodette-Lettrine-E.png|63px|E]]}}{{sc|est-ce}} donc là le mariage ! me disais-je
le lendemain en m’éveillant. Comment
les femmes s’y soumettent-elles ?
J’éprouvais une telle honte que je n’osa
sortir ni recevoir personne pendant quinze jours.
Les figures même des domestiques qui me servaient
m’étaient odieuses. Il me semblait toujours
que chacun pouvait voir sur mon visage
<references/> |
Castagnol/Texte entier | André Lamandé Castagnol Delalain, 1921 (p. 1-224). bookCastagnolAndré LamandéDelalain1921Paris CLamande - Castagnol.djvuLamande - Castagnol.djvu/51-224 ANDRÉ LAMANDÉ CASTAGNOL ROMAN PARIS LIBRAIRIE DELALAIN 115, Boulevard Saint-Germain, 115 CASTAGNOL ―――― Il a été tiré de cet ouvrage : 11 exemplaires sur papier Japon numérotés de 1 à 11 ; 11 exemplaires sur papier d’Arche numérotés de 12 à 22 et 28 exemplaires sur papier pur fil Lafuma numérotés de 23 à 50. ANDRÉ LAMANDÉ CASTAGNOL ROMAN [ornement à insérer] PARIS LIBRAIRIE DELALAIN 115, Boulevard Saint-Germain, 115 DU MÊME AUTEUR ――― Poésies La Vie Ardente — (Épuisé). La Marne (1918), un acte en vers représenté, pour la première fois, à la Comédie-Française, le 13 septembre 1917. Sous le clair Regard d’Athéné. ――― ÉDITION DE LUXE Sous le clairs Regard d’Athéné, illustrée par Pierre Laprade, — (Bernheim frères, éditeurs). AUX GENTILS ESPRITS DE FRANCE ET D’AILLEURS QUI SAVENT QUE BON VIN ET LIBRES BADINAGES ET RIRE SONT SECRETS INFAILLIBLES DE MAÏEUTIQUE ET GUIDES CERTAINS POUR ATTEINDRE, DANS LE CHAOS DES OPINIONS SUCCESSIVES ET CONTRADICTOIRES. QUELQUES PARCELLES DE VÉRITÉ, JE DÉDIE CE LIVRE. CHAPITRE I OÙ L’ON VOIT AU « GARGANTUA COURONNÉ » LES PRINCIPAUX HÉROS DE CE ROMAN Quand M. Verlinières, directeur de la Revue grise, sentit approcher son déclin, il pensa que l’Académie des Sciences Morales et Politiques fournirait un refuge honorable à ses ultimes années. Il renia donc ses péchés anciens, congédia sa dernière maîtresse et vécut saintement. Cette conversion fut un malheur pour les lettres françaises, car l’éminent homme barbouilla deux gros volumes sur « Les opinions de Joseph de Maistre appliquées à la dernière guerre ». La récompense d’une si patriotique érudition ne se fit pas attendre : l’auteur de ces in-folio reçut de l’Institut l’extrême-onction du génie. De ce jour, M. Verlinières, académicien, devint confit en bons propos et en œuvres charitables. Chacun de ses gestes fut un exemple de dignité. Pourtant, de ses faiblesses anciennes, il en conserva une qui tenait de l’amitié non moins que de l’habitude. Plusieurs fois par semaine, il continua de descendre, le soir, boulevard Saint-Michel, à la Pâtisserie-Rôtisserie du Gargantua Couronné. Cette pâtisserie, nul ne l’ignore, est célèbre dans Paris pour ses macarons aux raisins secs, appelés castagnolades, du nom de Castagnol, leur inventeur. Ainsi le nouvel académicien eut-il sa place dans ces réunions littéraires où, formant un cercle autour de notables écrivains, quelques métèques s’outrecuident. Avec tact, il s’y montra généreux et bénévole. On voulut bien prêter une oreille à ses prônes. Il portait haut le front, de terribles paroles coulaient avec douceur de ses lèvres minces, et, dans ce jeune monde d’écrivains, où l'on s’irritait souvent des prétentions populaires, le dogmatisme de son monocle ne détonnait pas. Or, en ce soir d’octobre, les langues frétillaient d’importance au Gargantua Couronné. Autour des tables de marbre, assis sur des bancs à dossiers rembourrés de crin, une vingtaine d’étudiants étrangers et d’écrivains parlaient tous ensemble. Derrière chaque banc, une glace reflétait les crinières, les nuques et les carrures des épaules. Ces glaces, faisant le tour de la salle, étaient séparées l’une de l’autre par un étroit panneau de faïence grenue où des Amours aux couleurs criardes nouaient leurs rondes. Au plafond, trois ampoules électriques, voilées de papier rose, éclairaient le tout. M. Verlinières entra en compagnie de son fils. Celui-ci, Jean, n’avait pas trente années, bien que des cheveux blancs apparussent à ses tempes. Son nez était long et spirituel, ses yeux reflétaient la douceur de son âme, et sa bouche, aux lèvres fines, disait l’éloquence narquoise et le goût des plaisirs délicats. Suivant son habitude, M. Verlinières prêchait, et son fils, pour l’instant, lui servait d’auditoire : — Les intellectuels, vois-tu, Jean, sont le sel de la terre, et ils ne doivent en aucun cas s’affadir. Malgré les misères imméritées dont notre démocratie les frappe, souhaitons qu’ils demeurent brillants et purs, comme la lumière de la nation. Mais Jean, qui trouvait saugrenus de tels propos, abandonna son père et s’assit près d’un ancien camarade de lycée, qu’il n’avait pas vu depuis cinq années : — Toi, Rémy Dartigaud ? Quel plaisir de te rencontrer. Tu es reluisant neuf. — Quelle surprise, répliqua l’autre. Tu n’as guère changé. Viens, prends une chaise. Aussitôt, oubliant M. Verlinières en grand bavardage à une table voisine, ils commandèrent des macarons et du malaga. — Vieux, disait Rémy Dartigaud, écrivasses-tu toujours ? Jadis, la critique d’art était ta passion. — Elle me tient encore. Mais toi, que fais-tu ? — Je danse. — Ah ! c’est ton métier ? L’autre haussa dédaigneusement les épaules : — J’ai trouvé le filon. Autrefois, la politique conduisait à tout ; aujourd’hui, c’est la danse. Regarde-moi ! Je suis chic et l’on me recherche ; d’ailleurs, je connais sur le pouce les soixante-quinze bars américains où Ton s’amuse, dit-on. Je danse et, sans paraître y toucher, je soigne mes affaires. Elles fructifient. Au fait : voudrais-tu cinq mille kilos de matières grasses ? — Des matières grasses ? — Ou dix mille de phosphates tunisiens ? C’est une occase, mon cher. Alors, Jean Verlinières regarda, narquoisement, cet ancien condisciple qu’il avait connu cancre et râpé, mais retors dans la discussion, obséquieux dans l’adversité, arrogant dans le triomphe, souple, glissant, fuyant, insaisissable, et qui paraissait maintenant sûr de lui, bien que son dos restât légèrement bossue et ses mains cauteleuses. — Des matières grasses... des phosphates... pour quoi faire ? Rémy Dartigaud sourit de pitié, et, baissant la voix : — Pour les revendre, innocent. Puis, comprenant que de telles préoccupations n’étaient guère familières à ce fils d’académicien, il changea tranquillement de conversation : — Cette pâtisserie renommée manque de femmes, et je n’y trouverais nul attrait si cette gentille frimousse, auprès de la caissière, ne venait, parfois, fleurir le comptoir. Ils bâfraient des castagnolades, buvaient du malaga, et Rémy Dartigaud guignait plus que de raison la jolie frimousse. — Cette Huguette, fille de Castagnol m’ensorcelle, et je l’emmènerais volontiers à Meudon, cueillir la violette, car elle possède un charme que j’ai peu rencontré. Un feu sombre passa dans les yeux de Jean Verlinières. Pourtant, c’est avec un geste d’indifférence à l’égard d’Huguette qu’il répondit : — Pas mal, cette petite, et le père n’a pas son pareil dans Paris. Quel type ! À la fois rôtisseur et pâtissier, il unit en lui la science de Vatel et le goût de Brillat-Savarin. En outre, sa force est herculéenne. Quand la porte du fond s’ouvre sur la rôtisserie, jette un coup d’œil et tu verras notre homme surveiller, au feu des sarments, la température des potages, la position des lardons, ou porter, à bras tendus, une brochette de volailles. Je sais, reprit Dartigaud, mais de sa fille, Huguette, que dis-tu ? — Peu de chose ; elle est fraîche et saine. Le père, lui, déborde de joie râblée. C’est un Parisien de naissance, dont les parents sont venus de Gascogne, et il garde de ce pays une pétulance aimable, un entrain de diable, et l’amour du mot propre, ce qui jette un peu de vert dans nos multiples discussions. — Sans doute, répliqua l’autre... Mais, la petite Huguette ? Jean Verlinières s’impatienta : — Son père, entends-tu, je te parle de son père. Quel homme ! On le dit bien avantagé de gueule, car il ne reste jamais coi. Politique, gastronomie, poésie, il connaît tout et trouve un mot pour chaque chose. Se bouchant les oreilles, Rémy Dartigaud s’écria : — Au diable Castagnol ! Je te parle de sa fille. La guerre, Jean, t’aurait-elle rendu sourd ? Puis, fermant les yeux à demi et menaçant du doigt : — Sourd ou amoureux ? Entre nous, dis-moi que la fleur de cette petite t’agace, et qu’il te serait agréable de la cueillir. À cet instant, la porte du fond s’ouvrit sur un brasier de flammes dorées, et une voix éclata, en une gueulade affectueusement bourrue : — Souillard, croquelardon, fripe-sauce ! Tu ne sais même pas ébrener un croupion. Viens. Regarde et sens. Tu as nom Pitchoune et je devrais l’appeler vilain Torche-Museau, ou de quelque autre mot mal sonnant ! La bedaine épanouie sous le tablier blanc, la face rouge, ronde, avec des yeux malicieux et petits, la bouche largement fendue, le nez plantureux, remuant, bienveillant, Justin Castagnol apparut. Il serra quelques mains, sourit, blagua, se prit ensuite à rire bruyamment et de façon communicative, puis montra grand plaisir à écouter les propos de M. Verlinières. — Jeunes gens, disait l’académicien à deux littérateurs imberbes, n’enviez ni l’épicier qui vous exploite, ni l’allumeur de réverbères qui gagne plus que nous. L’échelle des valeurs sociales demeure, pour l’instant, faussée. Notre régime en est la cause, mais le bon droit aura finalement son triomphe. Un jour va briller, j’en ai la conviction, où l’on nous remettra à notre véritable place : la première. Ah ! mes amis, j’aime le peuple, mais j’estime que, pour son bonheur même et notre sécurité, une hiérarchie est nécessaire. Les gens du peuple sont, tout compte fait, des agglomérats de classe inférieure. Prenez un horloger, le meilleur des horlogers : il fabrique ; nous autres, intellectuels, nous créons. Il est un artisan, nous sommes des artistes. Son travail le penche vers le sol, notre sacerdoce nous élève vers le ciel. À ces paroles, Castagnol intervint : — Monsieur Verlinières, malgré votre grand renom et vos beaux livres, que vous parlez mal ! Il n’y a pas en soi de métiers inférieurs ; tous les ouvriers peuvent s’élever à la dignité d’artistes, et j’estime que c’est un art de bien savoir entrelarder une poularde, farcir un faisan, confectionner un macaron, comme de fabriquer une montre ou d’écrire un livre. Aussi n’aura-t-on jamais trop de considération pour les gens de notre état qui fournissent, au menu peuple comme aux grands de la République, la nourriture du corps sans laquelle l’autre, celle de l’esprit, serait viande bien creuse. De ce fait, je conclus — sans vouloir, Messieurs, vous peiner le moins du monde, — qu’un bon rôtisseur est plus utile à la nation qu’un écrivain de talent. — Oh ! reprit M. Verlinières, votre façon de parler me rappelle les philosophes de Mégare. Monsieur Castagnol, vous êtes un éristique. Trouvant cocasse un tel mot, Castagnol s’inclina : — Vous dites ?... un ?... Un éristique, je crois ? Vous me flattez. Un éristique ? Pour cette trouvaille, il faut que je vous régale. Félix, portez du malaga, portez du porto ; n’oubliez pas les castagnolades. Je suis un éristique ! Il riait des yeux et des narines, se trémoussait d’aise. Enfin il s’assit, souffla, s’épanouit, mordit aux macarons, but un verre de porto. — Dégustez-moi ça, dit-il. On dirait que le bon Dieu vous lèche l’âme. Puis, baissant la voix : — M. Verlinières, je vaux socialement vingt fois plus que vous. Sans doute, mieux que moi vous enjuponnez vos phrases et jargonnez philosophie. On vous dit un maître. Fort bien. Mais quand vous rentrez, le soir, et qu’il vous faut établir votre bilan ? Qui donc vous a lu ? Vos confrères. Quel est votre gain ? À peine de quoi payer douze castagnolades. Moi, messieurs, je puis me flatter, la nuit venue, d’avoir donné un plaisir gustatif à toute une ville. En outre, ayant découvert une spécialité, comme vous je suis artiste. Mieux que vous, je me suis fait producteur, et, pour ma part, je permets au pays de payer ses dettes, de raffermir son change. Que vous mourriez, monsieur, quelques articles d’amis exalteront des qualités que vous n’avez pas ; mais que je ferme vingt-quatre heures ma boutique, tout Paris tressaillera d’émoi. Vous protestez ? Eh bien ! tenez, mon... cher Maître, comme ils disent... Clignant des yeux, Castagnol tira de sa poche un portefeuille bourré de billets de banque : — L’éristique, je le déclare, fait figure positif. Hein ? n’est-ce pas dodu, charnu, grassouillet ? Cela seul compte. Il caressait son portefeuille, avec des gestes lents. Chaque soir, je puis me dire : « Mon petit, par le seul fait de ton intelligence appliquée aux choses pratiques, tu as huit cents ou mille balles de plus que la veille. Voilà, mon cher Maître, un argument. Rétorquez-le ? Pensif, l’Académicien rassembla les éléments d’une réponse péremptoire, et Jean Verlinières, levant les yeux, aperçut son ancien camarade d’études qui serrait de plus près qu’il n’eût fallu la charmante Huguette. D’une amoureuse colère le cœur du jeune homme s’emplit soudain, ses yeux brillèrent d’un éclat mal contenu. Poings aux tempes, coudes sur la table, il regardait âprement Rémy Dartigaud, et sa figure, habituellement narquoise, se durcissant peu à peu, prit un ardent relief de médaille romaine. CHAPITRE II DE QUELQUES LIGNES ENNUYEUSES, QUE LE LECTEUR NE LIRA PAS, SUR LE PASSÉ ET LA FORTUNE DE JUSTIN CASTAGNOL En une époque de misère où ne fleurissaient ni les dancings, ni les cinémas, le rôtisseur Escarbagnac, un soir d’avril, chaussa un teint jaune, débrida un chapelet et mourut. C’était vingt-cinq ans plus tôt, dans la chambre haute des Trois Pintades. L’enterrement eut lieu deux jours après. De vieilles gens, commères et rentiers, un étudiant et deux filles rousses de la Taverne Palcas le suivirent. L’étudiant, qu’on savait un familier de la maison, fit un discours sur la tombe du pauvre Escarbagnac. Il dit pompeusement les vertus de cet homme simple et s’embrouilla dans une phrase latine qui fit sensation. On le félicita ; les deux filles rousses sanglotèrent, et l’étudiant emmena tout ce monde à la rôtisserie du défunt, afin qu’un vin chaud, parfumé de cannelle, les réconfortât. Il emplit lui-même les verres, ce qui ne manqua pas d’étonner. — Quel brave homme, cet Escarbagnac ! — buvez, mes amis !... disait l’étudiant — un brave homme doublé d’un rôtisseur hors ligne. Il possédait, à un point que le simple profane ne peut comprendre, le secret de fabriquer une omelette aux truffes, de farcir une oie toulousaine ou de déguster un vieux pommard. Je lui dois les plaisirs les plus vifs de ma jeunesse, et cette rue de l’École de Médecine à jamais restera gravée dans mon cœur. À droite, la Taverne Palcas m’a initié aux ferveurs de l’amour ; à gauche, la rôtisserie Escarbagnac m’a ébloui aux voluptés d’une gastronomie transcendante qui décida de ma vocation ; car je prends à mon compte, dès aujourd’hui, la rôtisserie des Trois Pintades, Ah ! ce pauvre Escarbagnac ! Buvez, mes amis, c’est moi qui paye. Les gens buvaient et riaient dans leurs verres. Mademoiselle Lydie, de chez Palcas, qu’on surnommait la Puce, buvait même plus que de raison. La cannelle fit son effet dans une tête aussi légère, et la Puce, grimpant sur la table, affirma que ries ne l’amusait plus qu’un retour d’enterrement. — Mais toi, dit-elle au jeune Castagnol, je t’appelle bourreur de crâne. Tu n’es pas rôtisseur, mais étudiant : on t’a vu à la Sorbonne. Cette remarque fut, pour l’étudiant, le point de départ d’une éloquente improvisation : — C’est vrai, mes amis, je suis Castagnol, fils de Gascons qui habitèrent Paris, et dont le premier soin et la grande sottise furent de m’envoyer au lycée. Comme tous les autres, j’ai décroché mes bachots, mais dès que j’eus fait connaissance avec notre cher Escarbagnac, — eh ! buvez donc, — j’ai envoyé mes livres par dessus les murs du bal Bullier. Les conseils de cet excellent homme, mes connaissances en droit et, je puis le dire, mon sens inné des affaires, m’ont démontré la vanité du savoir livresque. Si l’on songe aux progrès de la science et à l’engouement de la jeunesse pour les professions libérales, on peut prophétiser que les intellectuels seront voués, avant trente années, aux pires conditions matérielles. Ils seront trop nombreux dans leur corporation, et leur orgueil fait qu’ils ne pourront jamais s’entendre. Même leur savoir n’éblouit qu’à distance et ne sert pratiquement à rien. L’avenir — encore quelques gouttes de cet excellent vin chaud à la canelle — appartient aux classes commerçantes. Bientôt les yeux s’ouvriront, et l’on se rendra compte qu’un marchand de moutarde, qui excite l’appétit, mérite plus de considération et d’argent que le romancier dont les livres engendrent le sommeil. Aussi mon choix est fait. J’étais étudiant ; je deviens cuisinier, mais je reste rôtisseur, de par ma vocation. La semaine s’étant écoulée, il décrassa la rôtisserie, fourbit les broches, astiqua les hastiers, et changea l’enseigne Aux Trois Pintades, qu’il trouvait commune : — Désormais, dit-il à ses voisins, ma maison s’appellera Au Gargantua Couronné, du nom de ce géant instruit, paillard et sensé que le commun défigure. Il alliait, si j’en crois mes souvenirs de collège, le courage à la prudence, une alacrité charnelle à une juste modération de l’esprit, et il savait, à temps opportun, purger son estomac non moins que sa cervelle. Outre ses qualités solides, il possédait une langue verte, drue, colorée, et une pépie continuelle qui me le rendrait, à elle seule, à jamais sympathique. Il fit suivant son désir. L’antique Trois Pintades disparut, et l’on peignit, en marge de la devanture, un géant à califourchon sur un tonneau et le front ceint de lierre. Ainsi fut représenté Gargantua couronné. Les clients abondèrent chez Castagnol, qui dut son succès à son sens des affaires, non moins qu’à son bagout. Il parlait sans cesse, avec faconde, pour convaincre ou par plaisir. Nulle science ne lui semblait étrangère. Son amour du parler allait jusqu’à la tyrannie. Passiez-vous dans la rue ? Il vous happait. Fuyiez-vous ? Il vous poursuivait. Son besoin d’un auditoire était extraordinaire. Sa gorge séchait que sa langue ne s’amarrait pas. On l’entendait de force que depuis longtemps on ne l’écoutait plus. C’était une continuelle fricassée de paroles. Ce genre plut à une époque où un Parlement d’avocats dirigeait la nation, et des étudiants, qui déclamaient des vers et fondaient des revues, s’abattirent chez le rôtisseur. Mais Justin Castagnol conservait, sous tant de jactance, une grande habileté professionnelle. Il eut même une idée de génie. Comme la pâtisserie voisine de sa boutique périclitait, il l’acheta à vil prix, perça le mur mitoyen et, de ce fait, dirigea deux boutiques en une seule maison qui donnait à la fois sur la rue de l’Ecole de Médecine, le boulevard Saint-Michel et la rue Racine. Par bonheur, il découvrit un genre de macarons à la pâte d’amandes qu’il enrichit de raisins secs. Il sut habilement lancer cette nouveauté, au moment où déclinait la vogue des croissants de la Lune et des chinois de la mère Moreau. Ses macarons connurent, aussi bien que ses pintades, des jours glorieux. Ils devinrent célèbres sous le nom de « Castagnolades » dont Paris raffole encore. Bien que sa vie fût active et jacassante, Justin Castagnol trouva le temps de se marier. Dieu l’aidant, il eut une fille, Huguette, qui se montra, dès sa jeunessee, ingénue non moins que jolie, et l’achalandage de la pâtisserie en fut accru. En somme, jusqu’à ce jour, Castagnol, heureux, n’eut guère d’histoire, malgré un veuvage rapide, une fortune et un renom sans cesse grandissants. Ses mœurs étaient liantes et débonnaires, ses intentions pures, ses volailles odorantes et ses macarons à nuls autres pareils. CHAPITRE III OÙ L’ON APPREND, ENTRE AUTRES CHOSES SUBSTANTIFIQUES, QU’UN FILS D’ACADÉMICIEN NE DOIT PAS DÉROGER — Ce Rémy Dartigaud m’agace au plus haut point, pensait Jean Verlinières en ouvrant la porte du Gargantua Couronné. Je vais encore le voir rôdant autour d’Huguette. Il entra, jeta un rapide coup d’œil dans la salle, ne vit pas son ancien condisciple et s’en réjouit. La soirée commençant à peine, seul un groupe de poètes occupait une table, autour du bon Monsieur Gaylus, vieux professeur de philosophie à Saigon, qui, la retraite venue, trouvait grand plaisir à frotter sa redingote bourgeoise contre ces vestons d’académiciens en herbe. Il portait une barbe inculte, des yeux d’enfant candide et un crâne bossue Sa parole était à l’image de son visage. Il émettait souvent des idées biscornues. À cette heure, il expliquait pourquoi l’on doit préférer Minerve, déesse de l’intelligence, à Belphégor, qui verse dans les veines la noire ivresse des passions. Bien qu’il s’intéressât à ces jeux subtils, Jean Verlinières s’en vint galamment au comptoir où Huguette s’anéantissait dans une lecture : — Belle amie ?... Elle feignit de ne pas entendre. — Oh ! êtes-vous sourde ? Elle ferma son livre. — Je vois, dit Jean, que vous avez découvert un volume plein d’attrait. C’est, à coup sûr, le dernier vagabondage de Colette, ou la nouvelle loufoquerie de ce... Elle l’interrompit. — Moqueur, ce n’est ni un vagabondage, ni une loufoquerie. Je lisais les beaux poèmes du Roman sentimental que monsieur Paul Fort lui-même m’a dédicacé. Jean se rapprocha d’Huguette : — Je voudrais avoir le talent de Paul Fort pour vous exprimer, en des paroles harmonieuses, mes sentiments d’amitié... d’amitié solide... d’amitié affectueuse, et... tout mon cœur qui ne bat que pour vous. Elle tendit malicieusement l’oreille : — Vous avez dit, monsieur ?... je suis un peu dure d’oreille. Il badina : — Ne raillez point, ou plutôt, continuez. Votre oreille nacrée est spirituelle et vous avez le profil des femmes brunes de Goya. Elle tendait toujours l’oreille, avec une aimable affectation : — Parlez plus fort, monsieur, je ne vous entends pas. Alors, lui : — Croyez-vous qu’il me déplairait de crier, à tous ces fous que voilà et qui discutent poésie, que vous êtes entre toutes la Page:Lamande - Castagnol.djvu/32 Page:Lamande - Castagnol.djvu/33 Page:Lamande - Castagnol.djvu/34 Page:Lamande - Castagnol.djvu/35 Page:Lamande - Castagnol.djvu/36 Page:Lamande - Castagnol.djvu/37 Page:Lamande - Castagnol.djvu/38 Page:Lamande - Castagnol.djvu/39 Page:Lamande - Castagnol.djvu/40 Page:Lamande - Castagnol.djvu/41 Page:Lamande - Castagnol.djvu/42 Page:Lamande - Castagnol.djvu/43 Page:Lamande - Castagnol.djvu/44 Page:Lamande - Castagnol.djvu/45 Page:Lamande - Castagnol.djvu/46 Page:Lamande - Castagnol.djvu/47 Page:Lamande - Castagnol.djvu/48 Page:Lamande - Castagnol.djvu/49 Page:Lamande - Castagnol.djvu/50 Page:Lamande - Castagnol.djvu/51 Page:Lamande - Castagnol.djvu/52 Page:Lamande - Castagnol.djvu/53 Page:Lamande - Castagnol.djvu/54 Page:Lamande - Castagnol.djvu/55 Page:Lamande - Castagnol.djvu/56 Page:Lamande - Castagnol.djvu/57 Page:Lamande - Castagnol.djvu/58 Page:Lamande - Castagnol.djvu/59 Page:Lamande - Castagnol.djvu/60 Page:Lamande - Castagnol.djvu/61 Page:Lamande - Castagnol.djvu/62 Page:Lamande - Castagnol.djvu/63 Page:Lamande - Castagnol.djvu/64 Page:Lamande - Castagnol.djvu/65 Page:Lamande - Castagnol.djvu/66 Page:Lamande - Castagnol.djvu/67 Page:Lamande - Castagnol.djvu/68 Page:Lamande - Castagnol.djvu/69 Page:Lamande - Castagnol.djvu/70 Page:Lamande - Castagnol.djvu/71 Page:Lamande - Castagnol.djvu/72 Page:Lamande - Castagnol.djvu/73 Page:Lamande - Castagnol.djvu/74 Page:Lamande - Castagnol.djvu/75 Page:Lamande - Castagnol.djvu/76 Page:Lamande - Castagnol.djvu/77 Page:Lamande - Castagnol.djvu/78 Page:Lamande - Castagnol.djvu/79 Page:Lamande - Castagnol.djvu/80 CHAPITRE VII OU DEUX JEUNES GENS, ROUCOULANT D'AMOUR, SE VOIENT TRAITÉS SIMULTANÉMENT DE COLOMBE ET DE COQUEFREDOUILLE Huguette, en peignoir mauve, se pelotonnait contre la table, face au jardin dépouillé de Cluny. Elle écrivait à une amie. Sa plume courait hardiment sur le papier. Parfois, le mot ne venant plus, elle s'arrêtait net, levait vers la fenêtre son oreille malicieuse, puis, soudain, repartait au galop. Et, parfois, un bout de langue rose dépassait ses lèvres, tant la succulence de ses idées en tête l'incitait à une naturelle et saine gourmandise. 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Une grande faim d’amour dévorait celui-ci, et à peine les jeunes gens se furent-ils rencontrés, l’autre soir, au Salon de la Caricature qu’ils comprirent qu’une égale passion soulevait leur âme, et ils résolurent de hâter le jour de leur union. Castagnol, sollicité pour un repas d’accordailles, accepta d’autant plus volontiers que, depuis une semaine, quelques-uns de ses anciens clients revenaient au Gargantua, où la discussion joyeuse et paradoxale reprenait son domaine. Et, comme jadis, le maître-rôtisseur allait de l’un à l’autre, disait un bon mot, riait aux éclats, se dilatait la rate et retrouvait, de ce fait, la malice de ses yeux, l’enluminure de son cerveau et les mots cocasses qui étaient, aux conversations en Cours, un stimulant ragoût. — J’en suis, pour votre repas d’accordailles, mais à la condition d’y inviter, non seulement quelques intimes, mais encore tente mon ancienne clientèle d’aimables écrivains, de poètes chevelus, de critiques Spécieux. Ainsi marcheront de pair les aspirations du cœur et les affaires qui ne demandent, elles aussi, qu’à se marier harmonieusement. C’est donc entendu. Nous ferons les choses en grand, et c’est une énorme platelée d’amis qui viendront à notre table. Nous dresserons celle-ci dans la salle du Gargantua et je vous promets un festin qui laissera dans les mémoires un souvenir énorme et parfumé. J’ai dit. Honneur, longue vie à Huguette et à Jean ! Le bonhomme fit suivant son désir ; et, le troisième mardi de mars, une table de cinquante couverts fut dressée dans la pâtisserie. Le cristal des verres scintillait. Une jonchée de roses, des violettes et du mimosa sinuaient, a travers les couverts, comme un fleuve odorant, et le maître-rôtisseur apportait à la préparation de la table une grande vigilance, car il estimait, avec le sage Brillat-Savarin et le spirituel Monselet, qu’un repas doit être, à la fois, jouissance pour le palais, joie pour les yeux, volupté pour les oreilles, agréable chatouillement pour l’odorat, non moins que l’occasion pour les esprits de briller des mille feux de la fantaisie. Avec sa verve, Castagnol retrouvait son bon sens. Aussi, bien qu’on l’en eût fortement prié, il ne voulut pas que des tziganes ou un jazz-band troublassent le repas. Et, mettant tout en ordre, bousculant celui-ci, retenant celui-là, rudoyant Pitchoune, sifflotant, chantonnant, se reculant pour mieux juger de l’effet, se précipitant pour déplacer un verre, redresser une serviette, ajouter une fleur, il exprimait en goguenardant ses idées sur la musique à table : — Si mon estomac aboie de male faim, vais-je lui donner en pâture des dièzes et des bémols ? Et quand ma fringale est apaisée et qu’on m’apporte un plat de choix, une truite saumonnée ou, mieux encore, une jolie caille, rondelette, potelée et finement attendrie au Champagne, que dois-je faire ? A cet instant, il n’y a plus d’hérésie à commettre : je me recueille, je me penche avec respect sur le mets odorant, je le porte à mes lèvres avec componction, je le laisse fondre, je savoure en silence, je ferme les yeux. Minue béatifique !... Crac ! des hommes, hululeurs, siffleurs, grondeurs, attaquent une marche forcenée, me crèvent le tympan, me coupent la digestion, me jettent brutalement hors de ces régions divines où je commençais à me complaire. Quelle folie et quelle stupidité ! De même il proscrivit certains plats qui lui étaient familiers non moins que chers, de couleur gasconne, hauts en épices, car, de jeunes personnes devant fleurir la table des accordailles, il serait détestable, affirmait-il, qu’on mangeât, ce jour-là, des cèpes à la bordelaise, des escargots à la Caudéran ou de l’aïoli, cette ambroisie marseillaise. Et comme Pitchoune lui demandait de préciser sa pensée, il répondit : — Ce ne sont que plats pour tables de célibataires. — Patron, je ne comprends pas. — Petit bolcheviste ignare. O mon fils, de telles considérations échappent à l’entendement d’un gamin de ton âge. Retiens toutefois, pour l’avenir, que les plats fleurant les épices et saturés d’ail ne se prennent jamais en compagnie des dames et qu’ils tuent sur les lèvres, tant leur odeur a de truculence, cette fleur exquise et tendre qu’est le baiser. Enfin, l’heure du dîner sonna. Autour de la table d’honneur où bavardaient Huguette et jean, les invités prirent place. Le bon M. Caylus, en redingote, se frottait contre l’habit, neuf en apparence, de Jacques Landon. Un monsieur chevelu montrait son dernier volume de poèmes ; l’ongle d’un romancier traçait dans le vide le schéma d’une œuvre mouvementée ; mais les autres, penchés sur leurs assiettes, savouraient un consommé chaud à la neige de Florence qui fut suivi de xérès. Puis les plats se succédèrent, somptueux et abondants. On servit des soles à l’égyptienne, de la mousse d’écrevisse à la gelée, du cuissot de chevreuil, quelques douzaines de cailles cuites dans des poulardes de Bresse arrosées de beurre fin ; des œufs de vanneau dressés en timbales d’argent avec des filets de gelinotte obtinrent d’unanimes approbations. Les yeux brillaient et les visages étaient roses de délectation, Seul, Zoïlus jetait, dans cette éclatante symphonie, la note discordante de sa face jaune. — Ah ! que ce haut-brion m’altère, affirmait le maître-rôtisseur. Amis, servez-moi à boire. Les vins alternaient avec magnificence. On but des crus tourangeaux qui sentent la framboise, du bourgogne frais et capiteux, du bordeaux chenu, dodu comme du velours pourpre et liquide. Et plus ils buvaient, plus les gosiers semblaient avoir la pépie. Puis, comme dix faisans dorés sur croustades et fleurant les truffes sarladaises faisaient leur entrée, le maître-rôtisseur joignit aux lèvres, en un grand geste, ses deux index levés : — Mesdames, cria-t-il, veuillez mettre un frein à l’impétuosité de vos aimables propos, et vous, chers invités, pas une parole, de grâce ! Détrônisez ce mets supérieur et mangez en silence. Les foies gras qui ont mijoté dans les flancs attendris de faisans sauvages veulent être dégustés dans le plus complet recueillement. Mais l’excès des bons vins ayant débridé les esprits, vingt conversations se croisaient, se heurtaient, et des éclats de voix, des fragments de poèmes déclamés, des rires sonores emplissaient la salle du Gargantua d’un tumulte sans cesse grandissant. De ci, de là, quelques fragments de voix s’élevaient, distincts : — Romantiques ou classiques ? Encore ! Non. Une amende à qui nous empoisonnera, ce soir, de littérature. — Eh bien ! comment trouvez-vous ce margaux ? — Délicieux. — Et ce croupion de volaille ? — Egalement délicieux. — Hérésie, hérésie ! qu’on le brûle ! Zoïlus vient de commettre une hérésie ! Voilà ses balances faussées. Il emploie indifféremment les épithètes délicieux et délectable. Un cliquetis de couteaux heurtant les verres demanda le silence et Ton entendit Jacques Landon expliquer, de sa voix mélodieuse, en quoi consistait l’hérésie de Zoïlus : — Le bon vin, disait le gentil poète, excite la mémoire, flatte l’imagination, rend la parole agréable, et le plaisir qu’il procure se spiritualise tout de suite. Il charme. Il élève : le bon vin est délicieux. Je dis : délicieux. Mais, cette partie fondante — Cicéron l’affirme dans son livre IV des Tusculanes — cette partie fondante qu’on n’ose nommer... — Nommons-là : un croupion ! cria-t-on le long des tables. — Soit. Cette partie fondante qu’on appelle le croupion éveille un plaisir qui ne va pas sans un peu de mollesse. La sensualité l’emporte sur l’esprit. Au faisan qui embaume et ravit, le mot délicieux ne peut convenir ; il est délectable. Je dis : délectable. Sur ce thème subtil, de la synonymie en épithètes, de savantes discusions coururent, s’embrouillèrent, se dénouèrent, et, la multiplicité des vins aidant, l’effervescence devenait générale et le maître-rôtisseur continuait d’affirmer, en riant, que boire donne soif. Aussi levait-il le coude plus que de raison et sa langue commençait à battre la campagne : — Mes amis, aurait-on oublié le fromage ? Voilà une erreur gastronomique dont je garderais longtemps le mauvais souvenir, car le fromage est un aliment unique pour permettre au palais une fine dégustation. Sur ce, goûtez-moi ce barsac. Hein, ne vous chatouille-t-il pas agréablement ? Préférez-vous du chambertin ? Dieu est bon, mes amis, qui permet de vider de telles bouteilles. Est-ce de beaune ou de château-yquem que vous avez envie ? Trinquons. Je vous l’affirme, on verrait plus facilement notre gouvernement sans lésine que ma cave sans vins de choix. Aïe ! aïe ! la gorge me brûle. Qu’on me verse à boire. Ne vient-on pas de dire, ici même, que le bon vin réjouit la vue, active le cerveau, délie la langue, fortifie les muscles, rafraîchit le ventre, désopile la rate ! Si je devais porter un toast, c’est à l’honneur des vignes de France que je lèverais mon verre. Ah ! pardon, jeunes fiancés, je crois que je vous oublie ; mais que ce vin me paraît — comment dit-on ? — délectable ou délicieux ? Encore deux gouttes, deux doigts, une lampée de ce château-lafite de 93. Mais qu’ai-je dit ? Un taost ? C’en est l’heure. Je me lève, je vais parler, je parle... Mesdames, Messieurs, mes chers amis... Dans ses yeux brillait une flamme inaccoutumée ; son nez énorme et bonasse se trémoussait de plaisir, et toute sa physionomie mobile, ronde, grassouillette, incitait Page:Lamande - Castagnol.djvu/211 Page:Lamande - Castagnol.djvu/212 Page:Lamande - Castagnol.djvu/213 Page:Lamande - Castagnol.djvu/214 Page:Lamande - Castagnol.djvu/215 Page:Lamande - Castagnol.djvu/216 Page:Lamande - Castagnol.djvu/217 Page:Lamande - Castagnol.djvu/218 Page:Lamande - Castagnol.djvu/219 Page:Lamande - Castagnol.djvu/220 Chapitre i. — Où l’on voit les principaux héros de ce roman réunis au Gargantua Couronné 9 Chapitre ii. — De quelques lignes ennuyeuses, que le lecteur ne lira pas, sur le passé et la fortune de Justin Castagnol 22 Chapitre iii. — Où l’on apprend entre autres choses substantifiques qu’un fils d’académicien ne doit pas déroger 28 Chapitre iv. — Où l’on voit Castagnol confondre une pécore et menacer sa fille amoureuse des pires châtiments 45 Chapitre v. — Où l’on voit Castagnol, en une minute de grand courroux, dissimuler aimablement 58 Chapitre vi. — Venez, demain, et vous verrez... ce que vous verrez... 66 Chapitre vii. — Où deux jeunes gens, roucoulant d’amour, se voient traiter simultanément de colombe et de croquefredouille 81 Chapitre viii. — Comment on peut, à propos de mariage, s’élever aux plus hautes considérations philosophiques 94 Chapitre ix. — Où l’on voit, en un chapitre mouvementé, le malin Castagnol pris au piège 114 Chapitre x. — Où l’on voit deux générations qui s’estiment se tourner le dos 143 Chapitre xi. — Pour quelles raisons les abîmes de la décadence s’ouvrirent devant Castagnol 151 Chapitre xii. — Où Castagnol, retrouvant une âme de héros, charge les bolchevistes 162 Chapitre xiii. — Où la logique des choses semble prouver que les meilleurs remèdes ne sont pas ceux qu’on trouve chez les apothicaires 172 Chapitre xiv. — Où l’amour livre assaut à une jeune et charmante gloire 189 Chapitre xv. — Où l’on voit, en terminant, que bon vin et hochet de vanité sont secrets infaillibles de maïeutique 201 À LA MÊME LIBRAIRIE ――――― Collection à 5 francs Dans la Ronde des Faunes, par Isabelle Sandy (prix national 1921). L’Homme qui parle, par Gustave Guiches. Sous le clair regard d’Athéné, poèmes, par André Lamandé (prix national de Poésie, 1920). Une Sultane marocaine, par Ch. Géniaux. La Minute du Mandarin, par Emmanuel Aegerter. La Bougie Bleue, par Gaston Picard. ――― Collection à 3 fr. 25 Simon, par Marguerite d’Escola (prix Monthyon 1920). De la Rizière à la Montagne, par Jean Marquet, (Prix Corrard 1921, Prix de Littérature Coloniale 1921). Les Tribulations de Stanislas Gobichon, Petit Propriétaire, par Jean Drault. Chez les Jean Gouins, par Ch. Le Goffic. Deux mariages, par Eugène Le Mouel. Cette Collection se continue. ――― Collection Mauve à 4 fr. 50 Le Corso fleuri, par Albert-Emile Sorel. Clotilde Fougeray, par H. Langlois. Marthe et Jean, par F. Mallon-Hamelin. Elisabeth Bennett, par J.-L. Bertaux. ――― Nouvelle collection Mauve à 3 fr.25 Cendrillon, par Hélène Martial. L’Étrange Grand-Père, de Frank Barrett, traduit de l’anglais, par Louis Labat. L’Orage au loin, par P. de la Batut. La rupture, par Georges Beaume. Imp. F. MERIAUX, 2, rue Berzélius, Paris. — Douai. WS - dédicace manuscrite : En hommage respectueux et en témoignage de ma vive admiration André Lamandé nov. 1921 |
H G Wells La guerre des mondes 1906.djvu/80 | le bourg, pour être immanquablement détruits à la fin. De temps à autre, des gens
regardaient avec une certaine impatience par delà la Wey, vers les prairies de
Chertsey, mais tout, de ce côté, était tranquille.
Sur l’autre rive de la Tamise, excepté à l’endroit où les bateaux abordaient,
il n’y avait de même aucun trouble, ce qui faisait un contraste violent avec la
rive du Surrey. En débarquant, les gens partaient immédiatement par le petit chemin.
L’énorme bac n’avait encore fait qu’un seul voyage. Trois ou quatre soldats, de
la pelouse de l’auberge, regardaient ces fugitifs et les raillaient, sans songer à offrir
leur aide. L’auberge était close, car on était maintenant aux heures prohibées.
— Qu’est-ce que c’est que tout cela ? s’exclamait un batelier.
Puis, plus près de moi :
— Tais-toi donc, sale bête ! criait un homme à un chien qui hurlait.
À ce moment, on entendit de nouveau, mais cette fois dans la direction de
Chertsey, un son assourdi —{{lié}}la détonation d’un canon.
La lutte commençait. Presque immédiatement, d’invisibles batteries, cachées par
des bouquets d’arbres sur l’autre rive du fleuve, à notre droite, firent chorus, crachant
leurs obus régulièrement l’une après l’autre. Une femme s’évanouit. Tout le monde
sursauta, avec, en suspens, le soudain émoi de la bataille si proche et que nous
ne pouvions voir encore. Le regard ne parcourait que des prairies unies, où des
bœufs paissaient avec indifférence entre des saules argentés au feuillage immobile
sous le chaud soleil.
— Les soldats les arrêteront bien, dit une femme, d’un ton peu rassuré.
Une brume monta au-dessus des arbres. Puis soudain nous vîmes un énorme
flot de fumée qui envahit rapidement le ciel ; au même moment, le sol trembla
sous nos pieds et une explosion immense secoua l’atmosphère, brisant les vitres
des maisons proches et nous plongeant dans la stupéfaction,
— Les voilà ! cria un homme vêtu d’un jersey bleu. Là-bas ! Les voyez-vous ?
Là-bas !
Rapidement, l’un après l’autre, parurent deux, trois, puis quatre Marsiens, bien
loin par delà les arbres bas, à travers les prés s’étendant jusqu’à Chertsey et ils
se dirigeaient avec d’énormes enjambées vers la rivière. Ils parurent être, d’abord,
de petites formes encapuchonnées, s’avançant à une allure aussi rapide que le vol
des oiseaux.
Puis, arrivant obliquement dans notre direction, un cinquième monstre parut.
Leur masse cuirassée scintillait au soleil, tandis qu’ils accouraient vers les pièces
d’artillerie et ils paraissaient de plus en plus grands à mesure qu’ils approchaient.
L’un d’eux, le plus éloigné vers la gauche, brandissait aussi haut qu’il pouvait
une sorte d’immense étui, et ce terrible et sinistre Rayon Ardent, que j’avais vu
à l’œuvre le vendredi soir, jaillit soudain dans la direction de Chertsey et attaqua la ville.
À la vue de ces étranges, rapides et terribles créatures, la foule qui se pressait
sur les rives sembla un instant frappée d’horreur. Il n’y eut pas un mot, pas un
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Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance/Cuissot | CUISSOT, s. m. (cuissard, cuiseaux). Harnois de cuisses. On ne commence à adopter les cuissots que vers le milieu du xive siècle. Jusqu’alors les cuisses n’étaient protégées que par la jupe du haubert, le gambison et la cotte d’armes, et l’on se contenta, vers la fin du xiiie siècle, d’armer les tibias et les genoux de plates d’acier (voy. Genouillère, Grève). La jupe du haubert de mailles ou de la broigne, qui descendait jusqu’aux genoux, pouvant se relever quelque peu pendant le combat à cheval, on commença par ajouter au-dessus des genouillères des lames d’acier qui ne montaient guère qu’à 10 centimètres au-dessus de ces genouillères (fig. 1). Ces embryons de cuissots étaient fixés sur les chausses de mailles à l’aide d’une courroie, et étaient rivés à la genouillère par deux rivets latéraux qui permettaient à ces lames cylindriques de se mouvoir. On ajouta bientôt à cette première pièce une ou deux autres pièces (fig. 2). Il n’était pas nécessaire cependant, à partir du genou, de laisser de la mobilité à ces pièces, puisque le fémur est rigide. On renonça donc, vers le milieu du xive siècle, à ces demi-cuissots articulés, pour adopter une garniture d’une seule pièce, couvrant toute la partie externe de la cuisse et se bouclant par derrière sur les hauts-de-chausses de mailles (fig. 3), mais en laissant une pièce articulée entre la genouillère et le bas du cuissot, afin de masquer la jonction, lorsque la jambe était ployée. Ces sortes de cuissots se portaient alors avec les braconnières, qui protégeaient les hanches et le haut des cuisses, ainsi que le montre la figure 3. Ils étaient habituellement attachés à la ceinture par des attelles qui les empêchaient de peser sur les genoux (fig. 3 bis). On fit plus : vers 1360 on porta des cuissots entièrement clos, composés de deux parties réunies par des charnières et des loqueteaux. Celle antérieure, qui montait jusqu’à l’aine, se réunissait à la genouillère par une plaque articulée ; celle postérieure était échancrée au-dessus du jarret. La figure 4 présente un exemple de ces sortes de cuissots : en A, du côté externe, et en B, du côté interne. Le demi-cylindre de dessous, attaché au demi-cylindre antérieur par deux charnières a, se fermait par deux boutons à ressort et à œil b. Une courroie rivée en c, au bord interne de la plate de dessus, passait sous celle de dessous, qu’elle embrassait, et se bouclait en d. Cependant la partie e du cuissot (voyez la section C), interne, portant sur la selle, n’était point une défense utile et empêchait le cavalier de sentir les flancs du cheval. Ces boutons à ressort étaient gênants, aussi bien que la plaque de rivure de la courroie. On se décida dès lors à laisser une partie non armée de plates de f en g, et les cuissots des bonnes armures de plates de la lin du xive siècle sont façonnés ainsi que l’indique la figure 3. En A, ce cuissot est présenté de face ; un nerf saillant règne sur l’axe et aboutit à un arrêt a destiné à empêcher le fer de lance de glisser jusqu’à l’aine. La pièce b est d’un autre morceau rivé latéralement au cuissot ; elle peut se mouvoir, afin, si le ventre est plié sur la cuisse, de ne point pénétrer dans l'aine. Une autre pièce articulée g cache le défaut entre le bas du cuissot antérieur et la genouillère. En B, ce cuissot est présenté du côté externe avec sa genouillère et sa garde. La plaque latérale postérieure d ne fait que couvrir le côté vu de la cuisse, l’homme étant à cheval. Elle est maintenue au demi-cylindre antérieur par deux fortes charnières, et une boucle y est rivée qui reçoit la courroie e. En C, la genouillère est montrée du côté interne, et en n, o, sont présentées les tètes des rivets grandeur de l’exécution. Ces cuissots se posaient sur des chausses de peau ou de mailles. Cette pièce, chef-d’œuvre de forge et de modelé, est merveilleusement appropriée à l’usage et à la forme du membre. Cependant on laissait parfois flottante la plaque externe du cuissot, vers la fin du xive siècle. La statue de Philippe d’Artois, comte d’Eu, mort en 1397, porte des cuissots faits de cette façon (fig. 5 bis). La plate latérale externe a n’est maintenue au demi-cyclindre antérieur que par deux courroies et est libre d’ailleurs ; deux autres courroies serrent le demi-cylindre par-dessous, sur les chausses de mailles. La même disposition est observée dans l’armure de Jehan d’Artois, mort en 1384. Mais de 1400 à 1450 on trouve une assez grande variété de ces cuissots. Il en est (fig. 6) dont la partie antérieure est complètement composée de pièces articulées, bien que la plate latérale de recouvrement externe soit faite d’une seule pièce. Des attelles attachaient ces cuissots à la ceinture. D’autres sont faits en façon de canons, sans charnières ni courroies. Vers 1450, on voit des cuissots doublés d’une haute plaque d’acier cannelée en éventail, partant de la genouillère (fig. 7). A la fin du xve siècle, il arrive fréquemment que les cuissots n’ont plus de petite lame de recouvrement entre eux et la genouillère, et que les parties postérieures sont complètes, bouclées par deux courroies à la partie antérieure (fig. 8). Les armures dites maximiliennes, fort prisées à cette époque, sont dans ce cas (voy. Armure, pl. 5). Les cannelures de ces cuissots ne permettaient guère l’adjonction de ces pièces recouvrantes. Mais de la seconde moitié du xive siècle au milieu du xve on portait aussi des cuissots fabriqués comme les brigantines, c’est-à-dire composés de plaques d’acier intercalées entre une garniture de forte toile en double ou de peau et un parement de velours ou de grosse étoffe de soie. Ces sortes de cuissots étaient lacés ou bouclés latéralement, ou on les passait comme un caleçon. Ils avaient de la souplesse dans la largeur, ce que les cuissots d’acier fermés ne pouvaient posséder, et étaient plus commodes pour monter à cheval. Les hommes d’armes, vers le commencement du xve siècle, en portaient aussi, faits de peau et recouverts longitudinalement de cannelures d’acier rivées au moyen de bossettes (fig. 9). En A, est tracée la section des cannelures, moitié d’exécution. Les genouillères C sont posées sur une doublure B de peau, qui recouvre la jonction des cuissots et les grèves également de peau. Les Anglais paraissent avoir porté parfois de ces sortes de cuissots vers 1400. Si cet habillement garantissait bien l’homme d’armes des coups de taille, il était médiocre opposé aux coups de pointe, car ces bossettes au fond des cannelures arrêtaient le fer de la lance, et la pointe de l’épée pouvait se faire jour entre les lames de métal. Vers la fin du xve siècle, les cuissots articulés reparaissent et ne cessent d’être adoptés jusqu’au commencement du xviie siècle. Pièce d’armure, musée de Pierrefonds. Fragments d’armure de l’ancien musée de Pierrefonds. Manuscr. Biblioth. nation., Tite-Live, français (1350 environ). Manuscr. Biblioth. nation., Miroir historial, français (1440 environ). Manuscr. Biblioth. nation., le Livre des histoires du commencement du monde, français (1370 environ). De l’ancienne collection d'armes de Pierrefonds. Manuscr. Biblioth. nation., Miroir historial, français (1450 environ). Voy. Camail, fig. 7. Manuscr. Biblioth. nation., Girart de Nevers, français. Statue de Charles, duc de Bourbon, mort eu 1453, église de Souvigny. Manuscr. Biblioth. nation., Chron., Froissart (1440 environ) ; statue dans l’église abbatiale de Tewkesbury (voy. Stothard, the Monumental Effigies of Great Britain). |
H G Wells La guerre des mondes 1906.djvu/77 | lui, nous dévisageaient curieusement. L’artilleur sauta du talus sur la route, rectifia la position et salua.
— Ma pièce a été détruite hier soir, mon lieutenant. Je me suis caché. Je
tâche maintenant de rejoindre ma batterie. Vous apercevrez les Marsiens, je pense,
à un demi-mille d’ici en suivant cette route.
— Comment diable sont-ils ? demanda le lieutenant.
— Des géants en armure, mon lieutenant. Trente mètres de haut, trois jambes
et un corps comme de l’aluminium, avec une grosse tête effrayante dans une
espèce de capuchon.
— Allons donc ! dit le lieutenant, quelles sottises !
— Vous verrez vous-même, mon lieutenant. Ils portent une sorte de boîte qui
envoie du feu et qui vous tue d’un seul coup.
— Que voulez-vous dire ?... Un canon ?
— Non, mon lieutenant —{{lié}}et l’artilleur entama une copieuse description du
Rayon Ardent. Au milieu de son récit, le lieutenant l’interrompit et se tourna vers
moi. J’étais resté sur le talus qui bordait la route.
— Vous avez vu cela ? demanda le lieutenant.
— C’est parfaitement exact, répondis-je.
— C’est bien, fit le lieutenant. Mon devoir est d’aller m’en assurer.
Écoutez,
dit-il à l’artilleur, nous sommes détachés ici pour avertir les gens de quitter leurs
maisons. Vous ferez bien d’aller raconter la chose vous-même au général de brigade
et lui dire tout ce que vous savez. Il est à Weybridge. Vous savez le chemin ?
— Je le connais, répondis-je.
[[File:The War of the Worlds by Henrique Alvim Corrêa - page 75 - French edition 1906.png|right|250px]]
Et il tourna son cheval du côté d’où nous venions.
— Vous dites à un demi-mille ? demanda-t-il.
— Au plus, répondis-je, et j’indiquai les cimes des arbres vers le sud.
Il me remercia et se mit en route. Nous ne le revîmes plus.
Plus loin, un groupe de trois femmes et de deux enfants étaient en
train de déménager une maison de laboureur. Ils surchargeaient une charrette
à bras de ballots malpropres et d’un mobilier misérable. Ils étaient bien
trop affairés pour nous adresser la parole, et nous passâmes.
Près de la gare de Byfleet, en sortant du bois,
nous trouvâmes la contrée calme et paisible sous
le soleil matinal. Nous étions bien au delà de la
portée du Rayon Ardent et, n’eût été le silence
désert de quelques-unes des maisons, le
mouvement et l’agitation de départs précipités
dans d’autres, la troupe de soldats campée
sur le pont du chemin de fer et regardant
au long de la ligne vers Woking, ce dimanche
eût semblé pareil à tous les autres dimanches.
<references/> |
Subsets and Splits